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  • Friedrich List : Une alternative au libéralisme

    ListFriedrich List : Une alternative au libéralisme

    [Ci-contre : timbre-hommage à l’économiste libéral allemand Friedrich List (1789-1846) qui a défendu avec force la création d’un puissant réseau de chemin de fer en Allemagne et même en France (cf. « Idées sur les réformes économiques, commerciales et financières applicables à la France », 1831 ; il regrettera au passage son coup d'arrêt suite à la crise de 1839). Il n’y voyait que des avantages : économiques, culturels, sociaux et militaires. La victoire de la Prusse contre la France en 1870 a montré l’importance du rail. Mais il reste plus connu comme l'auteur du Système national d’économie politique (Das nationale System der politischen Ökonomie, 1841) défendant une démarche protectionniste. Le cosmopolitisme et le libre-échange de l'école classique ne servent qu'à masquer l'impérialisme britannique, jouant à son profit des inégalités de développement entre nations : il constate que les États-Unis, malgré des richesses naturelles immenses, ne connaissaient pas le décollage économique qu’ils méritaient, en raison de la dépendance structurelle vis-à-vis de l’Angleterre. Le cadre de la réflexion économique doit donc être la nation dont l'économie politique a pour mission de faire “l'éducation” et de l'acheminer à l'état normal ou complexe. Il défend alors la thèse du protectionnisme éducateur, qui consiste, pour un État, à protéger, pour un temps, les industries jeunes et fragiles, les industries « dans l’enfance » qui ne peuvent supporter, à leur début, la concurrence d’industries étrangères déjà mûres. En effet, « C’est une règle de prudence vulgaire, lorsqu’on est parvenu au faîte de la grandeur, de rejeter l’échelle avec laquelle on l’a atteint afin d’enlever aux autres le moyen d’y monter après soi ». Ces mesures, censées protéger l'appareil industriel national, doivent être temporaires et permettre aux industries naissantes de rattraper leur retard en matière de compétitivité. Il faut accepter de renoncer aux avantages à courte échéance du libre-échange, et privilégier les avantages à plus long terme que procurera un appareil productif solide. En ce sens, le protectionnisme éducateur de F. List est qualifié de protectionnisme offensif]

    Doit-on accepter le libéralisme ? Doit-on en accepter les postulats ? Et, d'ailleurs, ceux-ci se vérifient-ils ? Le libéralisme “marche-t-il” ? Est-il efficace ? Et puis, de quelle “efficacité” les libéraux pourraient-ils se targuer ? Efficacité politique ? Efficacité sociale ? Efficacité économique, si souvent soulignée par les tenants du libéralisme ?

    On peut douter de son efficacité politique, c'est-à-dire de son aptitude à mettre en œuvre des objectifs proprement politiques ; le libéralisme n’est-il pas, par sa nature même, anti-politique, hostile au politique ? On peut douter aussi de son efficacité sociale, libéralisme étant synonyme d'anomie sociale. Quant à son efficacité économique, son efficacité dans la gestion des affaires économiques, elle ne semble plus guère qu'un souvenir lointain des années de prospérité. La crise économique, qui est aussi et surtout une crise du libéralisme, déchire le tissu productif, notamment industriel, des économies nationales et renforce leur dépendance vis-à-vis du marché mondial. Pourtant le libéralisme n'est pas sérieusement contesté : de la gauche sociale-démocrate à l'extrême-droite atlantiste, en France et ailleurs dans les pays d'Europe occidentale, il fait l'unanimité autour de lui. Il est temps, nous semble-t-il, de faire entendre une petite, toute petite voix discordante…

    Le refus du libéralisme économique et aussi la volonté d'édifier une économie qui ne doit rien aux principes du libéralisme ne sont pas des attitudes neuves en Europe, surtout Outre-Rhin. Et pour tous ceux qui, aujourd'hui, cherchent à dépasser le libéralisme et — pourquoi pas ? — la crise qui en est le produit (crise à la fois intellectuelle et économique), la pensée économique allemande demeure une référence indispensable.

    Dès le XIXe siècle, le libéralisme économique, justification idéologique du capitalisme naissant (contre l'État et les communautés) et de l'impérialisme britannique (contre l'aspiration des peuples à l'indépendance), s'est heurté dans l'espace culturel allemand à des traditions intellectuelles profondément enracinées et, notamment, à l'idéalisme allemand. La réponse allemande au défit libéral fut rapide et brutale, présentée sous forme de sèches alternatives.

    Ainsi, alors que la pensée libérale classique développe, avec Adam Smith et Jean-Baptiste Say, une théorie de l'échange d'où découle naturellement l'exigence du libre-échange, la pensée économique allemande développe une théorie de la production, avec List, qui préconise une intervention de l'État afin de favoriser le développement des forces productives notamment par le protectionnisme (l'élévation de barrières douanières), la pensée économique allemande développe aussi une théorie de la répartition avec le socialisme d'État qui postule la nécessité d'une intervention de l'État pour corriger une situation dans laquelle le plus grand nombre vit dans la misère tandis qu'une minorité s'enrichit librement au détriment de l'État et de la majorité des Allemands. Dans le socialisme d'État, on compte Rodbertus, Lassalle et sa loi d'airain des salaires, l'École de la chaire qui a inspiré les lois sociales bismarckiennes.

    Les postulats de base de la pensée libérale classique sont :

    • L'individualisme : seul agent économique, l'individu.
    • Le rationalisme qui affirme la rationalité naturelle des choix de l'individu et justifie ainsi la liberté des échanges entre les individus qui, naturellement, sont “raisonnables” et “libres”.
    • L'hédonisme : l'individu ne recherche que son bonheur personnel.
    • Le matérialisme : le bonheur consiste, pour l'individu, dans son bien-être matériel.
    • Le cosmopolitisme : aucune barrière ne doit gêner les individus et entraver leurs échanges. Ainsi doit s'instaurer un libre échange international qui conduit à la division internationale du travail.

    Mais la pensée économique allemande réfute point par point les postulats de l'économie classique :

    • l'individu n'existe pas en lui-même. Il se définit par l'ensemble de ses appartenances et de ses relations sociales ("affinités" et "solidarités" dans le sens donné à ces termes, depuis Durkheim, par la sociologie française). Sur le plan strictement économique, Rodbertus insiste sur le caractère coopératif (il dit même “communiste”) de la division du travail.
    • La Nation (qui, chez les libéraux, n'est qu'une somme arithmétique d'individus) est un organisme, c'est-à-dire une entité vivante et supérieure à la somme des individus qui la composent (Le Tout est plus que la somme des parties). Il existe donc un intérêt général spécifique, ce qui s'oppose aux postulats du libéralisme. Selon la logique libérale, en effet, le libre jeu des intérêts individuels aboutit à l'intérêt générai (ce libre jeu, c'est la “main invisible” d'Adam Smith). En revanche, la pensée allemande préconise l'intervention de l'État pour corriger les effets pervers du libre jeu des intérêts individuels. L'État incarne la Nation et sert l'intérêt général. Il est aussi un pouvoir politique (un pouvoir de contrainte sur les hommes), le centre de décision suprême, y compris sur le plan économique. Pour les libéraux, il y a une multiplicité de centres de décision (autant que d'agents économiques) dont aucun ne doit surpasser les autres juridiquement, et l'État ne peut être qu'un État minimal qui n'agit que pour faciliter les échanges et en garantir la liberté. La pensée allemande postule l'importance des facteurs non rationnels et parmi le plus important d'entre eux : l'appartenance à un peuple (Volk).
    • Contre l'hédonisme, la pensée économique allemande développe une conception héroïque (qualifiée aussi, parfois, de “prussienne”) basée sur le sacrifice de l'individu au Tout (Cf. Werner Sombart, Händler und Helden), sur la notion de "service" (Cf. Oswald Spengler, Preussentum und Sozialismus). Contre le matérialisme, une morale prussienne-protestante du devoir hisse au premier plan le devoir du travail (Cf. O. Spengler, op.cit. : Le travail est un devoir, ce n'est pas une marchandise).
    • Contre le cosmopolitisme, Johann Gottlieb Fichte prône dans son État commercial fermé l'autarcie et List prône pour l'Allemagne l'auto-suffisance économique dans le cadre de l'espace centre-européen (Mitteleuropa (1). À la société marchande internationale, au “marché mondial”, la pensée allemande oppose la communauté organique du Peuple (Volk), encadrée par un État souverain. Aux rapports marchands, qui sont des rapports des hommes aux choses, elle oppose les rapports organiques, qualifiés de liens communautaires entre hommes membres d'un même Tout, c'est-à-dire d'un même Volk. Au contrat qui se noue entre individus, elle oppose le statut qui définit juridiquement l'individu en fonction de son appartenance à une communauté.

    Dans la pensée économique allemande, Friedrich List occupe une place particulière : il est en effet l'un des premiers, avec le romantique Adam Müller, à avoir opposé un système complet, son “système national d'économie politique” au système libéral et le premier dont les idées soient passées dans les faits, sous la forme du protectionnisme. Il a ainsi contribué à opposer un barrage au déferlement des idées libérales et remporté, avec le protectionnisme, une première victoire décisive sur les libéraux, ces « modernes barbares » dénoncés par Ferdinand Lassalle.

    Aujourd'hui, les conceptions de List sont redécouvertes et semblent triompher de celles de ses adversaires libéraux, du moins dans le Tiers-Monde ; les organisations internationales (comme l'UNESCO) aussi bien que les théoriciens du développement, tels que François Perroux, n'insistent-ils pas sur la nécessit&eacute, pour les pays du Tiers-Monde d'un développement endogène (ou “autocentré”) et intégré ?

    Or ces thèmes furent ceux déjà de Friedrich List qui, au siècle dernier, demandait aux nations européennes et nord-américaine, d'en faire leurs règles de politique économique pour pouvoir ainsi se libérer de la domination économique britannique et se développer au mieux. La notion de développement endogène apparaît chez List lorsque celui-ci insiste sur la nécessité, pour chaque nation, de bâtir son développement sur l'accroissement de toutes les forces productives internes et lorsqu'il donne à l'industrie un rôle majeur d'entraînement. Quant à la notion de développement intégré, elle apparaît chez List sous le vocable de « nation normale » qui vise les nations dotées d'un tissu productif aussi complet et harmonieux que possible.

    Mais les leçons de List ne sont pas valables que pour le seul Tiers-Monde ; elles concernent aujourd'hui tous ceux qui refusent l'économie libérale et veulent libérer leur économie nationale de l'emprise d'un marché mondial dominé par les oligopoles américains.

    List récuse le libéralisme d'Adam Smith, ce dernier raisonnant en effet sans tenir compte des nationalités et en « présupposant l'existence de l'association universelle et de la paix perpétuelle ». List fait de la Nation sur laquelle il construit son système un intermédiaire entre l'individu et l'Humanité. Il est, comme Herder (2), à la fois un nationaliste et un “cosmopolite”. Mais c'est aussi un “libéral progressiste” qui croit au progrès politique et économique de l'Humanité et pense que « l'union future de tous les peuples », « l'établissement de la paix perpétuelle et de la liberté générale du commerce [constituent] le but vers lequel tous les peuples doivent tendre et dont ils doivent de plus en plus se rapprocher ». Il n'empêche, l'Humanité unie et pacifiée n'est, pour List, qu'une vision d'avenir, les lois de l'Histoire commandent le présent. Refusant les abstractions et le dogmatisme des libéraux classiques, List veut renouer avec l'Histoire (en cela, il est le père spirituel de l'École Historique). De ses études sur l'histoire économique des Nations, il déduit :

    • 1) l'importance du pouvoir politique sur le développement économique des Nations,
    • 2) l'idée du développement inégal et progressif des Nations. List estime que les Nations passent par quatre états successifs : l'état sauvage, l'état pastoral, l'état agricole et l'état complexe agricole / manufacturier / commerçant, ce dernier étant le stade de ce qu'il appelle la "Nation normale".

    List constate que le libre-échange repose sur l'inégalité de développement entre les nations et qu'il conduit, en fait, à asseoir la domination du pays le plus développé. Au système libéral, List oppose son propre système à la base duquel il place la Nation en tant que « Tout existant par lui-même » et au sommet, un État interventionniste, un État qui est « un État fort, incarnant le bien commun national, restreint dans ses attributions mais non dans son autorité, assuré de contacts permanents avec les représentants légitimes des forces nationales et notamment des forces économiques. Cet État fort doit être un État léger, ne s'encombrant pas de la gestion matérielle des forces économiques mais leur assurant l'impulsion, l'organisation, la discipline et la protection indispensables pour assurer l'ordre et la prospérité de la communauté nationale » (Cf. Maurice Bouvier-Ajam, voir notre bibliographie). Selon List, l'objet de l'économie politique nationale est d'assurer le développement des forces productives de la Nation et la satisfaction de tous les besoins du peuple et non la satisfaction des seuls besoins individuels.

    List, en effet, oppose à la théorie libérale des valeurs d'échange une théorie des forces productives. De Smith, il rejette sa conception de la richesse comme s'attachant exclusivement aux valeurs échangeables, conception qui découle de la seule considération, par Smith, des intérêts privés. À ce propos, André Piettre écrit : « Valeur d'échange signifie : valeur donnée sur le marché aux biens et aux services par les individus munis d'argent. Les satisfactions privées sont le primum movens de la vie économique » (3).

    Pour List, « le pouvoir de créer des richesses est infiniment plus important que la richesse elle-même », « la prospérité d'un peuple ne dépend pas de la quantité de richesses et de valeurs échangeables qu'il possède mais du degré de développement des forces productives ». La Nation doit donc développer ses forces productives aux dépens des valeurs échangeables actuelles, des préférences des particuliers.Parmi les forces productives de la Nation, List distingue les forces productives naturelles, les forces instrumentales, les, forces financières et les forces nationales.

    • 1) Les forces naturelles concernent l'ensemble des conditions naturelles et des dons de la nature avant leur transformation par l'homme : elles englobent les forces élémentaires, les forces produites (flore, faune et richesses minérales) et les forces humaines.
    • 2) Les forces instrumentales sont les produits matériels d'efforts antérieurs du corps et de l'esprit
    • 3) Les forces financières qui, pour List, sont les forces instrumentales les plus perfectionnées, englobent les forces monétaires et les forces de crédit.
    • 3) Enfin, List appelle forces nationales l'ensemble des forces naturelles, instrumentales et financières déjà examinées « au jour où elles existent au sein d'une communauté dont l'unité nationale s'est affirmée ». Mais il appelle aussi forces nationales « l'ensemble des moyens permettant de mieux conjuguer, de mieux harmoniser et de mieux développer ces forces nationales lato sensu » (Cf. Maurice Bouvier-Ajam). Ces moyens concernent l'organisation civile et politique de la Nation, les brevets d'invention et les droits protecteurs, la division du travail, etc.

    Le développement des forces productives doit se faire de la manière la plus complète et la plus harmonieuse possible pour que la Nation puisse accéder au stade de ce que List appelle la « Nation normale » caractérisée par l'existence d'une industrie manufacturière et une collaboration économique complète entre cette industrie et l'agriculture. Pour parvenir à ce stade ultime de son évolution économique, la Nation doit refuser le libre-échange qui ne peut conduire qu'à (a domination du pays le plus développé. Mais une fois toutes les nations parvenues à ce stade, alors la liberté des échanges deviendra de nouveau possible et même nécessaire pour stimuler la production. La vision qu'avait List d'une Humanité unie et pacifiée pourra se réaliser.

    Si l'on met à part les convictions “progressistes” de List, qui sont celles d'un bourgeois libéral du XIXe siècle, on doit reconnaître que sa contribution à la pensée économique non libérale est assez considérable : son influence s'est faite sentir sur le protectionnisme allemand (le Zollverein) (4), sur les protectionnismes doctrinaux nord-américain et français (l'Américain Carey et le Français Cauwes furent ses disciples), sur l'École Historique allemande et, même jusqu'à Marx (surtout dans sa théorie des forces productives). List, en repoussant les postulats de l'économie libérale et en déniant tout caractère scientifique à l'économie cosmopolite des libéraux, a posé les jalons pour une économie nouvelle.

    ► Thierry Mudry, Orientations n°5, 1984.

    ♦ Notes :

    • 1) Les thèses allemandes concernant la Mitteleuropa ont été synthétisées en 1916 par Friedrich Naumann dans un ouvrage intitulé Mitteleuropa (Georg Reimer, Berlin, 1916). Cet ouvrage porte bien sûr la marque de son temps et spécule sur la victoire des Empires Centraux. Jacques Droz, professeur à l'Université de Clermont-Ferrand a, lui, en 1960, écrit un ouvrage retraçant l'évolution historique de l'idée de “Mitteleuropa” (J. Droz, L'Europe Centrale : Évolution historique de l'idée de “Mitteleuropa”, Payot, 1960).
    • 2) Pour comprendre la vision du monde de Herder, on se référera aux excellentes introductions à son œuvre dues à la plume de Max Rouche, professeur à la Faculté des Lettres de Bordeaux. Ces textes sont parus dans les traductions françaises de Herder publiées chez Aubier/Montaigne : Idées pour la philosophie de l'histoire de l'humanité (Ideen zur Philosophie der Geschichte der Menschheit) (1962) et Une autre philosophie de l'histoire pour contribuer à l'éducation de l'humanité (Auch eine Philosophie der Geschichte) (1964). Ces 2 volumes présentent le texte original avec la traduction en regard.
    • 3) Cf. bibliographie.
    • 4) Le Zollverein est l'Union douanière entre les multiples États allemands. Cette union s'est constituée, sous l'impulsion de la Prusse, de 1819 à 1834. Cette initiative visait à pallier le retard de l'Allemagne par rapport à l'Angleterre en matière industrielle. La construction d'un réseau de chemin de fer facilitera l'unification économique de l'Allemagne.

