Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

tradition - Page 211

  • 1 350 candidats ont signé la charte de La Manif pour Tous

    C'est ce que révèle Albéric Dumont dans Présent.

    Les noms sont publiés ici. Albéric Dumont ajoute :

    "L’objectif, c’est que ces signatures les poursuivent jusqu’à la fin de leur mandat. Leur simple présence à ces manifestations ne les rendait comptables de rien. Avec cette charte, ils ont pris un engagement public. Nous ne manquerons pas de les surveiller et de les dénoncer le cas échéant."

    Localement, nos collectifs départementaux de la Manif pour tous se rendront dans les réunions des conseils municipaux et leur demanderont des comptes. Un peu comme on fait tous les jours en ce moment avec NKM à Paris. On ne la lâche pas. Elle a pratiqué une « abstention militante et engagée » à l’Assemblée nationale au moment du vote de la loi Taubira ? Nous plombons sa campagne. Et nous pratiquerons une abstention politique et engagée avec notre bulletin le 23 mars prochain."

    Michel Janva

  • Veilleurs : Souvenirs de la semaine passée

    Les veilleurs parisiens devant l'Institut de France

    Veilleurs

    En Italie, 400 Sentinelles à Brescia, 350 à Plaisance (photo) et 400 à Modène.

    Italie

    Louise Tudy

  • Farida Belghoul : « La République a mis la France à mal »

    Farida Belghoul est cette franco-maghrébine de la deuxième génération qui a fait reculer en désordre le pouvoir socialiste sur la question du genre à l'école et qui organise désormais chaque mois, comme une semonce, sa Journée de Retrait de l'Ecole : JRE. Dans certains quartiers, à Meaux par exemple, elle a obtenu de très bons chiffres puisque, dès le premier mois, 70 % des élèves manquaient à l'appel dans leurs classes le jour de la JRE.
    Monde et Vie : Farida Belghoul, qui êtes-vous ? On dit que vous venez de la gauche ?
    Farida Belghoul : Je suis née en 1958 à Paris et j'ai fait des études de sciences économiques. Mon seul engagement à gauche a été les trois années que j'ai passées, entre 17 et 20 ans, aux étudiants communistes. Cela dit je me suis toujours engagée dans le collectif. Et j'insiste : pas dans le communautarisme, dans le collectif. Vous vous souvenez qu'en 1983, un faux curé moderniste (sic), Christian Delorme, avait lancé la Marche nationale des Beurs. Quant à moi, j'ai lancé, l'année suivante, comme une sorte de réponse, le mouvement Convergence 84. Il s'agissait d'un grand rallye à mobylette, avec des gens de toutes origines, venant de cinq points de départ différents en France et se retrouvant à Paris. Je voulais moi aussi poser la question de l'immigration, mais pas dans les termes communautaristes utilisés par les antiracistes. Je soulignais les soucis communs que partageaient les Français de souche et les immigrés. Au fond, c'était déjà l'idée d'une coagulation.
    En même temps, vous êtes romancière et cinéaste... Pour votre roman, vous avez même reçu un prix...
    Disons plus simplement que j'ai réalisé deux films, produits dans des maisons de distribution alternatives.
    L'un s'appelle Madame la France, l'autre Le départ du père. Il y a eu aussi en 1986 ce roman Georgette, pour lequel j'ai reçu effectivement le Prix Hermès du premier roman, un prix qui était décerné par tous les lauréats des prix de l'année précédente. J'avoue que je ne m'y attendais pas du tout, d'autant plus que je n'étais pas dans le circuit de la grande distribution du livre. Georgette, c'est l'histoire d'une petite fille à l'école qui ne sait pas d'où elle vient. Deux forces opposées se disputent son identité : d'un côté, la maîtresse, qui représente le Progrès et la force de la loi humaine. De l'autre le père qui a pour lui la légitimité et la loi de Dieu...
    Après ce premier succès, il ne se passe rien jusqu'aujourd'hui... Vous avez réfléchi ?
    Pas rien ! J'ai été prof de Lettres et d'histoire-géo pendant vingt ans dans un lycée pro en banlieue. Et puis, en 2008, j'ai créé le RAID, Remédiation par l'aide individualisée à domicile, à l'attention des enfants en échec scolaire. C'est vrai que j'ai réfléchi. Les fées s'étaient penchées sur notre berceau. C'était magnifique. Mais j'ai voulu remettre en cause toutes les « vérités » des années 1980. Ces fées nous ont donné une fausse image du christianisme et de la France. Elles nous ont laissé ignorer le lien réel entre la France et le christianisme. À l'époque, nous avons cru à des choses... à des vérités relatives et manipulatoires. Voilà pourquoi cette convergence à laquelle j ' aspire avec les vrais chrétiens n'a pas eu lieu plus tôt.
    C'est vrai qu'il y aurait une puissance électorale dévastatrice dans cette coagulation ou dans cette convergence...
    Alors là vous n'y êtes pas du tout... Les élections ne m'intéressent pas, qu'elles soient nationales ou locales ou européennes. Je ne fais pas de politique...
    Mais alors qu'est-ce que vous cherchez ?
    Que les gens reprennent le contrôle de leur vie.
    Vous êtes libérale alors ?
    Non je cherche simplement à ce que les gens ne délèguent pas ce contrôle à des personnes illégitimes. Dieu nous a confié un dépôt, ce dépôt doit être élevé selon de vrais critères. Il faut que les questions soient posées à partir des principes et non à partir de leurs applications contingentes et maçonnisées. Les catégories politiques que vous évoquez - le libéralisme par exemple - cela ne nous concerne pas. Nous sommes dans une société libérale qui nous conduit vers le chaos. La société libérale, c'est la gouvernance par le chaos. Dans la société libérale, on ne s'étonne ni des catastrophes ni des courses à l'abîme. Moi, si vous voulez, je ne crois pas à la politique de l'époque: détachée de tout objectif spirituel, elle a perdu sa légitimité.
    Farida, vous avez conscience d'être une sorte d'OVNI dans l'époque comme vous dites. Quelle est votre identité spirituelle ? Comment vous définissez-vous personnellement? Qu'est-ce que vous lisez par exemple ?
    Les écrits des saints catholiques et des saints musulmans. Je ne m'imaginais pas qu'il y ait des saints en islam. Quand je l'ai compris, cela m'a libérée et j'ai pu aller vers les saints catholiques, sainte Thérèse d'Avila, sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, saint Augustin bien sûr, l'Africain, dont j'ai lu les Confessions et aussi Maître Eckhart. En islam, j'ai lu, parmi les noms que vous connaissez Ibn Arabi ou aussi les écrits spirituels de l'Emir Abdel Kader. Ajoutez à cela bien sûr toute la littérature française du XIXe siècle, que j'ai appréciée et enseignée en tant que prof de français.
    Où va-t-on, si l'on vous suit ?
    On va... à la victoire ! Les parents vont vaincre leur peur et on va pouvoir mettre sur pied le premier réseau structuré de catholiques et de musulmans unis sur le terrain. Et les familles vont se défendre, le père et la mère vont défendre leurs enfants. Voilà mon but. C'est cette union des catholiques et des musulmans face au socialisme qui permettra la victoire. La France... On peut dire que la République l'a mise à mal. Elle la fait disparaître. Mais l'intérêt du monde, c'est que la France revienne - en attendant Jésus-Christ, car, en tant que musulmane ma tradition m'a appris qu'à la fin des temps Jésus reviendra...
    Propos recueillis par Joël Prieur monde & vie 25 février 2014

  • Ne rien lâcher – le combat de toute une vie

    Sur Nouvel Arbitre

    Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

    En Europe et partout dans le monde, un véritable mouvement s’est lancé afin de promouvoir l’avortement, l’idéologie du genre et la feuille de route du lobby gay.

     

    De plus, au cours de ces derniers mois, ce mouvement a présenté au Parlement européen le rapport Estrela qui heureusement a échoué par trois fois. Celui-ci cherchait en effet à mettre en avant la culture de l’avortement chez les plus petits au sein même des écoles. Puis, il y a eu le rapport Lunacek, qui malheureusement a été approuvé, malgré une forte contestation. Ce rapport donne des privilèges spécifiques pour les personnes appartenant au lobby LGBT.

    En France, le gouvernement tente d’imposer une idéologie, un nouveau modèle de la famille et de la filiation à travers le mariage de personnes de même sexe, l’adoption pour ces personnes, la PMA et la GPA. Tous les moyens sont bons pour faire plier les membres de La Manif Pour Tous, comme le prouve l’affaire Anna qui explose encore une fois au nez du gouvernement français. Tous les moyens sont bons quand on sait que le gouvernement utilise une police politique ! Le plus drôle étant qu’ensuite ce même gouvernement donne des leçons de démocratie au monde entier et en particulier à la Russie !

    Nous faisons face à ces problèmes et tant d’autres vont encore surgir de la pensée de nos politiciens. C’est pourquoi nous ne pouvons et nous ne devons absolument pas relâcher nos actions contre le gouvernement et contre cette idéologie ! Nous faisons partie du futur de notre pays, nous faisons donc partie des décisions qui doivent être prises, nous ne devons pas nous cacher mais crier sur les toits nos idées ! [...]

