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culture et histoire - Page 1924

  • Soral, de Marx à Maurras

    La publication des Chroniques d'avant-guerre confirme le talent de pamphlétaire d'Alain Soral. Ce recueil réunit des chroniques publiées, deux ans durant, dans la revue Flash, le « journal gentil et intelligent » créé par des dissidents du Parti communiste et de National Hebdo.
    J'ai juré de vous émouvoir, d'amitié ou de colère, qu'importe ! Cette formule de Bernanos, Alain Soral aurait pu la mettre en exergue de chacune de ses œuvres. Aucun de ses essais ne peut en effet laisser indifférent le lecteur de bonne volonté et tous ont contribué, d'une manière ou d'une autre, à entretenir la grande peur des bien-pensants ! La publication récente chez Blanche et Kontre-Kulture, sous le titre de Chroniques d’avant-guerre, d'un recueil de ses articles parus dans le bimensuel Flash entre 2008 et 2011, ne fait pas exception à la règle. On y retrouve avec plaisir son talent de pamphlétaire, son flair de sociologue de terrain, son aisance à manier le concept, à faire bouger les lignes et à prendre le réel dans les mailles d'une dialectique qui n'hésite pas à s'inspirer des traditions intellectuelles les plus diverses.
    La forme brève
    La forme brève qui est ici imposée par le genre du recueil d'articles n'est pas dépaysante pour le lecteur familier de Soral dont les ouvrages, même les plus construits, comme le roboratif Comprendre l'Empire, paru en 2011, se présentent généralement sous la forme d'une succession de textes brefs qui épuisent en quelque sorte leur sujet à la manière du boxeur enchaînant les directs, les crochets et les uppercuts pour mettre KO son adversaire. La spécificité de ces Chroniques d'avant-guerre n'est donc pas à proprement parler la forme mais plutôt la composition générale. Là où des ouvrages comme Sociologie du dragueur ou Comprendre l'Empire (qui de l'aveu de l'auteur aurait pu s'intituler Sociologie de la domination) rassemblent les textes courts dont ils sont composés dans une progression logique en sept ou huit parties, les Chroniques d'avant-guerre progressent, elles, au fil de l'actualité des deux années et quelques mois de collaboration d'Alain Soral à Flash. Si l'impression de cohérence est moindre que dans Comprendre l'Empire, on prend un réel plaisir à revivre les événements grands ou petits de cette période. Le fait d'être parfois en désaccord avec l'auteur sur telle analyse de circonstance ou de ne pas épouser tous ses goûts et dégoûts ne nuit en rien à ce plaisir. Alain Soral a d'ailleurs lui-même l'honnêteté de montrer ses propres évolutions sur des sujets comme les printemps arabes ou sur des personnalités comme Jean-Luc Mélenchon ou Éric Zemmour. Sur ce dernier, nous appelons pour notre part de nos vœux une réconciliation entre les deux talentueux essayistes et polémistes. Sur le fond, et au-delà du cas particulier des Chroniques davant-guerre, le principal intérêt de la lecture d'Alain Soral réside dans sa capacité à produire des axes à la fois politiques et stratégiques toujours cohérents, souvent audacieux, à travers lesquels il va pouvoir donner une intelligibilité aux événements.
    Gauche et droite
    Le premier de ces axes est bien résumé par le slogan de son association Égalité et Réconciliation : « gauche du travail, droite des valeurs ». À la manière de Christopher Lasch, de Jean-Claude Michéa, et à la suite de son maître en marxisme Michel Clousclard, Soral dénonce la collusion entre les libéraux et les libertaires, entre la droite et la gauche du capital comme dirait cet autre marxiste original qu'est Francis Cousin ; la gauche sociétale, soixante-huitarde, en fait libérale, ne faisant que s'acharner à détruire les reliquats de la société pré-capitaliste (« mettre une claque à sa grand-mère » selon l'expression de Marx) au nom d'un progressisme qu'elle partage avec la droite libérale, la droite des affaires, la droite du commerce ; la fonction objective de cette gauche étant de briser les moyens de résister au système que sont les solidarités traditionnelles comme la famille, la communauté, la nation. L'acharnement actuel du PS et des Verts à liquider le mariage civil en est une bonne illustration. Face à cette alliance des deux rives du libéralisme, Soral appelle à une unité militante de la gauche réellement sociale et de la droite contre-révolutionnaire. De Marx à Maurras en quelque sorte. Rappelons au passage que ce dernier écrivait qu'« un socialisme libéré de ses éléments démocratiques et cosmopolites peut aller au nationalisme comme un gant bien fait à une belle main ». Le second axe soralien est une ligne de crête un peu comparable à celle sur laquelle s'était installé Maurras entre 1940 et 1944 quand il critiquait à la fois le camp des "Ya" et le camp des "Yes". Elle consiste aujourd'hui à dénoncer la politique d'immigration voulue par le patronat et les libéraux de gauche comme de droite, autant d'un point de vue marxiste (l'armée de réserve du capital, la pression à la baisse sur les salaires, la destruction de l'esprit de solidarité et de lutte du prolétariat autochtone) que du point de vue de la défense de l'identité nationale, tout en refusant absolument toute forme d'islamophobie, et même en tendant la main aux musulmans. La thèse de Soral et de son mouvement est la suivante : il y a beaucoup de musulmans en France, une bonne partie d'entre eux a la nationalité française. Il est dans l'intérêt des Français de souche de s'entendre avec la partie la plus saine de cette population. Pour cela, il faut combattre énergiquement tout ce qui peut s'opposer à cette réconciliation : l'islamophobie laïciste de la gauche, l'islamophobie xénophobe de la droite, la poursuite de la politique immigrationniste, principale pourvoyeuse du racisme que ses propres promoteurs prétendent hypocritement combattre, la repentance coloniale permanente, qui entretient la haine entre les communautés et qu'il faudrait remplacer par une valorisation de notre histoire commune, les tentatives de puissances étrangères de financer ou de manipuler la population musulmane de France, le refus par la République de reconnaître la dimension catholique traditionnelle de la civilisation française, préalable pourtant indispensable à une discussion sur la place de l'islam en France.
    Un troisième axe est actuellement développé par Alain Soral qui n'est pas sans rapport avec le précédent. Il s'agit cette fois d'une synthèse entre Marx et l'école traditionaliste de René Guenon et Julius Evola. Sensible aux convergences entre son analyse marxiste de l'économie, en particulier de la crise financière que nous traversons, et les analyses de l'école traditionaliste comme de certains maîtres spirituels musulmans contemporains, Soral semble orienter sa réflexion vers une lecture plus spiritualiste, voire plus eschatologique des événements.
    Conspirationnisme
    Cette veine plus récente dans son œuvre, mais qui est associée à un souci chez lui beaucoup plus ancien de toujours chercher à débusquer les hommes et les intérêts derrière les idées, souci en lui-même très utile du point de vue méthodologique, peut parfois le conduire à s'intéresser à une lecture conspirationniste de l'Histoire, illustrée il est vrai par des personnalités éminentes, mais sur laquelle nous avons pour notre part quelques réserves. Cela dit, comme l'écrivait Balzac : « Tout pouvoir est une conspiration permanente. » Il faudrait en effet être bien naïf pour imaginer que le monde fonctionne sur le seul mode du pilotage automatique ! Les analyses développées par Soral mais aussi par Michel Drac ou Aymeric Chauprade sur les stratégies conduites au niveau de l'État profond américain par les conseillers du Prince, néo-conservateurs ou autres, qui gravitent dans les sphères dirigeantes de l'Empire, sont d'ailleurs du plus grand intérêt pour comprendre la géopolitique du monde contemporain.
    Pour finir, nous ne pouvons qu'encourager nos lecteurs, quelles que soient leurs réticences à l'égard de l'un ou l'autre des axes de la pensée soralienne, que nous avons tenté de résumer brièvement, à se faire une idée par eux-mêmes en lisant ces textes qui présentent une forme toujours attrayante et une réflexion toujours stimulante. Ils y goûteront un climat intellectuel qui n'est pas sans rappeler celui des premiers années de l'Action française.
    Stéphane Blanchonnet www.a-rebours.fr Action Française 2000 février 2013
    ✓ Alain Soral, Chroniques d'avant-guerre, éd. Blanche, 280 p., 16 €.

  • Bernard Lugan - Mythes et manipulations de l’histoire africaine

    L’indispensable outil de réfutation des mythes 
    qui alimentent la repentance
    28€
    Depuis un quart de siècle les connaissances que nous avons du passé de l’Afrique et de l’histoire coloniale ont fait de tels progrès que la plupart des dogmes sur lesquels reposait la culture dominante ont été renversés.
    Cependant, le monde médiatique et la classe politique demeurent enfermés dans leurs certitudes d’hier et dans un état des connaissances obsolète : postulat de la richesse de l’Europe fondée sur l’exploitation de ses colonies ; idée que la France devrait des réparations à l’Algérie alors qu’elle s’y est ruinée durant 130 ans ; affirmation de la seule culpabilité européenne dans le domaine de la traite des Noirs quand la réalité est qu’une partie de l’Afrique a vendu l’autre aux traitants ; croyance selon laquelle, en Afrique du Sud, les Noirs sont partout chez eux alors que, sur 1/3 du pays, les Blancs ont l’antériorité de la présence ; manipulation concernant le prétendu massacre d’Algériens à Paris le 17 octobre 1961 etc.
    Le but de ce livre enrichi de nombreuses cartes en couleur, est de rendre accessible au plus large public le résultat de ces travaux universitaires novateurs qui réduisent à néant les 15 principaux mythes et mensonges qui nourrissent l’idéologie de la repentance.
    Source : Bernard Lugan
    http://alter-natife.blogspot.fr

  • La France, une nouvelle Athènes ? (archive 1998)

