Ils sont mécanicien, géomètre, financier… De jeunes Français, se revendiquant, pour certains, comme des « émigrants identitaires », ont choisi de s’exiler en Pologne ou en Hongrie, où ils apprécient l’homogénéité ethnique et culturelle.
Un jour de 2014, Romain, un Lillois de 25 ans, a décidé de quitter la France. Quelque chose ne lui convenait plus dans ce pays où il avait grandi. Une envie d’aller voir ailleurs, aussi. Alors il a pris sa moto et ses instruments de musique. L’ancien mécanicien a roulé sans but vers l’est, avant de s’arrêter sur un coup de tête à Budapest. Aujourd’hui, il dit ne pas regretter ce choix du hasard. Il a découvert rétrospectivement ce qui l’incommodait de plus en plus en France : sa diversité culturelle, ethnique. Romain (qui n’a pas souhaité donner son nom de famille)n’avait pas a priori la fibre communautaire. Il le dit sans tabou : « Ici, il y a une homogénéité et je me sens chez moi. » Il est heureux de vivre « avec des hommes de souche européenne, des catholiques ».
Combien sont-ils ces jeunes qui, comme Romain, ont décidé de rompre avec un pays dans lequel ils ne se reconnaissaient plus ? Au sein de la communauté française qui s’est installée dans les pays de l’Est – elle ne cesse de croître ces dernières années –, ce discours s’entend de plus en plus fréquemment et ouvertement, au point de ne plus pouvoir être considéré comme un épiphénomène. Plusieurs milliers de Français sont partis vivre dans ces pays depuis quelques années. Et, parmi eux, il n’est pas difficile, par le simple bouche-à-oreille, d’entrer en contact avec des expatriés qui expliquent, sans détour, sans gêne, sans haine apparente non plus, comment cette question culturelle a germé dans leur esprit comme une évidence. Jusqu’à se revendiquer, pour certains, comme des « émigrants identitaires ».
Grégory Leroy, 31 ans, a ainsi décidé de vivre en Pologne. Il y a trouvé un monde plus uniforme, plus conforme à ses aspirations. « J’ai beaucoup voyagé, et j’en ai retiré que je ne suis pas fan des pays multiculturels, explique-t-il. Je pense qu’il est important de croiser dans la rue plus de gens qui nous ressemblent, et c’est le cas ici. » Après avoir grandi à Courbevoie (Hauts-de-Seine), il a émigré en 2012, à la suite d’un « tuyau » glissé par un ami de son frère qui lui conseillait d’investir à Varsovie. Il y a créé Hussard, une entreprise de « formation antiterroriste » qui propose « une initiation de trois jours à l’art de la guerre ouverte » et revendique sur son site Internet un discours martial, résolument en phase avec celui de la droite polonaise au pouvoir :
« La législation française coercitive en matière de légitime défense et de possession d’arme favorise l’émergence d’une délinquance ultra-récidiviste et ultra-violente dont le djihadisme est le prolongement. »
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Le multiculturalisme n’est manifestement pas la tasse de thé de ces « expats » atypiques. Ainsi de Gabriel (qui préfère ne pas donner son nom). Originaire de Haute-Savoie, carrière prometteuse dans la finance, ce jeune homme de 35 ans a quitté la France dès 2005 et s’est installé pendant dix ans à Budapest. Sans détour, il associe la qualité de vie qu’il y a trouvée à « l’homogénéité culturelle, voire ethnique » de son pays d’adoption. « Si vous mélangez trop les gens, cela ne fonctionne pas », tranche-t-il.
Justement, qu’est-ce qui ne fonctionne pas en France, selon lui ? Cela ne lui a sauté aux yeux, dit-il, que par le contraste avec sa nouvelle vie, lorsqu’il est revenu faire un séjour dans son pays natal : « Je me suis rendu compte que l’insécurité du quotidien nous paraissait normale. » Il dit éprouver la même impression à chaque fois : « Il suffit d’une heure ou deux de présence en France pour que ce sentiment d’insécurité s’installe de nouveau. Ici, les gens sont plus civilisés, ils ne hurlent pas dans le métro. Ils savent se tenir. »
Grégory Leroy ressent la même chose à chacune de ses navettes. En 2014, il était dans un hôtel Ibis à Courbevoie quand une femme s’est fait agresser juste en bas dans la rue. « Personne n’est intervenu », regrette-t-il. Il a été surpris de cette scène, selon lui impossible en Pologne. Des anecdotes de ce genre, il dit en avoir d’autres. Elles lui inspirent une conclusion sans fard : « L’insécurité est un problème étroitement lié au multiculturalisme. Je pense qu’on se vole moins quand on se ressemble. » Romain, le Lillois de 25 ans, ne justifie pas autrement son exil hongrois. « Il y a ici un respect mutuel, assure-t-il. Il y a moins d’incivilités ; il peut y en avoir, mais rien de comparable avec la France. »
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La question identitaire, elle, s’est imposée par la suite. Dans le discours, et parfois dans les actes. Romain, qui a voyagé en Afrique, en Angleterre ou en Allemagne, reproche à son pays de renier l’attachement au sol, au terroir. « On a détaché le peuple de sa terre, estime-t-il. En Hongrie, la taxe foncière n’existe pas, par exemple. En France, le coût de l’immobilier, la désertification des campagnes, la vie en ville et la nécessité de mobilité sur le marché du travail ont créé et renforcé l’individualisme. Ici, j’ai l’impression d’être dans la France d’antan, celle dont me parlent mes grands-parents. » Mais le jeune homme, dont le rêve est d’acquérir un bout de terrain cultivable dans la campagne hongroise, refuse qu’on le traite de passéiste. Il s’en défend, se référant plutôt à des idées écologistes.
Bruno Guillot regrette également un « manque d’enracinement des Français ». Un constat qu’il étend au domaine culturel. D’après lui, ce sont les grands mouvements migratoires qui posent problème. Même en Pologne : « Ici, il y a beaucoup d’immigrés ukrainiens ou biélorusses. On pourrait croire que cela fonctionne car ce sont des Slaves, mais ça ne colle pas ! » Si sa foi chrétienne lui enjoint d’accueillir des réfugiés, il craint surtout le danger du trop grand nombre, s’inquiète de l’afflux de tous ces migrants qui, « contrairement aux Français, ont une conscience tribale ». Il redoute que, dorénavant, l’identité française, qui manque à ses yeux d’affirmation, ne soit grignotée par d’autres identités, plus affirmées.
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