Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

culture et histoire - Page 1831

  • Bardèche et l’Europe par Pierre LE VIGAN

    Maurice Bardèche est l’un des écrivains politiques majeurs – voire le premier d’entre eux – que l’on peut rattacher au « nationalisme européen » des quarante années qui ont suivi la dernière guerre mondiale. Comment voyait-il l’Europe ? Quelle Europe espérait-il ? Le sujet est universitaire, il est aussi politique. Maurice Bardèche ayant arrêté la publication de sa revue Défense de l’Occident en 1982, tous ses écrits ont été marqués par la division de l’Europe entre une partie occupée par la Russie communiste et une autre partie sous protectorat américain. L’intérêt de l’enquête de Feltin-Tracol sur la vision de l’Europe par Bardèche est de montrer que, malgré ce contexte, Bardèche a toujours refusé toute idée de guerre préventive contre la Russie, a toujours expliqué qu’il était normal que la Russie ne supporte pas que des armes soient braquées contre elle depuis la Pologne, et que le communisme devait être éradiqué en luttant d’abord « contre le capitalisme international ».

     

    Bardèche soutenait l’idée d’une Europe cuirassée et sanctuarisée, d’une « Europe-citadelle ». Il voulait un neutralisme armé, et une indépendance totale de l’Europe vis-à-vis des blocs. Si Bardèche n’était pas un théoricien politique, il voyait néanmoins fort bien que l’essentiel c’est, pour les nations d’Europe, d’avoir une politique étrangère commune, une défense commune, et une mise en commun de leurs moyens. « L’essentiel, c’est l’esprit et la volonté » expliquait-il dès les années cinquante. C’est pourquoi il ne lui paraissait pas essentiel de défendre telle ou telle forme institutionnelle précise. S’il évoquait parfois une fédération européenne, il parait clair qu’il s’agissait pour lui d’une fédération de nations – une  sorte d’« alliance perpétuelle », à l’image de la Suisse et telle que l’avait évoquée aussi Pierre Drieu La Rochelle.

     

    Maurice Bardèche ne souhaitait aucunement la disparition des nations mais voulait au contraire leur assurer la pérennité par la création d’un cadre protecteur plus large, précisément cette Europe indépendante et sanctuarisée qu’il appelait de ses vœux et de ses écrits.

     

    S’il y a un élément qui reste tout à fait pertinent dans la conception de l’Europe de Maurice Bardèche c’est que cette Europe indépendante, il la voit au service d’un projet de civilisation, lui-même différent du matérialisme consumériste et du règne des trusts, côté américain, et du matérialisme caporalisé et gris de la termitière communiste, côté russe (la Russie d’alors). La convergence des deux systèmes qui additionnent leurs défauts dans la Chine d’aujourd’hui, à la fois dictature du Parti communiste et dictature du Capital, rend encore plus actuel cette nécessaire démarcation.

     

    Bardèche définissait ses écrits d’abord comme « une protestation contre l’invasion de l’économique dans notre vie ». Il refusait que notre destin soit de « voir toujours plus grand, exporter toujours davantage, baisser de quelques centimes le prix de revient final, pour “ battre ” les autres, être “ mieux placé ” qu’eux, enfin “ vendre, vendre, vendre ”, vendre ou mourir, vendre ou être asphyxié » (on croirait lire Günther Anders).  Sa conception de l’Europe est, affirmait-il « le contraire d’une conception mercantile qui ne veut réaliser l’union entre les nations que pour “ américaniser ” l’Europe, rivaliser avec l’Amérique sur son propre terrain, et la devancer en somme par le gigantisme et l’éternelle compétition, c’est-à-dire en définitive sur une route au bout de laquelle on n’aperçoit que des crises dues à cette concurrence à mort, et, au-delà de ces crises ou dans ces crises mêmes, la catastrophe et l’anarchie. Mais on oublie ou on feint de ne pas voir que l’unité économique et politique de l’Europe peut se traduire par une ambition beaucoup plus féconde que celle de participer, difficilement, on nous en avertit, à une course insensée ».

     

    À l’économie de profit, Maurice Bardèche opposait une économie de puissance et d’indépendance, dans un marché fermé européen (sans doute à rapprocher de l’État commercial fermé de Fichte, le même qui écrivait que l’homme « doit travailler sans angoisse, avec plaisir et joie, et avoir du temps de reste pour élever son esprit et son regard au ciel pour la contemplation duquel il est formé »).

     

    Bardèche insistait sur le fait qu’il ne s’agit pas d’être une puissance pour imiter les États-Unis mais pour préserver autre chose, pour mettre la société à l’abri du système de l’argent. Bardèche pensait que l’Europe devait dire aux Américains : « Nous n’avons pas la même idée que vous de l’économie mondiale, nous n’avons pas la même idée que vous du bonheur de l’homme et de son avenir, nous n’avons pas la même idée du progrès, ni la même idée de la justice et nous agissons conformément à notre idée. » C’est l’Europe sanctuarisée, y compris du point de vue économique, qui devait, selon Maurice Bardèche, nous protéger de l’invasion et de la dépossession produites par le libéralisme mondial. « La mission de l’Europe, disait-il, est de construire les digues qui canaliseront la société de consommation. » Cette idée lui tenait profondément à cœur. Selon lui, « la véritable mission de l’Europe […] n’est pas seulement d’être une troisième force, c’est aussi, c’est surtout, d’être une troisième civilisation. […] Or, toute civilisation a besoin d’un berceau. […] Si la vieille Europe peut encore dégager une idée neuve de l’avenir, elle ne peut faire autrement que d’affirmer cette idée, la réaliser et la mettre en lumière sur son sol même et par ses propres moyens. Qu’elle le veuille ou non, elle se pliera sur elle-même pour être elle-même. Si elle s’y refuse, si elle renonce à porter et à représenter une idée de l’homme qui lui soit propre, son histoire et non plus seulement l’histoire de nos propres pays, est terminée : elle [l’Europe] ne sera plus qu’une péninsule ou une tête de pont » (Sparte et les sudistes, 1969).

