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culture et histoire - Page 1925

  • L'année 1917

    Le chemin des Dames

    Au cours de la Première Guerre mondiale, 1917 fut l'année de tous les dangers. Elle commença en effet par la célèbre et désastreuse offensive du chemin des Dames, ordonnée par le général Nivelle. On a le cœur serré au spectacle de cette tragédie, désastre humain qui jaillît bien tourner au désastre militaire et politique. Mais qui était responsable ?

    Pourquoi le président du Conseil, Briand, et ses ministres avaient-ils nommé Nivelle au détriment de chefs plus chevronnés et plus haut placés, Foch, Pétain ou Castelnau? Ce choix plut à l'état-major de Chantilly, d'autant plus qu'il avait été proposé par Joffre, mais déplut à la plupart des officiers.

    Toutefois. en 1916, Nivelle avait contre-attaqué avec brio à Douaumont et multiplié les contre-offensives pour briser l'effort allemand contre Verdun. Or les politiques étaient avides d'une victoire que la plupart des militaires estimaient encore lointaine.

    Nivelle, commandant en chef

    L'offensive préconisée par Nivelle devait prendre les Allemands en tenaille dans le saillant d'Arras, Noyon et Soissons, et, pensait-on, réduire de beaucoup la durée de la guerre. L'attaque prudente et progressive prévue par Joffre devait se transformer en assaut concentré sur deux jours, destiné à rompre le front.

    Par malheur, fin février, les Allemands se replièrent sur la ligne Hindenbourg, échappant à la prise en tenaille, et, début mars, ils s'emparèrent sur un officier tué des plans de l'opération. Tout était donc à refaire. Ou plutôt à ne pas faire, car le repli allemand avait fait perdre toute confiance dans l'attaque aux militaires et aux politiques.

    De plus, à l'issue d'un hiver difficile, le moral des troupes était bas. Le nouveau président du Conseil, Ribot, ne se montrait pas enthousiaste, et le ministre de la Guerre, Painlevé, qui avait accepté de revenir après avoir donné sa démission à la nomination de Nivelle, l'était encore moins.

    Pétain ne croyait pas à la percée. « Nous ne possédons pas les moyens de la réaliser. Les posséderions-nous qu'il nous faudrait des troupes fraîches pour l'exploitation. Disposez-vous des cinq cent mille hommes qui seraient alors nécessaires ?» Les Britanniques, eux aussi, se montrèrent sceptiques, même s'ils accomplirent avec loyauté leur part de l'effort. Seuls deux hommes gardaient confiance : Nivelle et Poincaré.

    La responsabilité de Poincaré

    Néanmoins, Nivelle, se trouvant seul contre tous, offrit alors sa démission. Mais l'homme de la situation était là: Poincaré, président de la République et par conséquent chef suprême des armées. Poincaré, qui avait joué un si grand rôle pour rendre la guerre inévitable, et qui par la suite devait contribuer avec ardeur à l' exaspération de l'Allemagne vaincue. Poincaré, donc, loin d'accepter la démission de Nivelle, décida que l'offensive aurait lieu.

    La perspective de l'action et les importants mouvements de matériel que sa préparation entraînait fit cependant remonter un peu le moral, et même les Russes (on était à quelques mois de la révolution soviétique) acceptèrent d' y prendre part. Nivelle, qui avait établi son quartier général à Compiègne pour être plus près du front, faisait la tournée des popotes, déclarant: « Fini, cette fois, le barbotage dans la boue des tranchées! Le Boche sera reconduit tambour battant à ses frontières et au-delà. Vous entrerez dans les lignes ennemies comme dans du beurre lorsque notre formidable artillerie aura arrosé leurs tranchées et anéanti leurs défenses ».

    À l'arrière, l'optimisme était aussi de mise. Tous discutaient des préparatifs en cours avec beaucoup d'enthousiasme ... mais peu de discrétion. Dans les bureaux, on en vint même à étudier des plans de démobilisation.

    Pendant ce temps, les Allemands renforçaient leurs défenses et arrosaient les premières lignes d'un tir in-'cessant et meurtrier; un second coup de chance fit même tomber entre leurs mains, le 4 avril, les plans du dispositif de la cinquième armée et ses objectifs: c'était un simple sergent-major de zouaves qui en était porteur. Ce fait jeta la consternation à l'état-major, mais ne suffit pas à ébranler la confiance de Nivelle et encore moins celle de son chef de cabinet. le colonel Audemard d'Alençon. Ce dernier expliqua le la mai à un général de division ce qui allait se passer dans le secteur du chemin des Dames : « Nous arriverons ici, ici et ici, et ce sera fait ! » Le général murmura : « Nous y arriverons, ou nous n'y arriverons pas ... » En première ligne, Mangin attendait l'offensive avec optimisme, au point que le général Micheler confia à Clemenceau (alors sénateur) qu'il trouvait ses préparatifs "téméraires".

    De plus, les premiers essais des chars d'assaut s'étaient révélés décevants. Peu avant, quatre-vingts d'entre eux s'étaient fait détruire en une seule attaque. Le troisième bureau considérait pour sa part que le mauvais temps à lui seul était un obstacle rédhibitoire.

    À l'aube du 16 avril

    L'offensive eut lieu malgré tout, sous une pluie glaciale qui avait duré toute la nuit, dans une boue que le dégel faisait monter dans les tranchées jusqu'à hauteur des genoux.

    Le 16 avril, à six heures du matin, un million de fantassins sortirent des tranchées sur 65 km de front. Ils atteignirent les premières lignes allemandes, les secondes. parfois les troisièmes. Pour se rendre compte avec stupeur que l'artillerie n'avait détruit ni les réseaux de fil de fer barbelé ni les nids de mitrailleuses. Car les tranchées allemandes étaient bétonnées, et des boyaux et des tunnels reliaient les postes entre eux. Les hommes furent fauchés par centaines, sans même se rendre compte d'où venaient les tirs !

    Dès sept heures, la bataille de Craonne était perdue. À neuf heures. elle l'était à Laffaux. L'artillerie ayant pris du retard à cause des intempéries. elle déclencha trop tard un tir de barrage qui à plusieurs endroits écrasa ses propres troupes. À midi, le malaise régnait à l'état-major. L'arrivée des premiers trains de blessés répandit l'effroi à Paris. Dès onze heures, les troupes d'exploitation regagnèrent leurs cantonnements sans avoir été engagées. Beaucoup de combattants ne purent regagner les leurs qu'à la faveur de la nuit.

    Fatalité ou aveuglement ?

    Nivelle avait promis d'arrêter l'offensive si elle ne donnait pas de résultat en deux jours. Il n'en fit rien, et Poincaré refusa de s'en mêler ! Le 4 mai, l'assaut reprit, toujours sous une pluie glacée et sans préparation, faisant des centaines de morts en moins d'une heure à Laffaux. C'est le 15 mai seulement que Nivelle fut relevé de son commandement et remplacé par Pétain. Les combats ne purent cependant cesser tout à fait que vers le 22 mai.

    L'afflux des blessés dans toute la France (les hôpitaux du front étaient débordés) sema la consternation. « On nous a assassinés ! » criaient aux passants depuis leurs camions les hommes ramenés au repos. La censure constata que le ton des lettres des soldats rescapés était des plus noir. Les officiers eux-mêmes ne voyaient plus d'issue à la guerre. La responsabilité de Nivelle, qu'il tenta en vain de rejeter sur ses seconds, était lourde.

    Toutefois, lorsqu' il passa en conseil de guerre, aucune faute militaire ne fut relevée contre lui. Sans doute cet officier brillant, qui avait su séduire par son allure et son enthousiasme, avait-il été victime de son aveuglement. Mais force est de constater que, mis en présence des faits, Poincaré n'avait pas pris la décision d'empêcher l'offensive, au moment décisif où Nivelle lui-même était prêt à y renoncer.

