Gil Rivière-Wekstein, Bio, fausses promesses et vrai marketing, Le Publieur, 2011
Je suis, comme de nombreux militants de notre mouvance, quelqu'un de très attentif à mon alimentation. Sportif, je cherche par mon alimentation à concilier performances athlétiques, bien-être général, respect de l'environnement et plaisir gastronomique. Ces motivations me conduisent à choisir une grande partie de mon alimentation issue de l'agriculture dite "biologique" et d'acheter certains produits dans des magasins spécialisés. Afin de comprendre les enjeux d'un besoin de rupture avec l'alimentation industrielle moderne et de pouvoir mettre en place cette stratégie diététique bénéfique, il m'a fallu lire quelques ouvrages et visionner des films dénonçant les méfaits de la junk food, des additifs alimentaires, des pesticides et autres dérives modernes. Cependant, en chercheur de vérité friand de controverses et de remises en question, je me suis mis à la recherche d'argumentaires "anti-bio". J'avais parfois entendu ces remarques du café du commerce sur "le bio c'est de la connerie", et des reportages racoleurs sur "les dessous du bio", mais je me demandais malgré tout s'il existait une véritable raison de se méfier des produits certifiés. Je suis alors tombé sur ce livre de Gil Rivière-Wekstein Bio, fausses promesses et vrai marketing. Voilà un titre qui laisse augurer une attaque contre ce qui me paraissait pourtant inattaquable. Serions-nous une fois de plus les dindons de la farce ? Manipulés pour payer plus chers des produits aussi nocifs (voir plus?) que les autres sous prétexte qu'ils disposent d'une petite étiquette verte ?
Et puis, si comme le sous-entend le titre, tout le bio, ici considéré en bloc, n'est qu'une entreprise marketing, qui pourrait donc bien se cacher derrière ce "complot" ?
Déjà, ça part assez mal avec le titre, car comme je viens de le dire, désigner le bio comme un seul et même problème est un mauvais raisonnement. Peut-on en effet mettre dans le même sac le petit agriculteur du coin qui demande la certification AB pour attirer quelques clients de plus sur le marché du jeudi matin et le grand groupe industriel qui voit là une nouvelle "part de marché"?
Bref, je ne détaillerai pas les erreurs et les malhonnêtetés qui composent les pages des deux grandes premières parties du livre. On sait, si on s’intéresse un peu aux manipulations médiatiques par exemple, qu'il est facile de faire dire n'importe quoi à une étude scientifique. Il est aussi facile, pour ne pas rentrer dans une réfutation sérieuse, de salir l'image de quelqu'un pour rejeter d’emblée ses théories. Ce serait comme dire d'un universitaire reconnu, s'il écrit un livre à rebours de l'idéologie dominante, que ses conclusions sont fausses car cette personne n'est pas vraiment ce qu'elle prétend être (doctorant, ou professeur d'université par exemple). Il pourrait être l'homme de ménage de la Sorbonne que cela n'invaliderait en rien ses travaux. Et bien dans ce livre, c'est ce genre de manipulation qui est utilisé. On prétend que le bio n'est pas meilleur au goût car "le goût n'est pas dans le cahier des charges" (ce qui ne prouve rien), que les pesticides étaient déjà bien employés au début du XXe siècle car on retrouve des recommandations "dans les revues syndicales des années 1900" (ce qui ne nous renseigne pas sur la nocivité de ces anciens pesticides et de la quantité employée, ou simplement à quel niveau ces recommandations étaient diffusées et suivies). On nous apprend aussi que le vin bio nécessite "plus de traitement" car on compare seulement la fréquence de traitement (sans précision sur la nature de ces derniers), ou que manger bio, ce n'est pas manger équilibré... merci quand même.
Bref, au delà de sa capacité à tout mélanger, à manier les chiffres et les études avec légèreté, l'auteur nous fait comprendre entre les lignes que quelque chose d'autre se cache derrière cette grande arnaque. Déjà, les attaques ad hominem sont lancées sur ces pionniers de l'agriculture biologique que l'auteur tente de faire passer pour des illuminés. D'ailleurs certains le sont certainement, mais encore une fois, cela ne saurait changer quoi que ce soit à la problématique du livre.
En réalité, c'est surtout de la troisième partie du livre que j'aimerais vous parler, le pivot de toute l'accusation. Pour faire simple, on nous apprend que le bio est en réalité une entreprise fasciste, collabo, eugéniste, réactionnaire, bref, vous les connaissez tous. Respect quand même pour le travail de recherche qui nous permet de dresser une véritable généalogie de l'agriculture biologique et des mouvements écologistes de la première partie du XXe siècle et de l'immédiate après-guerre. On y retrouve des noms familiers, Pétain, Coston, Carrel, Ellul, Pourrat, et même Giono et Barjavel sont mis au rang des accusés (surtout Giono). La fin du livre nous offre un délire complet dont le titre du chapitre "Quand le totalitarisme guette" nous donne le ton. Méfiez-vous donc des vilains fascistes qui voudraient vous faire manger sainement, cela pourrait être un complot, un "projet politique", même Nicolas Hulot est foutu, le bio l'aurait rendu machiste (et donc fasciste car ça en est une forme, dans l'esprit du livre).
Alors oui, le bio est encore trop cher, et c'est sans doute un bon filon en terme marketing. Oui, il y a beaucoup d'illuminés qui gravitent autours de l'écologie, beaucoup de charlatans et de personnes peu sérieuses, il suffit pour cela de lire les "bio contacts", magasines gratuits disponibles en boutique bio. Oui, le bio ne va pas vous guérir systématiquement du cancer et ne vous dotera sans doute pas de perceptions extra-sensorielles par l'ingestion de graines germées. Oui le bio perdra de son intérêt s'il devient un bio industriel, mais que vaut le bio industriel face à l'industriel non-bio ? Dans tous les cas, l'alimentation biologique, locale et équilibrée, est un pas sur le chemin qui nous éloigne le plus possible du contre-modèle américain-mondialisé-consommateur-obèse, et ça c'est une bonne chose.
Oui, il existe des liens entre Pétain, pour qui la politique agricole était une priorité, et les pionniers de l'écologie. Oui, certaines figures de la science, certaines personnes soucieuses de l'avenir de notre planète ont eut le malheur de ne pas pencher pour le camp des vainqueurs. Il parait qu'au début des années 1940, il en existait 40 millions comme disait le titre d'un fameux livre (40 millions de Pétainistes, de H. Amouroux).
Que cela trouble nos auteurs (car en réalité ils sont deux, sa femme collaborant avec lui), grand bien leur fasse ! De mon côté pour tout vous dire, cela me fait plaisir. Cela confirme beaucoup de mes intuitions et donne de la cohérence à notre combat. On ne protège pas l'Homme et ses particularités ataviques sans protéger sa terre, et finalement, qui d'autre que nous possède la cohérence et la légitimité de ce discours ? Je vois que la préoccupation écologique reprend de plus en plus de place dans nos milieux dissidents, et nous continuerons, aux yeux de nos adversaires à vouloir préserver nos corps, notre patrimoine génétique et le sol sur lequel nous prenons racine.
Franck / C.N.C.