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culture et histoire - Page 1922

  • Des femmes sans âmes :

    "J'entends dire que la religion catholique est misogyne. Ce n'est pas sérieux ! Une religion qui agenouille les hommes devant une femme couronnée manifeste une misogynie suspecte." A.MALRAUX

    Revenons sur les conceptions de la femme soumise ou sur l'aberration répété : " les docteurs de l'Eglise de France ont discuté pendant des siècles pour savoir si les femmes avaient une âme ". Il y a quelques années, une telle ânerie était sortie de la bouche d'une personne du gouvernement et sans contestation de la part de son entourage et des médias pourtant si prolixes dans d'autres cas ...De telles choses sont couramment admises et propagés par "l'intelligentsia" qui trône chez nous, préservant l'ignorance générale pour le plus grand profit du pouvoir en place...

    Le baptême de Clovis fut un des actes fondateurs de la France et celui-ci est dû à une femme intelligente et tenace Clotilde, nièce du Roi des Burgondes. Que dit l'histoire : "Les femmes de l'Empire germanique, comme les Françaises de l'époque d'ailleurs, sont fortes et indépendantes. Au XVème siècle, une Madame Liblar, épouse d'un commerçant de Cologne,dirige, sous son propre nom, l'un des principaux ateliers de soieries de la ville. A Francfort-sur-le-Main, on compte,entre le XIVème et le XVIème siècle, 65 corps de métiers uniquement féminins(entre autres,la brasserie). Les femmes sont majoritaires dans 17 autres corporations et à égalité avec les hommes dans 38 autres, tandis que 81 professions sont à prédominance masculine.Ce qui distingue les corporations féminines c'est, parfois, leur plus grande ouverture d'esprit: certaines d'entre elles acceptent de prendre en apprentissage des enfants illégitimes"(Barbara Beuys). Nous entendons parler de "Libération de la Femme " mais regardons le Moyen-Age où la liberté rimait avec la féminité. Aujourd'hui, la réussite pour les femmes est dans la ressemblance à l'homme.C'est cela l'égalité ? Rappelons au passage qu'Aliénor d'Aquitaine, femme politique en plein douzième siècle fut aussi mère de dix enfants, que Blanche de Castille gouverna le royaume pendant 25 ans. ..

    Jeanne d'Arc entraînant le peuple de France, les armées et les grands Seigneurs, pourtant si rudes en ces temps.. .L'éducation des enfants était affaire de famille et on vivait souvent nombreux sous le toit d'une maison, il n'était pas alors question de se débarrasser d'eux... On aurait même pas imaginé envoyer des vieux dans des mouroirs, dont les chambres aux murs si blanc ne résonnent plus aux rythmes de la vie passée... Nous pourrions indéfiniment citer des exemples de femmes illustres qui marquèrent leur époque, malheureusement souvent inconnues de nos manuels d'histoire. Sous l'Ancien Régime, les rapports humains avaient beaucoup plus d'importance que dans notre monde matérialiste. Le peuple bénéficiait de privilèges comme les nobles.Rappelons à la mémoire, les dames de la Halle qui pouvaient rencontrer le roi ou ses ministres n'importe quand. A la Saint-Louis la représentante était embrassé par le roi. L'enfant royal est malade et elles accourent à son chevet pour le couvrir de baisers et d'affections, une naissance et voilà les fêtes et festins où l'on banquète tous ensemble. L'histoire continua ainsi, Henri IV était leur compère et compagnon, Louis XV sera leur "Bien-aimé".

    En 1725, au mariage du prince, elles accoururent au devant du couple royal, devant une foule en liesse, car les évènements royaux étaient vécus comme des fêtes de famille, à la reine, Marie Leszczynska "Madame, j'apportons nos plus belles truffes à Votre Majesté. Mangez-en beaucoup et faites-en manger au roi ; cela est fort bon pour la génération.Nous vous souhaitons une bonne santé et j'espérons que vous nous rendrez tous heureux.".. Bref la Monarchie populaire tant les rapports sont familiers et cela jusqu'à la Révolution. Les reines étaient couronnées comme les rois et possédaient aussi le pouvoir pour seconder ceux-ci en cas d'absence comme les croisades ou divers autres raisons,comme la mort du roi. ..Nous sommes à des lieux de la représentation présidentielle ou ministérielle. Les charges étaient souvent assumées par les femmes lors d'une défaillance maritale, celles-ci se retrouvent donc gouverneurs de places fortes ou comme Madame de la Boulaye dont le mari est décédé, commandant d'un régiment de cavalerie.Richelieu lui accorde en 1627, une augmentation de 50 hommes pour la garnison de Fontenay-le-Comte. Comment imaginer L'Eglise oubliant le sacrifice de ses Saintes au premier rang de ses martyrs (Geneviève,Blandine,Jeanne d'Arc Agnès,Cécile...). Que dit l'enseignement du Christ sur les femmes, a-t-on déjà oublié la Samaritaine et Marie Madeleine...

    ''L'amour courtois",véritable promotion de la femme et vivement encouragé par l'Eglise. Régine Pernoud dans: "Pour en finir avec le Moyen-Age" rappelle le culte de la Vierge Marie aux "temps médiévaux". Le pouvoir féodal détenu par des femmes dont certaines portaient la crosse des évêques pendant que d'autres dirigeaient la vie de paroisse ou de village. Imagine-t-on en plein Moyen-Age,un monastère double dirigé par une abbesse, Pétronille de Chemillé, âgée de 22 ans,époque pourtant noire suivant certains dires. ..Faudrait-il rappeler les consultations auprès du petit peuple pratiqués par Saint Louis, pour connaître les problèmes. Les règlements rapides de certains, évitant les attentes pénibles et la monstrueuse apathie administrative qui nous étouffe aujourd'hui. Devons nous rappeler le droit de vote qu'elles exerçaient dans les réunions locales, sans compter les nombreuses professions qui leur étaient accessibles ...En 1095, les hommes ne pouvaient partir en croisade qu'après avoir consulté leur épouse. On retrouve les votes des femmes aux Etats Généraux de Tours en 1308. L'enseignement de Rousseau sera d'un tout autre registre et la Révolution ne sera pas tendre avec les femmes.Celui-ci écrira d'elles : "La femme est faite pour obéir, elle doit apprendre de bonne heure à souffrir, même l'injustice, et à supporter les torts d'un mari sans se plaindre ...Après tout,où est la nécessité qu'une fille sache lire et écrire de bonne heure ? Il y en a bien peu qui ne fassent plus d'abus que d'usage de cette fatale science."(Emile)
    Notre République vit sous les enseignements de ce "Grand ancêtre"... Napoléon, fils de la Révolution continuera le chemin en écrivant : "La femme est la propriété du mari, comme l'arbre à fruit est la propriété du jardinier..." faudrait-il développer les incessants combats des catholiques sociaux essayant, durant le XIXéme siècle de redonner un peu de justice dans le monde social ébranlé par la Révolution de 1789. Des milliards, fonds de prévoyance, d'apprentissages, embryons de "Sécurité sociale" et d'Allocations seront volés par les révolutionnaires aux organisations de métiers, tandis que les ouvriers, propriétaires de leur métiers deviendront, broyés par le capitalisme sauvage, des prolétaires au nom de la "Liberté, l'Egalité et la Fraternité "...Des nantis. Imperturbables les défenseurs de la justice réclameront des conditions humaines de travail, l'interdiction des travaux de force durant la nuit pour les femmes, l'abaissement du nombre d'heures de travail, l'interdiction du travail pour les moins de treize ans...

    On trouve bien dans la phrase prononcée, la réelle envergure d'un ancien ministre lançant de telles inepties,sans vérifier ses dires,devant l'air hébété de ses pairs incultes approuvant en applaudissant. On comprend alors et on ressent de graves frissons en voyant notre destin mené par de tels personnages. Comment cacher aux citoyens la vérité et qu'importe, le premier jet de la calomnie est lancé. On matraque les écoliers à coup de clichés soigneusement triés, dégagés de tout contexte historique et généralisés à souhait, toujours dans le but idéologique, permettant l'assombrissement d'une des périodes les plus riches de notre histoire.

