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culture et histoire - Page 1923

  • Enquête sur la République...

    Premier Café : samedi 20 octobre 2012 : L'idéologie de la République française est-elle encore vivante ? par Gérard Leclerc.


    Deuxième Café : samedi 17 novembre 2012 : Face à la Crise, la République est-elle capable de défendre la France ? par Antoine de Crémiers.

    Troisième Café : samedi 15 décembre 2012 : Ils ont tué l'Histoire-Géo. Qui et pourquoi ? par Laurent Wetzel.

    Quatrième Café politique de notre Enquête sur la République : le samedi 9 février 2013, Alain Bourrit a traité de Quelle Europe voulons-nous ?...

    http://lafautearousseau.hautetfort.com

  • Les professeurs d’histoire-géographie doivent devenir des propagandistes mondialistes

    Les inspecteurs d’histoire-géographie organisent en ce moment de nombreuses conférences destinées aux enseignants des classes de seconde afin de leur distiller le nouveau programme qui entrera en vigueur lors de la rentrée prochaine.

    Ces interventions marathons durent en général toute une journée et il serait fastidieux d’être exhaustif. Il serait tout aussi inutile d’énoncer l’interminable liste de chapitres que ces pauvres élèves devront ingurgiter (… sans trop les retenir), puisqu’elle est désormais officielle et en ligne. Nous nous bornerons à  rapporter les consignes des inspecteurs relatives aux finalités pédagogiques de la mise en œuvre d’un tel programme, cela en vaut vraiment la chandelle.

    Tout fier d’avoir obtenu son brevet, l’élève français de souche européenne sera accueilli au Lycée par un cours qui devra d’entrée de jeu le forcer à rester modeste : le programme d’histoire débute en effet par la place démographique des populations européennes dans le monde. Il pourra comprendre de façon rationnelle ce qu’il entrevoit tous les jours sur les chemins de l’école à savoir qu’il appartient à une espèce en voie d’extinction. Une banale fatalité somme toute à laquelle il ne faudra en aucune façon tenter d’apporter des solutions. Dans la foulée et sans aucun respect pour la chronologie, l’enseignant  lui narrera un exemple d’émigration européenne de la misère au XIXème siècle (un Irlandais ou un Italien du Mezzogiorno, au choix). Par le biais du compassionnel, l’objectif « pédagogique » est ici clairement annoncé : il s’agit de faire comprendre et  d’accepter la présence d’une immigration massive extra européenne sur notre sol et de « s’opposer à des idées qui pourraient mettre en péril la démocratie ». L’élève pourra ainsi remettre plus facilement ses biens à ces agresseurs quant il se fera racketter à la sortie du lycée.

    Cette petite introduction bien assimilée, le jeune cerveau qui maitrise parfaitement ses repères spatio-temporels acquis au collège sera alors propulsé aux origines de la démocratie.

    On ne l’encombrera pas trop de connaissances sur Athènes, «  une démocratie qui n’a de commun avec la nôtre que le nom ». En effet, ces abominables Athéniens faisaient de la citoyenneté une conception politique et  ne la partageaient pas avec les esclaves, les femmes et les métèques. « On lui préfèrera la conception juridique de la citoyenneté en vigueur dans l’empire romain dont l’extension ne rencontrait aucun obstacle ethnique ». Il s’agit donc bien de l’origine du modèle de société idyllique  dans lequel nous avons la joie et l’avantage de vivre…  On prendra grand soin de ne pas évoquer la chute de ce brillant édifice (Ndlr).

    Mais  il faut aller de l’avant, le révisionnisme ne doit pas faiblir. Il faut revisiter le Moyen-Age qui a tendance à exercer une certaine fascination chez les jeunes. Ainsi l’étude de la société médiévale occidentale vient heureusement remplacer les anciens chapitres consacrés à la naissance et à la diffusion du christianisme ainsi qu’à la Méditerranée au XIIème siècle. Les enseignants étaient généralement très mal à l’aise pour les traiter, soit par excès de laïcisme, soit par ignorance crasse de la religion de leurs parents ou de peur de finir avec une fatwa en racontant les exploits authentiques du prophète. Fini l’enseignement des croisades et de la Reconquista, place à l’histoire des mentalités. Que devront retenir les élèves de cette période fondatrice de l’identité européenne s’étendant des XIème aux XIIIème siècles, qui manque tant aux nouveaux mondes ?  C’est élémentaire: en voulant spiritualiser le monde matériel,  l’Eglise catholique a suscité une salutaire réaction républicaine qui justifie toutes les sécularisations ainsi que la sacro-sainte laïcisation. On ne manquera donc pas de faire l’apologie de notre système que le monde entier nous envie.

    Mais déjà la mondialisation pointe son nez. Au cours de leurs nombreuses pérégrinations, les Européens des Grandes Découvertes sont entrés en contact avec les autres civilisations et se sont ouvert de nouveaux horizons. On profitera de l’aubaine pour  démontrer qu’entre le pouvoir des empereurs byzantins et celui des nouveaux maitres ottoman il y avait une certaine continuité. L’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne pose quelques problèmes aux parents ? On travaillera l’esprit de leurs enfants et cela se réalisera sans encombre.

    La Chine est également à l’honneur avec l’étude de la Cité interdite de Pékin. Les inspecteurs ne manquent pas de rappeler que nos élèves seront de plus en plus confrontés à ce pays émergent.

    Ceux qui savent lire entre les lignes savent ce que cela signifie : à force de consommer des produits chinois nos élèves, au terme d’études longues et fastidieuses seront payés comme des ouvriers chinois. On poussera même le cynisme à expliquer que le massacre de la place Tien Anmen en 1989 par le pouvoir communiste était un acte que les Ming n’auraient aucunement désapprouvé ! Alors si les Ming…

    Autant de chapitres qui doivent nous rattacher à l’harmonieux « Vivre Ensemble »dans lequel nous nous débattons.

    La glorieuse révolution française est toujours à l’honneur avec son cortège de contre- vérités imposées. Ainsi, l’échec de la monarchie constitutionnelle est elle entièrement imputable à la Contre-Révolution. Dans la république les citoyens sont des co-souverains… très fatigués par leurs responsabilités comme semble l’attester le taux d’abstention des dernières élections. On ne manquera pas de déifier l’Etat.

    Enfin, l’ultime chapitre intitulé Libertés et Nations en France et en Europe dans la première moitié du XIXème siècle doit s’achever  en apothéose avec l’abolition de l’esclavage par la France en 1848.

    L’objectif du programme dont la teneur politique n’est même pas cachée par ses instigateurs aura été rempli : la socialisation démocratique et républicaine des jeunes . L’enseignant leur aura transmis un esprit critique soigneusement balisé par des clous idéologiques très serrés.

    La géographie n’est pas en reste puisqu’il s’agit d’y vendre un produit qui a précisément beaucoup de mal à trouver client (à l’instar de la citoyenneté en Histoire) : il s’agit du développement durable.

    Il est bien spécifié que celui-ci ne consiste pas à préserver la nature mais « « d’assurer le bonheur de l’homme en société ». Les anciens chapitres inhérents  à la formation des Etats et du rôle des frontières disparaissent, c’est logique. L’enseignement du développement durable ne doit pas être une morale précise t on en haut lieu, cependant il est interdit de l’aborder sous l’angle du catastrophisme ( une humanité à 9 milliards d’individus ne sera pas un problème…il y aura tellement de gadgets électroniques à leur fourguer !), de la « nostalgie d’un âge d’or quand l’homme vivait en harmonie avec la nature » ( bientôt 85% de l’humanité seront concentrés dans de gigantesques zones urbaines…ce sera plus facile à contrôler) et surtout pas  sous celui du néomalthusianisme et de la décroissance.

    La messe est dite ! Le professeur d’histoire-géographie sera davantage encore qu’il ne l’est aujourd’hui un agent de la propagande mondialiste. Seule consolation, ce tour de vis idéologique semble montrer que le système est aux abois… cela le rendra encore plus dangereux.

    Marc Longobard http://ripostelaique.com/

  • Olivier Maulin contre le monde moderne

    En ce dimanche, pour interrompre le flot des actualités, voici une nouvelle que nous a aimablement envoyée André Waroch.

    Le ciel était bas ce jour-là quand je sortis de la bouche de métro pour me rendre, comme souvent après le travail, dans une bibliothèque universitaire près de Montparnasse. Je me dépêchai de gravir les quelques dizaines de mètres qui séparaient le métro de l’entrée, jetant des coups d’œil inquiets aux nuages noirs qui s’amoncelaient au-dessus de Paris.

