
Bons entendeurs, je vous salue !
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Bons entendeurs, je vous salue !
De Mordicus, mars 2007
Ca aide la mémoire qui flanche
« Douée esthétiquement et intellectuellement, madame Royal se révèle une piètre ménagère car elle ne sait pas balayer devant sa porte, selon une expression populaire tout à fait significative.
Avec ses acolytes, Le Guen, Richard, Rocard, elle s’en prend avec véhémence à la « gestion scandaleuse depuis cinq ans du dossier EADS/AIRBUS ». Elle-même et ces personnalités ont la mémoire courte lorsque cela les arrange (d’autant que l’électeur a encore une plus grand faculté d’oubli).
Qui a décidé de démanteler la prestigieuse Aérospatiale, société nationale fournissant à la France une importante fraction de ses armes, aux bureaux d’études héritiers de ceux qui, sous la IVème République et aux débuts de la Vème avaient hissé la France aérospatiale au 3ème rang mondial ? Qui, sinon le gouvernement de M. Jospin, celui-ci aujourd’hui membre de l’équipe Royal.
Qui a cédé généreusement 31.45 % de la future entreprise Matra-Aérospatiale à J.L. Lagardère, préparant ainsi la privatisation de l’Aérospatiale bradée au secteur public et aux capitaux étrangers ? Le gouvernement de
M. Jospin. Aujourd’hui, madame Royal s’attaque au groupe Lagardère « si proche du pouvoir (celui du gouvernement socialiste ?) qui s’est opportunément désengagé quelques semaines avant l’annonce des retards de l’A. 320 (mais non madame, de l’A 380) ». Mais ce sont ses amis qui l’ont abusivement, transformé en principal dirigeant de l’ensemble EADS-AIRBUS.
Qui a souscrit à un montage politico-industriel aussi absurde que celui d’EADS, à la direction bicéphale aux intérêts nationaux divergents, à la hiérarchie interne compliquée par des conceptions techniques différentes, conséquences du cloisonnement national séculaire ? Qui n’a pas compris ce que devait être une entreprise industrielle et commerciale affrontant la concurrence internationale avec un patron, une équipe, une doctrine ? Messieurs Jospin et Strauss-Kahn confondant politique et industrie pour créer un monstre qui ne pouvait qu’aboutir à « la catastrophe et au scandale » que dénoncent aujourd’hui M. Jean-Marie Le Guen et aussi M. Rocard soulignant le « désastre financier »
« L’Etat peut faire et doit faire, la puissance publique doit assumer ses responsabilités… » déclame madame Royal. Mais qui ne les a pas assumées en se déchargeant de l’Aérospatiale au profit du secteur public sinon le gouvernement de M. Jospin ?
« Avec moi l’Etat sera fort, juste à sa place », insiste la candidate. Mais comment la France peut-elle bénéficier d’un Etat fort après que son maître à penser, François Mitterrand lui eut infligé le traité de Maastricht et les abandons de souveraineté qu’il implique ?
Selon le Nouvel Observateur (du 21 octobre 1999) publication dont madame Royal ne peut nier la compétence, M. Lionel Jospin (en créant EADS) a mis sur pied… « un outil puissant de la contraction d’une Europe forte, solidaire et maîtrisant pleinement son avenir » et Airy Routier, le signataire de l’article d’ajouter : « le Premier ministre a insisté sur le « caractère équilibré de l’actionnariat stable et de long terme du nouveau groupe ». Et il précise « Victoire de l’Europe ? Nul ne peut en douter ».
Outil puissant de la construction d’une Europe forte et solidaire ? L’ « outil puissant » est en état de faiblesse, l’Europe n’a pas été solidaire mais source de division et d’échec. Belle prospective.
Et belle réussite pour la France que de « transformer l’entreprise publique Aérospatiale en une société franco-allemande, société au nom anglais logée à Amsterdam ». C’est ce qu’acceptèrent MM. Jospin et Strauss-Kahn celui-ci ayant reçu la mission de négocier avec les Allemands la capitulation française.
En 1999, ainsi qu’on l’a vu, le Premier ministre avait proclamé « le caractère équilibré de l’actionnariat stable et de long terme ». En fait de stabilité, à la fois Lagardère et DaimlerChrysler réduisent leur participation, la Grande-Bretagne se retire du capital, si bien que « l’actionnariat n’a été ni stable ni de long terme ». C’était un peu osé de la part de MM. Jospin et Strauss-Kahn que de fonder le succès d’une entreprise scientifico-technique sur un groupe de presse français et une firme germano-américaine d’automobile. Et le pari a été perdu. Aux contribuables de remédier à ce désastreux gâchis et aux candidats à la présidentielle de profiter de l’aubaine en multipliant les déclarations démagogiques et les apparitions à la télévision afin de quêter des voix. Mais le mal est fait. Aux contribuables de panser la plaie.
En vingt-cinq ans la France a perdu – définitivement – la place éminente qu’elle occupait dans le domaine aérospatial. La stupide politique du tandem Mitterrand-Hernu visant la réalisation d’un avion de « combat européen » a abouti aux succès commerciaux d’un appareil anglo-allemand, l’Eurofighter et à la généralisation en Europe d’avions américains F 16 et F 35 et cela pour la durée du siècle. Au détriment des études et de la production françaises qui avaient gagné plus de la moitié du marché mondial, avec une trentaine de pays acquéreurs. Quelque 3000 techniciens de haut niveau, près de 200.000 spécialistes qui en vivaient ont dû en venir à de pénibles reconversions…
Mais, après tout, les Français, qui en ont vu d’autres, s’accommodent du choix politique qu’ils ont fait. Ils sont prêts, d’ailleurs, à en faire, à nouveau, d’aussi malheureux.
Jaloux, voici cinq siècles, Charles Quint disait déjà : « Aucun pays n’a plus fait pour son malheur que la France et, pourtant, tout lui a tourné à bonheur ».
A condition de ne point lasser le bonheur. »
En février 2007 :
Nous savions la Mission difficile…
Les qualités de Louis Gallois donnaient toutes les garanties. Mais remettre Airbus sur les « rails » n’était-ce pas pire que de nettoyer les écuries d’Augias ?
Dans cette affaire, tous les partenaires ont voulu tirer la couverture…
Nécessaire de se rappeler qu’Airbus était une « usine à gaz paneuropéenne » et ce depuis 25 ans…Les marges de manœuvres de Louis Gallois ont donc dès le premier jour étaient très étroites.
En effet que ce soit l’organisation de la production, la Recherche et le Développement, les financements, tout a été mis en place à l’aune européenne… Et dans les turbulences, les trous d’air et les chutes en piqué, tout doit se poursuivre en respectant ce canevas paneuropéen… y compris dans les décisions portant sur la sous-traitance !
Cette réalité a été occultée au plus fort de la tourmente alors que se réveillait un nationalisme industriel allemand avec l’entrée des Länder au capital d’EADS…
Il était indéniable qu’il fallait réduire la voilure d’Airbus. Mais qui allait en faire les frais ?
Louis Gallois s’est donc avancé dans un champ de mines, conduisant son Power 8…
Et ce qui était prévisible c’est donc passé…
Les Allemands n’ont pas hésité une seconde pour user de leur droit de veto. La restructuration d’Airbus est donc au point mort…
Déjà, fin janvier, la Grande-Bretagne menaçait de représailles EADS en cas de délocalisation de la fabrication des ailes des futurs appareils… La menace sortait de la bouche même de Lord Drayson, secrétaire d’Etat aux équipements militaires. Les ailes des futurs Airbus devaient être fabriquées à Filton et Broughton… Pas de relocalisation en Espagne ou en Allemagne et donc pas même question de s’interroger sur le choix des matériaux pour construire ses futures ailes. ( matériaux composites ou aluminium ?)
Lord Drayson avait un argument de poids : EADS attend la finalisation d’un contrat portant sur la fourniture d’une nouvelle génération d’avions ravitailleurs à la Royal Air Force pour 20 milliards d’euros…
Dans le même temps, les syndicats allemands entendaient accueillir le Power 8 par une journée d’action sur les six sites allemands d’Airbus…
C’est donc sans surprise que le PDG d’Airbus, Louis Gallois a reporté sine die l’annonce du plan de restructuration de l’avionneur.
Tout c’est joué dimanche dernier lors de la réunion du conseil d’administration qui devait valider Power 8… Les dirigeants allemands d’EADS, maison mère d’Airbus, ont dit non à un plan qui laissait, dit-on, la part belle à la France dans la construction du futur biréacteur A350XWB…
Monsieur Louis Gallois a les mains et les pieds liés…
Et nos échéances électorales n’arrangent pas ses affaires, ses affaires qui sont aussi un peu nos affaires…
En octobre 2006 :
Le Premier ministre est inquiet…
Et il a reçu Louis Gallois. E.A.D.S. et Airbus sont toujours dans à l’ordre du jour.
Le plan de restructuration d’Airbus n’est pas adouci…
C’est ce qu’ont confirmé Manfred Bischoff et Arnaud Lagardère dans Les Echos du 11 octobre 2006. Pendant ce temps Vladimir Poutine se tient en embuscade…
Pour bien apprécier les turbulences de ce qui était encore, il y a peu, le fleuron de notre aéronautique, remontons dans le temps où tout était sourire… Et ils sont parfaitement reconnaissables !