    http://www.actionroyaliste.com

  • Nihilisme et parole Le point de vue de Claude Bourrinet

    « Dieu est mort ». Ce constat, dressé à la fin du XIXe siècle par Nietzsche, dépasse le cadre strictement religieux. Le philosophe du retournement des valeurs désirait qu’on tirât les conséquences d’une perte que l’on avait, par cécité ou pusillanimité, mis du temps à percevoir. Car Dieu, ce n’est pas seulement cet « étant » qu’on reniait, mais l’homme lui-même, du moins tout ce qu’on mettait derrière la notion d’homme, les valeurs morales et humanistes qui avaient drainé l’Europe depuis plus de deux mille ans, que le christianisme avait renforcé en les exacerbant et en leur apportant cette excitation qui naît d’une affectivité attisée, et qui, à l’avènement de l’industrie, de la science et de la technique, comme si toute substance signifiante avait été vidée du monde, paraissaient encore fonctionner, comme mues par l’énergie cinétique.
      Le XXe siècle a voulu combler l’abîme en outrant le discours des valeurs, en encourageant la prolifération du signe, soit par une hypertrophie fraternitaire, soit par un retour hyperbolique à l’ethos antique. Cette tentative de réenchantement du monde par l’idéologie, fille bâtarde du messianisme religieux, était dés lors vouée à subir, selon le mot de Hegel, « l’ironie » de l’Histoire. Toute réaction contre la décadence n’aboutissait qu’à son aggravation et à son expansion, tout discours sur l’authenticité ne contribuait qu’à légitimer les forces politiques vouées à la nier. En fait, cette inflation rhétorique, ostentatoire et viciée, accroissait encore davantage le désert et préparait activement le triomphe actuel de la technique et de la marchandise, qui médiatisent définitivement l’humain et le monde en les réifiant.
      Il n’est pas sans intérêt de noter que le nihilisme se traduit pour ainsi dire naturellement dans l’usage d’une langue abâtardie, technicisée à outrance, appauvrie par l’usage publicitaire, cybernétique et communicationnel, progressivement anglicisée par une sorte de sabir à vocation universelle, passe-partout, langue aussi insignifiante que le coca-cola et le blue-jeans, plus génératrice de réflexes conditionnés que de sensations raffinées et de délicatesses émotionnelles. Bref, la langue d’un on mondialisé, évaporé, décoloré, désodorisé, uniformisé et aliéné a miné toute singularité et toute saveur locale authentique. C’est avec cette langue sans domicile fixe que les hommes tentent de communiquer, et comme la pensée se fait dans la bouche, l’imaginaire, la réflexion, la sensibilité sont devenus ce que la télévision est, c’est-à-dire un champ de ruines. Le pathos sentimentaliste et l’avarice cynique y font bon ménage, pour la gloire sans éclat d’un narcissisme omniprésent, qui donne à n’importe quelle nullité la chance d’être une star mondiale durant quelques heures.
      Le nihilisme européen vient en fait de loin. Nietzsche en trouvait l’origine dans l’opposition platonicienne entre le monde des Idées et une matière ravalée au non-être. Le monde en était dévalué. Même si ce dualisme n’est pas si radical qu’il a pu apparaître dans l’histoire de la philosophie, notamment grâce à l’apport du néoplatonisme (et déjà Cicéron, dans l’orateur, retourne la conception platonicienne de la mimesis, entachée de moindre-être, pour affirmer la participation de la psyché humaine à l’Idée, laquelle devient modèle et visée pour l’artiste 1, il a été accentué quand des tendances ascétiques, confortées par le message christique (« Mon royaume n’est pas de ce monde ») et encouragées par la fascination manichéenne allaient exercer sur le christianisme une influence déterminante pour son évolution. Il justifia l’existence, dans la weltanschauung européenne, d’un arrière-monde disqualifiant non seulement l’univers du phénomène (comme si celui-ci prenait sa source dans une dimension originaire occulte, une espèce d’en-soi problématique), mais aussi orientant le télos de la vie vers un destin post-mortem, au-delà de la vie (« La vraie vie est ailleurs »).
      On sait que Nietzsche avait opposé à cet abandon délétère l’amour de cette vie, l’assentiment à sa force et à sa cruauté, ce que le philosophe intempestif nommait le fatum. Deviens ce que tu es…
      Le christianisme a contribué fortement à ce nettoyage mythique, que Weber nommait le « désenchantement du monde ». Marcel Gauchet, dans son ouvrage qui reprend cette expression pour titre, a décrit avec rigueur le processus historique qu’une « religion de sortie de la religion » a mis en branle, processus qui aboutit à une absence universelle de sens.
      Le langage étant, dans ses fondations, généré et entretenu par une expérience du monde, l’effondrement de ce dernier le vide de toute prétention à l'éclairer et à le commenter. Avec le mot qui se délite, qui s’évase, se liquéfie, s’effrite et ou se glace, c’est la pensée, les sensations, les émotions, la chose même qui se perdent ou se momifient.
      Ce n’est pas un hasard que le souci constant d’un penseur comme Heidegger a porté sur le langage, soit en déconstruisant la métaphysique, soit en tentant de créer une langue plus adéquate. L’oubli de l’Etre entraîne l’oubli du dire, et, inversement : Aucune chose ne soit, là où le mot faillit, dit Stefan George.
      L’une des manifestations les plus probantes de cet abandon du lien existentiel entre la Vie et l’expression a été sans doute l’évolution des sciences linguistiques au XXe siècle, tant à travers les travaux de Saussure que de ceux de Peirce, pour ne nommer que les plus connus des linguistes. La sémiologie ou la théorie de l’information, sur lesquelles repose une grande part des expérimentations du siècle dernier, notamment dans le domaine de la communication, sont fondées sur le concept d’arbitraire du signe. Non seulement une rupture radicale existe entre le signifiant et le signifié, ce qui autonomise le discours et, pour ainsi dire, le transforme en autant d’ « abolis bibelots », mais un abîme ontologique s’est creusé entre l’ « objet » (selon la terminologie de Peirce), et le signe (désigné comme la conjonction entre le signifiant et le signifié), entre lesquels il n’existe plus aucune sorte de corrélation. 3 Le monde, dès lors, ne se réfléchit plus que dans l’océan  langagier d’une tribu ballottée par sa propre gratuité.
      La parole étant donc devenue communication, c’est-à-dire simple instrument intersubjectif, la transmission entre l’émetteur et le destinataire est seule pertinente, notamment dans un contexte aussi utilitariste que celui de la rationalité techniciste et scientiste moderne. La littérature apparaît dès lors invalidée par rapport au message. L’expression courante faire passer un message insiste sur cet aspect fonctionnaliste et abstrait du langage. Dans l’économie de marché, la densité et la subtilité poétiques passent pour lourdeur et parasitisme : il faut être précis, réactif, rentable. D’autant plus que la littérature (et on rangera tout récit, historique, mythique etc. dans cette catégorie) a la fâcheuse propension à se nourrir de racines, d’identités, de terroirs complètement invalidés (sauf dans les versions frelatées des parcs d’attraction ou des films hollywoodiens) par l’uniformisation planétaire. La pénurie de langage, dans l’état de saturation informative actuelle, n’est plus ressentie comme telle. Le quantitatif oblitère la déficience qualitative, et la détresse est obligée de prendre d’autres circuits que celle d’une hypothétique contre-culture authentique, dont on voit bien que les contrefaçons appartiennent au dispositif de récupération mercantile.
      C’est ainsi que l’enseignement des langues, anciennes et modernes, a subi une évolution qui semble irrésistible : d’une part, on tend à supprimer celui du latin et du grec, pour des raisons qui semblent budgétaires, mais dont les fondements idéologiques sont clairs ; d’autre part, on cherche à rabattre celui des langues modernes sur le seul anglais de communication, dont on nous explique qu’il est désormais irremplaçable, et qu’il doit devenir notre « langue maternelle ». Du moment que le monde entier parle la langue des Anglo-saxons, apprendre d’autres langues est une perte de temps et d’énergie. Time is money.
      L’inadéquation entre le Dire et l’Exister a provoqué, quand le nihilisme est devenu flagrant, une réaction qui s’est surtout manifestée dans le champ poétique.
      A-t-on assez songé que le projet rimbaldien d’alchimie du Verbe, tentative avortée de transformation radicale de la vie par l’entreprise du langage et par le dérèglement raisonné de tous les sens, témoignait bien davantage de l’absence d’une langue capable de mener jusqu’au bout cette ambition, que de l’échec d’un homme ? Et cette fuite loin de la côte armoricaine, hors d’une Europe au langage amputé, n’est-elle pas l’aveu nihiliste de l’ « homme aux semelles de vent », quand bien même il se serait résigné à étreindre  la réalité rugueuse ? Dans Matin, il confesse : Je ne sais plus parler !
      Pour saisir la profondeur de son naufrage, il est nécessaire d’évaluer la situation de Rimbaud, en pleine Révolution industrielle, au cœur d’un siècle matérialiste, scientiste, positiviste, progressiste, égalitariste et colonialiste, ce qu’il y avait d’intempestif, au sens littéral et nietzschéen, et d’évidemment désespéré, pour revenir à ce que le poète nomme « la poésie grecque », poésie oraculaire, magique, voyante, dont le veuvage d’avec le sacré n’a jamais été irrémédiablement consommé, ni chez Théocrite, ni chez Virgile, ni chez Nerval, encore moins chez Baudelaire, (Baudelaire ! « le premier voyant, roi des poètes, un vrai Dieu » !), préservant ainsi un fil précieux entre l’âge de fer et l’âge d’or. Ce rêve fracassé, dont témoigne encore l’essai mallarméen de créer une langue sacerdotale, ésotérique et hermétique, à la sortie du Romantisme, devait susciter l’un des débats les plus passionnés sur la langue poétique et ses significations existentielles.
      Pourquoi un tel dessein s’est-il perdu dans le labyrinthe des combats d’avant-garde et n’a-t-il jamais débordé, malgré la volonté messianique des surréalistes, les bornes des maisons d’édition et des cercles d’initiés ? Pourquoi la langue poétique n’a-t-elle jamais trouvé sa place dans la société contemporaine, balançant entre la perte orgiastique d’un Artaud et l’abolition  mallarméenne ? Entre le trop plein et le vide ? Entre le Dire et le Silence ?
    Langue des origines et poiêsis
      Le langage nous traverse. Dans la mesure où la langue est le dépôt le plus intime que la communauté nous a transmis, elle est en nous ce qu’il y a de plus proche et de plus lointain. Elle fonde une partie importante de notre être, car sa dynamique structurante modèle le fonds à partir duquel on peut sentir, s’émouvoir, penser. Le monde prend corps avec les mots, et ceux-ci sont les fruits d’une histoire riche et complexe. Dans chaque mot, dans chaque lien syntaxique gît une sédimentation que l’expérience historique d’une longue série de générations a accumulée. C’est pourquoi l’adoption d’une langue étrangère constitue un dépaysement existentiel radical, comme l’a bien montré Cioran, au point que l’on peut évoquer à ce propos d’exil ou de nouvelle patrie.
      Cependant cette solution langagière risque de n’engendrer, en précipitant, qu’une liqueur sans saveur ni couleur si ne s’y mélange l’ingrédient majeur d’une pensée personnelle. De même, comme les mots s’usent et suscitent, par l’usage collectif qui en atténue la force, l’oubli de leur sens originel, le risque est grand de sombrer dans le magma du on : ça parle en moi au lieu de je parle. Le langage n’est plus parlant. La pensée, quelle que soit l’acception qu’on lui donne, doit se présenter comme une lutte contre la matière du langage, soit pour rendre l’expression adéquate avec l’objet visé, soit pour faire surgir à la lumière ce dernier par une violence créatrice qui apparente la quête de sens à la poésie.
      Pourtant, la pensée philosophique a toujours prétendu à l’impersonnalité, à la distance par rapport à la subjectivité du penseur. Les Grecs mettaient derrière le terme noûs le rationnel, le spirituel. Cette emprise de la Raison, faculté du sujet transcendantal, s’est vue confortée à l’époque moderne par le triomphe du kantisme, qui a posé les bases épistémologique d’une science rigoureuse. A priori, donc, un engagement personnel dans l’exercice de la pensée invalide les résultats de celle-ci.
      Or, Hans-Georg Gadamer 5 rappelle que la pensée est appelée par Heidegger Andenken. Et, fait-il remarquer, cet emploi fait allusion « au terme d’Andacht », qui signifie « office religieux », « dans la mesure où l’expérience religieuse reste sans doute encore plus proche du caractère immémorial de l’être que la pensée de la métaphysique ».
      C’est bien ce qui distingue la philosophie européenne de l’Etre de celle, plus centrée sur la logique, du « cercle de Vienne » aux Anglo-saxons, qui se méfient de tout ce qui est nimbé d’un halo pour eux « romantique », de « mystique ».
      Aussi s’agit-il de réévaluer la notion de « subjectivité ». La pensée ne se réalise pas toute seule. Elle construit, par sa visée, par l’angoisse qui l’a rendue possible, par le souci de l’être qu’elle suppose, une situation par rapport au monde, qui trouve son analogie dans les relations qu’entretient l’Homme avec la Nature ou avec lui-même, relations qui peuvent être techniques, scientifiques, indifférentes ou pieuses. Le préjugé positiviste n’est pas tenable car les catégories de subjectivité et d’objectivité sont dépassées. Toute pensée est pensée des racines. Elle cherche à mettre au jour l’être du « monde », c’est-à-dire de ce qui nous constitue en tant qu’être. Elle n’est pas pure tautologie, mais son rôle se traduit par une tentative de dévoilement d’une vérité (non de LA vérité), d’alêthéia (qui découvre et couvre à la fois). Elle a donc une portée éminemment pragmatique, dans le sens où les lueurs qu’elle suscite nous invitent à devenir ce que l’on est, en pleine lumière.
         La situation de Heidegger par rapport au langage s’apparente à une expérience apophatique. Mettant à la question la tradition métaphysique, il se voit contraint de rejeter tout un langage piégé, dont le signifié est implicite et conditionne non seulement la pensée, mais la chose même. Pour se tirer de cette aporie, il est obligé de faire violence à la langue naturelle, donnant un sens nouveau aux termes les plus familiers. Il s’agit ni plus ni moins, comme l’explique Gadamer, de « rendre le spirituel de façon saisissable » en « [extrayant] des mines du langage les minerais les plus inusités, faisant éclater le roc ainsi mis au jour, qui en perd complètement son contour habituel, pour se mouvoir dans sa recherche et son exploration, dans un monde de pierres éclatées ».
      Pour ce faire, Heidegger a puisé dans la langue allemande, celle de Maître Eckhart, celle de la Bible de Luther, de même que dans les dialectes, une matière pleine de ressources. Il a questionné aussi de manière serrée et impitoyable la tradition philosophique et théologique latine en remontant aux origines grecques. Ces sondages au plus profond de la langue hellénique ouvraient des perspectives insolites, comme l’analyse qu’il a faite du terme ousia, que Cicéron traduit par essentia, et dont il montre tout ce qu’il doit à l’univers singulier du paysan grec, car ousia désigne à proprement parler le domaine, la propriété agricole, ce qui compte le plus dans l’existence d’un homme de la terre.
      On pourrait trouver maints cas de ces enquêtes philologiques et étymologiques (sans compter l’utilisation détournée ou « naïve » de mots, dont il utilise un sens second pour interroger autrement l’objet de la réflexion, comme c’est le cas par exemple du verbe « appeler » dans l’expression « Qu’appelle-t-on penser ? ». Ce qui rapproche aussi son langage du langage poétique est l’utilisation de métaphores qui offrent un sens évocateur à des concepts logiques et ontologiques (par exemple clairière – Lichtung -, conciliation – Austrag -, événement – Ereignis – etc.). La rencontre entre langage philosophique et langage poétique a été encouragée, comme on le sait, par sa découverte émerveillée de la poésie de Hölderlin en 1936.
      « Le commencement (arkhê) est comme un dieu qui, aussi longtemps qu’il séjourne parmi les hommes, sauve toutes choses. » (Platon, Lois, 775 e.) Arkhê, c’est le commencement, mais c’est aussi l’origine, ce qui fonde. On sait que Tite-Live avait intitulé son immense recherche sur Rome, dont il ne nous reste que quelques livres, Ab Urbe Condita, « Depuis la fondation de la Ville ». Autrement dit « Recherche sur les origines de Rome ». 9 Le trait de génie était, par une logique pour ainsi dire métapolitique, de fusionner intimement l’Histoire proprement dite de Rome avec les plus anciens mythes indo-européens. Nous savons en effet, depuis les travaux de George Dumézil, que le génie romain a consisté à historiser les structures archétypales du substrat  propre à des peuples aussi différents que les Aryens indiens, les anciens Perses, les Grecs, les Celtes, les Germains et d’autres ethnies qui ont en commun le même legs proto-historique. Aussi tout coup de sonde dans le passé se résout-il, pour un peuple qui vit un destin historial à re-fonder son être-au-monde, sa légitimité aux yeux des dieux et des hommes.
      C’est pour avoir oublié cet être, avoir choisi un autre temps, avoir choisi un autre dieu, que Rome a disparu.
      Il se trouve que nos racines mythiques ont été occultées en partie par une nouvelle mythologie, une théologie issue de l’Orient sémite, et qu’il n’en a subsisté que des bribes plus ou moins travesties au fond de la mémoire populaire et dans ses traductions « folkloriques », de même que dans la fable humanistique. Il en va de même de l’immense patrimoine philosophique gréco-latin. Tout ce patrimoine a disparu, ou est sur le point de le faire, ou bien est de moins en moins accessible.