    ♦ Bibliographie :

    • Friedrich List, Système national d'économie politique, Capelle, Paris, 1857. [Rééd. Tel/Gallimard, 1998, préf. Emmanuel Todd. Ce livre est l'un des rares ouvrages théoriques sur le protectionnisme. List préconise une protection différenciée selon les secteurs et l'état de développement de l'économie. Publié en 1841, son texte alimente toujours les débats sur le nationalisme économique, notamment dans le pays se réclamant le moins protectionniste, les États-Unis]
    • Maurice Bouvier-Ajam, List, sa vie, son œuvre, son influence, Ed. du Rocher, Monaco, 1953
    • Charles Andler, Les origines du socialisme d'État en Allemagne, Félix Alcan, 1911
    • André Piettre, Pensée économique et théories contemporaines, Précis Dalloz, 1979
    • Louis Delbez, La pensée politique allemande, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, Paris, 1975
    • Pierre Pascallon, « Actualité de List », in : Le Monde, 26 mai 1981

    ◘ Entrées connexes : Napoléon - Participation -

    ◘ Notice : Il est resté dans l’histoire des idées comme le principal défenseur du protectionnisme, au nom de l’argument des « industries dans l’enfance » : il faut protéger les activités naissantes si l’on ne veut pas que les concurrents étrangers, qui ont déjà essuyé les plâtres et qui, grâce à l’expérience et à l’apprentissage accumulés, ont pu réduire leurs coûts, n’occupent toute la place et empêchent un pays de s’engager à son tour dans la voie de l’industrialisation. Selon lui, le libre-échange a tendance à perpétuer la domination des nations qui ont su se lancer en premier dans une industrie porteuse. Il préconise donc l’utilisation des droits de douane pour favoriser l’éclosion d’industries nationales compétitives. Il défend ainsi la thèse du protectionnisme éducateur, qui consiste pour un Etat à protéger, pour un temps, les industries jeunes et fragiles. Mais il ne s’agit là que d’une fraction – mineure – de son « système national d’économie politique », où il anticipe Leontief en soulignant l’ampleur des relations interindustrielles qui constituent la réalité d’une économie développée. (Alternatives économiques, 2005)

    ◘ Avis : L’ouvrage de Friedrich List Système national d’économie politique, conçu pour l’essentiel à Paris, a circulé à travers le monde à partir de 1841 et a fourni un argumentaire majeur pour tous les opposants au libre-échange britannique. Dans cet ouvrage, List montre explicitement comment le système d’Adam Smith n’est rien d’autre qu’un outil pour permettre le pillage des pays sous-développés. Il reste, de ce fait, d’une importance capitale pour nous. Plus profondément, List explique pourquoi le libre-échange n’a rien de scientifique. Pour Adam Smith, la richesse des nations est basée sur l’échange de valeurs organisé selon un principe consistant à « acheter à bon marché pour revendre cher ». A contrario, List estime qu’une nation qui ne produit que des valeurs d’échange peut paraître à un certain moment dans une bonne position économique, mais elle ne sera jamais souveraine, indépendante et réellement forte au niveau industriel. Il écrit que « la faculté de produire de la richesse est plus importante que la richesse elle-même ; elle assure non seulement la progression et l’augmentation de ce qui a été gagné mais aussi le remplacement de ce qui a été perdu ». Ainsi, la vraie source de la valeur, c’est l’éducation, les progrès culturels, le développement scientifique : « L’état actuel des nations est le résultat de toutes les découvertes, inventions, améliorations, perfections et efforts de toutes les générations qui ont vécu avant nous ; ceux-ci forment le capital mental de l’espèce humaine d’aujourd’hui et chaque nation séparée n’est productive que dans la mesure où elle a su comment s’approprier les acquis des anciennes générations et les accroître par ses propres acquis. Le produit le plus important des nations, ce sont les hommes ». (présentation site S&P)

    ◘ Prolongements : L'analyse comparative entre cas français et cas allemand est peu traitée de manière approfondie, bien que sous la Restauration le ministre du Commerce Adolphe Thiers, en contact étroit avec List, tire parti de ses observations. Mentionnons pourtant parmi les articles d'un dossier consacré à l'actualité du protectionnisme par le site laviedesidees.fr : « Le protectionnisme : un libéralisme internationaliste -  Naissance et diffusion, 1789-1914 » (David Todd [fils d'Emmanuel], auteur qui désavoue la “culture protectionniste” française qu’il avait décrite dans l’ouvrage L’identité économique de la France : libre-échange et protectionnisme, 1814-1851 : « La culture du protectionnisme est en effet majoritaire en France. Elle n’est pas issue de la droite radicale : elle est née au centre droit de l’échiquier politique, sous l’impulsion d’Adolphe Thiers. C’était à l’époque de la Troisième République, une république conservatrice, une démocratie de producteurs. En cela la France s’oppose au Royaume-Uni, une démocratie de consommateurs, qui est libre-échangiste ». Notons que si l’étude de Todd s'appuie sur une logique de classe (le protectionnisme en France servait en grande partie les intérêts de la bourgeoise industrielle, alors que les représentants de la classe ouvrière auraient plutôt été enclins – du moins selon les moments – au libre-échange qui fait baisser le prix des produits alimentaires), elle n'en oppose pas moins sur un plan théorique libre-échange et protectionnisme. Or historiquement il conviendrait de nuancer. Car, si suite à la révolution de 1830 les nouveaux dirigeants politiques sont convaincus de la justesse des thèses libre-échangistes (not. ceux de Say) dans la perspective de moderniser l’économie française et ainsi de renforcer sa puissance face à celle britannique, ils jugent toutefois inapplicables en l’état une libéralisation complète et rapide du commerce extérieur (du fait des caractéristiques structurelles socio-économiques), ce qui les amene à composer avec les principes théoriques auxquels pourtant ils adhèrent. Cette attitude, peu ou prou, se perpétue au cours du XIXe siècle et il serait hâtif de déduire de cette pratique réaliste du modus vivendi une culture protectionniste française héritée de cette époque. Une étude de Michael Smith soulignait encore la nécessité d’un compromis entre protectionnistes et libre-échangistes afin de ne pas mettre en péril la IIIe République naissante : les premiers ont pu faire prendre en compte leurs vue – mais pas totalement (pas de retour à la situation d’avant le traité de 1860) – à la fin du XIXe (cf. tarifs Méline) alors que les seconds ont réussi à endiguer les revendications des partisans du système protecteur au cours des années 1870 et 1880. Considérer de manière pragmatique l'exercice régulateur du pouvoir invite ainsi à relativiser l’idée d’une culture protectionniste française en soi)

    ◘ Lien : site pour un protectionnisme européen

    http://www.archiveseroe.eu

  • Les mutuelles et l’État main dans la main pour détruire la santé

    Un médecin généraliste en milieu rural écrit à Alain Soral

    Cher Alain Soral,

    Vous qui êtes un personnage médiatique n’ayant pas la langue dans sa poche (espèce rare de nos jours), je souhaite vous faire part d’un grave problème qui touche actuellement le monde de la santé en France.

    Je suis un jeune médecin généraliste en milieu rural, récemment installé. Le gouvernement a pactisé avec les mutuelles pour tuer la médecine libérale. Le problème est sérieux, et censuré dans les médias. Le projet est de privatiser les soins, mettre fin a la relation médecin de famille/patients (cf. think tank Terra nova) et mettre à genoux les libéraux (blocage des compléments d’honoraires des médecins secteur 2 qui ne pourront plus faire face aux frais de cabinet ou de blocs opératoires, les secteur 1 étant déjà parqués et restés au même tarif sécu depuis plus de 20 ans !), pour les obliger à entrer dans des réseaux de soins organisés par les mutuelles et autres organismes complémentaires (loi 296 votée à l’Assemblée le 28/11/12).

    Ce que veulent les mutuelles et l’État : des médecins moutons, rémunérés moins pour travailler plus (crise démographique) avec possible dumping social et concurrence avec confrères européens (Roumanie), et interchangeables à volonté.

    Si nous ne pouvons plus investir dans le matériel et les assistants... les soins vont être tirés par le bas. Les premiers à en souffrir seront les patients, alors qu’ils paient toujours plus cher leurs cotisations de mutuelle. Les patients ne pourront plus choisir leur médecin : imposé par mutuelle. Les médecins devront obéir aux directives des mutuelles (je ne vous fais pas de dessin sur les gestionnaires de ce genre de boite).

    Les mutuelles : 40 milliards de collecte de cotisations, seulement 800 millions reversés dans les soins. Où passe le reste ? Chateaux, vignobles classés, immobilier, voitures de luxe (7 Porsche pour le directeur Matmut).

    Les médias nous filtrent, et les trois principaux syndicats de médecins français qui font la pluie et le beau temps sont des girouettes et ne sont pas représentatifs. Peu de médecins sont syndiqués. Nous avons créé une Union, qui compte pas loin de 2000 médecins : www.ufml-asso.fr. Mais nous aurions besoin d’un coup de pouce pour faire connaitre le problème. La qualité des soins en France en dépend.

    Je compte sur votre humanisme et votre empathie et vous salue chaleureusement. Encore bravo pour votre courage.

    http://www.egaliteetreconciliation.fr

  • A quand la repentance pour les esclaves blancs de la traite transatlantique ?

     « ... Et se rappeler que la moitié, peut-être les 2/3, des colons américains originels ne sont pas arrivés ici librement mais kidnappés, drogués, abusés, et, oui, enchaînés » (Elaine Kendall).

    DANS son éditorial du 16 mai, Camille Galic illustrait de l'aphorisme fameux de Napoléon, « Une tête sans mémoire est une place sans garnison », l'odieuse repentance qu'on nous matraque sur la traite négrière. « C'est, concluait-elle, évidemment pour désarmer la garnison que notre mémoire est subvertie, dévoyée, persécutée et finalement prohibée au profit de mémoires non seulement étrangères mais aussi falsifiées, voire fabriquées ». Pendant deux cents ans, sur la même aire géographique atlantique, ce crime-là, pas plus qu'il ne fut le plus détestable, ne disposa de quelque antériorité.
    Aussi est-il crapuleux de la part du président de la République française de vouloir imposer son étude aux écoliers. Honorant ainsi exclusivement ce qui n'est qu'une partie de l'esclavage transatlantique. Déjà, on ne cesse de présenter les Vikings comme les grands prédateurs esclavagistes du VIe au XIe siècle quand trafiquants vénitiens, génois, grecs, arabes, juifs, tatars, mongols, turcs mirent pendant mille ans nos ancêtres blancs en coupe réglée. Jusqu'à l'Al Andalous islamisé, Eden mythique de la société multiraciale, d'où par milliers femmes et enfants razziés d'Espagne et du Portugal partaient pour le Maghreb et au-delà comme l'a rappelé Le Choc du Mois (de juin) portant en titre « Stop à la repentance - La vérité sur l'esclavage ».
    LES IRLANDAIS ET LES ALLEMANDS AUSSI
    Mais il est un autre servage dont nul ne parle. Disparu théoriquement d'Angleterre au début du 17e siècle, l'esclavage resurgit lors de la conquête de l'Irlande par Cromwell entre 1649 et 1653. On estime à 100 000 le nombre des Irlandais, hommes, femmes et enfants envoyés comme esclaves dans les colonies d'Amérique du Nord. Linebaugh et Rediker, dans Marins, esclaves, prolétaires, Histoire cachée de la révolution atlantique, les évaluent en 1660 à 12 000 aux Antilles et à 8 000 en 1669 à la Barbade, où un rapport de 1667 décrit ces Irlandais comme « des miséreux méprisés par les Noirs et traités en esclaves blancs ». En 1640, sur 25 000 esclaves, 21 000 étaient blancs et 8 sur 10 ne passaient pas la première année. En 1670, l'Assemblée de Virginie, suivie par les autres colonies, vota une loi interdisant aux Noirs et aux Indiens de posséder un esclave blanc ("christian"). Au XVIIIe siècle encore, on en trouve en grand nombre dans les plantations du Maryland. En 1717, pour être élu à l'assemblée de Caroline du Sud, il fallait « posséder un homme blanc ».
    De cette époque date le terme de redlegs qui désignait aux Caraïbes les esclaves irlandais, anglais, écossais, allemands, danois, qui, pour la plupart, moururent brisés physiquement, détruits psychologiquement. Il en existe encore des traces bouleversantes. A Belize et à la Jamaïque, on les appelle des bakras. A Bequia (Grenadines), à la Grenade et dans le district de Dorsetshire Hill à St Vincent, mais également dans quelques Etats américains où ils émigrèrent au fil du temps, ils ont su conserver, incroyablement, leur identité ethnique.
    Aux Antilles françaises où le phénomène est demeuré tabou, parfois file un brin de vérité. Ainsi dans Le Marronnage aux Antilles françaises au XVIIIe siècle, l'historien de l'esclavage Gabriel Debien écrit-il : « Le "marronnage" existait autant chez les servants blancs asservis par contrat que chez les esclaves noirs. » De sorte que si un marronnage blanc coexista avec le noir c'est parce que, dans la Caraïbe française, il y avait aussi des esclaves blancs.
    "PAUVRES EN SURPLUS", OCCULTÉS PARCE QUE BLANCS
    Officiellement, cette main-d'œuvre blanche - qui colonisa également l'Australie à partir de 1776 - est dite indentured servants ou « domestiques sous contrat ». Venus du Royaume-Uni, d'Irlande, d'Allemagne, ils payaient, prétend-on, leur passage d'un contrat de servage de quatre à sept ans. « Qu'ils soient "serviteurs" ou esclaves, souligne Richard Hostadter dansWhite Servitude, ils souffrirent la même cruelle et déracinante traversée de l'Atlantique. Furent confrontés à la même difficile acclimatation physique et psychologique. Furent contraints au même contact oppressif et intime avec un maître inconnu. Et si l'on prend en compte le nombre des fuites et des suicides, les conditions dans l'un et l'autre cas ne furent sans doute pas très différentes ».
    Mais outre le fait que, après le Waltham Act de 1723, l'Angleterre déporta en Amérique par dizaines de milliers ses voleurs de pain, l'historien américain Michaël Hoffman démontra - dans They were Whites and they were Slaves - que les « indentured servants » ne représentèrent qu'une petite partie de la servitude blanche et que 50 % des Européens échoués dans les treize premières colonies, après 1609, y furent plus maltraités que les Noirs.
    Les sources historiques ne manquent pas qui montrent la permanence de l'esclavage dans le Royaume-Uni. Le terme "kid-napper", déformation de "kid-nabber", voleur d'enfants, est ainsi défini par le Dictionnaire Anglais des Bas-Fonds : « Voleur d'êtres humains, spécialement d'enfants ; à l'origine destinés à être exportés vers les plantations d'Amérique du Nord. ». Dans toutes les grandes villes britanniques, écrit dans Enchaînés le journaliste John van der Zee, « des gangs loués par les marchands écumaient les rues, saisissant de force les enfants et les emmenant en troupeaux à travers la ville vers les baraques du port ».
    Au XVIe et au XVIIe siècles, la traversée de l'océan prenait entre neuf et douze semaines sur des bateaux surchargés. Le taux de mortalité, de 10 à 20 % chez les Noirs, rapporte l'historienne Sharon Salinger, atteignait au moins 25 % chez les esclaves blancs. Selon Foster R. Dulles, « ils enduraient le même inconfort et les mêmes souffrances que les Noirs » et « les enfants survivaient rarement aux horreurs du voyage ». Horrifié, l'historien A.B. Ellis, rapportait dans The Argosy que cette « cargaison humaine n'avait jamais accès à l'air libre. Dans les cales d'en bas tout n'était qu'obscurité, lamentations, puanteur, maladie et mort », comme l'apprit à ses dépens Françoise d'Aubigné, la future Mme de Maintenon, dont le père perclus de dettes avait été déporté vers les Isles et dont l'épouse et la fille connurent après sa mort un quasi-servage. Le 6 mai 1893, Ellis ajoutait : « Peu de gens savent qu'entre 1649 et 1690, un florissant commerce de prisonniers politiques vendus comme esclaves, parfois à vie, existait entre l'Angleterre et ses colonies. ». Dans le Calendrier des Papiers Coloniaux, année 1701, est mentionnée la vente d'esclaves "anglais". Une « pratique très fréquente » qui apparaît dans la Caraïbe britannique dès 1627. Dans son Agenda Parlementaire, 1656-1659, Thomas Burton, évoque un débat sur le commerce vers le Nouveau Monde de Blancs britanniques qualifiés non d' indentured servants mais d'esclaves. Marcus Jernegan cite un nommé Mittelberg qui affirme avoir vu au cours d'une traversée jeter par-dessus bord 32 dépouilles d'enfants. Dans White Servitude in Colonial South Carolina, Warren Smith confirme que « les serviteurs blancs voyageaient dans les mêmes conditions que les esclaves africains ».
    Les matelots embarqués de force à bord des navires corsaires ou de Sa Gracieuse Majesté, étaient traités comme les esclaves noirs qui représentaient parfois un quart des effectifs. Peter Lamborn Wilson écrit dans Utopies Pirates : « Les travailleurs de la mer constituaient une sorte de proto-prolétariat. Les conditions de travail des marines marchandes d'Europe offraient un tableau abominable du capitalisme naissant - et les conditions prévalant dans les marines de guerre étaient encore pires ». D'ailleurs, jusqu'au début du XXe siècle, ce seront les mêmes hommes qui défricheront l'Amérique, construiront routes et voies ferrées, assécheront les marais, s'épuiseront dans les usines tandis que les Noirs traînaillaient dans les plantations du Sud.
    Inventeur en 1960 avec Stanley Engelman de la Cliométrie, méthode d'évaluation historique appuyée sur les mathématiques et les statistiques, Robert Fogel, Prix Nobel d'Economie 1993, ne se fit pas que des amis en démontrant que les conditions d'existence des Noirs dans les plantations du Sud étaient bien meilleures que celles des ouvriers (blancs) du Nord, exploités dans ce que William Blake appelait les usines de Satan. Comme dans l'Europe livrée au capitalisme sauvage et à la révolution industrielle. Ou l'Angleterre de Charles Dickens, où pour huit pence par jour des enfants de six ans travaillaient seize heures d'affilée dans les mines. Fouettés et frappés à coups de barres de fer - les billy-rollers - pour un mot ou un geste. Des dizaines de milliers d'entre eux furent estropiés, défigurés par un machinisme primitif. Sans compter le sort tragique de milliers d'orphelins ramoneurs.
    Alors, Victor Schoelcher ou le sanglant abbé Henri Grégoire, qui n'eurent jamais un mot de compassion pour les Blancs asservis, se consacraient à l'émancipation noire. En Angleterre, Granville Sharp créait en 1760 la Société anti-esclavagiste et en 1787 le Comité Parlementaire pour l'Abolition. De grandes âmes y adhérèrent. William Wilberforce, Thomas Clarkson qui menèrent de bruyantes actions politiques. Aujourd'hui, on couvrirait d'honneurs ces militants d'une « philanthropie télescopique » selon la formule méprisante de Dickens. Lui savait quels étaient les traitements honteux infligés aux « pauvres en surplus » des faubourgs d'Europe.
    Jim REEVES. Rivarol du 4 juillet 2008
  • Lénine, Un révolutionnaire de l'exil