SOUVENEZ-VOUS DE CETTE PHOTO
A droite y figurent les deux naufrageurs de l’industrie aérospatiale française. A gauche, aux dépens de la France, les trois bénéficiaires : le chancelier Schröder, Jünger Schrempp, président de Deutsch Aerospace et Jean-Luc Lagardère.
Le gouvernement Jospin a cru bon, aux dépens de l’intérêt national, de faire deux somptueux cadeaux :
- A J.L. Lagardère, en contrepartie d’une somme dérisoire, plus de 30 % du capital de la Société nationale Aérospatiale. L’Aérospatiale était en quelque sorte l’aboutissement des bureaux d’études qui avaient conçu et permis la commercialisation de la Caravelle, du Concorde, d’Airbus, mais aussi des Nordatlas, des Vautours, des hélicoptères, des engins balistiques et tactiques, des satellites, alors que la DASA n’était qu’un modeste sous-traitant mais qui, fusionné avec l’Aérospatiale bradée à Lagardère (Matra) et après privatisation, devait former EADS.
- Aux Allemands la fusion accordait 30 % du capital, le gouvernement français n’en gardant que 15 % (et J.L. Lagardère également 15 %). Mais la nouvelle société possédait 80 % du capital d’Airbus, l’entreprise placée sous contrôle allemand par l’intermédiaire de la participation de Daimler-Chrysler, l’industrie automobile allemande devenant aussi aérospatiale. Autre cadeau partiel, EADS siégerait en Hollande et serait une société de droit hollandais, la France perdant le fleuron de ses « ex-activités » aérospatiales.
Sans doute sur ordres « d’en haut », l’affaire fut présentée comme une « victoire (française) nette et sans bavure » par le Nouvel Observateur (du 21 octobre 1999). Il fallait tromper les Français et leur faire croire au génie politique de leurs dirigeants alors que l’accord conclu à Strasbourg le 14 octobre 1991 est pour eux catastrophique. Elie Cohen, chercheur au CNRS, fut à peu près le seul, à avoir dit la vérité : « Le seul point fort de la spécialisation industrielle de la France, qui était l’aéronautique, est en train d’être bradé » (Libération). Mentant outrageusement, le Nouvel Observateur (daté du 21-27.10.1999) titrait ainsi son article : « Comment la France a raflé la mise », alors qu’en réalité, la mise c’était notre industrie aérospatiale qu’elle livrait aux profits du secteur privé et à une firme automobile allemande. Six ans plus tard, Pascal Aubert dans la Tribune (29 juin 2006) écrira que EADS, « cette magnifique entreprise est, en réalité, une pétaudière ».
Le Nouvel Observateur, désireux d’amplifier encore sa dithyrambe, citait les propos naïfs et, depuis infirmés par les faits de Lionel Jospin : « (EADS) un outil puissant de la construction d’une Europe forte, solidaire et maîtrisant pleinement son avenir… (approuvant) le caractère équilibré de l’actionnariat, stable et de long terme, du nouveau groupe puissamment et durablement ancré à l’Europe ». Autant de stupides contre-vérités. Messieurs Lagardère et Bishoff se sont empressés de vendre une part de leurs actions tandis que Noël Forgeard cédait ses stocks options au bon moment et que les Britanniques cherchaient à vendre leur participation… Autant de témoignages de la « stabilité » de l’actionnariat » vantée par Lionel Jospin, avec D.S.K. pour complice.
Pour la France et pour la soi-disant « construction européenne », l’accord créant EADS a de bien plus graves conséquences que la seule avidité financière et de carrière de ses dirigeants.
- D’abord, n’ayant aucune idée des exigences d’une entreprise scientifique, technique et commerciale aérospatiale, les politiciens français se sont « fait berner » par leurs homologues allemands, mais ils ont mis sur pied une sorte de monstre politico-administratif qui ne pouvait aboutir qu’à l’échec : direction binationale, multiplication des niveaux de responsabilité, recours à un nombre trop élevé d’implantations industrielles, à une pléthore de sous-traitants de nationalité, de culture technique et de méthodes de travail différentes. Résultat : six années de chamailleries au sommet, de rivalités nationales, de spéculations financières douteuses, de coups bas dont l’affaire Clearstream n’a révélé que quelques aspects. Ceci au détriment de l’intérêt national délibérément bafoué par le pouvoir politique français.
- La France détenait plus de la moitié du marché mondial des avions de combat, marché gagné au cours des années 50 et 60. Elle l’a totalement et irrémédiablement perdu au profit des matériels anglo-allemands et américains (F.16, F.18 hier, J.35 demain) : Coût : plus de 200.000 spécialistes et 2.000 ou 3.000 ingénieurs conduits à se « reconvertir » ou à relever de l’ANPE et disparition d’un fort potentiel de science et de technicité.
- Si les bureaux d’étude de EADS ont mis cinq ans pour calculer et réaliser la prototype d’un avion de très gros tonnage (plus du double de celui des appareils antérieurement commercialisés), l’industrialisation du projet A 380 est un échec. Le calendrier des livraisons aux entreprises de transport aérien ne sera pas tenu ; il faudra indemniser les acquéreurs et subir le discrédit d’une firme à la direction équivoque, incapable de tenir ses engagements. Résultats : une « restructuration » de l’ensemble, euphémisme pour annoncer des économies sur l’emploi de la contribution d’EADS au chômage. La société d’entretien technique SOGERMA en a déjà été la victime, la contraction du nombre des sous-traitants en fera beaucoup d’autres. « L’outil puissant de la construction de l’Europe » de M. Lionel Jospin est en quenouille.
- L’avion A.350 de EADS devait concurrencer le 787 de Boeing. Autre échec. Le dossier de l’A.350, critiqué par les utilisateurs, est abandonné. Il faut redessiner un autre appareil, laissant le marché correspondant à Boeing et exigeant une dépense imprévue de quelque 8 milliards d’euros (pour un avenir problématique de la formule nouvelle d’EADS).
- Dès le début des années 90 le remplacement des avions-cargos militaires (Transall) était un besoin urgent. EADS prenant le relais devait dessiner et construire le nouvel appareil. Quinze ans plus tard, le A. 400 M n’a toujours pas effectué son premier vol. Les Américains en profitent, plaçant en Europe leurs avions-cargos.
Ainsi que l’écrivait le Nouvel Observateur (du 21-27.10.1999) : « La France a accepté… de partager avec l’Allemagne une entreprise qui réalise plus du tiers de son activité dans le secteur militaire et construit notamment les missiles de la force de dissuasion nucléaire ! Victoire de l’Europe ? Nul ne peut en douter…»
Les politiciens français ont, en réalité, travaillé à détruire la France pour construire l’Europe politique. Avec EADS, c‘est à la fois la France et leur Europe qui sombrent.
Y a t il un pilote dans l’avion ?
Il a quitté sa locomotive et passe aux commandes d’Airbus. Puisse-t-il être seul aux commandes…
Tous nos vœux accompagnent Louis Gallois !
Il sera toujours possible de tirer à vue sur l’usine d’Hambourg et faire porter tout le chapeau au partenaire allemand… Les déboires d’Airbus prennent leur source dans « le patrimoine génétique d’EADS » (La Tribune du mardi 10 octobre 2006).
EADS fut avant tout une création « politique »… Et Monsieur Dominique Strauss-Kahn ne fut pas le dernier à se pencher sur le berceau de la nouvelle née…
Se souvient-on de la fusion de Aérospatiale-Matra et Dasa ? Se souvient-on du « montage » à partir de la Sogeade entre l’Etat français et Lagardère ?
Cette « belle fusion franco-allemande » fut réalisée « à parité » et a installé à la tête du groupe un système à double commande. Et ce système fut reproduit de haut en bas, à tous les étages… A l’encontre de toutes les règles qui régissent une bonne chaîne de commandement !
Des guerres larvées, sournoises, se sont développées à tous les étages entraînant lourdeur voire inaction… En veut-on un exemple ? Le fiasco total quant au rachat de Thales en 2004… EADS s’est mué en nid de vipères qui n’ont eu de cesse de développer leurs appétits après le décès de Jean-Luc Lagardère. « Clearstream », la belle affaire ! L’intervention de Jacques Chirac… Forgeard contre Camus. Et la guerre de tranchées que se sont livrés patrons français et patrons allemands… Difficile de remettre en cause des implantations industrielles incohérentes…
Les enjeux vont au-delà de l’Airbus. Il y a aussi des avions militaires et des deux côtés du Rhin des hommes qui maintenant doutent quant à leur avenir…
Cette affaire laissera des traces et les Allemands en sont à envisager de faire entorse à la règle qui interdit à l’Etat allemand d’investir dans les secteurs concurrentiels : « Nous devons empêcher que la France tire trop la couverture à elle ». Propos de Franz Joseph Jung, ministre de la Défense…
Dans cette affaire, l’Etat français, incompétent, s’est tiré une balle dans le pied et a gâché savoir faire et enthousiasme de milliers de Français…
Tous les talents d’un homme tel que Louis Gallois et le consensus franco-allemand qui s’est réalisé sur son nom ne doivent pas masquer la réalité : notre régime politique discrédite la France.
Jusqu’à quand les Français pourront-ils le supporter ?