     

    Georges Feltin-Tracol souligne aussi la position particulière qui fut celle de Bardèche à propos de la question algérienne. Son sentiment était que  l’indépendance de l’Algérie était inéluctable et qu’il convenait d’essayer non de pérenniser un statut de colonie mais de créer une forme d’association entre deux nations indépendantes, la France et l’Algérie.

     

    L’ouvrage bienvenu de Georges Feltin-Tracol appelle quelques remarques : l’auteur ne disposait pas de tous les textes de Maurice Bardèche, notamment de la collection complète de Défense de l’Occident. Il resterait par ailleurs à écrire une étude sur cette revue elle-même, durant ses trente années d’existence (1952 – 1982). Enfin, une dizaine d’années avant les interrogations de Maurice Bardèche sur l’improbable avenir de l’Algérie française, des membres du Mouvement social européen, qu’il avait cofondé avec Per Engdahl, avaient proposé une décolonisation immédiate et totale et (tel l’Autrichien Wilhelm Landig) une collaboration entre les peuples européens et les peuples de couleur. Des propositions que Bardèche avait jugé démagogiques. Bien des points restent donc à approfondir. C’est dire que cet ouvrage met en appétit.

     

    Pierre Le Vigan  http://www.europemaxima.com/

     

    • Georges Feltin-Tracol, Bardèche et l’Europe. Son combat pour une Europe « nationale, libérée et indépendante », Les bouquins de Synthèse nationale, 112 p., 18 € (+ 3 € de port), à commander à Synthèse nationale, 116, rue de Charenton, 75012 Paris, chèque à l’ordre de Synthèse nationale.

     

    • D’abord mis en ligne sur Métamag, le 31 mai 2013.

  • « Bardèche et l’Europe » de Georges Feltin-Tracol

    Le dernier livre du camarade Georges Feltin-Tracol nous explique la vision qu’avait Maurice Bardèche de l’Europe.

    À la fin de la Seconde Guerre mondiale, deux grandes puissances règnent en maître : le bloc soviétique et le bloc américain. Contre le communisme et contre le capitalisme représenté par les États-Unis, Maurice Bardèche envisageait une troisième voie : une Europe forte totalement indépendante et reposant sur des nations souveraines.  Bardèche – tout en étant un fervent européen – croît au rôle essentiel des Nations : « La position dont le nationalisme doit s’emparer, comme une armée au combat,  est celle du jacobinisme. »

    Cette vision de la France va à l’encontre de celle que promeuvent d’autres farouches Européens comme Jean Mabire. En effet, le militant normand plaide plutôt pour une Europe ethno-régionaliste.

    Une fois l’État-nation renforcé, Maurice Bardèche estime que la construction de l’Europe doit prioritairement et principalement reposer sur une puissance militaire. L’économie est certes importante mais il estime que cela est secondaire. L’économie doit bien évidemment aider à la création d’une Europe puissante. Mais en aucun cas elle doit en être le moteur. D’ailleurs il n’aura de cesse de dénoncer cette Europe économique que nos ennemis veulent créer. Son anticommunisme ne lui fait pas oublier que « le libéralisme sauvage nous expose non seulement à une invasion, mais à une dépossession. Il entraîne à la fois notre assujettissement économique et la paupérisation de tous ceux qui travaillent dans les branches détruites ou fragilisées de chaque production nationale ». Ou encore : « Le libéralisme économique, c’est-à-dire l’acceptation des lois de la concurrence sur le marché mondial, est à l’origine de la plupart des maux de la civilisation moderne. ». Écrits prophétiques.

    À l’heure où l’Europe de Bruxelles mènent à la ruine les nations et les peuples, peut-il y avoir un avenir pour une Europe vraiment européenne ? Le beau-frère de Robert Brasillach nous répond par l’affirmatif : « L’heure de l’Europe reviendra. Elle reviendra quand viendra l’heure du courage et celle de la volonté. » Des propos qui nous rappelle la philosophie de Dominique Venner, cet autre Grand Européen récemment disparu.

    Un livre incontournable pour tout ceux qui veulent connaître le modèle européen que nous proposait Maurice Bardèche. L’Europe de Bardèche, un modèle en devenir ?

    Yann Darc http://www.europemaxima.com/

    • Georges Feltin-Tracol, Bardèche et l’Europe. Son combat pour une Europe « nationale, libérée et indépendante », Les bouquins de Synthèse nationale, 112 p., 18 € (+ 3 € de port), à commander à Synthèse nationale, 116, rue de Charenton, 75012 Paris, chèque à l’ordre de Synthèse nationale.


    D’abord mis en ligne sur Yanndarc.com, le 1er juin 2013.

  • An Mil Naissance et grandeur du village médiéval

    Les villages sont l'ossature sur laquelle s'est greffée la civilisation européenne, si nombreux que «monté sur l'un des 130.000 clochers de la chrétienté latine, on en voit 5 ou 6 à l'horizon» (Pierre Chaunu).

    Martres-Tolosane, village circulaire de la vallée de la Garonne, près de la villa de Chiragan (DR)Une première vague apparaît au terme des Grandes Invasions, quand émerge la société féodale ; une deuxième surgit après l'An Mil, à la faveur des grands défrichements.

    Dans une chrétienté occidentale dépourvue de villes depuis l'effondrement du monde antique, ces villages vont engendrer une société nouvelle fondée sur le travail de la terre et le droit coutumier. 

    André Larané et Antoine Vergnault
    Cartulaire de la seigneurie du couvent de Billette, près de Paris, vers 1520-1530 (BNF)

    Le village médiéval : une création originale

    Avec la fin de la «paix romaine» et les invasions barbares du Ve siècle, les paysans livrés à eux-mêmes se regroupent autour des anciennes villae gallo-romaines (grandes exploitations agricoles) ou, mieux encore, trouvent protection à l'ombre des premiers châteaux forts, constructions rustiques en bois qui servent de refuge à un seigneur et à ses hommes (les châteaux en pierre apparaissent seulement vers l'An Mil).