    Totalitarisme et propagande
    Installé au pouvoir à la faveur de la Révolution d'Octobre, Lénine contraint chacun à servir sans limite l'État et son idéologie. Il inaugure un type de régime appelé à faire souche au XXe siècle : le totalitarisme...
    Comme on le voit avec cette gravure de propagande (Lénine annonce le décret sur la terre au Congrès des Soviets - 8 novembre 1917 -, par Serov), il va cultiver l'image d'un chef charismatique, bon et déférent envers les humbles.
    La réalité est quelque peu différente... Lui-même n'a aucun goût pour le martyre. Ainsi n'a-t-il pas hésiter à abandonner ses partisans et s'enfuir sous un déguisement en Finlande après l'échec des journées révolutionnaires de juillet 1917... Une fois au Kremlin, fort d'un pouvoir absolu, il va faire mourir sans marque de compassion quantité d'opposants, simples suspects ou paysans.
    Un révolutionnaire de l'exil
    Vladimir Ilitch Oulianov naît à Simbirsk le 22 avril 1870 (selon le calendrier grégorien) dans la famille d'un fonctionnaire anobli par le tsar.
    Dans son ascendance, on note un arrière-grand-père serf, très tôt affranchi. Un grand-père marié à une Kalmouke. Un grand-père maternel lui-même fils d'un Juif et d'une Suédoise, marié à la fille de riches propriétaires allemands, luthérienne convaincue.
    Le frère aîné du futur Lénine, Alexandre, est pendu le 11 mai 1887, peu après la mort de leur père, pour avoir comploté contre la vie du tsar. Vladimir n'en poursuit pas moins ses études mais devient suspect aux yeux de l'administration !
    Intellectuel déclassé, il découvre avec sa compagne, la militante Nadejda Kroupskaia, d'origine bourgeoise comme lui, les mouvements révolutionnaires et la doctrine marxiste. Leur activisme leur vaut d'être condamné à la relégation par la justice du tsar.
    Le couple s'établit de 1897 à 1900 au bord de la Léna (d'où le surnom Lénine). Cette relégation, bien que confortable, leur vaudra un grand prestige auprès des clubs révolutionnaires.
    Pendant leur exil, Vladimir se marie devant un pope à Nadejda. Toute sa vie, au gré de ses pérégrinations et de ses fuites, en Suisse, en France ou encore en Finlande, le futur Lénine sera servi avec diligence par sa femme.
    Le 11 février 1900, Lénine part en exil en Suisse où il crée un journal, l'Iskra (l'étincelle). En 1902, c'est la publication d'un opuscule : Que faire ? où il affiche sa différence avec la doctrine marxiste qui voyait le communisme comme l'aboutissement inéluctable des luttes ouvrières.
    Lénine fait valoir la nécessité de créer une avant-garde révolutionnaire qui montrera la voie aux ouvriers et les guidera vers des lendemains radieux, au besoin par la dictature. Il rejoint par là un autre agitateur révolutionnaire, moins chanceux, le Français Auguste Blanqui (1805-1881), qui écrivait en juin 1840 : «Pour que la liberté se fasse jour, il faut que des hommes énergiques contraignent le peuple, pour ainsi dire, à manifester ses voeux les plus ardents»
    Le 30 juillet 1903, à Bruxelles, au cours du congrès du Parti Social-Démocrate Ouvrier Russe (PSDOR), se produit la scission entre les partisans de Lénine et les partisans de Martov. Ces derniers ayant été momentanément mis en minorité par la sortie des députés juifs du Bund, les partisans de Lénine en profitent pour s'octroyer l'épithète de bolcheviks ou bolcheviques (majoritaires en russe). Sans vergogne, ils qualifient leurs rivaux de mencheviks (minoritaires)
    Pendant la révolution de 1905, Lénine reste prudemment en exil. Il retourne en 1908 à Genève puis à Paris (où il vit 4 ans), à Cracovie, enfin à Berne. Pendant ce temps, son parti pratique des «expropriations» comme celle de Tiflis, en 1907, chef-d'oeuvre de Staline. Les bolcheviques se rendent maîtres aussi dans les détournements d'héritage.
     
    Coup de main opportun des Allemands
    Les désespoirs nés de la Grande Guerre et les faiblesses de la démocratie russe issue de la Révolution de Février vont permettre à Lénine de réaliser l'ambition de sa vie : prendre le pouvoir en Russie
    Le 27 mars 1917, en pleine guerre mondiale, les Allemands prêtent leur concours à Lénine en exil en Suisse. Ils affrètent un train blindé et assurent son transit et celui de ses compagnons vers la Russie. Ils ont l'espoir que les bolcheviques déstabiliseront le gouvernement démocratique, lequel s'entête à poursuivre la guerre contre eux.

    Leurs espoirs se réaliseront au-delà de toute mesure... Lénine, à son arrivée à Petrograd, le 16 avril, reçoit de ses militants un accueil triomphal. Il publie son programme d'action : paix immédiate, le pouvoir aux soviets, les usines aux ouvriers, la terre aux paysans. Ces thèses d'Avril troublent les bolcheviques par leur radicalisme mais qu'à cela ne tienne, elles rencontrent l'adhésion des soldats et des paysans, excédés par une guerre sans issue qui a déjà coûté la vie à 2,5 millions de Russes.
    Après les émeutes des 3 au 5 juillet, la situation se corse. L'influent leader socialiste Alexandre Kerenski devient Premier ministre et chef du gouvernement provisoire en remplacement du prince Lvov. Pour prévenir la subversion bolchevique, il ordonne l'arrestation de Lénine qui s'enfuit sans attendre en Finlande. Mais un conflit entre le Premier ministre et le commandant en chef Lavr Kornilov conduit celui-ci, le 9 septembre, à tenter un putsch. Ses troupes se débandent et Kerenski reste maître de la situation... mais seul ! Il est désormais obligé de nouer une alliance tactique avec les bolcheviques pour préserver la République d'une dictature militaire.
     
    Révolution et terreur
    Lénine, toujours en Finlande, juge la situation mûre pour intervenir. Ce sera le coup d'État du 6 novembre, aussi appelé Révolution d'Octobre. Sitôt après sa prise de pouvoir, Lénine met en place les instruments de la dictature. Lui-même en appelle à «débarrasser la terre russe de tous les insectes nuisibles»... «Ici, on mettra en prison une dizaine de riches, une douzaine de filous, une demi-douzaine d'ouvriers qui tirent au flanc. (...) Ailleurs, on les munira d'une carte jaune, afin que le peuple entier puisse surveiller ces gens malfaisants. (...) Ou encore, on fusillera sur place un individu sur dix coupables de parasitisme» (Comment organiser l'émulation, décembre 1918, cité par Jan Krauze, in Le Monde, 6 novembre 2007). Le 30 août 1918, au cours de la visite d'une usine, le chef de la Révolution est victime d'un attentat. L'auteur en est une militante socialiste-révolutionnaire (gauche démocratique) : Dora Kaplan. Grièvement blessé, Lénine se rétablit de façon quasi-miraculeuse mais son obsession de la contre-révolution n'en sort que plus grande. Il prend prétexte de l'attentat pour interdire le dernier parti d'opposition aux bolcheviques. Les S-R sont dès lors pourchassés par la Tchéka (police politique). La terreur de masse est institutionnalisée par le décret «Sur la terreur rouge», daté du 5 septembre 1918. La suite est une longue descente aux enfers : guerre civile, famines, camps de travail, exécutions sommaires.... L'horizon s'éclaircit en mars 1921, avec l'institution de la Nouvelle Politique Economique (NEP) qui insuffle un peu de liberté dans l'économie et la société russes.
     
    Une succession très disputée
    Lénine doit progressivement lâcher les commandes quelques mois plus tard, après une première attaque d'apoplexie, le 26 mai 1922. Le maître d'oeuvre de la révolution bolchevique renonce peu à peu à l'exercice du pouvoir. Il meurt dans sa maison de Gorki le 21 janvier 1924. Il a 53 ans. Dès la maladie de leur chef, les hiérarques communistes se sont disputé la succession. C'est finalement l'opportuniste Staline qui l'emporte grâce à sa position clé au secrétariat général du parti. Il se rallie à la NEP (Nouvelle Politique économique) et autorise une libéralisation de l'économie et de l'expression politique et artistique.
    Son principal opposant, Trotski, prône la poursuite de la terreur révolutionnaire. Bien qu'étant le plus populaire (et le plus intelligent) des leaders bolcheviques postulant à la succession de Lénine, il est habilement mis sur la touche par Staline et bientôt obligé de fuir.
    André Larané. http://www.herodote.net/

  • La tragédie de Gaza à l’aune du « printemps » arabe

    Il s’agit d’un nouveau rite israélien. Entre l’« Election Day » et l’« Inauguration Day », dates phares de la démocratie étasunienne, Israël marque cette période et prépare ses propres élections en bombardant sans vergogne Gaza et ses habitants. Tel un chasseur godiche canardant au gros calibre tout ce qui bouge dans une volière sous prétexte qu’un volatile l’a malencontreusement becqueté, l’état hébreu extermine hommes, femmes et enfants de Gaza, cette Terre palestinienne volontairement transformée en prison à ciel ouvert. Et cela ne l’empêche pas de se bomber le torse et de se vanter de ses « hauts faits d’armes » sous les regards approbateurs de pays occidentaux qui ne voient, dans l’utilisation des canardières, que l’équivalent de coups de becs.

    Cependant, entre l’opération meurtrière israélienne « Plomb durci » (fin 2008-début 2009) et celle étrangement baptisée « Pilier de défense » qui a eu lieu récemment, le monde arabe a connu son fameux « printemps ». Et une question fondamentale se pose : ce bouleversement politique considéré par certains comme fondamental, a-t-il une incidence quelconque sur le sort des Gazaouis en particulier et celui de la cause palestinienne en général?

    En dressant la liste des protagonistes arabes ou musulmans qui se sont accaparés le devant de la scène médiatique et qui s’activaient autour d’une éventuelle médiation entre le Hamas et Israël, il est possible d’avoir des éléments de réponse. De ce point de vue, la bousculade au portillon du Caire enregistrée le 17 novembre dernier est assez éloquente.

    Ce jour-là, le président égyptien Mohamed Morsi, le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, l’émir du Qatar Hamad ben Khalifa Al Thani et le chef du Hamas Khaled Mechaal étaient tous simultanément dans la capitale égyptienne. Et cet « alignement des planètes » était loin d’être fortuit.

    L’Égypte de Morsi

    Après son élection post-printanière, Mohamed Morsi, président islamiste « de secours » à la suite de l’inéligibilité de Khaïrat al Chater (éminence grise de la confrérie des Frères Musulmans), sait pertinemment que le règlement du dossier gazaoui est, pour lui, d’une importance capitale à plusieurs égards.

    Primo, il lui permettrait de gagner une crédibilité dans le dossier palestinien, crédibilité malmenée par la fermeture récurrente du passage frontalier de Rafah,  par la destruction des tunnels de contrebande entre les deux pays (provoquant pour la première fois l’ire des Palestiniens depuis que Morsi est au pouvoir) et surtout par la divulgation de lettres très « affectueuses » entre Morsi et le président israélien Shimon Peres. En effet, cet échange de courrier en apparence anecdotique a profondément choqué les Égyptiens qui vouent à ce qu’ils appellent « l’entité sioniste » une haine viscérale. Il est vrai que des expressions telles que  « mon cher et grand ami » et « votre ami fidèle » [1] adressées par Morsi à Peres ont de quoi abasourdir, surtout quand on sait qu’elles ont été écrites par un membre des Frères Musulmans, confrérie qui a toujours prôné la lutte contre l’occupant sioniste. La réaction de la rue égyptienne a été tellement vive que la présidence a tout d’abord prétendu qu’il s’agissait d’un faux [2] avant de la reconnaître en expliquant que les expressions utilisées relevaient du style « protocolaire » (sic) [3].

    Les amabilités entre les deux présidents se sont poursuivies ces jours-ci: le président Peres a déclaré aux médias qu’il saluait les « efforts » du président Morsi « pour introduire un cessez-le-feu » dans le conflit à Gaza [4].

    Il est à noter que ces familiarités inter-présidentielles contrastent nettement avec le comportement naturel de certaines personnalités égyptiennes piégées, à la même période, dans une émission de type « caméra cachée » dans laquelle on leur faisait croire qu’elles étaient interviewées par une chaîne israélienne [5]. Les réactions des invités ont été invariablement à fleur de peau, nerveuses et très violemment anti-israéliennes, ce qui a irrité la presse de l’état hébreu et a permis aux accusations d’antisémitisme d’inonder la blogosphère [6].

    En ce qui concerne la destruction, par l’armée égyptienne, des tunnels de contrebande dans la région frontalière entre l’Égypte et Gaza, elle a été décidée par le gouvernement Morsi à la suite des attentats meurtriers perpétrés le 5 août 2012 par un commando qualifié de djihadiste par les autorités [7]. Cependant, les Frères Musulmans dont est issu le président Morsi ont accusé le Mossad d’être derrière ces attaques, affirmation qui a été reprise par Ismaïl Haniyeh, le chef du gouvernement du Hamas à Gaza [8]. Ce qui est très plausible dans la mesure où la démolition des tunnels ne sert principalement que la sécurité de l’état d’Israël. Le plus étrange dans cette affaire, c’est la célérité avec laquelle la décision de détruire ces passages souterrains a été prise. De là à penser qu’il y a eu connivence, il n’y a qu’un pas. D’autant plus que les autorités israéliennes ont curieusement accepté la présence de soldats égyptiens dans la zone « C » du Sinaï, zone normalement permise à la police égyptienne, mais totalement interdite aux militaires égyptiens selon les accords de Camp David [9]. Rappelons que cette zone est une bande de terre de la péninsule du Sinaï qui longe la frontière israélo-égyptienne et le golfe d’Aqaba, et qui s’étend de Rafah à Charm el-Cheikh.

    Secundo, Morsi sait pertinemment que des gesticulations bien orchestrées dans le conflit israélo-palestinien le débarrasseraient de cette image négative de président « roue de secours » sans envergure et n’ayant que peu de charisme [10]. C’est ce qui explique, par exemple, le rappel de l’ambassadeur égyptien en poste en  Israël et l’envoi de son premier ministre à Gaza dès le début de l’agression sur Gaza. Ces décisions présentées comme « héroïques » n’expliquent toutefois pas pourquoi il a fallu attendre des bombardements pour qu’un haut responsable égyptien se rende dans l’enclave palestinienne. En effet, compte tenu du voisinage, de l’affinité idéologique entre le Hamas et les Frères musulmans égyptiens et de la liesse populaire gazaouie à l’annonce de l’élection de Morsi à la magistrature suprême, on se serait attendu à ce que le président égyptien se rende à Gaza juste après son élection. Mais non : Morsi ne s’y est jamais rendu alors que l’Émir du Qatar y a récemment effectué une visite officielle.

    Néanmoins, après la brouille du Hamas avec les responsables syriens, le gouvernement égyptien a autorisé l’organisation palestinienne à procéder au transfert de son principal siège de Damas vers le Caire. Cette brouille a eu pour cause la reconnaissance par le Hamas de la rébellion syrienne, coalition essentiellement composée de combattants islamistes. Bien que la décision égyptienne d’offrir un bureau au Hamas ait fait grincer les dents de nombreux observateurs, elle a été favorablement accueillie par les Frères musulmans égyptiens [11]. Ces observateurs y ont vu un changement majeur de la politique égyptienne qui considérait l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine) comme l’unique représentant légitime des Palestiniens. Évidemment, il ne pouvait en être autrement pour la confrérie. Est-il utile de rappeler que pour sa première visite officielle, le Premier ministre du Hamas, Ismaël Haniyeh, s’était rendu chez les Frères musulmans égyptiens? Et que ce même chef de gouvernement avait déclaré que le Hamas était « un mouvement djihadiste des Frères musulmans avec un visage palestinien » [12]?

    Il faut se rendre à l’évidence que dans le contexte du « printemps » arabe, cette décision d’héberger le Hamas au Caire relève aussi bien d’une volonté d’isolement de Bachar el-Assad par le président Morsi que du désir égyptien d’influencer la stratégie future de ce mouvement islamiste palestinien au pouvoir à Gaza, de concert avec d’autres intervenants influents comme le Qatar.

    Tertio, le Raïs égyptien n’ignore pas que l’obtention d’un cessez-le-feu dans le conflit israélo-palestinien aurait aussi pour effet de redonner un rôle central à l’Égypte dans le dossier palestinien. En outre, il permettrait à sa diplomatie dans le monde arabe de redorer son blason, après avoir été fortement marginalisée, ces dernières années, au profit de celles de certaines monarchies du Golfe. Ainsi, outre le problème de Gaza, la réunion tripartite Égypte-Qatar-Turquie avait certainement un autre point dans son agenda : celui de la Syrie. En effet, deux jours après la rencontre cairote on apprenait que la nouvelle coalition de la rébellion syrienne, constituée à Doha, allait être basée au Caire [13], alors que le défunt Conseil national syrien (CNS)  avait son quartier général à Istanbul.  Quatre jours plus tard, le Qatar annonçait de son côté la nomination d’un ambassadeur de la coalition syrienne, organisation constituée de groupes rebelles disparates dont il avait, sous la pression des États-Unis, « contraint » la coalescence [14].