    Lors d'un récent colloque organisé à Paris par l'association Nation et Humanisme, Jean-Marie Le Pen a disserté sur les valeurs humanistes classiques à la base de notre identité nationale. Extraits.
    La question posée ici n'est pas nouvelle puisqu'elle remonte à Charlemagne. En effet, une chronique du Moyen-Âge raconte que le moine Alcuin, conseiller de Charlemagne pour les cultes et pour l'éducation, aurait ainsi interpellé son souverain : « Majesté, si vous le voulez, vous pourrez faire de la Francie une nouvelle Athènes, et sans doute plus belle que l'ancienne, car elle sera chrétienne ! »
    Toutefois, Alcuin aurait pu prendre Rome pour modèle. Il ne l'a pas fait sciemment, pour une raison de haute politique franque. À l'époque, l'empire franc est en rivalité directe avec Byzance, capitale de ce qui reste alors de l'Empire Romain.
    Acte fondateur
    Charlemagne va réagir contre cette prétention impériale, fera alliance avec le Pape à Rome afin d'être couronné lui aussi Empereur. Cet acte de Charlemagne, ne pas se soumettre à l'Empereur Romain, fut-il situé à Byzance, est un acte fondateur de la politique française éternelle. Être Français, ce sera toujours un acte de résistance contre la prétention d'un Empire se voulant politiquement universel ! C'est le Saint Empire Romain Germanique, issu aussi des fils de Charlemagne, qui Jouera ce rôle menaçant jusqu'à sa dissolution par Napoléon, l'empereur français !
    Charlemagne face à Byzance, Louis XIV face à l'empereur germanique, Napoléon face à ce même Empire conduit par l'Autriche, telle est la continuité de notre histoire. Les deux dernières guerres mondiales également se caractérisèrent par la résistance française à la tentative du nouvel empire allemand constitué par Bismarck pour assurer sa domination sur le continent européen ! La France est une nation qui a dû toujours combattre des empires, et je ne voudrais pas oublier l'Empire britannique au siècle dernier, ni l'Empire espagnol au temps de Charles Quint. L'Allemagne n'a pas eu le monopole de la prétention politique impériale.
    Donc, Alcuin propose à Charlemagne Athènes, et non Rome, comme modèle pour deux raisons :
    Première raison : il s'agit de s'opposer à Byzance, héritière politique de Rome. En quelque sorte, le flambeau de Vercingétorix va être repris par les Carolingiens !
    Deuxième raison : Athènes dans l'Antiquité reste le symbole de la plus haute culture humaniste. À Rome même, Cicéron, l'homme à qui l'on doit l'expression « humanitas », « les humanités », pour désigner la culture classique, considérait Athènes comme la capitale culturelle de l'Empire. L'aristocratie romaine envoyait ses bons élèves étudier la philosophie à Athènes, la rhétorique à Rhodes et le droit à Beyrouth, à l'époque, 3 villes de langue et de culture grecques !
    Il est bien vrai que la vocation éternelle de la France, outre la résistance à l'empire pour maintenir la souveraineté de la Nation, c'est aussi la promotion de la plus haute culture humaniste.
    L'humanisme, vertu française
    Au 13e siècle, Paris possède la plus vieille université d'Europe et la plus importante, devant Bologne en Italie et Oxford en Angleterre, cette dernière née d'une scission de l'université parisienne d'ailleurs.
    Pendant tout le Moyen-Âge, nos rois vont croire au mythe de leur origine troyenne. On racontait que Francion, un descendant de Priam, avait fondé la tribu des Francs après la destruction de Troie et s'était réfugié en Germanie avant de venir en Gaule.
    C'est le Saint Empire Romain Germanique qui adopte l'aigle romain. Pour se démarquer, les souverains et les clercs français évoqueront souvent la mémoire d'Athènes. Louis XIV recourt largement à la mythologie grecque pour sculpter sa propre image : tout le château de Versailles est un hymne à Apollon, à tel point que, parait-il, cela finissait par agacer Bossuet. Le « Roi Soleil » était un symbole emprunté à Philippe II et à Alexandre le Grand !
    Avec la Révolution Français, la mode est plutôt à l'austérité romaine. Mais il y a des exceptions. Camille Desmoulins, voyant au Carrefour de l'Odéon des citoyens en grande discussion politique dans la rue, s'exclame : « Ce sont des Athéniens ! »
    Napoléon, évidemment, voudra incarner la renaissance de Rome avec l'empire français et adopte l'aigle pour emblème. Mais c'est de courte durée. Le 19e siècle français, tout en constituant un immense empire colonial au-delà des mers, comme Athènes l'avait d'ailleurs fait sous Périclès avec « la ligue de Délos », se veut national. Or, Athènes préfigure la Nation alors que Rome est un empire.
    Athènes incarne dès lors dans notre tradition française un double modèle : un modèle politique et un modèle culturel.
    Politiquement, Athènes est la démocratie par excellence, la ville qui a résisté aux tyrans de la dynastie de Pisistrate. Athènes est le symbole de la liberté. Par ailleurs, et tout est lié, Athènes est le symbole de la résistance nationale face à l'empire perse, puis face au royaume de Macédoine.
    Juste mesure
    Charles Maurras lui-même, tout royaliste qu'il est, prend également Athènes pour modèle. Mais, après tout, si Athènes était une république, elle a toujours compté dans ses rangs des amoureux de la monarchie, minoritaires mais de talent, Platon étant l'exemple le plus célèbre !
    On sait que le classicisme français, celui de Boileau, de Corneille, de Racine et de Molière, fut toujours attaché à la notion toute grecque de la juste mesure. Pour les Grecs, l'excès était une caractéristique des Barbares. Cela reste vrai aujourd'hui. Qu'en est-il de cet héritage athénien dans la France d'aujourd'hui ? Le Front National peut-il, doit-il le reprendre à son compte ?
    « Du passé, faisons table rase », tel est l'une des paroles les plus célèbres de l'hymne communiste mondial « L'internationale ». C'est logique, car la nation c'est notamment un héritage, donc un passé, à assumer et à faire fructifier pour l'avenir. Les internationalistes antinationaux ne veulent plus du passé, ou alors, ils tolèrent un passé tronqué.
    La France, pour eux, n'existe pas avant la déclaration des droits de l'homme. Quelles que soient les bonnes choses que contient cette déclaration qui fait partie désormais de nos textes constitutionnels, et il y en a, - la défense des libertés, de la sûreté, de la propriété, la résistance à l'oppression sont nôtres ! - quelles que soient ces bonnes choses, disais-je, il est absurde de rayer d'un trait de plume l'histoire de France de Clovis jusqu'à 1789 avec ses héros Du Guesclin et même des saints comme Jeanne d'Arc ! Pour les marxistes, mais aussi à présent pour les représentants de la fausse droite tel Toubon, la France commence paraît-il avec la Révolution !
    On ne retient de notre histoire que les périodes où les Français se déchirent entre eux : la Révolution et la seconde guerre mondiale. N'est-ce pas parce que l'on a secrètement le projet de diviser encore à nouveau les Français, de rejeter les patriotes de la République en les diffamant sous les noms de racistes et de xénophobes, comme l'a fait récemment, ignoblement, le Président de la République française lui-même, Jacques Chirac ?
    En fait, la droite a capitulé, là comme ailleurs, devant les grands prêtres de la gauche. Sartre a dit qu'il ne fallait plus enseigner Rome aux enfants. Car, qu'est-ce que Rome, disait-il, sinon les fascistes de l'Antiquité ? Quant aux Grecs, c'était pire encore, car ils ne se mêlaient pas aux barbares et pratiquaient une sorte de ségrégation : des racistes avant la lettre en somme ! Jean-Paul Sartre est mort, mais son programme éducatif demeure au pouvoir !
    Les Grecs étaient patriotes, comme Yvan Blot le rappelle dans son livre « La politique selon Aristote » (1). Le grand philosophe de Stagire, qui fonda à Athènes l'école du «Lycée», a eu cette formule célèbre : « La cité fait partie des choses naturelles et l'homme est par nature un animal politique. Celui qui est sans patrie est, soit un être dégradé, soit un être au-dessus des normes humaines. Il est comme celui qui est injurié par Homère, sans lignage, sans loi et sans foyer ».
    La politique d'Aristote dépend de son éthique et l'éthique aristotélicienne dépend avant tout des bonnes habitudes, car elle dépend en partie de la partie irrationnelle de l'âme, qui fournit l'énergie nécessaire à l'action. C'est l'habitude et non le sermon qui rend l'homme bon moralement. On peut en effet comprendre ce qu'est le bien sans avoir envie de le pratiquer. C'est pourquoi un bon sermon doit s'adresser aux trois parties de l'âme, la partie rationnelle, la partie sentimentale et la partie instinctive comme l'exige Cicéron : « docere, movere, delectare »: enseigner, émouvoir, et faire plaisir. Aussi chez le Platon tardif, auteur du livre « Les Lois » comme chez Aristote, les bonnes lois donnent de bonnes habitudes, d'où le rôle essentiel des législateurs.
    Tout ceci reste vrai aujourd'hui !
    Convergences
    C'est l'éducation, l'usage et les lois qui doivent unifier la société, selon Aristote et non le communisme des biens. Le programme du Front National retrouve les idées de nos grands ancêtres grecs, ceux de la glorieuse époque classique des 5e et 4e siècles avant notre ère.
    Certes, les Athéniens ne sont pas nos ancêtres par le sang, car les Grecs n'habitaient pas la France à l'exception notable des cités de Massalia (Marseille) et de Nikaia (Nice), par exemple.
    Mais ils sont nos ancêtres par l'esprit, en ayant inventé la science, la philosophie, la médecine, les genres littéraires que nous utilisons, la politique avec les catégories que nous utilisons : monarchie, aristocratie, démocratie, démagogie. L'art français des origines jusqu'au début du 20e siècle leur doit aussi une dette immense.
    Je voudrais donc souligner quelques points de convergence entre les institutions de l'ancienne Athènes et notre programme politique.
    Parlons de l'économie : notre programme veut réduire les impôts. À Athènes, l'impôt direct n'existait pas. Il était considéré comme tyrannique et ne frappait que les étrangers. Il y avait, en effet, une taxe de séjour mensuelle, le Metoïkon réservée aux «métèques» comme son nom l'indique, c'est-à-dire aux étrangers résidants. Le mot chez les Grecs n'avait aucune connotation péjorative ! L'important c'est que notre programme contre le fiscalisme soit tout à fait dans la ligne de l'Athènes classique.
    Parlons de l'éducation : nous voulons redonner à l'humanisme, fondement de la culture générale, sa vraie place. Or cette éducation humaniste fut créée par les Grecs et transmise par Rome à notre pays.
    Du point de vue des institutions, Athènes a connu des conflits entre deux conceptions : ceux qui voulaient une république oligarchique, dans les mains de quelques-uns, et ceux qui voulaient une république démocratique donnant réellement la parole au peuple ! On assiste au même débat aujourd'hui. Nos adversaires veulent une république sans le peuple, une république oligarchique sans référendum et avec des lois-électorales truquées !
    La conception d'une république démocratique est la nôtre.
    À vrai dire, l'idéal humain des Grecs, celui du Kaloskagathos (de l'homme à la fois noble et beau d'une part, excellent dans tout ce qu'il fait d'autre part) les portaient plus à insister sur les devoirs que sur les droits. « Noblesse Oblige ». Or, la cité démocratique grecque a étendu l'éthique aristocratique jusqu'au plus modeste des citoyens.
    De plus, les Grecs avaient profondément réfléchi sur la nature de l'homme. On connaît la fameuse formule reprise par Socrate : connais-toi toi-même. Cette maxime était inscrite sur le temple d'Apollon à Delphes.
    Mais pour les Grecs, les devoirs avaient leur contrepartie dans les droits. Hérodote explique dans son «Histoire» que c'est même cela qui fait la différence essentielle entre les Grecs et les Barbares. Les uns sont libres. Les autres sont les esclaves du « Grand Roi ».
    Les Grecs ont inventé la préférence nationale !
    Les Grecs ont aussi inventé la préférence nationale ! C'est ce même Périclès, chef du parti démocratique qui durcit le code de la nationalité des Athéniens. Désormais, il fallait que les 2 parents soient athéniens pour que les enfants héritent automatiquement de la nationalité athénienne. Il n'y avait pas de « droit du sol » et on reprochait aux tyrans de naturaliser des étrangers pour submerger le peuple comme ce fut tenté à Syracuse.
    Aristote, athénien d'adoption, fit même la théorie de cette préférence nationale. En effet, la fraternité grecque, la «Philia» est une bienveillance hiérarchisée. C'est une vertu de concorde, une sorte d'amitié, la philia qui unit les citoyens entre eux.
    Mais, cette bienveillance elle-même, obéit à des lois. Il est naturel qu'elle s'exerce en priorité au sein de la famille, puis à l'égard des amis, puis des compatriotes. Selon Aristote : « Il est clair qu'il vaut mieux passer la journée avec des amis et des personnes excellentes qu'avec des étrangers et des premiers venus ».
    Ne pas hiérarchiser la bienveillance est contre-nature, relève d'une laideur morale va jusqu'à dire le philosophe ! On peut donc bien conclure que la fraternité grecque est une bienveillance hiérarchisée, conforme à l'ordre naturel.
    Aristote a écrit aussi sur l'immigration des paroles que nous ne renions pas : « Est aussi facteur de guerre civile, l'absence de communauté ethnique tant que les citoyens n'en sont pas arrivés à respirer d'un même souffle.
    Car de même qu'une cité ne se forme pas à partir d'une masse de gens pris au hasard, de même ne se forme-t-elle pas dans n'importe quel espace de temps. C'est pourquoi parmi ceux qui ont, jusqu'à présent, accepté des étrangers pour fonder une cité avec eux ou pour les intégrer à la cité, la plupart ont connu des guerres civiles ».
    Une cité doit donc être homogène dès lors qu'elle repose sur la liberté des citoyens. Seules, les tyrannies, comme les empires d'Orient ou d'Egypte peuvent se permettre d'avoir des peuples hétérogènes sous leur autorité.
    Enfin, les Grecs furent les défenseurs de l'Indépendance Nationale, d'abord contre les barbares perses (bataille de Marathon, de Salamine, de Platée) et contre les barbares carthaginois en Sicile (victoire d'Himère) mais aussi contre les rois de Macédoine qui prétendaient fusionner les Grecs dans un grand état fédéral.
    Défendre la patrie
    Cela vous rappelle quelque chose ? A l'heure où l'on veut dissoudre la France dans une Europe fédéraliste et soumise aux États-Unis, où l'on veut dissoudre le Franc dans l'Euro, nous trouvons un modèle de résistance, qui fut d'ailleurs cité par Clémenceau en 1914-18, celui du grand orateur athénien Démosthène.
    « Défendre la patrie, si l'on estime que cela exigera beaucoup d'argent, beaucoup d'effort et de travail, rien de plus juste (...).
    L'honneur de défendre sa patrie et sa liberté, quoi de plus actuel ? »
    La volonté de défendre la France qui inspire le Front National se situe donc bien dans la ligne de la tradition de l'humanisme classique, telle que Démosthène l'a incarnée avec tant de talents.
    Vive la démocratie, mot grec, bien entendu.
    Vive la nation, mot latin qui appartient aussi à la tradition classique.
    Vive la France qui a repris cette tradition des peuples classiques pour la faire briller avec nos grands tragiques Corneille, Racine, nos grands rois, François 1er ou Louis XIV, nos grands généraux, dignes des anciens stratèges, notre empereur Napoléon digne d'Alexandre !
    Quant à moi, je resterai fidèle aux leçons d'Homère, et je vais pour conclure vous compter un passage de l'Odyssée. Fils de marin, comment ne serais-je pas sensible au personnage d'Ulysse ?
    Au chant 5e de l'Odyssée, la nymphe Calypso révèle au dieu Hermès, le dieu des voyageurs, la promesse qu'elle a faite à Ulysse pour le garder près d'elle :
    « Quand les vagues et la tempête le jetèrent sur les bords de mon île, c'est moi qui l'accueillis, le nourris, lui promit de le rendre immortel et jeune à tout jamais ». Et se tournant vers Ulysse, elle lui dit : « C'est donc vrai qu'au logis, au pays de tes pères, tu penses à présent t'en aller, tout de suite ? Alors adieu ! Mais si tu pouvais savoir les malheurs qui t'attendent avant ton arrivée dans ta patrie, tu préférerais rester chez moi et devenir un dieu ».
    Ulysse répondit à Calypso la tentatrice : « Je sais tout cela ! Pénélope ma femme n'est qu'une mortelle alors que toi ne connaîtras ni la vieillesse ni la mort ! Et pourtant le seul vœu que je fasse est de rentrer là-bas, de voir en ma patrie la journée du retour (...) 