Léon Areva, le 15 octobre 2006
Portemont, le 25 octobre 2009 http://www.lesmanantsduroi.com
« De 1998 à 2002, la presse occidentale a dit que je faisais penser à Hitler et au duce (Benito Mussolini). A présent, elle me compare à Poutine et au président bélarusse. Je vous laisse juger s’il s’agit ou non d’un progrès. » (Viktor Orban, le 5 janvier 2012 – « La Hongrie prend la tête de l’UE dans un climat délétère » – 07/01/2012).
I. L’ascension de Viktor Orban et de la Fidesz (1993-2010)
Budapest sous la pression de l’Union européenne
Dans un article consacré au parti ultranationaliste grec « Aube dorée », le quotidien belge La Libre Belgique cite la vice-présidente du Parlement européen, également belge, Isabelle Durant (Ecolo). En visite à Athènes et au cours d’une discussion avec des membres du parti vert grec par lequel elle était invitée, Madame Durant exprima dans les termes suivants son inquiétude face à la montée en puissance d’ « Aube dorée » : « C’est un phénomène très inquiétant. L’injustice, la dureté des coupes dans les salaires, etc., est de nature à créer une déstabilisation politique extrêmement grave. L’Union ne mesure pas à quel point il faut aussi se préoccuper de l’évolution démocratique de la Grèce. On doit en faire une vraie question politique, comme avec Viktor Orban en Hongrie. »
On ne manquera pas de s’étonner de la relation qui est établie ici, par la vice-présidente du Parlement européen, entre l’ascension politique du mouvement ultranationaliste grec « Aube dorée » et le gouvernement conservateur hongrois de Viktor Orban, dont le parti, la Fidesz-Union civique hongroise, est membre du Parti Populaire Européen (PPE). Une comparaison entre l’Aube dorée et le parti nationaliste hongrois Jobbik eut sans doute été plus judicieuse. Et l’amalgame établi ici entre le conservatisme de la Fidesz de Viktor Orban et le nationalisme du Jobbik de Gabor Vona est pour le moins malheureux. Manque d’informations ou volonté délibérée de démontrer que les thèses de la Fidesz et du Jobbik relèvent d’une même démarche arbitrairement qualifiée d’ « extrême-droite » ? Au vu des pressions européennes qui s’exercent sur la Hongrie depuis l’élection de Viktor Orban et de la Fidesz en 2010, il est à craindre qu’il nous faille retenir la seconde explication.
Viktor Orban et la Fidesz (1993-2006)
Victor Orban n’est pas un inconnu de la scène politique hongroise et européenne. Né le 31 mai 1963 à Székesfehérvar, il participe, le 30 mars 1988, à la fondation de la Fidesz-Union civique hongroise. L’année suivante, à l’occasion de la cérémonie de « ré-inhumation » d’Imre Nagy et des autres martyrs de la révolution hongroise de 1956, célébrée sur la place des Héros de Budapest, Viktor Orban prononce un discours appelant à la tenue d’élections libres et au départ des troupes soviétiques qui sont alors stationnées dans le pays. Peu de temps après, il fera partie de la délégation de l’opposition présente à la table ronde des négociations avec le pouvoir communiste. Élu, en 1990, député à l’Assemblée nationale de Hongrie, il devient, deux ans plus tard, vice-président de l’Internationale libérale lors du congrès de Mayence. En 1993, il prend la tête de la Fidesz et, l’année suivante, hisse sa formation à la deuxième place, juste devant le Parti socialiste hongrois (MSzP). En 1995, le parti de Viktor Orban de libéral, devient conservateur et remporte la victoire aux élections du 24 mai 1998 : la Fidesz obtient 148 députés sur 386. Viktor Orban forme une coalition gouvernementale comptant 213 élus et est investi ministre-président le 6 juillet. Il a 35 ans. En avril 2002, les résultats du gouvernement sortant son favorablement sanctionnés par l’électeur qui accorde une nouvelle victoire à la Fidesz. Du fait de sa coalition avec le Forum démocrate hongrois (MDF), 188 députés sont réunis sous une même bannière, soit dix de mieux que le Parti socialiste (MSzP). La route du pouvoir semble donc à nouveau ouverte pour Viktor Orban, mais le jeu électoral en décidera autrement ; le MSzP s’allie avec l’Alliance des démocrates libres (SzDsZ), et obtient ainsi 198 députés, soit dix de mieux que la coalition de Viktor Orban qui se voit obligée de renoncer au pouvoir le 27 mai suivant. Lors des élections de 2006, la Fidesz, allié au KDNP (Parti populaire démocrate-chrétien), se voit cette fois devancé par les socialistes du MSzP du nouveau ministre-président, mis en place en 2004 : Ferenc Gyurcsany. L’avenir de Viktor Orban à la tête de la Fidesz semble dès lors compromis. Mais la rigueur budgétaire drastique imposée à la population hongroise par le gouvernement socialiste et la révélation de certains mensonges de Gyurcsany durant la campagne de 2006, vont lui permettre de se remettre en selle. Lors des élections européennes de 2009, la Fidesz remporte 56,3 % des voix et 14 des 22 sièges à pourvoir au Parlement européen.
Les socialistes du MSzP au pouvoir (2002-2010)
En 2002 donc, les socialistes du MSzP, alliés à l’Alliance des démocrates libres (SzdsZ), se hissent jusqu’au pouvoir avec une courte majorité de dix sièges par rapport à la coalition Fidesz-KDNP menée par le chef de file du gouvernement sortant, Viktor Orban. Les socialistes se maintiendront au pouvoir huit années durant. Le poste de Premier ministre fut d’abord occupé par Peter Medgyessy dont le gouvernement accordera une augmentation des traitements de certains fonctionnaires de 50 %, ce qui eut pour effet de creuser le déficit budgétaire. Suite à la défaite encourue par les socialistes hongrois aux élections européennes de 2004, Medgyessy se verra forcé de céder la place au ministre des Sports, Ferenc Gyurcsany. A cette époque, malgré un taux de croissance de 4 % et une inflation en baisse, le déficit budgétaire élevé rend pratiquement impossible l’accession de la Hongrie à l’euro. Le taux de chômage dépasse le taux de 10 % de la population active. Au cours des élections législatives des 9 et 23 avril 2006, la coalition sortante menée par Ferenc Gyurcsany sera cependant reconduite avec une douzaine de députés supplémentaires par rapport à ceux obtenus au scrutin de 2002. Une victoire, certes, mais obtenue par le mensonge.
Ferenc Gyurcsani au cœur du scandale
De fait, peu de temps après les élections du mois d’avril, Gyurcsany devait reconnaître, à huis clos, avoir menti sur l’état des finances publiques en vue d’assurer sa réélection. Une fuite devait amener ses propos sur la place publique, ce qui aboutit à l’éclatement à Budapest d’une série d’émeutes dont le caractère légitime était, au vu des circonstances, incontestable. Mais la presse européenne ne l’entendit pas de cette oreille. Loin de dénoncer l’attitude inqualifiable du premier ministre hongrois et d’éventuellement tenter de la pousser à une démission qui se serait pourtant révélée plus que justifiée, elle assimila immédiatement les émeutiers à l’ « extrême-droite » et n’en démordit plus par la suite. Ce parti pris européen en faveur du gouvernement socialiste hongrois s’avéra d’autant plus critiquable, que le discours prononcé par Ferenc Gyurcsany à Balatonoszöd, en mai 2006, était pour le moins explicite : « Nous avons tout fait pour garder le secret en fin de campagne électorale ce dont le pays avait vraiment besoin, ce que nous comptions faire après la victoire. Nous le savions tous, après la victoire, il fallait se mettre au travail, car nous n’avons jamais connu de problème de cette envergure (…) Personne en Europe n’a fait de pareilles conneries, sauf nous (en laissant filer les déficits publics) (…) Il est évident que nous avons menti tout au long des 18 derniers mois. Il est clair que ce que nous disions n’était pas vrai. Nous n’avons rien fait depuis quatre ans, rien. Vous ne pouvez pas me citer une seule mesure gouvernementale dont nous pourrions être fiers, à part le fait que nous (le gouvernement) nous sommes sortis de la merde à la fin (en remportant les élections) (…). » Le 17 septembre de la même année, la diffusion d’un enregistrement de ce discours, allait donc provoquer d’importantes émeutes en Hongrie. Comment ne pas le comprendre ?
Une opposition d’extrême-droite ?
Les émeutiers n’en furent pas moins assimilés à des extrémistes de droite, par la presse européenne qui, depuis, n’a plus cessé ses attaques à l’encontre des conservateurs magyars, systématiquement assimilés, peu ou prou, à la droite la plus nationaliste. Ainsi, lorsqu’éclatèrent les émeutes, en septembre 2006, on déclara que « des manifestants d’extrême-droite réclamant le départ du Premier ministre ont attaqué le bâtiment de la télévision nationale, qu’ils ont momentanément occupé » ; que des « manifestants de droite et d’extrême-droite, exigeant [la démission de Gyurcsany], ont débordé la police et saccagé le siège de la télévision publique, dans la nuit de lundi à mardi à Budapest » (source) ; « Parmi les manifestants, surtout des jeunes, un certain nombre de toute évidence d’obédience d’extrême-droite » (source) ; « Après une manifestation pacifique devant le parlement, les casseurs, parmi eux des partisans de droite et d’extrême-droite, se sont rassemblés près du siège du parti socialiste, le mouvement du premier ministre hongrois. » (source) Rien n’a donc été négligé par la presse officielle européenne pour, sinon assimiler, au moins associer l’opposition au gouvernement socialiste hongrois à l’extrême-droite et pour créer un amalgame entre la droite ultranationaliste et le parti conservateur (Fidesz) de Viktor Orban.