    La suite ici

    http://www.actionfrancaise.net/craf/?Ne-rien-lacher-le-combat-de-toute

  • Du paganisme au christianisme : La mémoire des lieux et des temps

    Pietro Boglioni a effectué la majeure partie de ses études en Italie, à Bologne et à Rome. Il a complété sa maîtrise en études médiévales à l'Université de Montréal en 1965, puis a effectué son doctorat à l'Université pontificale Saint-Thomas-d'Aquin à Rome. Son Ph.D en histoire du christianisme ayant pour sujet Miracle et merveilleux religieux chez Grégoire le Grand. Théories et thèmes fut complété en 1971.
    Pietro Boglioni s’intéresse depuis à l’anthropologie religieuse médiévale, à l’hagiographie et aux miracles, étudiés avec une rigueur historique remarquable. En tant que professeur, les cours qu'il donne sont notamment Histoire du Moyen Âge occidental et Histoire des croisades.
    Université de Montréal, pietro.boglioni@umontreal.ca
    1 Dans un essai de synthèse sur les rapports entre la culture cléricale et la culture folklorique à l’époque mérovingienne (circa 500-750), le médiéviste Jacques Le Goff avait proposé d’intéressantes lignes de réflexion sur la dynamique de ces rapports (1977 : 223-235). Il concédait, dans son analyse, qu’« il y a sans doute un certain accueil de ce folklore dans la culture cléricale », à cause notamment de trois facteurs importants. D’abord, l’existence de structures mentales en partie communes aux deux cultures, comme la croyance en des pouvoirs surnaturels et la possibilité d’interventions divines. Ensuite, le fait que l’évangélisation réclamait nécessairement de la part des clercs un effort d’ajustement culturel, effort dont l’adaptation linguistique, par l’utilisation d’un sermo rusticus dans la prédication, est un symbole évident. Enfin, le fait que la culture cléricale avait dû, dans plusieurs domaines de la vie ordinaire, s’insérer dans les cadres de la culture folklorique, en s’adaptant par exemple, avec l’institution des Rogations, aux exigences du nouveau contexte rural. Il lui semblait néanmoins que, en dernière analyse, « l’essentiel (de ces rapports) est un refus de cette culture folklorique par la culture ecclésiastique ». Ce refus se serait opéré selon trois lignes ou trois catégories distinctes : la destruction, l’oblitération et la dénaturation (Le Goff, 1977 : 236-279)1.
    2 La destruction est la catégorie la plus facile à définir et à documenter, par un très grand nombre de textes et parfois aussi par l’archéologie : rites perturbés, temples détruits, arbres sacrés coupés, sources sacrées souillées. L’histoire de la mission chrétienne est remplie de récits qui exaltent comme des actes de courage héroïque ces campagnes de destruction, souvent violemment contestées par le peuple. On citera comme récits emblématiques les témoignages tirés de la vie de saint Martin, rédigée par Sulpice Sévère, vers la fin du ive siècle : « un autre jour, en certain village, il avait détruit un temple fort ancien et entrepris d’abattre un pin tout proche du sanctuaire ; mais alors le prêtre de ces lieux et toute la foule des païens commencèrent à lui opposer de la résistance » (13,1) ; « il avait mis le feu, en certain village, à un sanctuaire païen tout à fait ancien et très fréquenté » (14,1) ; « dans un autre village, du nom de Levroux, Martin voulut démolir également un temple que la fausse religion avait comblé de richesses, mais la foule des païens s’y opposa tant et si bien qu’il fut repoussé, non sans violence » (14,37 ; Fontaine, 1967 : 281, 283, 285). Cette même violence continuera, même après la conversion des campagnes, envers les cultes populaires syncrétistes jugés inacceptables par l’Église officielle. Ainsi le prédicateur général et inquisiteur Étienne de Bourbon, au xiiie siècle, informé de l’existence d’un culte rural à un lévrier guérisseur d’enfants, dans le diocèse de Lyon, ne se limitera pas à condamner ce culte dans des sermons, mais tâchera d’en détruire physiquement les conditions : « nous avons fait exhumer le chien mort et couper le bois sacré, et nous avons fait brûler celui-ci avec les ossements du chien. Et j’ai fait prendre par les seigneurs de la terre un édit prévoyant la saisie et le rachat des biens de ceux qui afflueraient désormais en ce lieu pour une telle raison » (Schmitt, 1979 : 17). Comme dans bien d’autres cas, toutefois, ce culte survivra à cette tentative de destruction, puisqu’il sera encore attesté, dans les mêmes lieux, au xxe siècle.
    3 L’oblitération est une catégorie plus complexe. Elle consiste en « la superposition des thèmes, des pratiques, des monuments, des personnages chrétiens à des prédécesseurs païens ». Le Goff a tenu à souligner que cette oblitération « n’est pas une “succession », mais, à sa façon, une abolition. En refusant l’idée de la « succession », il faisait sans doute allusion au titre et aux thèses de Pierre Saintyves sur Les saints successeurs des dieux, thèses assez largement répandues chez les folkloristes anglais et français, et chez certains hagiologues allemands, au début du xxe siècle 2. Par l’oblitération, autant que par la destruction, « la culture cléricale couvre, cache, élimine la culture folklorique ».
    4 La dénaturation, enfin, « est probablement le plus important des procédés de lutte contre la culture folklorique : les thèmes folkloriques changent radicalement de signification dans leurs substituts chrétiens ». On peut en citer comme exemple typique celui du dragon, figure qui est ambivalente dans le folklore, bonne ou mauvaise selon les contextes, mais qui est négative et « démonisée » dans la culture des clercs, notamment dans leur littérature hagiographique.
    5 On se propose ici de présenter et de commenter deux textes importants et relativement peu étudiés de cette même période, textes qui, sans invalider en rien la pertinence et la valeur interprétative des catégories proposées par Le Goff, laissent entrevoir que le processus du passage de la culture païenne à la culture chrétienne a été plus complexe. Si destruction, oblitération et dénaturation il y a eu, ces catégories n’ont pas été les seules et, surtout, elles ont rarement existé à l’état pur. Dans la réalité des situations concrètes, elles se présentent à nous comme entremêlées dans une variété de synthèses originales, qui comportaient à la fois destruction de certains éléments de la culture païenne antérieure, « récupération orientée » d’autres, et dénaturation proprement dite, dans un processus original qu’on pourrait appeler de « récupération re-sémantisante ».
    6 Il faudrait par ailleurs discuter à part, à cause de la nature particulière et de l’abondance des documents, le problème des rapports entre culture cléricale et traditions folkloriques dans la littérature hagiographique, aussi bien dans les textes que dans les cultes que cette littérature proposait aux fidèles et dont elle soutenait l’exercice. Selon Le Goff, à l’époque mérovingienne « la récolte de thèmes proprement folkloriques est mince, même dans la littérature hagiographique a priori privilégiée à cet égard », tandis que le folklore « fera irruption dans la culture occidentale à partir du xie siècle, parallèlement aux grands mouvements hérétiques », et trouvera son plein épanouissement dans la Légende dorée. On sera d’accord, sans la moindre réserve, sur la seconde affirmation. La Légende dorée (c. 1260-1270), que l’on peut maintenant consulter dans une édition critique enfin fiable, et dans une traduction française exemplaire (Boureau, 2004)3, est en effet une mine inépuisable de thèmes folkloriques, qui vont du petit détail narratif à des scènes vastes et complexes, jusqu’à des biographies entières, construites en totalité avec des matériaux folkloriques, comme celles des saints Christophe, Eustache, Alexis, Julien l’Hospitalier et tant d’autres, ainsi que celle de Judas, qui applique au traître l’histoire d’Œdipe 4.
    7 Mais il semble que, même pendant le haut Moyen Âge, d’importants éléments folkloriques se sont glissés tels quels dans les récits hagiographiques, tout en se pliant au service de la figure du saint ou des exigences de son culte. On pourrait appeler cette catégorie supplémentaire celle de la « récupération orientée ». Un cas typique est celui du miracle de la résurrection d’animaux tués et consommés dans un contexte d’hospitalité, dans un épisode de la vie de saint Germain comme dans bien d’autres : « après le dîner, il fit déposer tous les os du veau sur sa peau et, à sa prière, le veau se leva sur le champ » (Boureau, 2004 : 562)5. On peut citer aussi, comme autre exemple, celui de l’araignée bienfaisante, qui tisse rapidement sa toile pour cacher l’innocent poursuivi (Boureau, 2004 : 126). On concédera néanmoins que la moisson de thèmes folkloriques demeure, à tout prendre, mince par rapport aux thèmes d’origine biblique ou patristique.
    8 Par ailleurs, il semble également certain que, dans les formes du culte concret rendu aux saints par le peuple, les éléments folkloriques (à savoir des habitudes cultuelles héritées du paganisme) sont prépondérants. Aussi, dans la tradition hagiographique irlandaise, dont les plus anciennes rédactions remontent peut-être déjà au viiie siècle, la symbiose entre données chrétiennes et données folkloriques est prépondérante et omniprésente. Dans l’introduction à son édition des Vitae sanctorum Hiberniae, Charles Plummer a montré que leur caractéristique structurale consiste justement dans l’intégration du substrat culturel celtique, à savoir « l’incorporation, dans les structures de la nouvelle foi, de fragments de matériaux – “pierres étrangères à l’édifice” – empruntés à l’ancienne culture »6. Il identifiait trois modalités, qui peuvent valoir aussi pour les autres cas, de cette appropriation de thèmes ou matériaux : la direct importation, lorsque des thèmes, ou des épisodes, ou des cycles entiers de la culture ethnique sont attribués au saint ; la conscious imitation, lorsque ces thèmes lui sont attribués de façon identique quant au fond, mais modifiés dans la forme ; et finalement la inconscious permeation, lorsqu’il s’agit d’éléments fluides ou épars, pour lesquels on ne peut ni prouver ni même supposer la conscience de l’emprunt7.
    9 Venons-en à nos deux textes témoins. Leurs auteurs, Grégoire de Tours et Grégoire le Grand, sont deux personnages particulièrement importants, par leur position dans la hiérarchie de l’Église, et par la claire intentionnalité ou conscience de leur démarche. De plus, ils écrivent tous les deux au moment, crucial pour notre propos, du passage du paganisme au christianisme, le premier pour les populations rurales de Gaule et le second pour les peuples germaniques récemment installés en Angleterre. Leurs textes comportent, par là, une valeur de principe et pour ainsi dire emblématique.
    10 Ce texte, rédigé vers la fin du vie siècle par l’évêque Grégoire de Tours († 594), relate une tentative de christianisation du paganisme par la superposition d’un culte chrétien à un culte païen. On peut le résumer ainsi : un évêque, incapable de déraciner une fête annuelle païenne destinée à obtenir la pluie, tente de la christianiser, en faisant construire sur les lieux de la fête païenne (aux abords du lac Helarius) une église au saint chrétien Hilarius. Le texte est tiré du Livre à la gloire des confesseurs, et reflète probablement, tout en relatant une histoire antérieure, des situations et des préoccupations qui devaient hanter Grégoire lui-même, dont le diocèse comprenait un très vaste territoire rural.
    Dans le territoire des Gabales il y avait une montagne, dont le nom était Helarius, et qui comprenait un grand lac. À certaines dates, la foule des paysans jetait dans ce lac, comme pour lui faire des libations, des linges et des tissus destinés à la confection de vêtements. Certains y jetaient des toisons de laine. Le plus grand nombre y jetaient, chacun selon ses possibilités, des pièces de fromage ou de cire, et diverses sortes de pains, qu’il serait trop long d’énumérer 8. Ils s’y rendaient avec des chariots, apportant de la boisson et de la nourriture, immolant des animaux et banquetant trois jours durant. Le quatrième jour, lorsqu’il fallait redescendre, une terrible tempête avec des tonnerres et de violents éclairs les prenait de vitesse, et un orage si violent tombait du ciel, comme s’il s’agissait de pierres, qu’à peine chacun des assistants pensait pouvoir s’en échapper.
    Les choses se passaient ainsi tous les ans, et le peuple imbécile était de plus en plus confirmé dans l’erreur. Après une longue période de temps, un prêtre qui avait été promu à l’épiscopat, vint de la même ville 9 en ce lieu, et il prêcha aux foules qu’elles seraient consumées par la colère de Dieu si elles n’abandonnaient pas leurs usages, mais sa prédication ne fut en aucune manière acceptée par ces rustres sauvages. Alors, sous l’inspiration divine, le prêtre de Dieu fit construire, à quelque distance du bord du lac, une église en l’honneur du bienheureux Hilaire de Poitiers (Hilarius) et y plaça des reliques du saint en disant au peuple : « Gardez-vous, mes fils, gardez-vous de pécher à la face de Dieu. Il n’y a rien à vénérer dans cet étang 10. Ne salissez pas vos âmes par ces vaines observances [ou : rituels], mais reconnaissez plutôt [le vrai] Dieu et vénérez ses amis. Vénérez donc le pontife de Dieu Saint Hilaire, dont les reliques sont ici déposées. C’est lui, en effet, qui peut être votre intercesseur auprès de la miséricorde de Dieu ».
    Alors ces gens, touchés dans leur cœur, se convertirent et abandonnèrent le lac. Ce qu’ils avaient coutume d’y jeter, ils le portèrent à l’église sainte, et furent ainsi délivrés des liens de l’erreur où ils étaient retenus. La tempête aussi fut par la suite écartée de ce lieu, et on ne la vit plus sévir dans une fête, dès lors consacrée à Dieu, depuis le moment où avaient été placées là les reliques du bienheureux confesseur 11.