  • 21 février 1804 Naissance du chemin de fer

    Un train à vapeur circule pour la première fois au monde le 21 février 1804, à Pen-y-Darren, une région minière du pays de Galles, près de Merthyr Tydfil.

    La locomotive a été conçue par l'ingénieur des mines Richard Trevithick, passionné par la motorisation à vapeur. Elle tracte ce jour-là dix tonnes de fer et 60 personnes montées sur cinq wagons, effectuant 16 km en 4 heures et 5 minutes.

    Parmi quelques autres réalisations de Richard Trevithick, la locomotive «Catch me who can» (M'attrape qui peut) finira à Londres, dans un manège.

    Les mines donnent naissance au chemin de fer

    L'idée de faire circuler des charges lourdes sur des rails remonte sinon à la nuit des temps du moins aux premières exploitations minières.

    Dès l'époque médiévale, en Europe, ces exploitants s'aperçoivent en effet que les charrettes de produits lourds rencontrent moins de résistance au frottement lorsqu'elles roulent sur des rails. Ces rails improvisés sont d'abord en bois et les véhicules eux-mêmes sont tirés par des chevaux.

    Avec le développement de la métallurgie, on remplace peu à peu les rails en bois par des rails en fer, ce qui améliore encore de beaucoup les performances de la traction.

    Au pays de Galles, où les fonderies ont des produits lourds à transporter, le transport sur voie ferrée apparaît très tôt comme la solution idoine. Reste le problème de la traction : doit-on se limiter à des chariots tirés par des chevaux ?

    L'invention de la machine à vapeur par James Watt en 1776 et les premiers engins mus par la vapeur, comme le fardier de Cugnot, laissent espérer des solutions plus performantes.

    Samuel Homfray, propriétaire des fonderies de Penydaren, met au défi son ami ingénieur Richard Trevithick de construire un engin capable de tracter dix tonnes.

    C'est ainsi qu'il conçoit la première locomotive à vapeur, avec une chaudière montée sur chariot ; la vapeur sous pression actionne un piston, lequel fait tourner un grand volant extérieur.

    Richard Trevithick, toutefois, néglige d'exploiter son savoir-faire. Inventeur dans l'âme, il abandonne à d'autres le passage du ferroviaire à la phase industrielle.

    Le chemin de fer acquiert droit de cité

    Différents artisans se lancent dans la traction ferroviaire, pour les besoins de la sidérurgie et des mines.

    En 1825 est inaugurée la ligne Stockton & Darlington, dans les Midlands. Il s'agit de la transposition à l'air libre d'un chemin de fer minier, avec ses chevaux et ses machines à vapeur fixes qui tirent les wagonnets. Outre le transport du charbon, elle s'accommode du transport de voyageurs.

    Cette ligne très rustique est un lieu d'expérimentation capital avant la décision de construire une première ligne ferroviaire commerciale entre Liverpool et Manchester.

    Pour ce projet capital, les autorités locales organisent un concours, avec une récompense de 500 livres sterling, afin de sélectionner un constructeur capable de faire rouler sur rails un engin de moins de 6 tonnes à la vitesse de 16 km/h. Les concurrents doivent se prêter à une démonstration sur un circuit, à Rainhill, dans les Midlands. Le concours s'étale sur une semaine et attire des curieux de toute l'Angleterre.

    Parmi les concurrents, la «Sans Pareil» de Timothy Hackmorth atteint la vitesse de 30km/h. Son concepteur est un ingénieur qui travaille sur la ligne du Stockton & Darlington. Il prend sur ses nuits pour construire la machine dans les ateliers de la ligne. Malheureusement, le jour du concours, il joue de malchance et essuie de nombreuses pannes, réussissant tout de même à tracter 19 tonnes sur 36 km à la vitesse de 22 km/h.

    C'est finalement Georges Stephenson et son fils Robert qui remportent la récompense avec leur locomotive, «The Rocket» (la «Fusée»), plus performante et ingénieuse, avec des astuces techniques empruntées à la «Sans Pareil».

    Elle prend l'apparence que l'on connaît depuis lors aux locomotives à vapeur, avec une chaudière horizontale, un foyer à l'arrière et une cheminée à l'avant. Sa chaudière tubulaire multiplie par quatre la production de vapeur par rapport aux simples chaudières. Un «tender» contenant l'eau et le charbon est attelé à l'arrière de la locomotive. D'un poids d'à peine plus de 4 tonnes, elle roule jusqu'à 56 km/h. C'est le premier record du monde de vitesse.

    Georges Stephenson fournit donc les premières locomotives de la ligne commerciale Liverpool-Manchester, laquelle fait chuter de moitié le prix des marchandises lourdes vendues à Manchester. La ligne s'avère très rentable pour les actionnaires de la compagnie. Le succès est tel que bientôt, Stephenson n'arrive plus à fournir.

    Le chemin de fer, source de profit sans pareille

    En 1835, c'est à une locomotive fournie par les établissements Sharp & Roberts que revient la gloire de franchir la barre des 100 km/h. La nouvelle fait sensation et commence à inquiéter les professionnels du transport (diligences, coches d'eau etc).