    L’orage se mit à tonner dès que j’eus franchis le seuil de la porte cochère, où je croisai un groupe de frêles naïades à queue de cheval qui partaient précipitamment, un dossier sous le bras, en gloussant comme seules savent glousser les filles de dix-neuf ans. Je me retournai comme si de rien n’était et j’eu la vision fugitive de leurs petites fesses déjà hors d’atteinte, ondulant dans des pantalons serrés. Le vigile africain de l’accueil m’adressa un clin d’œil complice et j’entrai dans les locaux.

    Délaissant les bandes dessinées, j’allai directement à l’étage. Je pris le Simenon que j’avais commencé la veille et partis m’installer dans le fond, à une petite table, calant ma chaise contre le mur, me pelotonnant confortablement. La pluie frappait à présent de toutes ses forces la baie vitrée qui me faisait face. C’était une tempête, une vraie. Les six ou sept jeunes assis à côté de moi sur une des deux grandes tables de l’étage, qu’ils avaient abondamment garnis de piles de feuilles, de cahiers et de livres de toutes sortes et de tous formats, regardèrent un instant les éléments déchainés se fracasser contre le mur de la civilisation occidentale, et replongèrent le nez dans leurs études. Moi j’étais bien comme ça, calfeutré, me distrayant avec un polar, alors qu’en tendant le bras à quelques centimètres sur ma gauche, j’aurais presque pu palper cette angoisse des examens imminents qui étreint, chaque année aux mêmes périodes, le cœur des boursiers comme des enfants de bourgeois. J’aimais ressentir cette tranquillité du vieux con de trente-cinq ans qui regrette, parfois un peu vite, ses vertes années. Assis, détendu, je me dis qu’il ne me manquait plus qu’une petite clope, ou une pipe même, puisque j’étais dans Simenon.

    La tempête ne semblant pas devoir faiblir, je m’absorbai dans ma lecture. Un quart d’heure peut-être s’écoula. Mon attention fut alors distraite, imperceptiblement, par une cacophonie de chuchotements. Un débat semblait agiter le groupe d’étudiants. Je les observai un peu plus attentivement. Ils avaient la vingtaine, trois garçons et trois filles. C’est l’une de ces dernières, blonde, un peu boulotte, mal coiffée, qui semblait être l’initiatrice et la principale animatrice du débat. Visiblement elle défendait son point de vue contre la désapprobation générale, mais je ne distinguais réellement rien de ce qui se disait, jusqu’à ce qu’elle se lève et élève subitement la voix, au comble de l’agacement, voire au bord des larmes. Je fus saisi par ce qui ressemblait bien à une manifestation d’hystérie, phénomène propre aux femmes, qui dans le meilleur des cas arrivent à le faire passer pour la manifestation d’un quelconque mysticisme :

    - Mais vous ne comprenez vraiment rien ! Olivier Maulin, c’est un prophète !

    - Arrête, maintenant, fit une de ses copines. Calme-toi et rassieds-toi.

    La boulotte s’exécuta et me regarda fugitivement, gênée de la scène. Ils se remirent à travailler, pendant que la fille qui lui avait dit de se rasseoir lui dit quelques mots à l’oreille, tentant probablement de dédramatiser la situation.

    Olivier Maulin ? Jamais entendu parler. Etait-ce un de leurs profs à la fac dont elle se serait entichée, se donnant conséquemment pour mission de le défendre bec et ongles contre n’importe lequel de ses camarades qui se serait permis d’ébaucher, même adroitement, même sans avoir l’air d’y toucher, le moindre début de critique? Ou un acteur en vogue envers qui elle aurait développé le même complexe ? Ou un chanteur ? Mais peut-être n’était-ce pas dans le registre des amours post-adolescentes qu’il fallait chercher les raisons de cet éclat, songeai-je en essayant de me concentrer de nouveau sur mon livre. Après tout, même une femme peut être touchée par une révélation spirituelle sincère qui serait autre chose que le désir d’être pénétrée, fut-ce intellectuellement, par un homme possédant une énorme, une gigantesque personnalité.

    Environ une heure plus tard, j’avais rangé le Simenon, et je déambulais un peu dans les allées, au hasard, avant de rentrer chez moi. Soudain, je vis la fille de tout à l’heure, debout au rayon histoire, en train de feuilleter furieusement un bouquin sur les indo-européens.

    - Excusez-moi, mademoiselle…

    Elle releva brusquement la tête, et me lança de ses yeux bleus un regard qui, j’en suis sûr, aurait pu percer le métal si on le lui avait demandé gentiment. Sa poitrine généreuse se soulevait rapidement sous son chandail généreusement décolleté.

    - Non, commençai-je en souriant, je m’excuse de vous importuner, mais tout à l’heure, vous avez cité le nom d’Olivier Maulin, en disant que c’était un prophète. [photo en Une : "Le prophète", statue œuvre de Louis Derbré] Qui est ce monsieur, exactement ?

    - C’est un écrivain.

    - Ah bon ? Ravi de l’apprendre. Ça me fait plaisir de voir quelqu’un d’aussi passionné par de la littérature. Aujourd’hui on a tellement l’impression que les gens ne sont intéressés que par leur écran plat…

    - Olivier Maulin, ouais, c’est un écrivain, mais c’est plus qu’un écrivain.

    - Ah bon ?

    - Est-ce que vous pensez qu’il y a d’autres mondes ?

    - D’autres mondes, comment ça ?

    - Bon, qu’est-ce que vous voulez, vous voulez me sauter, c’est ça ?

    - Mais pas du tout ! Je suis réellement intrigué par ce que vous avez dit. Bon écoutez c’est pas grave, moi de toute façon j’allais partir. Au revoir.

    Arrivé au milieu de l’escalier, alors que j’en étais à cinq au compte à rebours, je l’entendis qui me rappelait. Je ne lui avais qu’à moitié menti, j’étais réellement intrigué. Disons que mon approche était motivée à environ 28% par la curiosité intellectuelle. Il y avait donc au moins une part de vérité dans mes protestations. Et puis merde ! On avait quand même encore le droit d’avoir juste envie de baiser, non ?

    - Excusez-moi fit-elle, l’œil humide une nouvelle fois, je n’aurais pas dû vous parler comme ça…

    - Ce n’est pas grave, répétai-je, grand seigneur, il y a eu un malentendu, et voilà tout.

    Nous discutâmes deux minutes. Elle finit par me dire tout à trac :

    - J’ai ma voiture garée à côté, si ça vous dit, on peut aller faire un tour dans Paris et prendre un verre quelque part…

    Cette fille était vraiment spéciale. J’acquiesçais, elle alla prendre son sac et nous sortîmes. Un soleil éclatant avait chassé l’orage. Je m’étonnai qu’elle ait quitté si facilement son groupe d’amis, elle me répondit que c’était une bande de connards. Bon.

    En fait de voiture, c’était une vieille 2CV. Dans les années quatre-vingt, on en voyait encore beaucoup, aujourd’hui c’est une rareté. Je remarquai que celle-là était immatriculée en Bulgarie. Etait-ce dans ce pays que ses sœurs étaient parties pour mourir, au début des années quatre-vingt-dix, pressentant peut-être confusément qu’avec la chute du Mur un cycle historique venait de s’achever ?

    - Vous êtes bulgare ? Demandai-je alors que le véhicule s’ébranlait avec force craquements. Je n’avais pas entendu un bruit aussi inquiétant dans une voiture depuis mes quinze ans, quand j’avais été pris en stop, sur une autoroute du sud, par un mec bizarre qui écoutait du Jean-Louis Murat.

    - Oui, pourquoi, vous connaissez ?

    - Oui, enfin je n’y suis jamais allé, mais bon, je connais un peu, Ceausescu…

    - Ceausescu c’était en Roumanie.

    - Ah bon, vous êtes sure ?

    - Qu’est-ce que vous connaissez d’autre ?

    Je me mis à fouiller à toute vitesse dans la banque de données de mes souvenirs. Qu’est-ce que j’avais à « Bulgarie » ? J’ouvrai le sous-dossier, on était vraiment dans les fonds de tiroir. Voilà ce que je connaissais de ce pays : en 1993, cette raclure d’Emil Kostadinov, en marquant à la dernière minute au Parc des Princes, éliminait l’équipe de France de la coupe du monde. En 1994, Hristo Stoichkov, le capitaine et le meilleur footballeur bulgare de tous les temps, emmenait son équipe jusqu’en demi-finale du Mondial aux USA ; victoires sur l’Argentine, l’Allemagne, il était sacré ballon d’or à la fin de l’année.