    11 Sous réserve d’inventaire aucune analyse approfondie de ce texte n’a jamais été proposée, mais on se limitera ici à mettre en évidence des points qui semblent importants et assurés, en évoquant au passage les recherches qui restent à faire pour une analyse plus complète.
    12 La description de la festivité agraire par Grégoire nous apparaît comme sommaire et quelque peu floue. Il est fort probable qu’elle n’a pas été bien comprise par l’auteur, un évêque de la haute aristocratie, qui relatait une histoire concernant un autre évêque, accumulant ainsi une double possibilité de brouillage du fait ethnologique rapporté. Il est fort probable que ni l’un ni l’autre de ces évêques, représentants d’une culture savante et urbaine, n’étaient en bonne position (et n’étaient sans doute pas intéressés) pour bien comprendre et bien décrire une réalité culturelle populaire et rurale.
    13 L’action se situe « dans le territoire des Gabales », à savoir le Gévaudan actuel, dans le Sud de l’Auvergne. Le Pagus Gabalitanus (territoire des Gabali), inclus par Auguste dans la Province de l’Aquitaine I, fut appelé au Moyen Âge Pagus gavaldanus, d’où le nom actuel de Gévaudan donné à la région. Le site est peut-être à identifier avec l’actuel lac de Saint-Andéol (Lozère).
    14 Il est probable que l’épisode soit à situer dans un contexte de culture celtique, plutôt que de culture romaine. Nous nous trouvons en effet dans une région éloignée, et dans un contexte rural, où l’on peut supposer une persistance plus tenace de la culture celtique, par rapport à la plus récente culture romaine, enracinée d’abord dans les villes. Le texte lui-même fait jouer l’opposition entre campagne et ville. Par ailleurs, selon les archéologues et les folkloristes, les monuments celtes sont nombreux dans le Gévaudan, et les traces de la culture celtique y sont tenaces.
    15 La date des événements n’est pas indiquée. Le récit est raconté au passé, sans autres détails. Il suppose par ailleurs la présence d’un évêque dans la ville voisine de Javols, et l’existence de régions rurales non encore christianisées, ou mal christianisées, ce qui pourrait correspondre, pour l’Auvergne, à la situation du ve, voire de la première moitié du vie siècle. Il s’agit d’une fête annuelle (« il en était ainsi tous les ans »), qui selon l’auteur durait trois jours. Cette fête était célébrée depuis fort longtemps (« après une longue période de temps »), et elle était donc culturellement et socialement enracinée. C’est pour cela, peut-on supposer, que la prédication de l’évêque « ne fut en aucune manière acceptée par ces rustres sauvages ».
    16 Nous sommes de toute évidence dans un milieu rural, non seulement du point de vue physique (la montagne, le lac), mais aussi du point de vue sociologique et économique : ce sont des rustici, des « rustres sauvages » (cruda rusticitas), des paysans, comme le prouvent aussi bien la nature de leurs offrandes que l’importance attribuée à la pluie.
    17 Le nom de la montagne, Helarius, est peut-être (ou probablement ?) aussi le nom d’une divinité locale qui était censée habiter dans le lac, car, et cela semble un élément important, l’évêque dira aux paysans : « il n’y a aucune religio (= aucune réalité sacrée) dans ce lac ». Mais aucun nom de divinité celtique (ou romaine) n’a pu être repéré qui pourrait correspondre à ce terme, utilisé ici comme toponyme 12.
    18 La signification du rite ne semble pas avoir été bien comprise par l’auteur, ou en tout cas elle n’est pas bien explicitée. Il semble s’agir d’un rite pour favoriser la venue de la pluie : par un effet d’analogie, les offrandes jetées dans l’eau devaient favoriser le don de l’eau venant du ciel. Si tel est le cas, il s’agit probablement des pluies du printemps, typiques de la région, qui marquent la fin de l’hiver. La date de la fête de saint Hilaire, le 28 février, pourrait confirmer cette hypothèse, et donner encore plus de poids à l’opération de « transfert culturel » entreprise par l’évêque. Selon l’hypothèse intéressante de Jean-Claude Schmitt (1988 : 450), cette date pourrait aussi « marquer le début de l’année (1er mars, dans le calendrier romain) ».
    19 La description de cette grande fête populaire, bien que volontairement incomplète (comme pour la description des types d’offrandes, dont l’auteur abrège la liste, pour la raison qu’« il serait trop long de les énumérer »), nous signale quand même nombre d’éléments intéressants :
    20 La fête se tient à des dates déterminées (« à certaines dates »), que l’on ne précise pas, même s’il est probable qu’il s’agisse d’une fête annuelle (« les choses se passaient ainsi tous les ans ») ; la durée de la fête est indiquée comme étant de trois jours, avec le voyage de retour pendant le quatrième jour, mais cette donnée pourrait ne pas être fiable, s’il s’agit d’une fête qui devait durer jusqu’à l’arrivée de la pluie.
    21 La participation collective est un élément essentiel : c’est une fête de la collectivité (« la foule », « le peuple »), non un ensemble de pèlerinages individuels à un lieu sacré ; la mention des chariots suppose aussi une convergence, une installation collective.
    22 Un aspect important de la dimension religieuse de la fête est représenté par des objets jetés dans le lac « en guise de libation », le sens du terme libatio, emprunté à la culture savante, nous cachant probablement un terme vernaculaire spécifique, ainsi que le sens du geste tel que perçu par les paysans. On remarquera la liste fort intéressante de ces objets, apparemment liés à la vie quotidienne et au travail, qui mériterait une analyse plus détaillée : « des linges et des tissus destinés à la confection de vêtements... des toisons de laine. Le plus grand nombre y jetaient, chacun selon ses possibilités, des pièces de fromage ou de cire, et diverses sortes de pains ». La tournure « qu’il serait trop long d’énumérer » relève du manque d’intérêt de l’auteur pour des détails ethnologiques, étrangers à son propos principal. On remarquera aussi la distinction entre les dons ou offrandes de « certains » et ceux du « plus grand nombre ».
    23 Un autre élément important de la fête est l’immolation d’animaux, qui se prolonge dans des banquets, avec boisson et nourriture abondantes. Il est probable que ces grands banquets comportaient eux aussi, comme les sacrifices, une signification ou portée religieuses.
    24 Il va de soi que chacun de ces éléments, ici sommairement relevés, serait à analyser en détail, dans une perspective ethnologique. Comment interpréter ces éléments en comparaison avec des fêtes analogues, en Gaule et ailleurs, à la même époque, et dans les mêmes contextes ? Peut-on documenter l’existence de survivances de cette fête ? Il faudrait au moins évoquer et étudier des fêtes analogues, dans la région ou des régions voisines, documentées jusqu’à des époques récentes. On cite comme exemple la procession annuelle, encore suivie au début du xixe siècle, qui réunissait au lac Marchais, le 15 novembre, les paroissiens de Deuil, Grolay et Montmagny à l’occasion de la fête de saint Eugène décapité à Deuil et précipité dans le lac. L’origine celtique du culte de ce lac semble certaine, de même que le lien entre la légende de saint Eugène et le lac même. Il faudrait aussi évoquer et étudier les trouvailles archéologiques d’offrandes dans des lieux de culte liés à l’eau, par une enquête ethnologique approfondie, qui est hors de propos ici.
    25 Le fait que des pluies torrentielles, avec tempête ou grêle, surprennent chaque année les paysans à leur retour, selon ce qu’affirme Grégoire, peut aisément être compris selon la logique de la fête, qui devait justement durer jusqu’à l’arrivée des pluies souhaitées. L’auteur n’en comprend pas le sens, et prend le but réel de la fête pour un accident récurrent : « les choses se passaient ainsi tous les ans ».
    26 Face à cette coutume, présentée comme ancienne et indéracinable, l’évêque de la ville voisine, Javols, intervient. On se rappellera qu’à cette époque il n’y avait pas encore de réseau de paroisses rurales : la ville dominait la campagne, du point de vue pastoral, et cet épisode peut être interprété aussi comme une opposition entre culture rurale et culture urbaine. L’évêque tente d’abord une stratégie de destruction, indirecte (par la main de Dieu) mais réelle : « il prêche aux foules qu’elles seraient consumées par la colère de Dieu si elles n’abandonnaient pas leurs usages », mais « la foule des paysans », ne l’accepte pas : « sa prédication ne fut en aucune manière acceptée par ces rustres sauvages ». Dans cette opposition entre ville et campagne, le peuple rural et sa culture sont constamment et lourdement dévalorisés dans le récit de Grégoire : « le peuple imbécile », « ces rustres sauvages ».
    27 L’évêque recourt alors à une technique d’oblitération-remplacement, hautement valorisée par l’auteur, puisqu’elle se fait, dit-il, « sous l’inspiration divine » : « il fit construire, à quelque distance du bord du lac, une église en l’honneur du bienheureux Hilaire de Poitiers (Hilarius) et y plaça des reliques du saint ». Le projet pastoral de l’évêque consiste donc à remplacer le (probable) dieu celtique Helarius par le saint chrétien Hilarius, cet Hilaire de Poitiers qui avait été non seulement un grand personnage, mais aussi un personnage historiquement et géographiquement proche. On remarque immédiatement que le nom du saint chrétien, Hilarius en latin, est pratiquement identique au toponyme païen Helarius, qui était aussi probablement le nom de la divinité tutélaire du lieu. Dans le latin tardif, en effet, la prononciation d’une voyelle i non accentuée ressemblait beaucoup à celle d’une e non accentuée, de sorte que les noms Helarius et Hilarius étaient prononcés à peu près de la même façon. Ce jeu de quasi-homonymie ou homophonie, et la stratégie culturelle qu’il sous-entend, sont une astuce qu’on ne peut pas ne pas remarquer.
    28 Les éléments de cette récupération-transfert des traits folkloriques originaux sont multiples :
    29 il y a d’abord la récupération du lieu (« à quelque distance du bord du lac ») ; la nouvelle réalité chrétienne profitera donc de l’enracinement et de la stabilité topographiques de l’ancienne réalité païenne ;
    30 il y a ensuite la récupération du nom (de Helarius à Hilarius), qui favorise un transfert complet et naturel des traits et des fonctions de l’ancienne figure païenne à la nouvelle figure chrétienne ;
    31 il y a, ce qui semble essentiel pour la réussite de l’opération, une récupération de la fonction de la divinité païenne : « c’est lui (à savoir, le nouvel Hilarius) qui peut être votre intercesseur auprès de la miséricorde de Dieu » ;
    32– il y a la récupération des dates (implicite) et des gestes rituels des paysans : « ce qu’ils avaient coutume d’y jeter, ils le portèrent à l’église sainte » ;
    33 il y a enfin le remplacement global, du lac à l’église (avec ses reliques).
    34 Selon Grégoire, ce transfert fut une stratégie heureuse, une réussite pastorale totale : « Alors ces gens, touchés dans leur cœur, se convertirent et abandonnèrent le lac. Ce qu’ils avaient coutume d’y jeter, ils le portèrent à l’église sainte, et furent ainsi délivrés des liens de l’erreur où ils étaient retenus ».
    35 On ajoutera, comme dernier élément de la faible sensibilité ethnographique de Grégoire de Tours, ou peut-être comme indice d’une transformation de la fonction originale de la fête, l’affirmation du passage final de notre texte : « la tempête aussi fut par la suite écartée de ce lieu, et on ne la vit plus sévir dans une fête, dès lors consacrée à Dieu, depuis le moment où avaient été placées là les reliques du bienheureux confesseur ». Le nouveau sanctuaire n’a donc plus une fonction propitiatoire, mais une fonction apotropaïque, de protection contre les tempêtes et les orages. Mais cette interprétation de l’évêque, aristocrate et théologien, correspond-elle à la réalité de la perception paysanne ?
    36 Le contexte de ce second document est beaucoup plus clair que celui du premier, et il est nettement daté : il s’agit de la mission envoyée en Angleterre par le Pape Grégoire le Grand, à la fin du vie siècle, pour convertir les Anglo-Saxons, encore païens. Déjà, en septembre 595, Grégoire avait donné des consignes à ses agents en Gaule, pour qu’ils achètent sur le marché local, probablement à Marseille, des jeunes esclaves anglo-saxons, à éduquer dans la foi chrétienne en vue d’une mission future auprès de ces peuples. Cette première démarche révélait déjà une attention particulière de Grégoire pour les aspects anthropologiques et culturels de la mission. Une première équipe de moines missionnaires, recrutés dans son propre monastère du Monte Celio à Rome, était arrivée dans le royaume de Kent au printemps 597, sous la direction d’Augustin, en emmenant avec elle ces esclaves recueillis en cours de route. Une seconde équipe fut envoyée, quatre années plus tard (juillet 601), sous la conduite de Mellitus. Et c’est justement par Mellitus, encore en route vers l’Angleterre, que Grégoire fait parvenir au chef de la mission, Augustin, ses nouvelles instructions concernant l’utilisation chrétienne des temples païens 13.
    À notre fils bien-aimé l’abbé Mellitus, dans le pays des Francs, Grégoire serviteur des serviteurs de Dieu.
    Après le départ de la petite troupe rassemblée par nos soins, qui voyage avec toi, nous avons été plongés dans une vive inquiétude, en l’absence de nouvelles sur le succès de votre voyage. Une fois donc que Dieu tout-puissant vous aura menés auprès de notre très révéré frère l’évêque Augustin, dites-lui ce que, après avoir longuement médité au sujet des Angles, j’ai décidé : qu’il ne faut en aucun cas détruire les temples des idoles (fana idolorum) chez le peuple en question, mais seulement les idoles qui s’y trouvent ; que l’on bénisse de l’eau et que les temples en question en soient aspergés ; enfin qu’on bâtisse des autels et qu’on y dépose des reliques.