    Je tiendrai bon ! J'ai toujours ce cœur endurant qui supporte tous les maux. J'ai tant souffert, sur les flots, à la guerre ! S'il faut de nouvelles épreuves, qu'elles m'adviennent ! »
    Et plus tard devant le roi Alkinoos, Ulysse déclare avec passion : « Ma patrie, mon Ithaque n'est que rochers, mais elle nourrit les hommes de belle allure : cette terre ! Il n'est rien à mes yeux de plus doux ! Calypso m'enferma et voulut m'avoir pour époux ! Jamais mon cœur n'a pu y consentir. Car rien n'est plus doux que les parents et la patrie. Dans l'exil, loin des parents, parmi les étrangers, à quoi bon la richesse ? »
    Ce patriotisme d'Ulysse, il s'est retrouvé tout au long de l'histoire de France. C'est parce que nos ancêtres ont chéri la France et ont combattu pour elle que celle-ci existe encore ! Nous voulons une France encore plus belle à l'avenir, digne du titre de « Nouvelle Athènes » que le moine Alcuin lui donna à l'adresse de Charlemagne ! Que la France soit une nouvelle Athènes, un nouveau berceau de l'humanisme classique rayonnant sur le monde, tel est aussi notre projet, notre projet à la fois humaniste et national !
    Jean-Marie Le Pen Français d'Abord! juin 1998
    (1) Y. Blot - La Politique selon Aristote

  • Bonne route, Votre Sainteté !

    Le pape se rétracte¹, mais reste élu de l'Esprit Saint jusqu'au bout. S'il peut laisser à d'autres les inconvénients écrasants de la fonction séculière, nul ne peut se démettre d'une dignité in eternam telle que pontifex, celui qui forme pont entre les hommes et Dieu. Du souverain pontife il reste le pontife. Cette situation inédite dans les temps modernes d'un pape, volontairement reclus dans sa dignité spirituelle, priant en silence pour un pape en pleine charge de ses pouvoirs au balcon de la place Saint-Pierre, en étonne plus d'un dans l'Eglise romaine. Une jurisprudence se crée sous nos yeux jusqu'au 1er mars. Les exégètes autorisés livrent d'abondance motifs et circonstances, nous en retiendrons pour notre part la solitude, générée peut-être par la timidité, et l'incompréhension contingente des ouailles qui veulent du "neuf" au supermarché de la Foi et ne renvoyaient pas d'écho. Ce pape d'une grande hauteur de vue et d'une perception théologique insondable est inadapté aux évolutions à la mode qui ne sont pour lui que des sursauts d'orgueil de prélats en attente, de théologiens réformistes, d'agitateurs en conférences, soutenus par des médias largement hostiles à maintenir la maison sur ses fondations. C'est un patriarche qu'il faut lire plus qu'écouter, c'est un secondaire déstabilisé par les questions à brûle-pourpoint. Son projet était de ramasser l'Eglise d'Europe "en petits cercles vivants, où des gens convaincus et croyants agiraient selon leur foi, ainsi se perpétuerait-elle. C’est précisément ainsi qu’elle redeviendrait le sel de la terre". Durcir et non étendre, approfondir soi-même, convertir à l'excellence, tout l'opposé du mouvement du monde qui marche au Nombre.

    Après l'homélie du conclave (publiée sur Royal-Artillerie le 19 avril 2005), nous éliminions alors le pronostic d'un pape cool : Que ceux qui réclament l'aggiornamento, croyant quelque part conquérir les âmes en quantités, regardent bien le fond des choses. C'est des âmes qu'il s'agit, pas des ventres ! Si l'écoute et l'humanitaire sont les seules vertus qui vaillent dans ce bas monde, qu'ils décampent et créent alors Evêques-Sans-Frontières où ils pourront à loisir faire le bien en pleine concurrence avec toutes les sectes humanitaires qui mangent sur la misère et quelques structures de purs et de fous de l'Homme avec lesquels vite ils se disputeront. Mais qu'ils laissent l'Eglise à son orthodoxie, sauf à la vouloir périe !

    Nous voyons la presse aujourd'hui en faire des tonnes sur les prétendues ratées du pontificat de Benoît XVI et lister des soi-disant bévues comme le discours de Ratisbonne recadrant l'islam historique entre violence et raison, le doute émis à haute voix sur l'efficacité de la promotion du préservatif dans le combat contre le sida en Afrique (doute dont les Africains l'ont remercié de ne pas être pris pour des animaux en rut), l'explosion des affaires de pédophilie alors que cette mise au jour procédait de sa politique de nettoyage de la "pourriture de l'Eglise" qu'il avait dénoncée dans l'homélie du pallium.
    Sans parler des insultes récurrentes des organes réputés satiriques et minables, la presse audio-visuelle, pour des raisons banalement anticléricales, a généralement cherché à entraver la politique de Benoît XVI qui n'était pas assez spectaculaire pour elle, jusqu'à user de sa germanité contre lui, en diminuant systématiquement la portée de ses décisions, les rapetissant à des affaires de sexe. Elle n'attendait que le mariage des prêtres ou l'ordination des femmes. La presse écrite fut plus honnête mais moins entendue. Les catholiques qui se répandent dans les micro-trottoir ne comprennent rien, qui veulent un pontife sociétal dirigeant une ONG mondiale vouée à servir la soupe aux miséreux !

    Dans les armes pontificales provenant de la goupille de Munich & Freising, Benoît XVI avait choisi la coquille de saint Augustin. Méditant sur le mystère de la Sainte Trinité, la légende dit qu’il vit un enfant sur la plage jouer avec un coquillage, à l’aide duquel il essayait de puiser l’eau de la mer pour emplir un trou de sable : « il est plus difficile à ton intelligence de saisir le mystère de Dieu que de transvaser toute la mer dans ce petit trou ». Entre les scandales de la Curie, l'administration des « lobbies » qui profitent de sa moindre vigueur, le harcèlement de lourdes obligations fonctionnelles, il en a conclu que sa coquille était bien trop petite pour l'oeuvre qui lui restait à accomplir. Nul doute qu'il sortira de cette innovation un beau roman de Jean Raspail, lui qui a commis l'Anneau du Pêcheur autour de "Benoît".

    Joseph Ratzinger était un phare dans la tempête du monde. Le monde n'en voulut pas voir l'éclat mais ne s'est inquiété que du battage des vagues à son enrochement.
    Ce monde le méritait-il ?
    http://royalartillerie.blogspot.fr/
    (1) Benoît XVI exerce ses pouvoirs et se rétracte en vertu des canons 331, 332 et 333 du CODEX IURIS CANONICI 1983 qui disposent au Livre II que... :
    Canon 331
    – L’Évêque de l’Église de Rome, en qui demeure la charge que le Seigneur a donnée d’une manière singulière à Pierre, premier des Apôtres, et qui doit être transmise à ses successeurs, est le chef du Collège des Évêques, Vicaire du Christ et Pasteur de l’Église tout entière sur cette terre ; c’est pourquoi il possède dans l’Église, en vertu de sa charge, le pouvoir ordinaire, suprême, plénier, immédiat et universel qu’il peut toujours exercer librement.
    Canon 332
    §1.- Le Pontife Romain obtient le pouvoir plénier et suprême dans l’Église par l’élection légitime acceptée par lui, conjointement à la consécration épiscopale. C’est pourquoi, l’élu au pontificat suprême revêtu du caractère épiscopal obtient ce pouvoir dès le moment de son acceptation. Et si l’élu n’a pas le caractère épiscopal, il sera ordonné aussitôt Évêque.
    §2.- S’il arrive que le Pontife Romain renonce à sa charge, il est requis pour la validité que la renonciation soit faite librement et qu’elle soit dûment manifestée, mais non pas qu’elle soit acceptée par qui que ce soit.
    Canon 333
    §1.- En vertu de sa charge, non seulement le Pontife Romain possède le pouvoir sur l’Église tout entière, mais il obtient aussi sur toutes les Églises particulières et leurs regroupements la primauté du pouvoir ordinaire par laquelle est à la fois affermi et garanti le pouvoir propre ordinaire et immédiat que les Évêques possèdent sur les Églises particulières confiées à leur soin.
    §2.- Dans l’exercice da sa charge de Pasteur Suprême de l’Église, le Pontife Romain est toujours en lien de communion avec les autres Évêques ainsi qu’avec l’Église tout entière ; il a cependant la droit, selon les besoins de l’Église, de déterminer la façon personnelle ou collégiale d’exercer cette charge.
    §3.- Contre une sentence ou un décret du Pontife Romain, il n’y a ni appel ni recours.

  • Vincent Peillon ou le concept de la neutralité partisane

    Le 4 janvier 2013, les recteurs de France recevaient un courrier du ministre Vincent Peillon les enjoignant à « la plus grande vigilance à l’égard des conditions du débat légitime qui entoure le Mariage pour Tous dans le cadre du projet de loi prochainement soumis au Parlement ». Quoi de plus sage en effet que de permettre les « meilleures conditions » d’un « débat légitime » concernant le projet de loi sur le "Mariage pour Tous" ? 

    Neutralité ?

    Mais la surprenante suite du courrier semblait renier aussitôt cet appel à la neutralité nécessaire à un juste débat, puisqu’on pouvait y lire que le Ministre souhaite que « vous accompagniez et favorisiez les interventions en milieu scolaire des associations qui luttent contre les préjugés homophobes ».

    Pis encore, M. Peillon invite les recteurs à « relayer avec la plus grande énergie (souligné par nous) la campagne de communication relative à la “Ligne Azur”, ligne d’écoute pour les jeunes en questionnement à l’égard de leur orientation ou leur identité sexuelle » !

    Ligne Azu

    Penchons-nous dès lors sur cette fameuse « Ligne Azur » :

    Créé en 1997, Ligne Azur est à la fois un service d’écoute et un site Internet qui informent et soutiennent toute personne (jeune ou adulte) qui se pose des questions sur son attirance et/ou ses pratiques sexuelle avec une personne du même sexe. Qu’elles se définissent, ou pas, comme homo -, bi - ou hétérosexuelle, certaines personnes n’ont pas la possibilité d’échanger librement et en toute confiance sur les difficultés qu’elles rencontrent ou pourraient rencontrer dans le cadre de leurs relations affectives et sexuelles (santé sexuelle).

    Certes, les plus progressistes d’entre nous n’y verront peut-être pas à redire, mais est-ce le rôle de l’école de promouvoir un lieu d’écoute des préférences sexuelles de nos enfants, si ce n’est un lieu de promotion des pratiques sexuelles minoritaires voire déviantes comme le démontre cette campagne 2012 :

    http://www.egaliteetreconciliation.fr/Vincent-Peillon-ou-le-concept-de-la-neutralite-partisane-16393.html

    Alternative ?

    Finissons sur une note optimiste, puisqu’il ne nous reste que cela, et rappelons que si l’enseignement est obligatoire jusqu’à 16 ans, l’école ne l’est pas. Il vous reste donc toujours la possibilité d’éduquer votre enfant chez vous, à l’abri de tout cela !

    Lettre in extenso de M. le Ministre Vincent Peillon :

    Pour aller plus loin avec Kontre Kulture :

