culture et histoire - Page 1919
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Conférence du Cercle Non Conforme et de Solidarité Identité (30/03/13)
Conférence du Cercle Non Conforme et de Solidarité Identité (30/03/13)Venez soutenir la prochaine mission de Solidarité Identité auprès des Boers d'Afrique du sud!Le Cercle Non Conforme et Solidarité Identité organisent une soirée événement de soutien aux Boers d'Afrique du sud.
Xavier Eman, journaliste (Novopress, Radio Courtoisie, Elements...), membre de Casapound Italia, trésorier de l'association Solidarité Identités, viendra présenter son association qui intervient auprès de nombreux peuples en lutte à travers le monde pour leur survie (Serbes du Kosovo, Karen de Birmanie, Boers d'Afrique du sud, ...).
Ruben Rosiers, militant solidariste flamand, responsable du projet de Solidarité Identité pour l'Afrique du sud, présentera plus précisément la mission auprès des Boers.
Au terme de cette conférence, DJ Nederfolk animera une soirée totalement non-conforme.La conférence aura lieu à la frontière franco-belge le 30 mars 2013 et démarrera à 18h00. La soirée débutera à 20h00.Le lieu sera communiqué par mail 24 heures avant la conférence aux personnes qui en auront fait la demande à l'adresse suivante: reservation.cnc@gmail.com (France) ou stopboergenocide@hotmail.com (Belgique/België).Le prix d’entrée est fixé à 6€. Vous trouverez sur place des stands et de quoi vous restaurer. -
L’Odyssée, un grand moment de la culture européenne [vidéos intégrales]
PARIS (NOVOpress via Belle et Rebelle – A voir absolument : L’Odyssée de Franco Rossi, la plus fidèle adaptation filmée que nous connaissions de cette œuvre ! Que vous soyez passionné ou pas de mythologie grecque, certains ouvrages sont indispensables à la culture de tout européen qui se respecte. C’est le cas des poèmes épiques l’Iliade et l’Odyssée, vraisemblablement composés par Homère au VIIIe siècle avant notre ère, constituant ainsi la littérature la plus ancienne qui nous soit parvenue.
L’adaptation de Franco Rossi n’existe pas en DVD en français, mais un passionné a fait le montage en français et la mis en visualisation sur Internet.
Indémodables, ces chefs-d’œuvre sont une source d’inspiration constante depuis des siècles, notamment aujourd’hui pour les producteurs de cinéma… Si certains se permettent beaucoup de libertés quant à l’interprétation d’œuvres originales (Hollywood ne pouvant s’empêcher de tout passer au filtre moderne de la vision manichéenne du monde ou de faire passer des messages subliminaux au travers de menus détails), il existe parfois des petites perles dans l’océan des productions.
C’est le cas d’une mini-série créée en 1968 par Franco Rossi, l’Odyssée, qui est aujourd’hui la plus fidèle adaptation que nous connaissions de l’œuvre éponyme. Première grande co-production européenne en couleurs pour la télévision (elle a réuni l’Italie, l’Allemagne, la France mais aussi la Yougoslavie), elle est constituée de 4 épisodes d’1h30 environ qui séduira les plus jeunes (à partir du CM2) comme les plus grands. Bien que cette série n’ait pas encore eu la chance d’être éditée en DVD en français, elle est visible sur Internet (YouTube) depuis juillet 2012 grâce à certains passionnés qui n’hésitent pas à partager gratuitement le fruit de leur travail sur la toile. En l’occurrence, un grand merci à “Francheval” qui a fait lui-même le montage entre la bande-son française et l’image remasterisée du DVD italien, il y a quatre ans. C’était laborieux, mais pour lui, la série en valait la peine.
Rappel du synopsis :
Succédant à l’Iliade qui raconte la fin tragique de Troie, l’Odyssée est le récit des aventures d’Ulysse, en grec Odysseus, roi d’Ithaque, qui, maudit par la fureur de Poséidon, sera balloté par les flots près de dix ans avant de retrouver sa terre natale, son épouse Pénélope et son fils Télémaque (ces dix ans d’absence s’ajoutent aux dix ans de durée de la guerre de Troie). Aidé par Athéna, le héros aux mille ruses affrontera toutes les épreuves qui se dresseront sur son chemin, faisant face à la peur, à la faiblesse de ses compagnons, à leur bêtise, à la lâcheté et à la veulerie des prétendants qui déshonorent sa femme et sa maison, et tant d’autres maux qui l’éloignent de sa patrie… Des Lotophages aux odieux prétendants, retrouvez toutes les rencontres qui ont forgé le destin unique d’un simple mortel devenu héros à force de courage et de volonté…
Malgré l’absence dans l’œuvre de Franco Rossi de l’épisode concernant Charybde et Scylla, et quelques détails obsolètes qui feront sourire le spectateur d’aujourd’hui, l’ensemble est harmonieux et ne manquera pas de marquer en images la mémoire de nos chères têtes blondes.
Bon visionnage !
Sophie P http://fr.novopress.info
* Les vidéos peuvent être vues en plein écran, bouton en bas le plus à droite. Mettre alors de préférence la meilleure qualité, 480p (1er bouton à droite), mais cela peut ralentir le téléchargement aux heures de grand trafic.
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Notes sur la Contre-Révolution “blanche” en Russie
« Tout finira pas disparaître – souffrances, passions, sang, famine et la mort en masse. L'épée disparaîtra, mais les étoiles brilleront encore quand il ne restera même plus une ombre de nos corps et de nos actes sur la Terre. Pas un homme ne l'ignore. Alors pourquoi ne voulons-nous pas diriger nos regards vers cela ? Pourquoi ? » (Mikhaïl Boulgakov, La Garde Blanche, Moscou, 1923/24)
L'histoire est généralement écrite par les vainqueurs. Les vaincus des affrontements historiques restent nuets, parce qu'ils ont été annihilés et, même, quand, plus tard, ils finissent par prendre la parole ou par écrire, on ne prête plus attention à eux. C'est le sort qui a été infligé au “mouvement blanc” ou à la “contre-révolution blanche” en Russie, qui a tenté, au cours des années de guerre civile, de la fin de 1917 jusqu'à octobre 1920, de s'opposer à la prise du pouvoir par les communistes (les bolcheviques).Les Blancs avaient réussi à enregistrer d'étonnants succès militaires et à lancer des offensives qui ne se sont enlisées qu'à proximité de Moscou ou de Petrograd. Sous le commandement d'officiers de l'Armée du Tsar, les troupes blanches, composées de volontaires anti-bolcheviques, se sont regroupées, après le coup de force de Lénine, en plusieurs groupes d'armées : ceux du Nord-Ouest sous les ordres du Général Youdenitch, ceux de Sibérie sous l'Amiral Koltchak et ceux du Sud, sous les ordres du Général Dénikine d'abord, puis après son échec et sa démission, sous le Général Wrangel.
C'était au départ de petites unités, peu nombreuses — par ex. l'armée des volontaires du Sud ne comptait pas plus de 3.000 hommes en février 1918, mais ses rangs se sont étoffés progressivement jusqu'en 1919, pour monter à plusieurs centaines de milliers d'hommes — mais elles ne se sont pas recrutées, comme l'affirment péremptoirement les légendes de la gauche, dans les rangs des “réactionnaires et des grands propriétaires terriens”.
