L’approche du référendum britannique sur une éventuelle sortie du Royaume-uni de l’union européenne semble affoler chaque jour une intelligentsia européenne qui, pour se défendre, multiplie les menaces à l’encontre des pays, tels la Pologne, qu’elle estime ne pas être dans les clous.
Le bras de fer entre l'Union européenne et Varsovie est entré début juin dans une nouvelle phase. La résolution, par laquelle le Parlement européen dénonçait, en avril, la situation jugée par Bruxelles contraire à l'état de droit en Pologne, n'ayant pas entraîné d'effets, la Commission européenne a adressé le 1er juin un avertissement formel aux autorités polonaises - avertissement qui, s'il n'était pas suivi rapidement, pourrait déboucher sur une procédure, inusitée pour l'heure dans l'Union, de sanction. Bruxelles ne se remet pas des réformes engagées par le nouveau pouvoir polonais, tant dans le domaine des média que dans celui du Tribunal constitutionnel.
C'est surtout sur ce dernier point que la Commission affirme s'inquiéter pour l'état de droit, puisque pour le moment le contrôle constitutionnel des lois proposées par le Parlement n'est plus effectif. Parmi les projets législatifs qui inquiètent les censeurs européens figure une réforme de l'avortement qui n'autoriserait à supprimer l'enfant que dans le cas où la vie de la mère serait en jeu.
Où se situe le déni de démocratie ?
En pratique, le scandale, parfaitement orchestré médiatiquement, enfle, et Bruxelles accuse Varsovie de « mettre en péril la démocratie ».
On aurait tort de croire les reproches faits par la Commission européenne à la Pologne. Certes, les sujets en cause appartiennent désormais à la vie courante de la plupart des démocraties actuelles ; mais ce qui est voté dans un pays, jusqu'ici, ne l'est pas nécessairement dans un autre.
Et c'est là que le bât blesse. L'idée précise de Bruxelles est que tous les États-membres qui composent l'Union vivent des mêmes lois, et que chaque gouvernement ne s'occupe plus que des affaires courantes. Dès lors, les politiques polonais, élus démocratiquement par le peuple, se retrouvent contraints d'obéir à ces censeurs européens non élus, et de fait au-dessus des lois.
La démocratie n'est plus, dans ce contexte, un exercice politique, mais un dogme sanctuarisé qui s'exprime à coups de diktats.
Une diktat-ure ?
Après le nazisme et le communisme, Bruxelles ?
Le problème est qu'on n'en a pas averti les pays les plus fraîchement entrés dans l'Union. Et, lorsque la Pologne affiche sa fermeté face à l'ultimatum de l'Union européenne, elle est immédiatement sommée de passer sous les fourches caudines.
Jusqu'ici, Beata Szydlo, le premier ministre polonais, a fait montre, avec le soutien massif du Parlement, d'une résistance propre à étonner Bruxelles. La Commission ne semble pas avoir compris que Varsovie, qui a eu à subir, ces dernières décennies, les oukases du nazisme et du communisme, n'entendait pas aliéner une liberté si chèrement reconquise.
D'autant que, si on en croit la presse polonaise, la Pologne était prête à un certain nombre de concessions importantes, notamment en ce qui concerne le Tribunal constitutionnel, et qui revenaient, en pratique, et à peu de choses près, à faire droit aux exigences de Bruxelles.
Varsovie ne demandait, en définitive, que quelques adaptations. Et du temps.
Or voilà que, contrairement à ce que certaines discussions en cours pouvaient lui laisser croire, le pouvoir polonais se trouvait confronté à une volonté d'accélérer le mouvement, et en outre à une tentative d'imposer à la Pologne des décisions sur la crise migratoire, « décisions qui n'ont aucun fondement dans le droit européen et violent la souveraineté de notre État et les valeurs européennes », affirme une résolution votée par le Parlement polonais.
Pologne d'abord
Bref ! en brusquant les choses, Bruxelles s'est pris dans le tapis, sous l'oeil railleur mais dur de Beata Szydlo : « Je peux dire qu'il y a, à la Commission européenne, de plus en plus de gens qui veulent détruire l’Union européenne et non la voir se développer. »
Le premier ministre a mis un point final à sa déclaration, qui sonne comme un acte de résistance - les Polonais ont l'habitude. « Le gouvernement polonais n'autorisera jamais personne à imposer ses choix aux Polonais, a lancé Beata Szydlo. Je suis le chef du gouvernement polonais et l'opinion de mes compatriotes sera toujours souveraine. Je suis une européenne mais, par-dessus tout, je suis Polonaise. »
Varsovie, on le voit, n'est pas Athènes. Et la culture de droite - peut-on ajouter - n'est pas la culture de gauche. La Commission européenne s'essayait, ces derniers jours, à expliquer qu'elle était « dans un processus de dialogue ». Elle en a de curieuses notions, qui consiste à menacer la Pologne d'une sanction qui la priverait, notamment, de son droit de vote au sein du Conseil européen.
Il est vrai que la Commission européenne agit désormais comme un dictateur - et peut-être un tyran. Jean-Claude Juncker, son président, l'a clairement laissé entendre en déclarant dernièrement à Paris se foutre intégralement des critiques que certains pouvaient lui adresser.
Au-delà de son élégance, l'expression signifie bien que la démocratie se meurt - que la démocratie est morte.
Olivier Figueras monde&vie 9 juin 2016