  • L'Émigration, résultat d'une épuration idéologique

    COMMENTANT, dans notre n° du 15 mai 1975, l'Histoire de l'Emigration (1789-1814) que Ghislain de Diesbach venait de publier chez Grasset, notre grand ancien Robert Poulet (1893-1989) écrivait : « Ce qui s'est produit en 1789-1793, l'élimination d’abord spontanée, ensuite forcée, d'une classe, dégénérée par l'intérieur et par l' extérieur, mésalliances, incurie, abus de la spéculation intellectuelle, devrait être un grand exemple pour ceux de nos contemporains qui se préparent si étourdiment à former l'Emigration de demain. Je crains cependant que la leçon ne soit perdue, comme elle l'a toujours été pour les dirigeants des civilisations déclinantes, puisqu'on doit reconnaître qu'ils commettent toujours les mêmes erreurs. » Encore, à l'époque, nos pays ne connaissaient-ils pas le white flight qui, parti d'une Angleterre envahie par ses anciens sujets du Commonwealth, incite désormais tant d'Européens à déserter leur ville, voire leur pays natal pour aller chercher dans des lieux encore préservés un asile où l'avenir et même la vie de leurs proches seront mieux assurés.
    C'est dire que la réédition, cette fois dans une collection de poche accessible à tous, de cette Histoire de l'Emigration* vient à son heure tant certaines leçons restent actuelles. Ghislain de Diesbach signale certes l'effet de mode et d' entraînement auquel cédèrent certains aristocrates (qui, un lustre plus tôt, avaient parfois été enragés de philosophie) mais, moins sévère que Robert Poulet, il démonte la politique de terreur qui fut systématiquement utilisée par les Grands Ancêtres pour inciter ou contraindre à la fuite tous les cadres comme on ne disait pas alors - qui, par leur autorité temporelle ou spirituelle, étaient susceptibles de s'opposer à l' avènement de l'homme et du peuple nouveaux issus des Lumières. Les religieux étant les premières cibles de cette « épuration idéologique» (mais aussi ethnique, la réaction étant assimilée à une race). « Ainsi désignés comme les ennemis naturels du genre humain, écrit ainsi notre éminent ami, les malheureux prêtres insermentés sont condamnés soit à émigrer, soit à mourir de faim dans un pays qui, suivant l'une de ses expressions favorites, "les vomit de son sein". Pendant la quinzaine de Pâques, les persécutions se multiplient à l'égard des ecclésiastique et des fidèles désireux de pratiquer librement le culte romain. Tout rassemblement est aussitôt travesti en complot et puni comme un crime de lèse-nation. Les Girondins vont accélérer le vote de mesures exceptionnelles de sûreté contre le clergé et soutiennent une motion demandant la déportation de tout prêtre dénoncé par vingt citoyens actifs ».
    Le clergé et la haute noblesse ne sont pas les seule victimes de ces persécutions qui, à partir de 1789, jettent 300000 personnes sur les routes de l'exil. Objets de mille brimades, promis au « couteau républicain », des roturiers fidèles à la Couronne, ou simplement attachés à la tradition, décident aussi de s'expatrier, bien plus nombreux qu'on ne le croit, et certains feront d'ailleurs fortune en Angleterre, en Russie ou aux États-Unis.
    Car ils ne sont pas toujours les bienvenus à Coblence, où chacun en rajoute sur ses quartiers de noblesse. Ghislain de Diesbach n'est pas tendre pour cette Cour où, malgré la menace pesant sur nous, subsistent clivages et dissensions.
    Les nobles de haute lignée toisent les hobereaux, les conservateurs méprisent  les "éclairés", les catholiques se méfient des protestants, tous antagonismes exacerbés par les ragots et les egos. À Coblence où « tout s'agite, se pavane et chante victoire avant même d'avoir engagé le combat, si grande est la certitude du succès », raconte Ghislain de Diesbach, « la mentalité est celle d'une coterie dont les membres, fort jaloux les uns des autres, ne s'entendent que pour restreindre le nombre des élus. Cet état d'esprit règne non seulement dans les salons mais aussi dans l'armée. Loin d'accueillir avec empressement les volontaires qui se présentent encore (... ), les différents corps de troupes font l'impossible pour les rebuter... Lorsque le comte de Montlosier, esprit brillant mais monarchien, vient offrir ses services comme simple soldat, le général de Malseigne le rabroue grossièrement », lui disant qu'il ferait « tout aussi bien de s'en aller ». À Coblence comme dans l'armée des Princes, et cela aura les pires conséquences dans la conduite des opérations militaires, « les sentiments royalistes, comme les quartiers de noblesse, ne se présument pas; ils doivent être prouvés. Rien ne sert d'avoir fait cent lieues ou même davantage, d'avoir couru mille dangers et risqué cent fois sa vie; si le moindre soupçon plane sur le postulant, celui-ci est immédiatement rejeté. On se montre aussi sévère, de ce côté du Rhin, qu'on l'est à Paris sur les preuves de civisme », déplore l'auteur qui pointe avec justesse « une espèce de jacobinisme à rebours ». Comme quoi on est forcément pollué, quoi qu'on en ait et quelle que soit l'époque, par le maudit « air du temps ».
    Ce qui précède montre la pénétration de Ghislain de Diesbach dans son approche de l'Emigration - qui est aussi, et par la force des choses, un tableau « en creux » de la Révolution. Cette Histoire de l'Emigration ne vaut pas seulement par la prodigieuse érudition de l'auteur et son aisance à découvrir la pépite dans les innombrables Journaux et Mémoires laissés par les émigrés. Elle explique aussi avec une rare intelligence - et dans une langue parfaite dont l'ironie n'est jamais absente - comment, avec les meilleures intentions du monde, on peut mener une entreprise à l'échec, le couple royal et les Princes exilés n'étant d'ailleurs pas exempts de tout reproche. Pourtant ménager de ses éloges, Robert Poulet, qui félicitait Ghislain de Diesbach d'avoir « traité le sujet à fond, sans en négliger aucun aspect », estimait qu'il avait "admirablement" mené son récit. Il avait tout à fait raison.
    CI.L RIVAROL
    *Histoire de l'Emigration, 640 pages, 12 €. Ed. Tempus/Perrin.

  • Renouveau païen dans la pensée française, de Jacques Marlaud

     Extrait - « La vision polythéiste du monde nous sera d’un grand secours pour sortir de la vision binaire, du véritable manichéisme états-unien et atlanto-européen qui oppose le Bien au Mal, l’Occident aux barbares, les démocraties au terrorisme… »

    Entretien avec Jacques Marlaud, auteur du Renouveau païen dans la pensée française, préfacé par Jean Cau (éditions L’Æncre). Propos recueillis par Fabrice Dutilleul.
    Pourquoi aborder un sujet à la fois aussi vaste et aussi controversable ?
    Le paganisme comme objet d’étude historique, littéraire et esthétique est aujourd’hui moins controversable qu’il l’était autrefois, même si, comme le constatait déjà Jean Cau dans la préface qu’il m’a accordée, jamais les « valeurs » chrétiennes laïcisées ne se sont autant épanouies à travers la novlangue humaniste, les grand-messes de la « Démocratie » hypostasiée. «Rouges, noirs ou roses, mais tous se proclamant frères en Humanité, jamais les prêtres ne furent aussi nombreux. Christianisme pas mort, Humanité et Humanitarisme suivent. Chasse au Grand Pan toujours ouverte. Tirer à vue ! » Le phénomène de laïcisation est ancien et les « prêtres », les vecteurs de morale humanistoïde contre lesquels s’insurgent mes sujets d’étude (Montherlant, Louis Pauwels, Jean Cau et Pierre Gripari principalement) officiaient depuis longtemps dans les amphithéâtres d’université et dans les médias plutôt que dans les églises où, au contraire, se sont maintenus parfois certains rites pagano-chrétiens, par exemple à travers le culte des Saints, hérité de celui des dieux et des héros qui prévalait dans l’univers païen antique.
    Le paganisme que vous préconisez n’a pourtant rien à voir avec une quelconque pratique religieuse telle qu’on la trouve chez certains druides ou odinistes contemporains…
    D’abord, je ne préconise rien. Je recherche, comme un fil conducteur, un certain état d’esprit qui caractérise ce qu’on peut appeler la philosophie et la littérature « païennes » mais aussi la musique, la sculpture, la peinture et les beaux-arts en général, voire la politique ou « métapolitique ». Or, un survol « païen » de la littérature, comme celui qui compose la dernière partie de mon ouvrage montre que celle-ci, tout comme les autres domaines artistiques, est essentiellement païenne et seulement marginalement chrétienne. Ce constat peut d’ailleurs s’appliquer à bien des auteurs d’obédience chrétienne comme un Péguy, un Claudel ou un Bernanos qui, sous le vernis de leur croyance, révèlent d’authentiques instincts païens.
    Quant aux néo-païens, sans vouloir les mettre tous dans le même sac, je souscris à l’analyse d’Oswald Spengler qui voit en eux les pratiquants d’une religiosité seconde : ils se marginalisent eux-mêmes en prétendant revivre une religion morte dont nous connaissons très peu de choses et dont ils ne peuvent reprendre que les aspects superficiels, extérieurs. Rien à voir avec la recherche d’une philosophie païenne qui imprègne tout un pan de notre pensée européenne à condition d’oser ouvrir grands nos yeux et oreilles.
    Quel usage peut-on faire du paganisme aujourd’hui s’il ne peut, comme vous dites, être vécu religieusement ?
    Individuellement ou en petits cercles, la conception païenne de la vie peut nous donner une très grande force grâce à la poésie de la contemplation et de l’affirmation du monde au lieu de sa négation nihiliste actuelle (dont le misérable art contemporain est l’expression la plus visible). Mais au-delà de cette initiation salutaire, la vision polythéiste du monde nous sera d’un grand secours pour sortir de la vision binaire, du véritable manichéisme états-unien et atlanto-européen qui oppose le Bien au Mal, l’Occident aux barbares, les démocraties au terrorisme, etc. Dans un récent ouvrage qui porte ce titre, l’ancien ministre chrétien libanais Georges Corm se fait l’avocat d’une lecture profane des conflits qui cesserait de privilégier leur dimension religieuse ou ethnique pour prendre en compte « les facteurs démographiques, économiques, géographiques, sociaux, politiques, historiques, mais aussi l’ambition des dirigeants, les structures néo-impériales du monde et les volontés de reconnaissance de l’influence de puissances régionales » (cf. Le Monde Diplomatique, février 2013).
    Une telle approche multifactorielle et multipolaire du champ de forces internationales est éminemment politique, au sens de Carl Schmitt, et païenne en ce qu’elle donne toute sa place à la pluralité des valeurs, des peuples, des intérêts et des ambitions qui s’affrontent (au Mali, comme en Syrie, en Palestine ou en Asie centrale…). Le raccourci, de la littérature aux affaires internationales, peut paraître fulgurant, et pourtant, une bonne dose de païennie littéraire pourrait aider nos décideurs à cesser de voir le vaste monde à travers la lorgnette dé(sin)formante de l’Occident américanocentré.
    Le renouveau païen dans la pensée française
    de Jacques Marlaud
    Préface de Jean Cau
    283 pages, 27 euros
    Éditions L’Æncre
    Collection « Patrimoine des religions »
    dirigée par Philippe Randa
  • La vieille droite est morte. Elle l’a bien mérité

    La vieille droite est morte. Elle l’a bien mérité Elle est morte d’avoir vécu de son héritage, de ses privilèges et de ses souvenirs. Elle est morte de n’avoir eu ni volonté ni projet. Il y a seulement quinze ou vingt ans, se dire « de droite » était une formule courante. Sans doute la droite était-elle divisée : elle l’a toujours été. Chaque clan se faisait d’elle une certaine idée, qui était aussi, souvent, une certaine idée de la France. Mais dans l’ensemble, l’étiquette ne faisait peur à personne. C’était la préhistoire. La droite, aujourd’hui, semble avoir disparu. Plus exactement, personne ne veut plus en entendre parler. C’est à se demander si elle a jamais existé. Tout se passe comme si le mot « droite » se connotait désormais de la charge affective réservée naguère au terme « extrême droite ». Dans ce domaine, le vocabulaire est d’ailleurs prodigieusement normalisé. La gauche est de gauche. L’extrême gauche est de gauche. Les giscardiens et les gaullistes jouent à savoir qui tournera l’autre par la gauche. Il n’empêche, a dit Giscard d’Estaing, que la France entend être gouvernée au centre. Mais au centre de quoi ? Par quel miracle politico-géométrique une gauche sans droite peut-elle encore sécréter un centre ?

    Beaucoup d’auteurs se sont essayés à définir la droite. Ces définitions n’ont jamais fait l’unanimité — et ne pouvaient pas la faire. Jean-François Revel a défini comme doctrine de droite « celle qui fonde par principe et sans dissimulation l’autorité sur autre chose que la souveraineté inaliénable des citoyens » (Lettre ouverte à la droite, Albin Michel, 1968). Cette définition me semble un peu courte. Elle laisse entendre que dans les régimes de gauche, l’autorité dépend toujours du « peuple souverain ». Nous avons (et Jean-François Revel a certainement, lui aussi) de bonnes raisons d’en douter. Il faudrait admettre en effet que les doctrines de gauche deviennent de droite une fois qu’elles sont passées dans les faits — ce qui serait tout à fait abusif. Je ne définirai pas non plus la droite par le goût de l’ordre et de l’autorité. Toute société humaine reposant sur ces notions, tout pouvoir impliquant une minorité dirigeante et une majorité dirigée, ce goût me semble la chose du monde la mieux partagée. Enfin, je ne retiendrai pas la distinction faite par René Rémond (La Droite en France, Aubier-Montaigne, 1963) entre une droite traditionaliste et monarchiste, une droite libérale et « orléaniste », une droite plébiscitaire et « bonapartiste ». Encore qu’elle corresponde à une réalité certaine, cette distinction ne serait ici d’aucune utilité.

    On peut, en revanche, tracer quelques lignes de démarcation.

    Je m’en tiendrai, pour ma part, à une définition tant idéologique que psychologique. J’appelle ici de droite, par pure convention, l’attitude consistant à considérer la diversité du monde et, par suite, les inégalités relatives qui en sont nécessairement le produit, comme un bien, et l’homogénéisation progressive de monde, prônée et réalisée par le discours bimillénaire de l’idéologie égalitaire, comme un mal. J’appelle de droite les doctrines qui considèrent que les inégalités relatives de l’existence induisent des rapports de force dont le devenir historique est le produit — et qui estiment que l’histoire doit continuer — bref, que « la vie est la vie, c’est-à-dire un combat, pour une nation comme pour un homme » (Charles de Gaulle). C’est-à-dire qu’à mes yeux, l’ennemi n’est pas « la gauche » ou « le communisme », ou encore « la subversion », mais bel et bien cette idéologie égalitaire dont les formulations, religieuses ou laïques, métaphysiques ou prétendument « scientifiques », n’ont cessé de fleurir depuis deux mille ans, dont les « idées de 1789 » n’ont été qu’une étape, et dont la subversion actuelle et le communisme sont l’inévitable aboutissement. On peut, bien entendu, discuter sur le détail. Je pense néanmoins qu’il n’y a pas de critère plus fondamental. Soit l’on se situe dans une perspective antiégalitaire, qui implique de juger des hommes, non sur le simple fait de leur présence au monde (politique ontologique), mais sur leur valeur, appréciée en fonction des critères propres à leur activité personnelle et des caractères spécifiques des communautés dans lesquelles ils s’inscrivent. Soit l’on se situe dans une perspective égalitaire, qui voit dans toute inégalité une manière d’injustice, qui prétend que la morale est l’essence de la politique et qui implique le cosmopolitisme politique et l’universalisme philosophique.

