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Edition Spéciale Gilets jaunes La France s’était vêtue de jaune pour la fin de semaine. Partout dans le pays, des rassemblements étaient organisés pour protester contre la baisse générale du pouvoir d’achat. Impôts, taxes sur le carburant et mépris d’Emmanuel Macron, les gilets jaunes entendaient provoquer un signe de l’exécutif. Résultat : Un président parti en Allemagne et un premier ministre qui fait la sourde oreille… Des réactions politiques qui devraient susciter une prolongation du mouvement citoyen, malgré des gros écarts d’organisation.
– Société / La vague jaune citron contre Macron – Politique / L’exécutif entre déni et défiance – Société / Gilets jaunes : et après ? – L’actualité en bref
“Terres de mission” reçoit Sophie Magerand, collaboratrice de l’agence de voyages Odeia. Cette agence, filiale d’un groupe familial, organise des voyages culturels et des pèlerinages dans divers endroits de la planète, de la Terre sainte à l’ancienne Indochine, en passant par la Russie. Puis, la séquence “Eglise en marche” est dédiée à la présentation du projet de série vidéo produite par Saint Louis Studios: “Un dîner aux chandelles”, mettant en scène une famille aristocratique au début du XXe siècle. Site Saint-Louis Studios : www.saintlouistudios.com
Éric Zemmour donne sa vision de la révolte des gilets jaunes : révolte de la France périphérique - dont Christophe Guilluy nous dit qu'elle reste majoritaire - contre la France mondialisée des grandes métropoles, minoritaire. Éric Zemmour y voit une forme nouvelle de la lutte des classes, fil rouge de la présidence Macron [Figaro magazine du vendredi 16 novembre]. Pourquoi pas ? Ou un affrontement Pays Réel / Pays Légal, à la maurrassienne ? Sans-doute les deux. Christophe Guilluy dit encore que la classe dirigeante actuelle parce qu'elle représente et sert la France mondialisée minoritaire est de ce fait condamnée. Si tel était le cas, nous dirions, comme Houellebecq, que nous n'aurions rien à regretter.LFAR
C'est une révolution ? Non, sire, c'est une révolte. On pourrait ainsi retourner le célèbre dialogue qui annonça au roi la prise de la Bastille. Non, la manifestation des « gilets jaunes » ne sera pas une révolution. Le 17 novembre 2018 ne sera pas le 14 juillet 1789. Le monarque élyséen n'a rien à craindre, en dépit des cris poussés par les sans-culottes de La France insoumise et du Rassemblement national. On pourrait même dire que cette révolte n'est qu'une jacquerie, c'est-à-dire une rébellion de manants sans perspective politique ; mais cela la rend d'autant plus grave.
La protestation contre la hausse du prix de l'essence est aussi vieille… que l'automobile. Pendant longtemps, elle fut provoquée par celle du prix du pétrole. Au moins, il y avait une certaine logique. Et puis, le prix de l'essence est devenu une arme au service des idéaux écologiques. C'est en tout cas ainsi que nos gouvernants habillent leurs décisions. Le diesel, voilà l'ennemi ! Il y a quelques années, pourtant, les mêmes nous disaient: le diesel, voilà l'ami ! Allez comprendre. En vérité, les Français ne consomment pas plus d'essence (diesel compris) mais moins. C'est même pour cette raison que l'Etat en augmente le prix. Cela paraît complexe mais c'est simple pour un technocrate de Bercy : plus on achète de l'essence à la pompe, plus on paie de taxes : pour compenser la baisse des recettes fiscales provoquée par la baisse de la consommation d'essence, il faut augmenter son prix ! C.Q.F.D.
Les technocrates de Bercy sont d'autant plus inquiets que la première année du mandat de Macron a vu les dépenses publiques s'envoler de nouveau. On est loin des promesses du candidat de réduire les effectifs de la fonction publique ; mais on est au plus près des électeurs du candidat Macron: les fonctionnaires d'un côté et surtout, de l'autre, les habitants des métropoles qui n'ont pas besoin d'automobile pour se déplacer, bien pourvus en métros, bus, tramways ou encore vélos, voire trottinettes.
