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géopolitique - Page 927

  • La Route des Trolls

    Il me tient à coeur avant de finir cette série de mille billets de pousser à la réhabilitation (de l'absinthe, me dit-on dans l'oreillette). C'est vrai, j'ai gardé la cuiller percée en argent¹ de mon grand-père. De réhabiliter disais-je, la panse de brebis farcie écossaise proposée à Edimbourah sous le doux nom de Haggaisse ! Ouh là là ! "Tout d'abord j'ai cru que c'était de la crotte, puis après y avoir goûté, j'ai regretté que ça n'en fût pas" (Jacques Bodoin, 1958). Nous sommes condamnés au haggis par l'Auld Alliance que l'indépendance prochaine de l'Ecosse peut revivifier. Elle a déjà son site web, très bien fait dit en passant et bien sûr une association active, Le Lien franco-écossais : Auld Alliance, le lien Franco-Ecossais est une association de terrain, jeune et opérationnelle et qui a pour objectif de redonner à l’Auld Alliance ses lettres de noblesse et la place qui lui revient auprès du plus grand nombre, en France, en Ecosse et dans le reste du monde nous dit Patrick Gilles, son président.

    La vieille alliance, scellée en 1165 entre les rois de France, d'Ecosse et de Norvège contre l'Angleterre, a porté fruit de 1296 à 1560, année de sa révocation par l'Ecosse quand les chefs de clans passèrent à la Réforme. Certains effets du traité, comme la double nationalité, perdureront longtemps et le point final de 1906, au moment de l'Entente cordiale, n'en serait pas un². Signalons la compagnie écossaise du siège d'Orléans, la garde écossaise des rois de France, de Charles VII à François II, puis hors-traité, la première compagnie de la garde jusqu'à Charles X, et de nombreux combats ensemble ; signalons aussi le Collège des Ecossais de la rue Cardinal-Lemoine au Quartier latin, en la chapelle duquel repose le cerveau de Jacques II d'Angleterre (Stuart) ; pour finir, rappelons que les deux exils de Charles X furent écossais, à Haly Ruid (Edimburgh), avant que les frimas ne les convainquent de repartir la seconde fois pour l'Autriche. Tout atteste donc de la vigueur de ce lien spécial. La Wikipedia propose un article très complet sur l'Auld Alliance auquel nous vous adressons par ici.

    Bien qu'elle ne soit plus mère des arts, des armes et des lois, la France aurait tout intérêt à chercher un rapprochement avec certains pays du Nord qui ont encore un préjugé favorable à son égard, l'Ecosse et la Norvège en sont, l'Islande aussi. On peut discuter à l'infini de nos intérêts bien compris en Méditerranée ou en Afrique, mais ils nous coûtent finalement beaucoup sans parler de l'énergie diplomatique consommée à entendre chiens et chats, à vouloir sauver des positions indéfendables parce que abandonnées il y a longtemps, faute d'idées et de persévérance, quand ce n'est pas d'intelligence comme aux Echelles du Levant. Certes la pression démographique situe nos problèmes au sud, mais l'avenir de l'Europe est au nord, par le réchauffement climatique (si le GIEC a raison)

    Les trois empires du nord et leurs affidés les plus puissants vont commercer par la route des glaces avant la moitié de ce siècle. Fini le détroit de Malacca, le Bab el-Mandeb, le canal de Suez, le goulet de Gibraltar. Par exemple, le Nordic Barents de l'armement norvégien Tschudi a passé 41000 tonnes de fer vers la Chine par la route du nord-est à l'été 2010, en économisant 4000 milles nautiques. Son boss s'appelle Christian Bonfils. Le Monchegorsk russe a fait l'aller-retour Mourmansk-Shanghai pour du nickel et des diverses en fret retour en 58 jours sans assistance, chargement-déchargement compris. Le port industriel sibérien de Dudinka sur le Ienissei n'est maintenant qu'à vingt jours de mer de Shanghaï jusqu'à l'automne. La Chine veut faire à son tour les deux routes du nord³ pour ne pas être en reste et cet orgueil est bien placé. Les Russes enchantés repeignent les brise-glace. On va avoir besoin de points d'appuis techniques le long de la route jusqu'en Europe occidentale.


    Nous avons des antériorités au nord qui nous permettent de ne pas apparaître comme des intrus, du moins si nous remisons notre arrogance de roquets. Saurons-nous participer à la synergie boréale pleine de promesses ? Faisons feu de tout bois et appuyons-nous par exemple sur l'Auld Alliance pour mettre un pied industriel sur zone. Un seul exemple, un seul ? Creusot-Loire fut longtemps et le demeure peut-être, un producteur reconnu de virures pour brise-glace qu'il pétardait dans un cirque pyrénéen. Plus ? Nous sommes très bons en appareillage nautique et en réparation navale nucléaire, en optique laser et dans tous domaines au service des navires. N'attendons pas que l'Allemagne relance la vieille Hanse avant de proposer des joint-ventures sur des bases logistiques écossaises d'abord, norvégiennes voire islandaises ensuite à nos amis nordiques. Trouvons-nous de vrais ministres à la bonne taille et des industriels trempés. Les Nordmen ne savent pas encore qu'ils nous attendent.

    (1) La fée verte fut interdite en 1915 par la coalition des ligues de vertu, de l'Eglise catholique et des viticulteurs. Rocard a libéré l'absinthe en 1988.
    (2) Le Dr Siobhan Talbott de l'université de Manchester a passé le traité et sa révocation au broyeur de laboratoire en 2011 pour prouver qu'il était toujours en vigueur (clic). Le commerce particulier entre les deux pays fut florissant jusqu'au début du XX° siècle. Ce travail a valu au jeune docteur le Pollard Prize 2011 décerné par l'Institut de la recherche historique de l'université de Londres.
    (3) Les deux routes, Nord-est et Nord-ouest, cheminent respectivement le long des côtes sibériennes et canadiennes

     

  • « La Stratégie du choc/La montée d’un capitalisme du désastre » de Naomi Klein

    Nous sommes tous des ninjas ! Ni indemnités, ni jobs, ni actifs, seulement des dettes.
    Dans cette chronique Michel Geoffroy se livre avec son alacrité habituelle à l’analyse de l’essai de Naomi Klein « La Stratégie du choc/La montée d’un capitalisme du désastre », paru en 2007 au Canada et traduit en français en 2008  : un éclairage profond sur la nature des post-démocraties occidentales.
    Polémia.

    Dans Wall Street : L’argent ne dort jamais, film américain réalisé par Oliver Stone sorti en 2010, l’acteur Michael Douglas incarne un banquier peu scrupuleux qui jette cependant un regard critique sur l’évolution de sa profession… après sa sortie de prison.

    La génération « ninja »

    S’adressant au public venu écouter une de ses conférences il lui lance : vous êtes la génération NINJA. Ce qui veut dire que votre génération n’aura Ni INdemnités, ni Jobs ni Actifs : seulement des dettes à rembourser !
    La formule, qui fonctionne en anglais comme en français, fait mouche car elle résume parfaitement le résultat des politiques néo-libérales mises en œuvre partout dans le monde depuis la fin des années 1970 : l’augmentation des avantages pour les uns – les seuls gagnants du système –, l’appauvrissement pour le reste de la population : aux uns les bonus, les bénéfices, les placements au rendement mirobolant, et les parachutes dorés ; aux autres la baisse des rémunérations, le chômage, la diminution des services publics et des prestations sociales, l’augmentation des impôts, des tarifs et des taxes.
    Si la formule est juste il faut néanmoins la compléter. Car la mise en œuvre de ces politiques régressives suppose aussi une réduction de la liberté des peuples. Les « ninjas » perdent aussi partout leur liberté.
    Telle est la trame de la brillante démonstration que fait l’essayiste Naomi Klein dans son livre La Stratégie du choc/La montée d’un capitalisme du désastre, paru en 2007 au Canada et traduit en français en 2008*, dont on recommandera la lecture.
    Naomi Klein montre en effet que la mise en œuvre des théories néo-libérales de l’école de Chicago dont Milton Friedman fut le pape et qui ont les Etats-Unis pour champion suppose de soumettre la société à un choc préalable destiné à annihiler toute réaction du corps social.
    En effet, le néo-libéralisme friedmanien préconise la déconstruction de tout secteur public, de toute protection sociale et de toute intervention de l’Etat afin de laisser le marché se réguler tout seul : cela a fatalement un coût social élevé en termes de chômage, de baisse du niveau de vie, d’accès aux soins qui risque de provoquer des réactions violentes de la population. Pour s’en prémunir il faut donc appliquer un électrochoc à la société. D’où le fait que la mise en œuvre de ces politiques s’accompagne fatalement d’une certaine violence politique : mise entre parenthèses des parlements, instauration de mesures d’urgence, de dictatures, sidération de l’opinion, par la peur notamment.

    Le néo-capitalisme contre la démocratie

    Naomi Klein nous accompagne ainsi dans un voyage terrifiant qui part du Chili pour se terminer en Irak, en passant par la Russie d’Eltsine, l’Afrique du Sud, l’Indonésie, la Chine, les Etats-Unis d’après le 11 septembre 2001 et bien d’autres pays encore.
    Elle montre que, contrairement à ce que prétend la doxa néo-libérale, démocratie et libéralisme radical ne vont pas de pair : au contraire, ils s’opposent radicalement. Car il faut imposer la potion néo-libérale, sinon les peuples la rejettent.

    Le capitalisme du désastre

    La Stratégie du choc tire aussi son nom du fait que les néo-libéraux en viennent à souhaiter la survenance de crises afin de pouvoir plus facilement imposer leur dogme. Les désastres nourrissent le nouveau capitalisme. Et pour Naomi Klein non seulement les docteurs néo-libéraux exploitent les crises pour imposer leurs idées, mais ils n’hésitent pas non plus à les provoquer s’ils le peuvent.
    L’auteur pointe notamment le rôle plus qu’ambigu joué par les institutions financières internationales – en particulier le FMI et la Banque mondiale –  dans la survenance des crises, ainsi que le chantage qu’elles exercent sur les pays en difficulté financière pour leur imposer la potion néo-libérale : et, au premier chef, des privatisations qui vont procurer de fructueux bénéfices au secteur privé, en particulier américain. Les entreprises en question financent les économistes, conseillers et think-tanks libéraux dans une belle logique d’intégration verticale…

    Le paravent des intérêts marchands

    Naomi Klein montre en effet comment les intérêts marchands privés bénéficient de la doxa néo-libérale. Celle-ci ne serait-elle finalement qu’un rideau de fumée idéologique destiné à justifier la captation par les grandes entreprises privées des actifs publics ? Car cette captation constitue la nouvelle frontière du capitalisme à la fin du XXe siècle qui, comme le montrent les Etats-Unis après le 11 septembre 2001, accède désormais au cœur des missions régaliennes : avec la privatisation croissante des fonctions militaires et de sécurité.
    Cette captation n’améliore en rien le sort du plus grand nombre, au demeurant, puisqu’elle aboutit en général à commercialiser des services plus coûteux.