    - En tout cas vous n’avez pas d’accent, fis-je.

    - En fait, j’ai toujours fais la navette entre la France et la Bulgarie, dit-elle avec un sourire, depuis que je suis toute gosse. Mon père est français, ma mère bulgare.

    - C’est bien d’avoir une double culture, dis-je distraitement, ça permet une plus grande ouverture d’esprit.

    - Ah bon, vous trouvez ?

    - Enfin il parait.

    Je ne savais pas du tout où elle comptait aller, mais pour l’instant je m’en moquais. Il faisait vraiment un temps splendide. Nous arrivions place de la concorde, elle mit une cassette audio

    une cassette audio, me répétai-je stupéfait. Une musique orientale à base d’accordéon commença à emplir l’habitacle.

    Une certaine pudeur, due à une éducation catholique sans faille, m’interdit d’aller plus avant dans l’évocation de la soirée que nous passâmes ensemble. Pour faire court, disons que je vengeai, ce soir-là, l’honneur perdu de David Ginola. Cela se passa à Gennevilliers, dans le petit appartement de sa mère, où elle créchait le temps de ses études, après quoi elle devait retourner travailler en Bulgarie, ou à Lyon, je ne sais plus.

    Je la quittai au petit matin. Je lui dis au revoir poliment, mais sans effusions inutiles, sans même proposer d’aller chercher de quelconques croissants. Elle parût quelque peu désappointée que je m’en aille de cette façon. Elle me proposa de rester, et ses yeux se firent suppliants, mais j’en avais vu d’autres, je sais exactement le degré de rouerie qui se cache derrière les manières affectées des femmes. Je prétextai, sans prendre la peine d’y mettre beaucoup de conviction, un rendez-vous professionnel, et partis sans gloire et sans me retourner. Je repris le métro qui me ramena jusqu’à chez moi, en proche banlieue.

    Ma vie reprit son cours, longue et monotone. Je suis employé de bureau. Le goût de l’aventure m’a quitté depuis tellement longtemps que je ne me souviens même pas en avoir été un jour habité. Très vite, la concentration qu’exigent les travaux administratifs, s’ajoutant aux mille soucis quotidiens qui accablent tous les provinciaux de trente-cinq ans venus s’installer seuls à Paris pour exercer un travail alimentaire, chassèrent la donzelle de mon esprit. Environ une semaine plus tard, en fin d’après-midi, alors que je m’apprêtais à sortir du bureau, ou pour être plus précis : alors que je commençais à songer au moment où je m’apprêterais à partir, et que je rangeais vaguement quelques vieilles piles de documents, mon téléphone portable se mit à sonner.

    J’ai oublié de vous dire, la fille s’appelle Catherine. Catherine, donc, puisque c’était bien elle au bout du fil, me convia à une soirée pour le lendemain avec des amis, dans un restaurant chinois du 13ème. Je me méfiais, est-ce que je n’étais pas tombé sur une psychopathe qui, après une soirée, serait tombée maladivement amoureuse de moi, comme Glenn Close dans Liaison fatale ? Néanmoins j’acceptai, et je suis incapable encore aujourd’hui d’expliquer pourquoi.

    J’eu un sommeil agité, proche de la transe chamanique. Je me métamorphosais en oiseau de proie, planant au-dessus de Paris. Je me réveillai au milieu de la nuit, me redressant d’un coup sur le lit, en sueur.

    La journée fut interminable, je commençais à en avoir plein les bottes de ce boulot. Quand sonna l’heure, j’avais l’impression d’être au bord de l’épuisement, pourtant dès que je me retrouvai dans la rue, toute ma fatigue se dissipa comme par enchantement.

    Je repassai chez moi pour me changer rapidement et récupérer ma vieille Volkswagen. J’avais récemment réussi à économiser assez d’argent pour l’emmener au garage. Je m’habillai à peu près comme d’habitude, avec un costume-cravate sans cravate. Je savais que j’allais me retrouver au milieu de jeunes de quinze ans de moins que moi. Il s’agissait de ne pas avoir l’air trop con, et pour commencer essayer de ressembler à quelqu’un de mon âge. Le pire aurait été d’essayer de les singer.

    Arrivé dans le quartier chinois, je trouvai une place à quelques dizaines de mètres du restaurant. Je n’avais pas envie d’arriver en avance, alors je me fumai deux ou trois cigarettes, tapi dans l’obscurité de l’habitacle.

    Au bout d’un quart d’heure, je sortis de la voiture. Un serveur vint m’accaparer à l’instant même où je poussai la porte vitrée. C’était un Chinois de soixante ans, l’air las, aux traits fripés, courbé comme si sur ses épaules reposait le destin de l’Empire du Milieu. Catherine m’avait dit de demander sa table. J’indiquai donc ses nom et prénom, et le serveur se dirigea vers l’arrière-salle en me faisant signe de le suivre. Il traînait tellement les pieds que je ne sais même pas si l’on peut vraiment dire qu’il marchait. Je distinguais le chuintement de ses mocassins sur le parquet en bois. Son mode de déplacement tenait en fait de la reptation. C’était absolument fascinant.

    Le restaurant était typique du quartier, c’est-à-dire qu’il ne fallait pas y aller pour l’hygiène. Heureusement, mon organisme s’était déjà depuis longtemps habitué aux saloperies d’origine exotique, résultat d’une vie ponctuée par de fréquentes visites au kebab. Parfois, en pensant à Maupassant, je me disais que le staphylocoque doré serait ma syphilis.

    A la table, ils étaient quatre. On fit les présentations. Outre Catherine, il y avait une grande bringue au teint blême, vêtu à la garçonne, veston et chapeau à l’ancienne, qu’on appelait Palombe. Non non, pas Palomba, Palombe. Il y avait Edgar, qui était habillé, sans grande façon, d’un jean et d’un sweat-shirt. Il était châtain et portait un petit bouc qui, ajouté à ses sourcils en accent circonflexe, lui donnait l’air d’un diable sorti de sa boite. Il avait l’air de quelqu’un de nerveux, et d’assez bavard. Et puis, il y avait un rasta blanc. Je me méfie des rastas blancs. Non, se méfier n’est pas le mot exact. Dans les premiers temps de ma vie active, alors que j’avais quitté mes parents il y a peu et que j’habitais dans mon premier appartement, un minuscule meublé, je voyais de temps à autre des blattes. Un jour, il y en avait une qui grimpait péniblement sur un mur, puis, le surlendemain, je surprenais sa cousine en train de s’extraire de sous la cuisinière, puis rebrousser chemin en catastrophe en me voyant saisir sournoisement un chausson. Je ne m’étais pas alarmé plus que ça. Je ne laissais pas trainer de nourriture et je faisais le ménage régulièrement. Je m’imaginais qu’elles venaient d’un autre appartement, et que par le jeu des conduits d’aération elles tombaient chez moi de temps à autre, par accident. Mais plus le temps passait, plus augmentait la fréquence de leurs apparitions : une fois par semaine, puis deux, puis une fois par jour, et toujours vers la cuisinière. Un soir, je décidai d’en avoir le cœur net. Je déplaçai le meuble pour regarder ce qui pouvait bien se passer en dessous.

    C’était une boite de chocolats de Noël bon marché. Les locataires précédents, un couple de jeunes, avaient probablement organisés, un 25 ou un 31, une beuverie d’amis au cours de laquelle cette boite avait glissé, je ne sais comment, sous la cuisinière. Je compris que c’était une boite de chocolats grâce à l’étiquette. Quelqu’un avait enlevé le couvercle. Mais là où on aurait dû voir les chocolats en question, il n’y avait plus qu’une masse grouillante et grise, celle de ces insectes immondes qui, depuis des semaines, se repaissaient dans mon dos de ces guimauves de cacao industrielles. Je dormais tous les soirs à trois mètres de cette infection vivante.

    Dans ma vie, par la suite, je ne ressentis ce même sentiment d’horreur et de dégoût, bien que légèrement affaibli, que dans les très rares occasions où j’eu à côtoyer des rastas blancs. En présence d’une forme de vie étrangère, manifestement hostile, aux déplacements erratiques, et dont l’unique fonction biologique dans la chaîne alimentaire semble être le parasitage, l’honnête homme, obéissant à un réflexe ancestral, mu par d’étranges impulsions envoyées par le cerveau reptilien, sentant remonter en lui des souvenirs collectifs transmis génétiquement à l’humanité depuis le tréfonds des âges, à l’époque peut-être où les hommes de la tribu, criant et agitant leurs torches, passaient la nuit à repousser les hyènes qui tentaient de mordre les femmes et d’emporter les bébés, l’honnête homme, disions-nous, se sent soudain envahi d’un désir fort et primitif, celui de se saisir d’un gros caillou tranchant et de massacrer la Bête.