Les cibles de la politique de Bercy sont les habitants de cette France périphérique des petites villes qui ont besoin de leurs voitures (souvent au diesel) pour se rendre à leur travail ou conduire leurs enfants à l'école. Comme par hasard, cette France-là n'a pas voté Macron. Elle lui a préféré l'abstention ou Marine Le Pen. Ou, pour les plus âgés d'entre eux, François Fillon. Cette France-là, ce sont ceux qui « fument des clopes et qui roulent au diesel », que brocardait récemment un ministre, à la manière d'Hillary Clinton se gaussant des « déplorables » qui votaient pour Donald Trump. Ce « mépris de classe », qui traduit le retour de la «lutte des classes», est le grand non-dit de cette manifestation des « gilets jaunes »: une « lutte des classes » remise au goût du jour par la mondialisation, qui s'exprime géographiquement, socialement, et électoralement. Une lutte des classes qui est le fil rouge de la présidence Macron, quels que soient les efforts de celui-ci pour le dissimuler.
Moins 4. En cette saison, c’est peut-être un détail pour vous, une baisse de température normale. Mais, pour lui, ça veut dire beaucoup. La pente n’était pas bonne, mais il nous disait que la route était droite – c’était son côté Raffarin. Et il comptait sur son « itinérance mémorielle » du 11 Novembre pour la remonter. Selon le dernier sondage IFOP pour Le JDD, Emmanuel Macron chute donc de 29 à 25 %. Parti de 64 % au lendemain de son élection il y a seulement dix-huit mois, encore à 50 % en janvier, il est aujourd’hui à 25 %.
Pire : sa courbe est exactement superposable à celle de François Hollande en 2012-2013, dans la rapidité de la chute comme dans son ampleur. Macron rejoint Hollande : le retour des origines – et du refoulé. L’un avait eu les cortèges de la Manif pour tous, l’autre a les gilets jaunes. Deux mouvements complètement inattendus, improbables. Deux mouvements à la sociologie et aux motivations complètement différentes mais qui ont ce point commun : partis de franges très hostiles au pouvoir, diabolisés et caricaturés pour leur ringardise (bourgeois cathos coincés homophobes d’un côté, beaufs fumeurs et adeptes du diesel de l’autre), ils ont réussi à organiser une mobilisation populaire en dehors des appareils traditionnels et à affaiblir un pouvoir qui se croyait tout permis. Hollande ne s’en remit pas. Et Emmanuel Macron avait perçu son erreur vis-à-vis de ce mouvement conservateur lui reprochant d’avoir « humilié » ses manifestants. Aujourd’hui, le Président se retrouve à son tour dans cette situation.
Si l’on regarde le détail du sondage, le repli du Président qui mordait sur plusieurs électorats et plusieurs catégories sociales est généralisé. Mais le décrochage est le plus net chez les commerçants-artisans-chefs d’entreprise et les ouvriers (-9 points par rapport à octobre), mais aussi chez les moins de 34 ans et les salariés du public. Faut-il rappeler que ce sont ces classes moyennes et populaires les plus concernées par la fiscalité sur les carburants ? Du point de vue politique, les électeurs LR ont fait le tour du personnage et de la politique d’Emmanuel Macron qui les avaient séduits le temps d’un printemps. Ils ne sont plus que 18 % à exprimer leur soutien. Il leur a fallu dix-huit mois pour se rendre à l’évidence. Chacun son rythme. En fait, Emmanuel Macron n’est plus que le Président des macronistes du premier tour de la présidentielle : ils sont encore 84 % à le soutenir. Le soufflé est retombé.
Encore deux éléments pour apprécier le sondage : le Premier ministre Édouard Philippe subit, lui aussi, une chute spectaculaire de 11 points, atteignant son plancher et cette enquête a été réalisée avant le 17 novembre et le début effectif du mouvement des gilets jaunes. Autant dire que l’impopularité de l’exécutif risque de s’aggraver.
