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géopolitique - Page 565

  • Libye: la version de Sarkozy remise en cause par des mails de Clinton

    Dévoilés dans le cadre d'une enquête sur un attentat anti-américain en Libye, les emails de l'ex-secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton apportent un autre éclairage sur la position de la France au printemps 2011. 
    Les emails de l'ancienne secrétaire d'Etat rendus publics par le département d'Etat dans le cadre de l'enquête sur l'attentat anti-américain de 2012 en Libye contre le consulat de Benghazi réservent des surprises. A en croire le conseiller d'Hillary Clinton qui les a envoyés, les services secrets français auraient organisé et financé la rébellion contre Mouammar Kadhafi. 
    Plusieurs milliers de courriers électroniques envoyés ou reçus par Hillary Clinton, lorsqu'elle dirigeait la diplomatie américaine, ont été rendus publics sur internet, par le département d'Etat, sous le coup d'une ordonnance judiciaire. 
    Parmi ces documents, une série de mémos transmis à la chef de la diplomatie par un ami et homme d'affaires, Sidney Blumenthal, conseiller informel sur la Libye, qui se targuait de disposer de "sources" au sein du régime de Tripoli de l'époque. Ces missives auraient été écrites, selon le site Al Monitor qui couvre l'actualité du monde arabe et du Moyen-Orient, par une tierce personne, un ancien agent de la CIA, Tyler Drumheller. Ces documents mettent en cause le récit fait par la France du déroulement des événements en Libye en 2011. 
    Rencontres secrètes dès février 2011 
    La version officielle de la France est que Paris a choisi d'intervenir à l'appel d'opposants libyens pour éviter un bain de sang causé par la répression du dictateur libyen contre les mouvements contestataires lancés à la fin de l'hiver 2011. Al Monitor, basé à Washington, rappelle que Bernard-Henri Levy, aurait, selon la version officielle, rencontré le chef du Conseil national de transition Moustapha Abdel Jalil, le 4 mars 2011, appelé aussitôt Nicolas Sarkozy qui aurait invité l'opposant à l'Elysée, et reconnu le CNT le 10 mars. 
    Mais selon un mail daté du 22 mars, des agents de la DGSE ont entamé des rencontres secrètes avec Jalil et le général Abdelfattah Younès -qui venaient de quitter le gouvernement de Kadhafi- dès la fin février à Benghazi. Paris aurait fourni argent et conseils pour la formation du CNT. "En échange de ce soutien, indique la note, la France attendait que les nouvelles autorités favorisent les entreprises françaises, en particulier dans le secteur pétrolier." La France a été le premier pays à reconnaitre le CNT. 
    Des cadres de Total, de Vinci, et de l'EADS à bord de vols humanitaires 
    Al-Monitor souligne l'existence d' un autre mémo, daté du 5 mai, qui évoque des vols humanitaires organisés mi-avril de la même année, qui auraient compté parmi les passagers des cadres de Total, de Vinci, et de l'EADS. Le site a également consulté un mémo datant du mois de septembre selon lequel la France demanderait que 35% des contrats pétroliers soient attribués à des entreprises françaises. 
    Dans un autre email, au début de l'année 2012, selon Mediapart, Blumenthal évoque la potentielle partition de la Libye, dans laquelle il voit la main de la France. "Une source extrêmement sensible indique que la DGSE et le SIS (les services secrets britanniques) entendent organiser le mouvement vers un État semi-autonome dans un système fédéral." Mais, précise, Mediapart, Hillary Clinton qui, en transmettant ce message à ses équipes, ajoute un mot: "Cela me paraît difficilement crédible d'après ce que je sais". 
    L'auteur des mails, Sidney Blumenthal, souligne Le Temps, n'est pas précisément neutre. Il avait des intérêts en Libye où "il conseillait la société américaine Constallations Group avec deux associés dont Tyler Drum­heller, l'agent de la CIA et présumé auteur des notes envoyées à Hillary Clinton".

  • Réflexions sur la géopolitique et l’histoire du bassin oriental de la Méditerranée

    Dérives multiples en marge de la crise grecque
    La crise grecque est majoritairement perçue comme une crise économique et monétaire, détachée de tout contexte historique et géopolitique. Les technocrates et les économistes, généralement des bricoleurs sans vision ni jugeote, englués dans un présentisme infécond, n’ont nullement réfléchi à la nécessité, pour l’Europe, de se maintenir solidement dans cet espace est-méditerranéen, dont la maîtrise lui assure la paix. Sans présence forte dans cet espace, l’Europe est déforcée. Ce raisonnement historique est pourtant établi : les croisades, l’intervention aragonaise en Grèce au 14ème siècle (avec la caste guerrière des Almogavares), etc. montrent clairement que ce fut toujours une nécessité vitale d’ancrer une présence européenne dans cet archipel hellénique, menacé par les faits turc et musulman. L’absence de mémoire historique,entretenue par les tenants de nos technocraties banquières et économistes, a fait oublier cette vérité incontournable de notre histoire : la gestion désastreuse de la crise grecque le montre à l’envi.
    Erdogan, Toynbee et la dynamique turque
    La puissance régionale majeure dans cet espace est aujourd’hui la Turquie d’Erdogan, même si toute puissance véritable, de nos jours, est tributaire, là-bas, de la volonté américaine, dont l’instrument est la flotte qui croise dans les eaux de la Grande Bleue. Trop peu nombreux sont les décideurs européens qui comprennent les ressorts anciens de la dynamique turque dans cette région, qui donne accès à la Mer Noire, aux terres noires d’Ukraine, au Danube, au Caucase, au Nil (et donc au cœur de l’Afrique orientale), à la Mer Rouge et au commerce avec les Indes. Comprendre la géopolitique à l’œuvre depuis toujours, dans ce point névralgique du globe, même avant toute présence turque, est un impératif de lucidité politique. Nous avons derrière nous sept siècles de confrontation avec le fait turc-ottoman mais c’est plutôt dans l’histoire antique qu’il convient de découvrir comment, dans la région, le territoire en lui-même confère un pouvoir, réel ou potentiel, à qui l’occupe. C’est le byzantinologue Arnold J. Toynbee, directeur et fondateur du « Royal Institute of International Affairs » (RIIA), et par là même inspirateur de bon nombre de stratégies britanniques (puis américaines), qui a explicité de la manière la plus claire cette dynamique que pas un responsable européen à haut niveau ne devrait perdre de vue : la domination de l’antique Bithynie, petit territoire situé juste au-delà du Bosphore en terre anatolienne, permet, s’il y a impulsion adéquate, s’il y a « response » correcte au « challenge » de la territorialité bithynienne (pour reprendre le vocabulaire de Toynbee), la double maîtrise de l’Egée et de la Mer Noire. Rome devient maîtresse de ces deux espaces maritimes après s’être assurée du contrôle de la Bithynie (au prix des vertus de César, insinuaient les méchantes langues romaines…). Plus tard, cette Bithynie deviendra le territoire initial du clan d’Osman (ou Othman) qui nous lèguera le terme d’« ottoman ».
    Une Grèce antique pontique et méditerranéenne
    On parle souvent de manière figée de la civilisation grecque antique, en faisant du classicisme non dynamique à la manière des cuistres, en imaginant une Grèce limitée tantôt à l’aréopage d’Athènes tantôt au gymnase de Sparte, tantôt aux syllogismes de ses philosophes ou à la géométrie de ses mathématiciens, une Grèce comme un îlot isolé de son environnement méditerranéen et pontique. Le point névralgique de cette civilisation, bien plus complexe et bien plus riche que les petits professeurs classicistes ne l’imaginaient, était le Bosphore, clef de l’ensemble maritime Egée/Pont Euxin. Le Bosphore liait la Grèce égéenne à la Mer Noire, la Crimée et l’Ukraine, d’où lui venait son blé et, pour une bonne part, son bois et ses gardes scythes, qui assuraient la police à Athènes. La civilisation hellénique est donc un ensemble méditerranéen et pontique, mêlant divers peuples, de souches européennes et non européennes, en une synthèse vivante, où les arrière-pays balkaniques, les Thraces et les Scythes, branchés sur l’Europe du Nord finno-ougrienne via les fleuves russes, ne sont nullement absents. L’espace hellénique, la future Romania d’Orient hellénophone, l’univers byzantin possèdent donc une dimension pontique et l’archipel proprement hellénique est la pointe avancée de ce complexe balkano-pontique, situé au sud du cours du Danube. En ce sens, l’espace grec d’aujourd’hui, où s’étaient concentrées la plupart des Cités-Etats de la Grèce classique, est le prolongement de l’Europe danubienne et balkanique en direction du Levant, de l’Egypte et de l’Afrique. S’il n’est pas ce prolongement, si cet espace est coupé de son « hinterland » européen, il devient ipso facto le tremplin du Levant et, éventuellement, de l’Egypte, si d’aventure elle redevenait une puissance qui compte, comme au temps de Mehmet Ali, en direction du cœur danubien de l’Europe.