    En effet, si les temples dont nous parlons ont été bien construits, il faut impérativement qu’on les transforme (commutari) pour qu’ils passent du culte des démons à l’observance du vrai Dieu, afin que lorsque la population verra que ses temples justement ne sont pas détruits, elle quitte son erreur et reconnaissant enfin et adorant le vrai Dieu, elle accoure avec plus de confiance en ces temples auxquels elle est habituée.
    De même, comme ces populations ont coutume de sacrifier de nombreux bœufs aux démons, il faut transformer (inmutari) aussi cet usage en solennité chrétienne : le jour où une église est dédiée à un saint ou bien pour l’anniversaire des martyrs, dont les reliques y sont déposées, qu’ils se fassent des huttes de branchages autour de ces anciens temples transformés en églises et qu’ils y célèbrent la fête par des banquets religieux. Que ce ne soit plus au Diable qu’ils immolent des animaux, mais que dorénavant ce soit à la gloire de Dieu qu’ils tuent les animaux qu’ils mangent et qu’ils rendent grâce de leur satiété à Celui qui donne tout, de sorte que par ces quelques joies extérieures qui leur sont conservées, ils puissent consentir plus facilement aux joies intérieures.
    Il ne fait aucun doute en effet qu’il est impossible de faire brusquement table rase dans des esprits obtus, car aussi celui qui veut escalader un sommet, ne s’élève pas par bonds mais progressivement pas à pas. Ainsi, s’il est vrai que notre Seigneur se révéla au peuple d’Israël en Égypte, il leur permit toutefois de conserver pour son propre culte l’usage des sacrifices rendus jusque là au Diable, puisqu’Il ordonna qu’on immolât des animaux dans les sacrifices qu’on Lui rendait, afin qu’en changeant leurs cœurs, ils perdissent certains aspects du sacrifice mais qu’ils en gardassent d’autres (Lev 7,2-7). De la sorte même si c’étaient les mêmes animaux qu’ils avaient l’habitude de sacrifier, maintenant qu’ils les sacrifiaient au vrai Dieu et non plus à des idoles, ce n’étaient plus les mêmes sacrifices. Voilà ce qu’il faut, très cher, que tu dises à notre frère Augustin, afin qu’il juge par lui-même, lui qui est présentement en place là-bas, quelle est la meilleure façon de tout organiser. Que Dieu te garde, mon fils bien-aimé.
    Donnée le quinze des calendes de juillet, en la dix-neuvième année du règne de notre souverain le très pieux Auguste Maurice Tibère, la dix-huitième année après son consulat, en la quatrième indiction 14.
    37 Comme pour le texte précédent, on rassemblera les principales remarques et conclusions qui se dégagent d’une analyse rapide.
    38 Il faut d’abord relever que ces directives contredisent une lettre antérieure envoyée par Grégoire au roi Éthelbert, dans laquelle le pape semblait prôner clairement la destruction, puisqu’il y demandait à Éthelbert : « multiplie le zèle de ta rectitude dans leur conversion, élimine le culte des idoles, détruis les bâtiments des temples » (Épist. I,32). Le changement de perspective que révèle cette deuxième lettre assume alors la valeur d’une théorisation pastorale consciente, doublement réfléchie : « dites-lui ce que, après avoir longuement médité au sujet des Angles, j’ai décidé ». Ce texte est d’une importance capitale, par son intention et par les circonstances de sa rédaction, autant que par l’importance de son auteur.
    39 Comme pour Grégoire de Tours, Grégoire le Grand connaît mal le paganisme anglo-saxon. Il n’y a, en effet, aucune preuve archéologique de l’existence des temples auxquels il fait allusion, ni des coutumes évoquées par lui (Hutton, 1993). Il semble probable que Grégoire se base ici sur une reconstruction livresque de la religion des Angles, composée par un mélange de religion rurale méditerranéenne (les temples : fana) et de coutumes germaniques, peut-être empruntées à la Germania de Tacite. On n’a pas trouvé non plus de preuves archéologiques d’une application de ces conseils de Grégoire.
    40 En ce qui concerne les lieux (à savoir, les temples païens), la destruction-remplacement est partielle (on ne détruira que les idoles, remplacées par des reliques), mais les lieux restent les mêmes : « il ne faut en aucun cas détruire les temples des idoles chez le peuple en question, mais seulement les idoles qui s’y trouvent » ; « que l’on bénisse de l’eau et que les temples en question en soient aspergés ; enfin qu’on bâtisse des autels et qu’on y dépose des reliques ». Le remplacement des idoles par des reliques, et des reliques de martyrs, semble un aspect important, voire essentiel. Des reliques étaient également mentionnées dans le texte de Grégoire de Tours (« il y plaça des reliques du saint... Saint Hilaire, dont les reliques sont ici déposées »), et l’on peut se demander si, sur le mont Helarius, il n’y avait pas aussi, à côté du lac, une idole. Le parallélisme de la situation et de la stratégie pastorale serait alors complet.
    41 Les consignes de Grégoire sont basées sur une motivation consciente, à savoir la conviction qu’une condescendance pédagogique favorisera la conversion des indigènes, et que l’accoutumance culturelle et sociale (les « lieux accoutumés ») facilitera pour eux la fréquentation des temples christianisés : « afin que la population accoure avec plus de confiance en ces temples auxquels elle est habituée ». Il faut remarquer aussi que, pour justifier ces instructions, Grégoire fait appel à la plus haute autorité possible, à savoir Dieu lui-même qui, lorsque le peuple juif quitta l’Égypte, « leur permit de conserver pour son propre culte l’usage des sacrifices » que ce peuple avait appris dans ses années d’esclavage. Les consignes pastorales de Grégoire ont donc, à ses yeux, un fondement biblique et théologique très solide.
    42 Il est important de relever aussi que Grégoire ne souhaite pas récupérer uniquement les temples dans leur matérialité, mais le système païen tout entier, dans sa structure de base, qui tourne autour des temples : il veut récupérer les lieux, mais aussi, avec et par les lieux, les habitudes culturelles (à savoir, les réunions à des dates fixes), les repas sacrificiels et la socialisation qu’ils comportent. Dans ce cadre, les repas sacrificiels, pièce essentielle de la culture religieuse germanique, sont transformés en fêtes paraliturgiques chrétiennes, puisque liés à la date anniversaire de la dédicace ou re-consécration de ces édifices.
    43 Le texte révèle également la conscience de la nécessité incontournable d’une acculturation graduelle (« il est impossible de faire brusquement table rase dans des esprits obtus », ou, selon une autre traduction possible, « il est impossible de procéder à une extirpation totale des habitudes des âmes encore rudes »). On prône donc une stratégie de la destruction partielle, avec récupération partielle, de sorte que ces Angles abandonnent quelques éléments de leurs sacrifices, et en conservent certains autres (« qu’ils perdissent certains aspects du sacrifice mais qu’ils en gardassent d’autres »).
    44 Le terme-clé de toutes les démarches suggérées par cette lettre est sans doute inmutare, commutare (« transformer », « re-sémantiser »). Le but de Grégoire est de « transformer », non de « détruire ». Le passage final est particulièrement révélateur de cette stratégie consciente de récupération-transformation : « de la sorte, même si c’étaient les mêmes animaux qu’ils avaient l’habitude de sacrifier, maintenant qu’ils les sacrifiaient au vrai Dieu et non plus à des idoles, ce n’étaient plus les mêmes sacrifices ». Ce jeu sémantique sur l’identité et la non identité des faits culturels, qui passent d’une valeur païenne à une valeur chrétienne tout en restant matériellement les mêmes (ipsa essent animalia ... iam sacrificia ipsa non essent), constitue l’essentiel de la stratégie proposée. Il est plus explicite que celui que nous avait décrit Grégoire de Tours, mais tout aussi remarquable.
    Entre destruction, oblitération et récupération de mémoires
    45 Dans le passage du paganisme au christianisme il y a donc eu, du moins chez certains des intellectuels et des hauts pasteurs de l’Église, une stratégie pastorale qui privilégiait la récupération orientée ou ré-interprétation plutôt que la destruction pure est simple. S’il y a destruction (voir la lettre de Grégoire le Grand sur les idoles), c’est une destruction sélective.
    46 Cette stratégie est consciente et hautement valorisée : « sous l’inspiration divine », « après une longue méditation ». Les deux cas évoqués ont valeur d’exemple, de programme, voire de plan pastoral à la portée universelle. Cette récupération ne vise pas des éléments culturels isolés, mais des ensembles structurés et complexes. Elle reconnaît la valeur des anciennes « habitudes » (terme qui revient souvent, sous diverses formes), dans lesquelles doivent se couler les nouvelles réalités chrétiennes. Ces éléments récupérés sont laissés autant que possible intacts dans leur structure extérieure et leur organisation, tout l’effort étant orienté vers le changement de sens : inmutare, commutare.
    47 Les éléments partiels impliqués dans cette opération sont multiples, et orientent vers autant d’aspects extrêmement riches du phénomène du passage du paganisme au christianisme, car il touchent à la mémoire des lieux, mais aussi à la mémoire du temps, des gestes, des fonctions, des valeurs :
    48 Le thème de la récupération des lieux (les édifices, mais aussi les lieux sacrés naturels), renvoie à des dimensions multiples, et sans doute extraordinairement ramifiées : le problème de la superposition des églises (ou ermitages, lieux de pèlerinage, voire monastères) aux édifices païens est la dimension la plus apparente. Après une large enquête, Émile Mâle affirmait, justement pour la Gaule, que « la basilique chrétienne a pris d’ordinaire la place d’un sanctuaire païen » (Mâle, 1905 : 5). Mais il y a aussi la récupération des grottes, des sommets, des sources, des arbres, des bois, des pierres sacrées, dont certains sanctuaires majeurs (comme le Mont Gargan) peuvent témoigner de l’importance générale, mais dont seulement l’étude du folklore local peut permettre de mesurer l’extraordinaire diffusion et enracinement.
    49 La récupération des dates évoque le thème des origines païennes de certaines fêtes chrétiennes, très évidentes pour une douzaine au moins de grandes fêtes (et la notion en est encore claire au xiie et xiiie siècles, chez les liturgistes et dans la Légende dorée), mais tout aussi indubitables pour un grand nombre des fêtes mineures, locales, et des fêtes de saints (comme sainte Brigitte) ; une recherche récente en dresse un remarquable tableau historiographique (Brossard-Pearson, 2008).
    50 La récupération des rites (réunions festives, libations, offrandes d’objets variés, repas, processions en chariot) évoque le thème des éléments d’origine païenne dans la liturgie chrétienne, surtout dans les liturgies populaires : l’incubatio, la mensuratio, le poisage et contrepoisage, l’humiliation des saints, les ex-voto. L’étude des rituels, tels qu’on peut les analyser dans le recueil des bénédictions médiévales (Franz, 1909), ainsi que l’étude parallèle des charmes et des formules magiques (Bozóky, 2002), illustreraient l’aboutissement ultime et omniprésent de cette ligne de récupération.
    51 La récupération des fonctions (dans le cas de Helarius-Hilarius, faire venir la pluie) nous renvoie au monde inépuisable des spécialisations thaumaturgiques des sanctuaires et des saints, aux fonctions sociales des fêtes, à certaines fonctions politiques et identitaires du culte des saints, et, finalement, à toutes les fonctions de la religion dans la structure de la société. Une étude récente et très articulée le montre pour le paganisme carnute (Robreau, 1997), tandis qu’une autre étude montre l’importance du thème des survivances du paganisme dans la pastorale du haut Moyen Âge (Filotas, 2005).
    52 Ces deux textes, si intéressants soient-ils, posent toutefois un problème historique majeur. Bien qu’apparemment isolés, ils semblent avoir eu une efficacité pratique réelle. On peut souscrire au commentaire de Claude Lecouteux, pour qui « ce que Grégoire recommande de faire aux temples païens a été appliqué, mutatis mutandis, aux traditions et aux croyances, et c’est ce travail d’adaptation et d’amalgame qui leur a permis de survivre sous les habits neufs du christianisme » (Lecouteux, 1994 : 8). Comment expliquer, alors, la discordance entre le témoignage massif des faits et la rareté des affirmations de principe ? Voilà un problème que les historiens de la mission chrétienne devraient nous aider à résoudre.
    53 Cette stratégie audacieuse et consciente de « christianiser le paganisme » comportait néanmoins un risque certain, par un choc en retour, de « paganiser le christianisme », possibilité dont les pasteurs ne semblent pas avoir été, dans les deux textes commentés, assez conscients. En transformant Helarius en Hilarius, n’y avait-il pas le risque de transformer Hilarius en Helarius ? Et quelle utopie d’intellectuel, peut avoir poussé Grégoire à croire, à propos des banquets sacrificiels, qu’après leur christianisation, « par ces quelques joies extérieures qui leur sont conservées, les païens pourront consentir plus facilement aux joies intérieures » !