    Un livre prophétique

    Paru en 2007, c’est-à-dire juste avant la crise des dettes souveraines, le livre de Naomi Klein se veut rétrospectif mais en réalité il apparaît comme terriblement prophétique.
    Comment ne pas songer, en effet, à l’utilisation faite par l’oligarchie de la question de l’endettement public pour sidérer l’opinion européenne et lui imposer une « rigueur » infinie ? Comment ne pas voir que le sort réservé aux Grecs ou au Chypriotes par la « troïka » ressemble à celui des Argentins, des Indonésiens voire des Irakiens ?
    Certes, en Europe on n’utilise pas encore l’armée pour mâter la population récalcitrante comme au Chili ou en Chine. Mais on utilise déjà la police, la peur du chômage, la peur de l’insécurité et la peur de voir les économies de toute une vie partir en fumée. Sans parler du bâillon médiatique et du mépris post-démocratique des électeurs. Les moyens diffèrent, pour un effet de sidération recherché identique.
    Les « ninjas » se voient priver partout de leurs libertés politiques, pour le plus grand bénéfice de l’oligarchie financière et marchande. La collusion entre les intérêts économiques et politiques n’est donc pas accidentelle mais structurelle, consubstantielle à l’oligarchie et à la philosophie qui l’anime.
    Ninjas de tous les pays, unissez-vous !

    Michel Geoffroy http://www.polemia.com
    8/04/2013

     Naomi Klein, La Stratégie du choc/La montée d’un capitalisme du désastre, Actes Sud, collection Babel, sept. 2010, 861 pages.

  • France : pourquoi tant de haine à l’égard de la Russie ?

    Depuis ces derniers mois, il règne en France une solide défiance à l’égard de la Russie. Sans doute parce que certains mouvements protestataires, des Femen aux Pussy Riot, ont décidé de faire de notre pays le théâtre privilégié de leur expression contestataire. Aussi actifs l’un que l’autre au sein de la galaxie féministe, se parant des vertus de la bonne conscience politique, ils ont choisi de porter le fer contre la Russie de Poutine en ciblant plus particulièrement l’église orthodoxe : ses membres bénéficient parmi l’intelligentsia française d’un écho grandissant et ses soutiens, aussi nombreux que complaisants, viennent essentiellement de la gauche morale.

    Dans ce climat antirusse, il n’est guère étonnant d’assister à la multiplication, sur notre sol, d’actes de vandalisme. En février dernier, le monument parisien, honorant le corps expéditionnaire russe ayant combattu en France aux côtés des Alliés lors de la Première Guerre mondiale, a été saccagé dans l’indifférence générale : situé non loin du Grand Palais, cet ouvrage s’est retrouvé maculé de peinture, emmailloté d’une ridicule cagoule et badigeonné du sempiternel slogan « Free Pussy Riot ». Voici quelques jours, un autre symbole parisien de l’amitié franco-russe a été dégradé : deux splendides décorations de bronze qui ornaient jusqu’ici le vénérable pont Alexandre-III ont été dérobées, dans des circonstances qui ne laissent guère planer de doute sur l’origine du larcin…

    Comment expliquer pareil activisme russophobe ? La haine viscérale nourrie à l’égard de la personne et de la politique autoritaire du président Poutine — cultivée ad nauseam par les élites françaises — y est certainement pour beaucoup : ce sentiment profond structure de longue date une opposition idéologique de principe au Kremlin et alimente une permissivité durable à l’endroit de tout ce qui peut, de près ou de de loin, incarner le pouvoir russe sur notre sol. Pour preuve encore de cette hostilité lancinante, le feuilleton symbolique de la construction à Paris, à proximité de la tour Eiffel, de la future église orthodoxe russe : fort du soutien du ministre de la Culture, Bertrand Delanoë vient de retoquer cet édifice emblématique voulu en 2007 par Nicolas Sarkozy et Vladimir Poutine au motif que sa démesure présumée ne s’inscrirait que peu dans le paysage architectural des berges de la Seine…

    Habitués jusqu’à présent aux fortes accolades entre Vladimir Poutine et Jacques Chirac — auxquelles Nicolas Sarkozy devait demeurer fidèle —, nos deux pays doivent désormais constater que le courant ne passe plus entre Paris et Moscou : la saga Depardieu, le dossier syrien mais aussi la condamnation par le Président français du sort réservé aux Pussy Riot sont passés par là. Gageons que le locataire de l’Élysée ne cherchera pas plus à réchauffer en 2013 les relations culturelles franco-russes, notamment lors du centenaire de la création à Paris du Sacre du Printemps, qu’il ne le fit en 2012 lorsqu’il évita consciencieusement de célébrer le souvenir de la campagne de Russie…

    Cette animosité persistante est profondément affligeante et somme toute inopérante : tout en tenant un langage de vérité à l’égard de Vladimir Poutine sur la question de l’État de droit en Russie, l’Allemagne ne parvient-elle pas, en évitant soigneusement de mépriser son partenaire, à mieux doser ses relations avec Moscou, non sans entretenir intelligemment un profitable courant d’affaires ? Question de savoir-faire de la diplomatie allemande, dira-t-on ! Sans doute. Un immense gâchis, à coup sûr, pour les intérêts bien compris de la France.

    Karim Ouchikh dans Boulevard Voltaire

    http://fr.altermedia.info

  • L’OTAN n’amène que la destruction, l’insécurité et la misère. Elle doit être abolie

    Apprécié pour la rigueur et la justesse de ses analyses le sociologue canadien Mahdi Darius Nazemroaya (*), 30 ans, s’est imposé comme un des meilleurs connaisseurs de l’OTAN. Ses investigations, traduites en de nombreuses langues, ont acquis une audience internationale et son ouvrage « The globalisation of NATO » [« La mondialisation de l’OTAN »] fait aujourd’hui référence.

    En 400 pages denses, fascinantes, préoccupantes, il nous fait prendre la mesure de la menace que l’OTAN fait peser sur la paix du monde et l’avenir de nombreux peuples. Il nous fait également prendre conscience de l’urgence qu’il y aurait à obtenir la dissolution de cette dangereuse organisation.

    Silvia Cattori : Dans votre remarquable ouvrage vous mettez en lumière les stratégies mises en place par l’OTAN pour étendre son emprise militaire dans le monde. J’aimerais vous demander ce qui vous a motivé à consacrer tant d’énergie à un sujet aussi ardu et exigeant. Comment en êtes-vous venu à considérer que l’analyse du rôle de l’OTAN et des stratégies qu’elle a mises en place était une tâche absolument essentielle ?

    Mahdi Darius Nazemroaya : Les graines de ce livre ont été semées en 2007. J’avais alors rédigé un petit manuscrit mettant en relation les guerres en Afghanistan et en Irak (qui avaient fait suite aux tragiques évènements du 11 septembre 2001) avec l’expansion de l’OTAN, le projet de bouclier antimissiles états-unien - que je décrivais comme s’étant finalement couvert du manteau d’un projet de l’OTAN, - et le concept de ce que les néoconservateurs et leurs alliés sionistes appellent « destruction créative » pour redessiner la restructuration des pays du Moyen-Orient, et l’encerclement aussi bien de la Chine que de la Russie.

    J’ai toujours considéré que tous les évènements négatifs auxquels le monde est confronté étaient les éléments d’un ensemble ; ou de ce que le savant et révolutionnaire hongrois György Lukács a appelé « totalité fragmentée ». Les guerres en « série », l’accroissement des lois de sécurité, la guerre contre le terrorisme, les réformes économiques néolibérales, les « révolutions colorées » dans l’espace post-soviétique, la diabolisation de différentes sociétés par les médias, l’élargissement de l’OTAN et de l’Union Européenne, et les fausses accusations au sujet d’un programme d’armement nucléaire iranien font partie d’un tout. Un de mes articles publié en 2007 [1], posait également les principales bases de cette feuille de route et reliait tous les éléments de la guerre perpétuelle à laquelle nous assistons.

    J’ai écrit ce livre parce que je pensais que c’était un sujet très important. J’ai lu la plupart des textes de l’abondante littérature concernant l’OTAN et aucun n’examine l’OTAN dans la perspective critique où je me place. De même qu’aucun ne relie l’OTAN de manière pertinente à une « vue d’ensemble » des relations internationales. Un chercheur de l’Université Carleton m’a dit que mon livre était comme une Bible des relations internationales et de tous ses sujets importants. Je vois moi aussi mon livre sur l’OTAN de cette manière.

    Ma principale motivation pour écrire ce livre était d’amener les lecteurs à prendre conscience de la nature impérialiste des conflits internationaux modernes et de les aider à en voir la « totalité » au lieu de ses éléments « fragmentés ». Quand vous voyez l’ensemble, vous êtes en mesure de prendre de meilleures décisions. Je pense avoir donné de l’OTAN une évaluation correcte. Dans sa bibliothèque à Bruxelles il y a un exemplaire de mon livre. C’est l’OTAN elle-même qui a annoncé son acquisition comme l’une des ressources de sa bibliothèque, en novembre 2012. Ce livre est ma contribution, en tant que chercheur, pour essayer de permettre aux lecteurs de prendre des décisions en connaissance de cause en voyant au-delà des effets de miroirs et des éléments fragmentés du tableau.

    Aujourd’hui dans le monde, les gens sont de façon générale plus instruits. Mais malheureusement l’ignorance se répand en ce qui concerne les relations de pouvoir et ce qui se passe dans ce domaine au niveau mondial. Nous entrons dans une ère trompeuse de l’histoire où beaucoup de gens à travers le monde sentent de plus en plus qu’ils ne peuvent rien faire d’autre que d’être des spectateurs impuissants, réduits à n’être que des particules, des rouages, ou des extensions d’une immense machine invisible sur laquelle ils n’ont aucun contrôle.