    Dans les années qui vont suivre, ils ne vont avoir de cesse de multiplier les obstacles à la construction de lignes, voire de saboter les chantiers, en Angleterre comme ailleurs.

    Mais rien n'y fait. Il faut dire qu'en dépit d'investissements importants, les promoteurs du chemin de fer réalisent des profits colossaux, jusqu'à 50% par an, tant dans le transport de marchandises que dans celui de voyageurs. Les investisseurs et les épargnants se laissent griser par ce secteur aux allures d'eldorado.

    Déjà la technologie ferroviaire franchit la Manche et atteint le Continent. Des lignes à usage minier ou de démonstration sont réalisées en Belgique et en France.

    Les Belges inaugurent une première ligne pour le transport des voyageurs entre Bruxelles et Malines, le 5 mai 1835

    La même année, le 7 décembre 1837, en Allemagne, une première ligne de 6,4 km est ouverte entre Nuremberg et la ville voisine de Führt, au nord de la Bavière.

    En France, une première voie ferrée a été ouverte en 1827 pour le transport des marchandises, entre Saint-Étienne et Andrézieux (18 km), deux villes du bassin industriel et minier de la Loire. Elle a été étendue aux voyageurs en 1832. Puis est ouverte en 1835 la ligne Saint-Étienne-Lyon (57 km), pour le transport de marchandises lourdes et de produits sidérurgiques.

    Le 24 août 1837, en avance de quelques mois sur le roi Louis 1er de Bavière, la reine Marie-Émilie, épouse de Louise-Philippe 1er, inaugure la première ligne française dédiée au transport de voyageurs. Cette ligne relie Paris à Le Pecq (18 km). Elle est dix ans plus tard prolongée jusqu'à Saint-Germain-en-Laye, de l'autre côté de la Seine. 

    En 1842, sur la ligne Paris-Versailles se produit le premier drame ferroviaire de l'Histoire : 55 morts. Malgré son caractère spectaculaire et inédit, il ne remet pas en cause la confiance des banquiers et de l'opinion publique dans ce nouveau mode de transport.

    En 1848, à la veille de faire sa révolution industrielle, la France compte déjà près de 2000 km de voies ferrées. En 1860, l'Allemagne en a quant à elle 11.000.

    Bibliographie

    Il n'y a pas beaucoup de livres en français sur la naissance du chemin de fer. On peut retenir un bel album aux Éditions Atlas : Les trains de légende (2000).

  • R. Steucker : Mes rencontres avec Marc. Eemans

    Archives de "Synergies Européennes" - 1998

    C’est Daniel Cologne, collaborateur des revues Défense de l’Occident et Totalité, qui m’a mis en contact avec Marc. Eemans. C’était en 1978. Daniel Cologne revenait voir ses parents  — dont je n’oublierai jamais l’immense gentillesse ni le sourire de sa maman —  à Bruxelles régulièrement, car il travaillait entre Genève et Paris. Lors de ces visites, il me donnait souvent rendez-vous pour discuter de Julius Evola et de tout ce qui tournait autour de son œuvre, de la Tradition et de René Guénon. Ce jour-là, il était enchanté d’avoir pris contact avec l’un des derniers représentants du surréalisme historique qui s’intéressait également à Julius Evola. Je ne percevais pas encore très bien quel pouvait être le rapport entre le mouvement Dada et les surréalistes de Breton (dont je n’avais lu, à l’époque, que L’anthologie de l’humour noir), d’une part, et l’univers traditionnel auquel Evola nous avait initiés, d’autre part. Cologne m’a annoncé, ce jour-là, que Marc. Eemans exposait ses œuvres dans une galerie de la Chaussée de Charleroi, à Saint-Gilles-lez-Bruxelles. Avec l’enthousiasme juvénile, sans hésiter, j’ai sauté dans le premier tramway pour rencontrer Eemans. Il était assis au fond de la galerie, devant un bureau de taille impressionnante, et feuilletait un magazine, le nez chaussé de ses lunettes à grosses montures noires. Il m’a reçu chaleureusement, enchanté de découvrir qu’Evola avait encore de très jeunes adeptes, y compris à Bruxelles. Je me suis empressé de lui dire que je n’étais pas le seul, que je lui ferai rencontrer mes copains, surtout le regretté Alain Derriks, passionné de traditionalisme (et de bien d’autres choses de l’esprit). Jef Vercauteren, qui avait tenté quelques années auparavant de lancer des cercles évoliens en Flandre, avait malheureusement disparu dans un accident d’automobile en 1973, tout comme Adriano Romualdi, le jeune disciple politisé d’Evola, mort la même année en Italie, dans des circonstances analogues. Eemans pensait enfin réaliser le vœu de Jef Vercauteren, travailler après lui à promouvoir en Flandre et aux Pays-Bas le corpus légué par Evola.
    Cette rencontre dans la galerie de la Chaussée de Charleroi est donc à l’origine du lancement de la section belge du Centro Studi Evoliani, appelation qu’Eemans avait reprise de l’initiative parallèle de Renato del Ponte, l’homme qui avait transporté les cendres du Maître sur le sommet du Monte Rosa, selon ses dispositions testamentaires, et dirigeait la revue Arthos. Cette rencontre est aussi à l’origine des longues conversations à bâtons rompus que j’ai eues avec Eemans pendant plusieurs années.
    Le «Centro Studi Evoliani»
    Grâce à la générosité et l’enthousiasme de Salvatore Verde, haut fonctionnaire de la CECA en poste aux Communautés Européennes, le Cercle Evola de Bruxelles a pu démarrer et organiser régulièrement des réunions privées où l’on discutait surtout des derniers numéros de Totalité parus, des initiatives de Georges Gondinet (son bref essai La nouvelle contestation  a eu un grand retentissement dans notre petit groupe), de Philippe Baillet et de Daniel Cologne en France et en Suisse. Parfois nous sortions du cadre strictement évolien, notamment quand, pendant une après-midi entière, nous avons évoqué la figure de Martin Heidegger, dont la revue Hermès, fondée avant-guerre par Marc. Eemans (j’y reviens !), avait publié les premiers textes traduits en français. A l’époque, Alain Derriks (1954-1987), moi-même et quelques autres amis potassions essentiellement Les écrits politiques de Heidegger  de Jean-Michel Palmier (L’Herne, 1969). Au cours de cette réunion, j’ai été très impressionné par une amie germaniste de Marc. Eemans qui nous a admirablement lu, avec une diction superbe et poignante, le discours qu’avait rédigé le philosophe de la Forêt Noire sur la figure du martyr politique le plus célèbre de l’Allemagne de Weimar : Albert-Leo Schlageter.
    Une autre fois, dans un salon privé de la rue de Spa, j’ai présenté maladroitement un texte de Nouvelle école sur la notion d’empire, dû à la plume de Giorgio Locchi. A cette occasion, j’ai rencontré Pierre Hubermont, ancien écrivain prolétarien de sensibilité communiste, détenteur en 1928 du Prix de la littérature prolétarienne, directeur de la revue La Wallonie  et animateur principal des Cercles Culturels Wallons (CCW) pendant la seconde guerre mondiale, sans jamais avoir renié ses idéaux communistes et prolétariens de fraternité internationale. Pierre Hubermont était presque nonagénaire en 1978-79 : il m’a prodigué des conseils avec la patience d’un grand-père affable, a renforcé en moi la conscience impériale, seule garantie de paix en Europe. Au-delà de la barrière des années et des expériences, souvent insurmontable, nous étions d’accord, lui, l’octogénaire avancé, mûri par les revers mais indompté, et moi, le jeune freluquet qui venait à peine de franchir le cap de ses vingt ans. L’effondrement du Saint-Empire, surtout après 1648, a ouvert la boîte de Pandore en Europe, ce qui nous a menés aux boucheries de 14-18 et à l’enfer de la deuxième guerre mondiale. Deux choses chez Pierre Hubermont m’ont également frappé ce jour-là et sont restées gravées dans ma mémoire : une diction et un verbe choisis, une précision de langage dépourvue de froideur, où l’enthousiasme était intact, malgré les adversités de la vie qui ne l’avaient pas épargné.
    On le voit : des commentaires sur l’aventure éditoriale de Totalité  et des péripéties du mouvement évolien en Italie (avec Romualdi, Freda et Mutti) aux exposés sur Pareto, Heidegger, Wirth, Guénon, Dumézil, Eliade, Coomaraswamy et aux souvenirs de l’époque surréaliste, le Cercle Evola a été une bonne école, une école d’éveil sans contrainte. Les plus jeunes assistants — après les séances et dans une autre salle où nous fumions de longs cigares cubains et buvions soit du whisky sec soit du vin rouge, parfois jusqu’à une franche ébriété —  se passionnaient bien évidemment pour La désintégration du système de Freda et pour toutes les formes qu’avait prises la quête de l’inflexible “Capitaine” de Padoue à l’époque : exploration des écrits de Celse et de l’Empereur Julien (que les Chrétiens nomment “L’Apostat”), de Porphyre (ses Discours contre les Chrétiens), de Sallustius (Sur les dieux et sur le monde), etc. Mutti a un jour avoué sa surprise à Baillet : qui pouvaient donc être cette équipe de Bruxellois qui commandaient jusqu’à cinq exemplaires de chaque livre du catalogue de ses éditions… ?