Dans son roman Le Docteur Jivago, Boris Pasternak décrit l'attaque d'une unité blanche contre des partisans bolcheviques, chez qui Pasternak, médecin, avait été contraint de servir. Qui étaient ces Blancs ? Jivago dit reconnaître dans les visages des attaquants les traits des hommes de sa propre caste sociale :
« C'était, pour la plupart, des garçons et de jeunes hommes issus de la bourgeoisie de la capitale, flanqués de quelques hommes plus âgés, qui avaient été enrôlés à titre de réservistes. Mais le gros de la troupe était composé de jeunes, d'étudiants, qui n'avaient derrière eux qu'un seul semestre à l'université, ou de lycéens de la 8ième classe qui venaient tout juste de se porter volontaires. Le Docteur (Jivago) n'en connaissait aucun ; mais leurs visages lui paraissaient familiers, comme s'il les avait déjà vu auparavant. Beaucoup lui rappelaient d'anciens camarades de classe... Il croyait déjà en avoir rencontré d'autres au théâtre ou en déambulant dans les rues. Il se sentait apparentés à leurs visages impressionnants, sympathiques. Leur jeunesse et leur haute idée du devoir avaient fait naître en eux un profond enthousiasme, ce qui les avait conduit à l'héroïsme, au mépris du danger. Ils fonçaient en avant, en ordre de bataille, droits et fiers, plus intrépides que les officiers de la Garde ; ils se riaient du danger et ne cherchaient pas à l'éviter en courant plus vite. Le docteur était sans arme, couché dans l'herbe, et observait le déroulement du combat. Il était de cœur aux côtés de ces jeunes gens qui marchaient vers la mort en héros. Presque tous appartenaient à des familles spirituellement proches de lui. Ils avaient été éduqués comme lui, ils étaient proches de lui par leur attitude éthique... ».
Si Pasternak, dans ce passage, dresse un monument aux classes moyennes russes, comme contrepoids au bolchevisme, d'autres témoins contemporains confirment ses sentiments. Un officier, qui a participé à la guerre civile en servant sous les ordres de l'Amiral Koltchak, écrivit, bien des années plus tard, que l'officier de l'armée impériale russe était « psychologiquement plus proche des simples paysans-soldats que les intellectuels socialistes ou communistes » (cf. Fedotoff-White, The Growth of the Red Army).
La plupart des chefs militaires de la contre-révolution blanche venaient de milieux socialement très modestes. Le Général Anton Ivanovitch Dénikine — Commandant-en-chef de l'armée des volontaires dans le Sud de la Russie — était issu d'une famille de serfs. Son père, non libre à sa naissance, était devenu, après la libération des paysans, officier subalterne. Dénikine insistait toujours pour dire qu'il était devenu général de l'armée impériale russe par ses propres efforts et non pas par naissance, fortune ou relations. Il est intéressant de noter que Dénikine n'était pas un monarchiste acharné. Il ne tolérait pas la propagande monarchiste dans ses troupes et utilisait plutôt la formule de “la Grande Russie, unie et indivisible”, qu'il s'agissait d'arracher aux griffes des bolcheviques.
Tout comme Dénikine, l'Amiral Koltchak était un officier de métier sans fortune, et aussi un explorateur polaire bien connu à son époque ; il sera trahi par les légionnaires tchèques de l'ancienne armée du Tsar et livré aux communistes qui l'exécuteront. Le seul baron parmi les chefs militaires blancs était le Général Piotr Nikolaïevitch Wrangel, mais il n'avait pas non plus de fortune personnelle. Son père était directeur d'une compagnie d'assurances à Rostov sur le Don. Sa famille ne possédait qu'une propriété foncière très modeste. Au départ, Wrangel aurait dû devenir ingénieur des mines. Il a changé ses plans et opté pour la carrière d'officier.
Notre objectif, dans cet article, n'est pas de relater les exploits militaires, les victoires et les défaites des Blancs. La critique du mouvement blanc a été déjà maintes fois formulée : les chefs de l'armée blanche, souligne-t-on souvent, étaient trop “impolitiques” et ne comprenaient pas la dimension idéologique de leur combat contre les communistes. Les Blancs opéraient depuis la périphérie contre le centre, fermement aux mains des bolcheviques et de Lénine. Les actions des Blancs étaient insuffisamment coordonnées voire manquaient totalement de coordination. L'orientation “grande-russe” du mouvement blanc suscita des conflits avec les mouvements anticommunistes non russes visant l'indépendance des nations périphériques du Caucase, de l'Asie centrale et des Pays Baltes.
Quoi qu'il en soit, on peut poser la question aujourd'hui, après tant de décennies, après que les acteurs de l'époque soient tous descendu dans la tombe : une victoire blanche sur les Rouges dans la Russie d'alors aurait-elle préservé l'humanité d'une succession de souffrances inutiles ? Les Russes et les ressortissants des autres nations tombées ultérieurement sous la coupe des Soviétiques auraient-ils échappé au goulag ? Il est même fort probable que bon nombre de communistes, massacrés pendant les grandes purges de Staline, épurés, auraient plutôt survécu sous un régime blanc, non communiste, que sous l'emprise de leur propre idéologie.
Les communistes et les historiographes de gauche évoquent souvent la “terreur blanche”, qui aurait fait rage pendant la guerre civile. Indubitablement, des excès ont été commis dans les deux camps, chez les Blancs comme chez les Rouges : c'est le lot de toutes les guerres civiles. Mais la terreur, au départ, n'a pas été déclenchée par les Blancs, qui ne possédaient pas d'instruments de terreur, à l'instar de la Tcheka, créée par Lénine, c'est-à-dire la “Commission extraordinaire pour la lutte contre la contre-révolution”, qui a précédé la GPU, le NKVD et le KGB. Beaucoup d'officiers blancs étaient choqués par l'extension de l'anarchie, de la brutalité, par la multiplication exponentielle des assassinats pendant la guerre civile russe. Ainsi, l'un des principaux commandeurs des troupes blanches, le Colonel Drosdovski, écrivit le 25 mars 1918 dans son journal :
« Comme les hommes sont détestables quand ils ont peur, ils sont alors sans la moindre dignité, sans style, ils deviennent vraiment un peuple de canailles qui ne mérite plus que le mépris : ils sont sans vergogne, sans pitié, ils méprisent scandaleusement ceux qui sont sans défense ; dans les prisons, ils ne connaissent plus de retenue dans leur déchaînement et leur méchanceté, mais devant les plus forts, ils sont lâches, serviles, rampants... ».
La Crimée, dernier bastion
Après l'échec de toutes les tentatives blanches de marcher sur Moscou, les forces anticommunistes n'avaient plus qu'un dernier refuge au début de 1920 : la Crimée, presqu'île de la Mer Noire. C'est justement dans ce dernier bastion, dans cette “Île de Crimée”, qu'on a pu observer l'ébauche d'une alternative russe au communisme totalitaire. Homme de droite, le Général Baron Wrangel, qui prit le commandement en Crimée après la défaite et la retraite des troupes blanches, a montré qu'il n'était pas seulement un chef d'armée capable, mais aussi un chef politique. C'est lui qui a dit qu'il fallait « mener une politique de droite avec une main de gauche ». Wrangel déclara que « la Russie ne pouvait plus être libérée par l'effet d'une campagne victorieuse des Blancs et par la prise de Moscou, mais par l'organisation politique d'une parcelle — même modeste — de terre russe où régnerait un ordre, offrant des conditions de vie telles qu'elles séduiraient les hommes croupissant sous le joug des Rouges ».
Caractéristique de la position politique de ce général blanc est l'appel qu'il a lancé en juin 1920 et qui mérite d'être cité in extenso :
« Écoute, ô peuple de Russie ! Pourquoi combattons-nous ? Pour la foi qu'on nous a souillée et pour les autels que l'on nous a profanés. Pour la libération du peuple russe du joug des communistes, des vagabonds et des criminels qui ont complètement ruiné la Sainte Russie. Pour la fin de la guerre civile. Pour que les paysans, qui ont acquis la terre qu'ils cultivent de leurs mains, puissent poursuivre leur travail en paix. Pour que le travailleur honnête ne doive pas végéter misérablement au soir de sa vie. Pour qu'une vraie liberté et une vraie justice puissent régner en Russie. Pour que le peuple russe puisse choisir lui-même, par élection, son souverain. Aide-moi, ô peuple russe, à sauver la patrie ! ».