    Ces châteaux poussent un peu partout grâce à la montée en puissance de ces seigneurs qui suppléent au IXe siècle à l'incurie des rois carolingiens face aux attaques des Vikings, Sarrazins et autres pillards. Dans les régions montagneuses ou vallonnées, ils sont érigés sur les crêtes et les éperons rocheux ; dans les plaines, sur des mottes artificielles ou «mottes castrales».

    Du fait de la quasi-disparition des villes antiques, toute la vie économique en vient à se concentrer autour de ces châteaux.

    - Vilains et serfs :

    Les paysans sont généralement appelés «vilains» (du latin villanus, qui désigne un habitant de la campagne et dérive de villa, exploitation gallo-romaine)... Le mot a pris une connotation péjorative dans le langage des citadins et des nobles, de même que le mot «manant» (du latin manere, résider), qui désigne tout simplement l'exploitant d'un manse, autrement dit d'une exploitation familiale, avec sa maison, ses dépendances, ses droits d'usage et ses champs.

    Une partie des vilains parvient à conserver sa liberté et la pleine propriétés d'une partie au moins de ses terres. Ces terres libres de tout lien féodal sont dites «alleux» (du latin allodium). En Normandie, on les surnomme aussi «fiefs du soleil» pour signifier qu'elles n'ont d'autre suzerain que le soleil !

    Mais la majorité des paysans doivent s'en remettre à la «protection» du seigneur local, en lui abandonnant la propriété nominale de la terre et une partie substantielle de leurs revenus au titre des droits féodaux.

    Prélèvements obligatoires

    Libres ou pas, les paysans paient à leur seigneur de nombreuses redevances en contrepartie de sa «protection» :
    - les banalités pour l'utilisation du four, du moulin et du pressoir et les péages pour le franchissement des ponts ;
    - un cens en contrepartie des tenures (les terres concédées par le seigneur) ;
    - le champart ou «part des champs», équivalent en général à un dixième des récoltes...

    Ils paient aussi un droit de mainmorte pour que leurs fils puissent hériter de leurs tenures et un droit sur les «lods et ventes» (du latin laus, laudis - approbation - ; transactions autour des tenures). Ils sont tenus d'effectuer plusieurs jours de travail par an sur la «réserve», autrement dit les terres exploitée en direct par le seigneur ; c'est la corvée. Ajoutons à cela la dîme due à l'Église, égale au dixième environ des récoltes. Ils peuvent aussi être astreints à une taxe humiliante, le formariage, s'ils veulent épouser une femme étrangère à la seigneurie.

    Au total, c'est environ un tiers de leurs revenus que les paysans du Moyen Âge affectent à ce que nous appellerions aujourd'hui les «prélèvements obligatoires».

    Le château-fort de Cautrenon, en Auvergne, dessin de Guillaume Revel dans l'Armorial du duc de Bourbon (XV° siècle), BNFEn marge de cette paysannerie plus ou moins libre, une minorité de vilains vit dans la dépendance complète du seigneur (châtelain, abbaye ou autre). Ils souffrent d'une forme inédite d'esclavage, le «servage» (du latin servus, esclave).

    Ces serfs ou hommes de corps travaillent sur le domaine du seigneur, la réserve, à moins que celui-ci ne préfère leur louer une terre. Ces serfs sont alors dits «chasés».

    Privés de liberté et obligés même d'obtenir le consentement de leur maître pour se marier, les serfs sont attachés à titre héréditaire à la seigneurie. Ils n'ont pas le droit de la quitter. Mais réciproquement, le seigneur ne peut les en chasser ni leur ôter sa protection.

    Le servage ainsi que tous les droits et obligations qui s'attachent à la terre sont strictement codifiés en fonction des coutumes locales, composant un écheveau d'une infinie diversité. Par exemple, si un paysan libre obtient de cultiver une tenure «servile», il doit supporter les servitudes qui s'y attachent.

    Les serfs et autres vilains vivent dans des conditions précaires, sous la menace permanente des disettes. Néanmoins, ils sont en général beaucoup moins pressurés par le seigneur local que pouvaient l'être leurs aïeux par les métropoles antiques, qu'elles aient nom Athènes, Rome, Carthage, beaucoup moins également que leurs contemporains soumis à l'autorité de Bagdad ou Constantinople.

    À la différence des notables de ces métropoles vouées à la consommation et au luxe, les seigneurs partagent le destin de leurs paysans. Leur intérêt est de les protéger et de les soutenir car leur revenu dépend tout entier de leurs récoltes.

    Cette solidarité forcée permet l'aménagement rationnel des campagnes : plantations de haies, drainage et assainissement, marnage (ajout de calcaire et argile aux sols), construction de moulins, défrichements etc. Elle est à la source du décollage économique de l'Europe occidentale.

    Enluminures du Rustican (ou Livre des profits champêtres et ruraux), de Pietro de Crescenzi, 1305 (musée Condé, Chantilly)
    - Ager et saltus :

    Les premiers villages médiévaux sont structurés autour de deux lieux majeurs : le château et l'église paroissiale. Ils ne bénéficient pas de plan d'urbanisme, ce qui explique les plans routiers parfois tortueux contre lesquels il nous arrive de maugréer, mais ils tirent leur harmonie d'une judicieuse adaptation à la topographie, au climat local et aux techniques agricoles.

    L'espace rural est scindé en deux parties : d'une part l'ager, qui réunit les champs cultivés sur les terres les plus fertiles ; d'autre part le saltus ou «incultum» (forêts et prés communaux).

    La partie cultivée est répartie entre les tenures ou manses exploitées par les paysans et la réserve exploitée en direct par les domestiques du seigneur.

    La glandée (le mois de novembre dans les Très riches Heures du duc de Berry, miniature du XVe siècle, musée Condé)Pour préserver la fertilité des sols, les villageois organisent l'ager selon les principes de l'assolement biennal ou triennal : l'ager est divisé en deux ou trois «soles» et chaque famille dispose d'une tenure sur chacune d'elles avec obligation de respecter l'ordre des cultures (une année consacrée aux céréales d'hiver, une autre aux céréales de printemps, la dernière au repos - jachère - et à la pâture du bétail).