    Les scénarios du livre de George Orwell « 1984 » se sont pour l’essentiel réalisés. Les gens sont devenus étrangers à leur monde et gouvernés de plus en plus par cette machine capitaliste invisible qui travaille à détruire toutes sortes de façons alternatives de vivre ou de penser ; l’ordre qui s’impose aujourd’hui à nous est comme un resserrement de la « cage d’acier » de Max Weber [2] qui réduit de plus en plus notre indépendance et nos mouvements.

    La plupart des gens regardent maintenant les nouvelles et la télévision passivement. Ils essaient de se distraire de la réalité ; ils tentent d’engourdir leur conscience et de vivre dans un faux état de bonheur qui leur permet d’ignorer la réalité et les misères du monde. Collectivement, nos esprits ont été colonisés, on leur a fait croire à un faux ordre des choses. L’humanité est en train d’être de plus en plus déshumanisée. Peut-être que j’ai l’air hégélien, mais les gens deviennent étrangers à eux-mêmes. Ils deviennent aussi étrangers aux capacités de leur propre esprit et aux talents dont ils ont été dotés. Mais la vérité est que nous ne sommes pas séparés des évènements et des processus qui façonnent ce monde. Nous ne devrions pas devenir les esclaves des objets ou des structures de notre propre fabrication, que ce soit le capitalisme ou les structures politiques. Nous ne devons pas devenir de simples spectateurs de notre parcours de vie.

    L’hégémonie est un processus continu de leadership, de contrôle, et d’influence qui implique à la fois la contrainte et le consentement. Mais son emprise n’est jamais totale et elle peut toujours être combattue. Nous voyons des défis à l’hégémonie dans la construction de blocs historiques qui affrontent les centres de pouvoir impérialistes et capitalistes. Le Mouvement bolivarien d’Hugo Chávez et l’ALBA sont des exemples réussis d’une contestation de l’hégémonie traditionnelle des élites compradores qui gouvernent la région au bénéfice de forces extérieures.

    Silvia Cattori : Un grand chapitre passionnant et troublant de votre livre est consacré à l’Afrique. L’entrée en guerre de la France au Mali n’a pas dû être une surprise pour vous. La déstabilisation de ce pays affaibli, engendrée par l’intervention de la France en Libye, n’ouvre-t-elle pas une grave crise dans tous les pays du Sahel, de l’Atlantique à la Mer rouge ?

    Mahdi Darius Nazemroaya : Dès le début j’ai soutenu que la division du Soudan, l’intervention française en Côte d’Ivoire soutenue par les États-Unis, et la guerre de l’OTAN en Libye, faisaient partie d’une deuxième « ruée vers l’Afrique ». J’ai expliqué que la guerre en Libye visait à déstabiliser d’autres parties de l’Afrique et aurait un effet d’entraînement sur une large partie de ce continent incluant des pays comme le Niger et le Mali.

    Dans mon livre, j’ai examiné le Sahel qui est constitué par les terres intérieures de l’Algérie, du Niger, de la Libye, et du Mali. La guerre de l’OTAN contre la Libye a déclenché une réaction en chaîne, comme une démolition contrôlée, que les États-Unis et leurs alliés utilisent pour contrôler une vaste portion de l’Afrique et de ses ressources. Comme la première « ruée vers l’Afrique » qui a été déclenchée par une crise économique dans les pays industrialisés de l’Europe occidentale, ces évènements concernent en fait le contrôle des ressources. Alors que les États-Unis s’impliquaient davantage en Afrique, son gouvernement et le Pentagone se sont mis à parler de plus en plus de l’expansion des facilités dont disposait Al-Qaïda en Afrique et de la manière dont l’armée américaine et ses alliés devaient combattre cette organisation en augmentant leur présence sur le continent africain. En fait, les États-Unis ont constitué en 2011 un budget pour l’actuelle guerre au Mali sous le couvert de la lutte contre Al-Qaïda en Afrique de l’Ouest. Des intérêts stratégiques comme l’obsession grandissante des États-Unis pour le Golfe de Guinée et l’approvisionnement en pétrole en Afrique de l’Ouest sont occultés dans un récit qui nous parle de la lutte contre les groupes terroristes rangés sous le label d’Al-Qaïda. Nous savons d’expérience que l’Empire américain a en fait travaillé avec ces groupes, aussi bien en Libye qu’en Syrie. Et que l’on cherche à pousser hors d’Afrique la Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil, et d’autres rivaux économiques du bloc occidental, mais on n’en parle pratiquement pas. En lieu et place, on déguise les intérêts des États-Unis et des ses alliés de l’OTAN comme la France, en objectifs altruistes visant à aider des États faibles.

    Pour en revenir au Mali. Je n’ai pas été surpris quand le Président François Hollande et son gouvernement ont ordonné aux soldats français d’envahir ce pays. Aussi bien la France que les États-Unis sont très au fait des réserves de gaz et de pétrole au Mali, au Niger, et dans l’ensemble du Sahel. Mon livre traite de ces points et de la création par le gouvernement français, en 1945, d’un Bureau de recherches pétrolières dans le but d’extraire le pétrole et le gaz de cette région. Quelques années plus tard, en 1953, Paris a délivré des licences d’exploitation à quatre compagnies françaises en Afrique. En raison de ses craintes, à la fois des empiétements américains et des demandes africaines d’indépendance, Paris a créé l’Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS) pour maintenir son contrôle sur les parties riches en ressources de ses territoires africains qui possèdent du pétrole, du gaz, et de l’uranium. L’uranium a été important pour garantir l’indépendance de la France vis-à-vis de Washington par la création d’une force de dissuasion nucléaire stratégique, en riposte au monopole anglo-américain.

    Ce n’est donc pas un hasard si les zones du Sahel que les États-Unis et ses alliés ont désignées comme faisant partie de la zone où Al-Qaïda et les terroristes sont situés correspondent à peu près aux frontières de l’OCRS, riche en énergie et en uranium. En 2002, le Pentagone a commencé d’importantes opérations visant à contrôler l’Afrique de l’Ouest. Cela a eu lieu sous la forme de l’Initiative Pan-Sahel, qui a été lancée par l’US European Command (EUCOM) et l’US Central Command (CENTCOM). Sous la bannière de ce projet de l’armée américaine, le Pentagone a formé des troupes du Mali, du Tchad, de la Mauritanie, et du Niger. Les plans visant à établir l’Initiative Pan-Sahel remontent toutefois à 2001, lorsque l’Initiative pour l’Afrique a été lancée à la suite des attentats du 11 septembre. Sur la base de l’Initiative Pan-Sahel, la Trans-Saharan Counter-terrorism Initiative (TSCTI) a été lancée en 2005 par le Pentagone sous le commandement du CENTCOM. Le Mali, le Tchad, la Mauritanie, et le Niger ont été rejoints par l’Algérie, le Maroc, le Sénégal, le Nigeria, et la Tunisie. La TSCTI a été transférée en 2008 au commandement de l’AFRICOM récemment activé. Il faut relever que le capitaine Amadou Sanogo, le leader du coup d’État militaire qui a eu lieu au Mali le 21 mars 2012, est l’un des officiers maliens qui ont été formés dans le cadre de ces programmes américains en Afrique de l’Ouest.

    L’analyse du coup d’État de 2012 au Mali montre qu’il s’agit d’un acte criminel. Le coup d’État militaire a renversé le Président Amadou Toumani Touré sous prétexte qu’il ne pouvait pas restaurer l’autorité malienne sur le nord du pays. Le Président Amadou était sur le point de quitter son poste et n’avait pas l’intention de rester dans la vie politique, et les élections allaient avoir lieu dans moins de deux mois. Ce coup d’État a essentiellement empêché une élection démocratique d’avoir lieu et l’action du capitaine Sanogo a mis fin au processus démocratique au Mali et a déstabilisé le pays. Sa nouvelle dictature militaire a été reconnue par l’OTAN et par le gouvernement installé en Côte d’Ivoire par les Français. Les États-Unis ont continué à financer le gouvernement militaire du Mali et des délégations militaires et civiles des États-Unis et d’Europe occidentale ont rencontré le régime militaire de Sanogo. Peu après, la France a déclaré qu’elle avait le droit d’intervenir en Afrique partout où ses citoyens et ses intérêts étaient menacés. C’était autant de préliminaires.

    Les armes qui sont utilisées au Mali et au Niger aussi bien par les groupes terroristes que par les tribus touaregs sont liées aux actions de l’OTAN en Libye. Plus précisément ces armes viennent des arsenaux libyens pillés, et des armes envoyées en Libye par les Français, les Anglais et les Qataris. L’OTAN a eu un rôle direct dans ce domaine et l’on sait que les Français ont soudoyé les groupes touaregs et ont contribué à les armer et à les financer durant la guerre contre la Libye. Du reste, en Afrique, les Français ont toujours manipulé les Touaregs et les Berbères contre d’autres groupes ethniques à des fins coloniales.

    Par ailleurs, les tensions entre le Soudan et le Sud-Soudan sont attisées. La région soudanaise du Darfour et la Somalie sont toujours des points chauds. Tout cela fait partie d’un arc africain de crise qui est utilisé pour restructurer l’Afrique et l’englober dans les frontières du bloc occidental.

    Silvia Cattori : Quand sous l’impulsion du président Sarkozy, après 33 ans de retrait, la France est revenue dans le commandement militaire de l’OTAN, il n’y a eu aucune protestation. N’est-ce pas le signe que les citoyens ignorent, que cette organisation menace l’humanité et que l’appartenance de leur pays à l’OTAN implique sa subordination à la politique étrangère belliciste de Washington et la perte de sa souveraineté ?

    Mahdi Darius Nazemroaya : Je pense que ce que le Président Sarkozy a fait en réintégrant la France dans le commandement militaire de l’OTAN est largement le reflet d’un consensus au sein de la classe politique française. Je sais qu’à Paris de nombreuses voix politiques l’ont critiqué, mais si au sein de la classe politique française l’opposition avait été intransigeante, elle aurait pu faire beaucoup plus que parler. Aujourd’hui, les membres de l’establishment politique français, aussi bien à « gauche » qu’à « droite », se battent entre eux pour savoir qui va le mieux servir les centres impérialistes et capitalistes à Washington et à New York. L’establishment politique français ne fait pas cela parce qu’il est particulièrement pro-américain, mais parce qu’il est au service du système mondial corrompu qui sert lui-même le capitalisme global dont le centre en voie d’affaiblissement est aux États-Unis. Ainsi, nous avons aussi besoin de réévaluer ce qu’est l’anti-américanisme, ou d’où proviennent et ce que représentent en fait les sentiments anti-américains.