Mis à part le terme “souverain”, qui pourrait être mésinterprété, un “souverain” que le peuple russe serait appelé à élire, nous avons affaire ici à un programme qui respecte les critères de l'État de droit, mais dans une optique conservatrice. Mais la formule de “souverain” prend une autre connotation quand on la découvre dans le texte original russe : en effet, ce texte utilise l'expression de “khosyaïn” qui, traduit, signifie aussi “maître de maison”, “hôte” et “chef naturel”. Wrangel a souligné à maintes reprises qu'il ne s'envisageait nullement comme le “khosyaïn” de la future Russie. Le Général blanc a formulé ce qu'il envisageait comme forme étatique pour la future Russie non communiste :
« De l'autre côté du front, au Nord, règnent l'arbitraire, l'oppression, l'esclavage. On peut être d'avis différent quant à l'opportunité de telle ou de telle forme d'Etat. On peut être un républicain, un socialiste ou même un marxiste extrême et considéré malgré tout que la dite “république des soviets” est l'exemple parfait d'un despotisme calamiteux, qui n'a encore jamais existé dans l'histoire et sous le knout duquel non seulement la Russie mais aussi la nouvelle classe soi-disant au pouvoir, le prolétariat, va périr. Car cette classe, elle aussi, comme tout le reste de la population, a été mise au tapis ».
Cette analyse du Général Wrangel date de 1920 mais, après 70 ans, elle reste étonnamment pertinente et actuelle. Wrangel a dit, dans le programme alternatif qu'il opposait au bolchevisme :
« Bien-être et liberté pour le peuple ; introduction des sains principes de l'ordre civil dans la vie russe, c'est-à-dire de principes étrangers à la haine entre classes ou entre nationalités ; union de toutes les forces de la Russie et poursuite du combat militaire et idéologique jusqu'au moment tant attendu où le peuple russe pourra décider lui-même comment la Russie devra dans l'avenir être gérée ».
Le Général a évoqué “l'ordre minimal” qu'il voulait instaurer dans les territoires qu'il viendrait à contrôler, « afin que le peuple, s'il le souhaite, puisse s'assembler librement et dire sa volonté en toute liberté ». À quoi le commandeur blanc ajoutait : « Mes préférences personnelles n'ont aucune importance. Au moment où j'ai pris le pouvoir entre les mains, j'ai mis à l'arrière-plan mes affinités personnelles à l'endroit de telle ou telle forme étatique. Je m'inclinerai sans condition devant la voix de la Terre russe ».
Face au monarchiste V. Choulguine, Wrangel énonçait les objectifs de sa politique : il voulait, disait-il, sur le territoire de la Crimée, « sur ce petit bout de terre, rendre la vie possible... En un mot, (...) montrer au reste de la Russie : vous avez là le communisme, c'est-à-dire la faim et la police secrète, et, ici, chez nous, vous avez une réforme agraire, nous avons introduit l'administration locale autonome (la semstvo), nous avons créé l'ordre et rendu la liberté possible... Je dois gagner du temps, afin que tous le sachent et voient que l'on peut vivre en Crimée. Alors il sera possible d'aller de l'avant... Alors les gouvernements que nous prendront aux bolcheviques deviendront pour nous une source de puissance... ».
L'héritage de Stolypine
Dans sa réforme agraire et dans la concrétisation de l'administration autonome, le Général Wrangel s'est inspiré du grand réformateur conservateur de l'époque du Tsar, le Premier Ministre Piotr Arcadéëvitch Stolypine, victime en 1911 à Kiev d'un attentat perpétré par un révolutionnaire, qui était aussi au service de l'Okhrana, la police secrète du régime tsariste. L'un des plus proches conseillers politiques de Wrangel venait de l'entourage immédiat de Stolypine, c'était Alexandre Vassiliévitch Krivochéine, mort en 1921. Krivochéine était d'origine paysanne. Son grand-père l'était. Son père était devenu Lieutenant-Colonel dans l'armée. Sous Stolypine, Krivochéine s'était penché sur les problèmes de la réforme agraire. Il voulait surtout renforcer économiquement et socialement les positions des paysans russes libres, aisés et industrieux. Dans un certain sens, Wrangel a poursuivi les réformes de Stolypine en Crimée. L'objectif de Stolypine, avant sa mort violente en 1911, avait été de couper l'herbe sous les pieds des révolutionnaires en pratiquant une politique de la propriété intelligente et modérée et en créant une caste moyenne solide composée de paysans.
Le deuxième conseiller important de Wrangel, qui fut de facto son “ministre des affaires étrangères”, était Piotr Berngardovitch Struve. Au départ, Struve était marxiste, mais redevint plus tard orthodoxe, ce qui contribua à faire de lui un conservateur et un nationaliste russe éclairé. Struve a défendu la cause de Wrangel et celle de la “Crimée blanche” auprès des alliés occidentaux, les Britanniques et les Français, que devaient évidemment solliciter les “forces combattantes de Russie méridionale”. Mais les négociations avec les Français et les Britanniques ont été décourageantes et humiliantes pour les Blancs : Paris posait des conditions pour accorder son aide militaire et pour livrer des vivres, notamment essayait d'obtenir de Wrangel qu'il promette de rembourser les dettes que l'Empire russe avait contractées auprès de la France. Les Britanniques en avaient assez de la guerre civile russe dès 1919. Ils menaçaient Wrangel de mettre un terme à toutes leurs aides et d'abandonner les Russes anti-communistes à leur sort, si l'armée blanche osait lancer une offensive contre les Soviétiques.
Beaucoup d'officiers de l'armée blanche soupçonnaient alors les puissances occidentales, et surtout les Britanniques, de n'avoir pas d'autre intérêt que de laisser les Russes s'entretuer dans une longue guerre fratricide et de ne pas vouloir accorder aux Blancs une aide substantielle, car, disaient-ils, l'Occident ne voulait pas d'un régime fort non communiste en Russie.
Dans les premiers jours de novembre 1920, les Rouges attaquèrent avec des forces nettement supérieures en nombre l'ultime bastion “Crimée”. Wrangel, à ce moment-là, venait encore de se rendre utile à l'Occident ingrat : pendant la guerre polono-soviétique, il a mobilisé en face de lui des troupes rouges si bien qu'en été 1920, l'armée rouge, aux portes de Varsovie, fut contrainte, faute d'effectifs suffisants, à reculer et à se replier, lors du fameux “miracle de la Vistule”.
Après la fin de la guerre polono-soviétique, le gouvernement de Lénine lança immédiatement toutes les forces rouges disponibles contre la Crimée. La percée soviétique à travers l'isthme de Perekop décida du sort de Wrangel et des Blancs : toutefois, le dernier des commandeurs blancs réussit encore à sauver 145.693 personnes, soldats et civils, en les embarquant sur des navires qui mirent le cap sur Constantinople. C'est ainsi que commença la première grande émigration russe. Dans une dernière allocution prononcée sur le sol russe devant des élèves-officiers, Wrangel déclara le 1er novembre 1920 à Sébastopol :
« Abandonnée par le monde entier, notre armée exsangue quitte la patrie, après avoir combattu non pas seulement pour notre cause russe, mais pour la cause du monde entier. Nous partons pour l'étranger, non pas comme des mendiants qui tendent la main, mais avec la tête haute, conscients d'avoir accompli notre devoir jusqu'au bout ».
Dans un entretien accordé au journal Velikaïa Rossiya (La Grande Russie), qui paraissait sur le “territoire libre”, Wrangel avait déclaré le 5 juillet 1920 :
« L'histoire honorera un jour le sacrifice et les efforts des hommes et des femmes russes en Crimée, car, dans la solitude la plus complète, sur le dernier lambeau libre de la Terre russe, ils ont combattu pour le bonheur de l'humanité et pour les lointains bastions de la culture européenne. La cause de l'armée russe de Crimée, c'est de se constituer en un grand mouvement de libération. Nous combattons une guerre sainte pour la liberté et pour le droit ».
Et, à l'époque, Wrangel fut prophétique : tant qu'il n'y aura pas en Russie une « véritable puissance étatique », de quelque orientation que ce soit, une puissance reposant sur « l'aspiration pluriséculaire de l'humanité à vivre sous une loi, à bénéficier de droits personnels et de propriété [et sur] le respect des obligations internationales », il n'y aura pas de véritable paix en Europe.
Émigré en Yougoslavie, Wrangel est mort en 1928. Son corps fut enseveli dans la petite église russe de Belgrade. Quand les communistes prennent le pouvoir en Yougoslavie, la pierre tombale et l'inscription sont recouvertes d'un tableau.