    Le saltus n'est pas moins important pour les villageois. Il fournit du bois de chauffage, des baies... Les paysans y conduisent les porcs afin qu'ils se nourrissent de glands. C'est la glandée. Quant au seigneur, il y pratique la chasse, son loisir favori et son privilège.

    La seigneurie de Wismes

    Le plan ci-dessous (cartulaire) représente la seigneurie de Wismes, en Picardie, près d'Amiens, au XVe siècle. On distingue l'église et le château au centre ; les tenures ; les bois (masses sombres) ; la réserve seigneuriale à droite du château, le moulin banal (au-dessus de l'église) et même le gibet seigneurial (en bas à gauche).

    La seigneurie de Wismes, Picardie, XVe siècle

    L'appel de la liberté

    Dans les trois siècles qui suivent l'An Mil, au cours du «beau Moyen-Âge», un léger réchauffement climatique améliore les récoltes et favorise la croissance de la population.

    Suivant l'exemple donné par Cluny, les moines bénédictins, en quête de solitude, implantent de nouveaux monastères au coeur des forêts encore vierges. Les paysans, assoiffés de terres et de liberté, s'engouffrent dans ces brèches. Ils essartent et mettent en culture les friches, attirés par les exemptions fiscales et les franchises promises par les seigneurs locaux.

    Dans les régions méridionales, l'Église encourage l'établissement des déshérités dans les terres en friches, en sanctuarisant des espaces de libertés autour de certaines églises. Il s'ensuit la création de villages appelés «sauvetés», selon un modèle circulaire que l'on rencontre par exemple dans le Languedoc (Bram ou Alan). Dans ces terres se réfugient en particulier des serfs en fuit et désireux de liberté.

    La guerre de Cent ans, à la fin du Moyen Âge, donne lieu en Aquitaine, à la création d'un nouveau type de village, la «bastide» à vocation militaire, avec un aménagement en damier, autour de la place d'armes. Là aussi sont accueillis des gens de toutes origines, y compris des serfs en fuite. De la sorte, le servage disparaît presque totalement dès la fin du XIIIe siècle au profit d'une relation de gré à gré entre propriétaires et exploitants.

    Aux alentours de 1300, le maillage rural de la chrétienté occidentale est à peu près achevé, proche de celui que nous connaissons aujourd'hui.

    À chacun son histoire

    Les villages d'Europe occidentale ont des structures qui reflètent leur histoire. On a vu le cas des bastides et des sauvetés. Il y a aussi les villages perchés qui témoignent de la peur des pirates, sur les côtes méditerranéennes.

    Les villages regroupés (en allemand, «haufendorf») prédominent  dans les plaines aux sols lourds, où l'assolement triennal impose une discipline collective : chaque famille a des tenures dispersées dans les différentes soles. Lorsque les menaces extérieures l'exigent, les maisons se regroupent à l'intérieur d'une enceinte plus ou moins circulaire, comme à Martres-Tolosane, dans la haute Garonne (photo ci-dessus).

    Dans les régions insalubres de landes ou de marécages, on a au contraire un habitat dispersé : chaque famille s'établit au plus près des rares champs fertiles.

    Enfin, dans les régions d'essartage tardif, on observe des villages-rues (en allemand, «strassendorf») : les fermes s'alignent le long de la route principale et leur tenure se déroulent d'un seul tenant à l'arrière, perpendiculairement à la route. Ce schéma se retrouve aussi au Québec, défriché selon les mêmes principes qu'en Europe.

    Dès le XIe siècle, dans un élan général, les campagnes se hérissent de clochers, qui sont autant de marqueurs de l'enracinement des hommes dans leur territoire : «C'était comme si le monde lui-même se fut secoué et, dépouillant sa vétusté, ait revêtu de toutes parts une blanche robe d'église» (Raoul Glaber). Les églises de cette époque, aux formes robustes caractéristiques de l'art roman, témoignent encore aujourd'hui de la vitalité des campagnes médiévales.

    Chaque village forme une communauté de fidèles soudée autour de son curé, de son église et de son cimetière : la paroisse. Le village est à la fois le lieu de la vie économique et de la vie affective, où l'on travaille, paie les impôts, se marie et baptise les enfants.

    La messe dominicale, dans l'église, est une occasion de rencontre durant laquelle on s'exprime à grand bruit entre calembours, jeux d'osselets ou encore transactions entre particuliers (ce n'est qu'à partir du concile de Trente que l'église devient un sanctuaire silencieux).

    À leur mort, les habitants sont inhumés autour de l'église, voire à l'intérieur, sous le dallage, en ce qui concerne les notables. Le cimetière est un lieu de sociabilité jusqu'au début de l'époque moderne : on s'y réunit pour les fêtes, danser, jouer...

    La paroisse est administrée par l'assemblée des chefs de famille, sous l'autorité lointaine du seigneur ou du représentant du roi : le bailli dans les régions septentrionales, le sénéchal dans le Midi. À l'assemblée revient en particulier l'entretien de l'église et de l'enclos paroissial, dans lequel sont rassemblées les tombes des disparus, depuis que les vivants n'ont plus peur des morts.

    Bénéficiant d'une exceptionnelle stabilité démographique (l'Europe, des Pyrénées au Danube, est la seule région du monde à n'avoir connu aucune immigration pendant le dernier millénaire), ces villages entretiennent et fortifient leurs traditions.

    Transmis de génération en génération, les coutumes et les droits d'usage acquièrent force de loi. Cette jurisprudence fait même obstacle à la volonté du seigneur ou du souverain. Les Anglais l'appellent fort justement «common law» (la loi commune) pour la distinguer de la loi dictée par le sommet. Elle est à l'origine de la plus belle invention qui soit : l'État de droit.

    http://www.herodote.net

    Bibliographie

    Les ouvrages clé sur la paysannerie médiévale, bien qu'un peu datés, sont signés des grands historiens Marc Bloch (La Société féodale, Albin Michel, 1939) et Georges Duby (Guerriers et paysans, Gallimard, 1973, L'économie rurale et la vie des campagnes dans l'Occident médiéval, Aubier, 1962).