    Des conversations à bâtons rompus…
    Entre ces réunions, je rendais souvent visite à Eemans, qui n’habitait pas loin de l’école de traducteurs-interprètes où j’étais inscrit. Nos conversations, comme je viens de le dire, étaient à bâtons rompus, presque toujours autour d’un solide verre de Duvel, trouble et mousseuse, pétillante et traîtresse (la potion magique des Brabançons) : Marc. Eemans me parlait souvent d’Elsa Darciel (comme il en parle dans “Soliloque d’un desperado non nervalien”, cf. infra). Elsa Darciel était une amie chorégraphe de notre peintre. Elle avait connu le dissident politique américain Francis Parker Yockey lors de ses quelques passages à Bruxelles, avant qu’il ne meure mystérieusement dans une prison du FBI en 1961. Eemans évoquait aussi les philologues germanistes wagnérisants qui avaient marqué ses années d’athénée à Termonde (E. Soens et J. Jacobs, Handboek voor Germaansche Godenleer, Gand, 1901) et éveillé ses goûts pour les mythes et les légendes les plus anciennes. Plus tard, cet engouement s’exprimera dans les colonnes de l’édition néerlandaise de Hamer, où l’empreinte d’un autre grand spécialiste de l’antiquité germanique s’est fait sentir, celle de Jan De Vries.
    Marc. Eemans était une source intarissable d’anecdotes, de potins, d’histoires drôles, forçant son interlocuteur à voir le monde des arts et des lettres par le petit bout de la lorgnette. Il ne cessait de se moquer des travers et des vanités des uns et des autres, se montrant par là foncièrement brueghelien et brabançon (bien qu’il soit originaire de Flandre orientale). Les sots s’insurgent souvent devant un tel franc parler. Justement parce qu’ils sont sots. Pour moi, cette absence totale d’indulgence devant le spectacle des vanités humaines a été la grande leçon de Marc. Eemans. Tant le petit monde du surréalisme d’avant-guerre que celui de la collaboration ou celui des cénacles culturels de l’après-guerre n’échappaient à ses moqueries. Un leitmotiv  revenait toutefois sans cesse : les Pays-Bas (Nord et Sud confondus) ont une spécificité ; cette spécificité s’exprime par les arts plastiques, par les avant-gardes et les audaces qui s’y manifestent. Pour lui, ni le Paris des intellectuels à la mode ni l’Allemagne nationale-socialiste, avec son obsession de l’“art dégénéré”, n’avaient le droit de s’ingérer dans la libre expression de ces arts donc de cette spécificité. Eemans, même dans les coulisses de la collaboration intellectuelle, est resté, sans compromis, un avocat de l’art libre. Une position libertaire intransigeante et inconditionnelle qu’oublient aujourd’hui beaucoup de donneurs de leçons, de moralistes à la petite semaine, de fonctionnaires subsidiés de la culture (avec carte de parti et affiliation au syndicat).

    La revue «Hermès»
    Lors de ces conversations, immanquablement, nous avons un jour évoqué la revue Hermès, qu’il avait fondée avec René Baert dans les années 30. Il m’en a montré des exemplaires, les derniers en sa possession. Un petit tas de revues, ô combien émouvant et précieux. Je me rappelle de les avoir feuilletées avec dévotion : sur les couvertures apparaissaient les noms de Henry Corbin, de Karl Jaspers, de Martin Heidegger, de Henri Michaux, de Bernard Groethuysen, etc. Marc. Eemans avait été leur éditeur. Il avait œuvré au sommet le plus vertigineux de la culture européenne de ce siècle et une inquisition barbare l’avait chassé de cet olympe. Il en avait la nostalgie. On le comprend.
    Hermès est une ouverture sur la dimension mystique de la pensée européenne (et non-européenne). Bien avant Jacques Derrida, qui nous demande aujourd’hui, au nom du multiculturalisme, de nous ouvrir à l’Autre en explorant les traditions métaphysiques et philosophiques non-occidentales et la mystique (notamment arabe et juive), Eemans et Baert avaient clairement indiqué cette voie, au moins trente ans avant lui. Plus tard, Henri Michaux, lui aussi, membre de cette rédaction bruxelloise, évoquera ses “ailleurs”, bouddhistes ou taoïstes (et non pas seulement des “ailleurs” issus de l’expérimentation de toutes sortes de stupéfiants, mescaline et autres).
    L’intérêt de Marc. Eemans pour Evola provient de cette quête et de cette ouverture qu’il fut l’un des premiers à pratiquer dans notre pays. En compulsant chez lui les exemplaires d’Hermès, qu’il me montrait, j’ai eu la puce à l’oreille et je n’ai plus jamais cessé de considérer cette piste comme essentielle. Déjà, en première candidature de philologie germanique aux Facultés universitaires Saint-Louis de Bruxelles, en 1974-75, j’avais eu l’audace de lier Héraclite, Goethe et Eliade, dans une exploration multidirectionnelle du mythe du feu, de la notion de l’éternel retour et du défi prométhéen. Je ne renie rien de cette ébauche de jeune étudiant, certes fort immature, mais néanmoins correcte dans son intention, corroborée a posteriori par des lectures plus savantes et plus attentives. Cette percée philosophique, plus acceptante et joyeuse que critique et rigoureuse, en direction de l’univers immense de l’extra-philosophicité avait déplu à la vieille fille lugubre et sinistre, décharnée et hagarde, qui pontifiait et pontifie encore et toujours dans cet établissement d’enseignement. Quelques jours avant la rédaction de ces lignes d’hommage à Eemans, un de ses étudiants me mimait ses grimaces coutumières, me paraphrasait ses tics langagiers ; en vingt-cinq ans, rien n’a changé : la pauvresse répète les mêmes bouts de phrases, prononce les mêmes salmigondis, n’a toujours pas écrit d’articles bien charpentés pour expliciter ses positions. Quel gâchis et quelle tragédie ! Elle devrait relire les textes de Nietzsche sur la sclérose des établissements d’enseignement : bonne thérapie du miroir. Outre l’ouverture à Hermès et la leçon d’Eemans, ponctuée de moqueries bien senties, deux livres m’ont aidé à poursuivre ces recherches, tout à la fois philosophiques et extra-philosophiques, toujours dans l’esprit d’Hermès : celui de l’Indien G. Srinivasan, The Existentialist Concepts and the Hindu Philosophical Systems (acheté à Londres en 1979 dans une librairie de la Gt. Russell Street, à un jet de pierre du British Museum) et celui de l’Américain John D. Caputo, The Mystical Element in Heidegger’s Thought, acquis à Bruxelles dix ans plus tard.

    «Fedeli d’Amore» et «Lumières victoriales»
    Corbin, collaborateur d’Hermès,  a exploré le mysticisme soufi et iranien pendant toute sa vie. Ses recherches ont certainement suscité quelques idées-forces chez Marc. Eemans. Corbin a étudié l’œuvre d’Ahmad Ghazâli, centrée autour de la notion de “pur amour”. Celle-ci a été reprise en Occident par Dante et ses Fedeli d’Amore, philosophes non abstraits, en route dans le monde, sous la conduite de l’Intelligence en personne (la “Madonna Intelligenza”). L’Amour qui compénétre tout, qui meut l’univers a toujours été une constante dans la pensée de Marc. Eemans, sans qu’il ait jamais négligé les amours plus charnels. “Nous étions de terribles hétéros”, déclarait-il, dans un entretien de 1990 accordé à Ivan Heylen, journaliste flamand de Panorama. Les “Platoniciens de Perse” avaient ouvert la pensée iranienne islamisée à la sagesse de l’ancien Iran avestique, retournant ainsi aux sources pré-islamiques et pré-chrétiennes de notre culture indo-européenne. Avec Sohrawardî, la pensée iranienne avait redécouvert la “haute doctrine de la Lumière”, une théosophie que l’on qualifie d’“orientale” par opposition à l’avicennisme occidental, devenu impasse de la pensée. Sohrawardî critiquait les péripatéticiens (disciples d’Avicenne) parce qu’ils limitaient les Intelligences, les êtres de lumière au nombre de dix (ou de 55) et s’appuyaient uniquement sur le raisonnement discursif et l’argumentation logique. C’est là une clôture qu’il convient de faire éclater, pour accepter la multitude de “ces êtres de lumière que contemplèrent Hermès et Platon, et ces irradiations célestes, source de la Lumière de Gloire et de la Souveraineté de Lumière (Ray wa Khorreh) dont Zarathoustra fut l’annonciateur”. Corbin parle à ce niveau d’une philosophie qui postule vision intérieure et expérience mystique, orientale (où l’“Orient” indique la voie et signifie concrètement l’ancienne Perse avestique). La vision intérieure permet à l’homme de capter ces “splendeurs aurorales”, expression du Flamboiement primordial, de la Lumière de Gloire (Xvarnah pour les Zoroastriens, Khorreh pour les Perses et Farr/Farreh  pour la forme parsie actuelle), cette énergie “qui cohère l’être de chaque être, son Feu vital, ses Lumières “victoriales”, archangéliques et michaëliennes (Michel étant l’Angelus Victor)”.
    Ce détour par Corbin (cf. Histoire de la philosophie islamique, Gallimard, 1964) explique le passage graduel qu’ont effectué Eemans (et Evola) en partant du dadaïsme et/ou du surréalisme pour aboutir aux Traditions, mais explique aussi l’engagement ultérieur d’Eemans et de Baert aux côtés du “Feu vital” qu’ils ont cru percevoir dans les nouvelles idéologies des années 30 en général et dans le national-socialisme en particulier (ses dimensions wagnériennes et ses “cathédrales de lumière”). Cette “vision aurorale” des Platoniciens persans, qui s’est identifiée chez nos deux intellectuels bruxellois au Reich du swastika de feu (dixit Montherlant dans Le solstice de juin), s’est terminée tragiquement pour Baert ; elle a laissé beaucoup de désillusions et d’amertume dans le cœur de Marc. Eemans. Dommage qu’il n’ait jamais parlé ni sans doute entendu parler de l’Ordre fondé par Corbin, le “Cercle Eranos” qui a duré jusqu’en 1988 et qui se voulait une “milice de vérité”, un “Temple”, une chevalerie zoroastrienne, où l’on retrouvait également Mircea Eliade... Corbin disait : «Eranos n’était possible qu’en un temps de détresse comme le nôtre… En un temps où toute vérité authentique est menacée par les forces de l’impersonnel, où l’individu abdique son devoir de différer devant la collectivité anonyme, où pour celle-ci l’individualité même signifierait culpabilité, nous aurons été du moins l’organe d’un monde qui depuis la “descente des Fravartis sur Terre” n’a pas succombé aux forces démoniaques, et nous aurons contribué à la traditio lampadis, parce que ce monde impérissable aura été notre passion…». Le Prof. Gilbert Durand, qui confesse avoir été actif dans les “rencontres d’Eranos” ajoute : Renversement radical du monde de détresse au profit de l’appel secret et permanent qu’est cet “envers des ténèbres”. Eemans a-t-il eu connaissance de ce “Cercle Eranos” ? Il ne m’en a jamais parlé mais c’eût peut-être été un havre pour lui, un espace de consolation dans l’adversité…
    Feu d’Héraclite, étincelle de Maître Eckhart, énergie de Schiller, élan vital de Bergson, lumière de la tradition ouranienne chez Evola, voilà autant de signes de la vitalité et de l’intensité impérissable des grands élans de la Tradition. C’est à ce monde-là qu’appartenait Eemans, c’est de ce monde-là qu’il avait la nostalgie, c’est de sa disparition qu’il souffrait, dans l’épaisseur sans relief du monde quotidien. Dans la recherche triviale mais nécessaire du pain quotidien  — sa hantise, sa cangue, il ne cessait de le répéter —, il sentait cruellement la blessure de l’exil. Un exil vécu dans sa propre patrie, gouvernée par des cuistres et devenue sourde à l’appel de tout Feu vital.
    Bon nombre de souvenirs se bousculent encore dans ma tête : son intervention vigoureuse pour clore le bec d’un médiocre et grossier contradicteur de Jean Varenne lors d’une conférence du GRECE-Bruxelles ; la rencontre avec Paul Bieh­ler, exégète d’Evola ; sa présence lors de la conférence de Philippe Baillet à la tribune d’EROE, chez le regretté Jean van der Taelen ; la soirée mémorable chez lui, après un séminaire du GRECE-Bruxelles sur la Sociologie de la révolution de Jules Monnerot (aussi un ancien du surréalisme), où son épouse Monique Crokaert m’a remis son recueil de poèmes, Sulfure d’Alcyone (d’où je tiens à extraire ces quelques vers :
    «Il fait soleil dans mon cœur.
    Je donne, je redonne, j’ai tout donné
    A celui qui m’aime et me vénère.
    Je l’ai quitté pour un temps d’évanescence.
    Je m’en veux.
    Mes pas sont des tendresses qui deviennent délires.
    J’aspire à sentir l’effluence de celui que j’aime»).
    Boisfort, Termonde, Saint-Hubert