► Carl Gustav Ströhm, 1989. (article tiré de Criticón n°115, sept.-oct. 1989)
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[Perpignan] Conférence "L’Action française : un combat toujours d’actualité"
La section de Perpignan nous présente sa nouvelle conférence.
La conférence aura lieu le samedi 02 mars 2013 à 18h30, à l’hôtel des II Mas, 1 rue Madeleine Brèsse, 60330 Cabestany et aura pour thème :
"L’Action française : un combat toujours d’actualité"
Par Stéphane Blanchonnet, Enseignant et président du comité directeur de l’Action française.
La conférence sera suivi d’un diner, au restaurant "Le patio" de l’hôtel des II Mas, à 20h00.
La participation est de 30€, à l’ordre de M.Baux
Inscription et renseignement :
Mme Françoise Baux
8 rue Jean d’Orbais
04 68 66 76 06
roussillon@actionfrancaise.net
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Enquête sur la République...
Premier Café : samedi 20 octobre 2012 : L'idéologie de la République française est-elle encore vivante ? par Gérard Leclerc.
Deuxième Café : samedi 17 novembre 2012 : Face à la Crise, la République est-elle capable de défendre la France ? par Antoine de Crémiers.Troisième Café : samedi 15 décembre 2012 : Ils ont tué l'Histoire-Géo. Qui et pourquoi ? par Laurent Wetzel.
Quatrième Café politique de notre Enquête sur la République : le samedi 9 février 2013, Alain Bourrit a traité de Quelle Europe voulons-nous ?...
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Les professeurs d’histoire-géographie doivent devenir des propagandistes mondialistes
Les inspecteurs d’histoire-géographie organisent en ce moment de nombreuses conférences destinées aux enseignants des classes de seconde afin de leur distiller le nouveau programme qui entrera en vigueur lors de la rentrée prochaine.
Ces interventions marathons durent en général toute une journée et il serait fastidieux d’être exhaustif. Il serait tout aussi inutile d’énoncer l’interminable liste de chapitres que ces pauvres élèves devront ingurgiter (… sans trop les retenir), puisqu’elle est désormais officielle et en ligne. Nous nous bornerons à rapporter les consignes des inspecteurs relatives aux finalités pédagogiques de la mise en œuvre d’un tel programme, cela en vaut vraiment la chandelle.
Tout fier d’avoir obtenu son brevet, l’élève français de souche européenne sera accueilli au Lycée par un cours qui devra d’entrée de jeu le forcer à rester modeste : le programme d’histoire débute en effet par la place démographique des populations européennes dans le monde. Il pourra comprendre de façon rationnelle ce qu’il entrevoit tous les jours sur les chemins de l’école à savoir qu’il appartient à une espèce en voie d’extinction. Une banale fatalité somme toute à laquelle il ne faudra en aucune façon tenter d’apporter des solutions. Dans la foulée et sans aucun respect pour la chronologie, l’enseignant lui narrera un exemple d’émigration européenne de la misère au XIXème siècle (un Irlandais ou un Italien du Mezzogiorno, au choix). Par le biais du compassionnel, l’objectif « pédagogique » est ici clairement annoncé : il s’agit de faire comprendre et d’accepter la présence d’une immigration massive extra européenne sur notre sol et de « s’opposer à des idées qui pourraient mettre en péril la démocratie ». L’élève pourra ainsi remettre plus facilement ses biens à ces agresseurs quant il se fera racketter à la sortie du lycée.
Cette petite introduction bien assimilée, le jeune cerveau qui maitrise parfaitement ses repères spatio-temporels acquis au collège sera alors propulsé aux origines de la démocratie.
On ne l’encombrera pas trop de connaissances sur Athènes, « une démocratie qui n’a de commun avec la nôtre que le nom ». En effet, ces abominables Athéniens faisaient de la citoyenneté une conception politique et ne la partageaient pas avec les esclaves, les femmes et les métèques. « On lui préfèrera la conception juridique de la citoyenneté en vigueur dans l’empire romain dont l’extension ne rencontrait aucun obstacle ethnique ». Il s’agit donc bien de l’origine du modèle de société idyllique dans lequel nous avons la joie et l’avantage de vivre… On prendra grand soin de ne pas évoquer la chute de ce brillant édifice (Ndlr).
Mais il faut aller de l’avant, le révisionnisme ne doit pas faiblir. Il faut revisiter le Moyen-Age qui a tendance à exercer une certaine fascination chez les jeunes. Ainsi l’étude de la société médiévale occidentale vient heureusement remplacer les anciens chapitres consacrés à la naissance et à la diffusion du christianisme ainsi qu’à la Méditerranée au XIIème siècle. Les enseignants étaient généralement très mal à l’aise pour les traiter, soit par excès de laïcisme, soit par ignorance crasse de la religion de leurs parents ou de peur de finir avec une fatwa en racontant les exploits authentiques du prophète. Fini l’enseignement des croisades et de la Reconquista, place à l’histoire des mentalités. Que devront retenir les élèves de cette période fondatrice de l’identité européenne s’étendant des XIème aux XIIIème siècles, qui manque tant aux nouveaux mondes ? C’est élémentaire: en voulant spiritualiser le monde matériel, l’Eglise catholique a suscité une salutaire réaction républicaine qui justifie toutes les sécularisations ainsi que la sacro-sainte laïcisation. On ne manquera donc pas de faire l’apologie de notre système que le monde entier nous envie.
Mais déjà la mondialisation pointe son nez. Au cours de leurs nombreuses pérégrinations, les Européens des Grandes Découvertes sont entrés en contact avec les autres civilisations et se sont ouvert de nouveaux horizons. On profitera de l’aubaine pour démontrer qu’entre le pouvoir des empereurs byzantins et celui des nouveaux maitres ottoman il y avait une certaine continuité. L’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne pose quelques problèmes aux parents ? On travaillera l’esprit de leurs enfants et cela se réalisera sans encombre.
La Chine est également à l’honneur avec l’étude de la Cité interdite de Pékin. Les inspecteurs ne manquent pas de rappeler que nos élèves seront de plus en plus confrontés à ce pays émergent.
Ceux qui savent lire entre les lignes savent ce que cela signifie : à force de consommer des produits chinois nos élèves, au terme d’études longues et fastidieuses seront payés comme des ouvriers chinois. On poussera même le cynisme à expliquer que le massacre de la place Tien Anmen en 1989 par le pouvoir communiste était un acte que les Ming n’auraient aucunement désapprouvé ! Alors si les Ming…
Autant de chapitres qui doivent nous rattacher à l’harmonieux « Vivre Ensemble »dans lequel nous nous débattons.
La glorieuse révolution française est toujours à l’honneur avec son cortège de contre- vérités imposées. Ainsi, l’échec de la monarchie constitutionnelle est elle entièrement imputable à la Contre-Révolution. Dans la république les citoyens sont des co-souverains… très fatigués par leurs responsabilités comme semble l’attester le taux d’abstention des dernières élections. On ne manquera pas de déifier l’Etat.
Enfin, l’ultime chapitre intitulé Libertés et Nations en France et en Europe dans la première moitié du XIXème siècle doit s’achever en apothéose avec l’abolition de l’esclavage par la France en 1848.
L’objectif du programme dont la teneur politique n’est même pas cachée par ses instigateurs aura été rempli : la socialisation démocratique et républicaine des jeunes . L’enseignant leur aura transmis un esprit critique soigneusement balisé par des clous idéologiques très serrés.
La géographie n’est pas en reste puisqu’il s’agit d’y vendre un produit qui a précisément beaucoup de mal à trouver client (à l’instar de la citoyenneté en Histoire) : il s’agit du développement durable.
Il est bien spécifié que celui-ci ne consiste pas à préserver la nature mais « « d’assurer le bonheur de l’homme en société ». Les anciens chapitres inhérents à la formation des Etats et du rôle des frontières disparaissent, c’est logique. L’enseignement du développement durable ne doit pas être une morale précise t on en haut lieu, cependant il est interdit de l’aborder sous l’angle du catastrophisme ( une humanité à 9 milliards d’individus ne sera pas un problème…il y aura tellement de gadgets électroniques à leur fourguer !), de la « nostalgie d’un âge d’or quand l’homme vivait en harmonie avec la nature » ( bientôt 85% de l’humanité seront concentrés dans de gigantesques zones urbaines…ce sera plus facile à contrôler) et surtout pas sous celui du néomalthusianisme et de la décroissance.