    Toynbee, avec sa thèse bithynienne, a démontré, lui, que si l’hellénité (romaine ou byzantine) perd la Bithynie proche du Bosphore et disposant d’une façade pontique, la puissance qui s’en empareraitpourrait aiséments’étendre dans toutes les directions : vers les Balkans et le Danube, vers la Crimée, la Mer Noire et le cours des grands fleuves russes, vers le Caucase (la Colchide), tremplin vers l’Orient perse, vers l’Egypte en longeant les côtes syrienne, libanaise, palestinienne et sinaïque, vers le Nil, artère menant droit au cœur de l’Afrique orientale, vers la Mer Rouge qui donne accès au commerce avec l’Inde et la Chine, vers la Mésopotamie et le Golfe Persique. L’aventure ottomane, depuis la base initiale des territoires bithynien et péri-bithynien d’Osman, prouve largement la pertinence de cette thèse. L’expansion ottomane a créé un verrou d’enclavement contre lequel l’Europe a buté pendant de longs siècles. La Turquie kémaliste, en rejetant l’héritage ottoman, a toutefois conservé un pouvoir régional réel et un pouvoir global potentiel en maintenant le territoire bithynien sous sa souveraineté. Même si elle n’a plus les moyens techniques, donc militaires, de reprendre l’expansion ottomane, la Turquie actuelle, post-kémaliste, garde des atouts précieux, simplement par sa position géographique qui fait d’elle, même affaiblie, une puissance régionale incontournable.
    Une Turquie ethniquement et religieusement fragmentée derrière un unanimisme apparent
    Le fait turc consiste en un nationalisme particulier greffé sur une population, certes majoritairement turque et musulmane-sunnite, mais hétérogène si l’on tient compte du fait que ces citoyens turcs ne sont pas nécessairement les descendants d’immigrants guerriers venus d’Asie centrale, berceau des peuples turcophones : beaucoup sont des Grecs ou des Arméniens convertis en surface, professant un islam édulcoré ou un laïcisme antireligieux ; d’autres sont des Kurdes indo-européens sunnites ou des Arabes sémitiques également sunnites ; d’autres encore descendent d’immigrants balkaniques islamisés ou de peuples venus de la rive septentrionale de la Mer Noire ; à ces fractures ethniques, il convient d’ajouter les clivages religieux: combien de zoroastriens en apparence sunnites ou alévites, combien de derviches à la religiosité riche et séduisante, combien de Bosniaquesslaves dont les ancêtres professaient le manichéisme bogomile, combien de chiites masqués chez les Kurdes ou les Kurdes turcisés, toutes options religieuses anciennes et bien ancrées que l’Européen moyen et les pitres politiciens, qu’il élit, sont incapables de comprendre ?
    Le nationalisme turc de facture kémaliste voulait camper sur une base géographique anatolienne qu’il espérait homogénéiser et surtout laïciser, au nom d’un tropisme européen. Le nationalisme nouveau, porté par Erdogan, l’homme qui a inauguré l’ère post-kémaliste, conjugue une option géopolitique particulière, celle qui combine l’ancienne dynamique ottomane avec l’idéal du califat sunnite. Les Kurdes, jadis ennemis emblématiques du pouvoir kémaliste et militaire, sont devenus parfois, dans le discours d’Erdogan, des alliés potentiels dans la lutte planétaire amorcée par les sunnites contre le chiisme ou ses dérivés. Mais tous les Kurdes, face à l’acteur récent qu’est l’Etat islamique en Irak et en Syrie, ne se sentent pas proches de ce fondamentalisme virulent et ne souhaitent pas, face à un sunnisme militant et violent, céder des éléments d’émancipation traditionnels, légués par leurs traditions gentilices indo-européennes, par un zoroastrisme diffus se profilant derrière un sunnisme de façade et de convention, etc.
    Echec du néo-ottomanisme
    L’Europe, si elle avait été souveraine et non pas gouvernée par des canules et des ignorants, aurait parfaitement pu admettre la géopolitique de Davoutoglu, comme une sorte d’interface entre le bloc européen (de préférence libéré de l’anachronisme « otanien ») et le puzzle complexe et explosif du Levant et du Moyen-Orient, que le néo-ottomanisme déclaré aurait pu apaiser et, par la même, il aurait annihilé certains projets américains de balkaniser durablement cette région en y attisant la lutte de tous contre tous, selon la théorie de Donald M. Snow (l’intensification maximale du désordre par les uncivilwars).
    Cependant l’Europe, entre la parution des premiers écrits géopolitiques et néo-ottomanistes de Davoutoglu et les succès de l’Etat islamique en Syrie et en Irak, a connu un ressac supplémentaire, qui se traduit par une forme nouvelle d’enclavement : elle n’a plus aucune entrée au Levant, au Moyen-Orient ou même en Afrique du Nord, suite à l’implosion de la Libye. La disparition du contrôle des flux migratoires par l’Etat libyen fait que l’Europe se trouve assiégée comme avant le 16ème siècle : elle devient le réceptacle d’un trop-plein de population (essentiellement subsaharienne) et cesse d’être la base de départ d’un trop-plein de population vers les Nouveaux Mondes des Amériques et de l’Océanie. Elle n’est plus une civilisation qui rayonne, mais une civilisation que l’on hait et que l’on méprise (aussi parce que les représentants officiels de cette civilisation prônent les dérives du festivisme post-soixante-huitard qui révulsent Turcs, Africains et Arabo-Musulmans).
    Dimensions adriatiques
    Si cette civilisation battue en brèche perd tous ses atouts en Méditerranée orientale et si la Grèce devient un maillon faible dans le dispositif européen, ce déclin irrémédiable ne pourra plus prendre fin. Raison majeure, pour tous les esprits qui résistent aux dévoiements imposés, de relire l’histoire européenne à la lumière des événements qui ont jalonné l’histoire du bassin oriental de la Méditerranée, de l’Adriatique et de la République de Venise (et des autres Cités-Etats commerçantes et thalassocratiques de la péninsule italienne). L’Adriatique est la portion de la Méditerranée qui s’enfonce le plus profondément vers l’intérieur des terres et, notamment, vers les terres, non littorales, où l’allemand est parlé, langue la plus spécifiquement européenne, exprimant le plus profondément l’esprit européen. La Styrie et la Carinthie sont des provinces autrichiennes germanophones en prise sur les réalités adriatiques et donc méditerranéennes, liées territorialement à la Vénétie. L’Istrie, aujourd’hui croate, était la base navale de la marine austro-hongroise jusqu’au Traité de Versailles. L’Adriatique donne accès au bassin oriental de la Méditerranée et c’est la maîtrise ininterrompue de ses eaux qui a fait la puissance de Venise, adversaire tenace de l’Empire ottoman. Venise était présente en Méditerranée orientale, Gênes en Crimée, presqu’île branchée sur les routes de la soie, laissées ouvertes par les Tatars avant qu’ils ne se soumettent à la Sublime Porte. Cette géopolitique vénitienne, trop peu arcboutée sur une masse territoriale assez vaste et substantielle, n’est peut-être plus articulable telle quelle aujourd’hui : aucun micro-Etat, de dimension urbaine ou ne disposant pas d’une masse de plusieurs dizaines de millions d’habitants, ne pourrait fonctionner aujourd’hui de manière optimale ni restituer une géopolitique et une thalassopolitique de grande ampleur, suffisante pour sortir justement toute la civilisation européenne de l’impasse et de l’enclavement dans lesquels elle chavire de nos jours.
    Double atout d’une géostratégie néo-vénitienne
    Le concert européen pourrait déployer une nouvelle géopolitique vénitienne, qui serait une perspective parmi bien d’autres tout aussi fécondes et potentielles, pour sortir de l’impasse actuelle ; cette géopolitique vénitienne devrait dès lors être articulée par un ensemble cohérent, animé par une vision nécessairement convergente et non plus conflictuelle. Cette vision pourrait s’avérer très utile pour une projection européenne efficace vers le bassin oriental de la Méditerranée et vers l’espace pontique. Venise, et Gênes, se projetaient vers le bassin oriental de la Méditerranée et vers la Mer Noire, au-delà du Bosphore tant que Byzance demeurait indépendante. Cette double projection donnait accès aux routes de la soie, au départ de la Crimée vers la Chine et aussi, mais plus difficilement au fil des vicissitudes qui ont affecté l’histoire du Levant, au départ d’Antioche et des ports syriens et libanais vers les routes terrestres qui passaient par la Mésopotamie et la Perse pour amener les caravanes vers l’Inde ou le Cathay.
    La présence des villes marchandes italiennes à Alexandrie d’Egypte donnait aussi accès au Nil, à cette artère nilotique qui plongeait, au-delà des cataractes vers les mystères de l’Afrique subsaharienne et vers le royaume chrétien d’Ethiopie. Les constats que nous induisent à poser une observation des faits géopolitiques et géostratégiques de l’histoire vénitienne et génoise devraient tout naturellement amener un concert européen sérieux, mener par des leaders lucides, à refuser tout conflit inutile sur le territoire de l’Ukraine actuelle car ce territoire donne accès aux nouvelles routes qui mènent de l’Europe occidentale à la Chine, que celles-ci soient ferroviaires (les projets allemands, russes et chinois de développement des trains à grande vitesse et à grande capacité) ou offre le transit à un réseau d’oléoducs et de gazoducs. Aucune coupure ne devrait entraver le développement de ces voies et réseaux. De même, les territoires libanais, syriens et irakiens actuels, dans l’intérêt d’un concert européen bien conçu, devraient ne connaître que paix et harmonie, afin de restaurer dans leur plénitude les voies d’accès aux ex-empires persans, indiens et chinois. Le regard vénitien ou génois que l’on pourrait jeter sur les espaces méditerranéen oriental et pontique permettrait de générer des stratégies de désenclavement.
    L’Europe est ré-enclavée !
    Aujourd’hui, nous vivons une période peu glorieuse de l’histoire européenne, celle qui est marquée par son ré-enclavement, ce qui implique que l’Europe a perdu tous les atouts qu’elle avait rudement acquis depuis la reconquista ibérique, la lutte pluriséculaire contre le fait ottoman, etc. Ce ré-enclavement est le résultat de la politique du nouvel hegemon occidental, les Etats-Unis d’Amérique. Ceux-ci étaient les débiteurs de l’Europe avant 1914. Après le désastre de la première guerre mondiale, ils en deviennent les créanciers. Pour eux, il s’agit avant tout de maintenir le vieux continent en état de faiblesse perpétuelle afin qu’il ne reprenne jamais plus du poil de la bête, ne redevienne jamais leur créancier. Pour y parvenir, il faut ré-enclaver cette Europe pour que, plus jamais, elle ne puisse rayonner comme elle l’a fait depuis la découverte de l’Amérique et depuis les explorations portugaises et espagnoles du 16ème siècle. Cette stratégie qui consiste à travailler à ré-enclaver l’Europe est la principale de toutes les stratégies déployées par le nouvel hegemon d’après 1918. 
    Même s’ils ne signent pas le Traité de Versailles, les Etats-Unis tenteront, dès la moitié des années 20, de mettre l’Europe (et tout particulièrement l’Allemagne) sous tutelle via une politique de crédits. Parallèlement à cette politique financière, les Etats-Unis imposent dans les années 20 des principes wilsoniens de droit international, faussement pacifistes, visant à priver les Etats du droit à faire la guerre, surtout les Etats européens, leurs principaux rivaux, et le Japon, dont ils veulent s’emparer des nouvelles conquêtes dans le Pacifique. On peut évidemment considérer, à première vue mais à première vue seulement, que cette volonté de pacifier le monde est positive, portée par un beau projet philanthropique. L’objectif réel n’est pourtant pas de pacifier le monde, comme on le perçoit parfaitement aujourd’hui au Levant et en Mésopotamie, où les Etats-Unis, via leur golem qu’est Daech, favorisent «l’intensification maximale du désordre ». L’objectif réel est de dépouiller tout Etat, quel qu’il soit, quelle que soient ses traditions ou les idéologies qu’il prône, de sa souveraineté. Aucun Etat, fût-il assiégé et étouffé par ses voisins, fût-il placé par ses antécédents historiques dans une situation d’in-viabilité à long terme à cause d’une précédente mutilation de son territoire national, n’a plus le droit de rectifier des situations dramatiques qui condamnent sa population à la misère, à l’émigration ou au ressac démographique. Or la souveraineté, c’était, remarquait Carl Schmitt face au déploiement de ce wilsonisme pernicieux, la capacité de décider de faire la guerre ou de ne pas la faire, pour se soustraire à des situations injustes ou ingérables. 
    Notamment, faire la guerre pour rompre un encerclement fatidique ou un enclavement qui barrait la route à la mer et au commerce maritime, était considéré comme légitime. Le meilleur exemple, à ce titre, est celui de la Bolivie enclavée au centre du continent sud-américain, suite à une guerre du 19ème siècle, où le Pérou et le Chili lui avaient coupé l’accès au Pacifique : le problème n’est toujours pas résolu malgré l’ONU. De même, l’Autriche, vaincue par Napoléon, est privée de son accès à l’Adriatique par l’instauration des « départements illyriens » ; en 1919, Clémenceau lui applique la même politique : la naissance du royaume de Yougoslavie lui ôte ses bases navales d’Istrie (Pola), enlevant par là le dernier accès des puissances centrales germaniques à la Méditerranée. L’Autriche implose, plonge dans la misère et accepte finalement l’Anschluss en 1938, dont la paternité réelle revient à Clémenceau.
    Versailles et le wilsonisme bétonnent le morcellement intra-européen
    Ensuite, pour l’hegemon, il faut conserver autant que possible le morcellement territorial de l’Europe. Déjà, les restrictions au droit souverain de faire la guerre gèle le tracé des frontières, souvent aberrant en Europe, devenu complètement absurde après les traités de la banlieue parisienne de 1919-1920, lesquels rendaient impossible tout regroupement impérial et, plus précisément, toute reconstitution, même pacifique, de l’ensemble danubien austro-hongrois, création toute naturelle de la raison vitale et historique. Ces traités signés dans la banlieue parisienne morcellent le territoire européen entre un bloc allemand aux nouvelles frontières militairement indéfendables, « démembrées » pour reprendre le vocabulaire de Richelieu et de Haushofer, et une Russie soviétique qui a perdu les glacis de l’Empire tsariste (Pays Baltes, Finlande, Bessarabie, Volhynie, etc.). Le double système de Versailles (de Trianon, Sèvres, Saint-Germain, etc.) et des principes wilsoniens, soi-disant pacifistes, entend bétonner définitivement le morcellement de la « Zwischeneuropa » entre l’Allemagne vaincue et l’URSS affaiblie par une guerre civile atroce.
    La situation actuelle en découle : les créations des traités iniques de la banlieue parisienne, encore davantage morcelées depuis l’éclatement de l’ex-Yougoslavie et de l’ex-Tchécoslovaquie, sans oublier le démantèlement des franges ouest de la défunte Union Soviétique, permet aujourd’hui aux Etats-Unis de soutenir les revendications centrifuges tantôt de l’une petite puissance résiduaire tantôt de l’autre, flattées de recevoir, de toute la clique néoconservatrice et belliciste américaine, le titre louangeur de « Nouvelle Europe » audacieuse face à une « Vieille Europe » froussarde (centrée autour du binôme gaullien/adenauerien de la Françallemagne ou de l’Europe carolingienne), exactement comme l’Angleterre jouait certaines de ces petites puissances contre l’Allemagne et la Russie, selon les dispositifs diplomatiques de Lord Curzon, ou comme la France qui fabriquait des alliances abracadabrantes pour « prendre l’Allemagne en tenaille », obligeant le contribuable français à financer des budgets militaires pharaoniques, notamment en Pologne, principale puissance de la « Zwischeneuropa », censée remplacer, dans la stratégie française ce qu’était l’Empire ottoman contre l’Autriche des Habsbourg ou ce qu’était la Russie lors de la politique de revanche de la Troisième République, soit un « rouleau compresseur, allié de revers », selon la funeste habitude léguée par François I au 16ème siècle. La Pologne était donc ce « nouvel allié de revers », moins lourd que l’Empire ottoman ou que la Russie de Nicolas II mais suffisamment armé pour rendre plus difficile une guerre sur deux fronts.
    Depuis les années 90, l’OTAN a réduit les effectifs de la Bundeswehr allemande, les a mis à égalité avec ceux de l’armée polonaise qui joue le jeu antirusse que l’Allemagne ne souhaitait plus faire depuis le début des années 80. La « Zwischeneuropa » est mobilisée pour une stratégie contraire aux intérêts généraux de l’Europe.
    Des séparatismes qui arrangent l’hegemon
    Dans la partie occidentale de l’Europe, des mouvements séparatistes sont médiatiquement entretenus, comme en Catalogne, par exemple, pour promouvoir des idéologies néo-libérales (face à d’anciens Etats jugés trop protectionnistes ou trop « rigides ») ou des gauchismes inconsistants, correspondant parfaitement aux stratégies déconstructivistes du festivisme ambiant, stratégies favorisées par l’hegemon, car elles permettent de consolider les effets du wilsonisme. Ce festivisme est pleinement favorisé car il se révèle l’instrument idéal pour couler les polities traditionnelles, pourtant déjà solidement battues en brèche par soixante ou septante ans de matraquage médiatique abrutissant, mais jugées encore trop « politiques » pour plaire à l’hegemon, qui, sans discontinuer, fabrique à la carte des cocktails affaiblissants, chaque fois adaptés à la dimension vernaculaire où pointent des dissensus exploitables. Cette adaptation du discours fait croire, dans une fraction importante des masses, à l’existence d’une « identité » solide et inébranlable, ce qui permet alors de diffuser un discours sournois où la population imagine qu’elle défend cette identité, parce qu’on lui fabrique toutes sortes de gadgets à coloration vernaculaire ; en réalité, derrière ce théâtre de marionnettes qui capte toutes les attentions des frivoles, on branche des provinces importantes des anciens Etats non pas sur une Europe des ethnies charnelles, ainsi que l’imaginent les naïfs, mais sur les réseaux mondiaux de dépolitisation générale que sont les dispositifs néo-libéraux et/ou festivistes, afin qu’in fine tous communient, affublé d’un T-shirt et d’un chapeau de paille catalan ou basque, flamand ou wallon, etc. dans la grande messe néo-libérale ou festiviste, sans jamais critiquer sérieusement l’inféodation à l’OTAN.
    Rendre tous les Etats « a-démiques »
    Ainsi, quelques pans entiers du vieil et tenace ennemi des réseaux calvinistes/puritains anglo-américains sont encore davantage balkanisés : l’ancien Empire de Charles-Quint se disloque encore pour rendre tous ses lambeaux totalement «invertébrés » (Ortega y Gasset !). Les Bretons et les Occitans, eux, ne méritent aucun appui, contrairement aux autres : s’ils réclament autonomie ou indépendance, ils commettent un péché impardonnable car ils visent la dislocation d’un Etat occidentiste, dont le fondamentalisme intrinsèque, pure fiction manipulatrice, ne se réclame pas d’un Dieu biblique comme en Amérique mais d’un athéisme éradicateur. Les Bretons ne revendiquent pas la dissolution d’une ancienne terre impériale et européenne mais d’un Etat déjà « adémique », de « a-demos », de « sans peuple » (« a » privatif + démos, peuple en grec, ce néologisme ayant été forgé par le philosophe italien Giorgio Agamben). Il faut donc les combattre et les traiter de ploucs voire de pire encore. La stratégie du morcellement permanent du territoire vise, de fait, à empêcher toute reconstitution d’une réalité impériale en Europe, héritière de l’Empire de Charles-Quint ou de la « Grande Alliance », mise en exergue par l’historien wallon Luc Hommel, spécialiste de l’histoire du fait bourguignon. La différence entre les indépendantismes anti-impériaux, néfastes, et les indépendantismes positifs parce qu’hostiles aux Etats rénégats, qui, par veulerie intrinsèque, ont apostasié l’idéal d’une civilisation européenne unifiée et combattive, ne doit pas empêcher la nécessaire valorisation de la variété européenne, selon les principes mis en exergue par le théoricien breton Yann Fouéré qui nous parlait de « lois de la variété requise ».
    Des tissus de contradictions
    En Flandre, il faut combattre toutes les forces, y compris celles qui se disent « identitaires », qui ne revendiquent pas un rejet absolu de l’OTAN et des alliances nous liant aux puissances anglo-saxonnes qui articulent contre l’Europe le réseau ECHELON. Ces forces pseudo-identitaires sont prêtes à tomber, par stupidité crasse, dans tous les pièges du néo-libéralisme. En Wallonie, on doit rejeter la tutelle socialiste qui, elle, a été la première à noyer la Belgique dans le magma de l’OTAN, que les adversaires de cette politique atlantiste nommaient le « Spaakistan », rappelle le Professeur Coolsaet (RUG). 
    En Wallonie, les forces dites « régionales » ou « régionalistes » sont en faveur d’un développement endogène et d’un projet social non libéral mais sans redéfinir clairement la position de la Wallonie dans la grande région entre Rhin et Seine. La littérature wallonne, en la personne du regretté Gaston Compère, elle, resitue ces régions romanophones de l’ancien Saint-Empire dans le cadre bourguignon et les fait participer à un projet impérial et culturel, celui de Charles le Téméraire, tout en critiquant les forces urbaines (et donc non traditionnelles de Flandre et d’Alsace) pour avoir torpillé ce projet avec la complicité de l’« Universelle Aragne », Louis XI, créateur de l’Etat coercitif moderne qui viendra à bout de la belle France des Riches Heures du Duc de Berry, de Villon, Rutebeuf et Rabelais.
    Compère inverse la vulgate colportée sur les divisions de la Belgique : il fait des villes flamandes les complices de la veulerie française et des campagnes wallonnes les protagonistes d’un projet glorieux, ambitieux et prestigieux, celui du Duc de Bourgogne, mort à Nancy en 1477. Certes Compère formule là, avec un magnifique brio, une utopie que la Wallonie actuelle, plongée dans les eaux glauques de la crapulerie politique de ses dirigeants indignes, est aujourd’hui incapable d’assumer, alors que la Flandre oublie sa propre histoire au profit d’une mythologie pseudo-nationaliste reposant sur un éventail de mythes contradictoires où se télescopent surtout une revendication catholique (le peuple pieux) contre les importations jacobines de la révolution française et une identification au protestantisme du 16ème siècle, dont les iconoclastes étaient l’équivalent de l’Etat islamiste d’aujourd’hui et qui ont ruiné la statuaire médiévale flamande, saccagée lors de l’été 1566 : il est dès lors plaisant de voir quelques têtes creuses se réclamer de ces iconoclastes, au nom d’un pannéerlandisme qui n’a existé que sous d’autres signes, plus traditionnels et toujours au sein de l’ensemble impérial, tout en rabâchant inlassablement une hostilité (juste) contre les dérives de Daech, toutefois erronément assimilées à toutes les formes culturelles nées en terres islamisées : si l’on se revendique des iconoclastes calvinistes d’hier, il n’y a nulle raison de ne pas applaudir aux faits et gestes des iconoclastes musulmans d’aujourd’hui, armés et soutenus par les héritiers puritains des vandales de 1566 ; si l’on n’applaudit pas, cela signifie que l’on est bête et surtout incohérent. 
    Les mythes de l’Etat belge sont eux aussi contradictoires car ils mêlent idée impériale, idée de Croisade (la figure de Godefroy de Bouillon et les visions traditionnelles de Marcel Lobet, etc.), pro- et anti-hollandisme confondus dans une formidable bouillabaisse, nationalisme étroit et étriqué, étranger à l’histoire réelle des régions aujourd’hui demeurées « belges ». 
    En Catalogne, la revue Nihil Obstat (n°22, I/2014), publiée près de Tarragone, rappelle fort opportunément que tout catalanisme n’a pas été anti-impérial : au contraire, il a revendiqué une identité aragonaise en l’assortissant d’un discours « charnel » que l’indépendantisme festiviste qui occupe l’avant-scène aujourd’hui ne revendique certainement pas car il préfère se vautrer dans la gadoue des modes panmixistes dictées par les officines d’Outre-Atlantique ou communier dans un gauchisme démagogique qui n’apportera évidemment aucune solution à aucun des maux qui affectent la société catalane actuelle, tout comme les dérives de la NVA flamande dans le gendérisme (made in USA avec la bénédiction d’Hillary Clinton) et même dans le panmixisme si prisé dans le Paris hollandouillé ne résoudront aucun des maux qui guettent la société flamande. Cette longue digression sur les forces centrifuges, positives et négatives, qui secouent les paysages politiques européens, nous conduit à conclure que l’hegemon appuie, de toutes les façons possibles et imaginables, ce qui disloque les polities, grandes et petites, d’Europe, d’Amérique latine et d’Asie et les forces centrifuges qui importent les éléments de dissolution néolibéraux, festivistes et panmixistes qui permettent les stratégies d’ahurissement visant à transformer les peuples en « populations », à métamorphoser tous les Etats-Nations classiques, riches d’une Realpolitik potentiellement féconde, en machines cafouillantes, marquées par ce que le très pertinent philosophe italien Giorgio Agamben appelait des polities « a-démiques », soit des polities qui ont évacué le peuple qu’elles sont pourtant censées représenter et défendre.
    L’attaque monétaire contre la Grèce, qui a fragilisé la devise qu’est l’euro, afin qu’elle ne puisse plus être utilisée pour remplacer le dollar hégémonique, a ébranlé la volonté d’unité continentale : on voit réapparaître tous les souverainismes anti-civilisationnels, toutes les illusions d’isolation splendide, surtout en France et en Grande-Bretagne, tous les petits nationalismes de la « Zwischeneuropa », toutes les formes de germanophobie qui dressent les périphéries contre le centre géographique du continent et nient, par effet de suite, toute unité continentale et civilisationnelle. A cette dérive centrifuge générale, s’ajoutent évidemment les néo-wilsonismes, qui ne perçoivent pas le cynisme réel qui se profile derrière cet angélisme apparent, que percevait parfaitement un Carl Schmitt : on lutte parait-il, pour la « démocratie » en Ukraine ou en Syrie, pour le compte de forces sur le terrain qui s’avèrent très peu démocratiques. Les festivismes continuent d’oblitérer les volontés et ruinent à l’avance toute reprise d’une conscience politique. Les séparatismes utiles à l’hegemon gagnent en influence. Les séparatismes qui pourrait œuvrer à ruiner les machines étatiques devenues « a-démiques » sont, eux, freiner dans leurs élans. L’Europe est un continent devenu « invertébré » comme l’Espagne que décrivait Ortega y Gasset. L’affaire grecque est le signal premier d’une phase de dissolution de grande ampleur : la Grèce fragilisée, les flots de faux réfugiés, l’implosion de l’Allemagne, centre du continent, l’absence de jugement politique et géopolitique (notamment sur le bassin oriental de la Méditerranée, sur la Mer Noire et le Levant) en sont les suites logiques.
    Robert Steuckers.
    Madrid, Alicante, Hendaye, Forest-Flotzenberg, août-novembre 2015.