Un clair soutien européen aux socialistes hongrois
Quant à Ferenc Gyurcsany, loin de se faire désavouer par l’Union européenne, il proposa un plan d’austérité extrêmement sévère supposé réparer les innombrables erreurs et manquements du précédent gouvernement socialiste, plan qui reçut bien évidemment l’aval de la Commissions européenne, mais qui prit de cours le peuple hongrois dont on fit décidément peu de cas dans cette affaire. Ainsi le plan présenté en 2006 prévoyait-il de ramener le déficit public de 10,1 % du PIB en 2006 à 3,2 % en 2009, l’objectif étant 6,8 % en 2007 ; une hausse de 2 % des cotisations sociales, pour moitié à charge des salariés ; une hausse du taux minimum de TVA (sur la nourriture et les services de base), de 15 % à 20 % ; et une hausse des prix du gaz (30 %) et de l’électricité (8 %). Le peuple hongrois se vit ainsi sommé de payer les erreurs du gouvernement précédent par ceux-là même qui l’avaient conduit ! Autant dire que l’opposition ne désarma pas, malgré la poursuite des tentatives européennes pour l’assimiler dans son ensemble aux courants les plus extrémistes.
Malgré les pressions européennes, l’opposition anti-gouvernementale ne désarme pas
Ainsi, lors de nouvelles émeutes qui éclatèrent en octobre 2006, après les commémorations du 50e anniversaire de 1956, évoqua-t-on des « affrontements très violents de la nuit précédente entre manifestants globalement d’extrême-droite et la police anti-émeutes », et de préciser, toute honte bue, que la cassette sur laquelle on entend Gyurcsany affirmer ouvertement avoir menti à ses administrés, « n’a été qu’un prétexte au déchainement d’une mouvance d’extrême-droite, composée de militants de plus en plus jeunes issus de milieux défavorisés…Ces skinheads fomenteraient le projet de discréditer le Hongrie à l’extérieur pour mieux l’isoler », tout en évoquant la « collusion tactique [de Viktor Orban] avec les milieux les plus radicaux » , histoire de boucler définitivement la boucle d’un amalgame des plus simplistes. Les articles dénonçant une montée, réelle ou supposée, de l’extrême-droite nationaliste en Hongrie, incluant les troupes de la Fidesz conservateur, ne cesseront plus de paraître. Ainsi vit-on les uns affirmer que s’étend, dans tout le pays magyar, « le sentiment nationaliste, revanchard, voire totalitariste » et évoquer une Hongrie gagnée par le « nationalisme conservateur et identitaire » , et les autres agiter le spectre des Croix-Fléchées, les « vieux démons » de la Hongrie et les « 50.000 manifestants d’extrême-droite [qui] se sont réunis autour du Parlement le jour où les partis, de gauche ont choisi György Bajnai comme Premier ministre [et successeur de Ferenc Gyurcsany] », tout en rappelant que la Hongrie et la Roumanie sont « les deux dernières puissances non repentantes de l’Axe » Mais tous ces effets de manche et ces tentatives de la presse européenne pour noyer le poisson du désastre économique hongrois résultant, en grande partie, des errements du gouvernement socialiste Gyurcsany, n’influencèrent guère les électeurs hongrois qui allaient offrir à la Fidesz de Viktor Orban, une large victoire électorale lors des élections européennes de 2009. A l’issue de ce scrutin, la Fidesz remporta 56,3 % des voix et 14 des 22 sièges à pourvoir au Parlement européen. Une victoire qui en préparait une autre, celle des législatives de 2010.
L’avènement du gouvernement Orban II
Après trois années de gouvernement Gyurcsani et suite à la crise financière de 2008, la situation économique de la Hongrie s’est brutalement détériorée. En 2009, la récession s’est établie à 6 % du PIB, le taux d’inflation dépassait les 4 %, le taux de chômage se maintenait au-dessus de 10 % de la population active, le déficit budgétaire représentait encore 7 % du PIB, et la dette publique se montait à 65 %. En mars 2009, le Premier ministre Ferenc Gyurcsany prit la décision de démissionner en faveur du ministre de l’Economie, un indépendant nommé György Gordon Bajnai. Son bref mandat sera essentiellement marqué par la rigueur budgétaire et il décidera de ne pas se représenter à sa succession lors des élections législatives de l’année suivante, remportées par la Fidesz. De fait, à l’issue du scrutin qui se déroula les 11 et 25 avril 2010, la Fidesz obtint 52 % des suffrages et acquit 263 sièges (+99) sur 386, soit plus que la majorité des deux tiers qui ne nécessite que 258 élus. Le 29 mai 2010, après huit années d’opposition, Viktor Orban redevint ministre-président de Hongrie. C’est le début d’un bras de fer entre Budapest et Bruxelles, l’Union européenne s’opposant ou critiquant systématiquement toutes les mesures et réformes adoptées par le gouvernement Orban II, qui désormais ne cesse de se voir taxer de dérives nationalistes, extrémistes, autoritaires, voire revanchistes. L’UE peut, en outre, appuyer ses accusations en prenant à témoin la victoire du parti nationaliste Jobbik-Mouvement pour une meilleure Hongrie qui a raflé 47 sièges (+47) au parlement hongrois, alors que les socialistes du MSzP n’en obtenaient en définitive que 59 (-127).
Éric Timmermans, pour Novopress
Pour que les Européens ne restent pas à la traîne du courant de l’histoire – au sujet de l’analyse brillante de la situation géopolitique par Franz Betschon
Ex: http://www.horizons-et-debats.ch/
Pendant que les Etats-Unis titubent d’une crise à l’autre, et que l’Europe n’arrive pas à détourner son regard de son ancienne puissance protectrice dans l’espoir de ne pas être entraîné dans l’abîme, il règne en Asie et en Amérique latine une atmosphère de renouveau. Des auteurs comme Kishore Mahbubani essaient depuis un certain temps de démontrer aux contemporains de l’hémisphère occidental qu’on se trouve de toute évidence devant un tournant historique. Mais que faire, surtout en Europe? Avec qui coopérer si ce n’est pas avec la puissance guerrière en déclin?
Ne serait-il pas tout naturel de tourner le regard vers l’Est? Puisque l’Europe se trouve bien au bord de la grande île mondiale de l’Eurasie. Un regard, cependant pas dans le sens impérialiste de Bismarck qui a localisé «son Afrique» en Europe de l’Est, et pas non plus dans le sens du cliché de la guerre froide, qui appartient heureusement au passé depuis plus de 20 ans. Mais pourquoi pas un rapprochement en partenariat, en amitié et avec considération des mérites des peuples des pays respectifs?
Si nous ne voyons pas comment l’Asie se développe, l’Asie se développera aussi sans nous en un nouveau centre de gravitation de l’économie mondiale: c’est ce qu’un analyste ayant beaucoup voyagé, ouvert au monde, formé et ancré dans la meilleure tradition suisse, nous soumet à réfléxion: «Das eurasische Schachturnier» [Le tournoi d’échec eurasien], c’est le titre que Franz Betschon donne à son livre, qui sera présenté ci-dessous. Avec ce titre il fait allusion à un livre de Zbigniew Brzezinski qui porte un titre semblable. Mais son ton, le fondement de son analyse et sa perspective sont heureusement en totale contradiction avec l’ouvrage de référence négatif de la géostratégie impériale et de l’outrecuidance de la puissance mondiale.
«The Empire is over.» L’empire américain, la suprématie de la seule puissance mondiale serait du passé, un ordre mondial centré sur l’Eurasie serait en train de s’installer, uniquement centré sur l’Asie, si l’Europe ne s’avance pas vers l’Asie. C’est la quintessence de ce livre éclairant qui mérite d’être lu: «Das eurasische Schachturnier. Krisen Hintergründe und Prognosen» de Franz Betschon1. Ce citoyen suisse est docteur en sciences techniques et ingénieur mécanique diplômé de l’EPFZ, en plus diplômé de la Harvard Business School à Boston, colonel d’état-major de l’aviation à l’armée. Un scientifique formé dans la meilleure tradition suisse, ouvert au monde et économiste disposant d’une intelligence analytique aigüe. En tant que personne ayant vu du pays et qui, entre autre, a été conseiller d’administration d’une entreprise high-tech israélienne, qui, construite avec de l’aide suisse, appartient actuellement aux entreprises de pointe de son genre dans le monde, l’auteur essaie de comparer et d’approfondir ses expériences et ses observations au moyen de l’étude de sources publiquement accessibles pour comprendre l’actualité et pour ne pas rester en arrière du développement. Betschon a recours à des sources de beaucoup de pays, car dans son activité, il s’est aperçu que le regard européen sur le monde s’est pas mal rétréci pendant les décennies de la guerre froide, et que dans d’autres parties du monde, les mêmes problèmes sont considérés sous un autre jour. Reconnaître les signes du temps veut dire également s’adapter à temps aux nouveaux développements pour mieux contrer des dangers éventuels.