La messe est dite ! Le professeur d’histoire-géographie sera davantage encore qu’il ne l’est aujourd’hui un agent de la propagande mondialiste. Seule consolation, ce tour de vis idéologique semble montrer que le système est aux abois… cela le rendra encore plus dangereux.
Marc Longobard http://ripostelaique.com/
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Basic celtos - Peuples Européens
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Olivier Maulin contre le monde moderne
En ce dimanche, pour interrompre le flot des actualités, voici une nouvelle que nous a aimablement envoyée André Waroch.
Le ciel était bas ce jour-là quand je sortis de la bouche de métro pour me rendre, comme souvent après le travail, dans une bibliothèque universitaire près de Montparnasse. Je me dépêchai de gravir les quelques dizaines de mètres qui séparaient le métro de l’entrée, jetant des coups d’œil inquiets aux nuages noirs qui s’amoncelaient au-dessus de Paris.
L’orage se mit à tonner dès que j’eus franchis le seuil de la porte cochère, où je croisai un groupe de frêles naïades à queue de cheval qui partaient précipitamment, un dossier sous le bras, en gloussant comme seules savent glousser les filles de dix-neuf ans. Je me retournai comme si de rien n’était et j’eu la vision fugitive de leurs petites fesses déjà hors d’atteinte, ondulant dans des pantalons serrés. Le vigile africain de l’accueil m’adressa un clin d’œil complice et j’entrai dans les locaux.
Délaissant les bandes dessinées, j’allai directement à l’étage. Je pris le Simenon que j’avais commencé la veille et partis m’installer dans le fond, à une petite table, calant ma chaise contre le mur, me pelotonnant confortablement. La pluie frappait à présent de toutes ses forces la baie vitrée qui me faisait face. C’était une tempête, une vraie. Les six ou sept jeunes assis à côté de moi sur une des deux grandes tables de l’étage, qu’ils avaient abondamment garnis de piles de feuilles, de cahiers et de livres de toutes sortes et de tous formats, regardèrent un instant les éléments déchainés se fracasser contre le mur de la civilisation occidentale, et replongèrent le nez dans leurs études. Moi j’étais bien comme ça, calfeutré, me distrayant avec un polar, alors qu’en tendant le bras à quelques centimètres sur ma gauche, j’aurais presque pu palper cette angoisse des examens imminents qui étreint, chaque année aux mêmes périodes, le cœur des boursiers comme des enfants de bourgeois. J’aimais ressentir cette tranquillité du vieux con de trente-cinq ans qui regrette, parfois un peu vite, ses vertes années. Assis, détendu, je me dis qu’il ne me manquait plus qu’une petite clope, ou une pipe même, puisque j’étais dans Simenon.
La tempête ne semblant pas devoir faiblir, je m’absorbai dans ma lecture. Un quart d’heure peut-être s’écoula. Mon attention fut alors distraite, imperceptiblement, par une cacophonie de chuchotements. Un débat semblait agiter le groupe d’étudiants. Je les observai un peu plus attentivement. Ils avaient la vingtaine, trois garçons et trois filles. C’est l’une de ces dernières, blonde, un peu boulotte, mal coiffée, qui semblait être l’initiatrice et la principale animatrice du débat. Visiblement elle défendait son point de vue contre la désapprobation générale, mais je ne distinguais réellement rien de ce qui se disait, jusqu’à ce qu’elle se lève et élève subitement la voix, au comble de l’agacement, voire au bord des larmes. Je fus saisi par ce qui ressemblait bien à une manifestation d’hystérie, phénomène propre aux femmes, qui dans le meilleur des cas arrivent à le faire passer pour la manifestation d’un quelconque mysticisme :
- Mais vous ne comprenez vraiment rien ! Olivier Maulin, c’est un prophète !
- Arrête, maintenant, fit une de ses copines. Calme-toi et rassieds-toi.
La boulotte s’exécuta et me regarda fugitivement, gênée de la scène. Ils se remirent à travailler, pendant que la fille qui lui avait dit de se rasseoir lui dit quelques mots à l’oreille, tentant probablement de dédramatiser la situation.
Olivier Maulin ? Jamais entendu parler. Etait-ce un de leurs profs à la fac dont elle se serait entichée, se donnant conséquemment pour mission de le défendre bec et ongles contre n’importe lequel de ses camarades qui se serait permis d’ébaucher, même adroitement, même sans avoir l’air d’y toucher, le moindre début de critique? Ou un acteur en vogue envers qui elle aurait développé le même complexe ? Ou un chanteur ? Mais peut-être n’était-ce pas dans le registre des amours post-adolescentes qu’il fallait chercher les raisons de cet éclat, songeai-je en essayant de me concentrer de nouveau sur mon livre. Après tout, même une femme peut être touchée par une révélation spirituelle sincère qui serait autre chose que le désir d’être pénétrée, fut-ce intellectuellement, par un homme possédant une énorme, une gigantesque personnalité.
Environ une heure plus tard, j’avais rangé le Simenon, et je déambulais un peu dans les allées, au hasard, avant de rentrer chez moi. Soudain, je vis la fille de tout à l’heure, debout au rayon histoire, en train de feuilleter furieusement un bouquin sur les indo-européens.
- Excusez-moi, mademoiselle…
Elle releva brusquement la tête, et me lança de ses yeux bleus un regard qui, j’en suis sûr, aurait pu percer le métal si on le lui avait demandé gentiment. Sa poitrine généreuse se soulevait rapidement sous son chandail généreusement décolleté.
- Non, commençai-je en souriant, je m’excuse de vous importuner, mais tout à l’heure, vous avez cité le nom d’Olivier Maulin, en disant que c’était un prophète. [photo en Une : "Le prophète", statue œuvre de Louis Derbré] Qui est ce monsieur, exactement ?
- C’est un écrivain.
- Ah bon ? Ravi de l’apprendre. Ça me fait plaisir de voir quelqu’un d’aussi passionné par de la littérature. Aujourd’hui on a tellement l’impression que les gens ne sont intéressés que par leur écran plat…
- Olivier Maulin, ouais, c’est un écrivain, mais c’est plus qu’un écrivain.
- Ah bon ?
- Est-ce que vous pensez qu’il y a d’autres mondes ?
- D’autres mondes, comment ça ?
- Bon, qu’est-ce que vous voulez, vous voulez me sauter, c’est ça ?
- Mais pas du tout ! Je suis réellement intrigué par ce que vous avez dit. Bon écoutez c’est pas grave, moi de toute façon j’allais partir. Au revoir.
Arrivé au milieu de l’escalier, alors que j’en étais à cinq au compte à rebours, je l’entendis qui me rappelait. Je ne lui avais qu’à moitié menti, j’étais réellement intrigué. Disons que mon approche était motivée à environ 28% par la curiosité intellectuelle. Il y avait donc au moins une part de vérité dans mes protestations. Et puis merde ! On avait quand même encore le droit d’avoir juste envie de baiser, non ?
- Excusez-moi fit-elle, l’œil humide une nouvelle fois, je n’aurais pas dû vous parler comme ça…
- Ce n’est pas grave, répétai-je, grand seigneur, il y a eu un malentendu, et voilà tout.
Nous discutâmes deux minutes. Elle finit par me dire tout à trac :
- J’ai ma voiture garée à côté, si ça vous dit, on peut aller faire un tour dans Paris et prendre un verre quelque part…
Cette fille était vraiment spéciale. J’acquiesçais, elle alla prendre son sac et nous sortîmes. Un soleil éclatant avait chassé l’orage. Je m’étonnai qu’elle ait quitté si facilement son groupe d’amis, elle me répondit que c’était une bande de connards. Bon.
En fait de voiture, c’était une vieille 2CV. Dans les années quatre-vingt, on en voyait encore beaucoup, aujourd’hui c’est une rareté. Je remarquai que celle-là était immatriculée en Bulgarie. Etait-ce dans ce pays que ses sœurs étaient parties pour mourir, au début des années quatre-vingt-dix, pressentant peut-être confusément qu’avec la chute du Mur un cycle historique venait de s’achever ?