    Notons au passage l’absence remarquée, dans cette réunion du Caire, de l’Arabie Saoudite, joueur majeur dans la « printanisation » de la Syrie. Et cette absence est loin d’être fortuite si on en croit la différence du traitement médiatique de l’agression israélienne sur Gaza entre la chaîne Qatarie Al-Jazira et la chaîne saoudienne Al-Arabiya qui traduit implicitement les divergences politiques entre ces deux pays dans le dossier de Gaza [15].

    Alors qu’il avait annoncé à maintes reprises sa volonté de  réviser les accords de Camp David, Morsi a changé d’avis lorsqu’Israël a opposé une fin de non-recevoir à cette idée [16]. Cette apparente « réussite » de Morsi dans l’arrêt des hostilités entre le Hamas et Israël lui permet toutefois de justifier son changement de fusil d’épaule, confortant ainsi l’idée de la nécessité pour l’Égypte d’être un interlocuteur « officiel » et crédible de l’état hébreu et ce, grâce aux accords signés entre les deux pays. Dans ce domaine, Morsi n’est donc pas tellement différent de son prédécesseur Moubarak, emporté par la vague printanière.

    Mais cette absence de témérité politique du président islamiste n’a rien changé à l’ardeur de certains militants pro-démocratie qui ont présenté, devant le tribunal administratif du Caire, une demande d’annulation du traité de Camp David afin que leur pays  puisse  jouir d’une pleine souveraineté politique et militaire dans la péninsule du Sinaï. Le 30 octobre dernier, les plaignants furent déboutés pour motif « d’incompétence en la matière » du tribunal arguant que les domaines de la politique internationale et de souveraineté du pays sont de la compétence du président de la république  [17].

    Morsi daignera-t-il un jour aller de l’avant avec cette promesse qui était aussi celle de la confrérie dont il est issu?

    Dans le contexte géopolitique actuel, il est permis d’en douter.

    Le Qatar et la « printanisation » des arabes

    Le 23 octobre 2012, soit exactement trois semaines avant la sauvage agression israélienne baptisée « Pilier de défense », l’émir du Qatar effectua un visite officielle à Gaza. Cette courte visite, qualifiée d’« historique » par certains observateurs car étant la première d’un chef d’état depuis 2007, année de prise (démocratique) du pouvoir du Hamas à Gaza, n’aurait jamais été possible sans l’approbation de l’Égypte et surtout d’Israël. Évidemment, ce voyage de l’émir s’est accompagné d’une généreuse distribution de pétrodollars, mais il apparaît clairement que son but n’est pas uniquement philanthropique. Sinon, comment expliquer que la générosité qatarie ne profite qu’au gouvernement islamiste du Hamas et non à toute la population palestinienne? Et pourquoi l’émir du Qatar n’a-t-il pas profité de l’occasion pour aller en Cisjordanie et rendre visite à l’Autorité palestinienne?

    D’ailleurs, sur ce point, le Comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP)  n’a pas du tout apprécié cette visite. « Les pays arabes ne devraient pas  poursuivre la politique d’établissement d’une entité séparatiste dans la bande de Gaza, qui sert fondamentalement les desseins israéliens », a-t-il déclaré [18].

    En fait, le comportement qatari à l’égard de la Palestine est en parfaite adéquation avec la volonté d’omniprésence de cet émirat dans la « printanisation » du monde arabe, action qui s’articule sur le soutien indéfectible des islamistes du monde arabe et en particulier des Frères musulmans. Cette politique est visible en Égypte, en Tunisie, en Libye, en Syrie et actuellement à Gaza.

    D’autre part, comme le Qatar possède des relations privilégiées avec les États-Unis et nombre de pays occidentaux (relations qu’il n’a jamais cherché à dissimuler, bien au contraire), on est en droit de penser que cette visite a une portée politique qui servirait également d’autres intérêts que ceux de la Palestine. Dans cet ordre d’idées, Jean-Pierre Bejot se pose les questions suivantes : « Les Américains, qui aiment à laisser penser qu’ils coachent les Qataris, ont-ils donné leur feu vert à cette visite ? Cette visite vise-t-elle à isoler la Syrie et l’Iran qui étaient, jusqu’à présent, les principaux partenaires du Hamas ? » [19].

    Rachid Barnat va encore plus loin : « A moins que son “jeu” [celui du Qatar] n’entre dans la stratégie des États-Unis: 1- neutraliser les extrémistes de “l’intérieur”, tout en les soustrayant à une probable récupération iranienne chiite! Ce que vient de faire l’émir du Qatar avec le Hamas de la bande de Gaza qui flirtait avec le régime des Ayatollahs et soutenait Bachar el-Assad, l’autre «ami» des iraniens. Et 2- permettre une reprise du dialogue entre les Palestiniens et les Israéliens afin qu’Obama […] concrétise son beau discours-programme lors de sa prise du pouvoir: en finir avec un problème qui empoisonne les relations internationales depuis plus de 60 ans ! » [20].

    À ce sujet, certaines sources bien informées ont rapporté une discussion extrêmement intéressante entre Hamad ben Khalifa Al Thani et Ismaël Haniyeh, lors de la visite de l’émir à Gaza. Selon elles, la rencontre s’est achevée par un désaccord manifeste car l’aide qatarie était soumise à des conditions précises : a) la rupture de l’alliance avec l’Iran, b) l’ouverture de négociations avec l’entité sioniste  sans conditions préalables, c)  la reconnaissance d’Israël, d) la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël et l’abandon de  la récupération  de sa partie orientale et e) l’annonce de la fin de la résistance  armée et l’ouverture des  négociations comme seule option de solution [21].

    En définitive, il semblerait que la présence du Qatar au Caire comme médiateur important dans le dossier palestinien soit reliée à un double agenda. Le premier est relatif à la « printanisation » de la cause palestinienne en favorisant la prépondérance du Hamas par rapport aux autres groupes rivaux de Gaza et en marginalisant, de facto, l’Autorité palestinienne en Cisjordanie. Le but ultime serait-il la constitution d’un seul gouvernement islamiste dirigé par le Hamas dans tous les territoires palestiniens?

    Le second est relatif à l’abandon par le Hamas de sa branche militaire et de son éloignement de l’ « Iran chiite » qui lui fournit des armes.

    À la lumière de ce qui précède, tout laisserait à penser à ce que la trame de fond de ces manœuvres soit la négociation d’une « paix à rabais » avec l’état hébreu sous la bénédiction israélo-américaine.

    Et l’émir du Qatar détient une carte importante pour réussir son projet : Khaled Mechaal, le chef du Hamas qui vient de s’aligner ouvertement avec la politique du Qatar en reconnaissant la rébellion syrienne, en rompant avec Bachar el-Assad (qui l’a soutenu et financé pendant des années) et en quittant Damas où il vivait pour s’installer à l’hôtel Four Seasons de Doha, « sous protection de ses hôtes qataris » [22].

    L’émir du Qatar ne maîtrise-t-il pas l’art de débaucher ceux qui deviennent par la suite ses hommes de main?

    Moins d’une semaine après la fin de l’opération « Pilier de défense », cette volonté du Hamas de s’éloigner de l’Iran s’est confirmée par la voix de Moussa Abou Marzouk, chef adjoint du bureau politique du Hamas. Depuis ses nouveaux bureaux du Caire, il déclara que « l’Iran doit reconsidérer son soutien au régime syrien » [23].

    Ce désir d’affranchissement de l’Iran a aussi été formulé, mais prudemment, par Ziad Nakhal, le secrétaire général adjoint du Jihad Islamique Palestinien. Tout en reconnaissant que « sans l’appui militaire de l’Iran, la résistance palestinienne n’aurait pas pu combattre depuis de nombreuses années », il ajoute que « si les Arabes veulent remplacer l’Iran, ils seront les bienvenus et nous remercierons l’Iran » [24].

    Cette invitation s’adresse tout particulièrement au Qatar. En effet, comment se fait-il que ce richissime émirat du Golfe qui arme les rebelles islamistes dans tous les pays arabes en quête d’un éventuel « printemps » et qui soutient leur lutte contre des gouvernements arabes naguère amis, puisse demander aux militants du Hamas d’abandonner leur lutte armée contre l’état israélien, un état spoliateur, xénophobe et assassin? Pourquoi, à l’inverse, n’armerait-il pas les combattants d’une cause aussi juste et aussi sacrée que celle de la Palestine −ne serait-ce que pour qu’ils acquièrent une force de dissuasion qui leur permettrait de négocier en position de force− comme il le fait ouvertement en Syrie? Bachar el-Assad serait-il un ennemi et Netanyahou un ami?

    La réponse de l’émir du Qatar est sans équivoque : lors de la conférence de presse tenue le 19 novembre 2012 (alors qu’Israël bombardait Gaza), à l’occasion de la visite à Doha de Mario Monti, chef du gouvernement italien, il  affirma que « le soutien du Qatar pour la bande de Gaza est limité à l’aide humanitaire et à la reconstruction, mais exclut l’armement » [25].

    Les armes du Hamas et la filière soudanaise

    La nuit qui suivit la visite de l’émir du Qatar à Gaza (du 23 au 24 octobre 2012), plusieurs avions israéliens bombardèrent le complexe militaire soudanais de Yarmouk, situé au sud de Khartoum. L’attaque ne dura que quelques minutes, mais les explosions qui suivirent durèrent plusieurs heures, ce qui indique que le stock de munitions qu’il contenait était considérable. Les photos satellitaires prises avant et après l’attaque israélienne montrent une destruction totale du site [26]. Le ministre soudanais de l’information, M. Ahmed Bilal Osman, a déclaré que  quatre avions étaient impliqués dans l’attaque et que des preuves matérielles (des armes qui n’auraient pas explosé) accusaient directement Israël [27]. Bien qu’il ait assuré que ce complexe ne fabriquait que des « armes traditionnelles », de nombreux rapports affirment qu’il servait aussi de dépôt de missiles iraniens Shehab et qu’il était très plausible que des expert iraniens fournissent une assistance technique pour la fabrication d’autres type d’armes.

    Israël n’a jamais reconnu cette attaque, mais des responsables israéliens ont accusé le Soudan d’être un point de transit névralgique pour l’envoi des armes iraniennes à destination des combattants du Hamas [28]. Des missiles iraniens, tels que les « Fadjr-5 » qui ont atteint Jérusalem durant le récent conflit israélo-gazaoui, ont certainement été acheminés de l’Iran vers Gaza, en passant initialement par le Soudan et, par la suite, introduits dans l’enclave palestinienne via les tunnels du Sinaï [29]. Ainsi, il est aisé de comprendre l’intérêt d’Israël d’impliquer l’Égypte dans la fermeture de ces passages clandestins.

    Mais ce qui attire le plus l’attention dans cette affaire c’est le fait que les avions israéliens ont parcouru, dans cette mission, près de 3600 km (aller-retour) sans qu’ils ne soient détectés, ni par le Soudan, ni par les pays « amis » limitrophes comme l’Égypte, la Jordanie ou l’Arabie Saoudite.

    Dans un article détaillé sur l’attaque du complexe soudanais publié par le Sunday Times, Uzi Mahmaini et Flora Bagenal expliquent que les avions israéliens avaient  emprunté un trajet qui longe la mer Rouge en contournant le système de défense aérien de l’Égypte [30]. Certains journalistes égyptiens se sont même demandé si les avions n’avaient pas transité par l’espace aérien de leur pays. Dans sa chronique intitulée « Morsi a-t-il peur d’Israël? », Mohamed Dassouki Rachdi écrit : «  Je ne mets pas en doute les capacités égyptiennes et je n’ai pas à le faire, mais je revendique simplement le droit du peuple à savoir si son territoire ou son ciel ont été utilisés dans l’attaque d’un pays frère ou non ». Et d’ajouter : « Comment se fait-il qu’Israël a réussi à mettre en œuvre l’opération de destruction du complexe soudanais avec toute  cette précision  et tout ce silence, sans que l’Égypte ne s’en rende compte ou sans qu’il y ait de réaction des autorités égyptiennes? Comment se fait-il que des avions puissent voler pendant quatre heures pour détruire une partie d’un pays frère sans que le sommeil des responsables égyptiens ne soit perturbé? » [31]. C’est la présidence de la République elle-même qui s’est chargée de répondre (ce qui révèle la gravité des soupçons), niant toute utilisation de l’espace aérien égyptien par les avions israéliens mais ne démentant pas l’information concernant l’itinéraire avancé par le Sunday Times [32].

    Si l’hypothèse avancée par le journal britannique est vraie, il est légitime de se poser de sérieuses questions sur les capacités du système de défense aérien de l’Égypte, sauf si le pays des pharaons a volontairement fermé les yeux sur le bombardement du Soudan pour s’assurer que les armes stockées au Soudan soit détruites et que les nouveaux missiles iraniens ne transitent plus par les tunnels du Sinaï.

    Une autre hypothèse concernant le trajet emprunté par les avions israéliens a été avancée par  Ali Akbar Salehi, le ministre iranien des Affaires étrangères. Selon ses informations, l’escadrille aurait survolé la Jordanie, l’Arabie saoudite et l’Érythrée avant de bombarder la cible soudanaise, ce qui expliquerait le fait que des témoins soudanais aient noté que les avions ennemis venaient de l’est  du pays [33].

    Quelle que soit l’hypothèse retenue, de sérieux doutes planent sur l’implication de différents pays arabes dans l’agression du Soudan, un pays « frère » qui est, de surcroît, membre de la Ligue Arabe.

    À moins qu’Israël n’ait utilisé directement une de ses bases situées sur l’archipel érythréen des Dahlak [34], mais cette éventualité n’a été avancée par aucun observateur.

    La Turquie et le néo-ottomanisme

    La politique étrangère du premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan et de son ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu relève plus de l’opportunisme que de la realpolitik.  Prônant à l’origine la doctrine de « zéro problème » avec les pays voisins, cette politique a progressivement évolué d’une non-ingérence à une ingérence active à mesure que le « printemps » arabe poursuivait sa progression, du Caire à Damas.

    Ainsi, bien qu’il déclarât initialement « qu’il n’avait pas non plus l’intention de s’immiscer dans les affaires intérieures des pays arabes » [35], Erdogan s’engagea en faveur des rebelles du Conseil national de transition libyen (CNT), oubliant que seulement quelques mois auparavant, il recevait, à Tripoli, le prix Kadhafi 2010 des Droits de l’homme décerné par le colonel Kadhafi [36]. Mais le glas de la politique de « zéro problème », qui somme toute n’a été qu’éphémère, a sonné lorsque le conflit syrien a éclaté. Sous l’impulsion des États-Unis, Erdogan a lâché le président syrien, celui-là même qu’il considérait naguère comme un « ami », donnant à la Turquie un rôle de premier plan dans cette sanglante guerre civile.

    Cette position belliqueuse envers un pays avec lequel la Turquie avait signé des accords de libre-échange en 2004 et avait aboli les visas en 2009 (et qu’Erdogan visita la dernière fois le 17 janvier 2011 à l’invitation de son « ami » Bachar el-Assad) n’a rien à voir avec des principes moraux dictés par l’instauration d’une éventuelle démocratie en Syrie. Le précédent libyen est très instructif à ce sujet. La Turquie veut plutôt surfer sur la vague de l’éclosion des gouvernements islamistes qui ont pris le pouvoir dans les pays arabes « printanisés » et qui désirent se donner comme modèle l’AKP (Adalet ve Kalkınma Partisi ou Parti de la justice et du développement) d’Erdogan.

    Le néo-ottomanisme, mis de l’avant par Erdogan et Davutoglu, se définit comme la volonté turque de réinvestir, aux niveaux diplomatique et économique, sa sphère d’influence ottomane [37]. Ainsi, la mise en œuvre de cette politique de reconquête tire profit de l’accession au pouvoir de l’Islam politique sunnite dans bon nombre de républiques arabes tout en présentant la Turquie comme un modèle de réussite économique réalisée par un gouvernement islamiste.

    Ajoutons à tout cela que la Turquie s’est constitué un remarquable capital de sympathie dans le monde arabe en optant pour des positions pro-palestiniennes médiatisées et très populistes. Le clash provoqué par Erdogan à Davos le 29 janvier 2009 en est un exemple très explicite [38] et sa présence à la réunion tripartite Égypte-Qatar-Turquie du 17 novembre 2012 au Caire rentre très certainement dans ce cadre.

    Mais il faut souligner que pour la Turquie, être pro-palestinien ne veut en aucun cas dire être anti-israélien. Et même si les relations politiques entre la Turquie et Israël se sont fortement refroidies depuis l’opération « plomb durci » et l’affaire de la flottille de la liberté, dans le domaine militaire ou économique c’est «  business as usual ».

    Voici quelques exemples éloquents. Près d’un an après l’incident de Davos, Ehud Barak, le ministre de la défense israélien, a été reçu à Ankara avec toute sa délégation. À l’issue de la visite, le ministre turc de la défense a déclaré que : « Tant que nous avons les mêmes intérêts, nous travaillons ensemble, pour résoudre les problèmes communs. Aussi, nous sommes alliés, nous sommes des alliés stratégiques, tant que nos intérêts nous force à l’être ». De leur côté, des officiels israéliens ont commenté la visite en précisant que « malgré les tensions diplomatiques […], leur impression est que la visite a été un succès et que les Turcs sont intéressés à préserver de bonnes relations » [39].

    En juin 2011, le journal israélien Haaretz rapporte des « discussions directes secrètes Israël-Turquie pour réduire la rupture diplomatique ». On y apprend que « des responsables israéliens et turcs ont tenu des pourparlers directs secrets pour tenter de résoudre la crise diplomatique entre les deux pays » et que « les négociations ont le soutien des Américains » [40].

    Dans un article au titre révélateur « Israël répare et renvoie quatre drones à la Turquie en signe possible de réchauffement des relations », publié le 19 mai 2012 par le « Times of Israël », il est mentionné qu’Erdogan aurait déclaré qu’« il peut y avoir des problèmes entre les gens et des ressentiments, ils peuvent s’abstenir de se rencontrer. Tout cela est possible, mais quand il s’agit des accords internationaux, il y a une éthique du commerce international » [41].