    De larges segments de l’élite de l’Europe occidentale sont au service de ce système mondial parce que leurs propres intérêts y sont investis et y sont liés. Comme les États-Unis sont en voie d’affaiblissement et en lutte pour maintenir leur primauté mondiale en tant que centre du capitalisme, de la régulation et de l’accumulation capitaliste, ils vont de plus en plus déléguer leurs missions impériales à des pays comme la France. On verra également davantage de compromis entre les États-Unis et des pays alliés comme la France et l’Allemagne. Il s’agit là d’une décentralisation dialectique du pouvoir des États-Unis visant à renforcer l’hégémonie du système mondial et à maintenir l’Empire américain par délégation. Il faut noter que ce système capitaliste mondial est fragmenté en blocs, raison pour laquelle nous voyons des rivalités entre les États-Unis, la Chine et la Russie.

    De façon générale, la majorité des citoyens dans de nombreuses sociétés sont de plus en plus passifs vis-à-vis des décisions de leurs gouvernements et de leurs dirigeants. C’est le reflet d’un sentiment croissant d’aliénation, de détachement et d’impuissance qui a transformé les êtres humains en marchandises et en objets. Cela fait partie du resserrement de la « cage d’acier » dont je parlais plus haut, en termes weberiens.

    Silvia Cattori : La France a été au commencement, avec le Qatar, le principal « parrain » de la déstabilisation de la Syrie [3]. La Chine et la Russie ont empêché par leurs vétos l’adoption d’une résolution du Conseil de sécurité qui aurait autorisé une intervention militaire de l’OTAN comme cela a été le cas en Libye. Mais on peut se demander si les pays de l’OTAN et leurs alliés arabes ne sont pas en train de réaliser leur plan de déstabilisation de la Syrie par d’autres voies ? Et pensez-vous que la Chine et la Russie pourront durablement contenir l’OTAN tant que les pays émergents n’auront pas leur mot à dire et les moyens d’imposer un véritable multilatéralisme au Conseil de sécurité ?

    Mahdi Darius Nazemroaya : En premier lieu, il faut voir que les évènements en Syrie font partie d’une guerre par procuration menée par les États-Unis, l’OTAN, Israël et les dictatures arabes (comme l’Arabie Saoudite), contre la Chine, la Russie, l’Iran et leurs alliés. Deuxièmement, quand on considère les évènements en Syrie d’un point de vue international, on devrait penser à la Guerre civile espagnole qui a éclaté avant la Deuxième guerre mondiale. De même, on peut considérer les évènements en Libye et en Afrique, et peut-être les invasions antérieures de l’Afghanistan et de l’Irak, en pensant à l’invasion de la Chine par le Japon ou l’invasion de la Tchécoslovaquie par l’Allemagne avant la Deuxième guerre mondiale. Cela ne signifie pas que la Syrie ou ces évènements soient nécessairement le prélude à une Troisième guerre mondiale, mais ils ont le potentiel d’allumer un vaste incendie au niveau mondial — à moins que l’on ne pense que tous ces évènements font déjà partie de la Troisième guerre mondiale.

    Les thèses de Giovanni Arrighi sur les cycles systématiques d’accumulation dans le « système-monde » peuvent nous aider à trouver une base de réflexion. Son travail est important parce que nous pouvons l’utiliser pour lier entre eux, de la Syrie à l’Afrique, les éléments dont nous parlions en termes de « totalité fragmentée » constituant le système mondial. Les cycles d’accumulation étudiés par Arrighi se rapportent à des périodes de temps qui s’étendent sur une centaine d’année ou plus, durant lesquelles le centre du capitalisme dans le système mondial se situe dans un lieu géographique ou un pays donné. Ses thèses sont fortement influencées par les travaux du savant français Fernand Braudel sur l’expansion du capitalisme. Pour Arrighi ces centres d’accumulation ont été les pouvoirs hégémoniques du système mondial en expansion. À la dernière étape de chaque cycle, les capitalistes déplacent leurs capitaux de ces centres dans d’autres endroits et finalement dans le nouveau centre capitaliste qui a émergé. Ainsi, chronologiquement, le pouvoir hégémonique du système mondial a été transféré de la ville-État italienne de Gênes aux Pays-Bas, puis en Grande Bretagne et, finalement, aux États-Unis. Le déplacement géographique du centre du système mondial se produit au cours d’une période de crise, au moins pour les anciens centre capitalistes, et dans un court laps de temps. Nous en arrivons aujourd’hui à la Chine. Ce qui se passe est que le centre du capital est sur le point de sortir des États-Unis. Si l’on suit la tendance soulignée par Arrighi, alors le prochain centre d’accumulation capitaliste du système mondial sera la Chine. Toutefois d’autres scénarios ne sont pas à écarter, comme une direction globale de toutes les principales puissances capitalistes. En me référant aux travaux d’Arighi, je veux dire ici que nous avons affaire à un système capitaliste mondial qui inclut la Chine et la Russie. Ni les États-Unis ni la Chine ni la Russie ne veulent perturber ce système. Ils sont en compétition pour en devenir le centre d’accumulation capitaliste. C’est pourquoi aucune des parties ne veut une guerre directe. C’est pourquoi les Chinois n’ont pas utilisé la dette étrangère américaine pour dévaster l’économie des États-Unis ; la Chine souhaite voir un transfert ordonné du centre d’accumulation depuis les États-Unis.

    La Chine et la Russie ne changeront pas leurs politiques et leurs positions sur la Syrie ou l’Iran, mais elles veulent éviter une guerre qui perturbe le système capitaliste mondial. Bien sûr, les États-Unis essaient de maintenir leur position en tant que centre du système mondial, par la force brute, ou en impliquant leurs alliés et vassaux dans leurs opérations impérialistes, comme au Mali et en Libye.

    Silvia Cattori : Vous consacrez un long chapitre (p 67 à 113) à l’intervention de l’OTAN en Yougoslavie. Pouvez-vous résumer pour nos lecteurs ce à quoi cette guerre, qui a démembré un pays et généré tant de souffrances, devait aboutir ?

    Mahdi Darius Nazemroaya : Le démantèlement de la République fédérative socialiste de Yougoslavie a été une étape importante pour ouvrir les portes d’une expansion vers l’Est de l’OTAN et de l’Union Européenne. Il a ouvert la route pour la marche vers les frontières de la Russie et de l’ex-Union soviétique. L’ex-Yougoslavie était aussi un obstacle majeur vis-à-vis du projet euro-atlantique de l’OTAN et de l’UE en Europe. En outre, la guerre de l’OTAN en Yougoslavie a permis de préparer la logistique des guerres en Afghanistan et en Irak.

    Silvia Cattori : Denis J.Halliday [4] écrit dans la préface de votre ouvrage : « L’OTAN n’amène que la destruction, la pauvreté, l’insécurité et la misère. Elle doit être abolie ». Quand on sait qu’il n’y a aucun mouvement qui s’oppose à la guerre, que des ONG comme Amnesty, HRW, MSF, MDM, prennent le parti de l’ingérence militaire des grandes puissances, comme on l’a vu en ex-Yougoslavie, au Soudan, en Libye, en Syrie, que peut-on suggérer à toute une jeunesse en quête de justice et désireuse d’agir pour un monde meilleur ? Que peuvent faire concrètement les peuples européens contre la machine destructrice de l’OTAN ?

    Mahdi Darius Nazemroaya : Comme je l’ai dit, nous en sommes arrivés à la situation décrite par George Orwell dans son roman “1984”. Amnesty International, Human Rights Watch, et une grande partie des ONG de l’industrie humanitaire sont des outils de l’impérialisme pratiquant les deux poids deux mesures. Les organisations d’aide étrangère sont profondément politiques et politisées. Cela ne signifie pas que tous leurs employés soient de mauvaises gens qui ne veulent pas aider le monde. Bon nombre de leurs employés et des bénévoles sont des gens estimables ; ils ne comprennent pas tous les faits et ils ont de bonnes intentions. Ces gens ont été trompés ou aveuglés par la pensée de groupe institutionnelle. Leurs esprits devraient être débarrassés de tous les préjugés et de la désinformation dont ils ont été nourris ; une véritable tâche de dévouement.

    Les citoyens des pays de l’OTAN doivent travailler à se positionner eux-mêmes pour informer leurs sociétés respectives sur l’OTAN et finalement les influencer pour qu’elles se retirent de cette organisation. Cela peut être fait de diverses manières. Mais cela commence par une compréhension de ce qu’est l’OTAN et une connaissance non censurée de son histoire.

    Je ne suis pas une autorité morale ou un stratège. Se maintenir soi-même sur la bonne voie est déjà un défi assez difficile, je pense. Je n’ai aucun droit à pontifier sur la façon dont les gens devraient vivre. Je vais toutefois vous dire ce que je pense personnellement. À mon avis, le plus gros problème pour beaucoup de gens est qu’ils veulent changer le monde à une beaucoup trop grande échelle sans s’attaquer aux problèmes immédiats dans leurs propres vies. Je trouve que la meilleure manière de changer le monde est de commencer par de petits pas dans notre vie de tous les jours. Je parle ici d’ « échelle » et pas de « changement graduel » ou de « rythme ». Faire un monde meilleur commence par votre environnement immédiat. Le changement commence avec vous-même et ceux qui vous entourent, tout comme le devrait la charité. Imaginez si la plupart des gens faisaient cela ; le monde serait changé par petites étapes qui aboutiraient collectivement à un changement monumental. Rien de tout cela ne peut non plus se faire sans patience et détermination, et je souligne encore une fois qu’action et connaissance ne devraient pas être séparées. Je ne sais que dire de plus.

    Silvia Cattori : En mettant ensemble les pièces du puzzle vous démontrez magistralement dans votre livre comment ces guerres en série, menées sous des prétextes humanitaires, s’inscrivent dans une stratégie de « destruction créative » conçue par « les néoconservateurs et leurs alliés sionistes », et comment – de la Yougoslavie, à l’Afghanistan, à l’Irak et à la Libye – elles sont toutes liées. Des personnalités de premier plan, comme l’ancien Secrétaire général adjoint de l’ONU Denis J. Halliday qui a préfacé votre ouvrage, vous donnent entièrement raison : l’OTAN est bel et bien le principal danger pour la paix du monde. Mais vous savez qu’en Europe, notamment dans les pays où, comme en France, les organisations juives ont une forte emprise sur les politiques et les médias, dénoncer la stratégie des néoconservateurs et de leur allié Israël [5], ou dénoncer les révolutions colorées suffit à vous faire cataloguer comme « théoricien du complot » et à vous écarter du débat. Que peut-on faire à votre avis pour modifier cette désespérante situation ?