    54 Mais cette stratégie consciente, et le danger qu’elle comportait, nous ouvre à l’immense et extraordinaire domaine de la religion populaire au Moyen Âge. Car qu’est-ce au juste que cette religion ? Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, on a assisté à une floraison d’études dans ce domaine. Or, dès le début de ce mouvement, historiens et sociologues furent confrontés au problème de définir ce qu’est au juste la religion populaire, et de comment la distinguer de la religion savante et officielle. Dans ce débat, on vit émerger deux lignes principales d’interprétation.
    55 Selon une première ligne, la religion populaire de l’Occident chrétien, n’est pas une réalité foncièrement différente par rapport à la religion officielle. Elle représente plutôt l’ensemble des variations et des adaptations que la religion officielle subit chez les fidèles ordinaires, selon les différents contextes historiques et sociaux. Selon des formulations particulièrement nettes de cette approche, « la religion populaire est l’expression populaire de la foi chrétienne » ; « la religion populaire [chrétienne] est catholicisme populaire, distinct, mais non différent par rapport au catholicisme cultivé » ; « la religion populaire chrétienne est la forme dans laquelle le peuple chrétien... a reçu, intériorisé et exprimé le message chrétien, prêché par la hiérarchie et formulé par la théologie » (De Rosa, 1981 : 82-83)15. En somme, selon cette approche, le « populaire » ne serait, surtout dans le domaine religieux, que du « popularisé ».
    56 Selon une seconde, et plus intéressante, approche, la religion populaire du Moyen Âge est une synthèse de christianisme et de cultures pré-chrétiennes. Elle constitue par là une forme originale de religion, ou tout au moins une variante originale du christianisme officiel. L’élément essentiel qui caractérise la religion populaire est en effet la présence en elle de la culture folklorique, comme composante primordiale et structurale (Schmitt, 1976 : 944)16. Le postulat de cette approche est que la religion officielle n’a pas réussi à éliminer la culture folklorique et que celle-ci, au contraire, s’est appropriée la religion officielle, en la folklorisant 17. « On observe partout – a-t-on dit de la Pologne médiévale, mais on pourrait le répéter pour le Moyen Âge dans son ensemble – le même double processus : d’une part, christianisation d’un folklore extrêmement puissant et résistant, d’autre part folklorisation d’un christianisme de plus en plus solide et enraciné dans la réalité socioculturelle de chaque groupe, chaque région, chaque pays. [...] Il subsiste une culture populaire chrétienne, une sorte de mélange des éléments de la religion cosmique, naturelle, avec ceux du christianisme, mais capables d’être intégrés dans le vécu populaire dans un ensemble, dans un système dont on pressent la cohérence » (Kłoczowski, 1979 : 21-22).
    57 Cette perception de la religion populaire est partagée par Jacques Le Goff, dans une affirmation synthétique que l’on aurait pu mettre en exergue de notre étude :
    « Les grands ennemis ou concurrents du catholicisme n’ont été ni le paganisme officiel antique qui s’est effondré rapidement, ni le christianisme grec cantonné dans l’ancienne partie orientale de l’empire romain, ni l’Islam contenu puis refoulé, ni même les hérésies ou les religions comme le catharisme qui, avant d’être vaincues par le catholicisme, n’avaient en définitive pu se définir que négativement, par rapport à lui. Le véritable ennemi du catholicisme, ce fut bien l’antique serpent qu’il conjura sans l’anéantir, le vieux fond de croyances traditionnelles, ressurgies sur les ruines du paganisme romain qui tantôt s’enfoncèrent sans disparaître dans le sous-sol du psychisme collectif, tantôt survécurent en s’incorporant au christianisme et en le déformant, en le folklorisant » (1972 : 749).
    58 Dans cette perspective, les deux textes ici évoqués et commentés représentent bien plus que deux curiosités d’érudits : ils constituent des clés essentielles pour la compréhension de la religion et de la culture du peuple au Moyen Âge.
    http://www.voxnr.com/cc/dh_autres/EFAuAykkFZjlePgLzb.shtml
    notes
    1 Son essai sur saint Marcel et le dragon constitue un exemple fort convaincant d’application concrète de ces catégories, notamment la dernière.
    2 Cette idée et cette ligne de recherche ont été poursuivies par l’auteur dans toute son œuvre. Voir, à titre d’exemple : Pierre Saintyves, Les saints successeurs des dieux. Essais de mythologie chrétienne, Paris, Émile Nourry, 1907 ; Les Vierges-Mères et les naissances miraculeuses. Essai de mythologie comparée, Paris, Émile Nourry, 1908 ; Les reliques et les images légendaires, Paris, Émile Nourry, 1912 (sur le sang qui se liquéfie, les talismans, les reliques et statues qui tombent du ciel) ; En marge de la légende dorée : songes, miracles et survivances. Essai sur la formation de quelques thèmes hagiographiques, Paris, Émile Nourry, 1930 (sur les saints céphalophores, l’incorruptibilité des cadavres, les sorts des saints et leurs modèles païens) ; Saint Christophe successeur d’Anubis, d’Hermès et d’Héraclès, Paris, Émile Nourry, 1936.
    3 Cette traduction, enrichie d’une vaste introduction et d’un riche apparat de notes, se base sur la récente édition critique : Iacopo da Varazze, Legenda aurea. Edizione critica a cura di Giovanni Paolo Maggioni, 2a edizione rivista dall’autore, Firenze, Edizioni del Galluzzo, 1998.
    4 Parmi les innombrables thèmes qui, dans la Légende dorée, supposent un substrat folklorique, certains ont été spécifiquement étudiés. Je citerai à titre d’exemple : Paul Canart, 1966, « Le nouveau-né qui dénonce son père. Les avatars d’un conte populaire dans la littérature hagiographique », Analecta Bollandiana, 84, pp. 309-333 ; Isabelle Grangé, 1983, « Métamorphoses chrétiennes des femmes-cygnes. Du folklore à l’hagiographie », Ethnologie française, 13-2, pp. 139-150 ; J. Haudry, 1985, « Saint Christophe, saint Julien l’Hospitalier et la “traversée de l’eau de la ténèbre hivernale », Études indo-européennes Lyon, 14, pp. 25-31 ; G. Milin, 1991, « La traversée prodigieuse dans le folklore et l’hagiographie celtiques : de la merveille au miracle », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 98-1, pp. 1-25 ; Pierre Saintyves, 1912, « Le thème du bâton sec qui se reverdit. Essai de mythologie liturgique », Revue d’histoire et de littérature religieuses, n.s., 3, pp. 330-349 ; B. Sergent, 1997, « Saints sauroctones et fêtes celtiques », Cahiers internationaux de symbolisme, 86-88, pp. 45-69 ; Simone Vierne, 1997, « La sainte et le dragon », Cahiers internationaux de symbolisme, 86-88, pp. 289-299.
    5 Le contexte explicatif de ce thème est proposé par Maurizio Bertolotti, 1979, « Le ossa e la pelle dei buoi. Un mito popolare tra agiografia e stregoneria », Quaderni storici, 41 (sous le titre Religioni delle classi popolari), pp. 470-499.
    6 Charles Plummer, (éd.), Vitae sanctorum Hiberniae, 1910 [1968], Oxford, Clarendon Press ; voir en particulier la section : Heathen Folklore and Mythology in the Lives of the Celtic Saints, I, pp. cxxix-clxxxviii (pour la citation, cf. p. cxxix).
    7 Ibidem, I, p. cxxxii.
    8 Le texte peut aussi se traduire : « du fromage, de la cire et des pains auxquels on avait donné une forme spéciale ». Dans ce cas, les formes choisies devaient avoir une signification rituelle.
    9 Alors Anderitum, aujourd’hui Javols.
    10 Littéralement : « il n’y a aucune religio dans cet étang ».
    11 Grégoire de Tours, Liber in gloria confessorum, 2 ; dans M. G. H., Script. rer. merovingic., t. I, Hanovre, 1884, p. 749.
    12 C’est probablement à cause de ce manque de repères dans la culture écrite que la tradition manuscrite semble témoigner des incertitudes sur le nom Helarius, transmis dans certains manuscrits comme Helanus, ou Elarum (Helarum).
    13 L’authenticité de cette lettre a soulevé quelques doutes dans le passé, du fait qu’elle n’apparaît pas dans le registre conservé des lettres de Grégoire, mais seulement dans l’Histoire ecclésiastique de Bède. Puisque, par ailleurs, Bède assure l’avoir trouvée dans les archives romaines, où il a fait transcrire toutes les lettres de Grégoire concernant la mission en Angleterre, et que nous savons que l’actuel registre romain des lettres de Grégoire ne conserve probablement qu’une petite partie de l’ensemble de ses lettres, les critiques sont presque unanimes à reconnaître l’authenticité de ce document, prouvée aussi par des analyses philologiques et linguistique. Voir R. Markus, 1963, « The chronology of the Gregorian mission to England: Bede’s narrative and Gregory’s correspondence », Journal of Ecclesiastical History, 14, pp. 16-30, et « Gregory the Great and a papal missionary strategy », in Cuming G., (ed.), The Mission of the Church and the Propagation of the Faith, Cambridge, University Press, 1970, pp. 29-38.
    14 Bède le Vénérable, Histoire ecclésiastique du peuple anglais, livre I, ch. 30. Paris, Les Belles Lettres, 1999. vol.1, pp. 65-67.
    15 Pour le Québec, on a pu se demander s’il existe vraiment une religion populaire. Guy Laperrière, en comparant l’historiographie sur la religion populaire en France, et celle au Québec, constatait, au moins à une première analyse, une différence fondamentale entre les deux courants, car « les réalités étudiées ne sont pas du même ordre » : « L’étude de la religion populaire, en France, consiste[rait] à rechercher toutes ces manifestations religieuses qui échappent à la régulation sociale du clergé, tous les écarts par rapport à une religion dite officielle, prescrite ou cléricale... Rien de tel au Québec » (entre les années 1837 et 1960). « Durant toute cette période, l’emprise du clergé sur les domaines que l’Église considère comme siens est pratiquement totale... En somme, au Québec, la religion populaire, c’est la religion des clercs, destinées au fidèles et consommée (ou non) par eux. Il n’y aurait pas au Québec de religion populaire autonome, il n’y aurait qu’une religion cléricale ou, plus simplement, une religion catholique hiérarchisée, où le clergé propose et où les fidèles suivent (plus ou moins) docilement ». Voir Guy Laperrière, 1984, « Religion populaire, religion de clercs ? Du Québec à la France, 1972-1982 », in Lacroix & Simard, (éds.), Religion populaire, religion de clercs ? Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, pp.19-45 (texte cité pp. 21-22).
    16 Ces vues ont été exprimées de façon articulée par Jean-Claude Schmitt (1976 : 941-953), selon un principe résumé dans la formule : « la religion populaire ne peut être dissociée de l’ensemble de la culture folklorique » (p. 944).
    17 Plus extrême encore était la thèse de certains folkloristes du siècle dernier, dont Paul Sébillot (1908), pour lesquels le paganisme avait traversé les siècles pratiquement intact, jusqu’à nos jours. Sa thèse fondamentale : « le paganisme contemporain ne diffère pas souvent dans ses grandes lignes de celui qui était pratiqué il y a des milliers d’années, et cette sous-religion n’a pas été entamée dans ses parties essentielles par les religions plus savantes et plus raffinées qui se sont succédées dans les diverses contrées de l’Europe celto-latine » (p. xxvi).
    Bibliographie
    Boureau Alain, (dir.), 2004, Jacques de Voragine. La légende dorée. Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 504.
    Bozóky Edina, 2003, Charmes et prières apotropaïques, Turnhout, Brepols, coll. « Typologie des sources du Moyen Âge occidental », 86.
    Brossard-Pearson Stéphane, 2008, L’origine païenne des fêtes chrétiennes. Recherche historiographique. Mémoire de MA, Université de Montréal.
    De Rosa Giuseppe, 1981, La religion popolare. Storia, teologia, pastorale, Roma, Edizioni Paoline.
    Filotas, Bernadette, 2005, Pagan Survivals, Superstitions and Popular Cultures in Early Medieval Pastoral Literature, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, coll. « Texts and Studies », 151.
    Fontaine Jacques, (éd., trad., introd.), 1967, Sulpice Sévère. Vie de saint Martin. Paris, Édition du Cerf, coll. « Sources Chrétiennes », 133.
    Franz Adolf, 1909, Die Kirchlichen Benediktionen im Mittelalter, 2 vol., Freibourg/Brisgau, Herder (réimpr. Graz 1960).
    Hutton Ronald, 1993, The Pagan Religions of the Ancient British Isles: Their Nature and Legacy, Oxford – Cambridge (USA), Blackwell (notamment le chap. VIII, Legacy of Shadows).
    Kłoczowski J., 1979, « Du Moyen Âge aux Lumières », in La religion populaire. Colloque international du CNRS, Paris, 17-19 octobre 1977, Paris, Éditions du CNRS, pp. 15-23.
    Lecouteux Claude, 1994, Mondes parallèles. L’univers des croyances au Moyen Âge, Paris, Honoré Champion, coll. « Essais », 14.
    Le Goff Jacques, 1972, « Le christianisme médiéval en Occident du Concile de Nicée (325) à la Réforme (début du 16e s.) », in Puech Henri-Charles, (éd.), Histoire des religions, II, Paris, Gallimard, coll. « Encyclopédie de la Pléiade », pp. 749-868.
    –, 1977, « Culture cléricale et traditions folkloriques dans la civilisation mérovingienne », in Le Goff J., Pour un autre Moyen Âge, Paris, Gallimard, pp. 223-235.
    –, 1977, « Culture cléricale et culture folklorique au Moyen Âge : saint Marcel et le dragon », in Le Goff J., Pour un autre moyen âge, Paris, Gallimard, 236-279.
    Mâle Émile, 1950, La fin du paganisme en Gaule et les plus anciennes basiliques chrétiennes, Paris, Flammarion.
    Robreau Bernard, 1977, La mémoire chrétienne du paganisme carnute, Tours, Université François Rabelais.
    Schmitt Jean-Claude, 1976, « “Religion populaire” et culture folklorique », Annales. ESC, 31, pp. 941-953.
    –, 1979, Le saint lévrier Guinefort, guérisseur d’enfants depuis le 13e siècle, Paris, Flammarion.
    –, 1988, « Les superstitions », in Le Goff J. et Rémond R., (éds.), Histoire de la France religieuse, I, Paris, Seuil, pp. 417-551.
    Sébillot Paul, 1908, Le paganisme contemporain chez les peuples celto-latins, Paris, O. Doin.