    Cela ne signifie pas, bien entendu, que toute inégalité soit à mes yeux nécessairement juste. Il y a, au contraire, de nombreuses inégalités parfaitement injustes ; ce sont souvent celles — généralement économiques — que notre société égalitaire laisse subsister. Je ne suis pas de ceux qui confortent le désordre établi. Je n’approuve aucun privilège de caste. Je fais de l’égalité des chances un réquisit de toute politique sociale. Aussi bien, professer une conception anti-égalitaire de la vie, ce n’est pas vouloir accentuer les inégalités souvent détestables que nous voyons s’instituer autour de nous. Mais c’est estimer que la diversité est le fait-du-monde par excellence ; que cette diversité induit inéluctablement des inégalités de fait relatives ; que la société doit prendre en compte ces inégalités et admettre que la valeur des personnes diffère selon les multiples critères auxquels nous nous référons dans la vie quotidienne. C’est estimer que dans les rapports sociaux, cette valeur est essentiellement mesurée par les responsabilités que chacun assume, rapportées à ses aptitudes concrètes ; que la liberté réside dans la possibilité effective d’exercer ces responsabilités ; qu’à ces responsabilités correspondent des droits proportionnés, et qu’il en résulte une hiérarchie, basée sur le principe unicuique suum.

    ***

    Dans un pays où chacun reconnaît qu’à de rares intermèdes près — Front populaire, expérience Mendès France, etc., la gauche n’a jamais occupé le pouvoir politique, rares sont donc les hommes qui se déclarent de droite. « Pourvue pendant plus d’un siècle de partis, de journaux considérables, de théoriciens éminents, observe Gilbert Comte, la droite n’offre plus d’elle-même aucune représentation officielle, franche et admise ». Il ajoute, non sans raison : « Les répugnances de la droite actuelle à porter ses propres couleurs ne trompent certainement personne. Par-delà l’opportunisme, la versatilité des individus, elle trahit la persistance d’un trouble profond, d’une espèce de fracture morale, à l’intérieur même de la France contemporaine » (Le Monde diplomatique, janvier 1977).

    La réticence de la droite à se définir comme telle a diverses causes. La plus noble, serait-on tenté de dire, est un refus implicite d’apparaître comme le représentant d’une partie de la réalité des choses. La droite ressent la division de la communauté nationale en parties (et en partis) comme le début de ce qu’elle conteste — comme l’amorce de la guerre civile. Consciemment ou non, elle repousse la tendance à donner de la réalité une explication unique. Elle repousse tous les grands unilatéralismes réducteurs fondés sur l’économie, la sexualité, la race, la lutte des classes, etc. Elle n’aime pas qu’on mette le monde en équations. Elle ne croit pas à la cohérence d’une image du monde châtrée par rapport aux possibilités de perception que nous en avons — pas plus qu’elle ne croit qu’il y a un destin pour les nations divisées. Dans l’attribution des étiquettes, elle décèle une manœuvre obscurément castratrice. Un arrière-goût d’hémiplégie.

    On a dit que les mots clés du vocabulaire droitier avaient été discrédités par les fascismes. Disons plutôt que ce discrédit a été savamment créé et entretenu par des factions expertes dans la diffusion de mythes incapacitants et culpabilisants. Il faut être net à ce propos. Nous ne sommes pas ici en présence d’une analyse, mais d’une propagande. Cette propagande consiste à assimiler au « fascisme » toute doctrine de droite s’affirmant avec quelque vigueur, et, corollairement, à définir comme seuls « démocratiques » les régimes qui conçoivent la liberté sous la forme d’un laisser-passer en quelque sorte statutaire aux entreprises révolutionnaires de l’ultra-gauche. Par extension, cette assimilation s’exerce rétrospectivement. On voit ainsi Ernest Kahane, de l’Union rationaliste, affirmer que l’œuvre de Gobineau est « du côté du crime » — ce qui est à peu près aussi intelligent que d’accuser Jean-Jacques Rousseau de porter la responsabilité du Goulag. Notre société offre alors le spectacle étonnant d’une droite qui ne peut s’affirmer telle sans se voir taxer de « fascisme », et d’une gauche et d’une extrême gauche qui peuvent à tout moment se dire socialistes, communistes ou marxistes, tout en affirmant, bien sûr, que leurs doctrines n’ont rien à voir avec le stalinisme ni, d’ailleurs, avec aucune forme de socialisme historiquement réalisé. Or, si les tenants des diverses variétés de socialisme ne se sentent engagés par aucune des expériences concrètes qui les ont précédés — et notamment par les plus criminelles d’entre elles —, je ne vois pas pourquoi la droite moderne, qui repousse formellement toute tentation totalitaire, aurait à battre sa coulpe ou à se justifier. Devant le prodigieux culot de partisans d’une doctrine au nom de laquelle on a déjà massacré cent cinquante millions d’hommes, et qui ne s’en présentent pas moins, la main sur le cœur et la rose au poing, comme les défenseurs de la liberté, qu’elle réponde par un rire libérateur — et qu’elle poursuive son chemin.

    Tout se passe en vérité comme si la droite avait perdu jusqu’au goût de se défendre. Critiquée, harcelée, houspillée de toutes les façons, elle reste purement passive — et pratiquement indifférente. Mise en accusation, elle se replie sur elle-même. Non seulement elle ne répond plus à l’adversaire, non seulement elle ne cherche plus à se définir, mais elle ne prête presque aucune attention au mouvement des idées, aux polémiques en cours, aux disciplines nouvelles. Mieux, elle se désintéresse, dans ce mouvement des idées, de ce qui pourrait la conforter dans ce qu’elle est. Elle ignore les résultats de l’éthologie, de la génétique, de l’historiographie, de la sociologie, de la microphysique. En Angleterre, aux États-Unis, en Allemagne, plus de soixante livres ont paru récemment sur les implications politiques et sociales des nouvelles sciences de la vie. En France, rien — ou quasiment rien. Le livre de A.S. Neil, Libres enfants de Summerhill (Maspéro, 1970), sur l’éducation « anti-autoritaire », s’est vendu à plus de 260 000 exemplaires. Il y en a eu à l’étranger de nombreuses réfutations. Mais ici, c’est le silence. Sur Konrad Lorenz, sur Dumézil, sur Althusser, sur Lévi- Strauss, sur Gramsci, la droite semble n’avoir rien à dire. La droite pourrait tirer argument de ce qu’écrivent Jules Monnerot, Raymond Aron, Debray-Ritzen, Louis Rougier, etc., mais, curieusement, on a le sentiment que c’est surtout à gauche qu’ils sont lus, par des adversaires plus attentifs que ne le sont leurs présumés partisans. Parallèlement, la gauche, opérant en son propre sein une perpétuelle remise en cause, arrive elle-même aux résultats sur lesquels une réflexion droitière aurait dû déboucher. C’est désormais la gauche, non la droite, qui critique le mythe d’un « progrès » absolu, lié à l’idée absurde d’un sens de l’histoire. C’est la gauche qui, après avoir soutenu que la fête est essentiellement révolutionnaire (thèse de Jean Duvignaud, Fêtes et civilisations, Weber, 1973), s’aperçoit aujourd’hui qu’elle est avant tout conservatrice (travaux de Mona Ozouf). C’est la gauche qui, après avoir porté aux nues l’espoir d’une égalité des chances réalisée par l’école, y voit maintenant une « mystification » (Christopher Jencks, Inequality. A Reassessment of the Effect of Family and Schooling, Basic Books, New York, 1972). C’est elle qui souligne les limites d’un rationalisme réducteur et pseudo-humaniste, constate que l’esprit des masses est plus transitoire que révolutionnaire, etc. La droite se fait ainsi peu à peu déposséder de ses thèmes et de ses attitudes mentales. Et même, il arrive qu’elle les critique — sans exploiter la contradiction dont ils sont le lieu — lorsqu’elle les retrouve chez l’adversaire, sans comprendre que c’est en son propre sein qu’ils ont été puisés. Du même coup, la droite ouvre le champ à toutes les récupérations. Devenue morte ou figée, sa pensée est retapée, remise en forme et finalement annexée par une gauche, qui devient dès lors d’autant plus crédible qu’à son héritage traditionnel, elle s’affaire, non sans succès, à annexer des thèmes droitiers — thèmes « neutralisés » et sur lesquels elle opère une inversion de sens.

    Dans un article fort intéressant sur « la droite livrée au pillage » (Le Monde diplomatique, janvier 1977), Paul Thibaud, directeur de la revue Esprit, remarque : « Certains thèmes classiquement de droite reparaissent avec intensité dans la pensée contemporaine. La haine de l’abstraction faussement universaliste qui inspirait Burke surgit de tous côtés ; le sentiment réaliste des limites, et d’abord de la mort, est une obsession collective qu’impose la menace écologique ; la valeur de l’enracinement dans un particularisme culturel ou géographique est devenue un lieu commun. Mais ce renversement de tendances parait s’être opéré sans que la droite intellectuelle y gagne rien. C’est à l’intérieur de la gauche que tout cela s’est passé. La gauche joue tous les rôles, elle énonce les thèses et leur fait des objections, lance les modes et les combat. Les contenus intellectuels ne peuvent se faire admettre qu’en se rattachant à la gauche. Tout nationalisme se doit d’être révolutionnaire, tout régionalisme ne peut que se vouloir socialiste (…) Rien n’est plus caractéristique que le changement de statut de certains auteurs aujourd’hui soumis à relecture. En affrontant ses critiques les plus virulentes, ou des pensées marginales, la gauche se refait elle-même. On voit désormais des lectures de gauche, ou gauchistes, de Chateaubriand, de Balzac, de Péguy… Sorel revient à gauche dans les bagages de Gramsci. Tocqueville devient une référence pour les autogestionnaires. Les échecs de la gauche semblent être à l’origine d’une vitalité intellectuelle nouvelle, d’un antidogmatisme qui lui ouvre des champs jusqu’alors frappés d’interdit ».

    La droite sociologique a toujours manifesté une certaine réticence devant les doctrines. Dans le meilleur des cas, on a pu voir dans cette attitude une réaction assez saine contre une forme d’intellectualisme consistant à n’envisager la vie que sous l’angle d’une problématique — What’s your problem ? comme disent si bien (si mal) les social workers américains. Mais aujourd’hui, la lutte est inégale. Face à un adversaire qui s’avance à la bataille armé d’un corpus idéologique en pleine efflorescence, l’homme de droite est proprement désarmé. Des théories, Goethe disait qu’elles sont toujours grises et les opposait à l’arbre toujours vert de la vie. Je ne vois malheureusement pas d’autre issue, pour l’heure présente, que d’entrer dans la carapace des théories.

    Sans théorie précise, pas d’action efficace. On ne peut pas faire l’économie d’une idée. Et surtout, on ne peut pas mettre la charrue avant les bœufs. Toutes les grandes révolutions de l’histoire n’ont fait que transposer dans les faits une évolution déjà réalisée, de façon sous-jacente, dans les esprits. On ne peut pas avoir un Lénine avant d’avoir eu un Marx. C’est la revanche des théoriciens — qui ne sont qu’en apparence les grands perdants de l’histoire. L’un des drames de la droite — de la droite « putschiste » à la droite modérée —, c’est son inaptitude à comprendre la nécessité du long terme. La droite française est « léniniste » — sans avoir lu Lénine. Elle n’a pas saisi l’importance de Gramsci. Elle n’a pas vu en quoi le pouvoir culturel menace l’appareil de l’État. Comment ce « pouvoir culturel » agit sur les valeurs implicites autour desquelles se cristallise le consensus indispensable à la durée du pouvoir politique. Elle n’a pas réalisé comment l’attaque politique frontale recueille les fruits de la guerre idéologique de position. Une certaine droite s’épuise en groupuscules. Une autre, parlementairement forte, va toujours au plus pressé — c’est-à-dire aux prochaines élections. Mais à chaque fois, elle perd un peu plus de terrain. À force de jouer le court terme, la droite finit par perdre le long terme. La gauche, quant à elle, progresse. Elle doit ce progrès à l’activité de ses partis et de ses mouvements. Mais elle le doit surtout au climat général qu’elle est parvenue à créer métapolitiquement, et par rapport auquel son discours politique sonne de plus en plus vrai. Or, un tel travail n’est possible que lorsque une théorie a été produite, lorsqu’une ligne juste et des références précises ont été dégagées. C’est en cela qu’il y a une « pratique théorique », pour parler comme Louis Althusser. Un pas en avant dans la théorie = deux pas en avant dans la pratique pure. Ce serait une grave erreur d’imaginer qu’une droite qui n’ose pas dire son nom peut se maintenir longtemps au pouvoir quand son mutisme a fait disparaître l’humus psychologique dans lequel elle plonge ses racines.

    Laissée à elle-même, la vieille droite raisonne de façon purement manichéenne. Pour elle, il y a les « bons » et les « méchants », comme dans Jérémie ou Les Lamentations. Elle se préoccupe peu de ce que valent effectivement les hommes. Il lui suffit de savoir s’ils sont du « bon » ou du « mauvais » côté. C’est ainsi qu’elle s’est accrochée successivement aux généraux (et aux maréchaux) étoilés, aux braves militaires de l’Algérie française, au vaillant petit régime bien corrompu de Saigon, à son allié américain, etc. Il arrive même qu’elle s’étonne, après cela, de ses échecs répétés. Cela donne prétexte à des langueurs calculées, dans les dîners en ville, ou à des exaltations mystiques, chez les Billy Graham du traditionalisme. Il serait temps, à mon sens, que la droite résolve son complexe du père. Qu’elle cesse de s’en remettre au roi, au président, au général et au petit Jésus, et qu’elle apprenne à juger des hommes et des situations par elle-même, au moyen d’une praxis rigoureuse.