Au lendemain de la manifestation réussie des gilets jaunes, le pouvoir avait délégué M. de Rugy pour montrer qu’il existait encore et réaffirmer sa position : « Nous poursuivrons la trajectoire prévue. » En tout cas, la courbe d’Emmanuel Macron poursuit la sienne. Toujours dans le même sens. Il y a, décidément, du Raffarin dans cette équipe.
« Macron utilise l’argent des Français pour faire de la propagande. Nous lui proposons une autre version ! », clame le Rassemblement national, qui vient de réaliser une contre-vidéo en réponse à celle diffusée par le gouvernement français pour les européennes.
Des migrants arrivant par la mer sur une côte non identifiée, d’autres essayant de monter dans un camion – pour gagner l’Angleterre, imagine-t-on –, d’autres encore qui se révoltent dans un camp qui pourrait être « la jungle » de Calais, puis ce slogan : « Immigration – Stop ou encore ? » : ainsi débute la vidéo d’une trentaine de secondes que le Rassemblement national de Marine Le Pen a réalisée en réponse à celle diffusée par le gouvernement français et qui a fait polémique.
Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et la Commission nationale des comptes de campagne (CNCCFP) ont été saisis, afin que ses frais de création et de diffusion soient imputés à la liste de La République en marche. « Décidément, Macron a un problème avec les règles de financement des campagnes ! », s’était indignée Marine Le Pen.
Sous couvert d’inciter les Français à aller voter aux européennes de mai prochain, le clip mis en ligne par le gouvernement sous le titre « Elections européennes : faites changer l’Europe ! » exprimait une vision de l’enjeu tellement proche de celle d’Emmanuel Macron qu’elle avait été qualifiée, à gauche comme à droite, de « clip de propagande » et avait suscité des réactions indignées de la quasi-totalité de la classe politique. Même le président du MoDem François Bayrou, toujours proche d’Emmanuel Macron, avait fini par concéder : « Présenter une position politique comme une communication de l’État, ce n’est pas très fin. »
Le message propagé par cette vidéo était celui qu’Emmanuel Macron ne cesse de marteler depuis son discours de la Sorbonne : les électeurs vont avoir le choix entre l’Europe de l’« union » et celle de la « division », cette dernière étant représentée par Viktor Orban et Matteo Salvini – et, donc, en France, par Marine Le Pen. Le vice-président du conseil italien avait d’ailleurs réagi, ironisant sur Twitter : « Le gouvernement français publie, avec l’argent des contribuables, un clip officiel pour les européennes en m’utilisant comme un épouvantail. Macron et ses amis doivent avoir très peur. En 2019, un printemps des peuples qui va les balayer les attend. »
Réalisée sur le même modèle et avec la même musique angoissante, la contre-vidéo du Rassemblement national pose le débat en ces termes : « Europe – Démocraties nationales ou dictature de l’UE ? »Avec pour thèmes, selon un décalque parfait du clip gouvernemental : « Immigration – Stop ou encore ? », « Climat – France durable ou écologie politique ? », « Emploi – Patriotisme économique ou travailleurs détachés ? ». Elle se conclut ainsi : « En mai 2019, l’Europe changera.A vous de décider dans quel sens. » « Rassemblement national ou La République en marche ? »
S’il est un point sur lequel Emmanuel Macron et Marine Le Pen s’accordent par vidéos interposées, c’est que le scrutin se jouera entre eux deux, et les études d’opinion leur donnent pour l’instant raison.
A six mois du scrutin, une projection réalisée par EuropeanElectionsStats.eu donne la liste du Rassemblement national et celle de La République en marche à égalité de sièges(dix-neuf chacun) à l’issue des élections européennes de mai prochain, mais le corps électoral semble évoluer très vite.
Dans un sondage Elabe pour BFM TV réalisé les 6 et 7 novembre, le Rassemblement national est donné vainqueur avec 20 % des voix(+ 0,5), tandis que La République en marche décroche brutalement : le parti du président de la République ne recueillerait plus que 19,5 % des suffrages, soit une chute de 4,5 points depuis la dernière étude de cet institut.