    pour voir les cartes liées à cet article => http://robertsteuckers.blogspot.fr/2015/11/reflexions-sur-la-geopolitique-et.html

  • Les progrès de la démocratie russe

    Ivan Blot, homme politique, écrivain, essayiste. Membre du conseil des experts de « Rethinking Russia ».
    Docteur de l’Institut d’études politiques de Paris.

    ♦ Le couple Russie et démocratie ne semble pas très naturel et rien, apparemment aujourd’hui, n’incite le public occidental à reconnaître chez les Russes une propension à l’usage du vote libre, une acceptation d’une opposition politique ou, plus simplement, un rapprochement entre l’Etat et le peuple ; et pourtant… Ivan Blot livre ici une sorte d’inventaire au terme duquel on devrait créditer à la présidence Poutine une volonté d’ouverture dans ce sens. Voyons.
    Polémia


    De 2011 à 2016, sous la présidence de Vladimir Poutine, la démocratie russe a beaucoup progressé avec d’importantes réformes pour rapprocher le peuple et la classe politique. Le think tank « Rethinking Russia » vient de publier un bilan significatif.

    1/ Le nombre de partis politiques autorisés à participer aux élections est passé de 7 à 74. Il suffit maintenant d’avoir 500 membres contre 40.000 auparavant pour être enregistré et admis à présenter des candidats.

    2/ Les élections législatives étaient à la proportionnelle intégrale entre les listes, ce qui donne un pouvoir considérable aux états-majors partisans. Désormais, la moitié des députés sont élus sur liste et l’autre moitié au scrutin uninominal de circonscription, un peu comme en Allemagne.

    3/ Le seuil à atteindre pour avoir des députés au Parlement (Douma) est passé de 7 à 5%.

    4/ Le nombre de partis à présenter des candidats aux élections régionales et locales est passé de 7 à 55.

    5/ Selon les 85 régions, 4 ou 5 partis se présentaient. Aujourd’hui le chiffre est de 5 à 18 partis, avec les chiffres les plus élevés au Daghestan, à Moscou et dans la région de Sverdlovsk (Oural).

    6/ Pour ce qui concerne les signatures requises pour présenter des listes ou des candidats de circonscription : il fallait 2% du corps électoral pour une liste et 0,5% à présent. Pour les candidats, il faut 5% ; pour les élections à l’exécutif local, aucune signature n’est nécessaire.

    7/ La participation électorale fut de 50,9% des voix au niveau régional il y a 5 ans et de 41,8% à présent. La présidence voudrait inverser cette tendance due à la fermeture des partis dans le passé (phénomène bien connu en France).

    8/ Le parti du président Russie Unie est passé en 5 ans de 48,97% des voix à 55,09%.

    9/ Afin de rapprocher les électeurs des élus, il faut désormais 5 ans de résidence pour être candidat au conseil de la Fédération (Sénat). C’est une disposition antiparachutage.

    10/ Une réforme très populaire en Russie : les gouverneurs (préfets) étaient ratifiés par le conseil local et présentés par le président. Aujourd’hui, ils sont directement élus par les citoyens sur 75 régions. Dans dix autres, ils sont élus par les conseils locaux à partir d’une liste de trois candidats présentée par le président. 48% des gouverneurs avaient été élus à un moment ou à un autre dans leur carrière. Désormais, c’est 79%.

    11/ Cinq sortes de collectivités locales existaient ; 7 types différents existent désormais.

    12/ L’exécutif local pouvait être élu, ou bien se composer d’un élu et d’un fonctionnaire nommé ou bien d’un élu et d’un fonctionnaire tous deux nommés. Aujourd’hui, il y a 5 systèmes différents allant de l’élection pure à la nomination pure en passant par des directions à deux têtes, une élue et une nommée.

    13/ Une seule région avait un gouverneur d’opposition (communiste). A présent, il y a des gouverneurs communistes mais aussi de Russie juste et du parti libéral démocratique, soit 4 gouverneurs d’opposition au total (rappelons qu’en France, tous les préfets sont nommés par le gouvernement, donc il n’y a pas de préfets appartenant à l’opposition).

    14/ L’opposition présidait 6 des 32 commissions ; aujourd’hui, l’opposition préside 15 commissions sur 30.

    15/ Il n’y avait aucun sénateur d’opposition autrefois ; aujourd’hui, les trois partis d’opposition de la Douma sont représentés.

    16/ Les partis non enregistrés sont autorisés à présenter des candidats et à faire des manifestations.

    17/ Une nouveauté est le Front national pan-russe (ONF) qui est un regroupement d’organisations (dont 20 partis politiques) et de membres de toute la société civile chargés de contrôler si la politique du président est bien appliquée sur le terrain (mécanisme antitechnocratique).