    C'est à Pétain que revint la tâche ingrate et pénible de faire face aux mutineries qui éclatèrent et de remonter le moral de l'armée. Ces mutineries sont la conséquence de l'échec sanglant de l'offensive, mais aussi d'une propagande pacifiste et de trahisons auxquelles l'attitude complaisante du ministère de l'Intérieur avait laissé le champ libre...

    Pierre de Laubier. FDA août 2007

  • L’animal unidimensionnel à l'image de l'homme

    L’animal unidimensionnel à l'image de l'homme La substitution de viande de cheval à de la viande de bœuf dans des lasagnes vendues comme plats cuisinés dans les grandes surfaces passe sans doute pour un problème de riches. On ne manquera pas de faire remarquer que, quelle que soit l’origine de l’animal abattu et commercialisé en pièces détachées, la platée de protéines enrobées de pâtes ferait le bonheur de toute une famille misérable d’un coin du globe délaissé par la société de consommation. Ces repus sont bien difficiles.

    Ils sont surtout bien chatouilleux et veulent en avoir pour leur argent. Leurs caprices sont ceux d’enfants grugés, plutôt que de citoyens sourcilleux. Ils pardonneront moins une tromperie sur la marchandise qu’une promesse non tenue ou une trahison de la part d’un élu. La preuve est qu’ils votent toujours pour les mêmes candidats, quoique ces derniers ne manquent pas une occasion de rouler le peuple dans la farine. En revanche, tout tricheur avéré ou fournisseur défaillant dans le monde a priori fort louche du commerce sera inévitablement inquiété ou lynché. Il n’est pas de secteur où une anomalie n’est payée au prix fort, et n’exige, comme parfois dans l’industrie automobile, des gestes nécessaires et généreux, sous peine de sanction immédiate de la part du marché. Le même destin attend les fautifs actuels.

    C’est toujours un spectacle assez paradoxal que cette moralisation affichée, judiciarisée et politisée à l’extrême, dans un monde où le mensonge publicitaire est la base d’un édifice pétri de rapacité et de mystification, et pas seulement dans le commerce. Encore faut-il bien que l’impression d’honnêteté universelle s’impose pour que, derrière la façade, les affaires continuent.

    Ce rituel s’affiche ostensiblement, et non sans hystérie médiatique, à chaque fois que l’occasion se présente, une fraude, un empoisonnement ou un cerveau qui devient spongieux. Cela n’empêche pas les clins d’œil appuyés, comme ne manquaient pas de le faire les Augures en se regardant, aux dires de Cicéron. Car, dit-on en gens prévenus, si les consommateurs savaient ce qui se trouve dans leurs assiettes…

    Ce qui est surprenant, semble-t-il, c’est que le débat ait porté uniquement sur une tromperie. Au moins aurait-on pu remettre en question la « naïveté » des pouvoirs publiques qui semblent plus laxistes dans les congélateurs que sur les routes de France. Certes, l’on a entendu quelques voix qui s’élevaient contre les circuits étonnants que prend la viande, entre abattoirs, traders, intermédiaires, distributeurs etc. Une véritable odyssée, moins poétique cependant que celle d’Ulysse. Mais la dérégulation, l’ouverture des frontières et la sacro-sainte religion des flux ne souffrent pas d’excessives sévérités en matière de contrôle, ni même d’éthique. La quantité impose sa loi, et le ventre des masses sa religion. Messer Gaster est sans doute le premier servi, mais le dieu Ploutos aussi. Chacun y trouve son compte, et c’est là le problème.

    Il est fort probable que les lasagnes incriminées n’aient rien à voir avec celles dont on se délecte en Italie. Du reste, il n’est pas difficile de tenter l’expérience avec tous les plats dits « typiques », dont les saveurs et la consistance sont en général savamment élaborées par de diligents laborantins. Il n’est guère possible qu’il en soit autrement dans une logique de cantine et de réfectoire. La nourriture n’y est pas, assurément, aussi insipide que dans 1984, mais un tel régime de gastronomie formatée entraîne rapidement satiété et dégoût, même si l’on ignore les ingrédients que l’on ingère, leur origine et les processus qui ont abouti à ce qui se présente, fumant et engendrant des exhalaisons artificiellement  « authentiques ».

    Le bruit de lave vaisselle, au demeurant, après les pétards du mariage homo, est bien opportun pour faire oublier le démantèlement du droit du travail et les autres « trahisons » d’une gauche qui n’a rien à envier à la droite en libéralisme.

    Hasard ou non, c’est justement au moment où ce scandale fait la une que l’on apprend que la farine animale est autorisée de nouveau pour les poissons, et le sera à terme pour porcs et volailles. On sait que le prochain Traité transatlantique de libre-échange nous réserve des surprises de ce genre.

    La question cruciale, qui n’a pas été posée, est pourtant très claire : quel rapport a-t-on avec les animaux ? Et pour cause, car cette question en cache une autre, qui est de savoir dans quel monde on vit. Ce non-dit, honteusement dissimulé depuis des siècles, à mesure que l’être humain se prétend « seigneur et maître » de l’univers, s’avère pourtant le point central de la contestation du monde déraciné, uniformisé, déstructuré et déshumanisé contemporain. La désanimalisation de l’animal va de pair avec la déshumanisation de l’homme.

    La relation de l’homme et de l’animal n’a pas été, depuis le néolithique, sans influence mimétique pour celle d’homme à homme. La domestication des animaux, du mouton au cheval, en passant par le chien, a probablement favorisé la domination d’homme à homme, et la gestion, par l’Etat naissant, de masses humaines de plus en plus importantes. Le parcage des troupeaux a pu également modéliser la ville, avec ses exigences géométriques et arithmétiques.

    On parle désormais de « minerai » pour les stocks de viande. L’indifférenciation de cette matière, issue portant d’êtres vivants différenciés, jette une lueur lugubre sur les consciences capables de penser ce qui ne relève plus du monde d’antan, où la bête était abattue et consommée dans la ferme ou le village. La complicité pour ainsi dire existentielle entre des êtres qui passaient encore pour vivants n'est plus qu'un conte archaïque.

    Il est inutile de rappeler les conditions innommables d’élevage industriel, de transport et d’extermination des animaux destinés à la boucherie. De nombreux documents, souvent horribles, sont à la disposition de tous, pour peu qu’on veuille lever la tête de son assiette. Le sort que l’on fait subir aux bêtes évoque irrésistiblement ce que les hommes ont infligé à d’autres hommes. Mais là, ce n’est pas une aberration épisodique de la barbarie humaine, mais un état permanent, et quasi quotidien.

    Les grandes tendances qui président à la quantification et à la désanimalisation de l’animal se retrouvent dans ce qui menace l’homme. Nous y voyons en effet agir les méfaits destructeurs de l’industrialisation, aggravés par la mondialisation qui favorise la standardisation et la massification, la technicisation du vivant, qui tend à rentabiliser la matière pour en extraire tout le profit, quitte à prendre de grandes libertés avec les lois naturelles, et la perte complète de tout sentiment de normalité autre que celle du marché.