  • Chahuts provoqués par des militants d’Action française et du Printemps français durant cette semaine de la femme

    Certains se sont émus des chahuts provoqués par des militants d’Action française et du Printemps français durant cette semaine de la femme.

    Dans ce monde décérébré du consensus obligatoire, il est certes choquant de ne plus pouvoir se rendre tranquillement à une réunion organisée notamment par les jeunesses communistes à Bordeaux ou par les mouvements dits féministes ailleurs.

    Mais ne soyons pas dupes de la supercherie médiatique et des cris d’orfraie des démocrates à sens unique qui se drapent dans leur dignité dès qu’ils aperçoivent des étudiants goguenards qui ne jouent pas le jeu dont ils voudraient imposer les règles.

    "Que fait la police ?", s’exclament ces émules du ministre de l’intérieur...

    Sommes-nous pour autant hostiles aux femmes ? Ah que non, sacrebleu !

    C’est parce que nous les aimons passionnément que nous voulons disperser ceux qui se croient leurs thuriféraires mais les encensent, comme on encense le cercueil d’un défunt. Nous ferons tout pour que l’avenir des femmes ne leur soit jamais confié, elles peuvent compter sur nous.

    Nous voulons que les femmes vivent et s’épanouissent comme telles, eux désirent en faire des objets utilitaires et marchands. La PMA et la GPA par exemple qu’ils réclament à grands cris pour prétendument libérer les femmes, va les asservir plus sûrement que la prostitution. Quelques grandes bourgeoises y trouveront certes quelque avantage, tandis que de pauvres anonymes porteront pour elles le bébé qu’elles ne voudront pas assumer.

    Sacré Aldous, il nous avait déjà tout dit dans « Le meilleur des mondes ».

    Les cris effarouchés de ceux qui organisent l’asservissement de la femme et tuent la féminité ne nous atteignent guère.

    Des hommes qui aiment les femmes sont venus perturber la sérénité des liturgies de requiem matérialistes programmées par ceux qui, sous prétexte de les libérer, voudraient que les femmes disparaissent en tant que femmes.

    Gloire à eux qui s’inscrivent dans la plus pure tradition des Camelots du roi.

    - Action française
    - Printemps français
    - Femmes de France solidaires

    http://www.actionfrancaise.net/craf/?Communique-Chahuts-provoques-par

  • 122 enfants à naître sauvés de l’avortement

    Au onzième jour de la campagne de Carême des 40 Days for Life.

    Michel Janva

  • L’exercice de la légitime défense

    Lu sur les Hommes-adorateurs :

    "L’apprentissage de l’accueil des vertus se fait d’abord par l’exercice légitime de la légitime défense. C’est-à-dire de l’apprentissage de la vie chrétienne et donc de la défense de sa dignité. La légitime défense de la vie et de sa vie chrétienne comme découlant de la loi naturelle qui nous donne d’ être des hommes libres et respectés, de croire et de professer une foi, et pour nous La Foi (Cf Lumen Gentium), … est avant tout un devoir qui dans l’ordre de la croissance, qu’est aussi la sainteté, est premier. Parce que la légitime défense est fondamentalement raisonnable et le martyr fondamentalement déraisonnable, pas intrinsèquement mais parce qu’il dépasse la raison, comme la Foi dépasse la raison mais ne se contredisent pas. Donc il est raisonnable de dire à un enfant brimé par sa classe de se défendre et de le défendre (je ne m’attache pas au comment). Car s’il est brimé c’est qu’il ne sait pas, ne dispose pas des armes légitimes à la préservation de sa dignité, qui lui est due. A cet enfant il serait déraisonnable de l’engager à l’offrande, au martyr, car l’on offre que ce que l’on a à offrir.

    Concrètement l’enfant en question ne dispose pas de sa dignité car il est en apprentissage de celle-ci. La défendre justement lui permettra de l’acquérir comme un bien propre. Si l’enfant, car déjà saint, c’est-à dire d’une maturité telle qu’il se sait toujours pauvre et dans la main de Dieu et se recevant de Lui, possède déjà sa propre dignité d’enfant de Dieu, alors seulement librement, volontairement, comme le ferait un adulte, cet enfant peut s’offrir poussé par la grâce à subir les outrages de sa classe pour Jésus.

    Ce qui est de l’ordre de l’héroïcité des vertus, ne peut-être exigé d’une personne extérieure et à fortiori d’un éducateur, d’un responsable. La Sainteté et donc le martyr est le fruit d’une croissance. Ce serait dans le cas présent une grave erreur de sa part et témoignerai de sa non compréhension de la parole de Dieu concernant le fait que tendre sa joue gauche après la droite, est de l’ordre du « conseil évangélique » pour la Perfection (Jésus ici donne le but à atteindre, pas ce qu’il faut faire quand on y est pas encore arrivé : tendre sa joue, après l’autre alors qu’en fait on vous l’arrache n’est pas une offrande, mais de la faiblesse : ce qui se combat avec la vertu de force). Il s’adresse à ceux, qui sous la motion de l’Esprit Saint, il est donné par ce même esprit de témoigner, concrètement témoigner de ce qu’ils reçoivent de Lui et pas d’eux-mêmes. Le martyr est d’abord une invitation divine, puis une libre réponse de l’homme à celle-ci. Car il est du martyr comme de l’Amour divin qui ne peut être contraint et inconscient, absolument.

    La bonne nouvelle c’est que si vous êtes confronté à une situation de martyr et que vous dîtes « semper parati », toujours prêt, c’est l’Esprit Saint, Himself, qui vous fera témoigner et même endurer, ce qui ne peut l’être humainement. Ce qui explique les récits véridiques de la « légende dorée » par exemple d’un Saint Laurent qui déclare sur le gril : retournez-moi je ne suis pas assez grillé de ce côté-ci !

    Sans l’Esprit Saint par une Grâce particulière, personnelle et actuelle ni moi, ni vous n’irons au martyr, déjà la légitime défense est un sacré défi, alors le martyr n’en parlons pas. Mais nous sommes sacrément assistés  !"

    Michel Janva

    http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/web.html

  • Postmodernité : encore un effort !