    Le rasta blanc s’appelait Sébastien. Je lui serrai tout de même la main et m’assis. La conversation s’engagea. Edgar me demanda, en faisant un point d’interrogation avec un de ses sourcils circonflexes :

    - Qu’est-ce que vous faites dans la vie ?

    - Oh, fis-je d’un air embarrassé, je fais un travail de bureau…

    - Vous êtes dans l’administration ? reprit-il en faisant deux points d’interrogation, comme si être fonctionnaire en France était quelque chose de proprement extraordinaire.

    - Non non, dans le privé…

    - Ah ok, répondit-il, l’air soulagé, remettant ses sourcils au repos.

    - Nous on est tous étudiants, on est dans la même classe, dit Palombe.

    - Ah bon, et vous étudiez quoi ?

    - Licence d’anglais, répondit Sébastien, le rasta, les yeux baissés. Même qu’on se fait chier.

    - Parle pour toi, répliqua Palombe, l’air agacé.

    J’observais Catherine du coin de l’œil ; après m’avoir accueilli, elle n’avait quasiment plus ouvert la bouche. Mais elle n’avait pas l’air vraiment inquiet. Elle semblait réfléchir à quelque chose.

    - Alors, repris Edgar, qu’est-ce qui vous branche dans la vie ?

    - Moi ? Oh, pas grand-chose.

    - Vous lisez ?

    - Si je lis ? Oui, ça m’arrive…

    - Quoi par exemple ?

    - En ce moment, je suis sur Simenon.

    - Ah bon, fit le rasta avec un sourire narquois, vous préférez les hommes ?

    Et cet abruti s’esclaffa à sa propre saillie. Les autres sourirent d’un air indulgent. Je me forçai à arborer un rictus. Dans la foulée, Edgar me posa subitement cette question qui me désarçonna :

    - Vous connaissez Olivier Maulin ?

    Un silence se fit.

    - Oui, répondis-je après un moment d’hésitation, j’ai entendu ce nom dans la bouche de Catherine la première fois que je l’ai vue, mais…

    - Nous quatre, on lui voue un culte. On pense que c’est une sorte de prophète.

    - Ou de messie, dit Palombe.

    - Si tu veux. En tout cas, on est fans absolus, reprit-il en s’adressant de nouveau à moi. C’est un génie. Il nous a ouvert les yeux sur le monde moderne. C’est Catherine qui nous a initiés. On essaie de le faire découvrir autour de nous.

    - On le suit dans tous ses déplacements, dit Palombe.

    - La dernière fois, c’était au salon du livre de Marseille, dit Catherine, soudain réveillée.

    - Ah bon, dis-je, vous êtes allés jusqu’à Marseille?

    - On le suit partout, répondit Palombe. Dès qu’on sait qu’il se rend à un festival ou un truc comme ça.

    - Fais lui voir l’album, intima Catherine à Sébastien.

    Après avoir regardé autour de lui comme s’il s’apprêtait à étaler sur la table une substance prohibée –probablement un vieux réflexe- celui-ci fouilla dans son sac et en sortit un album photo blanchâtre, aux angles racornis.

    Il l’ouvrit un peu au hasard et le posa face à moi. Des photos diverses, en couleur, en noir et blanc, plus ou moins nettes, comme prises à la dérobée, montraient toutes le même type, un rouquin qui devait avoir environ le même âge que moi, qui comme moi avait adopté le costume-cravate sans cravate ; plus ou moins barbu, plus ou moins grassouillet, selon les photos et l’époque où elles avaient été prises. On ne peut pas dire qu’il était vraiment beau, ni vraiment moche. Il était d’un abord plutôt sympathique, mais dans l’ensemble c’était le genre de mec qui pouvait passer à peu près inaperçu partout. En fait, il ressemblait plus ou moins à un contrôleur de la SNCF. D’ailleurs, il y avait une photo où il descendait d’un train, et plusieurs autres où on le voyait discuter avec d’autres personnes sur le quai d’une gare.

    - Ca c’est quand il revenait de la foire au livre de Lorient, dit Palombe.

    - C’est bizarre, je ne vois aucun d’entre vous sur les photos.

    - C’est normal, mec, répliqua Sébastien. Il ne nous a jamais vus. Depuis trois ans, on l’observe en secret.

    - Hein ? Mais Pourquoi ???

    - Tu ne peux pas comprendre, dit Catherine en soupirant. On a décidé ça entre nous. On s’est dit qu’on devait être ses anges gardiens.

    - Ouais, dit Sébastien, ça c’est TA version.

    - Il faut avoir lu l’œuvre d’Olivier Maulin pour saisir le sens de notre démarche, dit Edgar en me fixant avec ses grands yeux fous, et surtout Les évangiles du lac. C’est dans ce livre qu’il a vraiment ouvert une brèche.

    - Ouvert une brèche dans quoi ?

    - Dans le monde moderne, répondit-il, énigmatique.

    Trois heures plus tard, je ramenais Catherine à Gennevilliers. Je n’avais pas envie de rentrer tout de suite, ni d’aller boire un dernier verre ailleurs. Je lui proposai un petit tour en voiture dans Paris avant de rentrer.

    Après ces mots étranges sortis de la bouche d’Edgar, le serveur était enfin venu avec les menus, et nous avions ensuite commandé assez vite. L’alcool et la nourriture, d’ailleurs excellente, avaient achevés de délier les langues. J’avais eu droit à une formation accélérée sur Olivier Maulin. J’étais quand même tombé sur de sacrés tarés.

    Je me méfiais de Sébastien. C’était un fourbe qui n’attendait qu’une occasion pour trahir, j’en étais persuadé. Avez-vous remarqué que les rastas blancs ne trainent jamais ensemble, contrairement par exemple aux punks à chiens ? Ils préfèrent coller aux basques des gens normaux, pour les parasiter. Jamais plus d’un rasta blanc par groupe de jeunes, c’est une règle invariable. Et ils restent jusqu’à ce que l’on découvre leur véritable nature. Néanmoins, une chose me paraissait sincère chez Sébastien, c’est l’amour qu’il portait aux écrits d’Olivier Maulin, un amour visiblement aussi fanatique que celui de ses amis.

    Palombe trimbalait une sorte de mal-être adolescent, qui la poussait à exprimer, comme Sébastien d’ailleurs, une certaine agressivité à mon égard ; ou peut-être croyait-elle que le personnage qu’elle cherchait à incarner aux yeux des autres se devait de faire preuve d’agressivité à mon égard. Et en même temps, une certaine sophistication me la faisait paraître plus intéressante et plus profonde –peut-être à tort- que son camarade. C’était une littéraire : elle admirait Oscar Wilde, George Sand, Verlaine et Rimbaud. Enfin, elle les admirait, jusqu’à ce que Catherine, un soir, lui prête Les évangiles du lac.

    Edgar m’avait paru des quatre le plus intéressant. Il n’existait pas uniquement à travers l’œuvre d’Olivier Maulin, ce que je ne n’aurais pas pu jurer à propos de ses collègues. Il travaillait à un roman de science-fiction. Il m’avait expliqué qu’avant de commencer l’écriture de l’intrigue proprement dite, il s’attelait à mettre en place les personnages et leurs interconnexions, il imaginait l’historique des planètes et des peuples qu’il allait mettre en scène ainsi que celles des grands ancêtres des protagonistes, bref, il cherchait à créer de toutes pièces un univers entier, cohérent, à la manière des grands maitres comme Frank Herbert. L’histoire commençait sur une planète appelée Eimera, où deux races extra-terrestres, les Zaloptères et les Archoutanes, au mode de vie relativement primitif, coexistaient sans le savoir, vivant de chaque côté d’une forêt gigantesque qui, enserrant Eimera tout au long de son équateur comme une sorte d’anneau, formait entre les deux hémisphères une barrière colossale, infranchissable pour ces créatures dont le niveau de civilisation était comparable à notre néolithique. Selon les légendes locales, si ces deux races se rencontraient et se mélangeaient, la nouvelle race hybride qui en serait issue aurait le pouvoir de conquérir toute la galaxie.