- Vous êtes bulgare ? Demandai-je alors que le véhicule s’ébranlait avec force craquements. Je n’avais pas entendu un bruit aussi inquiétant dans une voiture depuis mes quinze ans, quand j’avais été pris en stop, sur une autoroute du sud, par un mec bizarre qui écoutait du Jean-Louis Murat.
- Oui, pourquoi, vous connaissez ?
- Oui, enfin je n’y suis jamais allé, mais bon, je connais un peu, Ceausescu…
- Ceausescu c’était en Roumanie.
- Ah bon, vous êtes sure ?
- Qu’est-ce que vous connaissez d’autre ?
Je me mis à fouiller à toute vitesse dans la banque de données de mes souvenirs. Qu’est-ce que j’avais à « Bulgarie » ? J’ouvrai le sous-dossier, on était vraiment dans les fonds de tiroir. Voilà ce que je connaissais de ce pays : en 1993, cette raclure d’Emil Kostadinov, en marquant à la dernière minute au Parc des Princes, éliminait l’équipe de France de la coupe du monde. En 1994, Hristo Stoichkov, le capitaine et le meilleur footballeur bulgare de tous les temps, emmenait son équipe jusqu’en demi-finale du Mondial aux USA ; victoires sur l’Argentine, l’Allemagne, il était sacré ballon d’or à la fin de l’année.
- En tout cas vous n’avez pas d’accent, fis-je.
- En fait, j’ai toujours fais la navette entre la France et la Bulgarie, dit-elle avec un sourire, depuis que je suis toute gosse. Mon père est français, ma mère bulgare.
- C’est bien d’avoir une double culture, dis-je distraitement, ça permet une plus grande ouverture d’esprit.
- Ah bon, vous trouvez ?
- Enfin il parait.
Je ne savais pas du tout où elle comptait aller, mais pour l’instant je m’en moquais. Il faisait vraiment un temps splendide. Nous arrivions place de la concorde, elle mit une cassette audio
– une cassette audio, me répétai-je stupéfait. Une musique orientale à base d’accordéon commença à emplir l’habitacle.
Une certaine pudeur, due à une éducation catholique sans faille, m’interdit d’aller plus avant dans l’évocation de la soirée que nous passâmes ensemble. Pour faire court, disons que je vengeai, ce soir-là, l’honneur perdu de David Ginola. Cela se passa à Gennevilliers, dans le petit appartement de sa mère, où elle créchait le temps de ses études, après quoi elle devait retourner travailler en Bulgarie, ou à Lyon, je ne sais plus.
Je la quittai au petit matin. Je lui dis au revoir poliment, mais sans effusions inutiles, sans même proposer d’aller chercher de quelconques croissants. Elle parût quelque peu désappointée que je m’en aille de cette façon. Elle me proposa de rester, et ses yeux se firent suppliants, mais j’en avais vu d’autres, je sais exactement le degré de rouerie qui se cache derrière les manières affectées des femmes. Je prétextai, sans prendre la peine d’y mettre beaucoup de conviction, un rendez-vous professionnel, et partis sans gloire et sans me retourner. Je repris le métro qui me ramena jusqu’à chez moi, en proche banlieue.
Ma vie reprit son cours, longue et monotone. Je suis employé de bureau. Le goût de l’aventure m’a quitté depuis tellement longtemps que je ne me souviens même pas en avoir été un jour habité. Très vite, la concentration qu’exigent les travaux administratifs, s’ajoutant aux mille soucis quotidiens qui accablent tous les provinciaux de trente-cinq ans venus s’installer seuls à Paris pour exercer un travail alimentaire, chassèrent la donzelle de mon esprit. Environ une semaine plus tard, en fin d’après-midi, alors que je m’apprêtais à sortir du bureau, ou pour être plus précis : alors que je commençais à songer au moment où je m’apprêterais à partir, et que je rangeais vaguement quelques vieilles piles de documents, mon téléphone portable se mit à sonner.
J’ai oublié de vous dire, la fille s’appelle Catherine. Catherine, donc, puisque c’était bien elle au bout du fil, me convia à une soirée pour le lendemain avec des amis, dans un restaurant chinois du 13ème. Je me méfiais, est-ce que je n’étais pas tombé sur une psychopathe qui, après une soirée, serait tombée maladivement amoureuse de moi, comme Glenn Close dans Liaison fatale ? Néanmoins j’acceptai, et je suis incapable encore aujourd’hui d’expliquer pourquoi.
J’eu un sommeil agité, proche de la transe chamanique. Je me métamorphosais en oiseau de proie, planant au-dessus de Paris. Je me réveillai au milieu de la nuit, me redressant d’un coup sur le lit, en sueur.
La journée fut interminable, je commençais à en avoir plein les bottes de ce boulot. Quand sonna l’heure, j’avais l’impression d’être au bord de l’épuisement, pourtant dès que je me retrouvai dans la rue, toute ma fatigue se dissipa comme par enchantement.
Je repassai chez moi pour me changer rapidement et récupérer ma vieille Volkswagen. J’avais récemment réussi à économiser assez d’argent pour l’emmener au garage. Je m’habillai à peu près comme d’habitude, avec un costume-cravate sans cravate. Je savais que j’allais me retrouver au milieu de jeunes de quinze ans de moins que moi. Il s’agissait de ne pas avoir l’air trop con, et pour commencer essayer de ressembler à quelqu’un de mon âge. Le pire aurait été d’essayer de les singer.
Arrivé dans le quartier chinois, je trouvai une place à quelques dizaines de mètres du restaurant. Je n’avais pas envie d’arriver en avance, alors je me fumai deux ou trois cigarettes, tapi dans l’obscurité de l’habitacle.
Au bout d’un quart d’heure, je sortis de la voiture. Un serveur vint m’accaparer à l’instant même où je poussai la porte vitrée. C’était un Chinois de soixante ans, l’air las, aux traits fripés, courbé comme si sur ses épaules reposait le destin de l’Empire du Milieu. Catherine m’avait dit de demander sa table. J’indiquai donc ses nom et prénom, et le serveur se dirigea vers l’arrière-salle en me faisant signe de le suivre. Il traînait tellement les pieds que je ne sais même pas si l’on peut vraiment dire qu’il marchait. Je distinguais le chuintement de ses mocassins sur le parquet en bois. Son mode de déplacement tenait en fait de la reptation. C’était absolument fascinant.
Le restaurant était typique du quartier, c’est-à-dire qu’il ne fallait pas y aller pour l’hygiène. Heureusement, mon organisme s’était déjà depuis longtemps habitué aux saloperies d’origine exotique, résultat d’une vie ponctuée par de fréquentes visites au kebab. Parfois, en pensant à Maupassant, je me disais que le staphylocoque doré serait ma syphilis.
A la table, ils étaient quatre. On fit les présentations. Outre Catherine, il y avait une grande bringue au teint blême, vêtu à la garçonne, veston et chapeau à l’ancienne, qu’on appelait Palombe. Non non, pas Palomba, Palombe. Il y avait Edgar, qui était habillé, sans grande façon, d’un jean et d’un sweat-shirt. Il était châtain et portait un petit bouc qui, ajouté à ses sourcils en accent circonflexe, lui donnait l’air d’un diable sorti de sa boite. Il avait l’air de quelqu’un de nerveux, et d’assez bavard. Et puis, il y avait un rasta blanc. Je me méfie des rastas blancs. Non, se méfier n’est pas le mot exact. Dans les premiers temps de ma vie active, alors que j’avais quitté mes parents il y a peu et que j’habitais dans mon premier appartement, un minuscule meublé, je voyais de temps à autre des blattes. Un jour, il y en avait une qui grimpait péniblement sur un mur, puis, le surlendemain, je surprenais sa cousine en train de s’extraire de sous la cuisinière, puis rebrousser chemin en catastrophe en me voyant saisir sournoisement un chausson. Je ne m’étais pas alarmé plus que ça. Je ne laissais pas trainer de nourriture et je faisais le ménage régulièrement. Je m’imaginais qu’elles venaient d’un autre appartement, et que par le jeu des conduits d’aération elles tombaient chez moi de temps à autre, par accident. Mais plus le temps passait, plus augmentait la fréquence de leurs apparitions : une fois par semaine, puis deux, puis une fois par jour, et toujours vers la cuisinière. Un soir, je décidai d’en avoir le cœur net. Je déplaçai le meuble pour regarder ce qui pouvait bien se passer en dessous.