    Ainsi, il est clair que le néo-ottomanisme de la Turquie d’Erdogan et de Davutoglu ne se fait pas au détriment des relations israélo-turques, même si les apparences montrent un discours vindicatif contre l’état hébreu, discours destiné aux peuples arabes pour qui la cause palestinienne est un sujet très sensible.

    Obama et les petits plaisirs asiatiques

    L’agression israélienne contre Gaza a coïncidé avec une courte mais agréable tournée asiatique du président Obama. Ainsi entre quelques postures et regards coquins de la séduisante Première ministre thaïlandaise Yingluck Shinawatra et quelques bises « volées » à l’icône de l’opposition birmane Aung San Suu Kyi [42], le président américain savourait son séjour pendant que les bombes israéliennes détruisaient Gaza et les Gazaouis.

    Il faut se rendre à l’évidence que les Prix Nobel de la Paix ne valent plus grand-chose par les temps qui courent. Sinon, comment expliquer l’absence de compassion de deux lauréats de cette prestigieuse distinction, en l’occurrence Obama (2009) et Aung San Suu Kyi (1991), pour les victimes de Gaza et qu’aucun appel à la Paix ne soit lancé, de concert, par ce couple nobélisé du haut du perron de la résidence de l’ex-dissidente birmane à Rangoun? Bien au contraire, Obama n’a cessé de réaffirmer « le droit d’Israël à se défendre », c’est-à-dire de bombarder à l’arme lourde tout un peuple assiégé.

    Force est d’admettre que le soutien inconditionnel du président américain à l’état hébreux est en complète contradiction avec son fameux discours du Caire où il prétendait que « depuis plus de soixante ans, il [le peuple palestinien] connaît la douleur de la dislocation. Beaucoup attendent dans des camps de réfugiés en Cisjordanie, à Gaza et dans des terres voisines de connaître une vie de paix et de sécurité à laquelle ils n’ont jamais eu le droit de goûter. Ils subissent au quotidien les humiliations […] la situation du peuple palestinien est intolérable. L’Amérique ne tournera pas le dos à l’aspiration légitime du peuple palestinien à la dignité, aux chances de réussir et à un État à lui ».

    À propos de ce fameux « droit à l’auto-défense » d’Israël, la journaliste israélienne Amira Hass le qualifie de « formidable victoire de la propagande » en ajoutant qu’« en soutenant l’offensive israélienne sur Gaza, les dirigeants occidentaux ont donné carte blanche aux Israéliens pour faire ce qu’ils savent le mieux: se vautrer dans leur statut de victime et ignorer la souffrance des Palestiniens » [43].

    Après une semaine de conflit, Hillary Clinton se rendit en Israël et en Égypte pour discuter avec les protagonistes du conflit. Le cessez-le-feu entre le Hamas et Israël fut proclamé le jour même de son arrivée au Caire et tout le crédit fut octroyé au président Morsi. Étrange consécration pour le président égyptien qui avait, sans succès, annoncé la fin des hostilités pour la veille et qu’il n’avait même pas pu arrêter les bombardements sur Gaza (ne serait-ce que momentanément et malgré les promesses israéliennes) alors que son premier ministre Hicham Kandil se trouvait en visite dans l’enclave palestinienne [44].

    Le lendemain de l’annonce du cessez-le-feu, le New York Times publiait un article sur les motivations réelles de l’opération « Pilier de défense ». Les auteurs, David E. Sanger et Thom Shanker, nous expliquent que « pour Israël, le conflit de Gaza est un test pour une confrontation avec l’Iran ». En effet, selon certains responsables américains et israéliens, cette opération militaire qui a duré une semaine est un entrainement pour une éventuelle future confrontation avec l’Iran [45]. Ces exercices ont permis aussi bien d’analyser l’efficacité des nouvelles roquettes de fabrication iranienne capables d’atteindre Jérusalem que de tester la fiabilité du système anti-missiles « Dôme de fer » mis en place par Israël. Élément hautement intéressant : l’article rapporte également que le bombardement israélien du complexe soudanais de Yarmouk n’était que le premier volet d’un plan plus général d’affaiblissement de l’Iran qui s’est poursuivi avec le conflit de Gaza.

    Force est de constater que, pour Israël,  les deux attaques ont des objectifs stratégiques similaires: i) la destruction de stocks d’armes ennemis et ii) l’entrainement des troupes israéliennes pour un éventuel conflit armé direct avec l’Iran. En effet, la précision et la maîtrise avec laquelle l’opération contre le site soudanais a été menée (distance parcourue, ravitaillement en vol, brouillage des communications ennemies, frappes chirurgicales) prouvent que  l’état hébreu possèdent les moyens techniques pour opérer une frappe aérienne sur les sites nucléaires iraniens qui, eux, sont située à des distances égales ou inférieures à celle séparant Israël de Yarmouk. D’autre part, l’anéantissement des réserves d’armement destiné ou utilisé (respectivement au Soudan et à Gaza) par la résistance palestinienne permet de minimiser les risques d’ouverture de fronts de combat supplémentaires si la décision d’attaquer l’Iran venait à être prise. Si on ajoute à cela la participation active de l’Égypte dans la fermeture des tunnels du Sinaï et l’implication du Qatar pour persuader le Hamas d’accepter un changement de paradigme révolutionnaire, les conditions d’une attaque israélienne contre des cibles iraniennes deviennent de plus en plus favorables pour Israël et, évidemment, pour les États-Unis, leur allié indéfectible dans cette « croisade ».

    Effectivement, commentant l’article de David E. Sanger et Thom Shanker, Lucio Manisco écrit que « l’enquête du New-York Times éclaire l’étroite collaboration entre Washington et Jérusalem dans les préparatifs de l’offensive contre Gaza, et dans celle à plus ample portée prévue dans de prochains mois contre l’Iran » [46].

    Il existe, d’autre part, de fortes présomptions de collaboration entre ces deux pays dans l’attaque sur le complexe de Yarmouk. Ainsi, le quotidien arabe Al-Hayat a cité des responsables soudanais qui ont affirmé que les États-Unis étaient au courant de la frappe puisqu’ils ont rapidement fermé leur ambassade à Khartoum par crainte de représailles [47].

    Si on tient compte de tout cela, on comprend aisément la nonchalance et le flegme du président Obama lors de son voyage asiatique : il attendait patiemment que l’entraînement planifié par les forces israélo-américaines prenne fin pour envoyer sa secrétaire d’État afin de ficeler un cessez-le-feu entre les belligérants.

    On comprend aussi pourquoi Israël, contrairement à ses habitudes, n’a ni exercé de représailles à la suite de l’attentat du 21 novembre 2012 visant un autobus de Tel-Aviv, ni reporté la date de la fin des hostilités.

     Sunnisme-Chiisme : un schisme politique

    La reconfiguration géopolitique de la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord) à la suite du « printemps » arabe a provoqué un schisme politique sunnite-chiite. Ce schisme, qui est devenu prépondérant dans le conflit syrien à cause de la diversité cultuelle de ce pays, a une incidence directe sur la cause palestinienne. Deux  axes ont vu le jour dans la région: l’axe sunnite représenté, entre autres, par l’Égypte, le Qatar et la Turquie et l’axe chiite constitué par l’Iran, la Syrie et le Hezbollah.

    Le premier axe possède de très bonnes relations avec les pays occidentaux alors que le second groupe représente actuellement « l’axe du mal » pour ces mêmes pays.

    On voit bien que la réunion du 17 novembre au Caire regroupait exclusivement des pays sunnites et que la présence de Khaled Mechaal avait certainement pour but de soutirer le Hamas du giron chiite (en particulier l’Iran) qui lui fournit ses armes. Il est clair que les Américains et les Européens jouent sur cette division pour mieux isoler, et donc affaiblir, l’axe chiite.

    Le schisme politique a son pendant religieux, moins sournois mais tout aussi virulent. Ainsi, le téléprédicateur vedette de la télévision qatarie Al-Jazira, Cheikh Al-Qardaoui, a attaqué les Iraniens sur leur rôle en Syrie, déclarant qu’ils « ont manqué à leur mission et ils tuent désormais les musulmans [i.e. les Syriens sunnites] qui ne sont pas du même courant religieux qu’eux ». Il appela ensuite tous les pèlerins musulmans à implorer Dieu pour punir l’Iran [48].

    On est loin du temps où le Cheikh fustigeait Israël, priant Dieu de lui donner l’opportunité, au crépuscule de sa vie, de « de tirer une balle sur les ennemis d’Allah, les juifs » [49]. Le « printemps » arabe étant passé par là, son allégeance à l’émir du Qatar ne lui permet d’émettre des condamnations à mort qu’envers les Arabes ou les musulmans : un alignement exemplaire du politique et du religieux.

    C’est pour cette raison sans doute qu’on ne l’a guère entendu condamner la sauvage agression israélienne contre le peuple de Gaza.

    En conclusion, on peut affirmer que la cause palestinienne est indéniablement influencée par le « printemps » arabe. Le bloc sunnite représenté par l’Égypte, le Qatar et la Turquie (pays ayant tous trois d’excellentes relations avec les États-Unis) cherche à soustraire le Hamas de la zone d’influence chiite iranienne qui lui fournit les armes nécessaires à sa résistance contre l’occupation israélienne. La rupture de Khaled Mechaal avec Bachar al-Assad, son allégeance envers l’émir du Qatar et le déménagement du principal siège du Hamas de Damas vers le Caire sont tous des signes avant-coureurs qui ne trompent pas. La seule inconnue dans cette affaire est la position de la résistance palestinienne qui œuvre à l’intérieur de Gaza et qui a un besoin vital d’armes pour asseoir sa légitimité conformément à l’idéologie de son mouvement. À moins que le Qatar ne réussisse le tour de force de les convaincre d’abandonner les armes et d’opter pour une vision plus pacifiste, ce qui pourrait les amener à s’affranchir de leur étiquette d’ « organisation terroriste »  qui leur a été attribuée par de nombreux pays occidentaux et rejoindre la table de négociations. Cependant, considérant la faiblesse des résultats obtenus par l’Autorité palestinienne en adoptant une telle approche, on peut s’attendre à ce que le Hamas n’ait pas plus de succès. Quoi de plus clair que la déclaration de Leïla Shahid, la déléguée générale de l’Autorité palestinienne auprès de l’Union européenne : « Notre stratégie non-violente face à Israël est un échec […] on a arrêté la lutte armée […] et Israël nous a donné une claque » [50].

    Par ailleurs, et contrairement aux apparences : i) le gouvernement islamiste de Morsi semble entretenir des relations privilégiées avec l’état hébreu (correspondance affectueuse, destruction des tunnels du Sinaï, aucune réaction à l’attaque du complexe soudanais); ii) la politique néo-ottomaniste de la Turquie ne se fait pas au détriment des relations turco-israéliennes qui demeurent stratégiques; iii) les relations israélo-américaines sont au beau fixe et, sur les dossiers palestinien et iranien, la collaboration est exemplaire.

    Quant à la Ligue arabe, qui faisait jadis de la question palestinienne le cœur de ses préoccupations, elle est actuellement complètement inféodée aux intérêts américains. Ce qui fait dire à certains que cette institution ne peut réellement décider que des actions qui nuisent au Monde arabe!

    Finalement, il est intéressant d’observer le mouvement de balancier qui s’opère en Palestine : à Gaza, tout est fait pour que le Hamas devienne fréquentable au grand plaisir d’Israël et des États-Unis; en Cisjordanie, l’autorité palestinienne  provoque l’ire de Tel-Aviv et de Washington en obtenant, malgré les pressions et les intimidations, son statut d’État observateur à l’ONU.

    Ce qui nous ramène à la question existentielle : avant de discuter du rôle de pays tiers,  peut-il y avoir une quelconque solution au problème de la Palestine sans la réunification politique des deux territoires palestiniens?

    Ahmed Bensaada http://www.mondialisation.ca

    Montréal, le 6 décembre 2012

    Références

    1-       May Al-Maghrabi et Noha Ayman, « Morsi joue la realpolitik », Al Ahram Hebdo, 24 octobre 2012, http://hebdo.ahram.org.eg/NewsContent/0/1/130/532/Morsi-joue-la–realpolitik.aspx

    2-       Jonathan-Simon Sellem, « Égypte: “ la lettre amicale de Morsi à Peres est une fausse ” », JSSNews, 1er  août 2012, http://jssnews.com/2012/08/01/egypte-la-lettre-amicale-de-morsi-a-peres-est-une-fausse/

    3-       Al-Masry Al-Youm, « Morsy’s letter to Peres not friendly, just protocol, say diplomats », Egypt Independent, 18 octobre 2012, http://www.egyptindependent.com/news/morsy-s-letter-peres-not-friendly-just-protocol-say-diplomats

    4-       L’Orient le jour, « Peres salue les ”efforts ” de Morsi pour une trêve », 19 novembre 2012, http://www.lorientlejour.com/category/Moyen+Orient+et+Monde/article/788325/Peres_salue_les_%3C%3C+efforts+%3E%3E_de_Morsi_pour_une_treve.html

    5-       Il s’agit d’un programme de télévision égyptien intitulé « El Hokm baad El Moudawala ». Il est possible de visionner des extraits d’émissions ayant obtenu un grand succès à l’adresse URL suivante : http://www.youtube.com/watch?v=KmUBWkDdXx4

    6-       Salma Abdelaziz,  « Egyptian prank show exposes anti-Israeli sentiment », CNN, 11 août 2012, http://edition.cnn.com/2012/08/10/world/africa/egyptian-prank-show/index.html?hpt=hp_t3

    7-       Hélène Jaffiol, « Gaza: la fin des tunnels », Slate.fr, 29 septembre 2012, http://www.slate.fr/story/61031/gaza-fin-tunnels

    8-       AFP, « Égypte : selon les Frères musulmans, l’attaque du Sinaï peut être attribuée au Mossad », Radio-Canada, 6 août 2012, http://www.radio-canada.ca/nouvelles/International/2012/08/06/003-egypte-deuil-attaque-sinai.shtml

    9-       Une excellente carte interactive du Sinaï peut être consultée sur le site de la FMO (Force Multinationale d’Observateurs au Sinaï) à l’adresse URL : http://mfo.org/sinai

    10-   Ian Black, « Mohammed Morsi: Brotherhood’s backroom operator in the limelight », The Guardian, 25 mai 2012, http://www.guardian.co.uk/world/2012/may/25/mohammed-morsi-muslim-brotherhood

    11-   Majdi Abou Eleil et Ahmed Tahar, « Le Hamas transfèrera au Caire son principal siège », El Watan News, 12 septembre 2012, http://www.elwatannews.com/news/details/48396

    12-   Ramzy Baroud, « Hamas and the Brotherhood: Reanimating History », Palestine Chronicle, 2 janvier 2012, http://www.onislam.net/english/politics/middle-east/455243-hamas-and-the-brotherhood-reanimating-history-.html

    13-   AFP, « La nouvelle Coalition syrienne basée en Égypte », 24 Heures, 19 novembre 2012, http://www.24heures.ch/monde/nouvelle-coalition-syrienne-basee-egypte/story/16399120

    14-   Dedefensa.org, « Les dessous coquins de l’accord de Doha », 14 novembre 2011, http://www.dedefensa.org/article-les_dessous_coquins_de_l_accord_de_doha_14_11_2012.html

    15-   Amin Hamadé, « Comment Al-Jazira et sa rivale Al-Arabiya couvrent-elles la guerre à Gaza ? », Courrier International, 22 novembre 2012, http://www.courrierinternational.com/article/2012/11/22/comment-al-jazira-et-sa-rivale-al-arabiya-couvrent-elles-la-guerre-a-gaza

    16-   Ria Novosti, « Égypte: aucune révision des accords de Camp David (officiel) », 26 septembre 2012, http://fr.rian.ru/world/20120926/196154839.html

    17-   Chimaa El Karanchaoui, « Le tribunal administratif se déclare non compétent dans l’annulation ou la modification de “Camp David” », El Masry El Youm, 30 novembre 2012, http://www.almasryalyoum.com/node/1208641

    18-   AFP, « Visite “historique” de l’émir du Qatar à Gaza », Le Monde.fr, le 23 octobre 2012, http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2012/10/23/visite-historique-de-l-emir-du-qatar-a-gaza_1779825_3218.html

    19-   Jean-Pierre Bejot, « Qatar est-il le nouveau nom de “l’impérialisme”, de “la mondialisation”, de ”l’Internationale islamique”… ? (3/4) », La Dépêche diplomatique, 31 octobre 2012, http://www.lefaso.net/spip.php?article50905

    20-   Rachid Barnat, « À quoi joue l’émir du Qatar? », Kapitalis, 8 novembre 2012, http://www.kapitalis.com/63-fokus/12733-a-quoi-joue-l-emir-du-qatar.html

    21-   Al Manar, « Hamad bin Khalifa à Haniyeh: rompez votre alliance avec l’Iran et… », 17 novembre 2012, http://www.almanar.com.lb/french/adetails.php?eid=85451&cid=18&fromval=1&frid=18&seccatid=20&s1=1

    22-   Georges Malbrunot, « L’émir du Qatar affiche son parti pris pro-Hamas à Gaza », Le Figaro.fr, 23 octobre 2012, http://www.lefigaro.fr/international/2012/10/23/01003-20121023ARTFIG00323-l-emir-du-qatar-affiche-son-parti-pris-pro-hamas-a-gaza.php

    23-   AFP, « Hamas: L’Iran devrait reconsidérer sa position à l’égard du régime syrien », Al-Masry Al-Youm, 26 novembre 2012, http://www.almasryalyoum.com/node/1270486

    24-   Déclaration de Ziad Nakhal à Nile News, le 27 novembre 2012.