    18/ Au sein du parti « Russie Unie », on est passé des primaires fermées aux primaires ouvertes (à tous les citoyens) pour désigner les candidats aux élections.

    19/ Le président est désormais au-dessus des partis tout en présidant Russie Unie. Le premier ministre dirige effectivement le parti Russie Unie.

    20/ La chambre civique nommée par le président comporte des représentants des régions et des professions. Désormais les régions sont obligatoirement représentées dans cette sorte de conseil économique et social.

    21/ Le site d’initiatives publiques russes enregistre et sélectionne en fonction de leur succès à la base les initiatives populaires que doivent prendre en compte les autorités.

    22/ Un poste de ministre pour les affaires gouvernementales ouvert à tous est créé. Des ombudsmenspécialisés sont créés (pour les enfants, pour les entreprises).

    23/ Le conseil fédéral des droits de l’homme était nommé ; il est désormais nommé en fonction du résultat d’élections faites sur Internet et passe de 40 à 63 membres.

    Conclusion : toutes les grandes tendances de l’opinion, communistes, sociaux-démocrates, libéraux et nationaux-patriotes sont représentés soit au Parlement soit dans d’autres organismes ou collectivités locales.

    On a voulu ouvrir le système politique à des personnes et des talents nouveaux. Pour cela, il a fallu casser le monopole des grands partis en permettant des élections par circonscription, en libéralisant la création des partis politiques, en permettant un contrôle au quotidien des administrations (Front national pan-russe) et en permettant aux citoyens de présenter des initiatives sur Internet. Il s’agit progressivement de se rapprocher d’une démocratie directe (dixit Rethinking Russia) afin d’augmenter la motivation électorale des citoyens. 44% des citoyens ont une bonne opinion des partis contre 30% il y a deux ans. En France, 20% à peine des citoyens font confiance aux partis politiques.

    Sur certains points, comme l’élection des préfets, ou bien l’existence du Front national pan-russe pour contrôler l’administration à la base (dispositif antitechnocratique), la Russie est très en avance démocratiquement par rapport à un pays comme la France. La présidence russe s’intéresse de près aux institutions de démocratie directe alors qu’en France les principaux leaders politiques montrent une certaine méfiance.

    Le fort soutien du peuple au président (plus de 80%) montre que la politique présidentielle est bien conçue « pour le peuple » comme il doit être de mise dans une vraie démocratie et non en faveur des groupes de pression les plus puissants (oligarchie).

    Ivan Blot, 8/01/2016

    http://www.polemia.com/les-progres-de-la-democratie-russe/

  • Occident, Orient : craintes et espoirs – Conférence de Bruno Gollnisch à Reims Le 21 janvier 2016

    Bruno Gollnisch, membre du bureau politique du Front national, a très volontiers accepté de donner une conférence privée à Reims à l’invitation d’E&R-Champagne Ardenne.

    La date, jeudi 21 janvier 2016 à 18h45, est aussi exceptionnelle que l’événement. Elle correspond à son retour vers Paris après la session parlementaire de Strasbourg.

    Jean-Marie Le Pen ayant été écarté du groupe parlementaire Europe des Nations et des Libertés (ENL) créé autour de Marine Le Pen en juin 2015, Bruno Gollnisch siège avec l’ancien leader du FN comme non-inscrit à Bruxelles et Strasbourg.

    Dans cette période troublée où les peuples européens sont agressés de toutes parts, il est clair que les problèmes des Français ne peuvent être résolus sans prendre un peu de hauteur. Qui de mieux placé qu’un député européen, patriote et très au fait du droit international comme Bruno Gollnisch, peut nous éclairer sur les problèmes réels et les solutions possibles ?

    Le titre de sa conférence « Occident, Orient – Craintes, espoirs », nous laisse entrevoir la position de la France dans le chaos mondialisé. En plus du constat que chacun peut faire pour son cas personnel, la structuration des difficultés que doit affronter notre pays sera présentée avant quelques solutions réalistes pour nous donner espoir et organiser la lutte.

    Vous êtes chaleureusement invités à cette soirée privée, formule consacrée et qui sera rigoureusement respectée à cause de l’état d’urgence que connaît notre pays, à Reims en un lieu qui ne sera connu que des invités.

    Réservation obligatoire :

    - en remplissant le formulaire d’inscription

    OU

    - par mail en indiquant le nom et le prénom de chaque inscrit : ER51.conf@gmail.com

    Pièce d’identité obligatoire et correspondante au nom d’une inscription.
    L’entrée sera refusée si nous ne pouvons vérifier l’identité.

    Le lieu de conférence sera communiqué à l’adresse mail utilisée pour votre inscription, 48h avant la conférence. 

    Entrée : 7 euros, à payer sur place.

    Ouverture des portes à 18h30. Conférence de 18h45 à 21h.

    Étant donné l’heure tardive de la conférence, une buvette/sandwicherie sera présente sur place. Prix d’un sandwich : 3€.

    Présentation de livres Kontre Kulture sur place.

    La bande-annonce de l’événement :

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     http://www.altermedia.info/france-belgique/

  • Guerre civile en Turquie: vers une libanisation ? (Corneille et Sirapian)

    Jean-Maxime Corneille reçoit aujourd’hui Jean Sirapian, éditeur et directeur de la revueEurope Orient, au sujet la situation très inquiétante en Turquie: les conflits en Irak et Syrie font tache d’huile vers la Turquie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan. La Turquie risque-t-elle d’être dépecée comme on prévoit de le faire avec l’Irak et la Syrie ?

    http://www.medias-presse.info/guerre-civile-en-turquie-vers-une-libanisation-corneille-et-sirapian/47194

  • Cent sous d'explication

    Un an déjà que la rédaction paillarde de Charlie Hebdo a été dépêchée auprès de son Créateur par les frères Kouachi, eux-mêmes terminés en zone artisanale par le GIGN ; et autant pour l'assaut final de Coulibaly à l'Hyper Cacher de la Porte de Vincennes, achevé par le RAID. L'esprit du Honze a-t-il frappé ? Les experts payés au forfait par les plateaux médiatiques pour faire sérieux en cas d'événement sanglant sont d'accord sur un point : "le kamikaze est imparable !". Rien à parer ! L'hydre islamiste nous en veut à mort, elle a lâché contre nous des groupes de malfaisants difficilement identifiables dès lors qu'ils se confondent avec tous les poissons de l'aquarium (image maoïste). Il est donc extrêmement délicat de s'en saisir, puisque à première comparution, il n'avoue ni prêcher, ni prier, encore moins jouer au petit chimiste dans le squat africain là-derrière. Jawad de la Rue du Corbillon explique tout ça bien mieux que moi. Il n'empêche que se faire péter tout seul sur un trottoir parce que c'est l'heure laisse croire à un défaut du bulbe rachidien. Affronter le feu roulant du RAID comme porte de sortie n'est pas moins dérangeant. Qui sont donc ces kamikazes ? La grande presse usant de ce mot usurpé pour désigner les assassins en foule, nous le conserverons, mais signalons que le modèle original japonais visait la destruction de grands navires américains avec un petit chasseur bourré de poudre ! Pas le même niveau.
    Mme Taubira, ministre de la Justice, demandait l'an dernier que les djihadistes soient "compris" et au ton de sa voix - soyons honnête - on devinait qu'il s'agissait de les étudier et non pas d'entrer en empathie avec eux. Ce travail a été fait il y a dix ans :
    C'est quoi un kamikaze ?
    Hany Abou-Assad avait tout dit. Ce n'est pas un dynamiteur mais un cinéaste palestinien qui a remporté l'Ange Bleu à Berlin en 2005, les Golden Globes du meilleur film étranger en 2006 ainsi que le prix du meilleur film Amnesty International et quelques autres prix moins connus. Il s'est vendu à cinquante pays sous le titre "Paradise Now¹".
    Flash : Un jeune Palestinien enregistre sa dernière vidéo, qui dévie du script imposé parl'Organisation quand à la fin il se souvient d'un message qu'il a manqué de passer à sa mère. " Maman, avant que je n'oublie (sic), j'ai vu de vrais filtres à eau au marché de Mokhtar, pense à en prendre la prochaine fois". Ca fait un peu mal sur le moment.

    Abou-Assad a discuté avec des rescapés (certaines bombes sont défectueuses) et des volontaires non encore chargés. Il ne pouvait qu'attendre des fanatiques impitoyables, ivres du sang de leur ennemi, rien moins. Y-en-a-t'il vraiment ? Sans doute. Voir secrets de tournage sur Allociné en cliquant ci-dessus sur le titre du film. Le plus surprenant fut de rencontrer dans cette mouvance mortifère des gens ordinaires, très ou trop ordinaires. Des petits manœuvres, des vidangeurs en station-service, des types sans un rond qui s'ennuient. Leurs motivations profondes derrière les déclamations mécaniques sont triviales. Celui-ci veut restaurer l'honneur de la famille à jamais taché par la trahison de son père qui pour quelques shekels est devenu indicateur au profit des Juifs, ce qui lui porta malheur, le salaud. Cet autre marié et chargé de famille est au chômage, courant de petits boulots dégradants en tâches ménagères qui le diminuent aux yeux des femmes du quartier ; faire la une du journal local redorera l'image d'une famille de "perdants", et accessoirement arrêter la déprime qui sourd dans sa caboche. Celui-là ne sait pas trop... mais c'est bien. Et si jamais la fable des vierges offertes sous les ombrages près de la fontaine aux citrons où murmure l'eau rieuse, était vraie ! Que fait-on des vierges après usage ? Bon tant pis !
    Abou-Assad comme promis projeta son film en avant-première à quelques responsables palestiniens à Ramallah en 2005. Ce fut le tollé, la vie en Cisjordanie était montrée difficile à l'écran mais on pouvait comprendre aussi qu'elle pouvait être bien pire ailleurs dans le monde, et que les martyrs étaient le plus souvent des ratés ; les Palestiniens passant ainsi aux yeux des Occidentaux pour ce qu'ils ne veulent justement pas être, des inconséquents. Il y avait un autre mot plus court qui ne me vient pas à l'instant.
    Alors les nôtres ? Ce n'est peut-être pas dans les catacombes islamistes qu'il faut chercher les vilains qui vont sauter. Peut-être que les bigots sont bien trop timorés pour porter la ceinture explosive, et l'UOIF, qui un temps faisait peur, s'est vu promettre un si bel avenir de promoteur immobilier dans la mosquée en kit qu'elle ne perdra pas son temps en fumée. Non, ce sont les frustrés que l'on doit débusquer, les louseurs, les déprimés, ceux que l'on a salis, méprisés, bannis, et les éjaculateurs précoces, les plus dangereux. Wolinsky me dit dans l'oreillette qu'il y en a en régie et qui n'ont jamais fait de mal à une mouche

    Dans une émission d'Arte, le professeur Fouad Laroui (Econométrie, Amsterdam) suggérait de dépasser le paramètre religieux qui n'est qu'un marqueur de la radicalité et d'approfondir le fossé civilisationnel, ce fameux choc des civilisations que refuse la bien-pensance aux manettes. L'élargissement considérable de l'accès à l'information, voire à la culture, a fait renaître une histoire arabe du XX° siècle qui était jusque là discrète voire délaissée. Or de 1916 à aujourd'hui, il y est écrit que le monde arabe a été humilié continûment par les empires anglais et français d'abord (accords Sykes-Picot de 1916), et par les Etats-Unis d'Amérique ensuite (accords Roosevelt-Abd Al Aziz de 1945), et que toutes les tentatives arabes de relever la tête ont été piétinées, avec en apothéose du mépris souverain occidental, l'enchâssement d'un foyer de guerre juif au Proche Orient. Fouad Laroui appelle à réécrire l'histoire du XX° siècle à quatre mains en réconciliant les deux versions (occidentale et arabe) afin de rationaliser le discours (28'- jeudi 17.12.2015). Le Piéton du roi croit la mesure certainement utile mais doute qu'elle entame sensiblement le stock de Croyants combattants. Le dépeçage de l'Empire ottoman a bien eu lieu au détriment de la nation arabe et ses conséquences régulièrement aggravées à divers motifs dont l'essentiel tourne autour des puits pétroliers et de l'Etat d'Israël². Comment transcender cette vérité ? En inventant un roman historique du XX° siècle approuvé par l'Assemblée générale des Nations Unies ? Cela ne libérera pas la Palestine.
    Un autre intervenant sur la même chaîne, sociologue ayant étudié à Paris le djihad des Buttes-Chaumont, laissait comprendre que le fait déclencheur était un double échec : social (chômage) d'une part, criminel de l'autre. Aucun de ces soldats du Prophète n'avait pu franchir la porte du grand banditisme rémunérateur, et entre le coran qui promet une fraternité ici-bas et des avantages dans l'au-delà et le code pénal qui ne recense que des ennuis, la lutte est inégale.
    Le portrait type du kamikaze-modèle, c'est donc un musulman pratiquant ou non, imprégné de revanche à assouvir contre l'Ordre blanc et capable d'apprendre par cœur un discours vidéo de quatre minutes. N'y a plus qu'à s'y mettre ! Travail banal d'îlotage. On regarnit les loges de concierges à chignon ayant dix dixièmes à chaque œil, que l'on équipe de pitbulls castrés (c'est la loi) pour veiller après dix heures à ce que la sonnerie de porte décline son identité. On marie les sus-dites à des agents de ville, indispensables courroies de transmission de l'actualité vraie. Il suffit dès lors de surveiller le courrier, les heures d'embauche, le poids apparent du caddy du samedi, et la joie de vivre ou la mine soucieuse de l'habitant, et en trois mois, on isole les freux :

    Aux Kerguelen ! Terminé.