C’était une boite de chocolats de Noël bon marché. Les locataires précédents, un couple de jeunes, avaient probablement organisés, un 25 ou un 31, une beuverie d’amis au cours de laquelle cette boite avait glissé, je ne sais comment, sous la cuisinière. Je compris que c’était une boite de chocolats grâce à l’étiquette. Quelqu’un avait enlevé le couvercle. Mais là où on aurait dû voir les chocolats en question, il n’y avait plus qu’une masse grouillante et grise, celle de ces insectes immondes qui, depuis des semaines, se repaissaient dans mon dos de ces guimauves de cacao industrielles. Je dormais tous les soirs à trois mètres de cette infection vivante.
Dans ma vie, par la suite, je ne ressentis ce même sentiment d’horreur et de dégoût, bien que légèrement affaibli, que dans les très rares occasions où j’eu à côtoyer des rastas blancs. En présence d’une forme de vie étrangère, manifestement hostile, aux déplacements erratiques, et dont l’unique fonction biologique dans la chaîne alimentaire semble être le parasitage, l’honnête homme, obéissant à un réflexe ancestral, mu par d’étranges impulsions envoyées par le cerveau reptilien, sentant remonter en lui des souvenirs collectifs transmis génétiquement à l’humanité depuis le tréfonds des âges, à l’époque peut-être où les hommes de la tribu, criant et agitant leurs torches, passaient la nuit à repousser les hyènes qui tentaient de mordre les femmes et d’emporter les bébés, l’honnête homme, disions-nous, se sent soudain envahi d’un désir fort et primitif, celui de se saisir d’un gros caillou tranchant et de massacrer la Bête.
Le rasta blanc s’appelait Sébastien. Je lui serrai tout de même la main et m’assis. La conversation s’engagea. Edgar me demanda, en faisant un point d’interrogation avec un de ses sourcils circonflexes :
- Qu’est-ce que vous faites dans la vie ?
- Oh, fis-je d’un air embarrassé, je fais un travail de bureau…
- Vous êtes dans l’administration ? reprit-il en faisant deux points d’interrogation, comme si être fonctionnaire en France était quelque chose de proprement extraordinaire.
- Non non, dans le privé…
- Ah ok, répondit-il, l’air soulagé, remettant ses sourcils au repos.
- Nous on est tous étudiants, on est dans la même classe, dit Palombe.
- Ah bon, et vous étudiez quoi ?
- Licence d’anglais, répondit Sébastien, le rasta, les yeux baissés. Même qu’on se fait chier.
- Parle pour toi, répliqua Palombe, l’air agacé.
J’observais Catherine du coin de l’œil ; après m’avoir accueilli, elle n’avait quasiment plus ouvert la bouche. Mais elle n’avait pas l’air vraiment inquiet. Elle semblait réfléchir à quelque chose.
- Alors, repris Edgar, qu’est-ce qui vous branche dans la vie ?
- Moi ? Oh, pas grand-chose.
- Vous lisez ?
- Si je lis ? Oui, ça m’arrive…
- Quoi par exemple ?
- En ce moment, je suis sur Simenon.
- Ah bon, fit le rasta avec un sourire narquois, vous préférez les hommes ?
Et cet abruti s’esclaffa à sa propre saillie. Les autres sourirent d’un air indulgent. Je me forçai à arborer un rictus. Dans la foulée, Edgar me posa subitement cette question qui me désarçonna :
- Vous connaissez Olivier Maulin ?
Un silence se fit.
- Oui, répondis-je après un moment d’hésitation, j’ai entendu ce nom dans la bouche de Catherine la première fois que je l’ai vue, mais…
- Nous quatre, on lui voue un culte. On pense que c’est une sorte de prophète.
- Ou de messie, dit Palombe.
- Si tu veux. En tout cas, on est fans absolus, reprit-il en s’adressant de nouveau à moi. C’est un génie. Il nous a ouvert les yeux sur le monde moderne. C’est Catherine qui nous a initiés. On essaie de le faire découvrir autour de nous.
- On le suit dans tous ses déplacements, dit Palombe.
- La dernière fois, c’était au salon du livre de Marseille, dit Catherine, soudain réveillée.
- Ah bon, dis-je, vous êtes allés jusqu’à Marseille?
- On le suit partout, répondit Palombe. Dès qu’on sait qu’il se rend à un festival ou un truc comme ça.
- Fais lui voir l’album, intima Catherine à Sébastien.
Après avoir regardé autour de lui comme s’il s’apprêtait à étaler sur la table une substance prohibée –probablement un vieux réflexe- celui-ci fouilla dans son sac et en sortit un album photo blanchâtre, aux angles racornis.
Il l’ouvrit un peu au hasard et le posa face à moi. Des photos diverses, en couleur, en noir et blanc, plus ou moins nettes, comme prises à la dérobée, montraient toutes le même type, un rouquin qui devait avoir environ le même âge que moi, qui comme moi avait adopté le costume-cravate sans cravate ; plus ou moins barbu, plus ou moins grassouillet, selon les photos et l’époque où elles avaient été prises. On ne peut pas dire qu’il était vraiment beau, ni vraiment moche. Il était d’un abord plutôt sympathique, mais dans l’ensemble c’était le genre de mec qui pouvait passer à peu près inaperçu partout. En fait, il ressemblait plus ou moins à un contrôleur de la SNCF. D’ailleurs, il y avait une photo où il descendait d’un train, et plusieurs autres où on le voyait discuter avec d’autres personnes sur le quai d’une gare.
- Ca c’est quand il revenait de la foire au livre de Lorient, dit Palombe.
- C’est bizarre, je ne vois aucun d’entre vous sur les photos.
- C’est normal, mec, répliqua Sébastien. Il ne nous a jamais vus. Depuis trois ans, on l’observe en secret.
- Hein ? Mais Pourquoi ???
- Tu ne peux pas comprendre, dit Catherine en soupirant. On a décidé ça entre nous. On s’est dit qu’on devait être ses anges gardiens.
- Ouais, dit Sébastien, ça c’est TA version.
- Il faut avoir lu l’œuvre d’Olivier Maulin pour saisir le sens de notre démarche, dit Edgar en me fixant avec ses grands yeux fous, et surtout Les évangiles du lac. C’est dans ce livre qu’il a vraiment ouvert une brèche.
- Ouvert une brèche dans quoi ?
- Dans le monde moderne, répondit-il, énigmatique.
Trois heures plus tard, je ramenais Catherine à Gennevilliers. Je n’avais pas envie de rentrer tout de suite, ni d’aller boire un dernier verre ailleurs. Je lui proposai un petit tour en voiture dans Paris avant de rentrer.
Après ces mots étranges sortis de la bouche d’Edgar, le serveur était enfin venu avec les menus, et nous avions ensuite commandé assez vite. L’alcool et la nourriture, d’ailleurs excellente, avaient achevés de délier les langues. J’avais eu droit à une formation accélérée sur Olivier Maulin. J’étais quand même tombé sur de sacrés tarés.
Je me méfiais de Sébastien. C’était un fourbe qui n’attendait qu’une occasion pour trahir, j’en étais persuadé. Avez-vous remarqué que les rastas blancs ne trainent jamais ensemble, contrairement par exemple aux punks à chiens ? Ils préfèrent coller aux basques des gens normaux, pour les parasiter. Jamais plus d’un rasta blanc par groupe de jeunes, c’est une règle invariable. Et ils restent jusqu’à ce que l’on découvre leur véritable nature. Néanmoins, une chose me paraissait sincère chez Sébastien, c’est l’amour qu’il portait aux écrits d’Olivier Maulin, un amour visiblement aussi fanatique que celui de ses amis.