Comme grand modèle, qui manque dans le monde moderne, surtout en Suisse, et cela douloureusement, Betschon évoque Jean Rodolphe von Salis. Ce que ce citoyen du monde suisse a réussi lors de la Seconde Guerre mondiale depuis la Suisse, et ce qui lui a procuré ainsi qu’à la Suisse l’estime mondiale, c’est-à-dire un jugement cohérent de la situation de guerre, von Salis n’avait pu le faire que sur la base d’un large réseau. Avec des conversations téléphoniques avec ses connaissances dans différents pays, il s’est procuré un grand savoir et cela malgré l’écoute des services secrets.
Pour nous, c’est plus facile aujourd’hui. Aux temps du World Wide Web, un clic de souris nous amène des journaux de l’espace asiatique, africain, et de l’Amérique latine.
L’analyse de Betschon sur 200 pages, culminant dans la citation ci-dessus, est passionnante et met de l’ordre dans les idées qui, dans les flots du «tittytainment du mainstream», ont tendance à être incohérents.
Lorsque l’auteur arrive à la conclusion que les jours de la dominance américaine sont définitivement passés, ce n’est pas sur un fond de ressentiments antiaméricains comme on pourrait le penser. Tout au contraire, l’auteur rend hommage à l’engagement désintéressé des Etats-Unis en Europe pendant les heures les plus noires de la Seconde Guerre mondiale – mais pas sans se poser la question de savoir à partir de quel moment l’Amérique est soudain devenue si violente: qu’elle ait rendu la torture de nouveau acceptable, qu’elle ait mené des guerres préventives sans penser aux principes de Nuremberg, dans lesquels une guerre d’agression est déclarée comme le pire des crimes et à l’occasion desquels le procureur principal Robert Jackson avait exigé publiquement qu’à l’avenir les USA veuillent aussi être jugés à la même aune.
Il est devenu évident que les choses vont mal aux Etats-Unis lors de la publication du plan de 5 ans du Pentagone, le «Quadrennial Defence Review Report (QDR)» des années 2001 à 2006. A l’encontre du droit international, ce rapport exige le droit à la guerre préventive. Afin que le lecteur puisse comprendre cette monstruosité, l’auteur transpose cette mentalité dans la cohabitation de voisins qui s’exprimeraient de la façon suivante: tu peux fusiller ton voisin sans autre s’il te dérange. Tu ne dois remplir que deux conditions: tu dois prétendre que tu t’es senti menacé et viser de telle sorte qu’il ne puisse ensuite plus témoigner.» (Betschon, p. 52) L’auteur donne à réfléchir que, si ce mépris sans pudeur de toutes les valeurs pour lesquelles l’Occident s’est battu pendant des décennies, porte préjudice aux êtres humains au Moyen-Orient en premier lieu, mais à moyen et long terme aussi à la société civile des agresseurs.
L’auteur classe cette politique étrangère de l’Empire, agressive et méprisante pour le genre humain, sur la base de deux principes: le principe d’Etats souverains et le principe du «diviser pour régner». Ce que la génération ayant vécu la guerre froide ne pouvait jamais tenir pour possible, et ce qui rend si difficile un regard clair sur notre présent, c’est le fait que le premier des deux principes, le principe des Etats nations souverains, établi après la guerre de Trente Ans lors de la Paix de Westphalie, ne soit plus représenté aujourd’hui par la démocratie des USA autrefois louée, mais par la Russie autrefois proscrite, pendant que le principe machiavélique du «diviser pour régner», est brandi par George W. Bush et aujourd’hui par le Prix Nobel de la paix Obama. Même si l’auteur ne peut pas vraiment ce réjouir de ce résultat surprenant, il faut reconnaître qu’il présente les faits comme ils sont sans œillères et sans égard pour ses préférences personnelles.
Ce qui avait déjà été visible en 2007, lors de la Conférence de Sécurité de Munich, à savoir que la Russie sous Poutine n’était plus ce pays postsoviétique faible et à exploiter, mais de nouveau une grande puissance, capable et décidée à se défendre, et cela aussi bien économiquement que militairement, est devenu saisissable pour tout le monde lors de la même conférence en 2008: le Premier ministre russe, Sergueï Ivanov, a présenté un pays sûr de lui tout en soulignant que cela ne signifiait pas de nouveaux blocs et confrontations, mais une cohabitation pacifique d’Etats souverains. Alors qu’au camp opposé, le ministre de la Défense des USA, Robert Gates, a présenté le point de vue d’une hégémonie agressive. Avec cela Gates s’est positionné selon le modèle de l’Empire britannique à la Churchill et pas selon celui de Franklin Delano Roosevelt. Ces deux conceptions opposées de la politique, Betschon les fait très bien ressortir: alors que l’Empire britannique présente une politique de conflits et de manipulation, donc le «diviser pour régner», le président des USA d’avant et pendant la guerre a répondu de l’autre modèle de la coopération, celui des nations souveraines. En raison du décès prématuré de Roosevelt, le pur et dur Truman a rejoint la ligne britannique, et ainsi il a déployé, sans aucun égard, la bombe nucléaire.
Même si la politique étrangère avant Truman n’a pas toujours été exemplaire comme présenté ci-dessus, il est tout de même bienfaisant que l’auteur se soustraie au dénigrement antirusse de l’Occident et ouvre de nouvelles manières de voir. Car c’est seulement en remettant en question le spectre russe que la voie se libère pour une coopération des pays européens avec les grandes nations du Proche et de l’Extrême-Orient nécessaire depuis longtemps.
Dans le chapitre «megatrends» [tendances mégas], l’auteur ose émettre quelques pronostics extrêmement passionnants et au fait très convaincants du développement futur: sans se fixer sur une date et un ordre, on pourrait s’attendre aux développements suivants:
1. L’Europe et l’Asie se souderont économiquement sans retour.
2. L’Eurasie développera une politique fédéraliste de commerce, d’extérieur et de sécurité.
3. La notion d’«Occident» deviendra superflue: L’Europe de l’Ouest, l’Amérique du Nord et Israël ne formeront plus une unité.
4. L’Europe continentale s’orientera vers l’Est. L’Amérique du Nord ne sera intéressante plus que pour le commerce.
5. L’UE et l’OTAN devront être reconsidérés et remplacés par quelque chose de nouveau.
Et qu’est-ce qui se passerait si les institutions de Bretton Woods et l’ONU étaient transférées vers le nouveau centre de gravité du monde économique, par exemple à Shanghai? Ou bien si les pays asiatiques arrivaient à la conclusion de ne plus avoir besoin de ces institutions dominées par les Etats-Unis et de pouvoir très bien vivre sans elles et même mieux? Et avec l’Europe, on a déjà cohabité depuis 2000 ans – longtemps avant que le double continent américain ait été défiguré par les Anglo-Saxons? Il a fallu beaucoup de temps dans le soi-disant nouveau monde avant que les blancs se soient arraché une excuse concernant le génocide de la population locale.
Betschon n’est pas sûr que les Européens aient vraiment déjà reconnu les signes du temps et se dirigeront vers l’Asie – néanmoins les Asiatiques viendraient déjà à notre rencontre. Il ne parle pas seulement du tourisme et des boutiques de montres en plein essor à Lucerne et Interlaken, volontiers fréquentées par la classe moyenne chinoise en hausse, mais aussi des investisseurs de Chine et d’Inde qui sauvent de la ruine en Europe de plus en plus d’anciennes marques, comme par exemple le groupe de sociétés indien Tata, qui a repris en 2007 le groupe d’acier britannique Corus, mais aussi les usines d’automobiles Jaguar et Landrover.
Que nous sommes au beau milieu d’un tournant d’époque est évident notamment en Afrique, où de plus en plus d’entreprises chinoises font ce qui a été réservé aux Européens: établir des relations commerciales, effectuer des investissements, exploiter des matières premières – à la différence près que les Chinois sont capables de lier leurs profits à de vrais bienfaits pour les populations locales. Un fait qu’on n’a jamais rencontré dans le colonialisme européen, dans l’impérialisme et dans le néocolonialisme actuel.
Alors que l’Occident fixe plein de méfiance le dragon chinois et se demande s’il fonctionne comme l’aigle américain – sur la base d’un militarisme agressif –, nous ne voyons pas que ce monde s’est mué en un monde rectangulaire: aujourd’hui, il est composé de l’Amérique latine, l’Asie, l’Europe et à part encore les Etats-Unis, sur la touche. A part? Nos médias occidentaux omettent volontiers de nous le dire: de plus en plus de décisions importantes sont prises sans l’unique ancienne superpuissance. Horizons et débats a parlé récemment de cette humiliation à Phnom Pen2. Comme cet événement s’est avéré tout simplement inexistant dans les médias du mainstream occidental, on a dû avoir recours à un article de l’«Asia Times» qui a montré clairement que l’Occident à une longueur de retard sur le développement actuel réel. Il y a eu Obama, qui a été décommandé d’une rencontre des Etats Asean. Les USA qui voulaient créer une fissure entre les Etats asiatiques, avant tout entre les petits et la Chine, se sont retrouvés mis à l’écart. Le monde est devenu autre, tout comme Kishore Mahbubani tente de nous l’expliquer depuis longtemps – aimablement, mais avec fermeté. Et si l’Occident ne veut pas en prendre connaissance, la rupture sera irréversible. Cependant, il serait meilleur pour tous d’avancer ensemble vers le futur. Mais pour cela, l’Occident devrait vivre réellement ses valeurs, en haute estime dans le reste du monde, au lieu de faire une politique d’intérêts impitoyable sous couvert de valeurs affichées.