    Ensuite, il y a eu les vernissages et les hommages officiels, celui de Boisfort en 1982 dans la superbe Chapelle de Boondael, pour le 75ième anniversaire d’Eemans, avec un discours de Jean-Louis Depierris et un autre de Jo Gérard, en la présence de l’inoubliable “Alidor”, alias “Jam”, dans le civil Paul Jamain, le caricaturiste le plus drôle et le plus féroce du XXième siècle en Belgique, le compagnon de Hergé avant-guerre, disparu en 1994, laissant orpheline toute la presse satirique du royaume. Ce jour-là, Alidor a été un formidable boute-en-train. L’hommage de sa ville natale, Termonde (Dendermonde) en 1992, pour son 85ième anniversaire, a été particulièrement chaleureux. Les drapeaux des XVII Provinces claquaient au vent, suspendus aux mats de l’hôtel de ville, dans un superbe jeu de couleurs chatoyantes. Eemans avait également organisé en 1992 une rétrospective Saint-Pol Roux (1861-1940) à Saint-Hubert dans les Ardennes. Le symbolisme de Saint-Pol Roux et sa volonté de représenter une réalité idéelle, son style sombre, fait de métaphores imagées à la façon du surréalisme, étaient autant d’éléments qui fascinaient Eemans. Il avait réussi à attirer vers cette manifestation des spécialistes français, britanniques et allemands de cet auteur né en Provence et mort en Bretagne. A 85 ans, Eemans était toujours sur la brèche, sur le front de la vraie culture, tandis que la culturelle officielle vaquait à ses vraies bassesses.

    Le dernier voyage
    J’ai appris le décès de Marc. Eemans en revenant de notre dernière université d’été à Trente au Tyrol et de celle qu’avait organisée Jean Mabire en Normandie, trois jours plus tard ; quelques instants aussi après avoir appris la disparition de Maurice Bardèche, également âgé de 91 ans. Mabire m’a dit à mon retour de son université d’été qu’il avait reçu la dernière lettre d’Eemans, un jour après sa mort. Preuve simple, et sublime dans sa simplicité, que la lucidité et la fidélité n’ont jamais quitté notre surréaliste réprouvé, qu’il tenait son courrier à jour, soucieux de semer et de semer encore, même en terre aride, jusqu’à son dernier souffle. Il a tenu parole. Là, dans ce qui n’est qu’apparemment un détail, est son ultime grandeur. Une semaine ou deux après mon retour de Normandie, son épouse Monique m’a averti personnellement, m’a dit qu’il nous avait définitivement quittés et elle m’a aussi annoncé que Marc avait souhaité la dispersion de ses cendres dans les eaux de l’Escaut ou de la Mer du Nord. Finalement, l’autorisation a été donnée de procéder à cette cérémonie peu fréquente, au large d’Ostende. Le rendez-vous fut fixé au 25 septembre 1998. Une cinquantaine d’artistes, d’amis et d’admirateurs ont pris place à bord d’un bateau, pour accompagner Marc. Eemans dans son dernier voyage. La mer et le ciel étaient merveilleux, ce jour-là, tout en tons pastel, un bleu-gris avec scintillements argentés pour les flots, un bleu d’une douceur caressante pour le ciel. Les cendres de Marc se sont écoulées vers la mer, frôlant la coque de bois du vieux bateau de pêcheurs, requis pour cette mission funéraire. Deux bouquets ont été lancés à l’eau l’un par les mains tordues de chagrin de son épouse et l’autre par un ami, plus ferme mais aussi très ému. Un autre ami a entonné le «J’avais un Camarade», avec la forte voix et l’inébranlable conviction qu’on lui connaît depuis toujours.  Le bateau a tourné deux fois autour des bouquets, lentement, exécutant deux vastes mouvements de circonférence, permettant à chacun de se recueillir, avec toute la sérénité qu’il convenait, avec cette Gelassenheit  que nous a enseignée Heidegger. Une très belle cérémonie. Inoubliable.
    Robert Steuckers  http://robertsteuckers.blogspot.com/

  • Conférence du Cercle Non Conforme et de Solidarité Identité (30/03/13)

    Conférence du Cercle Non Conforme et de Solidarité Identité (30/03/13)
    Venez soutenir la prochaine mission de Solidarité Identité auprès des Boers d'Afrique du sud!
    Le Cercle Non Conforme et Solidarité Identité organisent une soirée événement de soutien aux Boers d'Afrique du sud.
    Xavier Eman, journaliste (Novopress, Radio Courtoisie, Elements...), membre de Casapound Italia, trésorier de l'association Solidarité Identités, viendra présenter son association qui intervient auprès de nombreux peuples en lutte à travers le monde pour leur survie (Serbes du Kosovo, Karen de Birmanie, Boers d'Afrique du sud, ...).
    Ruben Rosiers, militant solidariste flamand, responsable du projet de Solidarité Identité pour l'Afrique du sud, présentera plus précisément la mission auprès des Boers.
    Au terme de cette conférence, DJ Nederfolk animera une soirée totalement non-conforme.
    boer4.JPG
    La conférence aura lieu à la frontière franco-belge le 30 mars 2013 et démarrera à 18h00. La soirée débutera à 20h00.
    Le lieu sera communiqué par mail 24 heures avant la conférence aux personnes qui en auront fait la demande à l'adresse suivante: reservation.cnc@gmail.com (France) ou stopboergenocide@hotmail.com (Belgique/België).
    Le prix d’entrée est fixé à 6€. Vous trouverez sur place des stands et de quoi vous restaurer.

  • L’Odyssée, un grand moment de la culture européenne [vidéos intégrales]

    PARIS (NOVOpress via Belle et Rebelle A voir absolument : L’Odyssée de Franco Rossi, la plus fidèle adaptation filmée que nous connaissions de cette œuvre ! Que vous soyez passionné ou pas de mythologie grecque, certains ouvrages sont indispensables à la culture de tout européen qui se respecte. C’est le cas des poèmes épiques l’Iliade et l’Odyssée, vraisemblablement composés par Homère au VIIIe siècle avant notre ère, constituant ainsi la littérature la plus ancienne qui nous soit parvenue.

    L’adaptation de Franco Rossi n’existe pas en DVD en français, mais un passionné a fait le montage en français et la mis en visualisation sur Internet.

    Indémodables, ces chefs-d’œuvre sont une source d’inspiration constante depuis des siècles, notamment aujourd’hui pour les producteurs de cinéma… Si certains se permettent beaucoup de libertés quant à l’interprétation d’œuvres originales (Hollywood ne pouvant s’empêcher de tout passer au filtre moderne de la vision manichéenne du monde ou de faire passer des messages subliminaux au travers de menus détails), il existe parfois des petites perles dans l’océan des productions.

    C’est le cas d’une mini-série créée en 1968 par Franco Rossi, l’Odyssée, qui est aujourd’hui la plus fidèle adaptation que nous connaissions de l’œuvre éponyme. Première grande co-production européenne en couleurs pour la télévision (elle a réuni l’Italie, l’Allemagne, la France mais aussi la Yougoslavie), elle est constituée de 4 épisodes d’1h30 environ qui séduira les plus jeunes (à partir du CM2) comme les plus grands. Bien que cette série n’ait pas encore eu la chance d’être éditée en DVD en français, elle est visible sur Internet (YouTube) depuis juillet 2012 grâce à certains passionnés qui n’hésitent pas à partager gratuitement le fruit de leur travail sur la toile. En l’occurrence, un grand merci à “Francheval” qui a fait lui-même le montage entre la bande-son française et l’image remasterisée du DVD italien, il y a quatre ans. C’était laborieux, mais pour lui, la série en valait la peine.

    Rappel du synopsis :

    Succédant à l’Iliade qui raconte la fin tragique de Troie, l’Odyssée est le récit des aventures d’Ulysse, en grec Odysseus, roi d’Ithaque, qui, maudit par la fureur de Poséidon, sera balloté par les flots près de dix ans avant de retrouver sa terre natale, son épouse Pénélope et son fils Télémaque (ces dix ans d’absence s’ajoutent aux dix ans de durée de la guerre de Troie). Aidé par Athéna, le héros aux mille ruses affrontera toutes les épreuves qui se dresseront sur son chemin, faisant face à la peur, à la faiblesse de ses compagnons, à leur bêtise, à la lâcheté et à la veulerie des prétendants qui déshonorent sa femme et sa maison, et tant d’autres maux qui l’éloignent de sa patrie… Des Lotophages aux odieux prétendants, retrouvez toutes les rencontres qui ont forgé le destin unique d’un simple mortel devenu héros à force de courage et de volonté…

    Malgré l’absence dans l’œuvre de Franco Rossi de l’épisode concernant Charybde et Scylla, et quelques détails obsolètes qui feront sourire le spectateur d’aujourd’hui, l’ensemble est harmonieux et ne manquera pas de marquer en images la mémoire de nos chères têtes blondes.