    Postmoderne : le mot est dans toutes les bouches. Mais personne ne sait exactement de quoi il s'agit. La chose, cependant, existe. On peut même en faire la preuve empirique : quand, autour de nous (voire à l'intérieur de nous-mêmes), d’innombrables indices amènent nos contemporains, sans s'être donné le mot, à qualifier unanimement de “postmodernes” certains phénomènes ou messages, il faut bien qu'il y ait anguille sous roche. Que cette étiquette soit flatteuse pour les uns, péjorative pour les autres, ne change rien à l'affaire. À l'évidence, quelque chose se trame autour de nous. Cela croît, s'amplifie, s'enfle en permanence. Mais, faute de recul, nous n'en percevons que vaguement les contours.
    Évoquant, sur le mode badin, les onze années de sa présidence de l'université de Munich, Nikolaus Lobkowicz (Communio, éd. all., n°4/1986, pp. 352 ss.) a bien cerné les difficultés auxquelles se heurte toute première approche de l'irradiation postmoderne :
    « Sans cesse me revenait à l'esprit la remarque pénétrante de A. Santos qui affirmait que les contemporains ne sont jamais capables de juger leur époque puisque tout dépend de ce qu'elle produit. On agit en fonction de telle ou telle expérience passée, de tel ou tel principe qui, en général, n'a rien d'évident, d'après certaines idées sur les périls qui nous guettent et nos possibilités. Si ces périls ne mènent pas à la catastrophe, l'historien de l'avenir sera tenté de dire que nous avons exagéré. Si au contraire les possibilités ne s'actualisent pas, on nous accu­sera d'aveuglement. Nous vivons dans un demi-jour, et si d'aventure nous trouvons notre chemin, c'est par instinct plus que par raison. Voilà un argument de taille contre l'idée selon laquelle nous vivons à une époque éclairée ».
    Je n'ai, bien entendu, cité ces quelques brins de sagesse que pour mieux me jeter à l'eau. D'autant que l'on s'apercevra (le lecteur me pardonnera cette troisième métaphore) que dans un premier temps, au moins sur une partie du parcours, nous évoluons en terrain sûr. Je m'explique : il me semble que sur cette “postmodernité” aux contours si incertains, on peut s'accorder sur 3 points, que j'indiquerai. Nous tenterons ensuite de dégager, sur un sujet si déroutant, 3 grands axes d'interprétation dont on commence déjà à percevoir les linéaments. Une dernière foulée nous ramènera sur la terré ferme et nous présenterons un jeune éditeur et un jeune auteur qui nous parais­sent incarner la “postmodernité”.
    C'est appliqué à l'architecture que le terme “postmoderne” s'est sans doute révélé à la plupart d'entre nous. Et ce n'est pas un hasard si c'est dans ce domaine-là que l'ex­pression s'est rapidement imposée : on ergote moins volontiers sur une construction ou un problème d'urbanisme que sur la poésie ou la théologie : en architecture, l'objet du débat est une réalité optique évidente, et la postmodernité n'y est pas difficile à repérer : c'est une révolte contre l'architecture “fonctionnaliste” genre Bauhaus. Certes, les architectes postmodernes ont, eux aussi, pour principe que le style doit découler de la fonction de l'édifice à bâtir (“form fol­lows function”, dit-on). Mais ils donnent au mot “fonction” un sens plus vaste. Un cou­loir, par ex., n'a pas simplement pour “fonction” de permettre à 2 personnes de se croiser sans se gêner (ce serait plutôt la fonction d'un mètre !) : un couloir ne doit pas donner une sensation d'oppression.
    L'homme est plus que ses besoins physiques : ses besoins psychiques sont l'autre face de la “fonction” que doit remplir une construction, et c'est pourquoi l'architecte postmoderne se permet d'équilibrer la gravité d'un ensemble par des éléments articulants, nullement indispensable sur le plan technique. Et comme l'homme n'est pas seulement un homo faber mais également un homo ludens, des architectes comme Bofil, Krier, Charles Moore ou Watanabe ne négligent pas d'embellir leurs œuvres d'ornements “superflus” mais qui en rehaussent l'aspect : Ils se permettent, très naturelle­ment, des emprunts : ici une colonnade grec­que ou une corniche à la Palladio, là un axe médian d'allure princière qui rehausse la vie, l'élevant vers la joie ou le tragique. En architecture, la postmodernité est une geste libératrice qui rompt avec la sclérose du dogmatisme et de l'unilatéral. L'est-elle dans les autres domaines ?
    À l'évidence, la “postmodernité” a une parenté française. C'est le second point. Et une certitude : quel que soit le volet de la postmodernité à l'étude, on rencontre à chaque pas soit des racines françaises, soit dés impulsions venues d'ailleurs mais retransmises par la France. Celle-ci, qui paraissait définitivement vouée au nombrilisme. assume, depuis quelques dizaines d'années, le rôle qui fut si longtemps celui de l'Allemagne : celui du penseur qui va jusqu'au bout des idées, celui du grand initiateur, du grand séducteur dans les choses de l'esprit et de la culture, celui du grand explorateur de nouveaux rivages.
    Si les grands débats inaugurés par Nietzsche et Heidegger ne se sont pas enlisés, c'est grâce aux philosophes français. Au point qu'aujourd'hui, lorsque nos philosophes allemands crispés se prêtent à un débat avec leurs homologues français, ils ont le ridicule (et pour cause) de désavouer (parce que “fascistoïde”) un héritage intel­lectuel allemand redécouvert et réactivé... à Paris. Le complexe d'infériorité suscité par ce hiatus intellectuel dans les rangs du man­darinat ouest-allemand se répercute bien entendu sur l'attitude adoptée face au phénomène postmoderne. Les combats d'arrière-garde de nos mandarins ont fatalement tendance à n'être que la continuation, sous de nouveaux oripeaux, de la vieille imprécation fielleuse contre le “Franzos' mit der roten hos'” (“Le Français à culotte pourpre” : allusion au pantalon de l'uniforme français de la guerre de 1870 et du début de la Première Guerre mondiale. NDT). Même les polémiques d'une certaines tenue intellectuelle n'en sont pas tout à fait exemptes (voir par ex. l'essai de Klaus Laermann, germaniste de l'université libre de Berlin et appartenant à cette génération d'après-guerre non astreinte au service militaire : « Lacancan et Derri­dada : La francolâtrie dans les disciplines de l'esprit », in Kursbuch n°84, mars 1986, pp. 34 ss.).
    Le troisième fait, incontestable lui aussi, est que l'ennemi visé par l'explosion volcanique de la postmodernité est facilement identifiable. Sur ce point, le consensus des esprits malicieux est renforcé par la fureur de leurs victimes. L'ennemi, c'est la “deuxième Aufklärung”, c'est-à-dire ce curieux mouvement réactionnaire qui croyait, et croit toujours, que l'on peut col­mater les brèches que Georges Sorel, Nietzsche et consorts ont ouvertes dans la muraille des utopies. La “modernité”, dont se détourne le courant postmoderne, est un amalgame idéologique à l'échelle planétaire même s'il varie selon des pays ou les régions. On y rencontre au premier plan des attitudes mentales et des comportements apparemment incompatibles : un matérialisme historique édulcoré par la psychanalyse, qui remplace la lutte des classes par la lutte con­tre certains types de mentalité ; un discours sur la liberté et l'émancipation sans limites ; le culte de l'individu-roi et de l'ego qui ne s'embarrasse pas de devoirs vis à vis d'impératifs supérieurs.
    Les idéologies n'ont jamais été affaire de logique. Il leur faut d'autres liants. Exemple : l'intérêt collectif des milieux qui se sont ralliés à cet Eintopf idéologique et forment une sorte d'interna­tionale soudée. Ou encore le confort intel­lectuel du repli stratégique sur une éthique de l'intention pure qui n'engage bien entendu à rien et dispense de l'épreuve des faits. Et dans la mesure où l'on peut parler d'une assise “philosophique” de tout cela, ce n'est qu'un égalitarisme qui mesure toute réalité à l'aune de l'unidimensionnel et se réclame d'un universalisme inspiré tantôt de Spinoza tantôt de saint Thomas. Le résul­tat de ce réductionnisme est une pensée monolinéaire qui prétend expliquer logique­ment le monde et résoudre ainsi tous les pro­blèmes. Et lorsque le coup de baguette magi­que se révèle inopérant, le missionnaire vient à la rescousse, fort de la conviction d'être moralement infiniment supérieur aux “non éclairés”. Le lecteur me pardonnera cette définition en raccourci de la modernité : il en connaît déjà les divers ingrédients et peut donc les retrouver lui-même dans le tableau que j'ai brossé.
    L'adversaire a senti le danger. Il existe des revues (et pas seulement le Kursbuch cité plus haut) dont le seul souci, depuis plusieurs années, est de démontrer que l'abandon de la modernité ne doit pas, ne peut pas et ne va pas avoir lieu. Instituts universitaires et organismes privés s'occupent à mettre sur fichier et (noblesse oblige) sur ordinateur les argumentaires, les personnes, les revues et publications d'un “tournant” imaginaire. Quant à l'héritier, aussi teigneux que stérile, des pères défunts de la “deuxième Aufklärung” (celle de Francfort et d'ailleurs), je veux parler de Jürgen Habermas, il consacre toute son éloquence à mettre en garde un public de plus en plus clairsemé contre le flot paresseux de la postmodernité, en laquelle il aperçoit la fin de la liberté, de la démocratie... et surtout de l'Occident (la Deutsche Forschungsgemeinschaft vient de décerner à Habermas l'un des prix du “Programme Gottfried Wilhelm Leibniz”. Commentaire de la Frankfurter Allgemeine Zeitung du 16 juillet 1986 : « Les lauréats peuvent, sans débours bureaucratiques, dis­poser en toute liberté de crédits de recher­che pouvant atteindre les 9 millions de Francs »).
    Pour rendre compte de but en blanc du phénomène postmoderne, l'image de l'éruption volcanique est plus heureuse que celle de la nuée radio-active : le courant postmo­derne apparaît effectivement comme le sur­gissement irrésistible de ce qui tendait à la surface, de ce qui ne pouvait plus être con­tenu. L'édifice intellectuel qu'il met en miet­tes n'avait plus rien à voir avec le réel, mena­çait même de devenir invivable. Or, le flot de lave compacte qui déferle du cratère béant charrie nonchalamment les éléments les plus hétéroclites : des suiveurs, qui se satisfont, comme toujours, de quelques bouchées hap­pées ici et là ; des charlatans, toujours pré­sents là où l'on découvre que l'homme est plus compliqué que l'on croyait ; des oppor­tunistes, habiles à convertir en un tour de main les idées nouvelles en jargon négocia­ble sur le marché de l'esprit. Mais les pires sont peut-être ces enthousiastes sincères qui ne s'aperçoivent pas qu'un cœur débordant a, plus qu'un autre, besoin de rigueur dans l'expression. Ce n'est pas parce qu'on lutte contre la phraséologie moderniste, superficielle et coincée, qu'on va ouvrir toutes gran­des les portes au bavardage, fût-il fleuri ! Que Cioran, Clément Rosset et autres maî­tres de la mise-en-forme précise de l'infor­mel nous soient témoins !
    Cependant (à la guerre comme à la guerre), ceux qui cherchent à empêcher la déconfiture de la modernité se ruent avec délice sur l'équipage il est vrai bigarré de la postmodernité. Voilà même qu'ils agitent un scalp : celui de Dietmar Kamper, sociologue de l'université libre de Berlin, dont la faconde est effectivement une aubaine pour le caricaturiste : son discours abstrus et alambiqué n'a rien à envier au charabia pro­fessionnel des pires épigones de Theodor Adorno, et si l'on feuillette les revues qui s'intitulent “postmodernes” (par ex. Konkursbuch, revue de critique de la raison, ou Tumult, revue des sciences de la commu­nication), on est sans cesse tiraillé entre des fantaisies nombrilistes et un discours perti­nent sur des observations justes. Mais ce sont là les phénomènes habituels qui accompagnent tous les changements importants. Si, en l'occurrence, ils sont plus voyants, c'est peut-être parce que le tournant en question n'obéit pas à une discipline mais insuffle un peu d'air frais dans une atmosphère irrespi­rable et défriche de nouveaux espaces de liberté.
    Bien sûr, la définition du phénomène “postmoderne” tentée ici est elle-même affaire de perspective. L'auteur de ces lignes a été marqué par la Révolution conserva­trice, premier courant intellectuel à avoir eu le courage de dire que ce qu'on appelle la “modernité” n'a en fait rien de moderne et qu'elle est au contraire un réchauffé d'Aufk­lärung (dans ses 2 variantes : la rationa­liste et la sensualiste). Car ce qui fait la nou­veauté de notre époque, à savoir la techni­que et l'industrialisation, n'a jamais été saisi dans son essence, encore moins maîtrisé, par la deuxième Aufklärung. La Révolution conservatrice s'est efforcée de dépasser les abstractions niveleuses de la modernité pour dégager une vision réaliste de l'homme et du monde dans sa complexité, en essayant de faire prendre conscience des conséquences concrètes qui en découlaient.
    Certes, un tel positionnement pourrait facilement porter à la condescendance à l'égard de la postmodernité : on a parfois l'impression d'être un guide de haute mon­tagne qui, après avoir péniblement taillé à grands coups de piolet des marches dans la paroi, verrait les touristes à souliers plats gravir lestement la pente en se jouant de la pesanteur. Je ne cède pas à cette tentation. Je tiens néanmoins à préciser que je ne sou­haite pas être confondu avec 2 types de “compagnons de route” : tout d'abord, les “fondamentalistes” qui se contentent de remplacer un unilatéralisme par un autre ; ils ne réalisent pas qu'une vérité devient fausse dès lors que les vérités adjacentes ne sont plus perçues comme telles. Témoins ces “Verts” qui vident de leur substance les idées écologistes en les réduisant à des abstrac­tions, ne perçoivent pas l'imbrication histo­rique de l'homme et de la nature et songent encore moins à assumer les contraintes qu'entraîneraient les actions qu'ils récla­ment.
    Le cas des autres compagnons de route est un peu plus complexe : ce sont, en bref, des gens qui, certes, désavouent les élé­ments de contrainte de la modernité mais qui en aucun cas ne voudraient renoncer à ses aménités. Il s'agit, pour la plupart, d'intel­lectuels de la gauche libérale. Suffisamment intelligents pour réaliser la débâcle de leurs idéaux, ils ne voudraient au grand jamais passer pour des “hommes de droite” ou tout autre forme du Mal. Exemple classique : Botho Strauss. Très en vogue actuellement, c'est l'auteur de la bouche duquel le bour­geois timoré s'entend dire des choses qu'il récuserait si elles venaient d'ailleurs. Bien sûr, Botho Strauss sait tenir des propos roboratifs :
    « La génération soixante-huitarde l'a encore échappé belle. Elle continue, depuis des décennies, à exercer ses modestes talents intellectuels du haut de chaires conforta­bles... C'est avec de telles formules incan­tatoires (“maîtriser le réel”) que la raison, acculée, essaie de transformer le foisonne­ment du vivant en un monde conceptuel vide. Voilà le véritable irrationalisme ! Sa fade prière, dominée par le tintamarre des intellos en rupture de langage, s'affirme pour ainsi dire d'office et ses blocages augmen­tent en proportion de son zèle. Et, n'ayant rien appris, les éducateurs délaissés par leurs ouailles ânonnent inlassablement le vocabu­laire sec et défraîchi d'une analyse critique qui, à chaque répétition, apparaît un peu plus abstraite » (Paare, Passanten).