    La planète voisine, Perla, avait été fondée, il y a des millénaires de cela, par des commissaires européens en exil. Au milieu du XXIème siècle, l’Europe ruinée, dévastée, en proie à la guerre civile, aux épidémies, le troc ayant remplacé l’usage de l’Euro sur la plus grande partie du territoire, une insurrection populaire, soutenue par l’armée, prit le contrôle de Bruxelles. On mit la main sur les commissaires européens. Un tribunal populaire décida, en quelques heures, de leur culpabilité dans la catastrophe générale, et de leur exécution publique par strangulation. Mais quelques survivants avaient réussi, en soudoyant des passeurs, à gagner Kourou, et à utiliser les dernières parcelles de leur autorité légale pour s’échapper, avec leurs familles et leurs employés, à bord d’un engin spatial expérimental. Au bout d’un périple de sept ans qui appartenait aux mythes fondateurs de la planète Perla, les commissaires débarquèrent sur la terre promise, une planète hostile, désertique, peuplée de lézards géants, sur laquelle ils réussirent néanmoins à faire souche. Dès qu’ils furent à peu près installés, leur premier geste fut la création de l’embryon d’une nouvelle construction européenne. Des référendums eurent lieu pour savoir si les lézards faisaient partie des espèces nuisibles, ou s’ils constituaient un patrimoine naturel à protéger. Des groupes de réflexion inter-départements furent formés pour éclairer le débat et remettre leur rapport à la sous-commission chargée du statut des lézards de Perla. Parallèlement, le commissaire préposé à la protection du patrimoine naturel créa une autre sous-commission pour établir la classification des cailloux du nord du lac Tschaï, selon leur diamètre et leur forme.

    Quelques années plus tard, les commissaires européens s’aperçurent de la présence, sur Eimera, des deux peuplades primitives susnommées. Après être rentrés en contact avec les indigènes (et avoir créé des sous-commissions pour les classer en plusieurs groupes selon leur forme), ils voulaient maintenant en faire des citoyens européens. La seule chose qui pouvait empêcher ce désastre était l’accomplissement de la prophétie : un mâle zaloptère devait s’accoupler avec la plus belle des femelles archoutanes, ce qui serait le premier pas vers la fusion complète des deux races. Elles se verraient alors dotées de pouvoirs leur permettant de balayer n’importe quel ennemi, et de régner sur l’univers.

    Tout cela m’apparaissait bel et bon. Rien à dire, c’était du cousu main. En le quittant, j’avais prodigué à Edgar quelques encouragements. A présent, nous roulions en silence, sur les bords de Seine. Catherine, décidément, était étonnamment muette ce soir. Je ralentis jusqu’à rouler quasiment au pas, les yeux fixés sur l’eau scintillante. Il faisait doux ce soir-là. Je baissai ma vitre et allumais une cigarette. Catherine me demanda, en faisant beaucoup d’efforts pour me faire croire que sa question était anodine :

    - Alors, qu’as-tu pensé de cette soirée ?

    Machinalement, je jetai un coup d’œil au livre posé sur les genoux de Catherine : Les évangiles du lac, bien sûr. Elle l’avait amené pour moi. Je la regardai. Elle semblait immensément fragile, à présent, comme si elle était sur le point d’éclater en sanglots. Qu’est-ce que je savais de cette fille, finalement ?

    - C’était bien, comme soirée. Tes potes sont des gens intéressants.

    - Je savais qu’ils te plairaient, dit-elle en souriant.

    Je tournai à gauche et pris le pont de Courbevoie.

    - J’avais peur que tu nous trouves ridicules, rajouta-t-elle, l’air d’avouer un péché mortel.

    - Ridicules ?

    Je réfléchis un peu, et repris :

    - Non, pas ridicules. Bizarres, oui, ça c’est sûr. Mais tout est bizarre, pour moi.

    - Est-ce que tu as un peu compris de quoi il retournait ?

    - Tu veux dire, avec les nains, les trolls et les elfes ?

    - Oui.

    - Je crois. C’est comme me l’a dit Edgar : vous êtes en révolte contre le monde moderne. Vous voulez le retour des temps héroïques. Tu voudrais être une princesse enfermée dans son donjon, et que je sois le chevalier qui vient te délivrer. Vous êtes d’anciens fans de jeux de rôle, non ?

    - Oui.

    - J’en étais sûr.

    - Tu veux nous rejoindre ?

    Je jetai ma cigarette et remontai ma vitre. En souriant légèrement, je lui dis :

    - Non, je ne crois pas. J’ai déjà fréquenté ce milieu, dans le temps. Je n’ai rien contre ; mais c’est pas mon truc.

    Catherine était désappointée, soudain. Elle regarda droit devant elle.

    - Alors c’est quoi, ton truc ? Finit-elle par dire.

    - Moi, tu sais, répondis-je en posant une main délicatement sur son genou, je suis italien ; ce dont tu me parles, là, tous ces machins, les trolls, les elfes, les Hobbits, ce n’est pas ma culture, ce n’est pas la culture d’ici non plus, d’ailleurs. Tout ça, ça vient des anglo-saxons.

    On arrivait à Gennevilliers. Je la déposai devant chez elle, elle ne me proposa pas de monter. Je lui dis au revoir poliment, et je repartis. Décidément, avec Catherine, ça devenait une manie de se quitter fâchés. Mais ce soir, c’était peut-être la dernière fois qu’on se voyait. Je lui avais dit la vérité, mais pas toute la vérité. Je savais très bien ce qu’elle attendait de moi, et je n’avais pas l’intention de lui donner de faux espoirs. Je voulais bien qu’une femme ne soit pas seulement source de jouissance érotique, mais aussi une amie, une confidente. Très bien. Mais rien de plus que ça. J’avais appris à aimer la solitude et la liberté. Cela valait-il la peine de tout chambouler, tout ça pour avoir le plaisir d’entendre les flatulences de Madame au réveil ? Préciosité de vieux garçon, probablement. Mais c’était comme ça.
    Quant à ses amis mystiques, ils auraient sûrement pu, en d’autres circonstances, se révéler dans toute la magnificence de leur gloire exaltée, et se tailler de véritables royaumes. Ils servaient des causes que je croyais perdues à jamais dans les eaux troubles qui s’agitent au confluent des mondes, là ou se confondent les rêves et la réalité. Leur folie n’était pas de notre époque. Mais peut-être que notre époque allait finir un jour, comme toutes les autres avant elle.

    André Waroch, pour Novopress

  • Avez-vous lu Douguine ?

    Certains livres viennent à point, comme des fruits de saison.

     

    La question de la temporalité est évidemment cruciale, lorsqu’il s’agit de penser. Il arrive que des œuvres pourrissent en mûrissant. Je relisais dernièrement quelques bouquins d’Alexandre Zinoviev, et je m’étonnais qu’ils fussent si anachroniques, si peu en phase avec ce qu’était devenu le monde depuis 1989, et, faut-il le dire, si illisibles. Les discours sur la réalité, si l’on dissipe les fumets de la mode et des emballements du moment, pâtissent cruellement de la dérive des choses, fût-elle minime. Soudain, c’est une fissure, parfois un abîme, qui les séparent de l’expérience collective ou individuelle, et ils deviennent alors des bavardages, des vapeurs.

     

    Quel est donc le défaut heuristique des écrits de Zinoviev, de tous les dissidents qui s’opposaient à l’empire soviétique, et, plus généralement, de ceux qui étaient plongés dans cette gigantomachie mondiale, mettant en prise les tenants des première et deuxième théories, selon la classification métapolitique d’Alexandre Douguine, c’est-à-dire le libéralisme et le marxisme ? Comment des vérités de l’heure, bien qu’elles ne soient pas devenues pour autant des mensonges, constituent-elles néanmoins des erreurs épistémologiques ?

     

    Il se peut bien que certaines clairvoyances ne se manifestent, ne puissent se manifester, qu’à l’achèvement d’un processus historique. C’est au crépuscule, dit Hegel, que la chouette de Minerve prend son envol. Aussi est-ce lorsque la modernité parvient à son stade terminal, devant notre regard médusé, euthanasiant l’homme, après Dieu, que la conscience vient de ce qu’est la « chose », et qu’elle soit nommable pour tous. Il fallait que la deuxième théorie moderne, le marxisme, après la troisième, le fascisme, qui sont tous deux des tentatives de modernité, mais en même temps des réactions conservatrices au processus dissolvant du libéralisme, pour que la première théorie, le libéralisme, apparût tel qu’en vérité sa nature le fonde, à savoir un destin économique, une « gouvernance » des choses, et un démontage, accompagné d’un bricolage, de la matière humaine.

     

    Or, affirme Douguine avec réalisme, c’est de là qu’il faut partir. De la postmodernité.