Betschon cite plusieurs événements qui illustrent ce tournant :
Les dix États de l’Asie du Sud-Est de l’ASEAN – comme on ne les connaît que très peu en Occident, ils seront cités ici: le Brunei, le Cambodge, l’Indonésie, le Laos, la Malaisie, le Myanmar, les Philippines, Singapour, la Thaïlande et le Vietnam –, ces dix États ont créé avec la Chine, le Japon et la Corée du Sud l’Asian Monetary Fund avec les RMB/Yen comme monnaie centrale – un processus qui rendra superflu le FMI dominé par les États-Unis.
La même chose se passe en Amérique du Sud: la fondation du Latin American Monetary Fund a pour résultat que le FMI doit fermer ses bureaux dans les États l’un après l’autre. Le Venezuela donne aux membres les crédits nécessaires pour pouvoir désintéresser le FMI.
En Europe, l’euro, prévu comme alternative au dollar, vit une attaque massive et cela pas depuis la Chine ! Mais il y a aussi la Russie, qui ne danse plus aux sons de Washington : là-bas, peu à peu se font les adieux au FMI et à l’hégémonie du dollar en se fiant davantage aux propres ressources et à l’or.
Ce sont ces processus qui, à long terme, empêcheront les États-Unis, à l’aide de leur planche à billets, de mettre leurs propres dettes sur le dos des autres pays du monde. Avant tout parce que les dépenses pour l’armée doivent être réduites, et que par la suite leur bonne vieille diplomatie de canonnière à la mode des bandes de brigands ne fonctionnera plus.
Une année centrale pour la diminution de l’influence des USA a été l’année 2008: C’est en même temps que l’effondrement de Lehman Brothers qu’ont eu lieu les événements suivants, sans la contribution des États-Unis, trop occupés par leurs propres problèmes :
• À Lima, environ 60 nations se sont rencontrées pour un sommet mondial sur l’alimentation, avec la présence d’Angela Merkel, la Chine, mais sans les USA.
• En même temps se sont réunis les ministres des Affaires étrangères des Etats BRICS à Iekaterinbourg en Russie. Étaient invités le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine. Mais pas les USA.
• Fin mai, le nouveau président russe a effectué son premier voyage à l’étranger. Jadis on allait d’abord aux USA, mais cette fois, la Chine a été la première destination.
• En même temps un sommet important a eu lieu entre le Japon et la Chine – et cela sans les USA, ce qui aurait été impensable auparavant.
Europe : sortir de l’étau des États-Unis, retour aux propres valeurs
Dans cette situation d’un monde s’organisant sans problèmes sans l’Empire, l’Europe se retrouve devant la question de savoir si elle ne devrait pas renouer avec ses valeurs éprouvées, lesquelles avaient été désignées avec mépris par les néoconservateurs américains comme celles d’une «vieille Europe»: cela signifierait, d’un côté, abandonner les idées colonialistes tardives, ensuite respecter la souveraineté des autres Etats et la non-ingérence dans leurs affaires internes – donc faire preuve d’un refus de la stratégie douteuse du R2P, ce concept de «Responsability to protect», en effet, cette responsabilité de protéger, comme Hans-Christof von Sponeck3 l’a démontré, a toujours été utilisée comme prétexte pour intervenir dans d’autres pays pour s’assurer les matières premières et pour garder la Chine à l’écart, comme par exemple au Soudan, en Libye, et presque aussi en Syrie, si la Russie et la Chine n’avaient pas déposé leur «niet» courageux. Ou bien, comme l’a expliqué très clairement le politologue russe Fursov:4 en Syrie, les Croisés occidentaux se sont heurtés au Mur chinois !
Finalement, Betschon conseille à l’Europe de ne pas utiliser de doubles critères de qualité au niveau des valeurs. Il y en aurait déjà assez d’exemples, énumérés dans le livre de Kishore Mahbubani,5 mais aussi dans les exposés du spécialiste en droit international, Hans Köchler,6 qui a entre autre sévèrement critiqué la pratique d’accusation dominée par l’Occident de l’International Criminal Court (ICC).
L’Europe, sur cet ancien et nouveau sol des meilleures traditions occidentales, aurait un allié à l’Est qui comprend déjà aujourd’hui environ un quart de la population mondiale: la Shanghai Cooperation Organisation (SCO). Ses membres que sont la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizstan, la Russie, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan se rencontrent régulièrement dans ce cadre avec des Etats au statut d’observateur, comme la Mongolie, l’Inde, le Pakistan et l’Iran. Celui en Europe qui croit que rien ne peut là se souder ni ne s’accorder devrait reconsidérer sa façon de voir le monde, remontant à l’antiquité euro-centrée. Une frontière intérieure de l’Eurasie n’existe pas réellement du point de vue géographique et géologique, elle n’est qu’historique et culturelle. Mais là aussi, les frontières s’estompent déjà très tôt, rappelons-nous les interdépendances russes avec l’Europe occidentale en ce qui concerne les échanges d’art artisanal, de scientifiques et de gens au sang bleu. Et derrière la Russie, il y a la Chine qui œuvre déjà depuis le milieu des années 1990 à la création de cinq corridors d’infrastructure qui devront relier l’Asie à l’Europe : les chemins de fer en constitueront seulement l’épine dorsale. Betschon souligne que ces corridors de développement, semblables aux anciennes routes de la soie, créent des centres de développement en chaîne perlée avec un fort rayonnement.
Mais qui, dans cette Europe au regard toujours fixé sur les États-Unis, s’en est aperçu ? Le 9 janvier 2008 par exemple, un train pionnier a été mis en route pour la première fois avec des biens pour l’Europe, et cela depuis Pékin. Destination Hambourg ! Un trajet de 9800 km à travers six pays. Le résultat? Arrivée à Hambourg au bout de 18 jours – pour la même destination par voie maritime avec des porte-conteneurs on aurait mis presque 40 jours! Un événement qui ouvre de toutes nouvelles dimensions – et un regard sur la carte de l’Eurasie le montre : qu’est-ce qu’il y a de plus naturel que le renforcement des voies terrestres depuis la Chine vers l’Europe ? L’Eurasie est un continent en soi, une masse territoriale naturellement faite pour constituer une seule et même superficie – ce que l’on ne peut vraiment pas dire de la relation entre l’Europe et les Etats-Unis, séparés par deux océans.
Naturellement, pour l’historien, il y a aussi des souvenirs sombres en ce qui concerne un corridor transeurasien: les pays de l’Europe continentale ont déjà une fois essayé d’établir un lien par voie terrestre avec l’Orient. Qu’on se rappelle le projet du «chemin de fer Berlin-Bagdad». Comme le démontre l’historien Daniele Ganser dans son livre «Europa im Erdölrausch» [L’Europe dans la fièvre pétrolière], on aurait pu transporter de façon peu coûteuse du pétrole depuis l’Irak jusque dans les centres économiques de l’Europe centrale. Et cela sans dépendre de la flotte britannique, donc de l’Empire mondial britannique. Nous savons tous, ce qui est arrivé alors: un petit bout de pays n’était pas intégré dans le pont terrestre germano-habsbourgeois-ottoman: la Serbie. Qu’il y ait eu par la suite ce coup de fusil dans le Sarajevo occupé par l’Autriche – qui devait assurer à la puissance maritime de la Grande-Bretagne le monopole pétrolier au Proche-Orient, et l’on parle là aussi de la Première Guerre mondiale – cela est connu, certes mais peut-être moins connu avec ladite toile de fond sus-mentionnée.
Les pays européens, la Russie et la Chine doivent se tenir sur leurs gardes et empêcher puissance maritime encore numéro 1, les États-Unis, mettent en scène là quelque chose de semblable à ce que firent les Britanniques en 1914. Des essais de déstabilisation par le passé en Ukraine, en Azerbaïdjan, dans les républiques centrasiatiques pourraient être classifiés en prolongement de cet arrière-fond.
Franz Betschon a publié son analyse en 2009. Tout comme von Salis, qu’il vénère, il n’a pas besoin de corriger quoi que ce soit. Au contraire, beaucoup de points problématiques qu’il a cités sont devenus encore plus évidents après trois ans. Que le président Obama ait pu faire admettre Hagl comme ministre de la Défense en dit long: qu’un ministre de la Défense des Etats-Unis mette en garde contre le lobby pro-Israël et aspire à des négociations avec l’Iran, qu’un ministre des Affaires étrangères, John Kerry, visite le Caire, Riad et Doha, mais laisse de côté Tel Aviv, c’est quelque chose. Que maintenant des négociations avec l’Iran soient possibles avec la présence des Etats-Unis, et en même temps aussi la Chine et la Russie, c’est encore autre chose. Que le Premier ministre turc mette sur le même plan le sionisme, le fascisme, l’antisémitisme et l’antiislamisme et les condamne, et se fasse vivement critiquer dans les médias israéliens,7 mais qu’il reste quand-même un allié étroit des Etats-Unis et qu’il veuille, malgré ou bien justement à cause de ces déclarations, adhérer à l’UE, est encore un troisième élément. Qu’un Kenneth Waltz veuille accorder, dans Foreign Affairs de juillet/août 2012,8 la bombe à l’Iran, parce que le monde deviendrait ainsi plus sûr, surtout le Proche-Orient, parce que la puissance nucléaire d’Israël aurait ainsi un adversaire – Israël qui, d’après ce «Grand old man» des sciences politiques américaines, représenterait le danger principal pour la paix dans la région –, voilà qui nous fait dresser l’oreille! Cela sonne un peu comme une stratégie d’échiquier d’un Brzezinski, auquel Betschon se réfère plusieurs fois, mais alors une stratégie de retrait des joueurs d’échec de l’Empire.