    Mahdi Darius Nazemroaya : Mon expérience (au Canada) est différente. On ne m’a jamais qualifié de théoricien du complot. Je pense que la censure des médias et le mépris systématique sont des tactiques clés utilisées contre ceux qui remettent en question le récit dominant ou les opinions énoncées par les forces hégémoniques qui dominent la société. L’objectif visé en diabolisant des personnes ou des groupes sous le qualificatif de « théoriciens du complot » est de les discréditer et de les neutraliser. Cela se produit généralement quand ils ont beaucoup attiré l’attention et quand ils ont aussi quelques idées fausses qui peuvent être ridiculisées et liées à leurs positions. Néanmoins, ceux qui se voient qualifiés de théoriciens du complot ne devraient pas laisser cette accusation les dissuader de maintenir leurs positions et de continuer à s’adresser aux gens. Car la démoralisation fait partie de la tactique utilisée pour réprimer les points de vue et réflexions « dérangeantes ».

    Les groupes et les lobbies sionistes ont une présence forte et disproportionnée dans le domaine politique et dans les médias de plusieurs pays, mais il faut reconnaître qu’ils ne sont pas homogènes et qu’ils ne sont pas les seuls facteurs influents ; ils font partie d’un bloc d’intérêts pour qui il est important d’empêcher qu’un discours critique n’ébranle les forces hégémoniques qui dominent aujourd’hui la société. Et les lobbies sionistes ne sont pas tous liés à Israël. Il arrive qu’un groupe sioniste travaille à introduire et à imposer à Israël des projets externes. Les motivations de ces groupes ne sont pas toutes les mêmes, mais elles font partie du programme dominant qui s’est développé en ce que les renommés sociologues Giovanni Arrighi et Immanuel Wallerstein ont appelé « système-monde » [ou « économie-monde »].

    À mon humble avis, être entendu est la chose la plus importante. Internet et les réseaux sociaux ont contribué à ce processus. Je pense que, pour être entendu, il est également important de proposer des analyses rigoureuses et bien articulées. C’est une tâche difficile qui doit être accomplie, et qui fait partie d’un processus culturel plus large incluant l’éducation et la rééducation. Modifier les forces hégémoniques dominant la société ne peut se faire qu’en établissant de nouveaux courants de pensée pouvant contester leur hégémonie. La critique ne suffit pas non plus, une alternative et un meilleur programme doit être articulé et proposé. La critique en elle-même est inutile si l’on n’offre pas parallèlement un programme alternatif. Pensée et action doivent également être liées dans un processus pratique.

    Silvia Cattori : Votre livre va-t-il être traduit en français ? A-t-il eu la couverture médiatique lui permettant de toucher un large public ?

    Mahdi Darius Nazemroaya : Mon livre devait être traduit en français en trois volumes par un éditeur en France, mais malheureusement l’accord a fait long feu. En notre temps où la durée d’attention s’amenuise, peu de gens sont intéressés à lire un livre de plus de 400 pages. Très peu d’attention lui a été accordée de la part des grands médias. Il y a plusieurs mois, Le Monde Diplomatique à Paris a contacté mon éditeur aux États-Unis, ainsi que la maison qui le diffuse en Grande Bretagne, pour leur demander l’envoi d’un exemplaire. Je ne sais pas si Le Monde Diplomatique a réellement l’intention de faire une recension d’un livre aussi critique et, très honnêtement, je ne m’en soucie pas vraiment.

    Mon ouvrage a eu de bonnes critiques disant que c’est un livre à lire absolument. Il est diffusé dans les universités et les collèges. On en trouve des exemplaires dans les bibliothèques de diverses institutions comme l’Université de Harvard et l’Université de Chicago. Il est référencé à la Haye et dans la prestigieuse collection de la Bibliothèque du Palais de la Paix aux Pays-Bas qui tient à jour les livres relatifs aux lois internationales. Sur Amazon au Royaume Uni, il est classé comme l’un des meilleurs livres sur l’OTAN et je crois qu’il est en train de prendre un bon départ.

    Mahdi Darius Nazemroaya/Silvia Cattori http://www.voxnr.com

    notes :

    (*) Mahdi Darius Nazemroaya est un sociologue interdisciplinaire, auteur primé, et analyste politique connu. Il est chercheur au Centre de recherche sur la mondialisation à Montréal, collaborateur expert de la Strategic Culture Foundation à Moscou, et membre du Comité scientifique de la revue de géopolitique Geopolitica, en Italie.

    [1] Publié d’abord sous le titre « La mondialisation de l’OTAN » puis sous le titre modifié « La mondialisation de la puissance militaire : l’expansion de l’OTAN » . Cet article a été traduit en de nombreuses langues, y compris en arabe par la chaîne qatari d’information Al-Jazeera.

    [2] La « cage d’acier » (ou « cage de fer ») est un concept sociologique introduit par Max Weber qui se réfère à la rationalisation accrue de la vie sociale, en particulier dans les sociétés capitalistes occidentales. Ainsi la « cage d’acier » enferme les individus dans des systèmes fondés uniquement sur l’efficacité, le calcul rationnel et le contrôle.

    [3] Voir :
    - « Gérard Chaliand dit quelques vérités sur la Syrie » :
    http://www.silviacattori.net/article3350.html
    - « Syrie : Les victimes de l’opposition armée ignorées » :
    http://www.silviacattori.net/article3416.html

    [4] L’Irlandais Denis J. Halliday a passé une bonne partie de sa carrière auprès des Nations Unies, impliqué dans des actions d’aide humanitaire. En 1997, il fut nommé Sécrétaire général adjoint et directeur du programme humanitaire en Irak. Un an plus tard, après 34 ans de service au sein des Nations Unies, Halliday a annoncé sa démission en raison des sanctions économiques imposées à l’Irak, qu`il a qualifiées de « génocide ». En 2003, il a reçu Le Gandhi International Peace Award. Depuis son départ des Nations Unies, Denis Halliday a participé de manière active dans plusieurs actions contre la guerre et les crimes contre l’humanité. Il est présentement membre de l’Initiative de Kuala Lumpur en vue de « criminaliser la guerre ».

    [5] Par exemple, en France l’écrivain Israël Shamir a été accusé en 2003 d’antisémitisme par Olivia Zemor, Nicolas Shahshahani et Dominique Vidal parce qu’il disait qu’Israël et le « lobby juif » aux Etats-Unis avaient joué un rôle prépondérant dans l’entrée en guerre contre l’Irak ; ce qui devait aboutir au renversement du régime de Saddam Hussein (l’un des derniers leaders arabe qui refusait de reconnaitre l’Etat juif d’Israël), à démembrer l’Irak pour assurer la « sécurité d’Israël ».

  • Les BRICS, l'Union transatlantique et l'Algérie

    Les BRICS, l'Union transatlantique et l'Algérie L'actualité internationale est brûlante. Ces jours-ci, Alger vit au rythme des visites des hauts responsables occidentaux. Tout a l'air de se confondre autour de nous. Tout a l'air de se rejoindre quelque part.

    Au Mali, les puissances internationales se disputent l'uranium, l'or et le pétrole. Du côté syrien, la crise perdure.

    Les Américains et les Russes n'ont pas réussi à trouver un terrain d'entente à cause des sionistes et leurs subordonnés qui ne veulent pas entendre parler de la paix. Concernant le dossier nucléaire iranien, l'Iran refuse toujours de se soumettre aux diktats des Etats-Unis. La Chine et la Russie apportent leur soutien sans faille au gouvernement d'Ahmadinejad. Quant au conflit israélo-palestinien, rien de spécial, les enfants palestiniens se cachent pour mourir et les colonies israéliennes foisonnent dans les territoires occupés. A côté de cela, la crise financière s'amplifie comme une boule de neige, désormais le dollar et l'euro ne sont plus considérés comme des monnaies fortes.

    Il y a des signes ne mentent pas. Le monde est en plein mutation. Bientôt, il sera divisé en deux mégapoles politico-économiques les BRICS et l'Union transatlantique.

    Le BRICS

    Le sommet des BRICS (26-27 mars 2013) ne laisse aucune ambigüité sur les ambitions du Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud. « C'est fait », a annoncé le ministre sud-africain des finances avant la réunion des cinq chefs d'Etat. La banque de développement des BRICS est née en Afrique du Sud. Cette institution est censée concurrencer le FMI. Dotée d'un capital de 50 milliards de dollars, elle est destinée à financer les projets d'infrastructures dans le monde entier, ce qui représente une réelle alternative à l'hégémonie du FMI.

    La construction d'une banque qui rivalise avec le Fond Montataire International imposera une nouvelle donne. Certainement, les Etats-Unis n'accepteront jamais une perte significative sur la scène internationale. D'ailleurs, ils ont anticipé les choses. En s'attaquant aux alliés de la Russie et la Chine, les Américains veulent, avant tout, chasser les Russes des points de passages stratégiques et priver les Chinois des ressources naturelles. Le démantèlement de la Syrie par la CIA éliminera la Russie du bassin méditerranéen et privera les Chinois d'une importante source d'énergie. Selon le site d'information voltairenet.org : « Les réserves pétrolières prouvées de la Syrie, d'un montant de 2,5 milliards de barils, sont plus importantes que celles de tous les pays environnants à l'exception de l'Irak. » Cette estimation a été faite par l'agence de statistique américaine, l'EIA (Energy Information Administration). A l'heure qu'il est, les Syriens peuvent encore compter sur les Russes. A la fin du mois de mars, les djihadistes appuyés par la Turquie et le Qatar ont intensifié leurs opérations en Syrie. Vladimir Poutine n'a pas tardé à exprimer soutien à Bachar Al-Asad. Dès son retour d'Afrique du Sud, le président russe a lancé des manouvres militaires dans la mer Noire. Visiblement, l'axe sino-russe est déterminé à en finir avec la dictature étasunienne. Pour rappel, les BRICS représentent 40 % de la population mondiale et 20 % du PIB planétaire.

    L'UNION TRANSATLANTIQUE

    Tous les économistes s'accordent à dire que les économies européenne et étasunienne sont préoccupantes. En 2012, le taux de chômage dans l'union européenne a atteint 12% chez la population active, 23,9% chez les moins de 25 ans. La croissance économique est restée très faible, parmi les 27 Etats membres, seuls neuf ont enregistré une croissance de plus de 1% du produit intérieur brut (PIB). Aux Etats-Unis, le taux de chômage réel est de 20%. Le PIB américain a enregistré une augmentation dérisoire de 0,4% au cours des trois derniers mois de 2012, selon les organismes de statistiques.