Jérôme Sainte-Marie dirige Pollingvox, une société d’études et de conseil spécialisée dans les enjeux d’opinion, fondée en 2013. Dans Le Figarovox, il analyse la contestation :
Si l’on considère dans leur originalité radicale l’émergence de ce mouvement d’opinion puis la mise en place de modalités d’action déconcertantes, force est d’admettre la réussite de cette mobilisation. Il y avait un doute énorme avant le 17 novembre sur la concrétisation de ce mécontentement virtuel, il est désormais levé. Rappelons que ceux qui sont allés sur les ronds-points, les péages autoroutiers et autres lieux de rassemblement, ne savaient pas très bien qui ils allaient y trouver et comment les choses se dérouleraient. Ils étaient donc dans un contexte plutôt anxiogène, à l’inverse du confort qu’offrent les manifestations habituelles, depuis longtemps assujetties à un rituel bien connu de tous, organisateurs, participants et forces de l’ordre. Bien entendu, il existe un hiatus gigantesque entre le soutien déclaré au mouvement, de l’ordre de trois Français sur quatre, et la participation effective à celui-ci, mais comment pourrait-il en être autrement? Nous sommes donc confrontés à une mobilisation dont l’importance quantitative constitue un message encourageant pour tous ceux qui s’y sont peu ou prou reconnus.
[…] Quant aux participants eux-mêmes, les témoignages disponibles et les échanges que j’ai pu avoir avec certains d’entre eux attestent du caractère populaire, à tous les sens du terme, de la mobilisation. Rassemblés par des mots d’ordre portant sur des questions d’argent, ils sont avant tout des salariés, travailleurs indépendants ou retraités aux revenus situés autour ou en-deçà du revenu mensuel médian, qui se situe autour de 1700 euros après impôts. Ce n’est pas la France de la misère ou de l’exclusion, sans doute, mais bien celle dont le travail s’accompagne d’une insécurité financière permanente. Ajoutons que dans la circonstance les clivages sociaux supplantent les autres, et que se mobilisent ensemble des personnes aux origines variées. […]
Rappelons un instant que l’accession au pouvoir par Emmanuel Macron s’est faite par la réconciliation d’électeurs issus du centre, de la gauche et de droite, mais que cette diversité politique s’est accompagnée d’une certaine homogénéité sociale. Il me semble que ce soit alors créé un «bloc élitaire», rassemblant l’élite proprement dite, ceux qui aspirent à en faire partie, et enfin, ceux qui lui délèguent volontiers la gestion des affaires publiques. Cette polarisation a mis en difficulté et le Parti socialiste et le parti Les Républicains, supplantés dans leur vocation gouvernementale. En face, le «bloc populaire» n’existait que sous une forme négative, partagé de manière irréconciliable entre lepénistes et mélenchonistes. L’existence de ces quatre oppositions sans aucune formule d’alliance concevable est la meilleure garantie de pérennité du macronisme. Cependant, le mouvement des «gilets jaunes» peut constituer une rupture décisive. Mobilisation surgie de la base même du pays, ignorant les identités politiques ou syndicales, elle produit sans même s’en soucier une forme de réunification sociale. De ce fait, la polarisation que tente Emmanuel Macron entre «progressistes» et «populistes» prend une dimension sociologique de plus en plus visible. Avec un bloc élitaire bien en place et représenté prioritairement par LREM et un bloc populaire en gestation, la transformation de l’ordre politique français se poursuit et s’accélère.
Par Javier Portella, écrivain espagnol francophone, essayiste ♦ Lorsque, en regardant une carte, on pense à la situation politique, sociale et culturelle de l’Europe (c’est d’elle que je parle, non pas du machin de Bruxelles), on ne peut que se pincer en songeant à tout ce qui sépare les pays de l’Est et de l’Ouest de notre grande patrie.
Moi surtout, qui ai jadis roulé ma bosse dans les pays soumis alors au joug soviétique, je me pince encore plus fort. Non pas, toutefois, à cause du changement connu par le monde soumis hier à une décomposition telle qu’elle risquait d’emporter les assises mêmes de la civilisation. Je me pince parce que, en changeant de signe, la plupart de ces pays-là (la Hongrie, la Tchéquie, la Slovaquie, la Pologne, l’Estonie, la Russie…)[1] sont devenus le plus ferme rempart dressé contre ce qui maintenant se décompose et court des risques pareils – mais de façon tout à fait différente – dans la partie occidentale de l’Europe.