     

    Qu’est-ce que peut nous apporter la postmodernité ? D’un point de vue « scientifique » et philosophique, elle est déconstruction théorétique des sociétés. À la suite des penseurs du « soupçon » comme Marx, Nietzsche, Freud, le structuralisme de grands anthropologues tels que Lévi-Strauss ou Foucault, a démontré que la notion de progrès n’était qu’un mythe, à proprement parler une mystification visant à légitimer l’hégémonie universelle de l’Occident, et qu’il n’existait pas, dans l’absolu, de « civilisations » inférieures, ou supérieures. Pire, ou mieux ! ce que l’on appelle « pensée », ou « raison », n’est qu’une construction relative, redevable de la philosophie hellénique, laquelle a « oublié », comme le démontre Heideggger, ce grand penseur capital, auquel se réfère Douguine, l’être, en promulguant la métaphysique occidentale.

     

    Le roi est donc nu. Brutalement, l’usurpation qui laisse croire à sa nature mécanique, irréductible, fatale, place l’entreprise libérale d’arraisonnement idéologique et guerrier du monde comme ce qu’elle est : un mensonge mortel, destructeur des altérités, de la multiplicité de l’être dans le monde.

     

    La première leçon d’Alexandre Douguine apparaît comme une évidence. Le paradigme du flux historique a changé, il faut donc transformer les paramètres, la logique, et le vocabulaire même de notre pensée, si nous voulons non seulement nous opposer à ce qui nous semble inacceptable, mais si nous désirons même avoir accès au monde, et y agir. Il rejoint, par là, l’aventure intellectuelle d’un Alain de Benoist, dont il est proche.

     

    Il va sans dire que toute une panoplie idéologique, comme le projet nationaliste, devient obsolète. Reprenant les analyses de Carl Schmitt, Douguine approfondit le concept de « Grand espace », d’ « Empire », et, particulièrement, d’eurasisme.

     

    Nous, Français, nous sommes nécessairement influencés, lorsque nous abordons la notion d’Empire, par l’épopée napoléonienne, de la même façon d’ailleurs que les Allemands peuvent l’être par le troisième Reich. En Russie, l’équivalent d’un grand ensemble homogène, centralisé, autoritaire et exclusif serait la Russie de Pierre le Grand, lequel ne fit qu’imiter l’Occident. Or, l’empire nationaliste n’est que l’hypertrophie de la nation, donc une manifestation de la modernité, au même titre que l’individu, l’État calculateur, machiavélien et « scientifique », et que la science galiléenne et cartésienne. La preuve est que son expression la plus pure fut la grande révolution de 1789, révolution bourgeoise par excellence.

     

    L’eurasisme, en tant que concept, pour Douguine, ne se cantonne pas à un territoire donné, comme la Russie et ses satellites européens et asiatiques. C’est une « Idée », presque au sens platonicien, générique, qui sert de concept opératoire pour penser les phénomènes postmodernes dans la dimension géopolitique et sociétale. En effet, dans sa course à l’abîme, l’Évangile des temps contemporains, prétendant porter le Bien, mais engendrant misère, désespoir et destruction, rencontre des résistances. Le noyau d’où partit l’expansion moderne, l’Europe, déplacé dans cette terre « purifiée » ethniquement, matrice de la pire utopie de l’histoire, les États-Unis d’Amérique, a été confronté durant deux ou trois siècle à une périphérie, qu’il s’agissait de « civiliser », c’est-à-dire de domestiquer, d’exploiter, d’aliéner, voire de génocider. Cependant, cette « périphérie » n’était rien, aux yeux des « civilisateurs », qu’un terrain vierge de culture, peuplé de sous-hommes, de sauvages ou de barbares.

     

    Or, il était, il est la Terre de plusieurs « civilisations », de « mondes » possédant leur propre manière de voir, de sentir, de raisonner, d’aimer, de haïr, de se confronter avec les aléas du monde. S’inspirant des thèses du penseur américain Huntington, sans faire sienne de manière dogmatique l’idée de « choc », Alexandre Douguine recense un certain nombre de noyaux civilisationnels, comme la Russie, l’Iran, le monde musulman, l’Amérique latine et indienne (l’Amérique bolivarienne et brésilienne), la Chine, l’Inde, peut-être l’Europe (nous y reviendrons). Ces entités enracinées, reposant sur une longue mémoire, présentent des formes disparates. Il n’est pas besoin de s’y attarder ici, il vaut mieux lire l’ouvrage de Douguine, qui analyse parfaitement, avec lucidité et rigueur, le tableau des conflits et des légitimités actuelles. Toutefois, il faut insister sur l’expérience, et l’énergie qui paraissent nous faire espérer un retournement du cours des choses.

     

    Ce qui frappe en effet, c’est que ce qui semblait aller de soi, surtout après la chute du mur de Berlin, devient hautement problématique. D’abord, l’étendue des désastres (économiques, humains, écologiques, culturels, sociaux, etc.). Un autre penseur, Fukuyama, qui, dans son livre La Fin de l’Histoire, proclamait une sorte de paradis consumériste, libéral, comme le fait remarquer Douguine, avec qui il eut des échanges, a reculé avec effroi devant les conséquences d’une machine qui s’emballe, transgresse tout, et ne semble avoir de finalité que le vide, le néant. D’autre part, chacun peut constater que ce qui s’annonçait comme une marche triomphale bute contre des obstacles de plus en plus rudes, aujourd’hui en Syrie, hier en Géorgie, demain dans le Pacifique… ou en Iran… La conquête libérale n’est pas un long fleuve tranquille ! Cela ne signifie pas qu’elle ne puisse réussir. Mais sur quelles ruines ?

     

    Il est aussi un autre aspect du livre de Douguine, outre les éclaircissements théoriques qui nous permettent de mieux appréhender le présent, ce sont toutes les informations qu’il nous livre sur les rapports de forces au sein du pouvoir russe, et des aspirations de l’oligarchie et du peuple russe. Pour ce faire, il lie la longue histoire russe aux événements récents, jusqu’à l’agression provoquée par Saakachvili contre l’Ossétie du Sud. Nous voyons très bien que la Russie, ou l’Eurasie, est à un moment pivot de son histoire, et probablement de celle du monde. Car ce qui se passe là-bas présente un intérêt vital pour nous.

     

    En effet, nous sommes devant un dilemme : être ou ne pas être. En arrimant l’Europe au vaisseau libéral amiral, l’oligarchie européenne a choisi le néant historique, la domesticité ou la complicité, et, pire, la « culture » de la destruction, la « destructivité » néo-libérale. Autrement dit, c’est un suicide, à tous les sens du terme. Il est évident que nous ne sommes pas Russes, bien que les Slaves aient souvent été très proche de notre cœur. Le projet eurasiatique nous met en demeure de réagir, et d’être. C’est une urgence, un devoir, un destin. Être de « bons Européens », comme disait Nietzsche… N’est-il pas trop tard ? Existe-t-il, ce substrat populaire, encore présent en Russie (pour combien de temps, peut-être ?), ce projet politique, autre que celui, vicié à la base, des bureaucrates de Bruxelles, et, surtout, cette spiritualité, cette métaphysique, cette théologie, cette liaison existentielle entre la terre et le ciel, les éléments du territoire, les rêves, les élans, qui se sont manifestés en Iran, qui soudent encore, par l’Orthodoxie, le peuple russe (sans qu’une cœxistence soit impossible avec d’autres spiritualités, d’autres ethnies), ou qui fortifient la foi des musulmans ? Car, s’inspirant du mystique iranien Sohravardî, Douguine nous rappelle que c’est en Orient que le Soleil se lève, et qu’en Occident, il se couche. Échapperons-nous à cette fatalité pour retrouver un destin historial ?

     

    Claude Bourrinet http://www.europemaxima.com/

     

    • Alexandre Douguine, La Quatrième théorie politique. La Russie et les idées politiques du XXe siècle, Éditions Ars Magna (B.P. 60 426, 44004 Nantes C.E.D.E.X. 1), 2012, 336 p. Pour recevoir le livre, écrire à l’éditeur, en accompagnant cette demande d’un chèque de 32 € franco.

     

    • D’abord mis en ligne sur Vox N.-R., le 4 novembre 2012.

  • Quand un sénateur socialiste s’en prend à la Croix du drapeau vendéen !