    C'est dans ce contexte que les mondialistes (partisans du gouvernement mondial) interviennent pour présenter l'Union transatlantique comme un remède à tout. Le mois de février, Barack Obama avait annoncé que l'administration étasunienne et la commission européenne s'apprêtent à lancer des négociations en vue de créer une zone de libre-échange entre les États-Unis et l'Union Européenne. Lors de sa dernière visite en France, le secrétaire d'État des États-Unis John Kerry se voulait rassurant sur certains points : « Je sais qu'il y a des craintes à certains endroits. Je sais qu'il existe une dimension géographique de certains produits fabriqués en France et j'y attache de la valeur. Il y a des raisons pour lesquelles le Roquefort est le Roquefort ou le Champagne est le Champagne. Nous le comprenons. »

    Tout le monde sait très bien que lorsque les Etats-Unis rassurent un pays, il peut s'attendre au pire. En fait, une Union transatlantique profite exclusivement aux entreprises américaines qui souhaitent inonder le marché européen avec des produits de qualité à prix imbattable. L'Empire américain veut phagocyter l'Union européenne ni plus ni moins. En créant l'Union transatlantique, les Etats-Unis sauveront le dollar moribond et réussiront à faire face aux BRICS. L'Oncle Sam aura fait un grand pas vers l'édification du gouvernement mondial.

    Afin de pouvoir résister à la dictature mondialiste, les pays en voie de développement doivent faire leur choix dès maintenant. Un pays comme l'Algérie doit être ambitieux. L'Etat algérien ne doit pas se contenter de multiplier les relations commerciales avec les BRICS, mais fixer comme objectif l'adhésion au groupe des cinq pays émergents. Il faut réunir tous les efforts pour passer à une économie créatrice de richesse. Ne posons pas trop de questions idéologiques. Etant donné que les islamistes ont fait banqueroute aux pays arabes et que les laïcards ont déclaré faillite en Europe, parions uniquement sur le nationalisme algérien.

    Belhaouari Benkhedda http://www.voxnr.com

    source : http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5181607

  • La Russie est devenue un modèle alternatif fondé sur les valeurs traditionnelles

    Entretien d’Alexandre Latsa avec Xavier Moreau

    Il est souvent difficile de bien comprendre les bouleversements qu’a connus la Russie, depuis la chute de l’URSS jusqu’à nos jours. Vu de l’extérieur et notamment d’Europe, l’histoire de ce jeune pays européen qu’est la Russie ressemble à un puzzle chaotique et dénué de toute logique.

    Pourtant, l’auteur de “La Nouvelle Grande Russie”, qui dirige également l’antenne russe du Think-tank français Realpolitik TV, a choisi de présenter l’histoire russe en fonction de dates clefs, démontrant ainsi que les événements importants qui ont fait l’histoire récente de la Russie sont en réalité des maillons constitutifs d’un seul et même processus. Un processus ayant abouti au redressement spectaculaire que le pays continue de connaître aujourd’hui.

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    Xavier Moreau bonjour ! Pourriez-vous vous présenter ?

    Je suis un ancien officier saint-cyrien, j’ai servi dans les parachutistes. J’ai suivi également un cursus universitaire puisque je suis doctorant spécialisé sur les relations soviéto-yougoslaves pendant la guerre froide, sous la direction de Georges-Henri Soutou. J’ai travaillé sur les archives soviétiques et yougoslaves.

    J’appartiens à ce que j’appelle “l’Ecole historique française” dont le fondateur est Jacques Bainville et qui met en évidence les tendances lourdes ainsi que l’enchainement logique des évènements. L’Histoire y est décrite comme le laboratoire de la Politique. C’est une analyse au sein de laquelle les considérations morales n’interviennent pas et qui place l’intérêt suprême de la Nation au centre de la réflexion. Cette Ecole a été “modernisée” par Aymeric Chauprade, qui a donné ses lettres de noblesses à la “Géopolitique française”. Il a fait de cette pseudo-science anglo-saxonne et germanique, qui visait avant tout à justifier l’impérialisme et le racisme inhérents à ces deux civilisations, une science rigoureuse et logique.

    J’essaie donc de m’inscrire dans cet héritage intellectuel.

    Qu’est ce qui vous a poussé à écrire ce livre sur la Russie de 1991 à aujourd’hui ?

    La Russie est devenue un modèle alternatif fondé sur les valeurs traditionnelles

    La nouvelle grande Russie

    Aymeric Chauprade m’avait toujours encouragé à écrire sur la Russie contemporaine, j’ai donc sauté sur l’occasion lorsque les éditions Ellipses m’ont proposé de participer à leur collection “Dates clés”.

    Pourquoi avoir choisi d’analyser la Russie selon des dates clefs? Selon des événements clefs ?

    En fait la collection fonctionne selon ce principe, que je trouve excellent, car il oblige à être synthétique et à identifier les évènements réellement fondateurs, tout en en cherchant les causes profondes.

    Vous affirmez que le redressement russe, “le miracle russe” comme vous dites, est en grande partie due aux décisions de l’élite politique du pays plus qu’à un heureux concours de circonstances, à savoir un prix des matières premières en hausse et une demande extérieure et européenne notamment, croissante. Pourriez-vous développer ?

    Les matières premières ont souvent été en hausse en Russie, ça n’a pas empêché le pays entier de basculer dans la banqueroute à plusieurs reprises. La grande différence depuis 2000, c’est que l’État russe à commencer à épargner et à gérer ses ressources en prévision des moments difficiles. La crise de 2008, sous un gouvernement Eltsine, aurait mis la Russie à genoux. Au lieu de cela la Russie a été un des premiers pays à en sortir et sa position en a été renforcée.

    Les ressources ne suffisent pas sans la volonté politique de bien les utiliser. La France a des ressources humaines et industrielles colossales, qui sont gaspillés depuis 40 ans.

    Vous citez le bombardement de la Serbie en 1999 comme un élément décisif et une date clef de l’histoire russe, pourquoi cet événement de politique extérieure entre t-il en compte d’après vous ?

    A la chute de l’URSS, les Russes ont été fascinés et bienveillants vis-à-vis du modèle américain. Ils sortaient du monde du mensonge et croyait sincèrement que la vérité était occidentale. Au fur et à mesure des années 90, ils ont découvert que les États-Unis avaient pris la relève comme “Empire du mensonge”.

    En 1999, le masque est tombé définitivement, les États-Unis sont apparus comme ce qu’ils étaient, c’est-à-dire les ennemis de la civilisation européenne, capables de s’allier avec des mafias, des mouvements terroristes et/ou islamistes, pour parvenir à leur fin.

    Vous analysez un autre événement extérieur, la guerre des 5 jours contre l’armée Georgienne, comme, je vous cite: “l’événement qui marque la fin de l’expansion américaine dans l’étranger proche de la Russie” ?

    Comme prise de conscience de la duplicité mais également de la faiblesse américaine. La “guerre des cinq jours” vient comme la suite logique du bombardement de la Serbie. La différence est qu’en face de l’impérialisme américain, se dresse cette fois la Russie de Poutine, qui humilie l’administration américaine impuissante. En l’espace de deux mois, les États-Unis ont montré au monde, qu’ils étaient incapables de protéger ni leurs alliés, ni leurs banques.

    [...]

    Source et suite de l’article sur Blogs RIA Novosti.

    http://fr.novopress.info/

  • La Syrie est le théâtre d’une guerre économique mondiale

    La Syrie est le théâtre d’une guerre économique mondiale
    Le journaliste, écrivain et politologue suisso-tunisien Riadh Sidaoui est le fondateur et directeur du Centre arabe de recherches et d’analyses politiques et sociales basé à Genève. Il est également rédacteur en chef de la revue Progressiste. Dans cet entretien, il décortique la crise en Syrie, théâtre de la guerre économique mondiale entre les puissances économiques occidentale et les économies émergentes et explique l’appui américain aux islamistes dans ce qu’on appelle le printemps arabe.

    Le Temps d’Algérie : La Ligue arabe vient d’octroyer un siège permanent à l’opposition syrienne. Comment interprétez-vous ce geste ?

    Riadh Sidaoui : Sur le plan interne, nous constatons aujourd’hui que la Ligue arabe est l’otage de certains pays qui se sont octroyés la mission de propager la démocratie dans les pays arabes, alors qu’ils se trouvent être les pires dictatures. Les deux pays à la tête de la Ligue arabe que sont le Qatar et l’Arabie saoudite sont dépourvus de toute vie démocratique et sont en rupture totale avec les principes de démocratie, à savoir une tradition électorale, une vie syndicale, l’exercice des libertés d’expression et de pensée…

    C’est ce qu’on appelle en sciences politiques des dictatures absolues. Sur le plan externe, la politique de la ligue arabe répond parfaitement aux intérêts des Etats-Unis. Le Qatar et l’Arabie saoudite sont les principaux alliés des Américains dans la région et ont, de tout temps, aidé les Américains à appliquer leur agenda. L’Arabie saoudite a financé les Contras [correction du Grand Soir] (les éléments de la contre-révolution) en Amérique latine pour le compte de la CIA.

    Cette dernière a besoin d’un budget énorme pour financer tous ses projets et a pu compter sur l’aide de son allié saoudien. C’est une situation surréaliste que de voir un tel acharnement de dictatures absolues en soutien à une opposition. Un acharnement qui a abouti, puisque les voix de l’Algérie et de l’Irak, qui ont émis des réserves, ou du Liban qui s’est abstenu sur la question ont été très minoritaires et sans impact.

    Comment expliquer la position algérienne ?

    La position algérienne est le résultat de l’héritage de la révolution algérienne. L’Algérie a adopté, depuis son indépendance, des positions en faveur du « fraternisme » arabe et sa politique insiste beaucoup sur la souveraineté des Etats et s’oppose donc à l’ingérence et aux interventions étrangères.

    Cette position traduit-elle une prise de conscience par les autorités algériennes des réalités du « printemps arabe » ?

    Beaucoup la disent elle-même menacée par cette vague de déstabilisation. C’est surtout le résultat de la culture de la révolution et une tradition issue du boumediénisme qui était très proche des mouvements nassérien et baâthiste. L’on s’est rendu compte que l’on était en face d’un mouvement mondial pour l’hégémonie américaine. Ce mouvement déploie tous les moyens possibles et se sert de tous ses outils, notamment de la Ligue arabe.