    Heidegger évoque le devoir de gardien de l’être, que devrait saisir l’homme s’il veut se ressaisir. Il n’existe pas de domaine séparé dans la vie. Le sort subi par les animaux dans un monde qui tente, parfois de façon grotesque, de compenser sa cruauté par un surplus de sensiblerie à l’égard d’animaux de proximité, que l’on fait proliférer et qu’on personnalise comme des humains, tout en les abandonnant parfois comme on recompose sa famille, nous envoie au visage la vérité de ce que nous sommes. Il ne s’agit pas là de nier la loi de la nature, qui veut qu’il y ait des prédateurs et des proies, et qui ne va pas sans cruauté. Mais cette sauvagerie appartient au Nomos, à la loi du Cosmos, de ce qui est et doit être, de toute éternité. L’homme, par une sorte d’hybris insensée, modèle la nature selon ses propres règles, qui attentent à tout ce qui est décent et devrait ne pas être. La folie technique, la massification de la société, l’avidité, la perte des valeurs métaphysiques, c’est-à-dire transcendantes, transforment la terre en enfer. Dante se trouve dépassé, le progrès a plus d’imagination que lui.

    La radicalité de la contestation du monde contemporain ne doit pas s’arrêter aux revendications utilitaires. C’est une révolution sur soi-même qui est vitale, et si l’on veut se retrouver soi-même, recouvrer l’humanité propre, il faut se réapproprier ce qui existait avant que l’on ne vide le monde de son sens .

    La part d’animalité vraie que l'on porte en soi, dont toute recherche apporte des vertiges de sagesse, nous rapproche de l’animal, nous le fait comprendre et estimer, quel qu’il soit, araignée ou lion, vache ou chat, et nous lie à lui dans une sorte de fraternité mystérieuse, proche du divin. Les Anciens possédaient cette prescience, qui nous octroyait la connaissance inestimable de la mesure et de la beauté.

    http://www.voxnr.com

  • P. Ploncard d'Assac Entretien sur l'actualité n°3 (avec Florian Rouanet)

    http://ploncard-dassac.over-blog.fr/

  • Le colbertisme, un mercantilisme louis-quatorzien

     

    Colbert en tenue de l'ordre du Saint-Esprit, par Claude Lefèbvre (1666)
    Colbert en tenue de l’ordre du Saint-Esprit,
    par Claude Lefèbvre (1666).
    A la fin du XVIIème siècle, la mutation de l’agriculture française permet de subvenir aux besoins d’une population française en constante croissance. Elle devient même la population la plus nombreuse d’Europe avec environ 22 millions d’habitants, loin devant les autres pays. Cependant, l’économie française étant essentiellement agricole, la préoccupation majeure des différents surintendants des finances des XVII et XVIIIème siècles fut de diversifier cette économie afin de la rendre moins dépendante des aléas climatiques.

    Le colbertisme en tant que pratique économique est une application du mercantilisme théorisé bien avant Colbert, notamment par Bodin, Garrault, Laffemas ou encore Montchrétien, des économistes réputés de cette époque.

    Jean-Baptiste Colbert arrive donc à la surintendance des finances, sorte de ministère des finances et de l’économie, en septembre 1661, au moment de l’arrestation de Fouquet.

     

    L’idée phare qu’il a défendu tout au long de sa carrière a été que l’économie devait être au service de l’Etat et de la politique qu’entendait mener le Roi. Pour cela il se basa sur deux principes qui sont, d’une part la maîtrise des flux monétaires et d’autre part une vue statique de l’économie.

    Ces deux principes voulaient que l’augmentation de l’argent dont disposait le pays se faisait aux dépends d’un autre pays. Il fallait donc le retenir par tous les moyens. Pour schématiser, plutôt que de faire entrer et sortir l’argent du pays, il vaut mieux fixer le flux entrant de capitaux dans des investissements sur le sol français (Par exemple dans des entreprises) et faciliter les flux sortants de biens manufacturés au sein des usines françaises. Le but ultime étant d’avoir une réserve de capitaux importante à l’intérieur ainsi qu’une balance du commerce extérieur en excédent. Colbert mit donc en place des contrôles douaniers sévères pour éviter une fuite des capitaux mais aussi pour favoriser le marché intérieur aux dépends de l’offre étrangère.

    Dans la vision de Colbert, seul l’Etat a une vue d’ensemble sur l’économie du pays plutôt que de laisser faire les différentes professions qui défendent leurs intérêts uniquement.
    L’action de Colbert sur l’économie de notre pays s’est portée suivant deux axes : l’économie tournée vers l’intérieur et celle tournée vers l’extérieur.
    En France, il choisit de donner une impulsion à l’industrie car il compte sur elle pour rivaliser avec les grandes puissances économiques que sont, à l’époque, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas. Il décide d’unifier le marché intérieur pour faire circuler de manière équitable les marchandises. Il crée les manufactures royales pour attirer les ouvriers qualifiés et favoriser l’innovation.
    La mise en place progressive d’une uniformisation des différents règlements sur la fabrication de produits manufacturés pour obtenir une montée en gamme généralisée de la production française.
    La création des manufactures participe de ce bouleversement en soumettant les entreprises à un contrôle direct de leurs pratiques.

    Versailles étant un des endroits les plus fréquentés par la noblesse du monde à l’époque, Colbert s’en sert comme d’une vitrine pour exporter l’excellence française sur la planète. C’est un plan simple et redoutable à la fois : d’une part, il valorise la production intérieure en empêchant autant que faire se peut les produits étrangers de rivaliser avec ceux fabriqués en France, d’autre part il favorise la demande étrangère pour les produits manufacturés français. Cela permet une croissance de l’importance de la France dans le commerce international et surtout, ce qui est le coeur de la stratégie colbertiste, c’est l’enrichissement du trésor royal qui augmente de façon considérable. Colbert poursuit ce but depuis son accession au poste de surintendant des finances. Cet enrichissement du trésor permet à Louis XIV de mener les nombreuses guerres.

    A l’étranger, Colbert mise en grande partie sur la flotte de commerce pour concurrencer le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Il favorise la constitution des grandes compagnies de commerce sur le modèle hollandais et facilite leurs implantations outre-mer par la création de comptoirs de commerce dans les colonies.
    Le système qu’il établit en France continue son oeuvre malgré sa mort prématurée en 1683. Le corps des inspecteurs devient un véritable corps au service de la valorisation de la production française.

    Cependant, le colbertisme se trouve confronté à la montée du libéralisme, poussé par les Lumières. Dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, reprenant le vocabulaire faisant « l’éloge de la liberté », des économistes et chefs d’entreprises poussent le pouvoir pour qu’il abandonne les règlements qui uniformisaient la production de chaque objet sur tout le territoire national.
    La révolution se chargea de raser ce que les rois n’avaient pu se résoudre à complètement abolir: par le vote du 27 septembre 1791, les Constituants décidèrent l’abolition des règlements de fabrication et de l’Inspection des manufactures.

    Loin de résoudre les problèmes soulevés par un dirigisme un peu trop appuyé de l’Inspection des manufactures, l’abolition décrétée par l’assemblée constituante en crée de nouveaux: elle frappe d’infamie toute idée d’appliquer une règlementation quelconque dans la production d’un produit.
    Cela supprime aussi le rôle d’intermédiaire entre les entreprises et l’Etat que jouait l’Inspection et oblige l’Etat à légiférer de manière générale et non par branche comme le bon sens le voudrait. De plus le corollaire de la suppression de l’Inspection a amené celui des corporations, ce qui empêche le développement de réelles organisations sociales. Nos syndicats français n’en sont que la pâle imitation. La conséquence de cette suppression est une organisation des syndicats sur une base politique et non professionnelle, contrairement à l’Allemagne par exemple.

    Sans pour autant idéaliser ou de dénigrer l’action, il faut reconnaître à ce grand homme le mérite d’avoir toujours voulu mettre l’économie au service de la grandeur de la France et, cela de manière volontariste. Le problème de l’Etat aujourd’hui serait son incapacité à déterminer une politique économique claire, enchaîné qu’il est par le libéralisme issu des Lumières. De plus le destin de l’économie française échappe aux mains des politiques. L’économie n’est donc plus subordonnée au politique. Ce changement est conjugué au transfert à l’Union européenne de nombreuses prérogatives capitales dans le domaine économique, notamment dans le domaine monétaire.