    On peut aussi lire le petit livre d'un autre grand historien, Jacques Heers : Le travail au Moyen Âge, Que sais-je? 1965. Plus récent et plus consistant (617 pages) : Le village sous l'Ancien Régime (Antoine Follain, Fayard, 2008).

  • Rudyard Kipling, ou l'art d'être un homme

    Comme, à plus d'un égard, Jack London,  Rudyard Kipling est un des personnages les plus connus et, en même temps, les plus mal connus de la littérature mondiale. On ne retient trop souvent de lui que des images simplistes et figées : le chantre de l'Empire britannique, l'homme qui fait parler les animaux, le chef scout ou le poète de la volonté. Le plus beau est que chacune de ces images est juste, mais qu'elle ne correspond qu'à l'une des multiples facettes d'un homme beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît de prime abord.
    La plus grande partie de l'œuvre de Kipling fut consacrée à l'Inde, et certains n'y veulent voir qu'une exaltation permanente du colonialisme anglo-saxon. C'est oublier des livres comme « Simples contes des collines ». Et, surtout, c'est oublier que Kipling connaissait l'Inde et les Indiens infiniment mieux que ses détracteurs. Il était né dans ce pays, en 1865 à Bombay, y avait passé sa prime enfance et y était revenu dès ses études terminées. Son père était le conservateur du musée de Lahore - qu'il met d'ailleurs en scène au début de son plus grand roman, « Kim ». En fait, Kipling aimait l'Inde et son petit peuple plus qu'aucun autre Européen.

    L'amour de la France

    Il aimait aussi la France, contrairement à bien des affirmations imbéciles - et au ridicule ouvrage des frères Tharaud, « Dingley, l'illustre écrivain ». Il y était venu très jeune, à l'âge de douze ans, son père étant chargé de l'organisation du pavillon de l'Inde à l'Exposition universelle et ayant laissé son fils libre d'errer à sa guise dans Paris.
    « Cela fut en soi-même, écrit-il dans ses mémoires, « Some-thing of my self », une éducation et fit naître en moi un amour de la France que j'ai conservé toute ma vie ».
    Fréquentant, bien sûr, les pires poulbots, il apprit rapidement l'art subtil de s'accrocher derrière les fiacres en insultant le cocher en termes choisis, pour éviter au dernier moment le coup de fouet lancé par celui-ci. Bref, comme il le dit, une éducation en soi.
    Bien des années plus tard, il parcourut en tous sens les routes de notre pays, en piéton, chapeau cabossé en tête et musette en bandoulière. La France, son fils, le petit héros de « Puck, lutin de la colline », y fut tué à l'âge de dix-neuf ans durant la guerre de 14-18 . Enfin, son livre « Souvenirs de France » est un véritable message d'amour. Tout comme « La France en guerre », publié en 1915, et «Poème à la France» en 1917.
    En effet, l'incontestable nationalisme britannique de Rudyard Kipling n'était pas ce que beaucoup d'ignares se sont complus à peindre ; il mettait son pays avant tout - ce qui est parfaitement normal - mais n'avait ni mépris ni haine pour les autres. Et, surtout, son patriotisme était empreint de pudeur dans ses manifestations ; il détestait les gens qui « en faisaient trop » - comme, à son époque les « jingoistes ». Une scène de « Stalky and Co » où un député trop bien nourri se fait pratiquement cracher à la figure par des collégiens, tous candidats à l'Armée et à une mort en pays lointain, pour avoir brandi le drapeau national hors de circonstance, en témoigne amplement.
    Kipling aimait les soldats, les explorateurs, les « hommes de terrain », mais il haïssait les comédiens, les tartufes du nationalisme.
    Mais revenons, précisément, à « Stalky and Co ». Ce livre, publié en 1899, est la savoureuse transposition des souvenirs et expériences de Kipling au collège de Westward Ho, dans le Devonshire, où il fut mis en pension en 1878. Kipling s'y met en scène sous le nom de Beetle, en compagnie de ses meilleurs amis, Stalky - en fait, le futur général Dunsterville, l'un des officiers les plus originaux et les plus brillants de l'armée britannique - et M'Turk - en réalité G.C. Beresford, haut fonctionnaire aux multiples talents.

    L'homme véritable

    Irrésistiblement drôle, ce livre n'est pas seulement l'un des meilleurs ouvrages jamais écrits sur la vie de collège, mais aussi de façon discrète mais sûre, un résumé de la philosophie personnelle de son auteur. Celle-là même que l'on retrouve dans le fameux poème « If » :
    « Si tu peux garder la tête froide quand tous autour de toi
    « La perdent et t'en blâment;
    « Si tu peux conserver la confiance quand tous les autres doutent...
    « Si on te hait mais que tu ne cèdes pas à la haine,
    « Et si pourtant tu ne sembles ni trop bon dans des actes ni trop sage en paroles... »
    Mais on ne peut, bien sûr, tout citer. Venons donc à la conclusion du poème:
    « Alors, les rois et la chance seront à tout jamais tes esclaves dévoués,
    « Mais ce qui vaut mieux que les rois et la chance, tu seras un homme, mon fils. »
    Un homme, voilà le maître-mot pour Kipling. Un homme solide et courageux, fort dans l'adversité et modéré dans le triomphe, avec tout ce qu'il faut de foi et de générosité et juste ce qu'il faut de scepticisme ...
    En 1882, Kipling revint en Inde comme jeune journaliste à la «Civil and Military Gazette» de Lahore, puis au « Pioneer ». Derrière ses petites lunettes rondes, il observait inlassablement les choses et surtout les êtres : civils de la « bonne société », jeunes officiers venus de la frontière nord-ouest, simples soldats. Et cela donna, en 1887, après un recueil de poèmes publié l'année précédente, à vingt et un ans, « Simples contes des collines », une suite de nouvelles passablement cruelles qui causa quelque émotion sur le moment.
    N'importe, un écrivain était né, qui allait rapidement devenir célèbre, alignant nouvelle sur poème, puis abordant, en 1891, avec« La lumière qui s'éteint », le roman.
    L'année suivante, ayant épousé une Américaine, il alla s'installer dans le Vermont, aux États-Unis. C'est là que devaient naître, en 1894 et 1895, les deux livres qui lui assuraient à coup sûr l'immortalité, « Le livre de la jungle » et « Le second livre de la jungle ». Mowgli, Bagheera et les Bandars Logs commencèrent très vite à hanter les imaginations enfantines - et adultes.
    Mon ami Hubert Monteilhet me fit un jour remarquer que ces deux livres tranchaient quelque peu dans l'œuvre de Kipling par « leur caractère un brin rousseauiste ». Il n'a peut-être pas tort, et il faudrait peut-être voir là une petite influence américaine - l'influence de l'Amérique de Thoreau et de « Walden ou la vie dans les bois ». Même un homme comme Kipling ne peut vivre quatre années dans un pays sans en recevoir quelques ondes.