    25-   Qatar Ministry of Foreign Affairs, « The joint press conference by H.E. Sheikh Hamad Bin Jassim Bin Jabr Al Thani, the Prime Minister and Minister of Foreign Affairs and Italian Prime Minister Mario Monti regarding the situation in Gaza », 19 novembre 2012, http://english.mofa.gov.qa/minister.cfm?m_cat=2&id=163

    26-   Alain Rodier, « Israël-Soudan-Gaza : Frappe aérienne et riposte du Hamas », Note d’actualité n°291, Centre Français de Recherche sur le Renseignement, Novembre 2012.

    27-   AFP, « Le Soudan accuse Israël de l’avoir bombardé », Le Monde.fr, 24 octobre 2012, http://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/10/24/le-soudan-accuse-israel-de-l-avoir-bombarde_1780414_3212.html

    28-   AFP, « Le Soudan nie tout rôle de l’Iran dans son usine d’armes de Yarmouk », Courrier International, 29 octobre 2012, http://www.courrierinternational.com/depeche/newsmlmmd.d6c0a760d0f4e9b5a7145c93a75c54a6.501.xml

    29-   Global Security.org, « Hamas Rockets », Novembre 2012, http://www.globalsecurity.org/military/world/para/hamas-qassam.htm

    30-   Uzi Mahmaini and Flora Bagenal, « Israeli Jets Bomb Sudan Missile Site in Dry Run for Iran Attack », The Sunday Times, 28 octobre 2012, http://www.thesundaytimes.co.uk/sto/news/world_news/Middle_East/article1156457.ece

    31-   Mohamed Dassouki Rachdi, « Morsi a-t-il peur d’Israël? », El Youm Essabaa, 31 octobre 2012, http://www1.youm7.com/News.asp?NewsID=831787

    32-   Almesryoon, « La présidence nie que l’aviation israélienne ait pénétré dans l’espace aérien égyptien », 31 octobre 2012, http://www.almesryoon.com/permalink/43705.html

    33-   Gérard Fredj, « Bombardement israélien au Soudan – Des pays arabes auraient ouvert leur espace aérien aux avions israéliens », Israël Infos, 6 novembre 2012, http://www.israel-infos.net/Bombardement-israelien-au-Soudan–Des-pays-arabes-auraient-ouvert-leur-espace-aerien-aux-avions-israeliens-9284.html

    34-   Muhammed Salahuddin, « Israel’s second largest base is on Eritrea’s Dahlak Islands», Arab News, 31 août 2006, http://www.ethiomedia.com/carepress/israel_on_dahlak.html

    35-   Jean Marcoux, « L’expérience turque de transition politique, un modèle pour l’Égypte post-Moubarak ? », LeJMed.fr, 12 février http://www.lejmed.fr/spip.php?page=imprimir_articulo&id_article=895

    36-   Ahmed Bensaada, « Le double jeu de Recep Tayyip Erdogan », Mondialisation.ca, 7 décembre 2011, http://www.mondialisation.ca/le-double-jeu-de-recep-tayyip-erdogan/28097

    37-   Samia Medawar, « Les limites du « néo-ottomanisme » face aux ambitions de la diplomatie turque », L’Orient le jour, 11 juin 2012, http://www.lorientlejour.com/category/%C3%80+La+Une/article/763241/Les_limites_du_%3C%3C+neo-ottomanisme+%3E%3E_face_aux_ambitions_de_la_diplomatie_turque.html

    38-    Ahmed Bensaada, « La valse à quatre temps de Amr Moussa ou l’évanescence de l’arabité politique », Le Quotidien d’Oran, 12 février 2009, http://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=53:la-valse-a-quatre-temps-de-amr-moussa-ou-levanescence-de-larabite-politique-&catid=37:societe&Itemid=75

    39-   Amos Harel, « Barak lauds Turkey visit as successful, despite degraded ties », Haaretz , 18 janvier 2010, http://www.haaretz.com/print-edition/news/barak-lauds-turkey-visit-as-successful-despite-degraded-ties-1.261597

    40-   Barak Ravid, « Israel and Turkey holding secret direct talks to mend diplomatic rift», Haaretz, 21 juin 2011, http://www.haaretz.com/print-edition/news/israel-and-turkey-holding-secret-direct-talks-to-mend-diplomatic-rift-1.368792

    41-   Yifa Yaakov, « Israel fixes, returns four aerial drones to Turkey in possible sign of warming ties », The Times of Israel, 19 mai 2012, http://www.timesofisrael.com/israel-reportedly-sends-fixed-herons-back-to-turkey/

    42-   AP and Daily Mail Reporter, « The charmer-in-chief: Obama gets flirty as he schmoozes with Thai prime minister on first stop of historic Asia visit », Daily Mail, 18-19 novembre 2012, http://www.dailymail.co.uk/news/article-2234978/President-Barack-Obama-schmoozes-Thai-PM-Yingluck-Shinawatra-stop-historic-Asia-visit.html

    43-   Amira Hass,  « Israel’s ‘right to self-defense’ – a tremendous propaganda victory », Haaretz, 19 novembre 2012, http://www.haaretz.com/news/features/israel-s-right-to-self-defense-a-tremendous-propaganda-victory.premium-1.478913?localLinks=&block=true

    44-   AFP, « Israël viole la trêve et bombarde Gaza lors de la visite de Kandil », El Youm Essabaa, 16 novembre 2012, http://www1.youm7.com/News.asp?NewsID=847648

    45-   David E. Sanger et Thom Shanker, « For Israel, Gaza Conflict Is Test for an Iran Confrontation », The New York Times, 22 novembre 2012, http://www.nytimes.com/2012/11/23/world/middleeast/for-israel-gaza-conflict-a-practice-run-for-a-possible-iran-confrontation.html

    46-   Lucio Manisco, « Bombardements aéronavals sur Gaza pour essayer les nouvelles armes israéliennes en vue de l’imminente guerre contre l’Iran », Global Research, 24 novembre 2012, http://www.mondialisation.ca/bombardements-aeronavals-sur-gaza-pour-essayer-les-nouvelles-armes-israeliennes-en-vue-de-limminente-guerre-contre-liran/5312835?print=1

    47-   Jonathan Schanzer, « Israël et les États-Unis viennent-ils juste de coopérer pour un Galop d’essai, en vue d’une Intervention en Iran? », Israël Magazine, 2 novembre 2012, http://israelmagazine.co.il/israel-et-les-etats-unis-viennent-ils-juste-de-cooperer-pour-un-galop-dessai-en-vue-dune-intervention-en-iran/

    48-   Al-Quds Al-Arabi, « Al-Qardaoui: l’Iran, la Russie et la Chine sont les ennemis de la Nation et les pèlerins doivent implorer Dieu pour les punir », 13 octobre 2012, http://www.alquds.co.uk/index.asp?fname=online%5Cdata%5C2012-10-13-10-07-51.htm

    49-   Youtube, « Al-Qaradawi praising Hitler’s antisemitism », Vidéo mise en ligne le 10 février 2009, http://www.youtube.com/watch?v=HStliOnVl6Q&feature=player_embedded

    Leïla Shahid, « Notre stratégie non-violente face à Israël est un échec », RTBF, 18 novembre 2012, http://www.rtbf.be/info/monde/detail_violences-a-gaza-entretien-exclusif-avec-leila-shahid?id=7876355

  • Nokturnal Mortum: tradition, patriotisme et black metal

     

    The_Voice_Of_SteelParmi les innombrables groupes de musique appartenant à la culture de masse, certains se distinguent de la médiocrité générale et émergent hors du lot. C'est le cas de Nokturnal Mortum, un groupe de Black/Pagan Metal venant d'Ukraine. Fondé en 1994, le groupe se fait d'abord connaître par un album assez classique et moyen, Twilightfall, avant de prendre une orientation Black Metal symphonique dès l'année suivante, avec la sortie de Lunar Poetry en 1996. Pour ceux qui ne connaissent pas, le Black Metal se caractérise par des compositions violentes, agressives et surtout enragées et dérangeantes. La touche symphonique, par le biais du clavier, permet toutefois d'atténuer ce ressenti ; Dimmu Borgir ou encore Winterburst sont de bonnes références du style. C'est cependant à partir de Goat Horns, en 1997, que Nokturnal Mortum va emprunter un chemin légèrement différent qui va le rendre intéressant à nos yeux : sans rejeter l'aspect symphonique pour autant, le groupe va en effet intégrer des parties folkloriques au sein de ses morceaux, donnant un aspect folk et traditionnel à leur musique, comme le morceau éponyme – Goat Horns – le montre parfaitement. Le groupe va cependant se recentrer sur l'aspect Black Metal dès 1999, avec To The Gates Of Blasphemous Fire, et offrir une musique plus violente et agressive, tout en conservant cet aspect païen qui se ressent dans leurs compositions (On Moonlight Path en est un très bon exemple). Le succès de ces deux derniers albums ouvrit alors les portes des gros labels de Metal aux Ukrainiens, et une fois encore leur réponse les rend intéressants : Varggoth – le meneur du groupe – fit un magistral bras d'honneur à ces commerciaux attirés par l'argent : NeChrist – sorti en 2000 – est un retour au Trve Black Metal, avec un son sale, une ambiance malsaine, et une fureur sans borne. Les compositions, bien plus agressives, comptent certes quelques parties folkloriques, comme toujours ; l'ambiance païenne est sans aucun doute conservée. Mais le rejet total ainsi que l'inquiétante froideur qui s'en dégagent font de NeChrist un message de rage explicite. C'est après cinq ans de pause – donc en 2005 – que Nokturnal Mortum revient, avec une orientation toutefois bien plus païenne, et moins violente. Weltanschuung alterne en effet morceaux purement instrumentaux et morceaux de Black/Pagan efficace. Mais c'est leur dernière œuvre, sortie en 2009, qui achève d'imposer la maîtrise du groupe Ukrainien. The Voice Of Steel représente en effet l'un des albums (voir l'album) de Black/Pagan le plus abouti, alliant une technicité musicale incontestable et une pureté incroyable. Les ambiances, créées à la perfection, transportent l'auditeur, et le plongent dans un univers païen incroyablement intense.

    La musique de Nokturnal Mortum ne suffit pas à en expliquer l'intérêt ; les paroles y jouent également un rôle primordial. Les textes de Nokturnal Mortum ont la particularité d'être profonds dans leur signification. Certains thèmes sont redondants (le lien à la nature se retrouve dans la majorité des groupes de Black/Pagan), mais d'autres ne peuvent que nous parler. Nokturnal Mortum accorde en effet une place majeure au patriotisme et au respect des ancêtres, notions si chères à nos cœurs et si salies de nos jours. Les Ukrainiens manifestent leur attachement à leur terre et à leur culture à travers leur musique comme par leurs textes. Plus discrets dans les premiers albums, les membres de Nokturnal Mortum – et tout particulièrement le principal auteur des paroles, Knjaz Varggoth – affichent clairement leurs positions, et c'est ce qui les rend si intéressants. Car plutôt qu'un vulgaire message de haine (celle-ci est pourtant loin de manquer aux paroles du groupe) ou de rejet du christianisme, c'est bien une conception métaphysique du monde, une weltanschuung qu'il s'agit de transmettre. Le lien à la nature y prend une place prépondérante, comme dit plus haut, mais sans se limiter à opposer nature et urbanisation : tout en décrivant les paysages de l'Ukraine, en parlant des éléments et des astres, Varggoth dégage peu à peu un sentiment d'élévation, de purification par la contemplation de Dame Nature. L'évolution musicale du groupe donne une idée de l'importance de ce concept selon les albums, mais il reste présent en chacun, et tout particulièrement dans le dernier, The Voice Of Steel. Plus encore que de l'énoncé, c'est du ressenti que nous apporte Nokturnal Mortum ; le titre même de l'album (« la voix de l'acier ») annonce la teneur guerrière tant de la musique que des paroles. Eh oui, comme la plupart des groupes de Black/Pagan, le thème de la bataille est lui aussi au cœur des textes (la pochette de To The Gates Of Blasphemous Fire était d'ailleurs assez explicite à ce sujet). La question qui se pose est donc la suivante : la bataille pour quoi?
    WeltanschauungC'est justement ce « pour quoi » qui rend Nokturnal Mortum si intéressant, car il ne s'agit pas comme dans trop de groupes de parler des glorieux Vikings qui se taillent un chemin dans les viscères à coups de hache, le tout à la gloire de Thor et d'Odin. Non, le combat de Nokturnal Mortum a un sens : la défense de la terre, de la tradition, de la culture et de l'identité, ainsi que l'honneur et le respect des anciens. Les aïeux reviennent souvent dans les chansons du groupe, tout comme l'importance d'être digne d'eux et de poursuivre le combat de ces héros morts au combat (comme le suggère assez clairement la chanson Hailed Be The Heroes, sur Weltanschuung). Les airs folkloriques présents dans les morceaux de Nokturnal Mortum (Goat Horns ou Perun's Celestial Silver de NeChrist sont des perles du genre) sont des manifestations de l'importance du folklore ukrainien et païen pour les membres de la formation. Ce paganisme affiché explique le violent rejet du christianisme qui caractérise NeChrist : bien que l'album soit très clairement Trve Black Metal tant musicalement que visuellement, ce rejet (cette haine, disons-le franchement) n'est en rien liée à une idéologie sataniste – sérieuse ou non – si fréquente dans le Black Metal. Le christianisme est certes vu comme un ennemi, mais surtout comme un envahisseur millénaire responsable de la destruction des traditions païennes des pays slaves (du moins de l'Ukraine) et comme un ennemi de la diversité et de la particularité culturelle : avant la « culture de masse » (le terme de culture est ici souillé) qu'analyse si bien ce cher Christopher Lasch, qui tend à uniformiser toutes les sociétés en les inondant d'une bouillie puante et insipide appelée « culture », le grand monothéisme européen avait durant des siècles fait un travail similaire en éliminant les croyances païennes au profit des siennes.

    Nokturnal Mortum rejette d'ailleurs l'un comme l'autre, et NeChrist est le paroxysme de ce refus : si les textes sont indubitablement anti-chrétiens (des titres tels que Jesus' Blood, In The Fire of the Wooden Churches ou encore NeChrist suffisent pour s'en rendre compte), l'album en lui-même représente un énorme bras d'honneur aux majors de la musique, comme dit précédemment. La réponse de Nokturnal Mortum à ces ouvertures commerciales fut sale, malsaine, violente, haineuse, avec un son bien plus mauvais que sur l'opus précédent. En résumé, « allez vous faire foutre, Nokturnal Mortum ne se vend pas ». Il est d'ailleurs intéressant de noter que depuis 2004, les albums sont produits par Oriana Music, leur propre label. L'attitude de Nokturnal Mortum concorde avec leurs paroles – chose assez rare à notre époque. Les années ont cependant apporté une nouvelle maturité au groupe : ils glissent désormais leur quenelle différemment. Au lieu d'être un nouveau NeChrist, The Voice Of Steel a un son irréprochable et représente un accomplissement musical ; les textes, de plus en plus forts, sont tous chantés en Ukrainien – exception faite de Walkyrie qui est chantée en Russe. Le lien à la terre est toujours présent, plus fort que jamais (la pochette de Weltanschuung en reste la meilleure preuve, représentant une main caressant des épis de blé, Nokturnal Mortum nous donnant ainsi sa vision de la vie) tandis que le combat se précise. La chanson Ukrainia est explicite quant à la place que prend l'Ukraine dans le cœur des musiciens, tout comme le montrait Ma France de Jean Ferrat. L'ennemi contre lequel lutte le groupe est le même que le nôtre : l'uniformisation et la destruction des identités. Varggoth est toutefois lucide quant à la situation : Sky of Saddened Nights et White Tower ont une sonorité désespérée qui fait résonner notre âme. Ce sentiment se ressent notamment dans White Tower : il s'agit d'ériger une Tour Blanche, et de la défendre envers et contre tout. Il est aisé de comprendre ce que représente cette Tour Blanche : le dernier bastion, notre dernier retranchement face à un ennemi qui nous submerge, dans un combat qui semble déjà perdu.Je conclurai par une constatation simple : aucune analyse ne vaudra jamais le ressenti.

    Par conséquent, je vous laisse vous faire votre propre avis.

    http://www.scriptoblog.com

    Pour découvrir Nokturnal Mortum en concert, suivez ce lien.

  • La psychologie jungienne face à la figure d'Odin

    Horst Obleser, psychiatre d'obédience jungienne, a sorti en 1993 un ouvrage entièrement consacré à Odin, le dieu dont personne ne sait où il va ni qui il est. Muni d'une longue lance, le doigt orné d'un superbe anneau d'or magnifiquement décoré, un corbeau perché sur son épaule, un autre corvidé évoluant au-dessus de lui, flanqué de deux loups gris foncé, chevauchant un destrier fabuleux à 8 pattes, il est le dieu de l'errance, du savoir et des guerriers. Il voit et sait tout. S'exprime exclusivement en vers. Ne boit que du vin ou de l'hydromel. Cette description épuise quasiment tout ce que les sources nous ont appris de ce dieu. C'est peu de choses. L'Europe centrale germanique est donc dépourvue d'un corpus mythologique élaboré, à la façon des traditions avestique ou védique. L'Europe germanique est donc mutilée sur les plans mythologique et psychique.
    Thérapeute, Horst Obleser le déplore, surtout dans le domaine de l'éducation : l'enfant germanique, contrairement à l'enfant indien par ex., n'est pas plongé dans un corpus d'histoires et d'images “orientantes”, qui lui expliquent l'agencement du monde, par le biais de contes et d'histoires, et le console, le cas échéant, quand il doit faire face aux déchirements et aux affres de l'existence. Il ne reste aux peuples germaniques qu'un rationalisme superficiel, dérivé du christianisme, dont ils ne comprennent guère les sources mythologiques proche-orientales, nées sur un territoire à la géologie, la faune et la flore très différentes. À l'heure actuelle, les images artificielles répandues par les médias se superposent à ce rationalisme christianomorphe lacunaire, interdisant à nos enfants de posséder in imo pectore des images et des références mythiques issues d'une psyché et d'un inconscient propres. Consolations et rêves ne dérivent pas de contes et de symboles transmis depuis de longues générations et surtout issus de la terre occupée depuis toujours par les ancêtres. Lacune qui doit mobiliser l'attention du thérapeute et l'induire à s'ouvrir aux recherches sur la mythologie. Obleser :

    « Nous vivons dans une culture qui est fortement imprégnée de pensée chrétienne, mais une pensée chrétienne qui est néanmoins traversée d'idéaux guerriers. Un esprit aventureux conquérant se profile graduellement derrière [notre culture christianisée], qui devrait nous permettre de nous identifier à des héros ou des héroïnes. Mais cet état de choses n'exclut pas le fait, qu'au contraire d'autres cultures, comme les cultures grecque, égyptienne, hébraïque, indienne ou persane, nous ne possédons plus que des mythes théogoniques et cosmogoniques très fragmentaires. (…)Dans l'espace germanique méridional, quasiment aucune tradition n'a survécu. Il nous reste la consolation qu'un mythe commun à tous les peuples germaniques n'a sans doute jamais existé. Les mythes germaniques ont sombré très profondément dans le passé, et sont en grande partie oubliés. À leur place, des images issues de la culture gréco-romaine, des mythes égyptiens ou, par l'intermédiaire de la christianisation, les mythes hébraïco-judaïques de la Bible, ont pris en nous un territoire psychique important. Sous toutes ces images étrangères, demeurent tapis les anciens mythes celtiques et germaniques, qu'il s'agit de redécouvrir » (p. 15-16).