    À la bonne heure. La formule fait mou­che. Malheureusement, elle n'aura aucune suite parce que Strauss ne s'en prend qu'aux symptômes. La déroute qu'il nous décrit ne serait-elle, pour lui, qu'un fâcheux accident de parcours ? Croit-il qu'il aurait pu en être autrement ? Botho Strauss a un truc efficace pour éluder ces questions : il truffe son texte de citations, franches ou déguisées, extrai­tes de la littérature universelle (et de la mythologie) : une citation coupée de son contexte a l'avantage qu'on peut à peu près toujours lui faire dire n'importe quoi.
    Mais trêve de critiques. Ouvrons tout grands les bras ! Ce n'est pas par fausse modestie de l'auteur de ces lignes rejette toute condescendance à l'égard de la post­modernité : celle-ci a vraiment quelque chose à nous apporter, quelque chose qui nous manque, nous complète et nous féconde. C'est qu'elle a quelque rapport avec le tra­vail de pionnier entrepris par la Révolution conservatrice. Celle-ci fut la première à déclarer la guerre au dogmatisme stérile de ce qu'on appelle “la modernité”. Un tel combat vous marque un homme. Il force à la réserve, à la concentration sur des tâches déterminées. Rien n'y est laissé au hasard, il faut faire l'impasse sur bien des choses, les remettre à “plus tard”. On s'acharne sur l'adversaire et même si, au nom de la pléni­tude et de la complexité du réel, on se bat contre la grisaille de l'abstraction, un peu de cette grisaille vous colle tout de même à la peau. On panse ses plaies et on fait l'appren­tissage de la prudence. Mais le néophyte qui pénètre pour la première fois dans l'arène ignore encore combien de coups il recevra.
    Nous avons déjà mentionné dans Criticón (n°85 de janvier-février 1985) un baptême du feu postmoderne : la critique par Gerd Bergfleth de cette pensée terroriste qu'est le cosmopolitisme. Mais il y a plus beau encore que les baptêmes du feu : les surprises que nous réserve l'âge postmoderne. Dans sa vir­ginité et son innocence, la postmodernité nous ouvre de nombreuses échappées et éjecte en pleine lumière ce que l'on n'avait que pressenti, ce que l'on avait oublié, ou voulu oublier.
    En Allemagne, l'édition postmoderne atteste une joyeuse diversité. Voici le por­trait, rapidement brossé, d'Axel Matthes, directeur des éditions Matthes & Seitz Ver­lag de Munich. Si nous avons choisi celui-­là, c'est parce qu'il passe actuellement pour être l'entreprise la plus intéressante en la matière : snob mais pas trop, sophistiqué mais avec modération, sans peur des com­promissions ni des voisinages gênants, du flair et plus d'une surprise dans son sac. Ses livres, enfin, sont de petits délices à un prix abordable. Un coup d'œil sur sa production suscite l'étonnement : Axel Matthes fait tout tout seul, de la conception à l'expédition. L'hebdomadaire Die Zeit (16 août 1985) lui a rendu visite (avant nous) : « ... Sans lecteur ni collaborateur, avec une seule comptable qui vérifie les bilans deux fois par semaine et une productrice free lance, il “sort” quinze livres par an ».
    Pourtant, à en croire l'auteur de cet ar­ticle, Matthes n'a rien d'un homme à bout de souffle :
    « Axel Matthes aime parler, et d'abon­dance, tantôt tourné vers moi, tantôt désignant le plafond, parfois le sol, prenants à témoin la fenêtre ou lui-même. Il y a en lui un peu de l'homme de lettres des cafés du XVIIIe siècle, ou d'un ETA Hoff­mann que fascineraient les zones d'ombre des sciences physiques, un peu d'un existen­tialiste en complet noir, mélancoliquement propulsé dans l'existence, un peu d'un Jésus adepte d'une conception hédoniste de la vie. Il discute avec lui-même, ou plutôt ça dis­cute en lui interminablement. Décidément, cette maison d'édition est un seul et unique monologue, fantastique et romantique... »
    Et encore ceci : « Matthes n'édite pas les cuistres. Il n'édite que les auteurs qui pren­nent le risque de se tromper, pour qui la pen­sée risquée est un principe de travail, les auteurs chez qui l'écriture et la vie, c'est à dire l'erreur, ne font qu'un ». Ces lignes viennent à point nous rappeler quelle est la cible de la rébellion postmoderne : la pensée linéaire et figée, responsa­ble de la pétrification du monde. Benedikt Erenz, qui a rédigé ce brillant reportage, cite à ce propos quelques phrases de Matthes :
    « La contradiction, y compris avec soi-même, l'erreur, sont ce qui importe dans la vie. Et qui l'enrichit. Celui qui ne se contredit jamais est mort. L'erreur n'est pas seulement humaine, elle est l'humain. Seul l'animal ne se trompe jamais... »
    Il arrive qu'Axel Matthes prenne la plume. Dans un livre produit par ses soins, il glisse ces quelques réflexions :
    « Ce que nous vou­lons, c'est créer un pôle d'observation pos­sible : non mettre sur pied une théorie com­plète, capable de contenir tout et n'importe quoi. Ce qui nous plaît, au contraire, c'est ce qui est inclassable, et le fait que cela soit inclassable. Nous valorisons des élans impo­pulaires, soupapes de sûreté des hommes, des valeurs et des individus. (...) La révolte est le signe d'une rupture avec tout ordre. Elle a plusieurs visages. La révolte est une chose, la façon dont elle s'exprime en est une autre. II y a la révolte de l'homme sans con­sistance ou du démagogue, qui aggrave encore l'étiolement de l'homme, exaspère son désir de soumission, sa mentalité d'es­clave, sa recherche de la chaleur doucereuse du troupeau. Et il y a la révolte de l'individu rebelle. L'hypocrite et l'intrépide ont de la révolte une conception diamétralement opposée. L'Église a expédié aux enfers tous les “grands hommes” : cette “révolte” déplut à Nietzsche. Je proclame la révolte contre tous les discours établis de la révolte ! »
    On ne saurait trouver mots plus beaux pour décrire la mentalité postmoderne. De Gerd Bergfleth, qu'il nous faut ici présen­ter, nous ne savons rien, pas même son âge. Nous savons seulement qu'il est particulièrement bien vu chez Axel Matthes.
    Mais l'atmosphère n'est pas tout. Il est faux de croire que les auteurs postmodernes ne sont pas des bûcheurs. L'œuvre princi­pale (à ce jour) de Gerd Bergfleth s'intitule “Théorie du gaspillage” (Theorie der Versch­wendung). Il s'agit d'une analyse serrée de la pensée complexe de Georges Bataille (1897-1962), l'un des pères spirituels de la postmodernité… et de Bergfleth. Les livres de Jean Baudrillard, germaniste et sociolo­gue né en 1929, ne sont pas, eux non plus, d'abord facile. Dans le registre des textes édi­tés chez Matthes & Seitz, ils complètent avantageusement ceux de Bergfleth. Baudril­lard est le vétéran de 1968 qui a fait passer dans la postmodernité son expérience du front. Le monumental Dictionnaires des phi­losophes (en 2 tomes volumineux publiés en 1984 par Denis Huisman aux PUF) indi­que que tous les chefs de file, ou presque, du mouvement de 1968 sont naguère passés entre ses mains. Matthes vient d'éditer la tra­duction allemande de sa Gauche divine qui retrace méthodiquement la façon dont la gauche française s'est suicidée entre 1977 et 1984 (donc en partie sous François Mitter­rand). Cette pénible expérience a laissé chez Baudrillard un traumatisme qu'il partage avec tous les auteurs postmodernes ; il pro­fesse pour l'épouvantail appelé “société” un mépris que même un homme de droite nor­malement constitué n'oserait articuler :
    « Le social, l'idée de social, le politique, l'idée de politique, n'ont sans doute jamais été portés que par une fraction minoritaire. Au lieu de concevoir le social comme une sorte de condition originelle, d'état de fait qui englobe tout le reste, de donnée trans­cendantale a priori, comme on a fait du temps et de l'espace (mais justement, le temps et l'espace ont depuis été relativisés comme code, alors que le social ne l'a jamais été — il s'est au contraire renforcé comme évidence naturelle : tout est devenu social, nous y baignons comme dans un placenta maternel, le socialisme est même venu cou­ronner cela en l'inscrivant comme idéalité future - et tout le monde fait de la socio­logie à mort, on explore les moindres péri­péties, les moindres nuances du social sans remettre en cause l'axiome même du social) - au lieu de cela il faut demander : qui a produit le social, qui règle ce discours, qui a déployé ce code, fomenté cette simu­lation universelle ? N'est-ce pas une certaine intelligentsia culturelle, techniciste, rationa­lisante, humaniste, qui a trouvé là le moyen de penser tout le reste et de l'encadrer dans un concept universel (le seul peut-être), lequel s'est trouvé peu à peu un référentiel grandiose : les masses silencieuses, d'où sem­ble émerger l'essence, rayonner l'énergie inépuisable du social. Mais a-t-on réfléchi que la plupart du temps ni ces fameuses masses, ni les individus ne se vivent comme sociaux, c'est-à-dire dans cet espace perspectif, rationnel, panoptique, qui est celui où se réfléchissent le social et son discours ? »
    « Il y a des sociétés sans social, comme il y a des sociétés sans écriture. » L'ex-gauchiste Baudrillard est reconnais­sable à ses “phrases à tiroirs” (nous avons souligné nous-mêmes les passages importants). Mais il nous a amenés au point qui nous intéresse : des « sociétés sans social » : cela même qui passionne Bergfleth. Pour comprendre cette nouvelle constellation, il faut s'abstraire du paysage idéologique auquel est habitué l'homme de droit moyen.
    Bergfleth a été marqué par son maître Georges Bataille dont l'anthropologie repose sur la distinction entre “production” et “gaspillage”. Selon Bataille, l'activité humaine ne se réduit pas entièrement à des processus de production et de reproduction, et la con­sommation doit être scindée en 2 domai­nes distincts. Le premier, réductible, englobe la consommation minimale nécessaire aux individus qui composent une société pour maintenir la vie et assurer la continuation de l'activité productrice... Le second englobe les fonctions dites “improductives” : le luxe, la liturgie funéraire, les guerres, les cultes, la construction d'édifices de prestige, les jeux, le théâtre, les arts, la sexualité perverse (indé­pendante des fonctions purement reproduc­trices). Autant d'activités qui, au moins à l'origine, sont à elles mêmes leur propre fin.
    Dès lors, l'humanité poursuit 2 objec­tifs : l'un, négatif, consiste à maintenir la vie (ou à éviter la mort) ; l'autre, positif, con­siste à accroître son intensité. Ces 2 objectifs ne sont pas contradictoires. Mais l'intensité ne peut être accrue sans risque, si bien que l'intensité à laquelle aspire la majo­rité (ou le corps social) est subordonnée au désir de se cramponner à la vie et à ses œuvres...
    Cette antithèse intensité/durée, chère à Georges Bataille, nous apparaît le moteur le plus puissant de la pensée postmoderne (l'opposition cioranienne entre l'Être et le Néant apparaît, elle, plus légère). Bergfleth fait sienne cette impulsion et la met en forme à sa manière. Sa “théorie du gaspillage”, telle qu'il l'expose dans Ich gestatte mir die Revolte (“Je m'offre le luxe d'une révolte”, anthologie éditée par Matthes), contient 2 réflexions capitales :
    Première réflexion :
    « ... Le gaspillage de l'homme par lui­même reste possible. Il se distingue essentiellement du gaspillage industriel, chosifié. Dans sa forme la plus générale, l'auto­gaspillage est identique à la césure car celle­-ci n'est rien d'autre que le mouvement de dépassement et de sortie de soi-même. Elle n'est pas un acte philosophique ; elle suppose à chaque fois l'engagement de l'homme total. S'il existait une chose qui s'appelât “l'essence de l'homme”, on pourrait voir dans ce sacrifice une perte d'essence mais l'auto-gaspillage signifie précisément que cette essence est perdue à jamais. C'est parce que l'homme est dénué de fondement qu'il peut transgresser lui-même. En dépit du mythe tout-puissant de la production, les possibilités de ce gaspillage de l'homme par lui-même sont, aujourd'hui encore, immen­sément riches. Ce sont, pour n'en citer que les formes essentielles : la catégorie des dépenses agonales : compétitions, jeux de toutes sortes ; les formes de l'investissement effectif : rire, pleurer, etc. ; les formes symboliques : la littérature, l'art et la musi­que ; les formes “excessives” proprement dites : les diverses formes de l'ivresse, de la danse, de l'érotisme, de l'orgie. Enfin et sur­tout, ce que j'appellerais les formes actuel­les du sacré : la révolte, le sacrifice révolu­tionnaire, la fête de la mort comme vie en train de vivre, s'offrant comme expérience directe. Dans toutes ces formes, je gaspille ce que je suis, non ce que j'ai... »
    Seconde réflexion :
    « Le gaspillage n'a jamais été charitable, et aucune raison n'est là pour le justifier. L'absence de salut est une autre composante de l'homme, et pas seulement cette absence mais la passion de cette absence. Toute la civilisation humaine montre qu'il existe un besoin inextinguible d'excès et d'émotion, aspiration qui résulte, en définitive, de la conscience de la mort. Sachant qu'il doit mourir, l'homme doit sans cesse se prouver qu'il sait mourir, il doit introduire la mort dans l'existence et tenter l'impossible : réa­liser cette absence de fondement qui est dans sa nature. Tout gaspillage est fondé sur cette absence, sur le non-espoir constitutif de l'homme, qui toujours le pousse aux extrê­mes. Cependant, la menace extrême est aussi sa possibilité la plus haute et s'il ne recule pas, cette possibilité se mue en une folle béa­titude. Aujourd'hui, c'est plutôt le contraire qui semble s'être produit : la mort a cessé d'être une possibilité suprême ; elle est deve­nue une réalité de masse, et toute une société anxieuse a les yeux fixés sur sa propre sur­vie et celle de l'humanité. Mais la réalité n'est pas la possibilité et la survie n'est pas la vie. La mort, toute puissante sous le règne ensor­celeur de la production, est toujours la mort des autres : la mort-production procède d'un refoulement de la mort sans doute sans équi­valent dans l'histoire. La seule chose qui n'arrive jamais dans cette subversion pres­que parfaite, c'est la mort de soi, et si un renouveau de la vie est encore possible, c'est là, au point creux de cette logique, qu'il devra s'amorcer. Si la mort évacuée n'ap­porte que la mort, il nous faut d'abord apprendre à mourir pour pouvoir vivre. La volonté de survie à tout prix est une catégo­rie du darwinisme social : elle est suspecte de meurtre. La sécurité n'est pas là où l'on cherche fébrilement la sûreté, elle se trouve là où l'on est assez sûr pour se permettre de la gaspiller. » (Passages soulignés par l'auteur).
    Le lecteur n'est pas tenu de souscrire aveu­glément à tous les propos de Bergfleth. Il devrait pourtant prêter l'oreille à ce sermon insolite. On se demande souvent : “Que faire de la postmodernité ?” La réponse est sim­ple : après 1945, les conservateurs ont trop misé sur la durée, négligeant l'autre pôle de la vie que Bergfleth nous rappelle avec insis­tance. “On ne vit pas seulement de pain”. Cette vieille sagesse a été oubliée. C'est la cause de toutes les défaites conservatrices dans notre société de bien-être.
    Armin Mohler, éléments n°60, 1986. (tr. fr. : Jean-Louis Pesteil)
    http://www.voxnr.com/cc/dt_autres/EFAuZuyEFEbMQYqcAb.shtml
    Source : http://vouloir.hautetfort.com/archive/2010/10/index.html

  • Les Sentinelles rappellent à Taubira qu'elle vit dans le mensonge permanent

    Les Sentinelles dénoncent les mensonges du garde des Sceaux, place Vendôme. Mensonge sur le mariage, contracté entre une homme et une femme, mensonge sur l'enfant, né d'un père et d'une mère, mensonges politiques...

    M

     

    Michel Janva