    Bon visionnage !

    Sophie P http://fr.novopress.info

    * Les vidéos peuvent être vues en plein écran, bouton en bas le plus à droite. Mettre alors de préférence la meilleure qualité, 480p (1er bouton à droite), mais cela peut ralentir le téléchargement aux heures de grand trafic.

    http://fr.novopress.info

  • Notes sur la Contre-Révolution “blanche” en Russie

    « Tout finira pas disparaître – souffrances, passions, sang, famine et la mort en masse. L'épée disparaîtra, mais les étoiles brilleront encore quand il ne restera même plus une ombre de nos corps et de nos actes sur la Terre. Pas un homme ne l'ignore. Alors pourquoi ne voulons-nous pas diriger nos regards vers cela ? Pourquoi ? » (Mikhaïl Boulgakov, La Garde Blanche, Moscou, 1923/24)
    L'histoire est généralement écrite par les vainqueurs. Les vaincus des affrontements historiques restent nuets, parce qu'ils ont été annihilés et, même, quand, plus tard, ils finissent par prendre la parole ou par écrire, on ne prête plus attention à eux. C'est le sort qui a été infligé au “mouvement blanc” ou à la “contre-révolution blanche” en Russie, qui a tenté, au cours des années de guerre civile, de la fin de 1917 jusqu'à octobre 1920, de s'opposer à la prise du pouvoir par les communistes (les bolcheviques).

    Les Blancs avaient réussi à enregistrer d'étonnants succès militaires et à lancer des offensives qui ne se sont enlisées qu'à proximité de Moscou ou de Petrograd. Sous le commandement d'officiers de l'Armée du Tsar, les troupes blanches, composées de volontaires anti-bolcheviques, se sont regroupées, après le coup de force de Lénine, en plusieurs groupes d'armées : ceux du Nord-Ouest sous les ordres du Général Youdenitch, ceux de Sibérie sous l'Amiral Koltchak et ceux du Sud, sous les ordres du Général Dénikine d'abord, puis après son échec et sa démission, sous le Général Wrangel.

    C'était au départ de petites unités, peu nombreuses — par ex. l'armée des volontaires du Sud ne comptait pas plus de 3.000 hommes en février 1918, mais ses rangs se sont étoffés progressivement jusqu'en 1919, pour monter à plusieurs centaines de milliers d'hommes — mais elles ne se sont pas recrutées, comme l'affirment péremptoirement les légendes de la gauche, dans les rangs des “réactionnaires et des grands propriétaires terriens”.

    Dans son roman Le Docteur Jivago, Boris Pasternak décrit l'attaque d'une unité blanche contre des partisans bolcheviques, chez qui Pasternak, médecin, avait été contraint de servir. Qui étaient ces Blancs ? Jivago dit reconnaître dans les visages des attaquants les traits des hommes de sa propre caste sociale :

    « C'était, pour la plupart, des garçons et de jeunes hommes issus de la bourgeoisie de la capitale, flanqués de quelques hommes plus âgés, qui avaient été enrôlés à titre de réservistes. Mais le gros de la troupe était composé de jeunes, d'étudiants, qui n'avaient derrière eux qu'un seul semestre à l'université, ou de lycéens de la 8ième classe qui venaient tout juste de se porter volontaires. Le Docteur (Jivago) n'en connaissait aucun ; mais leurs visages lui paraissaient familiers, comme s'il les avait déjà vu auparavant. Beaucoup lui rappelaient d'anciens camarades de classe... Il croyait déjà en avoir rencontré d'autres au théâtre ou en déambulant dans les rues. Il se sentait apparentés à leurs visages impressionnants, sympathiques. Leur jeunesse et leur haute idée du devoir avaient fait naître en eux un profond enthousiasme, ce qui les avait conduit à l'héroïsme, au mépris du danger. Ils fonçaient en avant, en ordre de bataille, droits et fiers, plus intrépides que les officiers de la Garde ; ils se riaient du danger et ne cherchaient pas à l'éviter en courant plus vite. Le docteur était sans arme, couché dans l'herbe, et observait le déroulement du combat. Il était de cœur aux côtés de ces jeunes gens qui marchaient vers la mort en héros. Presque tous appartenaient à des familles spirituellement proches de lui. Ils avaient été éduqués comme lui, ils étaient proches de lui par leur attitude éthique... ».

    Si Pasternak, dans ce passage, dresse un monument aux classes moyennes russes, comme contrepoids au bolchevisme, d'autres témoins contemporains confirment ses sentiments. Un officier, qui a participé à la guerre civile en servant sous les ordres de l'Amiral Koltchak, écrivit, bien des années plus tard, que l'officier de l'armée impériale russe était « psychologiquement plus proche des simples paysans-soldats que les intellectuels socialistes ou communistes » (cf. Fedotoff-White, The Growth of the Red Army).

    La plupart des chefs militaires de la contre-révolution blanche venaient de milieux socialement très modestes. Le Général Anton Ivanovitch Dénikine — Commandant-en-chef de l'armée des volontaires dans le Sud de la Russie —  était issu d'une famille de serfs. Son père, non libre à sa naissance, était devenu, après la libération des paysans, officier subalterne. Dénikine insistait toujours pour dire qu'il était devenu général de l'armée impériale russe par ses propres efforts et non pas par naissance, fortune ou relations. Il est intéressant de noter que Dénikine n'était pas un monarchiste acharné. Il ne tolérait pas la propagande monarchiste dans ses troupes et utilisait plutôt la formule de “la Grande Russie, unie et indivisible”, qu'il s'agissait d'arracher aux griffes des bolcheviques.

    Tout comme Dénikine, l'Amiral Koltchak était un officier de métier sans fortune, et aussi un explorateur polaire bien connu à son époque ; il sera trahi par les légionnaires tchèques de l'ancienne armée du Tsar et livré aux communistes qui l'exécuteront. Le seul baron parmi les chefs militaires blancs était le Général Piotr Nikolaïevitch Wrangel, mais il n'avait pas non plus de fortune personnelle. Son père était directeur d'une compagnie d'assurances à Rostov sur le Don. Sa famille ne possédait qu'une propriété foncière très modeste. Au départ, Wrangel aurait dû devenir ingénieur des mines. Il a changé ses plans et opté pour la carrière d'officier.

    Notre objectif, dans cet article, n'est pas de relater les exploits militaires, les victoires et les défaites des Blancs. La critique du mouvement blanc a été déjà maintes fois formulée : les chefs de l'armée blanche, souligne-t-on souvent, étaient trop “impolitiques” et ne comprenaient pas la dimension idéologique de leur combat contre les communistes. Les Blancs opéraient depuis la périphérie contre le centre, fermement aux mains des bolcheviques et de Lénine. Les actions des Blancs étaient insuffisamment coordonnées voire manquaient totalement de coordination. L'orientation “grande-russe” du mouvement blanc suscita des conflits avec les mouvements anticommunistes non russes visant l'indépendance des nations périphériques du Caucase, de l'Asie centrale et des Pays Baltes.

    Quoi qu'il en soit, on peut poser la question aujourd'hui, après tant de décennies, après que les acteurs de l'époque soient tous descendu dans la tombe : une victoire blanche sur les Rouges dans la Russie d'alors aurait-elle préservé l'humanité d'une succession de souffrances inutiles ? Les Russes et les ressortissants des autres nations tombées ultérieurement sous la coupe des Soviétiques auraient-ils échappé au goulag ? Il est même fort probable que bon nombre de communistes, massacrés pendant les grandes purges de Staline, épurés, auraient plutôt survécu sous un régime blanc, non communiste, que sous l'emprise de leur propre idéologie.

    Les communistes et les historiographes de gauche évoquent souvent la “terreur blanche”, qui aurait fait rage pendant la guerre civile. Indubitablement, des excès ont été commis dans les deux camps, chez les Blancs comme chez les Rouges : c'est le lot de toutes les guerres civiles. Mais la terreur, au départ, n'a pas été déclenchée par les Blancs, qui ne possédaient pas d'instruments de terreur, à l'instar de la Tcheka, créée par Lénine, c'est-à-dire la “Commission extraordinaire pour la lutte contre la contre-révolution”, qui a précédé la GPU, le NKVD et le KGB. Beaucoup d'officiers blancs étaient choqués par l'extension de l'anarchie, de la brutalité, par la multiplication exponentielle des assassinats pendant la guerre civile russe. Ainsi, l'un des principaux commandeurs des troupes blanches, le Colonel Drosdovski, écrivit le 25 mars 1918 dans son journal :

    « Comme les hommes sont détestables quand ils ont peur, ils sont alors sans la moindre dignité, sans style, ils deviennent vraiment un peuple de canailles qui ne mérite plus que le mépris : ils sont sans vergogne, sans pitié, ils méprisent scandaleusement ceux qui sont sans défense ; dans les prisons, ils ne connaissent plus de retenue dans leur déchaînement et leur méchanceté, mais devant les plus forts, ils sont lâches, serviles, rampants... ».

    La Crimée, dernier bastion

    Après l'échec de toutes les tentatives blanches de marcher sur Moscou, les forces anticommunistes n'avaient plus qu'un dernier refuge au début de 1920 : la Crimée, presqu'île de la Mer Noire. C'est justement dans ce dernier bastion, dans cette “Île de Crimée”, qu'on a pu observer l'ébauche d'une alternative russe au communisme totalitaire. Homme de droite, le Général Baron Wrangel, qui prit le commandement en Crimée après la défaite et la retraite des troupes blanches, a montré qu'il n'était pas seulement un chef d'armée capable, mais aussi un chef politique. C'est lui qui a dit qu'il fallait « mener une politique de droite avec une main de gauche ». Wrangel déclara que « la Russie ne pouvait plus être libérée par l'effet d'une campagne victorieuse des Blancs et par la prise de Moscou, mais par l'organisation politique d'une parcelle — même modeste — de terre russe où régnerait un ordre, offrant des conditions de vie telles qu'elles séduiraient les hommes croupissant sous le joug des Rouges ».