    Bibliographie :
    MINARD, Philippe, La fortune du colbertisme, État et industrie dans la France des Lumières, Paris, Fayard, 1998.

    http://histoire.fdesouche.com

  • “Comprendre la mondialisation en 10 leçons”

    Présentation du livre “Comprendre la mondialisation en 10 leçons”, de Gilles Ardinat (Ellipses, sept. 2012) par Philippe Conrad sur realpolitiktv.


    Géopolitique en livres : "Comprendre la... par realpolitiktv

  • Face à la mort (camps d'extermination du Viêt-Minh )

    Un film rompt le silence sur les camps d'extermination du Viêt-Minh
    Après 55 ans d'opprobre et d'oubli, les anciens prisonniers d'Indochine qui ont survécu aux privations, brimades et lavages de cerveaux des camps viets, ont voulu remplir un devoir de mémoire envers leurs camarades, contre le mensonge et l'injustice.

    Le devoir de mémoire ne peut pas être sélectif. Avant de se préoccuper du malheur des autres, il ne faut pas oublier celui de ses compatriotes. Dans cet esprit, le Dvd Face à la mort, réalisé par l'Etablissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense (ECPAD), c'est-à-dire le ministère de la Défense, rassemble les témoignages des rescapés des camps du Viêt-minh. L'Association nationale des anciens prisonniers internés et déportés d'Indochine (ANAPI) a réuni à cet effet les derniers témoins pour recueillir, souvent pour la première fois, leurs récits émouvants et atroces.
    Les prisonniers étaient utilisés par le Viêt-minh comme moyen de chantage sur les familles et comme moyen de pression idéologique sur le corps expéditionnaire, auprès duquel, « criminels de guerre » transformés en « soldats de la paix », ils devaient semer la « bonne parole » de l'« Oncle Hô ». Rodée depuis la révolution d'Octobre, la méthode communiste d'asservissement psychique par la faim, la déchéance physique, les punitions sadiques, l'endoctrinement politique et la délation entre détenus, a été mise en œuvre dans ces camps qui n'ont jamais été visités par la Croix-Rouge.
    A part les prisonniers, les seuls Français que l'on y rencontrait étaient des conseillers politiques envoyés de métropole par le Parti communiste « français ». Le seul journal autorisé était le quotidien L'Humanité, qui parlait du corps expéditionnaire français comme d'un ennemi. Pendant ce temps en métropole, les syndicalistes faisaient impunément des grèves pour entraver l'acheminement de la logistique aux soldats et obtenaient du gouvernement, comme en mai 1951, que les collectes de sang n'aillent pas aux blessés d'Indochine.
    On se souvient du sinistre Boudarel, chef-adjoint du camp 113, en charge de la rééducation des prisonniers. Tortionnaire cruel et pervers de ses compatriotes, il fut par la suite nommé professeur à l'université de Paris VII. Démasqué en 1991 par Jean-Jacques Beucler (président du Comité d'Entente des Anciens d'Indochine, ancien officier et prisonnier du Camp n° 1 au Tonkin, et ancien ministre), alors qu'il intervenait à un colloque universitaire, il a pu mourir tranquillement sans jamais que ses crimes soient condamnés, en dépit des procédures engagées par les victimes qui l'avaient reconnu.
    Au cours de l'année de son commandement au camp 113, 278 prisonniers français sur 320 moururent. A un journaliste qui lui demandait s'il avait des regrets, il répondit : « Regret d'avoir été au camp 113, évidemment oui [...]. Regret d'avoir été aux côtés des Vietnamiens, des colonisés, des peuples de couleur, je dis nettement non : non seulement je n'ai aucun regret, j'en suis fier et si c'était à refaire, je le referais, que ce soit bien net ! » La justice française a considéré que les faits reprochés au professeur Georges Boudarel, traître et bourreau de ses compatriotes, tombaient sous la loi d'amnistie de 1966.

    Une extermination organisée
    Le taux global de la mortalité dans les camps Viêt-minh a été de 69,04 %. Celui de prisonniers de guerre français, de 59,5 %. Ce taux est supérieur à celui des camps de concentration allemands comme Buchenwald (37 %).
    En comparaison, le taux de mortalité dans les camps de prisonniers de guerre français en Allemagne pendant la Deuxième Guerre mondiale était de 2 %.
    Le colonel de la Légion Eric Weinberger, ancien déporté à Buchenwald et prisonnier du Viêt-minh a déclaré : « J'ai eu l'occasion de comparer les méthodes des nazis et des Viêts. Juifs,Tziganes, résistants de tous bords, s'ils nous réduisaient à une sous-humanité, les nazis ne cherchaient pas à nous convertir. Par la faim, les privations, les Viêts nous amenaient au même état que les nazis, mais ils exigeaient en plus que nous adhérions à leur système, en reniant toutes nos valeurs, notre foi en la justice, en notre pays. » Ces campagnes de propagande et d'endoctrinement, si elles n'eurent que peu d'effet politique sur les prisonniers, furent par contre prises très au sérieux par l'état-major, qui mit en garde les unités auxquelles ils avaient été antérieurement affectés, jetant la suspicion sur leur loyauté. Le Manifeste du camp n° 1 a été signé, comme d'autres, dans des conditions atroces qui n'ont pas été comprises par le commandement et auxquelles les militaires n'avaient pas été préparés.
    Tel était le sort des prisonniers français ; mais personne ne s'est intéressé à celui des prisonniers vietnamiens qui s'étaient engagés dans l'armée française, et qui fut encore pire. Le Dvd fournit le témoignage exceptionnel du lieutenant-colonel Huynh Ba Xuan, saint-cyrien, aide de camp du général de Lattre, capturé au combat en avril 1953 et resté 23 ans prisonnier du Viêt-minh. Rentré en France après sa libération, il apprit qu'il avait perdu la nationalité française en vertu des accords de Genève. Ces prisonniers vietnamiens ont frôlé l'extermination : le taux de mortalité atteignait dans ces camps 90 %. Sur 14 060 hommes capturés alors qu'ils servaient dans les unités de l'armée française, 860 seulement sont revenus ; et sur les 9404 prisonniers appartenant aux forces vietnamiennes, que Giap n'appellera jamais autrement, que les « fantoches », 157 seulement ont retrouvé la liberté. Face à la mort tente de rompre le silence monté autour de cette extermination organisée, il faut se souvenir que le Parti communiste "français" partagea le pouvoir, en France, jusqu'en 1947, et qu'il parrainait le Parti communiste vietnamien. Le silence des autorités politiques sur les otages civils (le plus jeune avait 12 ans à sa libération) et les prisonniers depuis 1945, comme le refus de rendre justice aux soldats français prisonniers en Indochine, est l'héritage de cette époque.
    Thierry Bouzard monde et vie 4 avril 2009

  • Enfumage et manipulation sémantiques

     

    On ne disait déjà plus :
     