    N’ayant pas de stratégie, la vieille droite ne tire jamais les leçons de ses revers — et les dieux savent pourtant qu’ils sont nombreux ! Au contraire, elle cherche toujours à se justifier et réserve ses critiques à ceux qui tentent de déterminer le véritable enchaînement des causes et des effets. L’idée même d’autocritique positive lui est insupportable. Prenons l’exemple de l’Algérie française. On peut en penser ce que l’on veut. Je suis moi-même plus que partagé. Mais là n’est pas la question. D’un point de vue froid, deux constatations s’imposent :

    1 - Comparée aux révoltes analogues qui se sont déroulées depuis le début du siècle, la révolte des partisans de l’Algérie française a bénéficié de moyens absolument prodigieux, tant en hommes qu’en matériel, en argent, en armes, en capital de sympathies, etc. (ce qui ne l’a pas empêchée d’aboutir à un échec, mais cela est une autre histoire) ;

    2 - Toujours par comparaison, cette révolte s’est révélée d’une stérilité politique non moins prodigieuse. Bien d’autres aventures de ce genre ont échoué dans leurs objectifs immédiats. On n’en connaît aucune qui, par contrecoup, ait eu si peu de répercussions. Les rapatriés d’Algérie demandent des indemnités. Les anciens chefs de l’OAS écrivent leurs mémoires. Et c’est tout. Le reste de l’épopée s’est perdu dans les brumes de l’activisme méditerranéen et du racisme anti-arabe (politiquement, le plus stupide de tous). Je ne pense pas qu’il devait nécessairement en être ainsi.

    Autre exemple : le Portugal. Pendant trente ans, la vieille droite a communié dans l’admiration émue du « vaillant petit Portugal », qui, sous la houlette du bon Salazar, résistait contre vents et marées aux tendances négatives à la mode. Là-dessus, en avril 1974, le Portugal se réveille socialiste et communiste. Et c’est l’armée, ô désespoir, qui mène le bal. Qui donc, à droite, a alors cherché à faire une critique positive de l’événement ? Personne. Personne n’a cherché à savoir comment on avait pu en arriver là. Ni ne s’est demandé si, par hasard, un peuple n’attendait pas de son gouvernement autre chose que des matches de football et des miracles à Fatima. Personne, enfin, n’a ouvert un débat pour savoir quelle stratégie il convenait d’adopter en vue d’une riposte.

    Par rapport à ce qu’ils étaient il y a trente ans, les centres de décision ne sont évidemment plus les mêmes. Mais la vieille droite, ne voit pas que les lieux et les formes du pouvoir ont changé. Elle pense que, comme du temps de La Rocque et de Boulanger, les partis restent la meilleure ou la principale voie d’accès au pouvoir. Certes, les partis continuent à jouer un rôle important. Mais ils ne sont plus les seuls. Et d’autre part, des mécanismes de blocage sont désormais en place pour que certains courants de pensée ne puissent plus toucher, par ce moyen, autre chose qu’une frange d’opinion relativement minime. Les media, les groupes de pression ont pris le relais des forces politiques classiques. Les volumes sociologiques s’articulent différemment.

    L’information ne circule plus de la même manière dans les structures sociales — du moins en dehors des périodes de crise aiguë, qui sont pour la plupart imprévisibles. Cela n’empêche pas les hommes de droite de s’affairer dans des partis, de créer des mouvements, de faire et de défaire d’éphémères rassemblements. Jusqu’à ce que les hommes craquent ou que les mouvements disparaissent. Je ne pense pas que ce soit là un bon emploi des énergies. Mais je ne nie pas qu’il faille parfois en passer par là. D’ailleurs, pour certains, c’est une question de physiologie. Beaucoup plus de gens qu’on ne croit ne peuvent pas vivre sans distribuer des tracts ou faire tourner une ronéo.

    À force de jouer le court terme, la bourgeoisie finit toujours par perdre le long terme. Elle gagne dans un premier temps, et puis sa marge de succès se rétrécit. On en arrive ainsi à des majorités de 51 % : avant-goût de la basculade. La droite, elle aussi, croit qu’il existe des raccourcis dans l’histoire. L’idée d’œuvrer pour quelque chose dont elle ne verra pas l’aboutissement lui est difficilement supportable. Réflexe humain, trop humain. Malheureusement, l’histoire n’est pas seulement une affaire de volonté. La vérité, c’est qu’il n’y a pas de révolution possible, pas de changement possible dans l’ordre du pouvoir, si les transformations que l’on cherche à opérer dans le domaine politique n’ont pas déjà été réalisées dans les esprits. Toutes les grandes révolutions de l’histoire ont concrétisé sur le plan politique une évolution qui s’était déjà faite dans les esprits — à commencer, bien sûr, par celle de 1789. C’est ce qu’avait bien compris l’Italien Antonio Gramsci, dont les néo-marxistes contemporains appliquent si amplement les leçons.
    Il va sans dire que la vieille droite qui, dans son ensemble, n’a lu ni Marx ni Lénine, n’est pas près de lire Gramsci. On se demande d’ailleurs ce qu’elle peut lire, en dehors des journaux satiriques et des magazines littéraires, quand on s’aperçoit qu’au cours de ces dernières années, aucun des ouvrages fondamentaux dont elle aurait pu tirer argument, dans un sens ou dans l’autre, ne semble avoir retenu son attention. La paresse intellectuelle de la vieille droite ne s’explique pas seulement par sa méfiance instinctive vis-à-vis des idées pures. Pendant longtemps, les saintes Écritures lui ont servi de doctrine. Tout étant censé avoir été dit, il apparaissait comme inutile de constituer une autre Summa que celle de Thomas d’Aquin. Cette conviction prévaut encore aujourd’hui dans un certain nombre de cénacles. Mais pour combien de temps ? Après avoir été, nolens volens, la religion de l’Occident, après avoir été porté par un esprit, une culture, un dynamisme européens, qui l’avaient précédé de quelques millénaires, le christianisme, opérant un retour aux sources, redécouvre aujourd’hui ses origines. Pour assumer sa vocation universaliste et devenir la religion du monde entier, il entend se « désoccidentaliser ». Dans l’immédiat, il développe une stratégie, dont on peut se demander si elle ne revient pas à lâcher la proie pour l’ombre. Le christianisme sociologique est en train de disparaître, laissant la place au militantisme évangélico-politique. L’impulsion vient de la tête. La hiérarchie accélère le mouvement. Les traditionalistes, attachés dans leur Église à tout ce dont celle-ci ne veut plus entendre parler, auront du mal à faire croire que le meilleur moyen d’endiguer la « subversion » est de batailler dans une croyance qui les a déjà abandonnés pour passer à l’ennemi.

    ***

    Dans Le Complexe de droite et Le Complexe de gauche (Flammarion, 1967 et 1969), Jean Plumyène et Raymond Lasierra allaient plus loin que la boutade en affirmant que l’homme de droite a une tout autre gastronomie que l’homme de gauche. C’est qu’effectivement aucun domaine n’échappe à l’idéologie, ou, plutôt, à la vue-du-monde dont on a hérité ou que l’on a choisie. Tout est neutre en dehors de l’homme. Mais dans les sociétés humaines, rien n’est neutre. L’homme est l’animal qui donne du sens aux choses qui l’entourent. Il y a différentes façons de voir le monde et d’être-au-monde (des façons « de droite » et « de gauche », si l’on y tient), et celles-ci englobent aussi bien les connaissances pures que les croyances intuitives, les émotions, les valeurs implicites, les choix quotidiens, les sentiments artistiques, etc. Entendons-nous. Je ne crois pas qu’il y ait véritablement des idées de droite et de gauche. Je pense qu’il y a une façon de droite et de gauche de soutenir ces idées. (La défense de la « nature » n’est pas plus de droite que de gauche, mais il y a une façon de droite et de gauche d’appréhender le concept de nature.) Les arts, les lettres, la mode, les symboles et les signes, rien n’échappe à l’interprétation qu’une vue-du-monde spécifique est susceptible de donner. En général, l’homme de gauche l’a compris, et c’est ce qui a longtemps fait sa supériorité méthodologique. Il sait ce qu’il faut penser, de son point de vue, des rapports de production à l’époque féodale, de la peinture abstraite, du cinéma-vérité, de la théorie des quanta ou de la forme des HLM. Ou du moins, il sait que sur cela comme sur tout, la théorie dont il se réclame à quelque chose à dire. L’homme de droite, pour sa part, se contente trop souvent de hausser les épaules. Il ne veut pas voir pour n’avoir pas à faire. Je pense que la droite aura grandement progressé lorsqu’elle aura : 1 - compris la nécessité de se déclarer pour ce qu’elle est ; 2 - identifié son « ennemi principal », c’est-à-dire l’égalitarisme, négateur et réducteur de la diversité du monde ; 3 - admis que rien n’est « neutre » dans l’existence, et que sur tout sujet elle se doit de produire un discours.

    Devant ses échecs répétés, une certaine droite s’est recroquevillée dans un simple refus. Cela n’était pas dans sa nature. La vocation naturelle de la droite tient dans une approbation — l’approbation tragique de ce monde et de ce qui y advient. L’homme de droite, contraint au refus, est généralement devenu un naïf, qui ne décèle plus la manœuvre adverse, ou un aigri saisi par la plaie de l’hypercriticisme. Disons-le tout net : la droite française a bien souvent hypertrophié, non les meilleurs aspects du caractère national — l’exaltation d’un certain style —, mais les plus contestables : l’individualisme, le comportement « verbomoteur », la xénophobie. La droite n’a su ni prévoir ni analyser des faits aussi fondamentaux que l’accession du Tiers-Monde à la décision politique, le conflit sino-soviétique, la situation géopolitique créée par le nouveau partage des forces, la débâcle des doctrines constituées, les transformations de structure des sociétés occidentales, l’évolution des États-Unis, la formation de l’eurocommunisme, etc. À ces données nouvelles, elle a trop souvent répondu par des slogans et des bons mots. Il y a une droite guettée par Méphisto. Par le ricanement hypercritique. La droite de l’aigreur, de la rancœur et de la mauvaise humeur. Elle a cru avoir remporté une victoire au soir de la mort du général de Gaulle. Ses sentiments me sont étrangers.

    La droite est devenue « massiste ». Elle se rassure par l’idée d’une « majorité silencieuse » — nouvel avatar du « pays réel » maurrassien. Elle ne voit pas que cette masse est silencieuse avant d’être majorité — ou plutôt qu’elle n’est majorité que comme silence. Elle en profite pour ne pas se poser le problème de la nature des centres de décision, et de la façon d’y accéder. Elle croit que nous sommes devenus faibles parce que nous avons été « subvertis ». Alors que c’est le contraire qui s’est produit : nous avons été « subvertis » parce que nous sommes devenus faibles. La gauche n’est forte que des faiblesses de la droite, de ses doutes, de ses hésitations. Certes, dans le monde actuel, les sujets de mécontentement ne manquent pas. Ce n’est pas une raison pour se borner à déplorer. La droite, avec son lamento, verse dans une erreur de la gauche : celle qui consiste à attribuer aux autres la responsabilité de son propre sort. Un regard plaintif n’est pas une analyse. Il n’atteste qu’une incompréhension. Porter un diagnostic, c’est d’abord identifier les causes. Mais la droite n’identifie pas les causes. Il semble parfois qu’elle y renâcle. Ou bien elle s’en remet aux causes immédiates, qui sont, elles aussi, des effets. La droite parle de « subversion ». C’est vrai qu’une subversion est à l’œuvre. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Dire la subversion, ce n’est pas seulement énumérer des symptômes. La droite a abandonné son rôle explicatif ; elle a laissé cela aux pédagogues, dont c’est le métier. Seulement, les pédagogues sont passés à la subversion.

    Et pourtant, l’idéologie de droite existe. À l’intérieur. La droite ignore souvent ce qu’elle porte en elle. Elle n’a jamais complètement pris conscience, sur le plan formel, de tout ce que ses aspirations impliquent. Son message est implicite. Tout le travail est de l’amener en surface. On demande un docteur Freud.

    Cela dit, la question de savoir, personnellement, si je suis ou non de droite m’est complètement indifférente. Pour l’heure, mes idées sont à droite ; elles ne sont pas pour autant nécessairement de droite. Je peux même très bien imaginer des situations où elles pourraient être à gauche. Plus exactement, je discerne à droite comme à gauche des idées qui correspondent à ce que je pense. La seule différence, aujourd’hui, c’est qu’à droite on me reconnaît ces affinités, et qu’à gauche on me les dénie. On verra ce qu’il en adviendra avec le temps. D’un autre côté, on ne peut pas perpétuellement siéger au plafond. Acceptons donc ce terme de droite : les mots, après tout, ne sont pas les choses. Et disons qu’en France aujourd’hui, à une époque où tort le monde se dit de gauche, ou peu s’en faut, être « de droite » est encore le meilleur moyen d’être ailleurs.