Il serait souhaitable pour les habitants de l’Eurasie, mais aussi du Proche-Orient, et cela de quelque nationalité et de quelque appartenance religieuse fussent-ils, que la stratégie chinoise des nouvelles routes de la soie puisse se réaliser et ainsi la cohabitation pacifique économique et politique, et cela sans manœuvres déstabilisatrices transatlantiques. Quels paysages florissants pourraient en résulter, si ce grand continent pouvait se ressouder, comme Kishore Mahbubani ne cesse de répéter. Si les anciens ennemis mortels, Japon et Chine, après les affres de la Seconde Guerre mondiale et après les plus de 30 millions de Chinois tués par les Japonais, peuvent aujourd’hui coopérer paisiblement, pourquoi cela ne devrait-il pas être possible au Proche-Orient? Et pourquoi les Etats-Unis ne devraient-ils pas s’orienter selon le modèle de Roosevelt du respect de la souveraineté des Etats-nations? Vu l’endettement exorbitant, c’est une nécessité de l’heure – et aussi celle du bon sens. Une tâche qui siérait bien au Prix Nobel Obama. Mais l’UE également pourrait se rendre digne de son prix Nobel et enterrer son hostilité en direction de l’Est. La population suisse pourrait alors, dans cette situation confuse et complexe, s’investir comme nation des bons services et vivre son fédéralisme comme exemple d’une cohabitation édifiante et pacifique, et cela sans lorgner du côté des grandes puissances.
Si le livre de Franz Betschon peut diriger pensée, réflexion et action dans cette direction, il s’avérera riche en effets bénéfiques. On lui souhaite un large lectorat, et bien sûr pas seulement en Suisse. •
Tobias Salander, historien http://euro-synergies.hautetfort.com/
1 Franz Betschon: Das eurasische Schachturnier. Krisen, Hintergründe und Prognosen. Frankfurt/Main, 2009. ISBN 978-3-8301-1234-1.
2 David P. Goldman: Un monde sans dominance des USA, né à Phnom-Penh. In: Horizons et débats no 53 du 28/12/12
3 Hans-Christof von Sponeck: La tentative d’appliquer la responsabilité de protéger a lamentablement échoué en Libye. In: Horizons et débats no 18/19
du 7/5/12
4 Frappe contre la Syrie – cible: la Russie. Interview d’Andrej Iljitsch Fursov. In: Horizons et débats no 37 du 10/9/12
5 Kishore Mahbubani: Die Rückkehr Asiens. Berlin 2008. ISBN 978-3549073513
6 Hans Köchler: Weltgericht ohne Weltstaat. Strafjustiz unter dem Diktat der Realpolitik? Kommentar zu Idee und Wirklichkeit des Internationalen Strafgerichtshofes zehn Jahre nach dem Inkrafttreten des Römer Statutes. Vienne, 1/7/12.
http://i-p-o.org/Koechler-ICC-Weltgericht-ohne-Weltstaat-IPO-OP-1July2012.htm
7 At UN conference, Erdogan calls Zionism «crime against humanity». In: Haaretz du 28/2/13.
www.haaretz.com/news/diplomacy-defense/at-un-conference-erdogan-calls-zionism-crime-against-humanity.premium-1.506392
8 Kenneth N. Waltz: Why Iran should get the bomb. Nuclear balancing would mean stability.
In: Foreign Affairs July/August 2012. Ed.: Council on Foreign Relations. Traduction française in:
Horizons et débats no 43/44 du 22/10/12
Dans le chapitre «megatrends» [tendances mégas], l’auteur ose émettre quelques pronostics extrêmement passionnants et au fait très convaincants du développement futur: sans se fixer sur une date et un ordre, on pourrait s’attendre aux développements suivants:
1. L’Europe et l’Asie se souderont économiquement sans retour.
2. L’Eurasie développera une politique fédéraliste de commerce, d’extérieur et de sécurité.
3. La notion d’«Occident» deviendra superflue: L’Europe de l’Ouest, l’Amérique du Nord et Israël ne formeront plus une unité.
4. L’Europe continentale s’orientera vers l’Est. L’Amérique du Nord ne sera intéressante plus que pour le commerce.
5. L’UE et l’OTAN devront être reconsidérés et remplacés par quelque chose de nouveau.
La visite du président russe en Europe la semaine dernière n’a pas seulement été d’une importance capitale, elle a aussi été très lourde de symboles dans le cadre des relations tortueuses entre la Russie et l’Europe.
La visite de Vladimir Poutine en Allemagne a consacré la relation entre les deux pays qui semble se limiter à une fraiche mais fructueuse diplomatie économique. Angela Merkel a haussé le ton sur les ONG puisque notamment deux fondations politiques allemandes: Friedrich-Ebert (proche du SPD) et Konrad-Adenauer (proche de la CDU) ont été perquisitionnées en Russie. Celle-ci a donc ouvertement pris à partie le président russe sur ce sujet sensible, comme elle l’avait fait pour les Pussy Riot (sans obtenir l’effet escompté) ce qui devrait visiblement être aussi le cas dans ce dossier des ONG allemandes, dossier pour lequel on peut douter qu’elle ait trouvé une oreille réceptive en Vladimir Poutine.
La polémique sur les Pussy Riot et les ONG fait suite à un échange un peu sec entre les deux leaders à propos de Chypre, lorsque Vladimir Poutine avait qualifié le plan Merkel “d’injuste, non professionnel et dangereux”.
On s’étonne toujours de voir l’Allemagne donner des leçons de démocratie à ses voisins et peu de gens savent par exemple que la CDU est le parrain politique de partis d’opposition en Ukraine visant à accélérer et pousser le processus d’adhésion de l’Ukraine à l’UE et à la communauté euro-atlantique, au passage en coopération directe avec des fondations oranges américaines comme l’IRI (républicains) et le NDI (démocrates).
Pour ce qui est des ONG, on pourrait demander à la chancelière allemande ce qu’elle dirait si un État étranger, disons la Chine ou la Russie, soutenait financièrement et logistiquement des associations (par exemple Golos) pour se mêler des processus politiques intérieurs de l’Allemagne (voir par exemple ici, la et la). On ne peut que s’étonner du reste que les sponsors de Golos (Usaid, Ned, Iri..) soient les mêmes que ceux du parti Ukrainien précité Udar.
Mais la chancelière Merkel, qui est en précampagne sait parfaitement qu’elle soit se démarquer de son opposition de centre gauche (SPD) qui est beaucoup moins regardante sur les droits de l’homme, le principal opposant à Angela Merkel, Peer Steinbrück ayant récemment affirmé que “Les critères occidentaux de la démocratie n’étaient pas immédiatement transposables à la Russie” ou encore que la Russie est un “partenaire incontournable et qu’il convenait de ne pas l’humilier”.
Un minimum alors que le commerce entre les deux pays a atteint en 2012 un record de 80 milliards de dollars et que la grande dépendance énergétique européenne devrait augmenter via l’Allemagne avec le renforcement du gazoduc North Stream.
En Hollande, l’atmosphère de la visite du président Russe a été on ne peut plus fraiche, et le terme de simple diplomatie économique semble là aussi plus qu’adéquat. Les Pays-Bas sont le premier partenaire économique européen pour la Russie puisque le niveau des échanges entre les deux pays a en 2012 atteint 82,7 milliards de dollars. Pour autant, là encore, le président russe a été accueilli par des questions sur les inspections des locaux d’ONG ou sur les droits des homosexuels, et par une manifestation de collectifs pour la défense des droits sexuels des minorités.
On essaye d’imaginer ce que diraient les autorités hollandaises si elles étaient accueillies à Moscou par des manifestations de russes hostiles aux lois libertaires qui existent en Hollande et permettent par exemple l’existence d’un parti pédophile souhaitant légaliser la pornographie enfantine et la zoophilie.
Doit-on imaginer que les Pays-Bas puissent prétendre sur certains points, et dont celui-là, être un modèle pour le monde? Il faut quand même avouer que sur ce dernier point on est très loin, sur le plan des atteintes aux libertés individuelles, de la loi russe contestée interdisant non pas d’être homosexuel, mais d’en faire la promotion publiquement.
Pendant ces déplacements russes en Europe occidentale qui ont été fructueux au moins sur le plan économique, la Serbie a elle fait un pas de plus vers le bloc russo-centré et l’union eurasiatique (comme annoncé il y a 6 mois dans ma tribune “l’Union Eurasiatique entre deux mondes“), en rejetant l’injonction bruxelloise d’accepter sans discussion l’indépendance du Kosovo. Le pays est ainsi cette semaine devenu le premier état européen et non issu de l’ex-bloc soviétique, à devenir membre observateur de l’OTSC.