    - un aveugle mais un mal voyant
    - un sourd mais un malentendant
    - un handicapé mais une personne à mobilité réduite
    - une caissière mais une hôtesse de caisse
    - un balayeur mais un technicien de surface
    Alors maintenant…
    Ne dites plus"clandestin" mais "candidat à l'immigration" (Figaro)
    Ne dites plus"Gitans, rôdeurs" mais "gens du voyage" (Tous les médias)
    Ne dites plus"clandestin, immigré illégal, sans-papiers" mais "privés de papiers" (La Dépêche)
    Ne dites plus"quartier à majorité immigrée" mais "quartier populaire" (Tous les médias)
    Ne dites plus"crimes, agressions, violences" mais "actes de délinquance", "incivilités", "bêtises" (Le Parisien) ou "faux-pas" (France 2) et, plus récemment, "les inconduites" (CNRS)
    Ne dites plus"émeutes" ou "guerre des gangs" mais "incidents" (Tous les médias)
    Ne dites plus"immigration" mais "mobilité européenne" (Frattini, commissaire européen)
    Ne dites plus"bandes" mais "identités de quartier" (LCI)
    Ne dites plus"enfants d'immigrés" mais "enfants issus de familles d'éducations éloignées"
    Ne dites plus"attraper les voleurs" mais "lutter contre les délits d'appropriation" (Midi Libre)
    Ne dites plus"des vauriens font des graffitis" mais des "graffeurs habillent la ville de couleurs"
    Ne dites plus"un voyou notoire" mais "un individu défavorablement connu de la justice"
    Ne dites plus"mosquée" mais "centre culturel et religieux"
    Ne dites plus"fusillade" mais " bagarre par balles" (TF1)
    Ne dites plus"invasion" mais "excès d'immigration" (Claude Guéant, ex ministre de l'intérieur)
    MAIS SURTOUT… Ne dites plus "un Français attaché à son Pays, à sa Culture, à ses Traditions " mais dites "un RACISTE" !...
  • Le Pen, la droite nationale et les questions d’Orient (2003)

    Aujourd’hui, il n’y a que les ennemis irréductibles du Front national, et de son président Jean-Marie Le Pen, pour ignorer les positions originales du parti-phare de la droite nationale française, sur les dossiers du Proche et du Moyen-Orient : à savoir une reconnaissance, sans guère de limites, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

    Retour sur cet aspect négligé, quoi que non négligeable, du vilain petit canard de la vie politique française.

    Il n’est pas vraiment nécessaire d’inonder le lecteur de citations sur les positions frontistes sur la question irakienne, dont le président du Front national fut l’un des plus âpres défenseurs, dès les premières menaces lancées contre ce pays par l’administration Bush Sr. Un soutien qui ne se démentira pas au cours des années, Le Pen étant l’une des rares personnalités politiques européennes (et le seul « présidentiable » français) à faire le trajet Amman-Bagdad (mille cent kilomètres de route), accompagné, à chaque fois, d’une aide humanitaire conséquente.

    Est-il utile ici - autrement que pour l’assurer de notre plus profond respect - de rappeler le travail de Sisyphe accompli par l’association SOS Enfants d’Irak, animée par son épouse Jany Le Pen ?

    Autre réalité incontournable, d’entrée, il faut reconnaître à Jean-Marie Le Pen son antériorité quant à sa défense de l’Irak par rapport à la droite « classique ».

    Ainsi, du temps où le Premier ministre français était un certain Alain Juppé, Le Pen n’avait pas barguigné à voir en lui rien de moins qu’un « criminel contre l’humanité » car « il s’est associé comme complice des Américains et des Anglais, qui affament chaque jour six cent enfants irakiens, sans parler des adultes. En cinq ans, ils ont fait tuer plus d’un million d’enfants et d’adultes à cause de l’embargo ».

    L’Irak donc. Mais pas seulement. Si la position du Front national vis-à-vis du dossier irakien est assez connue, son approche du problème palestinien l’est moins. Etapparaît comme assez hétérodoxe.

    Le Pen ne craignant pas d’affirmer, bien avant l’essor de l’intifada Al-Aqsa et l’arrivée aux affaires du général Ariel Sharon, que « Le peuple palestinien subit un véritable martyre, puisque les droits qui lui ont été reconnus par l’Onu sur sa propre terre ne sont pas respectés. Il s’agit d’un pays et d’un peuple qui vivent dans une misère affreuse. Plus affreuse encore, serais-je tenté de dire, que celle qui accable l’Irak. En Irak, il y a un génocide perpétré et mené par les États-Unis avec la complicité de l’Europe; mais au moins ont-ils conservé un gouvernement, des institutions, une homogénéité nationale. Ils souffrent et meurent, mais chez eux. Alors que l’Onu et les nations qui la composent se sont révélées incapables d’imposer une solution juste dans l’ancienne Palestine. Personnellement, j’ai depuis longtemps reconnu le droit des Israéliens à avoir une patrie, mais ce droit ne peut pas exister s’il n’a pas pour corollaire celui des Palestiniens à avoir une patrie libre et souveraine »(1).

    Idem pour le Liban. Revenant sur le crime de guerre perpétré à Cana par les forces israéliennes contre des civils essentiellement chi’ites, Le Pen assurera que «les tragiques noces de Cana sont de la responsabilité au moins égale des Américains » qui « n'ont jamais été très regardants quand il s'agit de bombarder les populations civiles ou de les affamer comme en Irak » (2).

    À cette aune, le discours sur Le Pen sur l’islamisme peut sembler parfois anodin par rapport aux saillies de groupies de l’Axe atlantique au sein de l’actuelle majorité.

    Ainsi, c’est Jean-Marie Le Pen qui reconnaissait auprès de nos confrères d’Arabies (n°98), qu'« on attise la peur des Français devant ce qu'il est convenu d'appeler « l'islamisme » ou « l'intégrisme islamique ». Ceux qui attisent ou manipulent ces peurs, n'hésitant pas à dénaturer grossièrement le message de l'Islam pour le faire mieux entrer dans leurs schémas, le font dans une optique très précise : celle de l'utopie mondialiste et de l'idéologie des droits de l'Homme qui présupposent la destruction des identités culturelles et le refus de la transcendance. Leur rêve est celui d'un Islam aseptisé et rendu inoffensif, ce qui me paraît une contradiction dans les termes »(3).

    Il convient, par ailleurs, de rappeler que cette opposition au Moloch états-unien, n’est pas univoque. Ce que rappelait Jean-Marie Le Pen lorsqu’il déclarait que « L’hégémonie américaine exprime un déséquilibre des forces mondiales et la disparition, provisoire sans doute, de l’ex-Union soviétique ou plutôt de la force de l’Est européen. Ainsi, tout naturellement, par une espèce de pente mécanique, le pouvoir américain est amené à devenir absolu; donc, de fait, totalitaire. Il n’est donc pas souhaitable de se prêter au développement de cette hégémonie en créant un instrument telle l’Europe fédérale, dont on sait à l1avance qu1elle est quasiment aux ordres des États-Unis »(4).

    Et d’évoquer aussitôt l’alliance nécessaire contre « L’ennemi commun », car « c1est cette hégémonie qui, substantiellement, est hostile à l’idée nationale en général, aux nations en particulier. Ainsi, les nationaux ont-ils entre eux un corpus de valeurs communes aux civilisations, qu’elles soient chrétiennes ou mêmes musulmanes. Ces valeurs vont du patriotisme au respect du passé, de l’attachement à la terre à l’amour de la famille et à toutes les valeurs qui en découlent : la solidarité, la charité, l’honneur, le dévouement, le sacrifice, etc. J’irais même plus loin en disant que cette coalition de nations est parfaitement à même d'aider à rétablir la paix dans le monde » (5).

    Nous sommes probablement là au coeur de ce qui différencie le mouvement lepéniste, des formations à prétentions identitaires. Une vision du monde nationale (mais non ethniste ou raciste) acceptant comme siens tous ceux se reconnaissant dans le modèle national, quels que soient leur couleur de peau ou attaches religieuses.

    Bien sûr, il convient de resituer le discours « pro-arabe » du parti lepéniste dans le contexte politique qui est le sien.