    L'itinéraire de Kim

    En 1896, Kipling revint s'installer en Angleterre, dans le comté de Sussex, qu'il célébra dans « Puck » en 1906 et « Le retour de Puck » en 1910. Mais, entre temps, il s'était rendu en Afrique du Sud comme journaliste pendant la guerre des Boers. Et, en 1901, il avait publié son chef-d'œuvre, « Kim ». Immense roman d'aventures et roman initiatique, ce livre est aussi une étonnante fresque de l'Inde et de la vie indienne, dans toute sa réalité quotidienne et populaire.
    Fils abandonné d'un sous-officier irlandais, élevé à l'indienne parmi les Indiens de la condition la plus modeste, le petit Kimball O'Hara s'improvise à douze ans le guide et domestique d'un vieux lama tibétain recherchant la source jaillie de l'endroit où est tombée la flèche de Bouddha. Mais il est également recueilli et enrôlé par les services secrets britanniques, qui utilisent ses pérégrinations, du centre de l'Inde à la fameuse passe de Khyber.
    Outre son souffle romanesque et son don d'observation, Kipling montre ici cette parfaite connaissance de l'Inde que nous évoquions plus haut. Bien que britannique, Kim est un enfant du Pays. Comme Kipling. Et comme le petit héros de la nouvelle « L'amendement de Todd », où l'on voit un minuscule garçonnet, fils de haut fonctionnaire, convaincre le vice-roi des Indes de modifier une loi, car lui, fréquentant avec sa nourrice les gens de la rue, sait qu'elle sera impopulaire auprès des petites gens.
    Ecouter, savoir et dire, c'était aussi l'une des devises de Rudyard Kipling.
    Ce trait, on le retrouve également dans l'un des plus robustes récits d'aventure jamais écrits : « L'homme qui voulut être roi » - livre qui donna lieu il y a quelques années à un film prestigieux de John Huston, interprété par Sean Connery et Michael Caine. On l'avait déjà retrouvé dans « Trois troupiers », où Kipling dépeignait, en usant de leur langage, les simples soldats de l'Armée des Indes.
    Meurtri par la Première Guerre mondiale, Kipling ne baisse pourtant pas les bras, même si certains de ses derniers écrits semblent empreints d'une légitime amertume. Ami du colonel Baden-Powell, qu'il a connu pendant la guerre des Boers, il a participé à la fondation du mouvement scout, dont il deviendra d'ailleurs commissaire général. Il publie en 1923 « Contes de terre et de mer pour scouts et guides ». Son esprit se porte toujours sur la jeunesse, et sur la jeunesse aventureuse. Et lorsqu'il meurt, en 1930, à Londres, il n'a visiblement pas changé d'avis.
    Jean Bourdier : National Hebdo décembre 1987

  • Sur "Les faux prophètes", d'Yvan Blot : la critique d'Henri Bonnier*

    Les tontons flingueurs 

    Rousseau, Voltaire, Marx et Freud. Ces quatres hommes ont été présentés commes des Lumières, sinon des phares, de la pensée en Europe. Pourtant, ce sont bien eux les philosophes désignés par Yvan Blot comme les faux prophètes dans son dernier ouvrage. Leurs pensées y sont passées au crible et déconstruites en les confrontant à Pascal, Nieztsche, Kierkegaard et Heidegger. 

    rousseau.JPGQu’il me soit permis d’évoquer un souvenir personnel. Ce jour-là, je travaillais avec Hassan II à son livre majeur, Le défi. Etonné par une remarque du Souverain chérifien, je lançais : « Parole de Roi ! ».

     Il haussa un sourcil, surpris par ma véhémence ; puis il me dit avec douceur : « Apprenez que je ne suis pas un roi, mais de l’être qui persévère dans l’être ! »;

     Posant alors mon stylo, je regardais avec gratitude Hassan II, avant d’ajouter : « Sire, je vous remercie, vous venez de m’offrir la plus juste définition de la monarchie ».

    voltaire.JPGCes précieuses minutes sont revenues à mon esprit à la lecture des Faux prophètes, le nouvel et passionnant essai d’Yvan Blot. De quoi s’agit-il ? De quatre penseurs éminents, dotés d’un immense talent, qui ont contribué à conduire notre monde là où il se trouve aujourd’hui, et j’ai nommé Karl Marx, Sigmund Freud, Voltaire et Jean-Jacques Rousseau. « Prophètes de malheur, écrit Jean-François Mattéi dans sa préface, qui ont annoncé, non pas l’advenue de Dieu, mais la disparition de l’homme ».