    ***

    Parmi les causes de ce qu’on appelle habituellement le « malaise » des esprits, l’une des plus caractéristiques me semble être l’évacuation progressive de la substance de l’État. L’État se dépolitise. Non au sens de la « politique politicienne », plus présente que jamais. Mais au sens du politique. De l’essence du politique. L’État devient purement gestionnaire. Par là même, il se met en position d’être renversé par les pouvoirs qui se constituent en dehors de lui — et contre lui. L’État nie son propre principe, qui est un principe d’autorité et de souveraineté, pour ne s’occuper essentiellement que de problèmes économiques et sociaux. Mais les hommes ne vivent pas seulement pour leur pouvoir d’achat. Ils vivent pour tout autre chose. Jamais nous n’avons vécu dans une société aussi riche. Jamais le niveau de vie du plus grand nombre n’a été aussi élevé. Jamais l’éducation n’a été aussi massive. En même temps, pourtant, jamais le malaise n’a été si grand, jamais la contestation n’a été si forte, jamais l’inquiétude n’a autant régné. L’État est devenu prisonnier du « principe du plaisir » : au lieu d’apaiser la revendication, toute satisfaction donnée à ceux qui réclament la rend encore plus aiguë. C’est que l’État a lui-même enfermé cette revendication dans l’enclos économique et social. Dans le domaine spirituel, l’État ne dit plus rien, ne propose plus rien, ne sécrète plus rien. Il ne trace l’ébauche d’aucun destin. Je dis que les hommes, une fois leurs besoins élémentaires satisfaits, aspirent à un destin, aspirent à l’autorité que justifie un projet. Car seul un projet peut donner du sens à leurs vies. Or, l’État ne donne pas de sens. Il ne fournit pas des raisons de vivre — mais des moyens d’exister. (Rien n’a plus de valeur, mais chaque chose a un prix). Et dès lors que ce rôle n’est plus rempli par l’État, les sectes, les partis, les groupes de pression, les sociétés de pensée tendent à le remplir, dans le désordre et la confusion. Évacué de sa sphère naturelle, le politique resurgit partout.

    La gauche, de son côté, au-delà du foisonnement des théories, me semble dominée par l’influence — avouée ou non — du « gramscisme » (au plan de la méthode) et de l’école de Francfort. Jamais la critique négative, prêchée par Horkheimer et Adorno, ne s’est exercée avec autant de virulence. L’ultra-gauche a compris qu’au sein d’une structure sociale où tout se tient (où l’arrangement de la société est le reflet d’une structure mentale), il n’y a pas de réforme possible : il n’y a qu’une révolution — qui soit la contestation de tout. L’écologisme, le néo-marxisme, le néo-féminisme, le freudo-christianisme sont dans leur logique intérieure quand ils exigent l’abolition de toute l’histoire dont notre culture a été le vecteur ; quand ils dénoncent les institutions (toute institution) comme « aliénantes », le pouvoir (tout pouvoir) comme « répressif », quand ils travaillent à la disparition de l’État, à la remise en cause de la technologie, à la réhabilitation de la folie, etc. C’est, progressivement, la réalisation du célèbre programme de Pierre Dac : « Pour tout ce qui est contre, contre tout ce qui est pour ».

    L’ultra-gauche danse sur les ruines d’un pouvoir qui se nie. Elle en pourchasse partout les traces et les vestiges. Elle en cerne les « ruses » dans l’inconscient du concept. Jacques Attali (Bruits, Seuil, 1977) prétend libérer la musique de la « norme » — la libérer, la malheureuse, de l’aliénation de la gamme et du contrepoint. Dans sa leçon inaugurale au Collège de France, Roland Barthes a déclaré : « La langue n’est ni réactionnaire ni progressiste, elle est tout simplement fasciste ». Il entend par là que la langue oblige à dire, qu’elle contraint tout locuteur à mouler sa pensée dans la forme d’un langage donné. Ainsi, le spécifiquement humain — la pensée conceptuelle et le langage syntaxique — serait « fasciste ». Toute société, en tant qu’elle met en forme un corps social, est « fasciste ». L’État est « fasciste ». La famille est « fasciste ». L’histoire est « fasciste ». La forme est « fasciste ». Alors, il ne reste qu’une étape à franchir pour l’avouer : le phénomène humain est « fasciste », puisque toujours et partout, il met du sens, de la forme, de l’ordre, et qu’il s’efforce de les faire durer. Mais en même temps, la « théorie critique » n’aboutit qu’à une perpétuelle frustration. Si tout langage est « fasciste », que faire sinon se taire ? Si tout pouvoir est « fasciste », que faire sinon renoncer à l’action? Et si la « fête » elle-même se cristallise en Éternel Retour, que deviennent les retrouvailles de l’être avec son propre ? Il reste alors le refus absolu. Les communautés « horizontales », la musique « planante », l’art informel, la drogue, la rupture avec le monde, l’accession — par tous les moyens — à l’univers des essences fraternelles, de l’ « amour » universel et des abstractions métaphysiques. En attendant, comme les structuralistes nous l’annoncent, que l’homme disparaisse. Voilà où en est l’ultra-gauche « avancée ».

    Un autre trait caractéristique du monde actuel est probablement l’éclatement des systèmes constitués. Les écoles de pensée rigides ne tiennent plus. L’Église fait son aggiornamento. L’URSS a eu son XXème Congrès. La psychanalyse éclate en mille sectes. On « relit » Marx à la lumière de Freud, et Freud à la lumière de Marx. On cherche à ressusciter le christianisme médiéval — ou celui des catacombes. Dans une sorte de fièvre, chacun cherche à rénover ce qui fut déjà. À l’autre bout de l’horizon politique, dans le monde des réalités, c’est un pragmatisme prudent qui domine. Les gouvernements des pays occidentaux évitent de plus en plus de se référer à un système donné. Les hommes d’État « pilotent à vue » ou tentent de se mettre d’accord à court terme par de fréquentes rencontres au sommet Les spéculations sur le système monétaire, sur l’économie mondiale, sur la dissuasion nucléaire, deviennent des calculs hyper-abstraits que personne ne sait plus manier réellement. La crise latente des structures politiques, économiques et sociales, se double d’un ébranlement profond de toutes les certitudes acquises. Le doute, alimenté par des remises en cause de plus en plus systématiques, ronge les croyances les plus élémentaires. L’accord ne se fait plus sur rien.

    Cette confusion m’apparaît comme un fait acquis. Il ne sert à rien de le déplorer. Mais on peut se préoccuper de ce qui vient. Dans cette inadéquation de plus en plus évidente des formules et des idéologies toutes faites, il y a un sentiment qui se fait jour. L’aspiration à une synthèse. Nombreux sont ceux qui ressentent la nécessité d’aller au-delà des lignes de partage actuelles. La façon dont, depuis quelques années, certains thèmes passent de la droite à la gauche (ou de la gauche à la droite) est l’un des signes d’une telle aspiration. Mais c’est là, précisément, que les choses achoppent. Il ne faut pas se le dissimuler : ce dont la fin de ce siècle a besoin, c’est d’une synthèse des aspirations positives qui, jusqu’à présent, se sont présentées d’une façon éparse. Cette synthèse équivaut à un dépassement du stade actuel de la condition humaine. Je crois à la possibilité d’une telle synthèse. Mais je ne suis pas sûr que nous aurons assez d’audace pour la mettre en oeuvre. Je crains que l’idéologie égalitaire nous empêche de la réaliser.
    Nous savons aujourd’hui plus de choses que l’homme, avant nous, n’en a jamais su. Mais il semble que nous en comprenions de moins en moins. L’une des grandes erreurs de ce temps — elle est à la base de la conception égalitaire de l’enseignement — est de croire qu’en accumulant les connaissances, on sait automatiquement comment s’en servir. C’est l’inverse qui est vrai. Sans un fil d’Ariane de la pensée, sans une vue-du-monde clairement formée, l’accumulation des connaissances est inhibitrice et paralysante. À force de savoir le pour et le contre de toutes choses, sans avoir le moyen de discriminer et de trancher, on ne fait plus rien. Je connais des hommes qui sont si savants qu’ils ne peuvent plus rien écrire : dès qu’ils tracent une phrase sur le papier, ils perçoivent immédiatement tant d’arguments contraires qu’ils ont renoncé à dire quoi que ce soit. Globalement parlant, je crois que notre société est dans ce cas. Il me semble qu’autrefois, on avait des certitudes à proportion qu’on avait des doutes. Aujourd’hui, on a surtout des doutes. Et surtout, on a peur de se tromper. Alors, on ne juge plus et l’on dit que « tout le monde a raison ». C’est là également qu’intervient l’égalitarisme : si tous les hommes se valent, toutes les opinions se valent aussi. Je considère que ce doute est mortel — et surtout qu’il correspond à une idée fausse de la « vérité ». En matière de devenir historique, il n’y a pas de vérité métaphysiquement établie. Ce qui est vrai, c’est ce qui se met en position d’exister et de durer. Ce qui mériterait d’être, sera. Ce qui méritait d’être, est déjà. Si fausses dans l’abstrait que puissent être les idéologies les plus néfastes, elles deviennent « vraies » dans la mesure où elles constituent la réalité quotidienne qui nous environne et par rapport à laquelle nous nous définissons. Le marxisme peut être la « vérité » de demain. Mais c’est une « vérité » que l’on est en droit de refuser pour lui en opposer une plus forte. Ce qui nous parait avoir été hier la vérité, n’était qu’un refus du doute — parfois même, une ignorance du doute. Là où il y avait une volonté, il y avait un chemin. On ne se demandait pas si ce chemin était conforme à une vérité abstraite. On créait le chemin, et le reste s’ensuivait. Les « connaissances » n’avaient pas grand-chose à voir avec cette création. C’est que le savoir n’est pas univoque, alors que l’énergie créatrice l’est obligatoirement. Nos contemporains se comportent comme s’il existait en dehors d’eux-mêmes une vérité absolue à laquelle il leur faudrait se conformer au plus près. C’est du moins l’impression que l’on retire de leur terreur à découvrir que « tout est convention ». L’ultra-gauche hypercritique proclame que rien, ni les mots, ni les signes, ni la science, etc., que rien n’est innocent. La belle évidence ! Non, rien n’est innocent. Et pourquoi les choses devraient- elles l’être ? Dès que l’homme est là, il met du sens ici. À lui seul, le regard qu’il pose sur le monde lui donne du sens. Et ce sens varie selon ce regard. Et ce sens ne vient que de lui. Et ce sens ne dure que par lui. Non, les choses ne sont pas « innocentes ». Heureusement.

    Je ne crois ms à l’objectivité, mais je crois à la nécessité de tendre à l’objectivité. Je ne crois pas à la vérité pure — à cette terrible vérité au nom de laquelle on a tenté de transformer le monde par le génocide, le racisme de classes ou l’Inquisition. Je crois, comme Malraux, qu’en matière de destin historique, le monde réel n’existe que comme encadrement d’images et accroche-mythes. Je crois que l’objet en soi est inaccessible à l’entendement comme à la perception, mais qu’il suffit à l’un et à l’autre qu’ils puissent se construire comme les données d’un sujet. Je crois surtout que c’est parce que la vérité pure est indécidable qu’il faut, plus que jamais, construire « héroïquement ». Sauf à voir la pensée régresser vers l’indéterminé où, comme dit Hegel, « toutes les vaches sont grises ».

    La formule « si Dieu n’existe pas (ou plus), tout est permis » n’est qu’une expression littéraire : personne ne se comporte comme si tout était permis. (Re)mettre un ordre en place, (re)créer des normes sociales, revient donc à se demander ce que l’on va (ré)instituer comme instance dernière ou comme tiers suprême. Ce défi est au cœur de la crise du monde contemporain. Qui oserait dire aujourd’hui, comme Périclès : « Notre audace nous a frayé par la force un chemin sur terre et sur mer, élevant partout à elle-même des monuments impérissables pour le bien comme pour le mal ? » Je pense qu’une nouvelle droite pourrait répondre à ce défi. Une droite pour laquelle la force véritable consisterait, non à détenir la vérité, mais à ne pas en craindre les manifestations.

    Les excès marchent par couple. Je me fais une certaine idée de la troisième voie. Celle qui rejette, de part et d’autre, les extrémismes et les unilatéralismes. Une ligne juste est toujours nuancée. J’entends par là qu’elle prend en compte ce qu’il peut y avoir de juste dans chaque système ou dans chaque point de vue. Seule une telle démarche peut aboutir à une synthèse. Mais je ne crois pas non plus que la troisième voie soit une voie « moyenne », une sorte de compromis — pas plus qu’une étape transitoire vers l’un ou l’autre des systèmes existants. Toute vraie synthèse est un dépassement. Elle n’est pas un peu de ceci et un peu de cela, successivement, mais ceci et cela, avec la même intensité, au même moment. Cela exige qu’on ne se laisse jamais enfermer dans une alternative, que l’on adopte une logique mentale du tiers inclus. Et bien sûr, l’aboutissement de cette démarche « de droite » ne peut être que la résorption en un seul ensemble des notions de « droite » et de « gauche » comme on les conçoit actuellement. Je n’entends pas par là que l’on ne soit « ni de droite ni de gauche » — ce qui ne veut rien dire. Mais que l’on parvienne à être en même temps et la droite et la gauche. Je crois que l’avenir appartient à ceux qui seront capables de penser simultanément ce qui, jusqu’ici, n’a été pensé que contradictoirement. Héraclite disait : « Dieu est le jour et la nuit, l’été et l’hiver, la guerre et la paix, le pain et la faim ». Paracelse déclarait : « Tout est en toi-même et rien ne peut te venir de l’extérieur ni d’en haut ». Je crois que l’homme est la quintessence de tout, qu’il peut réaliser l’unité et le dépassement des contradictions. Coincidentia oppositorum.