Palombe trimbalait une sorte de mal-être adolescent, qui la poussait à exprimer, comme Sébastien d’ailleurs, une certaine agressivité à mon égard ; ou peut-être croyait-elle que le personnage qu’elle cherchait à incarner aux yeux des autres se devait de faire preuve d’agressivité à mon égard. Et en même temps, une certaine sophistication me la faisait paraître plus intéressante et plus profonde –peut-être à tort- que son camarade. C’était une littéraire : elle admirait Oscar Wilde, George Sand, Verlaine et Rimbaud. Enfin, elle les admirait, jusqu’à ce que Catherine, un soir, lui prête Les évangiles du lac.
Edgar m’avait paru des quatre le plus intéressant. Il n’existait pas uniquement à travers l’œuvre d’Olivier Maulin, ce que je ne n’aurais pas pu jurer à propos de ses collègues. Il travaillait à un roman de science-fiction. Il m’avait expliqué qu’avant de commencer l’écriture de l’intrigue proprement dite, il s’attelait à mettre en place les personnages et leurs interconnexions, il imaginait l’historique des planètes et des peuples qu’il allait mettre en scène ainsi que celles des grands ancêtres des protagonistes, bref, il cherchait à créer de toutes pièces un univers entier, cohérent, à la manière des grands maitres comme Frank Herbert. L’histoire commençait sur une planète appelée Eimera, où deux races extra-terrestres, les Zaloptères et les Archoutanes, au mode de vie relativement primitif, coexistaient sans le savoir, vivant de chaque côté d’une forêt gigantesque qui, enserrant Eimera tout au long de son équateur comme une sorte d’anneau, formait entre les deux hémisphères une barrière colossale, infranchissable pour ces créatures dont le niveau de civilisation était comparable à notre néolithique. Selon les légendes locales, si ces deux races se rencontraient et se mélangeaient, la nouvelle race hybride qui en serait issue aurait le pouvoir de conquérir toute la galaxie.
La planète voisine, Perla, avait été fondée, il y a des millénaires de cela, par des commissaires européens en exil. Au milieu du XXIème siècle, l’Europe ruinée, dévastée, en proie à la guerre civile, aux épidémies, le troc ayant remplacé l’usage de l’Euro sur la plus grande partie du territoire, une insurrection populaire, soutenue par l’armée, prit le contrôle de Bruxelles. On mit la main sur les commissaires européens. Un tribunal populaire décida, en quelques heures, de leur culpabilité dans la catastrophe générale, et de leur exécution publique par strangulation. Mais quelques survivants avaient réussi, en soudoyant des passeurs, à gagner Kourou, et à utiliser les dernières parcelles de leur autorité légale pour s’échapper, avec leurs familles et leurs employés, à bord d’un engin spatial expérimental. Au bout d’un périple de sept ans qui appartenait aux mythes fondateurs de la planète Perla, les commissaires débarquèrent sur la terre promise, une planète hostile, désertique, peuplée de lézards géants, sur laquelle ils réussirent néanmoins à faire souche. Dès qu’ils furent à peu près installés, leur premier geste fut la création de l’embryon d’une nouvelle construction européenne. Des référendums eurent lieu pour savoir si les lézards faisaient partie des espèces nuisibles, ou s’ils constituaient un patrimoine naturel à protéger. Des groupes de réflexion inter-départements furent formés pour éclairer le débat et remettre leur rapport à la sous-commission chargée du statut des lézards de Perla. Parallèlement, le commissaire préposé à la protection du patrimoine naturel créa une autre sous-commission pour établir la classification des cailloux du nord du lac Tschaï, selon leur diamètre et leur forme.
Quelques années plus tard, les commissaires européens s’aperçurent de la présence, sur Eimera, des deux peuplades primitives susnommées. Après être rentrés en contact avec les indigènes (et avoir créé des sous-commissions pour les classer en plusieurs groupes selon leur forme), ils voulaient maintenant en faire des citoyens européens. La seule chose qui pouvait empêcher ce désastre était l’accomplissement de la prophétie : un mâle zaloptère devait s’accoupler avec la plus belle des femelles archoutanes, ce qui serait le premier pas vers la fusion complète des deux races. Elles se verraient alors dotées de pouvoirs leur permettant de balayer n’importe quel ennemi, et de régner sur l’univers.
Tout cela m’apparaissait bel et bon. Rien à dire, c’était du cousu main. En le quittant, j’avais prodigué à Edgar quelques encouragements. A présent, nous roulions en silence, sur les bords de Seine. Catherine, décidément, était étonnamment muette ce soir. Je ralentis jusqu’à rouler quasiment au pas, les yeux fixés sur l’eau scintillante. Il faisait doux ce soir-là. Je baissai ma vitre et allumais une cigarette. Catherine me demanda, en faisant beaucoup d’efforts pour me faire croire que sa question était anodine :
- Alors, qu’as-tu pensé de cette soirée ?
Machinalement, je jetai un coup d’œil au livre posé sur les genoux de Catherine : Les évangiles du lac, bien sûr. Elle l’avait amené pour moi. Je la regardai. Elle semblait immensément fragile, à présent, comme si elle était sur le point d’éclater en sanglots. Qu’est-ce que je savais de cette fille, finalement ?
- C’était bien, comme soirée. Tes potes sont des gens intéressants.
- Je savais qu’ils te plairaient, dit-elle en souriant.
Je tournai à gauche et pris le pont de Courbevoie.
- J’avais peur que tu nous trouves ridicules, rajouta-t-elle, l’air d’avouer un péché mortel.
- Ridicules ?
Je réfléchis un peu, et repris :
- Non, pas ridicules. Bizarres, oui, ça c’est sûr. Mais tout est bizarre, pour moi.
- Est-ce que tu as un peu compris de quoi il retournait ?
- Tu veux dire, avec les nains, les trolls et les elfes ?
- Oui.
- Je crois. C’est comme me l’a dit Edgar : vous êtes en révolte contre le monde moderne. Vous voulez le retour des temps héroïques. Tu voudrais être une princesse enfermée dans son donjon, et que je sois le chevalier qui vient te délivrer. Vous êtes d’anciens fans de jeux de rôle, non ?
- Oui.
- J’en étais sûr.
- Tu veux nous rejoindre ?
Je jetai ma cigarette et remontai ma vitre. En souriant légèrement, je lui dis :
- Non, je ne crois pas. J’ai déjà fréquenté ce milieu, dans le temps. Je n’ai rien contre ; mais c’est pas mon truc.
Catherine était désappointée, soudain. Elle regarda droit devant elle.
- Alors c’est quoi, ton truc ? Finit-elle par dire.
- Moi, tu sais, répondis-je en posant une main délicatement sur son genou, je suis italien ; ce dont tu me parles, là, tous ces machins, les trolls, les elfes, les Hobbits, ce n’est pas ma culture, ce n’est pas la culture d’ici non plus, d’ailleurs. Tout ça, ça vient des anglo-saxons.
On arrivait à Gennevilliers. Je la déposai devant chez elle, elle ne me proposa pas de monter. Je lui dis au revoir poliment, et je repartis. Décidément, avec Catherine, ça devenait une manie de se quitter fâchés. Mais ce soir, c’était peut-être la dernière fois qu’on se voyait. Je lui avais dit la vérité, mais pas toute la vérité. Je savais très bien ce qu’elle attendait de moi, et je n’avais pas l’intention de lui donner de faux espoirs. Je voulais bien qu’une femme ne soit pas seulement source de jouissance érotique, mais aussi une amie, une confidente. Très bien. Mais rien de plus que ça. J’avais appris à aimer la solitude et la liberté. Cela valait-il la peine de tout chambouler, tout ça pour avoir le plaisir d’entendre les flatulences de Madame au réveil ? Préciosité de vieux garçon, probablement. Mais c’était comme ça.
Quant à ses amis mystiques, ils auraient sûrement pu, en d’autres circonstances, se révéler dans toute la magnificence de leur gloire exaltée, et se tailler de véritables royaumes. Ils servaient des causes que je croyais perdues à jamais dans les eaux troubles qui s’agitent au confluent des mondes, là ou se confondent les rêves et la réalité. Leur folie n’était pas de notre époque. Mais peut-être que notre époque allait finir un jour, comme toutes les autres avant elle.André Waroch, pour Novopress