    (1) Vous pouvez visionner ce film en streaming en cliquant ici avec une simple inscription.

    (2) Les lecteurs souhaitant pousser la question peuvent consulter Les Clés du Moyen-Orient

    http://royalartillerie.blogspot.fr/

  • Syrie, Les Russes ont déployé des missiles BUK, panique dans la coalition !

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    Tout le monde a encore à l’esprit, la lâche agression de la Turquie, détruisant un Sukhoï SU-24. Aucune justification ne pouvait être acceptée, puisque l’attitude turque aurait dû être neutre.

    Aujourd’hui, nous savons que c’est de rage que les Turcs ont abattu cet appareil, parce que les Russes avaient découvert le trafic de pétrole entre daesh et la Turquie.

    Vladimir Poutine avait été d’un sang-froid admirable. Mais, il avait déclaré que la Turquie paierait cher cette traîtrise.
    Il avait donné ordre à son armée d’abattre tout avion turc avion ou tout charroi turc entrant ou sortant de Syrie.

    C’est ce qui passé avec des milliers de camions-citernes qui ont déjà été pulvérisés. Les images de convois en feu, ont abondamment circulé.

    Afin de ne pas rater les avions turcs, la Russie a achevé de déployer en Syrie, ses redoutables missiles sol-air BUK. Cette famille de missile à longue portée est muni d’un système radar d’acquisition de la cible qui est d’une très grande fiabilité. Certains ont une portée de 30 km à mach 3.

    Du coup, c’est la panique parmi l’aviation de la coalition. Ne cherchez pas cette information, dans les médias main Stream. La censure ne permet pas la diffusion de ce genre de renseignement. Vous citoyens, vous n’avez pas le droit de savoir, cela fausserait la propagande que l’on vous assène.

    Désormais, l’aviation britannique ose à peine s’aventurer au-dessus de la Syrie. L’engagement des Britanniques se résume jusqu’à présent à trois missions. Des Tornados ont au total, lâché 19 bombes sur le champ pétrolifère d’Omar, entre la date de permission d’attaque, donnée par le parlement britannique et le 16 décembre 2015.

    Lire la suite

  • « Echanges entre militaires » : les révélations de Seymour Hersh sur la Syrie (Deuxième partie).

    Deuxième partie

    Implication de la Chine, alliée de Assad : quel soutien apportera-t-elle en hommes et en fonds ? Quelle sera l’exacte position d’Erdogan ?

    Seymour Hersh, célèbre journaliste américain.

    La campagne de bombardements de Poutine a déclenché une série d’articles antirusses dans la presse américaine. Le 25 octobre, le New York Times a rapporté, citant l’administration Obama, que des sous-marins et des navires espions russes opéraient de manière agressive à proximité des câbles sous-marins qui assurent le transfert de la majorité du trafic Internet mondial – bien que, selon l’article qu’il fallait lire jusqu’au bout, le journaliste reconnaissait qu’il n’y avait « aucune preuve à cette heure » d’une tentative russe d’interférer avec ce trafic. Dix jours plus tôt, le Times publiait un résumé des intrusions de la Russie dans ses anciennes républiques soviétiques satellites, et décrivait le bombardement de la Syrie comme l’incarnation, « dans une certaine mesure, d’un retour aux ambitions militaires de la période soviétique ». Le reportage ne mentionnait pas que c’est à l’invitation de l’administration d’Assad que la Russie intervenait, ni que les Etats-Unis bombardaient eux-mêmes en territoire syrien depuis septembre de l’année précédente, sans l’accord de la Syrie. Un éditorial du mois d’octobre, dans le même journal, signé de Michael Mac Faul, ambassadeur américain en Russie de 2012 à 2014, déclarait que la campagne aérienne russe visait « tout le monde à l’exception de l’EI ». Les histoires antirusses ne se calmèrent pas après le désastre de l’A320 Metrojet abattu, revendiqué par l’EI. Très peu au sein du gouvernement américain et des médias se demandèrent pourquoi l’EI viserait un avion de ligne russe transportant 224 passagers et son équipage, si l’armée de l’air russe n’attaquait que les rebelles syriens « modérés ».

    Et pendant ce temps, les sanctions économiques sont toujours en vigueur, pour ce qu’un grand nombre d’Américains considèrent être les crimes de guerre de Poutine en Ukraine, tout comme le sont les sanctions du Trésor américain contre la Syrie et contre ces Américains qui font des affaires avec la Syrie. Le New York Times, dans un reportage de fin novembre sur les sanctions, a remis au goût du jour une insinuation ancienne et sans fondements, qui affirme que les actions du Trésor « mettent en relief un argument que l’Administration n’a cessé d’avancer à propos de M. Assad alors que le Trésor cherche à faire pression sur la Russie pour qu’elle cesse son soutien : que bien qu’il professe être en guerre contre les terroristes islamistes, il entretient une relation symbiotique avec l’EI qui lui a permis de prospérer alors qu’il se cramponne au pouvoir ».

    ***

    Les quatre piliers fondamentaux de la politique d’Obama en Syrie restent intacts à cette heure : l’insistance sur le fait qu’Assad doit partir ; qu’aucune coalition avec la Russie n’est possible contre l’EI ; que la Turquie est un allié fiable dans la guerre contre le terrorisme ; et qu’il y a vraiment des forces d’opposition modérées significatives que les Etats-Unis doivent soutenir. Les attaques de Paris le 13 novembre ont fait 130 morts mais n’ont pas changé la ligne de conduite officielle de la Maison Blanche, bien que de nombreux leaders européens, y compris François Hollande, aient soutenu l’idée d’une plus grande coopération avec la Russie, et se soient mis d’accord pour mieux coordonner leurs actions avec son armée de l’air ; il y a eu aussi des discussions sur les modalités du retrait d’Assad : elles pourraient être plus flexibles. Le 24 novembre, Hollande s’est envolé pour Washington afin d’y discuter de la façon dont la France et les USA pouvaient collaborer plus étroitement dans leur combat contre l’EI. Lors d’une conférence de presse conjointe à la Maison Blanche, Obama a déclaré que Hollande et lui-même s’étaient mis d’accord sur le fait que les frappes russes contre l’opposition modérée ne faisaient que renforcer le régime d’Assad, dont la brutalité était à l’origine de la montée de l’EI. Hollande n’est pas allé aussi loin, mais il a déclaré que le processus diplomatique issu à Vienne conduirait « au départ d’Assad… un gouvernement d’unité est nécessaire ». La conférence de presse négligea l’impasse entre les deux hommes concernant Erdogan. Obama défendit le droit de la Turquie à défendre ses frontières, tandis que Hollande déclara que c’était « une question d’urgence » pour la Turquie de prendre des mesures contre les terroristes. Le conseiller du JCS m’a dit que l’un des principaux buts de Hollande lors de son voyage à Washington était de persuader Obama de rejoindre l’UE dans une déclaration de guerre commune contre l’EI. Obama a répondu non. Les Européens ne se sont pas regroupés au sein de l’OTAN, dont la Turquie fait partie, pour une telle déclaration. « C’est la Turquie le problème », m’a confié le conseiller du JCS.

    Assad, naturellement, n’accepte pas qu’un groupe de dirigeants étrangers veuillent décider de son avenir. Imad Moustapha, actuel ambassadeur de Syrie en Chine, était le doyen de la faculté des sciences de l’Université de Damas, et un proche collaborateur d’Assad, lorsqu’il fut nommé en 2004 ambassadeur de Syrie à Washington, poste qu’il occupa pendant 7 ans. Moustapha est connu pour être resté proche d’Assad, et il est digne de confiance pour refléter ses pensées. Il m’a raconté que pour Assad, renoncer au pouvoir signifierait capituler au profit des « groupes terroristes armés », et que des ministres dans un gouvernement d’Unité nationale – tel que celui proposé par les Européens – seraient considérés [par le peuple syrien] comme les otages des puissances étrangères qui les auraient nommés. Ces forces pourraient rappeler au nouveau président « qu’il est facilement remplaçable, comme son prédécesseur… Assad a une dette envers son peuple : il ne peut quitter son poste parce que les ennemis historiques de la Syrie exigent son départ ».

    ***

    Moustapha a aussi impliqué la Chine, un allié d’Assad, qui a promis plus de 30 milliards de dollars pour la reconstruction de la Syrie après la guerre. La Chine aussi s’inquiète de l’EI. Il m’a expliqué que « La Chine apprécie la situation selon trois points de vue » : le droit international et la légitimité, le positionnement global de sa stratégie, et les activités des djihadistes Ouighours de la province extrême-orientale du Xinjiang. Le Xinjiang est frontalier avec 8 nations – la Mongolie, la Russie, le Kazakhstan, le Kyrgyzstan, le Tajikistan, l’Afghanistan, le Pakistan et l’Inde – et, selon le point de vue chinois, ils servent de porte d’entrée au terrorisme en provenance du monde entier et au sein même du pays. De nombreux combattants ouighours actuellement en Syrie sont connus pour être des membres du Mouvement islamique de l’est du Turkestan – une organisation séparatiste souvent violente qui cherche à établir un Etat islamique ouighour dans le Xinjiang. « Le fait qu’ils aient été aidés par les services secrets turcs pour se rendre en Syrie depuis la Chine en passant par la Turquie a été à la source de tensions énormes entre services secrets chinois et turcs » selon Moustapha. « La Chine est inquiète du soutien de la Turquie envers les combattants ouighours en Syrie, qui pourrait très bien s’étendre au Xinjkiang. Nous fournissons déjà des informations concernant ces terroristes et les routes qu’ils empruntent pour rejoindre la Syrie aux services secrets chinois. »

    Les inquiétudes de Moustapha ont été répercutées par un analyste des questions de politique étrangère à Washington, qui a suivi de près le transit des djihadistes à travers la Turquie vers la Syrie. L’analyste, dont les points de vue sont recherchés de nombreux hauts fonctionnaires du gouvernement, m’a confié qu’ « Erdogan a transporté des Ouighours vers la Syrie par des moyens de transport spéciaux tandis que son gouvernement s’agitait en faveur de leur combat en Chine. Les terroristes musulmans ouighours et birmans qui s’échappent par la Thaïlande se procurent d’une manière ou d’une autre des passeports turcs puis sont acheminés vers la Turquie d’où ils transitent vers la Syrie ». Il a ajouté qu’il existait ce qui ressemble à une autre « ratline » [NdT : route secrète] qui acheminait des Ouighours – les estimations vont de quelques centaines à quelques milliers – depuis la Chine via le Kazakhstan pour un éventuel transit par la Turquie vers le territoire de l’EI en Syrie. Il m’a confié que « Le Renseignement américain n’est pas bien informé sur ces activités parce que les infiltrés qui ne sont pas satisfaits de la politique [américaine] ne communiquent pas là-dessus avec eux ». Il a ajouté qu’ « il n’était pas certain que les officiels responsables de la politique syrienne au Département d’Etat et à la Maison Blanche obtenaient ces informations ». Le journal IHS-Jane’s Defence Weekly a estimé en octobre qu’au moins 5000 futurs combattants ouighours étaient arrivés en Turquie depuis 2013, dont peut-être 2000 avaient fait mouvement vers la Syrie. Moustapha a déclaré qu’il détenait des informations selon lesquelles « au moins 860 combattants ouighours se trouveraient en Syrie ».

    Les inquiétudes croissantes de la Chine sur la question des Ouighours et ses liens avec la Syrie et l’EI sont un sujet d’étude constant de Christina Lin, une universitaire qui s’est intéressée aux questions chinoises il y a 10 ans alors qu’elle était en poste au Pentagone sous la direction de Donald Rumsfeld : « J’ai grandi à Taïwan, et je suis venue au Pentagone comme experte de la Chine. J’avais l’habitude de démoniser les Chinois en les traitant d’idéologues, et ils sont loin d’être parfaits. Mais au fil des années, alors que je les vois s’ouvrir et évoluer, j’ai commencé à changer de perspective. Je vois désormais la Chine comme un partenaire potentiel pour différents enjeux globaux, particulièrement au Moyen-Orient. Il y a beaucoup d’endroits – la Syrie en est un – où les Etats-Unis et la Chine doivent coopérer en matière de sécurité régionale et de contre-terrorisme. Il y a quelques semaines, la Chine et l’Inde, deux ennemis issus de la Guerre froide qui se haïssent plus que la Chine et les Etats-Unis eux-mêmes, ont mené une série d’exercices conjoints de contre-terrorisme. Et aujourd’hui la Chine et la Russie souhaitent tous les deux coopérer en matière de terrorisme avec les Etats-Unis ». La Chine voit les choses de la façon suivante selon Lin : les militants ouighours qui se sont rendus en Syrie sont entraînés par l’EI aux techniques de survie qui leur permettront de retourner en Chine lors de voyages secrets, afin de perpétrer des actes terroristes là-bas. Lin a écrit dans un article paru en septembre : « Si Assad échoue, les combattants djihadistes de la Tchétchènie russe, du Xinjiang chinois et du Cachemire indien tourneront leurs yeux vers leurs fronts respectifs pour continuer le djihad, soutenus par une nouvelle base opérationnelle en Syrie, bien financée et au cœur du Moyen-Orient. »

    ***

    Le général Dempsey et ses collègues du JCS ont gardé leur désapprobation en dehors des circuits bureaucratiques, et ont survécu à leur poste. Ce ne fut pas le cas du général Michael Flynn. Patrick Lang, un colonel de l’US Army à la retraite qui a servi presque 10 ans en tant qu’officier en chef du Renseignement civil au Moyen-Orient pour le compte de la DIA, a dit : « Flynn a subi les foudres de la Maison Blanche en insistant sur la nécessité de dire la vérité sur la Syrie. Il a pensé que la vérité était la meilleure chose et ils l’ont débarqué. Il ne voulait pas se taire. Flynn m’a dit que ses problèmes allaient bien au-delà de la Syrie. “Je secouais le cocotier à la DIA – et pas seulement en déplaçant les transats sur le pont du Titanic. Je prônais une réforme radicale. Je sentais que le commandement civil ne voulait pas en entendre parler. J’en ai souffert, mais je m’en suis accommodé” ». Dans un entretien récent accordé au Spiegel, Flynn a été direct à propos de l’arrivée de la Russie dans le conflit syrien : « Nous devons travailler de façon constructive avec la Russie. Que nous le voulions ou non, la Russie a pris la décision d’être présente et d’intervenir militairement. Ils sont bien là, et cela a complètement changé la donne. Et vous ne pouvez pas dire que la Russie est mal intentionnée, qu’ils doivent retourner chez eux ; cela ne se passera pas comme ça. Revenez sur terreez ! »

    Très peu au Congrès US partagent cette opinion. L’une des personalités qui fait exception se nomme Tulsi Gabbard, une démocrate de Hawaï, membre du « House Armed Services Committee » [Commission parlementaire des services armés] qui a effectué deux campagnes au Moyen-Orient en tant que major de la Garde nationale. Dans un entretien sur CNN en octobre elle a déclaré : « Les USA et la CIA devraient stopper cette guerre illégale et contre-productive qui vise à renverser le gouvernement syrien, et ils devraient rester concentrés sur le combat contre […] les groupes rebelles extrémistes. »

    « Mais est-ce que cela ne vous préoccupe pas que le régime d’Assad ait été brutal, tuant au moins 200.000 et peut-être 300.000 membres de son propre peuple ? » lui demanda le journaliste.