    La menace principale, aujourd’hui, quelle est-elle ? Elle est la disparition progressive de la diversité du monde. Le nivellement des personnes, la réduction de toutes les cultures à une « civilisation mondiale » bâtie sur ce qu’il y a de plus commun. Déjà, d’un bout à l’autre de la planète, on voit s’élever le même type de constructions, s’instaurer les mêmes habitudes mentales. De Holiday Inn en Howard Johnson, on voit se dessiner les contours d’un monde uniformément gris. J’ai beaucoup voyagé — sur plusieurs continents. La joie que l’on éprouve au cours d’un voyage, c’est de voir des modes de vie variés encore enracinés, c’est de voir vivre à leur rythme des peuples différents, d’une autre couleur de peau, d’une autre culture, d’une autre mentalité — et qui sont fiers de leur différence. Je crois que cette diversité est la richesse du monde, et que l’égalitarisme est en train de la tuer. C’est pour cela qu’il importe, non seulement de « respecter les autres », mais de susciter partout le désir le plus légitime qui puisse être : le désir d’affirmer une personnalité à nulle autre pareille, de défendre un héritage, de se gouverner soi-même selon ce qu’on est. Et cela implique de lutter, de front, contre un pseudo-antiracisme négateur des différences, et contre un racisme menaçant, qui n’est, lui aussi, que le refus de l’Autre — le refus de la diversité.

    Nous vivons aujourd’hui dans une société bloquée. Au plan mondial, nous commençons à peine à distinguer les moyens de sortir de l’ordre institué à Yalta. Au plan national, jamais, en temps de paix, la coupure entre les factions politiques n’a été aussi vive. Au plan philosophique et idéologique, nous ne cessons d’osciller entre des excès inverses, sans parvenir à trouver un équilibre. La cause comme le remède de cette situation se trouvent en l’homme. Dire que notre société est en crise n’est qu’un lieu commun. L’homme est une crise. Il est la tragédie même. Chez lui, rien, jamais, n’est définitivement dit. Toujours, homme peut trouver en lui-même la trame d’un nouveau discours, correspondant à une nouvelle façon d’être-au-monde, à une nouvelle forme de son humanité. L’homme est en crise depuis qu’il existe. L’originalité de notre temps n’est pas là. L’originalité — la triste originalité — de notre temps réside dans le fait que, pour la première fois, l’homme recule devant les implications de ce que seraient son désir et sa volonté de résoudre la crise. Pour la première fois, l’homme croit que les problèmes le dépassent. Et ils le dépassent effectivement dans la mesure où il le croit, alors que ces problèmes sont nés de lui, qu’ils sont à sa mesure et à la mesure des solutions qu’il porte en lui.

    Nous ne sommes plus à l’époque où les hommes s’entretuaient parce qu’ils n’étaient pas nés du même côté d’une frontière. Les guerres d’aujourd’hui n’opposent plus les nations (ou, plus exactement, ne les opposent que secondairement), mais bien des vues-du-monde différentes, des idéologies, des façons d’être opposées. La lutte dont le monde est désormais le théâtre, lutte dont un seul protagoniste semble être pour l’heure pleinement conscient et à laquelle, pour la première fois également, participe la totalité de la planète, oppose des façons différentes d’appréhender le monde, de le concevoir et de chercher à le reproduire. Une façon différentialiste et une façon universaliste. Une façon anti-égalitaire et une façon égalitaire. Une façon qui aspire à une société organique, fondée et gouvernée par toujours plus de diversité, et une façon qui aspire à une société mécanique, où règnerait toujours plus d’homogénéité.

    Je pense enfin que nous sommes entrés dans l’avant-guerre. Jusque vers 1965-1968, les principaux événements politiques se situaient dans le prolongement direct de la situation créée en 1945. La démocratie chrétienne, la guerre froide, la décolonisation, etc., ont été autant de phénomènes résiduels. Les événements que nous vivons aujourd’hui ne terminent pas, ne « complètent » pas une époque. Ils en annoncent une autre. Ils en forment déjà une autre. Ce sont des signes annonciateurs. De quoi ? De ce que nous voudrons que cette fin de siècle soit. Depuis 1974-75, nous sommes entrés dans la « décennie décisive » — celle où les choses se décantent, où les eaux se séparent, où de nouvelles factions se mettent en place. Je suis convaincu que les lignes de partage à venir seront très différentes de celles qui existent encore aujourd’hui. Je crois que la prochaine décennie ruinera les prévisions de beaucoup de « futurologues ». Et qu’elle redonnera son importance à la politique étrangère — la seule, finalement, qui compte vraiment. Ernst Jünger disait : « Il n’y eut pas de création au début, mais il est possible à chaque époque de s’enflammer à sa mesure ». Je crois que nous pourrons encore nous « enflammer ».

    ***

    La vieille droite, en France, a de tout temps été réactionnaire. L’esprit réactionnaire est peut-être la chose au monde que j’exècre le plus. La vieille droite française semble toujours vouloir ressusciter quelque chose, comme si elle voulait retourner à un stade antérieur, automatiquement jugé meilleur. Les uns veulent revenir en 1789, les autres en 1933 ou en 1945. Cela dépend des nostalgies. Ce type d’attitude s’est toujours révélé stérile. L’histoire se répète, mais elle ne repasse pas les plats. Elle est riche d’enseignements, non parce qu’elle permet de savoir ce qui va se passer, mais parce qu’elle aide à retrouver l’esprit qui a produit un certain type d’événement. C’est ce que voulait dire Nietzsche, qui, en même temps qu’il prêchait l’Éternel Retour, affirmait : « On ne ramène pas les Grecs ». En clair : on ne recommencera pas le miracle grec, mais en se pénétrant de l’esprit qui l’a produit, on se mettra peut-être en mesure de créer quelque chose d’analogue. C’est ce qu’on pourrait appeler la régénération de l’histoire.

    Nous sommes au siècle où tout semble avoir été dit. La culture est en crise : comme si elle était arrivée à épuisement. On continuera à faire des peintures et des sculptures, mais il est peu probable que de nouvelles révolutions se produiront dans ce domaine. Il en va de même sur le plan musical. Wagner, en quelque sorte, a clos le cycle de la musique occidentale. On ne peut, après lui, que « wagnériser », « mozartiser », etc., ce que font tous les compositeurs contemporains, de l’avant-garde aux variétés. Même dans le secteur scientifique, apparemment en plein développement, la technique prend de plus en plus le pas sur la recherche pure. Ou, plus exactement, cette dernière ne semble plus en mesure d’aboutir à une révolution comparable à celles induites par Copernic ou Einstein. (J’appelle ici « révolution » l’éclosion d’une discipline qui, pour s’exprimer et produire, doit créer son propre langage et, par là même, fonder une nouvelle vue-du-monde). La dernière en date des révolutions dans l’ordre des façons d’appréhender le monde est celle de la microphysique. Depuis, nous n’avons plus que des perfectionnements et des confirmations. L’éthologie , par exemple, est une discipline à la fois nouvelle et passionnante. Mais elle confirme simplement ce que l’on savait il y a deux ou trois mille ans : que l’homme est un loup pour l’homme.

    En décelant ainsi dans notre époque une césure fondamentale, je ne crois pas céder à la tentation de juger de l’histoire seulement par rapport à nous. Je pense véritablement que nous arrivons au terme d’un processus, qui est peut-être, tout simplement, l’histoire de l’homme actuel. Ce qui a été fondé lors de la révolution néolithique en est peut-être à son terme. Dans ces conditions, l’alternative est à la fois simple et redoutable. Il s’agit de savoir si l’homme ira plus loin. S’il relèvera ce défi fondamental qu’il en est ainsi venu à se lancer à lui- même. Ou, au contraire, s’il retombera au-dessous de sa condition, dans le paradis horizontal où les êtres sont « agis » par leur structure et leur appartenance à l’espèce. En d’autres termes, il s’agit de choisir entre la progression ou la régression : entre le surhomme ou l’infrahumanité . Mais nous voilà évidemment assez loin des problèmes de la droite.

    Revenons-y. Au mot « réaction », j’oppose celui de « conservatisme ». Cela peut surprendre : preuve que nous sommes constamment piégés par le vocabulaire. (Tout discours « de droite » commence par des définitions). J’appelle réactionnaire l’attitude qui consiste à chercher à restituer une époque ou un état antérieur. J’appelle conservatrice l’attitude qui consiste à s’appuyer, dans la somme de tout ce qui est advenu, sur le meilleur de ce qui a précédé la situation présente, pour aboutir à une situation nouvelle. C’est dire qu’à mes yeux, tout vrai conservatisme est révolutionnaire. Entre le ghetto néo-fasciste (ou intégriste) et le marais libéral, je crois à la possibilité d’une telle doctrine. Beaucoup n’y verront qu’une exaltation des contraires. Ils n’auront pas tort. L’homme de l’avenir sera le seigneur des contraires. Il aura la mémoire la plus longue et l’imagination la plus forte. Il pratiquera un romantisme d’acier.

    Toute idéologie s’exprime au cours de l’histoire dans une succession de trois formes : 1 - sous la forme d’un mythe ; 2 - sous la forme d’une théorie « séculière » ; 3 - sous la forme d’une « science ». Dans un premier temps, l’idéologie s’impose, non par sa vérité intrinsèque (les idées justes ne sont pas nécessairement celles qui ont le plus de succès, autre évidence fortement méconnue à droite), mais par sa puissance affective. Ce n’est que par la suite qu’elle a besoin d’une démonstration. À la suite de quoi, de « théologique », elle devient terrestre et profane. Enfin, dans un dernier temps, elle ne prétend plus à l’autorité absolue qu’en prétendant reposer sur des fondements scientifiques. Dans le développement de l’idée égalitaire, ces trois formes ont correspondu successivement au christianisme (égalité devant Dieu), à la théorie démocratique du XVIIIème siècle (égalité politique des sociétaires), et au marxisme et à ses dérivés (égalité de fait dans tous les domaines de la vie). Si l’on admet cette distinction, il est clair que le « moment » actuel de l’idée égalitaire ne correspond nullement au « moment » actuel de l’idée anti-égalitaire. La première arrive à la fin d’un cycle, l’autre n’en est qu’au début. C’est peut-être ce qui peut donner espoir. Si l’égalitarisme arrive à son « succès final », ce qui viendra après lui sera nécessairement autre chose que lui. En outre, si le monde actuel est la matérialisation de la fin d’un cycle, il est non moins clair que la seule source d’inspiration possible pour ce qui est à naître ne peut qu’être antérieure à ce qui vient de s’écouler. La force projective pour le futur réside dans l’esprit du plus lointain passé.

    Le « nihilisme positif » de Nietzsche n’a pas d’autre sens que celui- ci : on ne peut construire que sur une place préalablement rasée. Il y a ceux qui ne veulent pas construire (une certaine gauche) et ceux qui ne veulent pas raser (une certaine droite). Je crois que ces deux attitudes sont également condamnables. Si l’on veut faire naître une nouvelle droite, tout reste encore à faire. Et vu le retard à rattraper, il doit nous rester quelque chose comme un siècle avant d’aboutir. Autant dire qu’il n’y a pas une minute à perdre.

    Janvier 1976 — avril 1977. Alain de Benoist http://www.voxnr.com

    Notes :

    En janvier-février 1976, la revue Item, qui venait de se lancer, publiait une série d’ « opinions libres » consacrées à la droite. Ce texte, qui devait susciter des réactions diverses, fut rédigé pour figurer dans le cadre de l’enquête.

  • 13 février 1945 : démonstration d’éthique démocratique

    dresde_1945.jpgLe 13 février 1945, les démocraties anglaise et américaine commencent le plus brutal bombardement de la 2e Guerre mondiale (excepté le Japon).
    7 000 tonnes de bombes incendiaires sont larguées sur la ville de Dresde, joyau architectural, où s’étaient réfugiés de très nombreux civils.

    Des dizaines de milliers d’hommes, femmes, vieillards, enfants (entre 135 000 et 250 000 victimes) meurent, souvent brûlés au phosphore, dans des souffrances indescriptibles.

    La destruction de cette ville ne répondait pas à des objectifs militaires ou économiques mais s’inscrivait dans une logique de terrorisme, hors de toute morale, visant à ébranler le moral des Allemands.

    Civils habitant ou réfugiés à Dresde.

    Dresde, avec Hiroshima et Nagasaki, sont les exemples les plus connus de la barbarie anglo-américaine, mais on ne doit pas oublier les civils volontairement assassinés par de lâches bombardements un peu partout, dont des dizaines de milliers en France (voir Quand les Alliés bombardaient la France).

    Tandis que les USA, toujours flanqués de la Grande-Bretagne, se permettent de donner continuellement des leçons de morale au monde entier et n’hésitent toujours pas à pratiquer le terrorisme (comme en Serbie il y a peu), la résistance nationale d’outre-Rhin rend chaque année hommage aux morts de Dresde :

    http://www.contre-info.com/