    À commencer par le « vote arabe », qui, à n’en pas douter interpelle le Front national. Au point que Muriel Piat ait écrit à ce sujet, dans les colonnes de la presse frontiste :

    « Mais les populations venues par exemple d’Algérie sont-elles homogènes ?

    Certains peuvent et veulent s’assimiler. Notre devoir n’est-il pas de les ramener à nous; de leur expliquer notre intérêt commun ? Jean-Marie Le Pen a donné quelques signes forts de cette stratégie. Il a imposé, sur la liste de Paris aux régionales, Sid Ahmed Yayaoui. Mais il y a aussi, à l’extérieur du Front, des personnalités avec qui l’on peut dialoguer. Farid Smahi, auteur du livre Faut-il brûler les Arabes de France a fait un tabac à Toulon. Il a eu le courage de venir à la Fête du Livre. Pour pouvoir rejeter la masse des inassimilables envahisseurs, il faut le concours de tous les Français - y compris les plus nouveaux, s’ils le sont au fond du cœur » (6).

    Mais, également, dans les prises de positions affichées par les cadres du FN sur les questions proches et moyen-orientales, on retrouve, de manière assez systématique, le fil de la rhétorique anti-système propre à ce parti.

    Ainsi, dans une attaque en règle de la via factis US lancée par la clique Perle, Rumsfeld, Wolfowitz, Kagan and co., - faite par le député européen Bruno Gollnisch, dans l’hémicycle du Parlement européen - les dénonciations de la veulerie eurolandienne occupent une place largement équivalente aux piques strictement anti-américaines.

    Revenant sur un document de synthèse sur la situation en Irak élaboré par le Conseil de l’Europe, lequel regroupe les chefs d’État et de gouvernement des États membres des Quinze, Gollnisch, y verra, d’entrée, un « Document indécent » puisque « l’Europe ne mentionne le mot Irak qu'à partir de la trente et unième des trente-six pages qui composent les conclusions de la présidence ». « La guerre est là, événement considérable, majeur, dont des membres de l'Union, la Grande-Bretagne en tête, sont directement responsables » martèle le délégué général frontiste, énumérant les mensonges dont s’est rendu coupable « l'empire américano-britannique pour justifier sa brutale agression ».

    « Mensonge, quand on a prétendu qu'il s'agissait de permettre à l'ONU de désarmer l'Irak, alors qu'en fait, la guerre était programmée depuis le début».

    « Mensonge, quand vous avez osé dire que le Conseil de sécurité était bloqué, parce qu'il n'avait pas voté de résolution autorisant la guerre. Il n'était pas bloqué : il avait adopté une procédure et une procédure qui fonctionnait».

    « L'Irak affaibli, méthodiquement affamé depuis dix ans, contraint de désarmer contre des promesses de paix, allait s'effondrer dès les premières heures du conflit. Mensonge ! Il résiste, et souvent héroïquement. La population irakienne allait accueillir les troupes de l'Empire comme des libérateurs ? Mensonge ! Elle les accueille comme des occupants. L'Irak disposait, paraît-il, d'armes de destruction massive. Tout a été dit à ce sujet, des bobards les plus sinistres aux plus ridicules, comme ceux de Tony Blair, qui s'est déshonoré, le 5 février, en présentant un rapport justifiant l'agression, dont onze pages sur dix-neuf émanaient d'un mémoire d'étudiant datant d'une dizaine d'années. À ce jour, les seules armes de destruction massives sont les milliers de bombes et de missiles sophistiqués de l'empire anglo-saxon qui écrasent les villes irakiennes».

    « Comme juriste» a poursuivi le délégué général du Front national, « je constate la cynique violation de toutes les règles de droit que les anglo-américains eux-mêmes avaient mises en place pour prévenir les guerres. Comme Européen, je déplore les haines, hélas justifiées, que les bombes de l'empire accumulent contre le monde occidental. Comme chrétien, je suis horrifié qu'une telle guerre, qui ne remplit aucune des conditions de justice, puisse se faire au nom de Dieu. J'appelle un chat un chat et Tony Blair un meurtrier mondain. Quant à George Bush, qu'il cesse d'invoquer Dieu ou seulement pour le prier : que le sang des Irakiens innocents ne retombe pas sur le peuple américain !».

    Évidemment, vu par le seul prisme franco-français, les positions pro-arabes d’un Front national systématiquement tenu à l’écart de la conduite des affaires du pays, en feront sourire plus d’un. Cette position semble exagérée, en effet, il n’est pas exclu que le FN, passé les frontières hexagonales, soit plus écouté qu’on le croit.

    En tout cas, et au-delà des positions adoptées récemment par la diplomatie française, force est de constater que cette France - désormais géopolitiquement plus proche des Non-alignés que du Reich états-unien - est perçue différemment par d’anciens adversaires dans le monde arabo-musulman.

    Rappelons ici les propos, lors d’un discours, étonnamment pro-européens du secrétaire général du Hezbollah, Sayyed Hassan Nasrallâh, qui, jaugeant le poids des capitales européenne opposées à la guerre, déclarait qu’ « Il faut réévaluer notre vision de la société européenne, après les manifestations qui ont rassemblé des millions de personnes et qui vont jouer un rôle en influençant la décision d1empêcher la guerre»(7).

    Or, comment ne pas rappeler que lors de son récent périple au Liban, Jean-Marie Le Pen - pesant du coup d’un poids similaire à celui d’un Jacques Chirac, Dominique de Villepin, ou d’un Louis Michel - avait pu rencontrer des élus du Hezbollah et leur faire part des positions de la droite nationale française sur les questions du Proche-Orient.

    Faut-il tant se surprendre d’un intérêt pour les prises de position du FN à l’étranger ?

    Évidemment non. Concernant le reste de la planète, DEUX, critères, foin des anathèmes et des a priori idéologiques - le concept d’«extrême-droite», rappelons-le, strictement occidental, comme bien d’autres d’ailleurs, est parfaitement incompréhensible dans bon nombre de pays - sont à prendre en compte.

    Premièrement, ce que les économistes appellent l’« effet de taille ». En clair, au-delà des chiches invitations dont bénéficient quelques groupuscules (style l’extrême-gauche, hier en Albanie, ou, aujourd’hui à La Havane ou à Kinshasa, pour prendre là des exemples situés en dehors de la droite nationale), en dessous de la barre des 10 %, inutile de se faire la moindre illusion, un parti français n’a que peu de chances d’intéresser la moindre chancellerie.

    L’éclosion du FN au plan international est due tout autant à son programme susceptible de séduire (de Beijing à Téhéran) par son refus de l’hégémonie états-unienne, qu’à sa « taille » proprement dit, faisant de cette formation (comme de n’importe quelle autre) un interlocuteur politique capable de se faire entendre des médias ou encore (plus important d’un point de vue « non-français ») de peser sur des assemblées (régionale, nationales ou européennes).

    Deuxièmement, la personnalité des dirigeants. Elle est ici primordiale. Il suffit pour s’en persuader d’inverser les rôles. Sans sombrer dans l’excès qui, en France, connaît en dehors de quelques personnalités emblématiques, les ténors de la vie politique malaisienne, iranienne ou arménienne ? Pourquoi, grand Dieu, en serait-il autrement pour la classe politique française ?

    On rappellera ici que Le Pen a eu l’intelligence politique de confier les « relations internationales» de sa formation au premier vice-président du FN, Dominique Chaboche. Ceci n’a rien d’anecdotique.

    Pourquoi ? Parce que, statutairement, le premier vice-président est de toujours (il suffit de relire les statuts du parti lepéniste) le deuxième personnage du mouvement. Ce qui, en clair, vu de l’étranger, offre l’avantage de démontrer l’importance accordée aux relations internationales pour une formation politique qui y affecte ostensiblement son numéro deux. Simple question. Combien de partis français (plutôt enclins à «refiler» l’étranger au premier second couteau venu) ont eu l’idée de tenir ce raisonnement ?