    Il y a eu des tentatives de déstabilisation de l’Algérie par ces mêmes pays qui sont aujourd’hui à la tête de la Ligue. Outre un financement des groupes terroristes du GIA, ces pays ont procédé à un matraquage médiatique en faveur des groupes terroristes, notamment grâce aux grands titres de la presse comme Al Hayat et Charq El Awsat. Mais le rôle de l’armée algérienne a été déterminant dans cette tentative de déstabilisation du pouvoir algérien et de l’installation des islamistes au pouvoir.

    Pourquoi cette propulsion des islamistes au pouvoir dans les pays arabes ?

    Les clivages « progressiste » – à savoir la gauche arabe représentée par le boumediénisme (Algérie), le nassérisme (Egypte) et le baâthisme (Irak et Syrie) – et le clivage réactionnaire des monarchies du Golfe ne peuvent pas cohabiter.

    Après le rayonnement du clivage progressiste, malgré ce qu’on peut lui reprocher, on assiste aujourd’hui à la revanche des réactionnaires arabes sur tout ce qui est progressiste ou qui peut être démocratique, grâce notamment à une hégémonie sur le champ médiatique arabe.

    La crise syrienne, comme ce qu’on appelle le « printemps arabe », est donc un retour en force de la réaction arabe

    Il y a un dynamisme interne au sein du peuple syrien en faveur de l’établissement d’un modèle démocratique solide, loin du modèle qatari ou saoudien. On ne peut pas le nier. Cependant, ce n’est nullement la transition démocratique qui est le but de l’acharnement diplomatique des têtes de la Ligue en faveur de l’actuelle opposition syrienne. Les forces étrangères, à leur tête le Qatar et l’Arabie saoudite, ont accordé pas moins de 20 milliards de dollars d’aide à l’opposition. Si on avait voulu aider le peuple syrien, cette somme aurait pu être investie dans la création de l’emploi et l’aide à la population.

    Mais l’on vise la destruction de l’Etat syrien. C’est le baâthisme syrien qui est visé, comme l’a été le baâthisme irakien et le nassérisme égyptien. Ce sont ces modèles, malgré tout ce qu’on peut leur reprocher, qui sont visés afin de les détruire. On assiste cependant à une résistance interne et même externe face aux attaques étrangères émanant notamment de Turquie et du Liban malgré sa position officielle plus neutre. Les intérêts des puissances économiques mondiales se confondent et elles essaient, toutes, à travers leurs alliés, de défendre leurs intérêts.

    La Syrie est-elle le théâtre d’une guerre économique mondiale ? Quels sont les enjeux économiques derrière cette crise ?

    Absolument. On assiste à une guerre mondiale entre les différentes grandes puissances économiques. Il y a d’un côté les Etats-Unis, avec l’aide de leurs alliés qui veulent imposer leur hégémonie sur les énergies et les ressources naturelles mondiales, et de l’autre la Russie et la Chine qui résistent, avec à leur côté les économies émergentes, l’Iran, l’Inde, le Brésil et l’Afriques du sud qui ont refusé une intervention étrangère en Syrie et évité ainsi un scénario à la libyenne.

    La Russie a utilisé son veto, et pour la première fois, la Chine a recouru à son droit de veto elle aussi. Elle a voulu par ce geste passer un message aux Etats-Unis. On a désormais compris que l’on était dans une guerre économique mondiale ; les économies émergentes, la Russie et la Chine, ont fait savoir qu’elles n’allaient pas se laisser faire. Quant aux enjeux économiques, ils concernent en premier lieu le pétrole et le gaz.

    Quand on regarde bien la carte, on constate que l’Irak et l’Afghanistan, qui ont déjà été envahis, la Syrie, en proie à une crise, et probablement l’Iran après, forment un cordon autour de la Chine et de la Russie. La Syrie, même si elle ne dispose pas de ressources énergétiques importantes, relie la mer méditerranée et l’Asie. C’est une jonction entre les continents européen et africain d’un côté et le continent asiatique de l’autre, par laquelle passent de nombreux pipelines. C’est une crise motivée d’abord par les intérêts économiques des uns et des autres.

    C’est pour cela qu’on ne peut pas parler d’un « printemps arabe ». Si l’on nous parle d’une volonté d’aider des peuples à instaurer la démocratie, on ne peut que constater le deux poids, deux mesures des Etats-Unis qui soutiennent militairement des « oppositions » à renverser le pouvoir en place et aident en même temps le régime bahreïni à mâter une révolte populaire.

    Sur le terrain, les Etats-Unis ne sont pas très visibles. Ce sont plutôt la Grande-Bretagne et surtout la France, accusée de mener des guerres pour les Américains. comment expliquer la position de la France ?

    La position de la France concernant l’invasion de l’Irak était radicalement anti-américaine. L’ancien président, Jacques Chirac, avait menacé d’utiliser son droit de veto. Il avait opté pour une politique « pro-arabe » et s’est même montré correct avec les Palestiniens, s’attirant les foudres du lobby sioniste en France. Il tentait ainsi d’avoir la sympathie des pays arabes pour se procurer de nouveaux marchés, notamment un marché d’armes juteux.

    Mais il avait fait de mauvais calculs, les pays du Golfe sont des clients des Etats-Unis et de la Grande- Bretagne. Finalement, la politique de Chirac n’avait pas été fructueuse. Son successeur, Sarkozy, est ouvertement pro-américain et pro-israélien, il s’est rangé au côté de l’axe américano-sioniste et a même été plus royaliste que le roi en s’embarquant dans les guerres du printemps arabe, qui profitent pleinement aux Américains.

    Avec l’arrivée du socialiste Hollande, certains ont espéré un changement, mais on a constaté qu’il avait continué dans la même lignée. La France était déjà très impliquée dans la crise syrienne. Elle se retrouve, elle, le pays laïque, à soutenir des islamistes ! La position de la Grande-Bretagne est plus attendue. C’est l’alliée fidèle des Etats-Unis. D’ailleurs, ces derniers ont établi des liens avec les islamistes sous l’influence de la Grande-Bretagne.

    Ce sont donc les Etats-Unis qui ont le plus à gagner avec l’arrivée des islamistes au pouvoir ?

    Le lien entre les Etats-Unis et les islamistes est établi. Il y a d’abord les différents câbles diplomatiques divulgués par Wikileaks qui en attestent. Ensuite, la mort de Ben Laden qui, après une cavale de plus de dix ans, disparaît brutalement en plein « printemps arabe » ! De plus, les interventions militaires en Libye et Irak, qui visaient à détruire les courants de la gauche arabe, ont mené à la montée d’islamistes au pouvoir.

    Il y a aussi les déclarations fortes du directeur de la police de Dubaï lors d’une réunion en présence de l’ambassadeur américain, accusant directement les Américains de vouloir renverser des régimes arabes et de favoriser l’accès des islamistes au pouvoir.

    Comment expliquer cette sortie fracassante alors que les Emirats arabes unis sont considérés comme les alliés des USA ?

    Il faut savoir que les Emirats ne sont pas le Qatar ou l’Arabie saoudite. Ils s’en démarquent. Ils refusent le wahhabisme promu par ces deux pays et tentent vraiment de se développer et de progresser. Ils ne cachent plus leur grand malaise face au wahhabisme qatari et avaient d’ailleurs osé s’opposer à l’Arabie saoudite en l’appelant à s’occuper de ses cinq millions d’habitants vivant sous le seuil de la pauvreté.

    Quels sont les scénarios envisageables maintenant en Syrie ?

    Le premier scénario voudrait que la guerre perdure. Certaines crises en Amérique latine, comme en Colombie, ont duré des décennies, car dans cette guerre, il y a ce qu’on appelle « une mobilisation totale des ressources », qu’elles soient humaines, financières ou médiatiques, de toutes les parties impliquées. On assiste également à des divisions au sein de l’opposition. Le deuxième scénario prévoit, lui, une victoire du pouvoir syrien. N’oublions pas qu’il vient de reconquérir des espaces qui étaient aux mains de l’opposition armée.

    Il est vrai que la crise dure, et elle risque de durer encore ; l’armée étant de formation soviétique, elle n’est pas préparée à la guérilla ; les guerres des villes sont les plus dures, d’autant que l’armée syrienne ne s’y était pas préparée. Ceci dit, c’est une armée qui est en train de gagner des batailles, si l’on en croit les vraies sources d’information. Car à en croire Al Jazeera par exemple, le régime syrien aurait dû tomber depuis longtemps. Il devra cependant faire des concessions et aller vers des réformes. Ce n’est pas perdu pour lui.

    Le siège de la Syrie à l’ONU ne serait-il pas menacé ?

    Non, il ne l’est pas. L’Onu n’est pas la Ligue arabe. Cette dernière n’a plus aucun poids. Son rôle a pris fin en 1973 quand l’organisation a décidé l’embargo pétrolier. C’est bien la dernière décision de la Ligue qui, depuis, n’est qu’une marionnette aux mains des dictatures absolues du Golfe ; elles-mêmes sont des marionnettes aux mains des Etats-Unis.
    Riadh Sidaoui http://www.voxnr.com
    notes :
    Riadh Sidaoui est le directeur du Centre arabe de recherches et d’analyses politiques et sociales.

    Entretien réalisé par Mehdia Belkadi

  • Faut-il renoncer à la démocratie ?

    Je crois que certains lecteurs, en voyant ce titre, vont cliquer sur le lien tout en se demandant si Alexandre Latsa est brusquement devenu fou, ou en pensant que la suite va enfin dévoiler le fond de sa pensée. Mais non, pas d'inquiétude, l'idée n'est pas de moi.
    « Faut-il supprimer la démocratie » est une citation du « sage et démocrate » Jacques Attali. Celui-ci a en effet le 18 mars dernier signé un article absolument incroyable où il pose la question de l’opportunité de songer à appuyer, aider et compléter les structures et institutions démocratiques afin de pérenniser leur efficacité.

    Jacques Attali prend l’exemple de l’élection verticale et à vie du pape, puis de l'élection de la nouvelle présidence chinoise pour 10 ans, en remarquant que les deux fonctionnent selon le principe du parti unique, en portant au pouvoir quelqu'un du sérail sans consulter le peuple. Ensuite, il constate les échecs du système démocratique italien incapable de permettre l’émergence d’un gouvernement stable après les élections législatives du mois dernier. L’Italie serait d’après lui l’exemple type de l’échec du fonctionnement des systèmes démocratiques, le politique étant contraint de sacrifier l’avenir à long terme du pays (en aggravant la situation économique) pour assurer sa réélection.