    Elle a répondu : « Les choses qu’on raconte sur Assad en ce moment sont les mêmes que ce qui a été dit de Kadhafi, les mêmes que ce qu’on a dit de Saddam Hussein, et viennent des mêmes personnes qui défendaient l’idée de […] renverser ces régimes […] si cela arrive en Syrie […] nous finirons dans une situation de souffrances bien plus grandes, de persécutions des minorités religieuses et chrétiennes bien plus atroces en Syrie, et notre ennemi en sortira largement renforcé. »

    « Donc ce que vous dites, c’est que l’implication militaire dans les airs de l’armée russe et au sol de l’armée iranienne – qu’en fait ils nous font une faveur ? »

    « Ils travaillent à défaire notre ennemi commun », a répondu Gabbard.

    Plus tard, Gabbard m’a confié que beaucoup de ses collègues au Congrès, tant Républicains que Démocrates, l’ont remerciée en privé de s’être exprimée publiquement. « Beaucoup de gens dans la population, et même au Congrès, ont besoin d’avoir des explications claires. Mais c’est difficile lorsqu’il y a autant de mensonges sur ce qui se passe. La vérité n’a pas éclaté. » C’est très inhabituel pour un politicien de mettre ainsi en cause la politique étrangère de son propre parti, enregistrée en direct. Pour quelqu’un « de l’intérieur », qui a accès aux renseignements les plus secrets, parler ouvertement et de façon critique peut interrompre brutalement votre carrière. Toute information dissidente peut se transmettre au travers d’une relation de confiance entre un journaliste et ceux qui le vivent de l’intérieur, mais cela se fait presque obligatoirement « sans signature ». Cependant, oui, la dissidence existe. Le commandant du JSOC n’a pas pu cacher sa satisfaction lorsque je lui ai demandé son point de vue sur notre politique en Syrie : « La solution en Syrie est sous notre nez. Notre menace principale est l’EI, et nous tous – les Etats-Unis, la Russie et la Chine – devons travailler ensemble. Bachar restera dans ses fonctions et, une fois le pays stabilisé, il y aura des élections. Il n’y a pas d’autre option. »

    Le fonctionnement du système indirect de communication avec Assad s’est interrompu avec la retraite de Dempsey en septembre dernier. Son remplaçant à la tête de l’état-major interarmes, le général Joseph Dunford, a prêté serment devant la Commission sénatoriale des forces armées en juillet dernier, deux mois avant de prendre ses fonctions. « Si vous voulez parler d’une nation qui pourrait constituer une menace existentielle pour les Etats-Unis, je désignerais la Russie. Si vous observez son comportement, il est rien moins qu’alarmant. » En octobre, en tant que chef du JCS, Dunford a condamné les efforts russes pour bombarder [les djihadistes]. Il a déclaré à cette même commission que la Russie « ne combat pas l’EI », que l’Amérique doit « travailler avec ses partenaires turcs pour sécuriser la frontière nord de la Syrie » et que « nous devons faire tout ce que nous pouvons pour aider les forces d’opposition syriennes viables – c’est-à-dire les « modérés » – à combattre les extrémistes ».

    Obama dispose maintenant d’un Pentagone beaucoup plus conciliant. Il n’y aura plus de contestation indirecte de la part du commandement militaire contre sa politique de dédain envers Assad et de soutien à Erdogan.Dempsey et ses associés sont déconcertés par l’entêtement d’Obama à défendre Erdogan, compte tenu du lourd dossier que la communauté américaine du Renseignement a accumulé contre lui – et des preuves qu’Obama, en privé, en accepte les conclusions. « Nous savons ce que vous faites avec les radicaux en Syrie », a déclaré le président au chef du Renseignement d’Erdogan lors d’une réunion tendue à la Maison Blanche (comme je l’ai rapporté dans le LRB [London Review of Books] le 17 avril 2014).

    Le JCS et la DIA ont constamment alerté Washington sur la menace que constituent les djihadistes en Syrie, et de leur soutien par la Turquie. Le message n’a jamais été entendu. Pourquoi ?

    Voir la première partie :
    « Echanges entre militaires : les révélations de Seymour Hersh sur la Syrie (Première partie).

    Seymour Hersh
    21/12/2015

    Titre original : Military to Military
    http://readersupportednews.org/opinion2/277-75/34216-focus-military-to-military

    Sources : London Review of Books, 12/2015 et Les-Crises.fr

    Traduction : BR pour le site Les-Crises.fr
    http://www.les-crises.fr/echanges-entre-militaires-par-seymour-hersh/

    Notes du traducteur :

    (1) Rappelons, comme l’ont indiqué les Américains, que al-Nosra est un pseudonyme pour Al-Qaïda en Syrie.
    (2) Rappelons que Robert Baer, ancien chef de région de la CIA pour le Moyen-Orient, a déclaré en 2014 : « Les Etats-Unis ont été incapables d’identifier le moindre groupe syrien dit “modéré” lorsque la guerre civile a débuté. »

    http://www.polemia.com/echanges-entre-militaires-les-revelations-de-seymour-hersh-sur-la-syrie-deuxieme-partie/

  • « Echanges entre militaires » : les révélations de Seymour Hersh sur la Syrie (Première partie)

    Dans un article publié le 21 décembre 2015 par la London Review Books, intituléMilitary to Military et traduit par le site Les Crises.fr sous le titre Echanges entre militaires, le journaliste américain Seymour Hersh qui obtint notamment le prix Pulitzer en 1970 pour son enquête sur le massacre de My lai, présente une analyse particulièrement intéressante sur les oppositions au sein du pouvoir américain concernant la politique des Etats-Unis vis-à-vis de la guerre en Syrie.

    En effet, un désaccord serait apparu à l’été 2013 entre le comité des chefs d’Etat-major américain, dirigé à l’époque par le Général Dempsey, et le gouvernement d’Obama. Son caractère est essentiel puisqu’il porte en fin de compte, au travers des affrontements syriens, sur la désignation de l’ennemi principal. Pour l’Etat-major, il s’agit des groupes islamistes. Obama, au contraire, est fixé sur la Russie. Selon les éléments fournis par Hersh, qui confortent ceux d’autres experts, les livraisons d’armes qui furent organisées aboutirent dans les mains des formations djihadistes, l’opposition dite modérée n’ayant pas de réalité sur le terrain.

    Pour l’essentiel, la classe politique américaine et les media ont épousé le point de vue d’Obama, dénonçant la Russie qui demeure un adversaire. Observons que les médias français se situent dans la même ligne.

    Un autre aspect de l’article, qui n’échappera pas, est la mise en lumière du fonctionnement du système de pouvoir aux Etats-Unis, de ses multiples têtes et de ses antagonismes internes.

    Au regard de cette politique étrangère conduite en Syrie par le président américain, opposition au régime syrien et à son allié russe au bénéfice des divers groupes islamistes, politique suivie par l’Union Européenne, il convient de s’interroger sur la part d’incompétence et sur celle d’un aveuglement idéologique face à la réalité du monde. Les choix sont bien funestes quant à leurs conséquences. L’article ne répond pas à cette question mais il est une des voies qui ouvre la réflexion.
    Présentation de Michel Leblay, contributeur de Polémia que nous remercions.

    Par ailleurs, en raison de sa longueur, l’article sera présenté en deux épisodes (Ndlr)

    Première partie :

    Obama prisonnier d’une vision de la Russie et de la Chine digne de la Guerre froide. 

    Le journaliste d’investigation Seymour Hersh livre ainsi un long article sur le partage du Renseignement américain sur la guerre en Syrie.

    Il est spécialisé dans les affaires militaires américaines et les services secrets. Il a écrit notamment pour The New Yorker et le New York Times. Il est à l’origine de nombreuses révélations comme le scandale de torture de Abu Ghraib ou encore le Massacre de Mỹ Lai au Viêt Nam pour lequel il obtient un Prix Pulitzer. Il est considéré par le monde universitaire comme un des meilleurs journalistes des Etats-Unis.

    L’insistance de Barack Obama à réclamer le départ d’Assad – et à affirmer qu’il y a des groupes de rebelles modérés en Syrie capables de le renverser – a provoqué ces dernières années des dissensions feutrées, et même une opposition ouverte parmi les plus hauts fonctionnaires de l’état-major conjoint du Pentagone. Leurs critiques se sont concentrées sur ce qu’ils considèrent comme une obsession de l’administration sur le principal allié d’Assad, Vladimir Poutine. Selon eux, Obama est prisonnier d’une vision de la Russie et de la Chine digne de la Guerre froide, et n’a pas ajusté son discours sur la Syrie, qui tiendrait compte du fait que tous deux partagent l’inquiétude de Washington de voir le terrorisme se propager dans et au-delà de la Syrie ; comme Washington, ils pensent que l’islamisme doit être stoppé.

    La résistance de l’armée remonte à l’été 2013, lorsqu’un bulletin d’évaluation classé secret défense, rassemblé par l’Agence de renseignement du ministère de la Défense (DIA) et les chefs d’état-major interarmes, alors dirigés par le général Martin Dempsey, prévoyait que la chute d’Assad allait mener au chaos et sans doute à la conquête de la Syrie par des extrémistes djihadistes, à l’image de ce qui était en train de se passer en Libye. Un ex-conseiller de l’état-major interarmes me raconta que le document était une synthèse de sources diverses, élaborant un scénario à partir de signaux, de renseignements satellitaires et humains, et il voyait d’un mauvais œil l’entêtement de l’administration Obama à continuer de financer et d’armer les prétendus groupes de rebelles modérés. A cette époque, la CIA complotait depuis plus d’un an avec ses alliés du Royaume-Uni, d’Arabie Saoudite et du Qatar pour expédier des armes et des marchandises – dans le but de renverser Assad – à partir de la Libye, via la Turquie, jusqu’en Syrie.

    Le nouveau Rapport estimatif pointait la Turquie comme obstacle majeur à la politique d’Obama en Syrie. Le document montrait, selon ce conseiller, « que ce qui avait débuté comme une opération secrète pour armer et soutenir les rebelles modérés luttant contre Assad avait été approuvé par la Turquie, et s’était transformé en un programme technique, militaire et logistique à cheval sur la frontière pour toutes les forces d’opposition, y compris, et l’Armée syrienne libre n’était qu’un mirage stationné sur une base aérienne en Turquie. Le constat était peu réjouissant : il n’y avait aucune opposition modérée viable face à Assad, et les USA armaient des extrémistes.

    Le lieutenant général Michael Flynn, directeur de la DIA entre 2012 et 2014, confirma que son agence avait envoyé un flux constant de mises en garde secrètes à l’exécutif quant aux conséquences catastrophiques d’un renversement d’Assad. Les djihadistes, précisait-il, contrôlaient toute l’opposition. La Turquie n’en faisait pas assez pour stopper l’infiltration de combattants étrangers et d’armes le long de sa frontière. Lynn m’avait confié « Si le public américain avait accès au flux de renseignements que nous avons transmis quotidiennement, au niveau le plus sensible, il exploserait de rage. » « Nous avons compris la stratégie à long terme de l’Etat Islamique (EI) et ses plans de campagne, et nous avons aussi discuté le fait que la Turquie regardait ailleurs lorsqu’il s’agissait d’aborder l’expansion de l’EI en Syrie. » Le rapport de la DIA fut repoussé avec force par l’administration Obama. « J’ai eu l’impression qu’ils ne voulaient tout simplement pas entendre la vérité. »

    L’ex-conseiller ajouta : « Notre politique visant à armer l’opposition à Assad était un échec, et avait même un impact négatif. » Les commandants interarmes étaient convaincus qu’Assad ne devait pas être remplacé par des fondamentalistes. La politique de l’Administration était contradictoire. Ils voulaient le départ d’Assad mais l’opposition était dominée par des extrémistes. Alors, qui allait bien pouvoir le remplacer ? Dire qu’Assad doit partir c’est bien beau, mais si vous suivez l’idée jusqu’au bout, eh bien vous ne trouvez personne de meilleur. C’est la question du « personne n’est meilleur qu’Assad » que l’état-major interarmes (JCS) soulevait face à la politique d’Obama. Les commandants du JCS sentaient qu’affronter directement la politique d’Obama n’aurait «aucune chance de succès ». C’est ainsi qu’à l’automne 2013 ils décidèrent de prendre des mesures contre les extrémistes sans passer par les canaux politiques, en fournissant des renseignements militaires aux autres nations, dans l’espoir bien compris qu’ils seraient transmis à l’armée syrienne et exploités contre l’ennemi commun, Jabhat al-Nosra et l’EI.