    Lors d’une séance au Sénat dans la nuit du 16 au 17 janvier, le sénateur P.S. Jean-Pierre Michel a attaqué la Vendée et son sénateur, Bruno Retailleau. Dénonçant le drapeau vendéen surmonté de la Croix du Christ, il a souligné qu’il était l’emblème des ennemis de la République, faisant sans doute allusions aux martyrs des 1793 exterminés par les révolutionnaires alors qu’ils défendaient leurs traditions et la Foi de leurs pères. Bruno Retailleau lui a alors répondu, suscitant même le retrait des propos tenus par Jean-Pierre Michel ! Voici quelques extraits de ses propos : » Dans le logo de la Vendée figure effectivement une croix stylisée. Faut-il abattre la croix de Lorraine à Colombey-les-Deux-Églises, débaptiser l’Hôtel-Dieu ? Je suis fier, monsieur Michel, que l’emblème de la Vendée flotte aujourd’hui sur toutes les mers du monde et fasse vibrer le cœur de nombreux passionnés. La Vendée est le reflet de cette double tradition qui tisse la trame française. La Vendée, c’est Clemenceau, qui disait : « C’est au caractère vendéen que je dois le meilleur de mes qualités ». Il a d’ailleurs rendu un hommage vibrant aux Vendéens de 1793. La Vendée, c’est aussi Jean de Lattre de Tassigny, fruit d’un autre héritage, la tradition blanche, qui a signé à Berlin l’acte de capitulation face au maréchal Keitel. Deux enfants de Vendée, deux enfants de France, nés dans le même village, Mouilleron-en-Pareds. Je suis fier de ce qu’ont fait mes aïeux, et jamais je ne rabaisserai cet étendard. L’histoire de France, nous en sommes les héritiers, et j’entends que, ici comme ailleurs, mais surtout au sein de la Haute Assemblée, nous puissions en être fiers « . Nous reconnaissons bien dans la démarche du député socialiste l’anticléricalisme primaire qui a nourri la Révolution, et sous couvert duquel il faudrait supprimer toutes les traces du glorieux passé français, de sa culture millénaire et de la Foi qui a façonné son tissu social. Honneur aux vendéens morts pour leur terre et la Foi catholique !

    http://www.contre-info.com/

  • Le populisme et le souverainisme : des leurres patriotiques (par André Gandillon)

    [Reproduction de l’exposé fait par André Gandillon pour l’Œuvre française (qui présente cet intéressant texte) le 2 mars 2009 à Paris (publié aux Études nationalistes, mars 2009)]
        La 24e université du Club de l'Horloge a été consacrée, en décembre 2008 au populisme. Le populisme est en effet un mouvement qui connaît un certain développement en Europe et il est important d'en analyser la nature. Tel sera l'objet de la présente étude.
        Les mouvements qualifiés de populistes ont pour caractère commun de s'inscrire dans le cadre du système qu'ils sont sensés critiquer et rejeter.
        Certes, ils se révoltent contre le mondialisme niveleur et négateur des peuples et des nations. Certes, ils relatent le sentiment de nombreuses couches de la population qui ressentent un malaise à voir leur cadre de vie bousculé, qui sont indignés du mépris de la part d'un pouvoir qui affiche sa sollicitude envers les étrangers légaux ou illégaux, qui sont victimes d'une société où l'ordre public n'est plus assuré efficacement, la dégradation de leur niveau de vie.
        Ils bénéficient de ce point de vue d'un courant naturel de sympathie de ceux qui refusent le déclin de leur pays. Les solutions proposées, comme le recours à la démocratie directe, à la restauration de l'autorité, à la prise de mesures destinées à protéger l'identité et à affirmer la souveraineté des États ne peuvent, là encore, qu'être bien reçues par nombre de contempteurs des dérives actuelles.
        Pour autant, ces mouvements populistes développent-ils une action politique adaptée à la situation ? Plus profondément, leur programme répond-il de manière appropriée aux défis de l'heure ? Telles sont les questions auxquelles nous devons répondre.

    La signification du « populisme »
        Tout d'abord, quelle est la signification du terme de « populisme » ? Dans populisme, il y a peuple. Or ce mot revêt au moins deux acceptions. Considéré en tant que communauté humaine, le peuple se rapporte à cette communauté de destin dans l'universel, dotée d'une identité spécifique et unique qui la distingue des autres communautés qui l'entourent ; mais il fait aussi référence au peuple, en tant qu'entité sociologique, à savoir la masse, la plèbe par opposition à l'élite.
        Il est clair que, si les populistes se réfèrent à la première acception, les tenants du régime se réfèrent à la seconde. Autant la première définition donne une assise d'essence nationaliste, autant la seconde est péjorative : elle témoigne d'une volonté de mépriser et de disqualifier des mouvements qui s'appuient sur le corps de la population, ce corps étant dépeint comme replié sur lui-même et constitué des éléments inférieurs de la société, de ces petites gens présentées comme incultes et manipulées par quelque démagogue aventurier. La manière dont ont été traités les électeurs et les militants du Front national lors des élections où ce parti a obtenu de substantiels succès comme en 2002 suffit à illustrer cette analyse.
        Suspecte, cette connotation l'est d'autant plus dans la mesure où l'appellation de populisme n'est pas le fait des tenants de ce courant mais celui de ceux qui fabriquent le discours officiel ou officieux, à savoir les analystes et autres journalistes politiques inféodés au système ou en étant les porte-parole. Mais, pour fâcheux que ce soit, cela ne suffit pas à discréditer les mouvements populistes.
        Par ailleurs, ces mouvements revêtent bien des particularités selon les États et les régions du globe où ils sont apparus et se sont développés. Au-delà de la revendication de s'appuyer sur les classes moyennes ou inférieures de la population, quels rapports y a-t-il entre le « populisme » d'un Hugo Chavez ou d'un Evo Morales et le « populisme » d'un Berlusconi et de ses alliés ou du Front national en France, voire le « populisme » de Vladimir Poutine en Russie ?
        Notre propos doit donc être resserré sur ce qui nous concerne directement à savoir les mouvements « populistes » nés dans les États de l'Union européenne, l'U.E..

    Une incohérence fondamentale
        La première caractéristique des mouvements populistes réside dans le fait qu'ils se veulent être des mouvements électoralistes et démocrates. Ils ne visent à rien d'autre que d'être reconnu et surtout acceptés institutionnellement, autrement dit, acceptés et reconnus comme des organisations politiques respectables, au même titre que les organisations régimistes existantes. En définitive, leur aspiration est d'accéder au pouvoir pour appliquer leur politique par le truchement respectueux de la démocratie électorale et de participer ainsi à l'alternance démocratique qui constitue l'essence même du jeu de la démocratie dite représentative.
        Ils contestent seulement les dérives du système, à savoir l'idéologie mondialiste, le droit-de-l'hommisme, tout ou en partie selon les personnes, l’immigration massive qui menace la stabilité de nos sociétés, la logique du libre-échange absolu.
        Mais c'est justement là que le bât blesse. Ils ne se rendent pas compte, ou ne veulent pas se rendre compte que le système démocratique, posé et absolutisé comme principe universel, est devenu indissociable des dérives politiques qu'ils dénoncent. Par conséquent, leur attitude ne peut être que très inconfortable. Il existe en effet une contradiction certaine entre le fait de vouloir être membre actif à part entière du système en bénéficiant de l'honorabilité afférente et développer des critiques sérieuses quant à son fonctionnement et à son évolution alors que ceux-ci lui sont inhérents.
        En fait, cette attitude s'explique par une erreur fondamentale que commettent les populistes : ils se disent et se pensent comme étant sincèrement démocrates, convaincus que, malgré des défauts qu'ils n'hésitent pas  à mettre souvent en valeur, la démocratie est encore le moins mauvais des systèmes politiques et qu'il est possible de l'amender. Plus encore, peut-être, pensent-ils qu'il est illusoire de songer à l'instauration de tout autre système, le monde en place étant là pour très longtemps, en tout cas à longueur d'éternité pour une vie d'homme. Certes, ils peuvent bien envisager qu'il se produise des catastrophes, mais rien qui puisse remettre fondamentalement en cause la marche du monde et son organisation.
        Ce n'est pas tout. En se préoccupant seulement d'électoralisme, les partis populistes oublient ou feignent d'ignorer que le pouvoir démocratique repose, comme l'avait bien analysé Augustin Cochin à propos de la Révolution française, sur des sociétés de pensée discrètes, agissant en arrière-plan de la scène politique mais étant les véritables détentrices du pouvoir. De ce fait, elles ne sont pas atteignables par le système électoral dans la mesure où ce sont elles qui en détiennent les clefs et qui le manipulent. La nature du système démocratique fait que le pouvoir politique institutionnel n'est pas nécessairement le centre réel du pouvoir.
        Le seul moyen de s'emparer du pouvoir est d'en investir les centres effectifs que sont les sociétés de pensée. Or celles-ci sont trop bien organisées pour se laisser subvertir de manière significative. Dès lors, sauf à développer les siennes propres et à conquérir le terrain que celles-ci ont su opiniâtrement occuper au fil de dizaines d'années, avant d'espérer prendre le pouvoir démocratiquement, l'option réformiste devient caduque par impossibilité.