    Qui plus est, Chaboche - outre qu’il a la stature et l’âge qui cadrent avec cette fonction, a pris sa fonction très au sérieux - est connu pour être un proche du chef, ce qui ne gâte rien pour tout État ou instance qui serait désireux d’approcher et/ou de faire passer un message à ce parti.

    Quel rôle « international » peut espérer jouer un parti comme le FN ?

    Là, un petit retour en arrière s’impose. À l’été 98, l’un de nos confrères rapportait : « Jean-Marie Le Pen chargé de mission diplomatique ? L’ambassadeur d’Iran (...) pourrait maintenant lui demander de s’entremettre entre son pays et le régime de Saddam Hussein. Lors de son prochain voyage à Bagdad, Le Pen passerait ainsi par Téhéran et non par la Jordanie, ainsi qu’il le fait habituellement » (8).

    Dans un éditorial, j’écrivais, dans la foulée, que « Joint par notre rédaction, le président du Front national, nous a effectivement confirmé sa disposition à mettre sa bonne volonté au service de la paix au Proche et au Moyen-Orient « pour tous les pays de la région qui ne souhaitent pas accepter l’hégémonie mondialiste ». Pour M. Le Pen, comme l’Allemagne et la France après 1945, les pays de la région « l’Iran, l’Irak, mais aussi la Turquie et d’autres ont un intérêt commun à se rapprocher en sachant surmonter le souvenir de guerres communes et douloureuses » (9).

    Et parmi les conclusions que je tirais de cette affaire, je soulignais combien « cette affaire confirme l’importance croissante du Front national et de Jean-Marie Le Pen sur la scène internationale. Que la classe politique française, forte à se gargariser de valeurs toutes théoriques, se regarde, enfin, dans la glace car, soit, elle a été contactée et à opté pour l’alignement le plus veule sur les positions du US Department of State, soit, elle ne l’a pas été et - en clair - n’est pas tenu pour un interlocuteur sérieux et digne de confiance par le 1er producteur de gaz du monde et l’un des premiers producteurs de brut. Quelle leçon ! »(10).

    C’est peu de dire que le nouveau millénaire n’a pas changé grand-chose à cette donne. Si la France a retrouvé récemment un regain de popularité en Orient, suite aux tentatives élyséennes d’imposer un veto à la via factis yankee contre l’Irak, les coulisses de l’UMP (omnipotente dans les assemblées) bruissent déjà des complots qu’y ourdissent les hommes liges de Washington et de Tel-Aviv.

    À terme (à droite en tout cas), le FN pourrait retrouver assez vite son statut privilégié d’interlocuteur des ennemis désignés de l’Amérique...
    Jacques Bordes http://www.voxnr.com
    Notes
    1 - Agir, pour Faire Front.
    2- www.geostrategie.com.
    3- Arabies (n°98).
    4- Agir, pour Faire Front.
    5- Idem.
    6- National Hebdo (28 nov.-4 déc. 96).
    7- L’Orient-Le Jour (17 fév 03).
    8- La Lettre de Magazine Hebdo (10 juillet 1998).
    9- World Report/InterNat (15 juillet 1998).
    10- Idem.

  • L’Occident se meurt-il ?

    Au moment où paraît le nouveau livre d’Hervé Kempf, “Fin de l’Occident, naissance du monde”, Régis Debray se livre à un impressionnant bilan de nos forces et de nos faiblesses dans la revue “Médium”.

    Par Bruno Deniel-Laurent

    Nous avons tous la nostalgie des lectures de nos 20 ans, et certains, peut-être, restent encore envoûtés par cette phrase puisée dans le Mont analogue, de René Daumal : «Les civilisations, dans leur mouvement naturel de dégénérescence, se meuvent de l’est à l’ouest. Pour revenir aux sources, on devait aller en sens inverse.»

    A cet Orient symbolique, mère de l’origine, répondrait donc un Occident drapé dans les lueurs du crépuscule, un grand Ouest vespéral doré par les rayons du soleil déclinant

    (c’est l’un des sens du mot latin occido : tomber à terre, choir).

    L’Occident, empire de la mort radieuse ? Nombreux sont ceux qui l’ont pensé, allant jusqu’à s’interdire de l’orthographier convenablement («oxydant») et lui opposant des astres plus vivants : l’Orient, bien sûr, mais aussi le tiers-monde, l’Europe souveraine, l’Eurasie, etc. Alors qu’il est aujourd’hui beaucoup question de «la fin de l’Occident» (c’est le titre du nouveau livre de l’écologiste et chroniqueur au Monde Hervé Kempf), le 34e numéro de la revue Médium choisit de s’ouvrir sur un puissant essai, quasi pamphlétaire, de Régis Debray qui entreprend de nous en livrer la «fiche clinique», listant «atouts» et «handicaps» de l’hégémonie occidentale.

    Les cinq “miracles” historiques
    Il convient avant tout de savoir ce que l’on entend par «Occident». Hervé Kempf, étrangement, ne cherche pas à en approfondir la notion, se contentant de l’assimiler au

    modèle de développement capitaliste né de la révolution industrielle, modèle dont la généralisation à l’ensemble du monde serait désastreuse.

    Debray préfère y voir une «invention largement mythique» (mais, nous prévient-il, les mythes sont des fusées, non des fadaises) dont le dernier avatar serait le «monde libre», c’est-à-dire l’Amérique et ses affidés. On validera cette définition :

    de toute évidence, l’Occident n’est sans doute que le «nom de plume de l’Otan», cette architecture de sécurité dirigée pour les seuls intérêts fondamentaux des Etats-Unis.

    Peut-être est-il aussi utile, pour mieux pénétrer la notion, de s’abreuver auprès des intellectuels occidentalistes.

    L’essai publié en 2004 par le philosophe libéral Philippe Nemo, Qu’est-ce que l’Occident ? (PUF), avait ainsi le mérite d’exposer une défense virile et érudite de l’idéologie occidentale, présentée sous la forme d’un «discours de civilisation» reposant sur cinq «miracles» historiques :

    au commencement, il y aurait eu le «miracle grec», instituant la pratique de la liberté individuelle au cœur de la cité ; puis l’Empire romain, en quête d’une juridiction universelle transcendant les coutumes particulières, aurait posé les bases du droit civil ; l’éthique biblique aurait universalisé l’idée de «sens de l’histoire» et incité chaque personne humaine à porter dans le monde l’impératif de la charité ; la réforme grégorienne, ensuite, en «rationalisant» les doctrines du salut, aurait incité à privilégier l’idée de progrès contre celle de révolution ; le libéralisme, enfin, compris comme «pluralisme critique» et affirmation de la raison individuelle, aurait radicalement désacralisé la source du pouvoir et ouvert la voie à des sociétés individualistes gouvernées par les seuls mécanismes du droit et du marché.

    L’Occident, selon Philippe Nemo, désignerait donc à la fois cette «miraculeuse» synthèse libérale et l’ensemble des nations dont l’histoire participe de la fondation et de la défense de cette idéologie, c’est-à-dire l’Europe de l’Ouest et les Etats-Unis d’Amérique qui en forment depuis un siècle la tête de pont.

    En occidentaliste conséquent, Nemo en appelle donc à une union toujours plus fusionnelle entre les deux rives de l’Atlantique, entérinant de fait la division entre une Europe occidentale miraculeusement libérale et une Europe de la steppe désespérément rétrograde…

    Voilà donc clairement exprimée cette tragique alternative à laquelle on ne peut, en conscience, échapper : ou le choix de l’Occident ou celui d’une Europe pleinement souveraine, il faut décider.