    Déjà, dans Le sophiste, Platon, le grand initié des temples égyptiens, parlait d’un « combat de géants au sujet de l’être ». L’affontrement n’est pas nouveau. Il se poursuit le long des siècles, opposant (s’il se peut) deux géants : Héraclite d’Ephèse, d’après qui le Logos découle de ce monde-ci, et saint Jean l’Evangéliste, suivant qui « Au commencement était le Logos », le Verbe divin, créateur de ce monde. à hauteur d’Histoire, Héraclite donne le branle à la grande tradition des matérialistes qui ira jusqu’à Karl Marx et au-delà, tandis que Saint Jean inaugure la longue et sublime cohorte des saints et des martyrs.

    marx 1.jpgTel est l’enjeu. Yvan Blot l’a si bien compris qu’il confronte ses « faux prophètes » à quatre penseurs tout aussi prophétiques, à savoir : Pascal face à Voltaire, Nietzsche face à Rousseau ; Kierkegaard face à Marx et Heidegger face à Freud. Il crée de la sorte une dialectique qui donne sens et relief à sa réflexion, non pas dans un souci polémique, mais dans un désir de clarté. Chaque système philosophique, en effet, a sa logique totalitaire, et le seul moyen d’en prendre la réelle mesure est de le comparer à un autre. La liberté de la pensée est à ce prix.

    Avec beaucoup de finesse, Yvan Blot montre en quoi ces « faux prophètes » - René Char les appelait « les tontons flingueurs » - ont été avant tout des séducteurs. Semblables en cela à Méphistophélès devant Faust, ils ont commencé par promettre aux hommes des biens après lesquels ceux-ci ne cessaient de soupirer. Ainsi, Voltaire a promis la liberté, Rousseau le pouvoir, Marx l’argent, Freud la libération du moi par le sexe.

    FREUD 3.jpgSur la psychanalyse, Malraux porta un jugement terrible : « Elle a réintroduit les démons dans l’homme . Cela est si vrai que Freud, arrivant par le paquebot aux états-Unis, vit sur le quai une foule qui l’attendait et qui l’accueillait avec des vivats. Appuyé au bastingage, il dit alors à Férenczi, qui l’accompagnait : « Ils ne savent pas que nous leur apportons la peste ! » En vérité, le mot de Malraux s’applique à chacun de ces « faux prophètes ». Tous, et en toute conscience, ils se sont dressés contre ce qu’ils croyaient être « l’ordre établi » et ils se sont ingéniés à réveiller le démoniaque – à moins que le démoniaque ne les eût guidés…

    Las ! Siècle après siècle, le christianisme a édifié une civilisation destinée à éveiller les âmes, à ouvrir les coeurs, à maîtriser les corps, suivant par là l’intuition majeure qu’eut Platon sur les trois cerveaux qui nous constituent, c’est-à-dire le reptilien ou paléo-cortex qui commande aux instincts, le méso-cortex qui régit la sphère affective et le néo-cortex qui préside à la raison. Il a fallu que ces « faux prophètes » missent à terre cette belle civilisation. Au total, ils ont fini par tuer l’homme en le privant de Dieu, et ce total se chiffre par centaines de millions de cadavres.

    « La peste ! » disait Freud. Nous y sommes. Avez-vous remarqué les visages sans regard de nos contemporains ? Comment pourrait-il en aller autrement ? Nous vivons désormais parmi des âmes mortes. Ce monde sue la désespérance.

    Gageons que cet essai aidera à une nouvelle Renaissance. Nous en avons tellement besoin.

    *Critique parue dans le n° 118 de Politique magazine (Mai 2013).