    Pourquoi ? Caprice de philologue, de chercheur, d'intellectuel ? Pire : lubie de psychiatre ? Non. Nécessité thérapeutique ! La fragilité psychique de l'Européen, et de l'Allemand en particulier, vient de ce MOI mutilé, nous enseigne CG Jung. Dans cette optique, Obleser écrit :

    « Le caractère des Germains peut se décrire sur deux plans, à partir de ce que nous savons de la personnalité du dieu Odin : d'une part, nous trouvons “une virilité dure, violente, tournée vers elle-même” ; et, d'autre part, “une curieuse tendance oscillante” qui émerge tantôt dans l'individu tantôt dans le peuple tout entier ».

    Et il poursuit :

    « Ninck nous parle dans ce contexte d'une virilité héroïque qui se caractérise par la force, la puissance, la dureté, la capacité à résister à l'adversité, qui se conjugue au goût prononcé pour le combat, pour l'audace et pour l'action décidée en conditions extrêmes. À tout cela s'ajoute encore un désir prononcé de liberté et d'indépendance. Certes, ce sont là des qualités que l'on retrouve, de manière similaire ou non, dans d'autres peuples, chez qui importent aussi les capacités à mener la guerre et les batailles » (pp. 271-272).

    Autre caractéristique germanique, que l'on retrouve chez Odin : la pulsion à errer et à voyager.

    « Même chez les Celtes, proches parents des Germains, on ne retrouve pas cette pulsion exprimée de manière aussi claire. Le nombre impressionnant des Wanderlieder [Chants de randonnées, de voyage] dans la littérature ou le folklore allemands constitue autant d'expressions de cette pulsion, même s'ils ne sont plus qu'un souvenir terni de l'antique agitation perpétuelle des Germains. Cette facette essentielle de l'âme germanique a dû constituer une part importante de nos coutumes, qui s'est perpétuée dans les gildes d'artisans, et plus particulièrement chez les apprentis et les maîtres charpentiers, jusqu'à nos jours : l'apprenti, justement, doit pérégriner et passer un certain laps de temps à aller et venir à l'étranger. Ninck croit que le trait de caractère qui porte les peuples germaniques à pérégriner se répercute dans le langage quotidien, où l'on s'aperçoit des innombrables usages des mots “fahren” et “gehen” (…). Nos vies sont perçues comme des voyages, notamment quand nous parlons de “notre compagnon ou de notre compagne de route” (Lebensgefärhte, Lebengefärhtin) pour désigner notre époux ou notre épouse (…). L'importance accordée au mouvement dans la langue allemande se repère dans l'expression idiomatique “es geht mir gut” (je me porte bien) qui ne se dit pas du tout de la même façon en grec, où l'on utilise des vocables comme “avoir”, “souffrir”, “agir”, ni en latin, où l'on opte pour “être”, “avoir” ou “se passer” (…) » (p. 272).

    Le substrat (ou l'adstrat) chrétien nous interdit donc de comprendre à fond cette propension à l'errance, le voyage, la pérégrination. Pour Obleser, seul le mystique médiéval Nicolas de Flues (Nikolaus von Flüe), renoue avec ces traits de caractère germaniques dans ses écrits. Il vivait en Suisse, à proximité du Lac des Quatre Cantons, entre 1417 et 1487. Il était paysan, juge et député de sa communauté rurale et montagnarde. À partir de sa cinquantième année, il s'est entièrement consacré à ses exercices religieux. Au cours desquels, il a eu une vision, celle du “pérégrin chantant” (Der singende Pilger). Dans mon “esprit” — dit Nicolas de Flues —, j'ai reçu la visite d'un pérégrin, coiffé d'un chapeau ample (attribut d'Odin), les épaules couvertes d'un manteau bleu ou gris foncé, venu du Levant. Derrière l'archétype de ce pérégrin, avatar médiéval d'Odin qui a réussi à percer la croûte du sur-moi chrétien, se profile aussi l'idéal de la quête du divin, propre à tous les mystiques d'hier et d'aujourd'hui. Ce pérégrin et cet idéal n'ont plus jamais laissé Nicolas de Flues en paix. La quête rend l'homme fébrile, lui ôte sa quiétude, lui inflige une souffrance indélébile. De plus, tout pérégrin est seul, livré à lui-même. Il fuit les conformismes. Il entre fréquemment en trance, terme par lequel il faut comprendre l'immersion dans la prière ou la méditation (le pérégrin de Nicolas de Flues prononce, sur le mode incantatoire, de longues séries d'“Allélouïa”, en arrivant et en repartant, indiquant de la sorte que sa méditation — et sa joie de méditer — se font en état de mobilité, de mouvance, comme Odin). Pour CG Jung, Odin est “ein alter Sturm- und Rauschgott”, un dieu ancien de la tempête (ou de l'assaut) et de l'ivresse (de l'effervescence). Pour Marie-Louise von Franz, la vision de Nicolas de Flues est une rencontre de l'homme germanique avec lui-même, avec l'image mythique de lui-même, que la christianisation lui a occultée : au tréfonds de sa personnalité, il est ce pérégrin, méditant et chantant, profond mais toujours sauvage, esseulé.
    Jung trace un parallèle entre cette pérégrination odinique (ou cette vision de Nicolas de Flues) et le mouvement de jeunesse Wandervogel (ou ses avatars ultérieurs tels les Nerother, grands voyageurs, la d.j.1.11 de l'inclassable Eberhard Köbel, surnommé “tusk” par les Lapons qu'il allait régulièrement visités, etc.). Ce n'est donc pas un hasard si la caractéristique majeure de ce mouvement de jeunesse spécifiquement allemand ait été le Wandern, la randonnée ou l'expédition lointaine vers des terres vierges (les Andes, l'Afrique pour un des frères Ölbermann, fondateurs des Nerother, la Nouvelle-Zemble arctique, la Laponie, etc.). Jung : « En randonnant inlassablement sur les routes, du Cap Nord à la Sicile, avec sac à dos et luth, ils étaient les fidèles serviteurs du dieu randonneur et vagabond ». Et Jung ajoute qu'Odin est aussi un dieu qui saisit, s'empare des hommes (ergriffen, Ergriffenheit), les entraîne dans sa magie tourbillonnante.
    Obleser rappelle la christianisation de la Germanie païenne. Sous Charlemagne, les armées franques soumettent les Saxons, encore païens, par le fer et par le feu. Psychologiquement, il s'agit, dit Obleser (p. 280) d'une soumission de l'âme germanique au “sur-moi” de la dogmatique chrétienne. Ce qui a pour corollaire une propension exagérée à la soumission chez les Allemands, devenus incapables de reconnaître leur propre, leur identité profonde, derrière le filtre de ce pesant “sur-moi”. Une reconnaissance sereine de son “cœur profond” permet à tout un chacun, aussi au niveau collectif du peuple, d'intérioriser des forces, pour bâtir ses expériences ultérieures en toute positivité. L'histoire allemande est dès lors caractérisée par une non intériorisation, une non canalisation de ces forces particulières, qui font irruption et se gaspillent en pure perte, comme l'a démontré l'expérience tragique du IIIe Reich. Et comme le montre aussi la rage fébrile à faire du tourisme, y compris du tourisme de masse vulgaire, en notre époque triviale.
    Charlemagne, après ses expéditions punitives en Saxe et en Westphalie, a toutefois fait codifier par ses scribes toutes les traditions germaniques, transmises auparavant par oral. Si nous avions pu conserver ces manuscrits, nous aurions pu reconstituer plus facilement cette psyché germanique, et guérir les travers d'une psychologie collective ébranlée et déséquilibrée. Louis le Pieux, malheureusement, ordonnera de brûler les manuscrits commandés par son prédécesseur. Ce geste fou de fanatique, déboussolé par une prêtraille écervelée, a laissé une blessure profonde en Europe. Les traditions centre-européennes, tant celtiques que germaniques, voire plus anciennes encore, ont été massivement évacuées, détruites, pour ne laisser que quelques bribes dans les traditions locales, qui évoquent un “chasseur nocturne”, chevauchant dans la tempête.
    Les recherches actuelles permettent donc de définir Odin comme une divinité de l'énergie, mais une énergie qui était au départ contrôlée, dans le contexte originel païen. Les pulsions de mobilité, la dimension guerrière de l'âme germanique, la propension à la méditation visionnaire et fulgurante, personnifiées par Odin, étaient compensées par les forces plus tempérées de Thor, par l'intelligence créatrice (et parfois négative) de Loki, par l'intelligence équilibrée d'Hönir, par la fidélité de Heimdall, par les pulsions d'aimance voire les pulsions érotiques de Freya. L'ensemble de ce panthéon permettait une intégration complète de la personnalité germanique. Obleser :

    « Par la christianisation violente, le développement [de la personnalité populaire germanique] a subi une fracture aux lourdes conséquences, qui ne peut plus être guérie, et que ne peuvent compenser des visions comme celles de Nicolas de Flues. Par la christianisation, ce ne sont pas seulement des détails de nos mythes qui ont été perdus, mais surtout le lien direct au savoir ancien, auquel nous pouvons encore vaguement accéder, vaille que vaille, par des moyens détournés, mais que nous ne pouvons plus restituer. L'influence d'Odin et de ses actes sont évidemment des pierres constitutives de notre psyché, même si nous n'en sommes plus conscients. Il faut dès lors regretter que nous ne pouvons plus aujourd'hui les comprendre, les encadrer et les saisir, alors qu'elles nous ont insufflés des caractéristiques hautement dynamiques » (p. 294).

    Bref, l'ouvrage d'un thérapeute, qui a compris, dans la tradition de Jung, que le paganisme n'est pas seulement une vision de l'esprit, un esthétisme infécond, mais une nécessité équilibrante pour la personnalité d'un peuple, quel qu'il soit.
    ◊ Horst Obleser, Odin : Psychologischer Streifzug durch die germanische Mythologie, Stendel, Waiblingen, 1993, 334 p. 
    ► Publié sous le pseudonyme de "Detlev Baumann", dans Antaïos.http://robertsteuckers.blogspot.fr/
  • Recensement : la société britannique est plus diversifiée

    Quelques chiffres issus du « recensement le plus rigoureux » jamais établi en Angleterre et au Pays de Galles ont été dévoilés mardi (infographies du Guardian). Cet inventaire, que produit l'Office national des statistiques tous les dix ans, a été envoyé à plus de 26 millions de foyers anglais et gallois le 27 mars 2011.

    Il montre notamment que la part des personnes nées hors du Royaume-Uni et y résidant a augmenté de plus de 50 % par rapport à 2001, portant le nombre d'immigrés à 7,5 millions, soit 13,4 % de la population (Daily Telegraph). La communauté indienne est désormais la plus représentée, suivi des Polonais (+ 500 000 par rapport à 2001) et des Pakistanais (BBC).

    Blancs minoritaires à Londres

    Si 91,3 % de la population britannique était blanche en 2001, 86 % l'est dix ans plus tard, et The Independent note que 44,9 % des Londoniens sont blancs, passant de 4,3 à 3,7 millions en dix ans, ce qui fait de la capitale britannique la première région du pays où les Blancs sont minoritaires.

    Outre l'amélioration de l'éducation (les diplômés universitaires sont désormais plus nombreux que les personnes n'ayant aucun diplôme), et le déclin du nombre de personnes propriétaires de leur logement (en chute pour la première fois depuis le lancement des recensements, il y a soixante ans), les résultats les plus frappants sont du côté de la foi.

    Même si le christianisme demeure la première religion, avec 33,2 millions de fidèles (59 % de la population), le Financial Time note que c'est le seul culte à avoir perdu des adeptes (près de 4 millions). L'islam a 2,7 millions de représentants (un million de fidèles supplémentaires), et les athées sont 6 millions de plus qu'en 2001, soit un quart de la population (Washington Post). Le Guardian rapporte que les chrétiens devraient être minoritaires en 2018.

    Le Monde.fr
    12/12/2012

    Voir aussi : Le Chiffre : Un enfant britannique sur quatre naît de mère étrangère.

    15/11/2012 http://www.polemia.com

  • Le peuple palestinien face aux équivoques du « monde libre » et à la félonie du « monde arabo-monarchique »

    Amar DJERRAD

    Par cette agression sanglante et incessante, sur Gaza, contre les Palestiniens, un peuple spolié de sa terre par un « Israël » factice encrassé par une idéologie colonialiste et fasciste que soutient par allégeance et ressemblance un Occident à histoire jalonnée de contradictions, surtout de déshumanisation, on doit retenir la résurgence sinon la persistance des idéologies extrémises et nihilistes entraînant de récurrentes ruptures d’équilibres qui se manifestent par des souffrances et des incertitudes.

    Ce qui se déroule dans le monde arabe, avec cette tempête controuvée baptisée « Printemps arabe », ne saurait être dissociée des crises économiques cycliques du Grand capital et de ses conséquences sociales, politiques et institutionnelles. La solution de ce Capital, pour surmonter ses crises, a toujours été, au travers de son évolution historique, de conquérir encore plus d’espaces économiques par la force des armes, sinon par des artifices de plus en plus subtiles. Ainsi, il est passé de l’esclavagisme au colonialisme, puis au néo-colonialisme pour aboutir au chemin inverse dans une tentative de recolonisation et Dieu seul connait la suite. Comme le monde a changé grâce à la Science et la Technologie, leurs stratégies, leurs tactiques, leurs moyens et leurs procédés ont également changés, mais pour les mêmes buts et les mêmes objectifs issus d’idéaux, qui eux n’ont pas changés, même dissimulés dans de grossiers sophismes.

    Dans ce jeu de partage et de domination du monde on a imposé un « État » factice, un corps étranger, là où les richesses pétrolières sont abondantes, presque simultanément avec la création d’ « États arabes » liges sous forme d’oligarchies héréditaires où la puissance de l’argent est prépondérante ; de grandes ploutocraties rigides et féroces : un “État d’Israël” sans foi ni loi jouant le rôle de gendarme du Moyen-Orient et des Émirats/roitelets – liges dévoués à leurs protecteurs qui leur assurent la pérennité de leurs dynasties.

    Depuis les accords secrets de Sykes-Picot de 1916 et la Déclaration Balfour de 1917 – qui aboutit à la partition de la Palestine en « deux Etats juif et arabe » en 1947 - le monde, en particulier le Moyen-Orient, n’a cessé de connaitre l’instabilité. L’ensemble des peuples arabes et musulmans refusent à ce jour cette injustice, d’inspiration opportuniste sioniste, décidée dans le sillage du démantèlement de l’empire ottoman suite à sa capitulation.

    La question palestinienne reste, depuis, la pomme de discorde entre un monde occidental, pro-israélien et pro-sioniste, à histoire sulfureuse jalonnée d’immoralité, qui ne s’est pas guéri de ses velléités colonialistes et un monde anti-colonialiste et anti-impérialiste, dont les arabes, qui refusent cette hégémonie inhumaine contraire à la morale et à la raison. « Les splendeurs et les horreurs de demain résident dans les décisions ou éclairées ou malavisées d’aujourd’hui. » (Yves Breton)

    L’Organisation de la Conférence islamique (OCI), crée en 1969, devenue « de la coopération » en juin 2011 ( certainement pour accabler la Syrie qu’elle suspend d’ailleurs 1 mois et demi après) avec 57 États membres regroupant plus de 2,5 milliards des musulmans à travers le monde (dont un des buts est de « soutenir la lutte du peuple palestinien et l’aider à retrouver ses droits et à obtenir, par la diplomatie, les territoires revendiqués comme leurs ») avec aussi sa soixantaine Conférences islamiques au Sommet et sa quarantaine de Conseil des Ministres des ministres des AE, ainsi que la Ligue dite des « États arabes », créée en 1945 regroupant 22 États arabes (dont l’objectif est d’« d’unifier la ‘nation arabe’, de défendre les intérêts des États membres, de faire face à toute ingérence des puissances dans la région ») avec sa trentaine de sommets, dont 12 en ‘urgence’ concernant la Palestine, n’ont toujours pas réglé le problème de colonisation de la Palestine. 60 années de tergiversations pour aboutir à l’effet inverse avec plus de colonies, plus de morts, plus d’instabilité, plus de divisions, plus de domination. L’Occident « des lumières » qui a imposé la « liberté » et « l’égalité » ne veut pas voir chez les autres peuples les mêmes injustices qu’il a subi. Il y trouve, par contre, un prétexte pour plus d’iniquité et de supériorité. Nietzsche y voyait déjà, dans « Le Déclin de l’Occident » une décadence par une crise d’une civilisation malade. « On veut la liberté aussi longtemps qu’on n’a pas la puissance ; mais si on a la puissance, on veut la suprématie » affirme-t-il.