    L’Allemagne, Israël et la Russie étaient en contact avec l’armée syrienne, et capables d’exercer une certaine influence sur les décisions d’Assad. C’est par leur intermédiaire que les renseignements américains seraient partagés. Chacun avait ses raisons de coopérer avec Assad : l’Allemagne redoutait ce qui pourrait se passer au sein de sa population de 6 millions de musulmans si l’EI s’étendait ; Israël se sentait concerné par la sécurité de ses frontières ; la Russie était alliée de longue date avec la Syrie, et s’inquiétait de la menace qui pesait sur son unique base en Méditerranée, à Tartous. « Nous n’avions pas la ferme intention de dévier de la ligne politique officielle d’Obama, mais partager nos évaluations de la situation au travers de relations d’armée à armée pouvait se révélerr plus productif. Il était clair qu’Assad avait besoin de renseignements tactiques plus précis et de conseils opérationnels. Les commandants en avaient déduit que si ces besoins étaient satisfaits, le combat contre le terrorisme en serait in fine renforcé. Obama n’était pas au courant, mais Obama ne sait pas toujours ce que fait l’état-major dans chaque circonstance, et il en va ainsi de tous les présidents. »

    Lorsque le flux de renseignements américains débuta, l’Allemagne, Israël et la Russie commencèrent à transmettre les informations sur les déplacements et intentions des groupes de djihadistes radicaux à l’armée syrienne ; en échange, la Syrie a fourni des renseignements sur ses propres moyens et intentions. Il n’y avait pas de contact direct entre les USA et les forces armées syriennes ; en lieu et place, selon ce conseiller,« Nous leur avons fourni du renseignement, y compris des analyses à plus long terme sur l’avenir de la Syrie, rassemblées par des contractants ou l’une de nos écoles militaires – et ces pays pouvaient en faire ce qu’ils voulaient, y compris les partager avec Assad. Nous disions aux Allemands et aux autres : “Tenez, voilà des informations particulièrement intéressantes, et nos intérêts se rejoignent”. Fin de la conversation. L’état-major pouvait conclure que quelque chose de bénéfique en sortirait – mais c’était une action d’armée à armée, et non un quelconque complot sinistre des commandants pour contourner Obama et soutenir Assad. C’était beaucoup plus subtil. Si Assad se maintient au pouvoir, ce ne sera pas parce que nous l’y avons maintenu, mais parce qu’il aura été suffisamment malin pour exploiter les renseignements et les conseils tactiques avisés que nous avons fournis aux autres. »

    ***

    L’histoire publique des relations entre les USA et la Syrie au cours des dernières décennies est celle d’une inimitié. Assad condamna les attaques du 11/9, mais s’opposa à la Guerre d’Irak. George Bush a, de façon répétée, lié la Syrie aux 3 membres de « l’axe du mal » – Irak, Iran et Corée du Nord – tout au long de sa présidence. Les messages du département d’Etat rendus publics par Wikileaks montrent que l’administration Bush tenta de déstabiliser la Syrie et que ces efforts se sont poursuivis au cours des années Obama. En décembre 2006, William Roebuck, alors en poste à l’ambassade américaine à Damas, rendit un rapport qui analysait les failles du gouvernement Assad, et proposait une liste des méthodes « susceptibles d’augmenter la probabilité » d’opportunités de déstabilisation. Il recommandait que Washington travaille avec l’Arabie Saoudite et l’Egypte pour développer les tensions sectaires et se concentre sur la médiatisation « des efforts syriens contre les groupes extrémistes » – les dissidents kurdes et les factions radicales sunnites – « de façon à suggérer une situation de faiblesse, des signes d’instabilité, et un effet boomerang hors de contrôle » ; ainsi il apparaîtrait nécessaire d’encourager « l’isolement de la Syrie », au travers du soutien américain au Front de Salut national en Syrie, dirigé par Abdul Halim Khaddam, un ex-vice-président syrien dont le gouvernement, en exil à Riyad était soutenu par les Saoudiens et les Frères musulmans. Un autre message transmis en 2006 montrait que l’ambassade avait dépensé 5 millions de dollars en financement de dissidents qui présentaient des candidats indépendants pour l’Assemblée Populaire ; les virements furent maintenus même lorsqu’il fut évident que les services secrets syriens étaient désormais au courant de ce qui se passait. Un message transmis en 2010 mettait en garde sur le financement d’un réseau télévisé aux mains de l’opposition syrienne à Londres, que le gouvernement syrien interpréterait comme « un acte hostile mené sous couverture contre le régime ».

    Mais il y a aussi une histoire parallèle de la coopération secrète entre la Syrie et les Etats-Unis au cours de la même période. Les deux pays ont collaboré contre Al Qaïda, leur ennemi commun. Un consultant de longue date au sein du Commandement conjoint des Opérations spéciales (Joint Special Operations Command), déclara qu’ « à la suite du 11/9, Bachar fut extrêmement utile pour nous pendant des années, tandis qu’en retour, selon moi, nous fûmes très discourtois, et particulièrement maladroits dans l’usage que nous fîmes de l’or qu’il mettait entre nos mains. Cette coopération silencieuse se poursuivit entre certains éléments, même après que [l’administration Bush] eut décidé de le diaboliser. » En 2002, Assad autorisa les services secrets syriens à divulguer les dossiers internes sur les activités des Frères musulmans en Syrie et en Allemagne. Plus tard cette année-là, les services secrets syriens déjouèrent une attaque d’Al Qaïda contre le quartier général de la Ve Flotte de l’US Navy à Bahrein, et Assad donna son accord pour fournir à la CIA le nom d’un informateur vital d’Al Qaïda. En violation de cet accord, la CIA contacta directement cet informateur ; il rejeta l’approche, et rompit les relations avec ses interlocuteurs syriens.Toujours secrètement, Assad remit aussi aux mains des Américains des membres de la famille de Saddam Hussein qui avaient trouvé refuge en Syrie, et – comme les alliés des USA la Jordanie, l’Egypte, la Thailande et ailleurs – fit torturer des suspects de terrorisme pour le compte de la CIA dans une prison damascène.

    C’est cette histoire de coopération qui rendait plausible l’idée que Damas coopérerait en 2013 au nouveau protocole d’échange d’informations indirect avec les USA. Les commandants interarmes firent savoir qu’en retour les USA souhaitaient quatre approbations :

    • Assad devait retenir le Hezbollah d’attaquer Israël ;
    • il devait reprendre les négociations avec Israël pour signer un accord sur le Plateau du Golan ;
    • il devait accepter la venue de conseillers militaires russes et d’autres pays ;
    • et il devait s’engager à organiser de nouvelles élections ouvertes après la guerre qui intègrent un large éventail de sensibilités politiques.

    Le conseiller du JCS ajouta : « Nous avions un feedback positif des Israéliens, qui étaient d’accord pour soutenir le projet, mais ils voulaient savoir quelle serait la réaction de l’Iran et de la Syrie ». « Les Syriens nous ont dit qu’Assad ne prendrait pas sa décision de façon unilatérale – il avait besoin du soutien de sa propre armée et de ses alliés alaouites. Le souci d’Assad était qu’Israël dise oui puis ne tienne pas ses promesses ». Un haut conseiller du Kremlin aux affaires du Moyen-Orient m’a raconté que fin 2012, après avoir subi une série de revers sur le champ de bataille et des désertions au sein de l’armée, Assad s’était rapproché d’Israël via un contact à Moscou, et qu’il avait proposé de rouvrir les discussions sur le Plateau du Golan. Les Israéliens avaient rejeté l’offre. Mon interlocuteur me confia : « Ils déclarèrent “Assad est un homme fini” » ; « Il est proche de la fin ». Il m’expliqua que les Turcs avaient tenu à Moscou le même discours. Cependant, à la mi-2013, les Syriens purent croire que le pire était derrière eux, et ils voulaient avoir l’assurance que les propositions d’aide des Américains et d’autres étaient sérieuses.

    Au début des pourparlers, selon ce conseiller, les commandants interarmes essayèrent de déterminer les besoins d’Assad en signe de bonnes intentions. Sa réponse fut transmise par l’intermédiaire d’un ami d’Assad : « Apportez-lui la tête du Prince Bandar. » Les membres de l’état-major ne donnèrent pas suite. Bandar ben Sultan avait servi les services secrets et la sécurité intérieure de l’Arabie Saoudite durant des décennies, et il avait passé plus de 20 années en tant qu’ambassadeur à Washington. Ces dernières années, il était connu pour vouloir la destitution d’Assad à tout prix. Alors qu’on le disait en mauvaise santé, il démissionna l’année dernière en tant que directeur du Conseil de sécurité saoudien, mais l’Arabie Saoudite continue d’être le principal pourvoyeur de fonds à l’opposition syrienne, dont le montant est estimé à 700 millions de dollars par le Renseignement américain. En juillet 2013, les chefs d’état-major interarmes découvrirent un moyen plus direct de démontrer le sérieux de leur proposition d’aide à Assad. A cette époque, le flux secret d’armes en provenance de Libye pour l’opposition syrienne via la Turquie était en place depuis plus d’un an (il débuta peu de temps après la mort de Kadhafi le 20 octobre 2011). L’opération était en grande partie organisée depuis une annexe secrète de la CIA à Benghazi, avec l’aval du Département d’Etat. Le 11 septembre 2012, l’ambassadeur US en Libye Christopher Stevens fut tué durant une manifestation antiaméricaine qui dégénéra en incendie du Consulat des USA à Benghazi ; des journalistes du Washington Post trouvèrent des copies de l’agenda de l’ambassadeur au milieu des ruines du bâtiment. Elles montraient que le 10 septembre, Stevens avait rencontré le chef des opérations de l’annexe de la CIA. Le jour suivant, peu avant de mourir, il avait rencontré un représentant de la Compagnie d’affrètement « Al-Marfa Shipping and Maritime Services », une société basée à Tripoli, qui, selon ce conseiller, était connue de l’état-major pour s’occuper de l’expédition d’armement.

    A la fin de l’été 2013, le rapport de la DIA avait été largement diffusé, mais bien que de nombreux agents de la communauté du Renseignement aient été au courant de la domination de l’opposition syrienne par les extrémistes, l’armement fourni par la CIA continua d’affluer, ce qui constituait un problème permanent pour l’armée d’Assad. Les stocks et dépôts de Kadhafi étaient la source d’un marché international de l’armement, bien que les prix aient été élevés. Le conseiller de l’état-major interarmes déclara qu’ « Il n’y avait aucun moyen de stopper les expéditions d’armes qui avaient été approuvées par le président. La solution passait par mettre la main au portefeuille. La CIA fut approchée par un représentant de l’état-major qui suggéra que les arsenaux turcs renfermaient des armes bien meilleur marché qui pouvaient se retrouver dans les mains des rebelles syriens en quelques jours, sans transfert maritime. » Mais la CIA ne fut pas la seule à en bénéficier. « Nous avons travaillé avec les Turcs en qui nous avions confiance et qui n’étaient pas loyaux avec Erdogan, et nous les avons sollicités pour expédier toutes les armes obsolètes de leurs arsenaux aux djihadistes en Syrie, y compris des carabines M1 qui n’avaient pas servi depuis la Guerre de Corée, et des tonnes d’armes soviétiques. C’était un message qu’Assad pouvait interpréter comme “Nous avons la capacité d’endiguer la politique de notre président en remontant sur ses traces” ».

    Le flux de renseignements en provenance des services US vers l’armée syrienne et la détérioration de la qualité des armes fournies aux rebelles marquèrent un tournant. L’armée syrienne avait subi de lourdes pertes au printemps 2013 lors de ses combats contre Jabhat al-Nosra (1) et d’autres groupes extrémistes, alors qu’elle ne parvenait pas à tenir la capitale provinciale Raqqa. Des raids sporadiques de l’armée syrienne et de l’aviation continuèrent pendant des mois sans grand succès, jusqu’à ce qu’elle décide de se retirer de Raqqa et d’autres zones difficiles à défendre ou peu peuplées au nord et à l’ouest, pour se concentrer sur la consolidation de la défense du bastion gouvernemental à Damas, et des zones densément peuplées reliant la capitale à Lattakié au nord-est. Mais alors que l’armée regagnait en force avec le soutien de l’état-major, l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie augmentèrent leurs financements et armement de Jabhat al-Nosra et de l’EI, qui à la fin de 2013 avaient gagné un territoire énorme de part et d’autre de la frontière irako-syrienne. Les quelques rebelles non fondamentalistes qui restaient se retrouvèrent engagés dans des combats âpres – le plus souvent perdus – qui ciblaient les extrémistes. En janvier 2014, l’EI prit à la suite d’al-Nosra le contrôle de Raqqa et des zones tribales tout autour, et fit de la ville son quartier général. Assad contrôlait encore [un territoire occupé par] 80% de la population syrienne, mais il avait perdu des étendues considérables.