Il ne s’agit pas seulement de l’affrontement entre les gouvernements qui refusent et ceux qui encouragent l’immigration qui risque de remplacer l’être et le sens de l’Europe. Il s’agit de ce qui sous-tend un tel affrontement. Il s’agit de la lame de fond qui, de l’Irlande jusqu’aux rives de l’Elbe, fait que des élites dépravées, mues par leur soif mondialiste et disposant du consensus majoritaire (pour l’instant) de la population, prétendent rejeter toute forme d’identité : culturelle, historique, nationale… voire sexuelle. Ou ce qui revient au même, elles visent (qu’elles s’en aperçoivent ou pas) à n’être strictement rien : rien que d’amorphes zombies agissant au gré de leurs caprices, divertissements et convoitises économiques.
C’est à tout le contraire que visent les peuples soumis hier au communisme. Ce qui est en jeu chez eux, c’est de continuer à être ce que, pendant plus de cinq mille ans, de façons différentes mais rassemblées dans le faisceau d’une même civilisation, nous avons tous été : des hommes pleins de sens et confrontés au non-sens, marqués par le destin, conscients de notre identité.
L’identité
L’identité : voilà le mot clé. Voilà l’enjeu qui se dresse de part et autre de ce nouveau rideau séparant ceux qui prétendent assumer leur être et ceux qui, voulant s’en défaire, prétendent arracher leur chair et leur sang, souhaitent ne plus avoir de signes d’identité : ni historique,ni nationale, ni même sexuelle (celle qui distingue les hommes et les femmes dont le sexe, selon certains délires, ne serait pas déterminé par la nature mais par la volonté).
Certes, le mur qui sépare les uns et les autres est traversé de bien des fêlures. Les choses sont loin d’être univoques en Europe occidentale, dont les peuples commencent à se révolter contre le pari que leur super-classe apatride fait en faveur du néant. La frontière est mouvante entre les deux formes d’être au monde qui sont en jeu (l’Italie est, par exemple, en train de passer maintenant du côté de ceux qui misent sur l’identité), mais cette frontière est encore nettement délimitée : c’est celle de l’ancien rideau de fer.[2]
Pourquoi ?
Pourquoi l’expérience de l’horreur que fut le communisme a fini par déboucher sur des sociétés qui sont spirituellement les plus saines aujourd’hui de l’Europe ? Et l’inverse. Pourquoi dans les sociétés riches et démocratiques d’Occident l’expérience de leur paisible bien-être (qu’une croissante précarité entame toutefois) a par contre débouché sur une telle décomposition ?
Pour deux raisons.
Une décomposition plus visible qu’une autre
Tout d’abord, parce que la décomposition communiste était telle – tellement grossière, tellement impudente, tellement effrontée – que, n’ayant pas réussi à tromper ses victimes, elle a fini par s’effondrer sans marquer personne. C’est tout le contraire qui se passe avec la décomposition déployée en Occident avec tant d’adresse, de subtilité et de leurres que ce n’est que maintenant qu’on commence à s’en apercevoir vraiment.
La déchéance qu’entraîne le nihilisme libéral est, en effet, d’un raffinement si diabolique que ses deux grands artifices – une égalité de conditions et une liberté politique qui restent purement formelles – ont réussi à s’incruster dans le cœur des populations convaincues que la mainmise qu’elles endurent – celle notamment de la « pensée unique » et du « politiquement correct » – n’est rien d’autre que l’expression même de leur liberté.
Or, si cela explique l’emprise du nihilisme libéral en Occident, cela n’explique pas pourquoi c’est l’illibéralisme – entendons : la démocratie affermie sur l’identité et sur certains principes substantiels – qui a percé parmi ceux qui ont, des années durant, si profondément convoité le mirage du mode occidental – c’est-à-dire libéral – de vie.
C’est un autre paradoxe qui permet de le comprendre.