    Pour Régis Debray, il est clair que

    nos décideurs «européistes» ont depuis longtemps accepté leur sujétion, le monopole de l’idéologie occidentale sur la formation des élites internationales

    constituant d’ailleurs l’atout no 3 listé par Debray : «Pas de périphérie, de minorité ou de religion qui n’ait, aux Etats-Unis, pompe aspirante et refoulante, des représentants plus ou moins bien implantés, ayant leurs entrées au Congrès et dans l’administration, et dont les meilleurs éléments pourront, le cas échéant, regagner leur pays d’origine, en en faisant leur résidence secondaire. Ce sont les Afgho-Ricains, Albano-Ricains, Afro-Ricains (le Gallo-Ricain façon Jean Monnet ne fut qu’un prototype). Cette DRH planétaire peut sortir à tout instant un Karzaï de sa poche. Un Palestinien de la Banque mondiale, un Italien de Goldman Sachs, un Libyen formé au moule ou un Saakachvili géorgien.» Nous serions tentés d’ajouter : un Montebourg de la French-American Foundation, un Juppé de l’Atlantic Partnership, un Pierre Lellouche du Harvard Club…

    Partenaires serviles

    La servilité est comme le soleil ou le néant : on ne peut l’observer trop longtemps en face.

    Rien d’étonnant, donc, à ce que nombre de nos élites, surtout chez les «européistes», se rêvent en «partenaires» ou même en «amis» de l’Amérique.

    Mais il suffit que l’Otan passe du soft power au hard power, et nos fiers-à-bras de l’Union européenne, toujours prompts à dénoncer chez eux les méchants souverainistes et autres bolcho-gaullistes, se feront tout petits face au grand frère yankee. Ainsi, il apparaît évidemment significatif à Régis Debray qu’aucun membre européen d’une alliance stipulée comme défensive n’ait fait jouer la clause de conscience en 1989.

    Qu’est-ce alors que la «construction européenne», sinon le «symptôme d’une Europe fatiguée et résignée à sa vassalité, rêvant, sous l’idéal fédéraliste, d’une vaste Confédération helvétique

    (une Suisse moins les montagnes et le service militaire obligatoire), se déchargeant sur l’outre-Atlantique du soin de sa sécurité, mais d’un loyalisme de fond et à toute épreuve» ?

    Cette vassalité est évidemment l’autre nom de l’atout no 1 de l’Occident («une cohésion sans précédent»). Alors que toutes les grandes zones géopolitiques restent traversées par des fractures internes (les organisations régionales – Ligue arabe, Association des nations de l’Asie du Sud-Est, etc. – étant moins des lieux de décision que des forums), «seule l’Otan peut parler d’une seule voix, avec une ligne de commandement incontesté et un consensus doctrinal». Le plus grave est que cette voix pense avoir le «monopole de l’universel» (atout no 2).

    Un défi gigantesque

    Si chaque grande puissance, à l’instar de la Chine ou du Brésil, se donne le droit de poursuivre ses intérêts vitaux en dehors de ses frontières (Debray appelle ça «l’égoïsme sacré»), seul l’Occident (épaulé par ses relais affichés ou instrumentalisés) se vit en «ligue du bien public contre une Sainte-Alliance de despotes et de crapules» et s’affirme comme le «porte-drapeau de tous les combats d’émancipation culturelle de l’Est et du Sud» (personne n’oserait contester le bien-fondé de ces croisades qui sont souvent autant d’opérations de déstabilisation : sauvons les femmes d’Iran, les gays du Kenya, les blogueurs de Libye, les punkettes de Russie…) ; on est bien là dans ce que Debray appelle «le formatage des sensibilités humaines» (atout no 4) que complète encore «l’innovation technique» (atout no 5).

    Face à cette omnipotence, on se demande comment Hervé Kempf peut encore prophétiser la «fin de l’Occident». A moins, et c’est la voie suivie par l’auteur,

    de résumer l’Occident à ce club des anciennes nations industrielles aujourd’hui concurrencé par de dynamiques puissances régionales qui, en «rattrapant leur retard», exacerberont les inégalités sociales au sein de l’ancien monde tout en achevant de dévaster la planète.

    Pour Hervé Kempf, la «fin de l’Occident» n’est donc pas une prophétie cauchemardesque, mais une édifiante utopie. Malheureusement, il y a fort à parier que le défi gigantesque qu’il lance aux Européens (choix de la décroissance, abandon du PIB et des axiomes libéraux, prise de distance radicale avec les Etats-Unis, démocratie directe, etc.) soit bien au-dessus de nos faibles forces !

    Pour l’heure, il semble donc que c’est moins au déclin de l’Occident que l’on assiste qu’à sa généralisation métastatique. Après tout, de Londres à Washington, le centre «spirituel» de l’Occident a déjà plusieurs fois changé de lieu et sans doute est-il déjà entré dans une phase de déterritorialisation.

    Cet «hubris du global» (handicap no 1, selon Debray) pourrait-il accélérer la fin de l’Occident ? Debray lui-même n’en est guère persuadé, les risques liés à la «surextension impériale» pouvant désormais être limités par d’inédits outils de police («Tuer sur écran, à 10 000 km de distance, un suspect avec un missile Hellfire tiré d’un drone Predator n’est plus techniquement impossible»).

    Certes, la «dissémination du perturbateur» (handicap no 5), liée à la destruction des Etats nationaux sous les coups de boutoir de l’ingérence, peut être source de nouveaux défis lancés à l’Occident (on a pu le voir en Libye avec le lynchage de l’ambassadeur des Etats-Unis), mais il ne faut pas oublier que les «fous» d’hier peuvent aussi devenir les «alliés» de demain (et vice versa). Même l’aveuglant «complexe de supériorité» de l’Occidental (handicap no 2) reste une faiblesse toute relative, et Debray nous rappelle avec raison que l’hubris est à la fois orgueil coupable et élan vital.

    Le sacré mis au rancart

    Mais il est aussi deux handicaps autrement plus terribles, véritables tumeurs de l’être occidental (dont nous avons été, nous, Européens, les premiers cobayes) : la «prison du temps court» et le «déni du sacrifice», estime Debray. Ouvrons les yeux et regardons autour de nous : le présentisme nous est vendu comme un humanisme. Et s’il est une fierté constamment affichée sur nos écrans, c’est bien d’en avoir fini avec «les temps longs de la mémoire ethnique et du messianisme religieux». Les indignés du Nord ont le souffle court ; ceux du Sud, la «rancune tenace et souterraine». L’écrivain, qui a suffisamment réfléchi à la question du sacré, sait bien que «l’Occident [et l'Europe en particulier] l’a mis au rancart». Or le sacré est aussi ce qui commande le sacrifice.

    D’où cette morbide synthèse, en notre Occident libéral, où l’humeur est interventionniste et le climat, pacifiste. Pour le dire autrement, l’Occident n’a plus le moral de sa morale, ni la vaillance de ses valeurs : «Préserver la douceur du soir jure avec l’esprit de croisade, plutôt matinal.»

    Tel est ainsi l’Occident en ses métamorphoses : à la fois amnésique et sentencieux, impérial et puéril, haï et singé, omniprésent et invisible. Nourri au lait hyperprotéiné, Goliath est désormais devenu douillet.

    “Occident, fiche clinique”, de Régis Debray, à retrouver dans la revue Médium no 34, 16 €.

    Fin de l’Occident, naissance du monde, d’Hervé Kempf, Seuil, 156 p., 15 €.

    Marianne.fr  http://fortune.fdesouche.com