    Les arabes qui voulaient l’Union pour imposer « une force de proposition et d’impulsion » se sont avérés, avec le temps, profondément divisés, incapables d’une quelconque initiative, même de paix. Plus grave, ils se servent désormais de leurs propres « Organisations » pour nuire à leurs membres au profit de ceux qu’ils prétendent combattre ! La limite de la perversion. Deux visions politiques antinomiques s’affrontent. L’une « pro-occidentale » que mène l’axe monarchique, l’autre plus « indépendantiste » que mène l’axe républicain. D’où leur putréfaction et leur neutralisation.

    Dès-lors, la question palestinienne ne saurait, désormais, être réglée par les arabes. Il devient impossible, voire dangereux pour eux, qu’ils prennent en charge le problème de colonisation de la Palestine ; du moins dans leur configuration politique actuelle basée sur la félonie. Seuls les palestiniens, unis, sont à mêmes de trouver la solution à leurs tourments selon leurs intérêts exclusifs. Se voir dicter les choses par certains États arabes, spéculateurs, opportunistes et corrompus, pour de l’argent, est une tactique perdante qui mène à la faillite. La preuve, 60 ans déjà sans arriver à un semblant de paix ! Même le projet d’une reconnaissance pourtant « partielle » s’était vu « torpiller » par des actions d’apparences pour la « cause », mais qui en fait va dans le sens d’une dilution de la Palestine et de son peuple, du moins d’envoyer la « question » aux calendes grecs en attendant, peut-être, le fait accompli, c’est-à-dire quand tout sera fini.

    Plusieurs régimes arabes vivent et se maintiennent grâce à ce statuquo sur la Palestine. Ils useront de tous les artifices, dont financiers et politico-socio-religieux, pour que leur problème ne se règle pas. Bien plus, ils s’emploient à neutraliser tous les États arabes et autres de l’axe de la résistance au sionisme en leur fomentant des « révolutions » dites « printemps arabe » sur des principes aux antipodes des fondements de leur régime ! Les pétromonarchies du Golfe, en particulier l’Arabie Saoudite et le Qatar sont la cause des désespoirs du monde arabe, de leur impuissance pour leur félonie, leur corruption et leur illégitimité.

    La puissance d’un pays se constate plus par la faiblesse de l’adversaire. C’est le cas d’Israël, une entité de 7 millions d’habitants (avec une PIB de 245 milliards de dollars), face à un monde arabe composé de 24 pays regroupant 400 millions de personnes (avec une PIB de 2,4 billions de dollars) ! Un « monde arabe » - factice car plein de contradictions, d’adversités et de disparités - inconciliable. Un simple exemple économique : le PIB de l’Arabie Saoudite est de 560 Milliards de dollars (2011), Mauritanie 4 milliards. Le Qatari jongle avec un PIB par tête de 76 ?000 dollars pendant que le palestinien se débat avec 1000 dollars et sans perspective.

    Il est étrange d’observer que, subitement, un « printemps arabe » se déclenche presque simultanément, en l’espace de moins de 2 ans dans plusieurs pays arabes. Les ‘vraies’ révoltes, pour dégager les régimes vassaux à l’occident, vite confisquées ou contenues, ont été accompagnées des révoltes ‘fabriqués’ dans les États à régimes hostiles à Israël et à l’hégémonie occidentale créant ainsi, avec l’accaparement des médias lourds du monde, la plus grande diversion, confusion et manipulation ! Les pétromonarchies du Golfe ont été les pourvoyeuses de fonds, de chair à canons et les guides dans l’endoctrinement, par la religion, pour imposer l’idéologie rétrograde wahabo-salafiste. La Palestine n’est, pour eux, rien d’autre qu’un faire-valoir, un paravent qui assure la pérennité de leur dynastie.

    La dernière agression contre Gaza en est un des exemples, sinon l’exemple le plus significatif qui montre, le vrai visage, la putréfaction de ce ‘monde arabe’. Les occidentaux soutiendront encore et toujours Israël tant qu’il est utile aux dictatures arabes qui s’en servent pour détourner l’attention de leur peuple dans le sens qu’ils le souhaitent, tant que le tourment des palestiniens leur reste imputable à cause de leur division et ce, quelle que soit la justesse de leur cause et quelle que soit aussi la barbarie des israéliens. Les 3 morts israéliens comptent plus que la centaine de morts et le millier de blessés palestiniens. Pendant que l’on assassine des enfants, que l’on tue des femmes, la presse française titre « Israël tire sur des bureaux du Hamas ». Quelle déchéance ! À chaque fois qu’il y a poussé de violence par Israël cela se termine par 1, 2, 3 morts Israéliens contre des centaines de morts palestiniens et c’est toujours ces derniers qui sont fautifs avec cet occident dépravé ! De quel côté et la terreur et le terroriste ? Ils n’oseront pas dire la vérité de crainte des lobbies sionistes.

    Sitôt que les israéliens se trouvent en difficultés ou embourbés par leurs provocations, ils demandent vite à leurs protégés occidentaux, en particulier les États-Unis, le Royaume uni, la France, l’Allemagne, de les sortir. Mais les choses ont évolué en pire puisque ce sont maintenant les arabes - par lâcheté, déshonneur, indignité et absence de solidarité - qui sont chargés maintenant de mettre fin aux risques d’enlisement des sionistes d’Israël. Surtout après qu’ils ont eu la surprise d’une riposte par missiles sur leurs colonies, jusqu’à Tel Aviv, créant la panique générale ! Une équation nouvelle s’impose donc.

    Des informations, rapportées par Al Manar font état que c’est Israël qui aurait demandé au félon Qatari de charger le frère musulman Morsi de faire pression sur son équivalent le Hamas pour une trêve. Mais lors de la visite du ministre Qandil les différents groupes de la résistance palestinienne auraient refusé. Ceci montre que le Hamas n’est pas le seul sur la scène. En assassinant un leader militaire d’importance (Al Djaabari) qui fera escalader les choses vers un conflit armé - dont ils ont programmé qu’il aboutirait à l’anéantissement, à jamais, de la cause palestinienne – les stratèges sionistes en ont eu pour leur frais ! C’est les habitants israéliens aussi, dont Netanyahou lui-même, qui passent la nuit dans les abris ; c’est les bâtiments officiels qui sont touchés par les missiles, c’est un F16 qui se fait abattre et les pilotes disparus, par une résistance pourtant sous embargo, même alimentaire, depuis une décennie.

    Ce seraient donc nos bienfaisants pourvoyeurs de fonds et de logistiques, pour les rebelles qui détruisent la Syrie, qui se seraient précipités au Caire pour faire pression sur Hamas afin d’arrêter les tirs de missiles et ce, selon certains analystes, pour éviter des déclarations qui offusqueraient leur maitre d’une part et pour donner à leur ami israélien une carte favorable à sa campagne électorale d’autre part notamment l’acceptation par le Hamas d’une trêve « sans conditions » qui « craindrait une opération terrestre après l’anéantissement de ses bases de lancement de missiles ».

    Si une dizaine de simples missiles « fadjr 5 » ont créé l’affolement en Israël que dire si des centaines de ces redoutables missiles iraniens, de haute technologie, s’abattent sur les israéliens ?

    Incontestablement, le « Dôme de fer » n’est plus désormais qu’une imposture, qu’un ‘couscoussier’ et l’entité sioniste sera dorénavant à la portée de tous les missiles de la résistance ; un colosse aux pieds d’argile. Et dire que ces bandits sionistes veulent attaquer ce pays qui peut en faire une bouchée y compris les roitelets du golfe !

    Même si la réaction limitée de la résistance palestinienne ne peut ébranler un régime fasciste surarmé que soutien tout l’occident, il demeure que les sionistes ont été surpris par la réaction farouche qui a mis à néant la fable de leur invincibilité. D’où cette diversion par la « fausse victoire du Hamas ». Passons !

    En fait, ce qui a été obtenu de l’accord du Caire est d’abord un droit basique inaliénable qui ne devrait pas constituer un élément de négociation. Où est donc cette victoire quand vous obtenez le droit de manger, de boire etc. après vous en avoir privé par un embargo illégal et inhumain ? C’est une des tactiques ignobles des sionistes qui n’ont d’humain que l’apparence. Ils trompent le monde en montrant qu’ils sont vertueux alors qu’ils ne font que restituer, par la pression, un droit. Comme si on vous autorisait de mettre un pantalon après vous avoir mis nu ! Un commentateur éclairé compare cet « accord » du Caire à cette histoire de Jeha (personnage légendaire de contes et anecdotes populaires au Maghreb) : A chaque assemblée des gens d’un douar, un villageois ne cesse de perturber les débats avec ses sempiternelles lamentations sur ses conditions de vie en particulier l’exiguïté de son gourbi. Il avait âne, un bouc, 2 chèvres et 2 moutons. Jeha connu pour sa sagesse et ses capacités à résoudre les problèmes intervient en lui promettant de résoudre son problème en 5 jours à condition qu’il respecte à la lettre ses recommandations. La 1ère du 1er jour est qu’il doit mettre, dans son gourbi, tous ses animaux. Le paysan s’exécuta. Le lendemain il s’en plaint pour avoir vécu un ‘enfer’ surtout à cause de l’âne. Jeha l’autorise au 2ème jour de sortir l’âne. Le lendemain il s’en plaint de l’odeur du bouc, mais il est ‘mieux qu’hier’. Jeha le débarrasse du Bouc. Le 3ème jour il déclare ‘commencer à respirer ‘ et ce jusqu’à le débarrasser de tous les animaux. Au dernier jour le paysan annonce, avec soulagement, avoir ‘passé la nuit la plus paisible de ma vie’ ! Conclusion du commentateur : « croire qu’une réunion de 2 jours entre les représentants des spoliateurs sionistes et des hypocrites puissent apporter un rayon de lumière aux palestiniens est une vue de l’esprit ».

    Au-delà du gain politique et stratégique, les palestiniens savent mieux que quiconque qu’ils n’ont encore rien obtenu de leurs droits fondamentaux légitimes qui leur terre, leur droit au retour. Le combat demeure entier face à la réalité et les leçons à tirer après chaque action et épreuve.

    La réalité et que les palestiniens pouvaient régler leur problème avec Israël si leurs congénères arabes, du golfe en particulier, avaient cette volonté. La même volonté et promptitude qui a permis, par leur « Ligue », de se réunir plusieurs fois en quelques mois, dont 2 fois en 24 heures, pour décider d’une série de sanctions contre la Syrie pour faire tomber son régime qui se trouve être le nœud gordien politiques des sionistes sur la Palestine avec l’Iran et le Hezbollah. Contre Israël, il suffit de se réunir une seule fois prendre des mesures radicales, comme menacer l’occident par l’arme du pétrole (proposition de l’Irak), pour voir, par enchantement, le problème réglé définitivement ! Ce n’est pas dans leurs intérêts…. « stratégiques ».

    Serait bien naïf celui qui attend des organisations dites « arabes » ou « islamiques » une quelconque prise de position contre Israël et ceux qui les soutiennent tant que des États perfides œuvrent pour leurs intérêts personnels ; qui pour accaparer le pouvoir (les frères musulmans), qui pour perpétuer leur dynastie (les ploutocraties du golfe) qui, tel un Cheval de Troie, rêve en ‘Otanien’, de devenir le nouvel Ottoman des arabes !

    Tous sont d’accord avec ce projet « Nouveau Moyen-Orient » américano-sioniste qui devait ôter toute puissance aux arabes en les pulvérisant en petit États sur des bases religieuses, sectaires et ethniques pour en faire des peuplades amorphes et obéissantes. La Palestine étant la question nodale qui unie, il fallait donc anéantir toute forme de résistance à son sujet.

    Il faut comprendre la visite, autorisée par Israël, du cheikh qatari plus comme une tentative alléchante de corrompre la résistance armée, en espèce et en nature, pour l’emmener à abandonner le combat de leurs ascendants qu’un acte de bienfaisance visant à soutenir une cause et à rebâtir une ville martyr. N’est-il pas bizarre que c’est au lendemain de cette visite qu’Israël assassine un important responsable de la résistance, « récalcitrant » ?

    La leçon est que rien ne vaut la lutte armée contre un colonisateur en comptant sur ses propres forces, unies, avec les aides d’amis sûrs. C’est pénible, coûteux, long, mais l’issue est certaine. Les exemples dans le monde ne manquent pas. Il reste, cependant, ces deux pétromonarchies perfides qui constituent l’obstacle majeurs des arabo-musulmans qu’il faudra, par tous les moyens réduire, car ne cessant pas d’affaiblir la large coalition anti-sioniste en la simplifiant à une coalition « sunnite » inopérante pour enterrer, définitivement, la lutte d’un peuple pour un État viable.

    Des palestiniens, victimes permanentes des exactions d’un « Israël » - englué dans les contradictions d’une idéologie colonialiste et fasciste - avec la bénédiction de l’Occident et de certains états arabes sans que l’on reconnaisse leur droit à se défendre, les voilà défier par eux-mêmes et par les armes leur bourreau en mettant à nu, irrémédiablement, sa vulnérabilité. Pour le faire, ils n’avaient pas eu besoin de l’aval de la « Ligue Arabe » ou de son soutien. Ils avaient compté sur leurs propres forces soutenues par leurs amis… non arabes. Il ne reste donc aux arabes, encore fidèles, aux musulmans sensés et aux pays épris de paix et de liberté qu’à accabler ces scélérats pour les neutraliser, à jamais, avec leur funeste idéologie.

    Il faut croire que le sionisme est arrivé au point nodal de son évolution historique dont il est impératif d’exploiter la situation pour en faire un moment de rupture. Le monde est assez convaincu qu’il est face à un gouvernement israélien hypocrite, paranoïaque et usurpateur que pilotent des bandits sans origines et sans vertus, sous tutelle de lobbies influents dotés de moyens redoutables et immoraux.

    L’offensive doit être engagée, à notre avis, sur trois directions : économique, politique, médiatique.

    • Lier les intérêts économiques des Américano-sionistes et de certains pays européens au règlement définitif et juste du problème palestinien. Lier toute adversité par des conséquences économiques. L’arme la plus décisive est celle du pétrole/gaz qui a donné ses preuves par le passé.

    • L’action politique doit passer par la refondation des institutions arabes, les regroupements régionaux d’intérêts communs en intégrant sans attendre l’Iran, l’offensive diplomatique doit viser la réorganisation des instances et organisations internationales qui se caractérisent par leur partialité tout en améliorer les politiques intérieures afin d’enlever tout prétexte sur la question des droits de l’homme.

    • L’action médiatique et fondamentale pour contrer leur propagande. Elle doit se faire en anglais, espagnol, français et viser à démystifier le sionisme en dévoilant son vrai visage, c’est-à-dire une idéologie coloniale inhumaine qui ne survie que par l’agression et le mensonge. Elle doit toucher les opinions occidentales qui influent sur les décisions politiques.

    Toute chose a ses limites. Les limites de l’adversité et du chantage des États sont leurs intérêts qui peuvent être compromis par les excès de celui qu’ils sont censés protéger.

    La Palestine vient d’être admise à l’ONU, comme État observateur non membre, avec 138 voix pour, 9 voix contre et 41 abstentions (dont 4 pays africains). Une autre victoire d’importance. Un cauchemar pour les sionistes d’Israël et d’Amérique. Quelques jours avant, il était inimaginable que des missiles palestiniens s’abattent aux portes de Tel-Aviv, montrant que désormais aucune ville ne sera à l’abri en cas d’agression. La Syrie, le Hezbollah et l’Iran (ainsi que d’autres) restent, en le réaffirmant à toutes les occasions, leurs soutiens puissants et inconditionnels. Les États du golfe, surtout les pétromonarchies Saoudiennes et du Qatar restent les seuls États à l’origine du malheur arabe, par leur félonie, qui empêche toute évolution et émancipation. Les délégués du Qatar et de l’Arabie Saoudite qui ont montré leur « indignation » devant les crimes de l’armée israélienne lors de la dernière réunion des ministres des Affaires étrangères de la « Ligue arabe » est de la pure comédie. C’est lors de la réunion du 13 novembre 2012 au Caire que le Ministre des AE Tunisien, et non moins gendre de Ghannouchi, réplique à son homologue algérien ainsi - alors qu’il s’adressait au Ministre Qatari auquel il demandait des « solutions concrètes dans le soutien à Gaza » - comme un ignorant et un « brosseur » : « En cinquante ans, qu’a-t-elle donc fait l’Algérie pour la cause palestinienne ? ». Mal lui en pris, il a reçu la foudroyante réponse suivante : « « A ceux qui s’interrogent où était l’Algérie, je répondrai que nous n’avions pas à renvoyer un ambassadeur sioniste qui ne rêve même pas de mettre les pieds chez nous. Devons-nous par exemple cesser d’exporter notre gaz à l’Etat sioniste ? Devons-nous expulser les bases américaines et celles de l’OTAN de nos territoires dont nous avons juré qu’ils n’y mettront jamais les pieds ? Dites-nous ce que nous devons faire, partir au djihad contre Israël ? C’est ce qu’il y a de plus facile pour un algérien libre, mais garantissez nous votre non trahison, assurez nous que vous ne nous poignarderiez pas dans le dos comme à chaque fois…garantissez nous l’ouverture de vos frontières et nous… Nous avons été éduqué dans la haine du sionisme et vous avez été éduqué dans la trahison ».

    La levée complète du blocus sur Gaza est une exigence non négociable et indiscutable ! Qu’est-ce que c’est ce monde qui ferme les yeux sur une immoralité et une illégalité imposée par un ramassis des voyous, colonialistes, sans origines et mercenaires, sur un peuple chez lui, qui ne fait que défendre sa terre et sa dignité ? Sinon, il faut dissoudre toutes ces institutions dites « internationales » en se retirant au plus vite, car complice d’une idéologie qui sème le désordre et la désolation là où elle s’y introduit !

    Il appartient, impérativement, au Monde de l’équité et de la liberté de riposter pour extirper, sans appréhensions, cet “abcès purulent”, de la planète, que condamnent la raison et l’histoire. Ils l’avaient fait pour les systèmes et idéologies qui visent la domination et l’avilissement de l’homme, pourquoi pas pour le sionisme qu’il faut en urgence mettre au rebut de l’Histoire !

    Djerrad Amar

    http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5176416

    http://www.legrandsoir.info