Totalitarisme politique contre totalitarisme du profit
En-dessous de toute la décomposition du monde communiste, en-dessous de tout son ramassis fait de matérialisme graisseux, de ressentiment égalitaire, d’individualisme grégaire, d’internationalisme prolétarien ; en-dessous, plus généralement, de toute sa désacralisation du monde (qui se rattache, d’ailleurs, à la désacralisation découlant des principes philosophiques des Lumières) ; en-dessous de tout cela, quelque chose d’autre pointait.
Tout ne fut pas rasé par le communisme. Plus exactement, son rasage se déployait dans un espace que, loin de le démolir, le communisme encourageait même : l’espace public, politique, historique. Pour immonde qu’un tel monde fût, le monde restait une affaire propre à la polis ; il ne relevait pas encore de l’oikos, de l’espace domestique, économique, privé. C’était le pouvoir politique – non pas le pouvoir du Marché – qui écrasait tout. C’était le gouvernement – non pas la « gouvernance » – qui exerçait le pouvoir. C’était l’internationalisme révolutionnaire – non pas le mondialisme financier – qui prétendait dissoudre les patries (et les laissait, malgré tout, subsister). C’était au nom de l’Histoire – non pas de la soif du profit – que la beauté était étranglée et la poussière de la laideur partout éparpillée.
Eh non, ce n’est pas pareil ! Ce n’est pas pareil que la beauté et la noblesse soient écrasées au nom de quelque chose où résonne encore l’écho de la grandeur ; ou qu’elles soient emportées par les eaux doucement empoisonnées et dépourvues de la moindre grandeur où la soif marchande s’abreuve. Oui, bien sûr… Pour ceux qui enduraient le communisme dans leur chair, pour les morts et les déportés du Goulag, une telle distinction est parfaitement dépourvue de sens. Mais pour les autres, elle est tout à fait valable : pour ceux qui survécurent à l’enfer, pour ceux qui renaquirent quand le cauchemar prit fin. Parce que le communisme prend fin, on en sort – il n’aura finalement duré que soixante-dix ans –, tandis que du tunnel du libéralisme on finira un jour par en sortir, mais personne ne sait quand.
Non seulement on sort du communisme, mais c’est en sortant de lui que peut atteindre tout son éclat la seule chose qui, sous sa tyrannie, est restée inentamée : l’histoire, la collectivité, l’espace public… Il n’y a là, d’ailleurs, aucun mérite de la part du communisme : c’est dans un tel espace que, d’une façon ou d’une autre, toutes les sociétés se sont inscrites tout au long de l’histoire.
Sauf une. Sauf la société dont les dirigeants se sont alliés au communisme pendant la guerre civile européenne ; ont remis entre les mains de Staline la moitié de l’Europe ; se sont imaginés, quand le Mur de Berlin s’est effondré, qu’ils allaient devenir les seules maîtres de la terre (ce qui a d’ailleurs failli être le cas pendant les années où un ivrogne appelé Boris Yeltsin commandait la Russie).
Ce sont ces mêmes dirigeants – aujourd’hui devenus la super-classe mondialiste – qui maintenant regardent,effrayés, comment leurs desseins sont mis en question par des peuples qui, tenant à leur identité, fiers de leur histoire, ne sont pas prêts à se laisser choir dans l’abîme sans fond du néant.
Javier Portella 15/11/2018
[1] Nul doute que la vision du monde aujourd’hui dominante en Russie s’inscrit dans le même registre – « illibéral », dirait Viktor Orbán… et maudirait Emmanuel Macron – où se placent la plupart des pays hier soumis à l’URSS. Un même élan collectif les porte, même si cela déplaît aux pays (je pense, par exemple, à la Pologne) qui ressentent encore la douleur de leurs blessures historiques– ce qui est une réaction bien compréhensible… tout autant que bien regrettable.
[2] Même l’Allemagne est traversée par cette frontière.À un de ses côtés se place l’ancienne République fédérale, dont l’état d’esprit est bien différent de celui qui marque l’ancienne Allemagne de l’Est, devenue aujourd’hui le principal rempart du combat contre l’immigration et le multiculturalisme.