    http://lafautearousseau.hautetfort.com

  • Empire colonial et capitalisme français : Histoire d’un divorce

    La campagne actuelle contre le « colonialisme » repose, en partie, sur l’idée que les pays européens, et la France en particulier, auraient colonisé des territoires, spécialement en Afrique, pour s’enrichir. Rien n’est plus faux. Comme le faisait observer le professeur Lugan, si tel avait été le cas, en 1974, à la veille de l’indépendance du Mozambique et de l'Angola, le Portugal aurait dû être le plus riche et le plus prospère d’Europe puisque c’est celui qui avait conservé le plus longtemps ses colonies. Or, c’était l’inverse. Le Portugal ne s’est enrichi que depuis qu’il a abandonné ces deux fardeaux. Le procès contre le « colonialisme » est donc faux. Jacques Marseille en fait la démonstration pour la France dans sa thèse de doctorat.
    Avantages apparents
    On oublie trop souvent de rappeler que ce sont les missionnaires, rappelons-nous le cardinal Lavigerie, et des hommes de cœur qui ont poussé à la colonisation de l’Afrique afin d’éradiquer l’esclavage. Par la suite, une poignée de politiciens, radicaux pour la plupart, ont voulu compenser la perte de prestige subie par la France en 1870 par la conquête d’un empire auquel la majorité des gens ne croyaient pas. Ils furent appuyés par certains industriels avides de profits faciles. L’Algérie mise à part, les premières conquêtes africaines et asiatiques datent du moment où les républicains s’emparèrent de tous les pouvoirs.
    En agissant ainsi la gauche s’attira les bonnes grâces du monde des affaires qui, à l’époque, manquait de débouchés. Comme disait clairement Jules Ferry : « La consommation européenne est saturée ; il faut donc faire surgir des autres parties du globe de nouvelles couches de consommateurs sous peine de mettre la société moderne en faillite [...] Les colonies devaient offrir des marchés sûrs et protégés donc très rentables. Les capitaux investis avaient des taux de profits alléchants allant de 25 à 30 % et même plus dans le cas des mines »
    Mais il faut bien voir que ces rendements élevés ne furent possibles que parce que l’investissement public servait de « béquille » à l’investissement privé.
    L’inversion des images
    À partir des années trente, la majorité des Français, jusqu’alors indifférents au fait colonial, lui devint favorable. Les cérémonies marquant le centenaire de notre présence en Algérie et surtout l’exposition coloniale de 1931, visitée par 34 millions de personnes, y contribuèrent puissamment. Or, en raison de la crise, une minorité de patrons et de grands commis de l’État commençaient à douter de l’utilité de l’empire.
    Certes le système colonial protégeait les indigènes en cas de crise. Ceux-ci pouvaient continuer à acheter des cotonnades et des produits alimentaires dont les cours s’effondraient en métropole alors que les prix des produits coloniaux se maintenaient en général grâce au soutien apporté par la métropole à travers le système autarcique mis en place depuis les années 1880. De cela, le grand public n’était guère conscient mais on eût pu croire que le Front populaire, confronté à de graves problèmes monétaires, entamerait des réformes. Il n’en fut rien. Là, comme ailleurs, il fallut attendre le régime de Vichy pour avoir une politique novatrice.
    Le plan élaboré de 1942 à 1952 dénonçait le protectionnisme malthusien qui avait inspiré tous les gouvernements jusqu’alors. Il fallait placer la France et son empire dans le contexte international. Pour cela l’amiral Platon, secrétaire d’État aux Colonies, demandait qu’on favorise leur industrialisation.
    N’était-il pas paradoxal, comme l’écrivait l’un de ses collaborateurs, qu’on importe des cotonnades dans des colonies qui fournissaient cette fibre ? L’industrialisation éviterait aussi la monoculture et serait une voie de promotion pour les indigènes.
    Les hauts fonctionnaires de Vichy s’opposaient aussi au travail forcé. Decoux, en Indochine, aligna le salaire des fonctionnaires vietnamiens sur celui des métropolitains et il leur ouvrit la haute fonction publique. Cette politique intelligente et novatrice qui aurait permis des évolutions en douceur fut contrecarrée par De Gaulle. À la conférence de Brazzaville, la commission de l’économie impériale se révéla très divisée sur l’industrialisation des colonies alors que le commissariat aux colonies exigeait que le travail forcé fût maintenu. Quel progrès !
    Capitalisme et décolonisation
    Avec l’établissement d’une comptabilité publique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les hauts fonctionnaires, comme Claude Gruson, comprirent « pour la première fois que l’empire colonial, loin d’être une richesse était une charge très lourde ».
    Désormais, la haute fonction publique proposa au monde politique deux options : soit mettre la France en symbiose avec le monde développé, c’est-à-dire abandonner l’empire qui nous coûtait cher, soit vivre en autarcie avec lui. On devine où allaient leurs préférences.
    Ces idées nouvelles pénétrèrent jusqu’à l’intérieur du Comité central de la France d’Outre-Mer où les représentants de la haute finance défendirent l’idée qu’il valait mieux rompre les « liens politiques avec l’empire pour sauver l’essentiel, c’est-à-dire les liens monétaires et financiers ». En face, certains industriels exigeaient le maintien de liens politiques mais leur position était faible dans la mesure où ils représentaient souvent des secteurs en perte de vitesse comme le textile. Le comité fut bientôt paralysé par la lutte entre ces deux tendances. Progressivement, les premiers, partisans d’une rupture avec les colonies, Algérie comprise, « qui forçaient la puissance publique à gaspiller dans l’empire des capitaux considérables sans aucun bénéfice », l’emportèrent, y compris dans le monde politique.
    « En 1954, Pierre Mendès- France avait été le premier à dire qu’entre l’Indochine et le redressement économique de la France, il fallait choisir ». De son côté, Alfred Sauvy faisait savoir que le coût de l’Algérie serait bientôt de 400 milliards, chiffre qui inquiéta Paul Reynaud, président de la commission des Finances. Bientôt, avec le retour au pouvoir de De Gaulle s’imposa l’idée « que la France ne pouvait appartenir en même temps à deux marchés communs, l’un avec l’Europe, l’autre avec l’Outre-Mer ».
    Après avoir donné leur indépendance aux colonies d’Afrique noire, De Gaulle déclarait le 11 avril 1961 : « L’Algérie nous coûte cher - c’est le moins qu’on puisse dire - plus cher qu’elle ne nous rapporte... C’est un fait, la décolonisation est notre intérêt et, par conséquent, notre politique ».
    Ainsi, loin d’avoir exploité leurs colonies, comme la gauche colonialiste d’hier veut nous le faire croire, les pays européens ont été exploités par elles. L’exemple français étudié par Jacques Marseille (1) le prouve, comme celui de l’Angleterre, de la Hollande et du Portugal.
    Yves LENORMAND L’’Action Française 2000– du 5 au 18 janvier 2006
    (1) Jacques Marseille : Empire colonial et capitalisme français - Histoire d’un divorce. Éd. Albin Michel, 2005, 640 p., 21,50 euros.

  • L'Action française sur les pas de Peguy

    Comme tous les ans, des militants et sympathisants d’Action française ont partagé trois jours de prière et d’amitié dans le chapitre Sainte Jeanne de France..Ce chapitre est historiquement le chapitre d’Action Française, ce qui signifie qu’il est ouvert à tous ceux qui voient dans l’engagement royaliste un prolongement du devoir de charité.

     
  • Méridien Zéro : “Quelle littérature pour les âges sombres ?” (Extraits)

    Le vendredi 7 juin, Méridien Zéro recevait l’écrivain Olivier Maulin pour évoquer avec lui ses ouvrages et la nécessité d’une littérature de combat en ces âges sombres. Extraits.

    A la barre Jean-Louis Roumégace accompagné de Pascal Eysséric et Olivier François. Lord Igor à la technique.

    L’émission intégrale est disponible ici.

    http://fortune.fdesouche.com/

  • Marion Maréchal Le Pen interpelle Christiane Taubira

    Sur le site de l'Assemblée :

     

    "Mme Marion Maréchal-Le Pen interroge Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la convocation de quelque 200 magistrats pour un séminaire sur les violences et les discriminations à raison de l'orientation sexuelle, évoqué cette semaine par la presse. Les documents liés à ce programme de formation font référence, très explicitement, à la théorie dite du genre. Dans le même temps, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme aurait été saisie pour un avis sur la définition et la place de l'identité de genre dans le droit français. Lors du débat sur le mariage pour tous, elle avait pourtant rejeté les arguments de ceux qui y voyaient une promotion de cette théorie. Depuis, le texte sur la transposition de diverses directives en matière de justice a inscrit dans notre droit des références explicites au genre. Elle souhaite savoir sur quels fondements le ministère de la justice entend faire la promotion de travaux qui semblent n'avoir aucuns fondements scientifiques, qui font l'objet de sévères critiques et qui participent d'une vision extrêmement idéologique de la société."

    Michel Janva  http://www.lesalonbeige.blogs.com/