    Les efforts de la CIA pour entraîner les forces rebelles modérées échouaient aussi lamentablement. Le conseiller expliqua : « Le camp d’entraînement était en Jordanie et sous le contrôle d’un groupe tribal syrien ». Certains de ceux qui avaient signé étaient suspectés d’appartenir à l’armée syrienne, à l’uniforme près. Cela était déjà arrivé, dans les pires moments de la guerre en Irak, lorsque des centaines de miliciens chiites se présentèrent à l’accueil des camps d’entraînement américains le temps d’enfiler de nouveaux uniformes, d’obtenir de nouvelles armes et de suivre quelques jours d’entraînement avant de disparaître dans le désert. Un programme d’entraînement séparé, conçu par le Pentagone en Turquie, ne donna pas plus de résultats. Le Pentagone reconnut en septembre que seuls 4 ou 5 de ses recrues combattaient toujours l’EI ; quelques jours plus tard, 70 d’entre eux « firent défection » pour rejoindre Jabhat al-Nosra juste après avoir franchi la frontière syrienne.

    En janvier 2014, désespéré par le manque de progrès, John Brennan, directeur de la CIA, convoqua les chefs des services secrets américains et sunnites de l’ensemble du Moyen-Orient à une réunion secrète à Washington, dans le but de persuader l’Arabie Saoudite de cesser son soutien aux combattants extrémistes en Syrie. « Les Saoudiens nous déclarèrent qu’ils seraient heureux de nous écouter, et donc tout le monde s’assit autour d’une table à Washington pour écouter Brennan leur expliquer qu’ils devaient désormais prendre le même bateau que les modérés. Le message était que si tout le monde dans la région cessait de soutenir al-Nosra et l’EI, leurs munitions et leur armement se tariraient, et les modérés l’emporteraient. » Le message de Brennan fut ignoré des Saoudiens, qui retournèrent chez eux pour relancer de plus belle leurs efforts en faveur des extrémistes et nous demander d’accroître notre soutien technique. Et nous avons finalement accepté, et tout cela s’est terminé par le renforcement des extrémistes. »

    Mais les Saoudiens étaient loin d’être le seul problème : le Renseignement américain avait accumulé des interceptions et des informations de source humaine qui démontraient que le gouvernement Erdogan soutenait Jabhat al-Nosra depuis des années, et faisait de même à présent avec l’EI. « Nous pouvons gérer les Saoudiens », me disait le conseiller ; « Nous pouvons gérer les Frères musulmans. Vous pouvez argumenter que l’équilibre global du Moyen-Orient repose sur une forme de destruction certaine mutuellement partagée entre Israël et le reste du Moyen-Orient, et que la Turquie peut déstabiliser cet équilibre – ce qui est le rêve d’Erdogan. Nous lui avons dit que nous voulions qu’il ferme le robinet des djihadistes étrangers qui se déversent en Turquie. Mais il rêve de grandeur – celle de restaurer l’Empire ottoman – et il n’a pas réalisé jusqu’où pourrait le mener la réussite de ce projet. »

    ***

    L’une des constantes dans les affaires américaines depuis la chute de l’URSS a été d’entretenir des relations d’armée à armée avec la Russie. Après 1991, les USA ont dépensé des milliards de dollars pour aider la Russie à sécuriser son arsenal nucléaire, y compris lors d’une opération ultra-secrète qui consistait à déplacer de l’uranium enrichi à des fins militaires depuis des dépôts non sécurisés au Kazakhstan. Ces programmes conjoints pour superviser la mise en sécurité de matériaux à usage militaire se sont poursuivis au cours des 20 années suivantes. Pendant la guerre menée par les Etats-Unis en Afghanistan, la Russie autorisa son survol par des transporteurs et des ravitailleurs américains, ainsi que le transit terrestre pour le flux d’armes, de munitions, d’eau et de nourriture dont la machine de guerre américain avait quotidiennement besoin. L’armée russe fournit des renseignements sur les déplacements d’Oussama Ben Laden, et aida les Etats-Unis à négocier le droit d’utiliser une base aérienne au Kirghizstan. L’état-major interarmes a toujours été en contact avec ses homologues syriens, et les liens entre les deux armées sont opérationnels jusqu’au plus haut niveau. En août, quelques semaines avant sa retraite de chef de l’état-major interarmes, Dempsey fit une visite d’adieu au quartier général des forces de défense irlandaises à Dublin, et raconta à son auditoire qu’ils avaient mis un point d’honneur, lorsqu’il était en fonction, à garder le contact avec le chef de l’état-major russe, le général Valery Gerasimov : « En fait, je lui ai suggéré que nous ne terminions pas notre carrière comme nous l’avions commencée », a-t-il dit – celle d’un commandant de chars en Allemagne de l’Ouest pour l’un, et pour l’autre à l’Est.

    Lorsqu’il s’agit de se confronter à l’EI, la Russie et les USA ont bien des choses à partager mutuellement. Beaucoup au sein de l’EI, de son commandement à la troupe, ont combattu pendant plus de 10 ans contre la Russie lors des deux guerres de Tchétchénie à partir de 1994, et le gouvernement de Poutine est totalement investi dans le combat contre le terrorisme islamique. « La Russie connaît les cadres de l’EI », m’a fait remarquer le conseiller, « et elle a accès à ses techniques opérationnelles, avec beaucoup d’informations à partager. » En échange, « Nous avons d’excellent formateurs qui ont des années d’expérience dans la formation de combattants étrangers, une expérience que la Russie n’a pas ». Le conseiller n’a toutefois pas évoqué ce dont les services secrets américains sont également capables : la capacité à obtenir des informations sur des cibles, souvent en les achetant pour de fortes sommes à des sources au sein même des milices rebelles.

    Un ex-conseiller de la Maison Blanche pour les affaires étrangères m’a raconté qu’ « avant le 11-Septembre, Poutine avait l’habitude de nous dire : “Nous vivons le même cauchemar dans des endroits différents”. Il voulait parler de ses problèmes avec le Califat tchétchène, et de nos premiers affrontements avec al-Qaïda. Ces jours derniers, après l’attentat contre l’A320 Metrojet au-dessus du Sinaï et les massacres de Paris et ailleurs [Beyrouth], il est difficile de ne pas conclure que nous avons bien les mêmes cauchemars provenant des mêmes endroits. »

    Pourtant l’Administration Obama continue de condamner la Russie pour son soutien à Assad. Un haut diplomate retraité qui fut en poste à l’Ambassade de Moscou m’a exprimé de la sympathie pour le dilemme devant lequel se trouve Obama, en tant que chef de la coalition occidentale opposée à l’agression russe en Ukraine : « L’Ukraine est une question sérieuse, et Obama l’a abordée de façon ferme avec les sanctions. Mais notre politique vis-à-vis de la Russie est trop souvent erratique. En revanche, en Syrie, il ne s’agit pas de nous, il s’agit d’être sûrs que Bachar ne perde pas. En réalité, Poutine ne veut surtout pas voir le chaos syrien se répandre en Jordanie ou au Liban, comme cela s’est passé en Irak, et il ne veut pas voir la Syrie tomber aux mains de l’EI. L’intervention la plus contreproductive qu’Obama a faite, et cela a causé beaucoup de torts à nos efforts pour en finir avec ce conflit, a été de dire : “Assad doit partir en préalable à toute négociation.” » Il a aussi fait écho à un point de vue adopté par certains au Pentagone, lorsqu’il a fait allusion à un facteur sous-jacent dans la décision russe de lancer des frappes aériennes en soutien à l’armée syrienne à partir du 30 septembre : le souhait de Poutine d’éviter à Assad de subir le même sort que celui de Kadhafi. On lui avait rapporté que Poutine avait visionné 3 fois la vidéo de la mort atroce de Kadhafi, une vidéo qui le montre sodomisé avec une baïonnette. Le conseiller du JCS m’a lui aussi parlé d’un Rapport des services secrets US qui concluait que Poutine s’était ému du sort de Kadhafi : « Poutine s’en est voulu d’avoir laissé tomber Kadhafi, et de ne pas avoir joué un rôle clé en coulisses » lorsque la Coalition occidentale a fait pression à l’ONU pour être autorisée à entreprendre des frappes aériennes qui allaient détruire le régime. « Poutine a pensé qu’à moins de s’engager, Bachar allait connaître le même sort – mutilé – et qu’il allait assister à la destruction de ses alliés en Syrie. »

    Dans un discours du 22 novembre, Obama a déclaré que « les cibles principales » des frappes russes, ce sont l’opposition modérée ». C’est une ligne dont l’administration – ainsi que la plupart des médias grand public américains – n’a que rarement dévié. Les Russes insistent sur le fait qu’ils ciblent tous les groupes rebelles susceptibles de menacer la stabilité de la Syrie – y compris l’EI. Le conseiller du Kremlin aux affaires étrangères m’a expliqué, lors de notre entretien, que la première passe de frappes russes visait à renforcer la sécurité autour d’une base aérienne russe à Lattakié, bastion alaouite. Le but stratégique, m’a-t-il expliqué, était d’établir un couloir libéré des djihadistes entre Damas et Lattakié ainsi que la base navale russe de Tartous, puis d’infléchir graduellement les bombardements vers le sud et l’est, en se concentrant davantage sur les territoires tenus par l’EI. Les Russes ont frappé l’EI dans et autour de Raqqa dès le début octobre selon plusieurs comptes rendus ; en novembre, il y a eu d’autres frappes sur des positions de l’EI près de la ville historique de Palmyre, et dans la province d’Idlib, un bastion objet de féroces combats à la frontière turque.

    Les incursions russes dans l’espace aérien turc ont débuté peu après le déclenchement des bombardements par Poutine, et l’armée de l’air russe a déployé des systèmes de brouillage électroniques qui interfèrent avec la couverture radar turque. Le message envoyé à l’armée de l’air turque, selon le conseiller du JCS, était « Nous allons faire voler nos avions là où nous voulons, quand nous le voulons, et brouiller vos radars. Alors pas d’embrouilles. Poutine faisait savoir aux Turcs à quoi ils devaient s’attendre. » L’agression russe fit place à des plaintes turques et des démentis russes, en même temps que l’armée de l’air turque intensifiait ses patrouilles à la frontière. Il n’y a eu aucun incident significatif jusqu’au 24 novembre, lorsque 2 F16 turcs, agissant apparemment selon des règles d’engagement plus musclées, descendirent un chasseur bombardier Su24M russe qui avait franchi la frontière pendant à peine 17 secondes. Dans les jours qui suivirent le crash du chasseur, Obama exprima son soutien à Erdogan, et après qu’ils se furent entretenus en privé le 1er décembre, il déclara à la presse que son administration restait « particulièrement soucieuse de la sécurité et de la souveraineté de la Turquie ». Il déclara aussi que tant que la Russie demeurerait alliée avec Assad, « beaucoup de ressources russes allaient encore être dirigées contre des groupes d’opposition… que nous soutenons… donc je ne pense pas que nous devions nous bercer d’illusions, et que d’une façon ou d’une autre la Russie allait soudain concentrer ses frappes uniquement contre l’EI. Ce n’est pas ce qui se passe. Cela ne s’est jamais passé. Cela ne se passera pas de sitôt. »

    Le conseiller au Kremlin pour les affaires du Moyen-Orient, tout comme le conseiller du JCS et de la DIA, évacue d’un revers de main la question des « modérés » qui ont le soutien d’Obama ; il ne voit en eux que des groupes d’extrémistes islamistes qui combattent aux côtés de Jabhat al-Nosra et de l’EI (« Pas la peine de jouer sur les mots et séparer les terroristes entre modérés et non modérés », a rappelé Poutine dans son discours du 22 octobre) (2). Les généraux américains les considèrent comme des miliciens épuisés qui ont été forcés de s’entendre avec Jabhat al-Nosra ou l’EI afin de survivre. A la fin 2014, Jürgen Todenhöfer, un journaliste allemand qui fut autorisé à passer 10 jours dans les territoires tenus par l’EI en Irak et en Syrie, a raconté sur CNN qu’à la direction de l’EI : « Ils rigolent tous un bon coup à propos de l’Armée syrienne libre (ASL). Ils ne les prennent pas au sérieux. Ils disent : “Les meilleurs vendeurs d’armes que nous ayons sont l’ASL. S’ils touchent une arme de bonne qualité, ils nous la revendent illico.” Non, ils ne les prenaient pas au sérieux. C’est Assad qu’ils prennent au sérieux. Ils prennent au sérieux les bombes, bien sûr. Mais ils n’ont peur de rien, et l’ASL ne joue aucun rôle. » (A suivre)

    Voir la deuxième partie :
    « Echanges entre militaires » : les révélations de Seymour Hersh sur la Syrie (Deuxième partie)

    Seymour Hersh
    21/12/2015

    Titre original : Military to Military
    http://readersupportednews.org/opinion2/277-75/34216-focus-military-to-military

    Sources : London Review of Books, 12/2015 et Les-Crises.fr

    Traduction : BR pour le site Les-Crises.fr
    http://www.les-crises.fr/echanges-entre-militaires-par-seymour-hersh/

    Notes du traducteur :

    (1) Rappelons, comme l’ont indiqué les Américains, que al-Nosra est un pseudonyme pour Al-Qaïda en Syrie.
    (2) Rappelons que Robert Baer, ancien chef de région de la CIA pour le Moyen-Orient, a déclaré en 2014 : « Les Etats-Unis ont été incapables d’identifier le moindre groupe syrien dit “modéré” lorsque la guerre civile a débuté. »

    http://www.polemia.com/echanges-entre-militaires-les-revelations-de-seymour-hersh-sur-la-syrie/