Dans le même temps, en parallèle de ce fort rapprochement politique, la Russie a consenti un prêt de 500 millions de dollars à la petite Serbie, confirmé un accord militaire renforcé, étendu le régime de libre échange entre les deux pays, et surtout confirmé prendre en charge le financement du tronçon South Stream qui passera par la Serbie.
Je rappelle que South Stream est un gazoduc russe qui passera sous la Mer Noire en direction de l’Europe, en complément du gazoduc North Stream qui relie la Russie à l’Allemagne en passant sous la Mer Baltique. Ce nouveau tube permettra surtout à la Russie de ne pas dépendre uniquement de l’Allemagne pour l’alimentation énergétique de l’Europe, comme elle dépendait autrefois uniquement de l’Ukraine.
Les relations Russie-UE sont donc visiblement cantonnées à une diplomatie économique stable et sans trop de surprises, maintenue surtout par le haut niveau d’interdépendance économique. La question de la morale, si elle n’interfère pas trop à ce jour dans les relations, reste pourtant le principal point de désaccord.
La Russie, de son côté, cherche toujours à augmenter son niveau d’intégration politique avec ses voisins proches mais aussi avec le bloc orthodoxe.
Une politique dont il conviendra de voir, dans un avenir proche, si elle est payante.
Aperçu des bases juridiques dans lesquelles s’incarnent les Droits de l'Homme, parfois au mépris du politique évincé par le "gouvernement des juges"... Pour leur rendre la dignité qui leur revient, et que l'Église ne leur a jamais déniée, il conviendrait de réintégrer ces droits dans un ordre naturel.
Les Droits de l'Homme ne seraient guère plus qu'une philosophie sans grand intérêt s'ils n'avaient pas pourri le droit international et, tout particulièrement, le droit français. En effet, religion séculière contemporaine, pour exister, ils ont besoin de s'incarner sur des bases temporelles, sur des bases juridiques.
Recherche d'une efficacité
La Déclaration universelle des Droits de l'Homme adoptée le 10 décembre 1948 n'avait alors aucune valeur juridique, en ce sens qu'aucune cour internationale ne pouvait s'y référer pour condamner un État. L'absence d'effet contraignant conduisit les pays membres de l'ONU à signer deux nouveaux pactes en 1966 : le Pacte des droits civils et politiques et le Pacte des droits économiques, sociaux et culturels, distinction requise surtout dans un contexte de guerre froide et d'opposition idéologique forte entre les démocraties libérales et les démocraties populaires.Il n'existe cependant, pour les deux pactes, aucun moyen juridictionnel pour rendre effectifs les droits énumérés. Ils font intervenir des solutions diplomatiques différentes mais peu efficaces pour mettre fin à une violation constatée.
Les États membres du Conseil de l'Europe, issu du traité de Londres du 5 mai 1949, adoptèrent la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales qui entra en vigueur le 3 septembre 1953. Une cour fut instituée en 1959, accessible directement aux particuliers dans le cadre d'une procédure juridictionnelle débarrassée de tout aspect politique ou diplomatique depuis 1998 : la Cour européenne des Droits de l'Homme devenait ainsi une forme de "cour suprême", dont la mission consiste à juger les décisions des juridictions nationales au regard des droits contenus dans la Convention européenne des Droits de l'Homme.
Concernant le droit national, le Conseil constitutionnel, sous la Ve République fondée en 1958, dispose, sous certaines conditions de procédure, d'un pouvoir de contrôle de constitutionnalité de la loi. Le contrôle s'exerce non seulement au regard du corps du texte constitutionnel, mais également, depuis 1973, du préambule de la Constitution de 1946, qui consacre quelques principes sociaux "nécessaires à notre temps" et, surtout, de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789. Cela a introduit une "révolution" dans le contrôle de constitutionnalité, ce dernier ayant été conçu par le général De Gaulle pour empêcher toute hégémonie du Parlement dont le pouvoir était strictement encadré : le Conseil constitutionnel, dès lors, ne se contentait plus de juger les lois d'un point de vue de compétence ou de procédure, mais sur le fond, par rapport à des principes vagues et désincarnés.
La Cour européenne des Droits de l'Homme, quant à elle, a, ces dernières années, adopté une attitude que les juristes qualifient de téléologique voire finaliste. C'est-à-dire qu'elle ne va pas se contenter d'interpréter les droits énoncés simplement en fonction du contenu du texte ; elle va chercher un sens à ce droit, à son évolution.
La démocratie balayée
L'interprétation des juges est également dynamique : la cour s'attribue le droit de juger demain une affaire d'une manière différente d'hier, en se fondant sur l'évolution des mentalités par exemple. La Cour fait aussi appel au droit international et aux droits étrangers pour inspirer ses jugements. Comportement logique de la part d'un juge qui est appelé à émettre un jugement sur le fondement de droits biberonnés de libéralisme et donc vagues, imprécis, ouvrant toutes les portes et interprétations possibles. Ainsi, si la Cour européenne a refusé jusqu'à présent de condamner un État qui refuse l'accès au mariage aux couples homosexuels, ce n'est qu'au motif qu'aucun "consensus" n'était encore établi sur le sujet...
Avec la "droit-de-l'hommisation" du droit, on assiste à une situation étrange où la démocratie est balayée par la "juridictionnalisation" de la politique. En France, le contrôle de constitutionnalité devient peu à peu une arme dont use l'opposition contre la majorité gouvernementale. C'est le droit, dont les Droits de l'Homme sont le sommet de la hiérarchie normative, qui est appelé peu à peu à régir la vie politique sous la forme d'un gouvernement des juges. Aux États-Unis d'Amérique, la Suprem Court est de plus en plus contestée car c'est elle qui tranche, et non plus le débat politique, les grands problèmes de société (vie privée, sécurité, avortement, peine de mort, sexualité...). Et il n'y a pas trop à se réjouir que la démocratie soit ainsi mise à mal puisqu'elle permettait encore un semblant de vie politique là où le droit machiniste, rationnel et désincarné imposera le triomphe du libéralisme - et ce au nom de la démocratie, c'est peut-être bien là le plus cocasse.
Alors que faire ? Il ne s'agit pas de condamner par principe l'idée de "Droits de l'Homme", ni même de se renfermer dans un stupide conservatisme souverainiste contre la Convention européenne. Si l'Église catholique n'a pas condamné la déclaration de 1948, c'est bien parce que « le mouvement vers l'identification et la proclamation des Droits de l'Homme est un des efforts les plus importants pour répondre efficacement aux exigences irréductibles de la dignité humaine. » (1) À méditer au sortir du siècle de 1914, lui-même fils du siècle des "Lumières" qui vit, au nom des idéologies les plus abjectes, des gouvernements massacrer et brutaliser leurs peuples.
Libéralisme
Le problème des Droits de l'Homme ne vient pas de leur internationalisation (La dignité humaine n'est-elle pas universelle ?) ni même forcément de leur juridictionnalisation : c'est l'absence de contrôle qui avait permis aux gouvernements de la République de persécuter catholiques et royalistes durant le début du XXe siècle... Le problème est qu'ils sont imprégnés de libéralisme, parce qu'ils sont sécularisés, détachés de toute référence divine. Aussi, ils ne cherchent pas à tendre vers la Vérité mais vers la "liberté" conçue indépendamment du réel, en toute abstraction. Pourtant, Jean-Paul II n'hésitait pas à le rappeler aux théologiens de la Libération à Mexico : « c'est la Vérité qui rend libre », et non pas la "liberté" qui rend vrai.
La source du mal
Ainsi, l'interprétation courante que font les juges des droits humains est une interprétation tronquée, coupée du réel et du bon sens ; elle tend vers une liberté qui, n'ayant elle-même pas de sens, se propulse vers un infini destructeur. Alors que la liberté, au sens chrétien du terme, intègre l'homme en tant qu'animal politique, membre de corps sociaux, membre d'une famille, d'une patrie, attaché à une identité propre, la liberté des libéraux est une liberté totale, sans attaches, désincarnée et déshumanisée. C'est là la vraie source du mal.
Pour rendre aux Droits de l'Homme la dignité qui leur revient, et que l'Église ne leur a jamais déniée, il conviendra de remettre ces droits dans le bon sens, c'est-à-dire les réintégrer dans un ordre naturel, ou les subordonner aux droits de Dieu, diront ceux qui ont la foi. Pour en finir avec le libéralisme juridique, il faudra bien une théologie du droit. (2)
STÉPHANE PIOLENC L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 4 au 17 décembre 2008
1 - Cf. Concile oeucuménique Vatican II, Décl. Dignitas humanae, 1 : AAS 58 (1966) 929-930. Cité dans le Compendium de l'Église catholique (Conseil pontifical Justice et Paix), éd. Bayard, Cerf et Fleurus-Mame, 530 p., 22 euros.
2 - Juristes et profanes liront avec grand intérêt Jalons pour une théologie du droit par le père Philippe André-Vincent ; éd. Téqui, coll. Croire et Savoir, 356 p., 29,80 euros.
Le monde en 2030 vu par la CIA est un livre qui n’échappera pas, entre autres, aux amateurs de géopolitique.
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