Début avril, le Sud-Caucase s’enflamme. La vieille rivalité entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan se réveille à propos des territoires du Haut-Karabakh. Un conflit peu relayé ar les médias, pourtant d’un intérêt géostratégique capital. Explications.
Début avril, le conflit latent entre Arménie et Azerbaïdjan s'est ravivé violemment dans la région du Haut-Karabagh. Les deux pays se rejettent mutuellement la faute quant aux premiers échanges de tirs. Mais tout laisse à présager que l'Azerbaïdjan est à l'origine du conflit, Bakou n'ayant jamais digéré l'occupation par les arméniens de 20 % de son territoire depuis 1994. Certes ce territoire lui appartient, au regard du droit international, mais il est peuplé en grande majorité d'Arméniens. Pendant trois jours et demi, les Azéris ont donc tenté de récupérer le Haut-Karabagh en perçant les lignes de défenses fortifiées, mais n'ont réussi qu'à faire bouger la frontière de quelques kilomètres carrés, ayant essuyé une contre-offensive particulièrement efficace. On compte une centaine de morts de part et d'autre, mais d'après des sources bien informées, en plus de ces morts au combat, l'armée azérie s'est rendue coupable d'exactions et de crimes de guerre envers la population civile rappelant tristement les « hauts-faits » de l'État islamique. À la demande de la communauté internationale, un nouveau cessez-le-feu a été accepté par les belligérants.
Les petites républiques caucasiennes sont étroitement liées aux puissances régionales. L'Arménie est ainsi l'alliée traditionnelle de la Russie, siégeant à côté d'elle dans l'OTSC, l'Organisation du Traité de Sécurité Collective (équivalent de l'OTAN côté russe). Celle-ci englobe la Biélorussie, le Kazakhstan, le Tadjikistan et le Kirghizistan. Mais Moscou, qui maintient 6 000 militaires en Arménie, adopte une position assez équilibrée dans le conflit dans la mesure où elle s'est rapprochée de Bakou. L'Azerbaïdjan est en effet un bon client pour son secteur militaro-industriel et est également un partenaire potentiel dans le secteur pétrolier et gazier.
La main turque derrière l'offensive azérie
Les puissances régionales s'affrontent aussi par procuration. La Turquie d'Erdogan n'a pas digéré l'intervention russe en Syrie, parce que Poutine a brisé sa perspective de conquête d'Alep et de renversement de Bachar el-Assad. Mais le rêve néo-ottoman du Président turc ne s'est pas évanoui pour autant. Dans un récent discours prononcé devant l'académie militaire turque, il a dévoilé la zone d'influence directe considérée comme légitime aux yeux d'Ankara. À savoir les Balkans, le Moyen-Orient, l'Afrique du Nord et le Caucase. A ce titre, il a soutenu sans réserve son allié de Bakou dans son entreprise de recouvrement des territoires : « Le Karabagh retournera un jour, sans aucun doute, à son propriétaire originel ; il appartiendra à VAzerbaïdjan. » Aujourd'hui les troupes azéries sont encadrées par des officiers turcs. Ankara a d'ailleurs présenté ses condoléances pour les « soldats morts en martyrs contre les forces arméniennes » (remarque/ ici la phraséologie islamiste, renvoyant au concept de guerre sainte). L'Azerbaïdjan et la Turquie se définissent selon la formule : « un seul peuple, deux États ».
Enfin, il faut souligner le soutien communautaire international à l'Azerbaïdjan. L'Organisation de la Conférence Islamique, comptant 57 États membres, a condamné sans réserve l'Arménie, l'accusant dans un communiqué de poursuivre une « politique d'agression » et de « violer la trêve ». Chaque acteur régional a fait valoir ses positions dans ce dossier explosif. Mais aucun n'a vraiment intérêt à ce qu'il y ait escalade, à part le président azéri. La Russie fait tout pour calmer le jeu, n'ayant pas envie de se retrouver face à l'Iran : l'Azerbaïdjan étant chiite, il y a solidarité évidente avec les mollahs iraniens. Affaire à suivre.
Louis Lorphelin monde&vie 27 avril 2016