    Caractéristique de la position politique de ce général blanc est l'appel qu'il a lancé en juin 1920 et qui mérite d'être cité in extenso :

    « Écoute, ô peuple de Russie ! Pourquoi combattons-nous ? Pour la foi qu'on nous a souillée et pour les autels que l'on nous a profanés. Pour la libération du peuple russe du joug des communistes, des vagabonds et des criminels qui ont complètement ruiné la Sainte Russie. Pour la fin de la guerre civile. Pour que les paysans, qui ont acquis la terre qu'ils cultivent de leurs mains, puissent poursuivre leur travail en paix. Pour que le travailleur honnête ne doive pas végéter misérablement au soir de sa vie. Pour qu'une vraie liberté et une vraie justice puissent régner en Russie. Pour que le peuple russe puisse choisir lui-même, par élection, son souverain. Aide-moi, ô peuple russe, à sauver la patrie ! ».

    Mis à part le terme “souverain”, qui pourrait être mésinterprété, un “souverain” que le peuple russe serait appelé à élire, nous avons affaire ici à un programme qui respecte les critères de l'État de droit, mais dans une optique conservatrice. Mais la formule de “souverain” prend une autre connotation quand on la découvre dans le texte original russe : en effet, ce texte utilise l'expression de “khosyaïn” qui, traduit, signifie aussi “maître de maison”, “hôte” et “chef naturel”. Wrangel a souligné à maintes reprises qu'il ne s'envisageait nullement comme le “khosyaïn” de la future Russie. Le Général blanc a formulé ce qu'il envisageait comme forme étatique pour la future Russie non communiste :

    « De l'autre côté du front, au Nord, règnent l'arbitraire, l'oppression, l'esclavage. On peut être d'avis différent quant à l'opportunité de telle ou de telle forme d'Etat. On peut être un républicain, un socialiste ou même un marxiste extrême et considéré malgré tout que la dite “république des soviets” est l'exemple parfait d'un despotisme calamiteux, qui n'a encore jamais existé dans l'histoire et sous le knout duquel non seulement la Russie mais aussi la nouvelle classe soi-disant au pouvoir, le prolétariat, va périr. Car cette classe, elle aussi, comme tout le reste de la population, a été mise au tapis ».

    Cette analyse du Général Wrangel date de 1920 mais, après 70 ans, elle reste étonnamment pertinente et actuelle. Wrangel a dit, dans le programme alternatif qu'il opposait au bolchevisme :

    « Bien-être et liberté pour le peuple ; introduction des sains principes de l'ordre civil dans la vie russe, c'est-à-dire de principes étrangers à la haine entre classes ou entre nationalités ; union de toutes les forces de la Russie et poursuite du combat militaire et idéologique jusqu'au moment tant attendu où le peuple russe pourra décider lui-même comment la Russie devra dans l'avenir être gérée ».

    Le Général a évoqué “l'ordre minimal” qu'il voulait instaurer dans les territoires qu'il viendrait à contrôler, « afin que le peuple, s'il le souhaite, puisse s'assembler librement et dire sa volonté en toute liberté ». À quoi le commandeur blanc ajoutait : « Mes préférences personnelles n'ont aucune importance. Au moment où j'ai pris le pouvoir entre les mains, j'ai mis à l'arrière-plan mes affinités personnelles à l'endroit de telle ou telle forme étatique. Je m'inclinerai sans condition devant la voix de la Terre russe ».

    Face au monarchiste V. Choulguine, Wrangel énonçait les objectifs de sa politique : il voulait, disait-il, sur le territoire de la Crimée, « sur ce petit bout de terre, rendre la vie possible... En un mot, (...) montrer au reste de la Russie : vous avez là le communisme, c'est-à-dire la faim et la police secrète, et, ici, chez nous, vous avez une réforme agraire, nous avons introduit l'administration locale autonome (la semstvo), nous avons créé l'ordre et rendu la liberté possible... Je dois gagner du temps, afin que tous le sachent et voient que l'on peut vivre en Crimée. Alors il sera possible d'aller de l'avant... Alors les gouvernements que nous prendront aux bolcheviques deviendront pour nous une source de puissance... ».

    L'héritage de Stolypine

    Dans sa réforme agraire et dans la concrétisation de l'administration autonome, le Général Wrangel s'est inspiré du grand réformateur conservateur de l'époque du Tsar, le Premier Ministre Piotr Arcadéëvitch Stolypine, victime en 1911 à Kiev d'un attentat perpétré par un révolutionnaire, qui était aussi au service de l'Okhrana, la police secrète du régime tsariste. L'un des plus proches conseillers politiques de Wrangel venait de l'entourage immédiat de Stolypine, c'était Alexandre Vassiliévitch Krivochéine, mort en 1921. Krivochéine était d'origine paysanne. Son grand-père l'était. Son père était devenu Lieutenant-Colonel dans l'armée. Sous Stolypine, Krivochéine s'était penché sur les problèmes de la réforme agraire. Il voulait surtout renforcer économiquement et socialement les positions des paysans russes libres, aisés et industrieux. Dans un certain sens, Wrangel a poursuivi les réformes de Stolypine en Crimée. L'objectif de Stolypine, avant sa mort violente en 1911, avait été de couper l'herbe sous les pieds des révolutionnaires en pratiquant une politique de la propriété intelligente et modérée et en créant une caste moyenne solide composée de paysans.

    struve10.jpgLe deuxième conseiller important de Wrangel, qui fut de facto son “ministre des affaires étrangères”, était Piotr Berngardovitch Struve. Au départ, Struve était marxiste, mais redevint plus tard orthodoxe, ce qui contribua à faire de lui un conservateur et un nationaliste russe éclairé. Struve a défendu la cause de Wrangel et celle de la “Crimée blanche” auprès des alliés occidentaux, les Britanniques et les Français, que devaient évidemment solliciter les “forces combattantes de Russie méridionale”. Mais les négociations avec les Français et les Britanniques ont été décourageantes et humiliantes pour les Blancs : Paris posait des conditions pour accorder son aide militaire et pour livrer des vivres, notamment essayait d'obtenir de Wrangel qu'il promette de rembourser les dettes que l'Empire russe avait contractées auprès de la France. Les Britanniques en avaient assez de la guerre civile russe dès 1919. Ils menaçaient Wrangel de mettre un terme à toutes leurs aides et d'abandonner les Russes anti-communistes à leur sort, si l'armée blanche osait lancer une offensive contre les Soviétiques.

    Beaucoup d'officiers de l'armée blanche soupçonnaient alors les puissances occidentales, et surtout les Britanniques, de n'avoir pas d'autre intérêt que de laisser les Russes s'entretuer dans une longue guerre fratricide et de ne pas vouloir accorder aux Blancs une aide substantielle, car, disaient-ils, l'Occident ne voulait pas d'un régime fort non communiste en Russie.

    Dans les premiers jours de novembre 1920, les Rouges attaquèrent avec des forces nettement supérieures en nombre l'ultime bastion “Crimée”. Wrangel, à ce moment-là, venait encore de se rendre utile à l'Occident ingrat : pendant la guerre polono-soviétique, il a mobilisé en face de lui des troupes rouges si bien qu'en été 1920, l'armée rouge, aux portes de Varsovie, fut contrainte, faute d'effectifs suffisants, à reculer et à se replier, lors du fameux “miracle de la Vistule”.

    Après la fin de la guerre polono-soviétique, le gouvernement de Lénine lança immédiatement toutes les forces rouges disponibles contre la Crimée. La percée soviétique à travers l'isthme de Perekop décida du sort de Wrangel et des Blancs : toutefois, le dernier des commandeurs blancs réussit encore à sauver 145.693 personnes, soldats et civils, en les embarquant sur des navires qui mirent le cap sur Constantinople. C'est ainsi que commença la première grande émigration russe. Dans une dernière allocution prononcée sur le sol russe devant des élèves-officiers, Wrangel déclara le 1er novembre 1920 à Sébastopol :

    « Abandonnée par le monde entier, notre armée exsangue quitte la patrie, après avoir combattu non pas seulement pour notre cause russe, mais pour la cause du monde entier. Nous partons pour l'étranger, non pas comme des mendiants qui tendent la main, mais avec la tête haute, conscients d'avoir accompli notre devoir jusqu'au bout ».

    Dans un entretien accordé au journal Velikaïa Rossiya (La Grande Russie), qui paraissait sur le “territoire libre”, Wrangel avait déclaré le 5 juillet 1920 :

    « L'histoire honorera un jour le sacrifice et les efforts des hommes et des femmes russes en Crimée, car, dans la solitude la plus complète, sur le dernier lambeau libre de la Terre russe, ils ont combattu pour le bonheur de l'humanité et pour les lointains bastions de la culture européenne. La cause de l'armée russe de Crimée, c'est de se constituer en un grand mouvement de libération. Nous combattons une guerre sainte pour la liberté et pour le droit ».

    Et, à l'époque, Wrangel fut prophétique : tant qu'il n'y aura pas en Russie une « véritable puissance étatique », de quelque orientation que ce soit, une puissance reposant sur « l'aspiration pluriséculaire de l'humanité à vivre sous une loi, à bénéficier de droits personnels et de propriété [et sur] le respect des obligations internationales », il n'y aura pas de véritable paix en Europe.

    Émigré en Yougoslavie, Wrangel est mort en 1928. Son corps fut enseveli dans la petite église russe de Belgrade. Quand les communistes prennent le pouvoir en Yougoslavie, la pierre tombale et l'inscription sont recouvertes d'un tableau.

    ► Carl Gustav Ströhm, 1989. (article tiré de Criticón n°115, sept.-oct. 1989)

    http://www.archiveseroe.eu

  • [Perpignan] Conférence "L’Action française : un combat toujours d’actualité"

    La section de Perpignan nous présente sa nouvelle conférence.

    La conférence aura lieu le samedi 02 mars 2013 à 18h30, à l’hôtel des II Mas, 1 rue Madeleine Brèsse, 60330 Cabestany et aura pour thème :

    "L’Action française : un combat toujours d’actualité"

    Par Stéphane Blanchonnet, Enseignant et président du comité directeur de l’Action française.

    La conférence sera suivi d’un diner, au restaurant "Le patio" de l’hôtel des II Mas, à 20h00.

    La participation est de 30€, à l’ordre de M.Baux

    Inscription et renseignement :

    Mme Françoise Baux

    8 rue Jean d’Orbais

    04 68 66 76 06

    roussillon@actionfrancaise.net

    http://www.actionfrancaise.net