    Serait-il tombé sous le charme des partis uniques parce que la démocratie montre ses limites ?

    Pas du tout, il propose une troisième voie. Construire (en parallèle des institutions démocratiques) de nouvelles assemblées consultatives, composées de gens choisis, qui nommeraient des responsables à des niveaux plus élevés, ces derniers constitueraient une assemblée consultative nationale, en charge de conseiller les pouvoirs démocratiques. Ces assemblées seraient toujours selon lui destinées à équilibrer des pouvoirs politiques qui seraient mieux en mesure d’exécuter leur mission: la gestion de la « cité ».

    Il ajoute qu'il y a urgence à ce que des gens (des « sages » n’en doutons pas NDLR) prennent le relai des politiques élus car les risques seraient réels puisque « les multiples fondamentalismes sont présents et ils rodent autour du lit de la démocratie ». Il conclut : « Si on veut sauver l’essentiel de la démocratie, c’est à de telles audaces qu’il faut commencer à réfléchir ».

    Il faut peut-être lire entre les lignes et traduire : Nous (l’oligarchie) allons devoir un peu plus confisquer la démocratie et permettre à des gens mieux « choisis » de diriger nos pays.

    Utopie ? Usine à gaz avec de nouvelles assemblées commissions et comités divers salariés par les états démocratiques ? Il faut prendre très au sérieux les « audaces » proposées par Jacques Attali, parce qu'il existe déjà des comités qui pensent et décident à la place des élus du monde occidental.

    Le 29 mars 2013, le président de Goldman Sachs a confirmé que le problème principal de l’UE était non pas Chypre (ou un pays comme la Grèce dans lequel le peuple est simplement en train de mourir NRDL) mais l’Italie d’aujourd’hui avec le facteur Grillo. Le troublant italien, sorte de Coluche politique, empêcherait en effet l’honnête establishment financier international d’achever sa prise de contrôle des états en faillite. Un processus qui comme on peut le voir ici est pourtant bien entamé et démontre, s’il le fallait, que c'est un comité d'anciens employés de la banque Goldman Sachs qui a pris les commandes des centres de décision du monde de la finance en Europe. Est-ce la meilleure des solutions pour l’Europe ? Le pauvre Beppe Grillo avait même eu droit au début de ce mois à un billet corrosif à son égard sur le blog de notre « sage » dans lequel il était montré du doigt comme un danger pour l’avenir de l’Europe.

    Etonnante similarité de point de vue, non ?

    Il y a pourtant, en dehors de la troisième voie proposée par Jacques Attali, une autre solution que la confiscation des élections par des « sages », au cœur de social démocraties dont les élites appartiennent à des corporations financières étrangères, et dont les politiciens sacrifient leurs peuples et leurs pays au nom de futiles réélections.

    Dans des pays comme par exemple la Chine de Jintao et Jinping, la Russie de Poutine, la Turquie d’Erdogan ou le Venezuela de Chavez, des élites « d’un autre genre » jouissent majoritairement du soutien de leurs peuples pour accomplir la mission qui est la leur : faire de leurs pays des états puissants et souverains, capables de résister tant aux déstabilisations financières que militaires tout en poursuivant et assurant leur développement économique.

    La solution en Europe n’est sans doute pas la confiscation d’une démocratie déjà en phase terminale, mais sans doute plutôt de procéder démocratiquement à un changement radical d’élites, afin de sortir d’un système d’exploitation qui ne fonctionne manifestement plus et de pouvoir enfin rendre aux peuples d’Europe ce qui leur a été confisqué : le pouvoir de décider de leur propre destin.

    Alexandre Latsa http://www.voxnr.com

  • Pourquoi Moscou a lâché Chypre

    La solution imposée à la crise de Chypre risque fort de se révéler n'être ni isolée, ni exceptionnelle. Une déclaration maladroite du président de l'Eurogroupe, le socialiste néerlandais Joeren Dijsselbloem, l'a confirmé. Les technocrates du FMI sont en train d'imposer la chute, l'un après l'autre, des derniers bastions de la déontologie bancaire, et pour faire court : du droit de propriété des déposants sur leurs comptes. Après Chypre, le Luxembourg a annoncé (1)⇓ qu'il allait renoncer à son statut. Seule l'Autriche se retranche encore derrière la pratique traditionnelle, considérée par les Autrichiens comme le dernier refuge des libertés individuelles.

    À tout moment désormais, par cette jurisprudence, les États peuvent mettre la main, sous divers prétextes, sur les comptes courants des particuliers.

    Or la crise de Chypre, si elle représentait un dossier économique mineur s'inscrivait dans un contexte particulièrement sensible,  même crucial, du point de vue international dans la région, aussi bien en raison de la guerre civile syrienne que de la poussée islamiste en Égypte.

    Rappelons en effet que cette île, est très majoritairement peuplée de chrétiens, de langue et de civilisation grecque depuis trois mille ans, aujourd'hui de religion orthodoxe. Elle a toujours constitué une position clef, à deux encablures notamment du Liban, de la Syrie, et d'Israël. La Grande Bretagne passe pour avoir renoncé à toute hégémonie militaire. Elle y entretient cependant, aujourd'hui encore, deux bases qui occupent plus de 10 % du territoire. Celles-ci ne sont pas contrôlées par l'Europe mais par l'OTAN. D'autre part, tout au long de cette récente crise, on a omis de mentionner en occident, l'occupation par l'armée turque de la zone nord de l'île, sans aucune base du point de vue du Droit international qui ne l'a jamais reconnue. En 1974, cette intervention militaire y a regroupé les habitants musulmans et chassé les Grecs dans la partie sud demeurée sous la souveraineté effective de la République de Chypre, actuellement membre de l'Union européenne.

    Si le gouvernement de Moscou avait osé intervenir en faveur des Chypriotes, en acceptant le principe d'une garantie représentée par les réserves en hydrocarbures attestées dans les eaux territoriales du pays, (2)⇓ il aurait pu répondre à une très ancienne ambition de la Russie d'accès à la Méditerranée que l'Europe occidentale est parvenue à lui fermer depuis le XIXe siècle. (3)⇓

    Pourquoi Vladimir Poutine s'y est-il refusé ?

    Enseignant à l'université de Harvard, M. Yuri Zhukov vient de publier un article stimulant, quoique légèrement trompeur, dans la prestigieuse revue "Foreign Affairs", éditée à New York par le Council on Foreign relations.

    Aux yeux de nombreux observateurs occidentaux, note cet expert, ce refus de la Russie d'accepter la proposition de Nicosie représentait une erreur stratégique. Elle aurait pu en effet consolider son avancée géopolitique dans un pays stratégique, dernier bastion de ce qui fut l'Europe chrétienne face au Moyen Orient.

    Il y donne trois raisons du refus de Moscou de s'impliquer à Chypre.

    En premier lieu, affirme-t-il, "rien n'établit qu'une proposition crédible ait jamais existé." Mais est-ce si rare dans les négociations diplomatiques ?

    D'autre part, à Moscou, on n'estimait pas, pense-t-il, qu'un accord de dernière minute aurait pourrait changer le destin de Chypre.

    Enfin les pertes russes résultant de la destruction du secteur bancaire de Chypre n'étaient pas évaluées comme catastrophiques.

    Au bout du compte, par conséquent, il a été jugé que l'absence d'un accord de sauvegarde se révélerait plutôt profitable aux intérêts à long terme de la Russie.

    Certaines sources proches des négociations ont fait circulé dans la presse russe que le ministre chypriote Sarris, aujourd'hui démissionnaire, s'était rendu à Moscou sans préparation. Or, la mise au point d'un accord aurait nécessité plusieurs semaines de travail, et le gouvernement de Chypre ne disposait pas du temps nécessaire. Les deux géants russes du pétrole et du gaz naturel, Gazprom et Rosneft, ne voulaient pas discuter des investissements éventuels du secteur énergétique avant que soient achevés les forages correspondants en cours.

    La conviction générale en Russie, souligne Zhukov, est que la décision de changer le système bancaire de Chypre avait été prise en Europe il y a plusieurs années. Le choix de Moscou était entre la perte d'un paradis fiscal et l'investissement dans un tonneau sans fond. La Russie a donc choisi de minimi ses pertes. Les dernières estimations chiffrent celles des déposants russes entre 4 et 6 milliards d'Euros. Il s'agit certes d'une somme importante. Mais elle pose un problème minime en regard de celui de la fuite des capitaux qui aurait coûté, entre 2011 et 2012, 108 milliards à l'économie.

    La pénétration de la finance russe à Chypre a commencé aux débuts des années 1990. Le système bancaire de l'ex Union Soviétique était en plein chaos. Les paiements en devises étaient devenus pratiquement impossibles et de nombreux Russes ont alors ouvert des comptes à l'étranger. Depuis lors, le système a été stabilisé, mais l'utilisation de comptes ne s'est pas arrêté.

    En décembre 2012, le président Poutine a pris en main cette question et il a créé des zones franches dans des régions orientales de la Russie. L'idée n'était pas nouvelle : la Russie dispose déjà de plus de 20 zones économiques spéciales, qui offrent des bénéfices fiscaux aux investisseurs. Jusqu'à maintenant, ces zones n'étaient pas particulièrement attirantes.

    Le président de l'Eurogroupe M. Joeren Dijsselbloem nous a cependant averti : le précédent de Chypre peut être appliqué ailleurs. Déjà la Lettonie, candidate à l'Euro s'est vu signifier de ne pas accepter de capitaux russes importants en provenance de Chypre : les investisseurs russes risquent fort d'éprouver de plus en plus de difficulté à faire concurrence en occident à ceux du Qatar.

    Tout ceci ne signifie donc pas que la présence de la Russie à Chypre est terminée, conclut Zhukov. Au contraire.

    JG Malliarakis http://www.insolent.fr/

    Apostilles

    1. cf. Frankfurter Allgemeine Sonntagzeitung entretien le 7 avril de Luc Frieden ministre des finances du Grand-Duché "Luxemburg [wird] Bankgeheimnis lockern"
    2. cf. par exemple le communiqué du groupe Total http://www.total.com/fr/groupe/actualites/actualites-820005.html&idActu=2922 du 6 février 2013.
    3. Ce fut notamment la cause de la guerre de Crimée et la motivation profonde de la subtile diplomatie anglo-turque