    L'épreuve de l'histoire
        De ce fait, vouloir modifier la politique d'un système en devenant un rouage de celui-ci relève de l'impossibilité. Le système dispose d'un nombre suffisant de pare-feu, de filtres immunitaires pour éviter de se laisser gangrener légalement, pour se laisser investir de l'intérieur.
        Certes, dans l'histoire il y a eu des accrocs, le principal étant l'accession au pouvoir d'Adolf Hitler par les voies légales en 1933. Mais le système a été tellement effrayé de cet événement qu'il a mis en place un puissant appareil de défense allant jusqu'à lobotomiser les intelligences, de telle manière qu'un tel danger de subversion est, à vue d'homme, circonscrit. Certes, des accrocs peuvent se produire mais ne concernent pas un pays d'importance majeure. Le cas du Venezuela d'Hugo Chavez, par exemple, dérange mais Chavez lui-même n'est pas en mesure de subvertir le système et de le mettre à bas dans son propre pays, pour peu qu'il le veuille. Plus encore, certains « populistes » arrivent au pouvoir mais ne conservent qu'un vernis : le cas du Brésilien Lula da Silva est éloquent.
        Observons maintenant ce qui se passe dans les États européens où un parti populiste a obtenu un succès électoral tel qu'il a pu accéder au gouvernement comme en Autriche et au Danemark. Néanmoins, il convient de remarquer qu'il n'y sont parvenus qu'en situation de parti d'appoint au sein d'une coalition, ce qui revient à en émousser fortement la capacité d'agir. Quel est leur bilan ? En Autriche, la ligne directrice du pouvoir n'a pas été modifiée : l'immigration, pièce maîtresse du programme, y est toujours aussi peu maîtrisée après le passage de l'ÖVP de feu Georg Haïder qu'auparavant. Au Danemark, les lois sur l'immigration ont été renforcées ; mais elles ne mettent pas pour autant le Danemark à l'écart de la pression immigrationniste qui assiège le continent européen. Il y a seulement un frein ; mais pour combien de temps, dans la mesure où en démocratie parlementaire, l'alternance politique est le lot des gouvernements.
        En Italie, la Ligue du Nord, préoccupée des seuls problèmes régionalistes de la plaine padane, est présentée comme parti populiste et le gouvernement de Berlusconi n'est pas le plus à gauche des gouvernements dits « de droite ». En fait, rien de substantiel ne change : l'Italie continue à souffrir des mêmes maux économiques, n'a pas enrayé l'immigration incontrôlée ; mieux, le gouvernement laisse le patronat faciliter l'immigration et les régularisations.
        En fait, ces partis populistes parviennent à participer au pouvoir parce qu'au fond, ils partagent pour l'essentiel la même philosophie démocratique que leurs partenaires, ainsi que nous l'avons déjà signalé.

    Du bon usage de l'électoralisme
        Pour autant, faut-il rejeter le combat électoral ? Non, mais à condition de ne pas se laisser prendre dans les rets du système, à condition de ne pas être dupe et de n'en faire qu'un outil parmi d'autres pour lutter contre le système. L'utilisation du mécanisme électoral, compte tenu de ce qui a été énoncé précédemment, ne doit pas avoir pour objectif de contribuer au fonctionnement du système ou du régime mais de servir les intérêts des organisations - ou, mieux - de l'organisation qui s'y oppose et le combat. Le parti bolchevique avant 1917 avait su le comprendre.
        Les moyens de ce service sont multiples et dépendent des circonstances. C'est un outil médiatique dans la mesure où les élections permettent de faire connaître des idées, de constituer un courant de masse qui aidera à établir des ramifications dans tout le pays. Ce peut être un moyen d'investir, au hasard des événements, tel ou tel poste d'influence, notamment la conquête de mairies de petites localités, celle de certains postes-clefs ou d'observation dans telle ou telle organisation, comme les prud’hommes qui ne sont pas à proprement parler des institutions politiques ; cela peut constituer des relais toujours utiles. Il ne s'agit pas de vivre coupé du monde, mais dans celui-ci et de savoir en utiliser les outils qu'il nous offre à son corps défendant .Mais il faut toujours prendre garde à ne pas se laisser séduire par les sirènes du système toujours promptes à agir. Seuls, un état d'esprit révolutionnaire -et non pas réformiste - et une bonne formation doctrinale permettent d'éviter ces écueils.
        Il ne faut pas tomber dans les travers de ceux qui, ayant obtenu quelque siège dans une assemblée, se pressent de jouer les forces de proposition inspirées de leur programme populiste pour aider à l'amélioration du système. Car toute aide revient à combattre contre son propre camp dans la mesure où l'on peut contribuer à renforcer l'adversaire et à fourbir ainsi des armes contre soi-même. Et même, si au sein d'assemblées des propositions allaient dans le sens souhaité, il est impossible de les voter dans la mesure où, d'une part, n'étant pas établies par nos propres soins elles sont inévitablement d'une inspiration philosophique différente : en d'autres termes, il s'agit de faux amis. En outre, même dans l'hypothèse d'école où elles seraient pleinement conformes à nos vœux, elles ne pourraient être cautionnées car leur mise en application ne pourrait être que mal conduite dans la mesure où elle le serait par des gens qui ont une vision politique différente de la nôtre.

    L'absence de doctrine
        Une autre caractéristique de ces mouvements est qu'ils n'ont pas de doctrine. Leur être réside avant tout dans une vision électoraliste des problèmes à résoudre. Ils ne disposent pas de doctrine ferme et sûre qui leur permettrait de se fixer des principes politiques non négociables, une ligne d'action qui ne se vicie pas d'accommodements liés aux faiblesses de l'électoralisme. L'absence de doctrine fait que leurs propositions subissent des variations, substantielles ou non, au fil des ans, selon les modes intellectuelles, selon les événements, selon les concessions qu'ils pensent devoir faire pour être mieux compris. Or, s'il faut se garder d'une inutile rugosité, il ne faut jamais transiger sur les principes.
        D'ailleurs, lors de la 24e université du Club de l'Horloge, Didier Maupas, son vice-président, a résumé l'esprit du populisme en le présentant comme étant d'abord « un cri de douleur des peuples européens autochtones ... victimes de la mondialisation et qui lancent ... un cri d'alarme face à l'immigration de peuplement » et « une révolte » contre les élites mondialistes. Ces propos ne sont pas anodins. Ils révèlent que le populisme est une réaction épidermique de gens qui se sentent agressés. Il s'agit avant tout d'un sentiment ; plus encore d'une « douleur » et d'un « cri d'alarme ». Or, si pousser des cris d'alarme est toujours mieux que de rester muet, car cela prouve au moins que les gens s'aperçoivent que quelque chose ne va pas, cela ne constitue pas une pensée réfléchie ni une doctrine. Et les gémissements n'ont jamais rien produit de bénéfique.
        Certes, on rétorquera que des penseurs analysent le mal qui provoque cette douleur et théorisent la réaction populiste : nous sommes en train de voir ce qu'il faut en penser. Mais la remarque de Didier Maupas est révélatrice de l'origine du mouvement populiste : la réaction de gens qui se satisfaisaient très bien du système en place avant que celui-ci ne dévoile une nouvelle étape de son développement, à savoir la volonté d'éradiquer les nations, comme le disait dès 1972 Edmond de Rothschild. Il s'agit de personnes qui n'ont toujours pas compris la nature viciée et perverse du système issu de la révolution de 1789 et conforté après 1945 en Europe. Dès lors, ils ne peuvent que présenter des armes fortement émoussées pour combattre la situation présente. En fait, ils ne représentent pas un réel danger pour celui-ci.
        Économiquement, ils n'ont pas la perception de la nature du système : ils restent fondamentalement libéraux, même avec des nuances. Et s'ils critiquent la mondialisation économique, ils ne défendent pas une doctrine économique et une doctrine financière capables de conduire la politique économique nationale capable de résoudre les maux qu'ils dénoncent.

    La souveraineté
        Quant à leur conception de la souveraineté, elle demeure nominale. Mais qu'est ce que la souveraineté ? Elle se définit par rapport à ce qui est souverain, c'est-à-dire à toute autorité d'où procèdent toutes les autres, au dessus de laquelle il n'y a rien de plus élevé.
        Au point de vue des États, la souveraineté signifie une indépendance absolue en droit d'un État à l'égard de tout autre État ou autorité supérieure étrangère ou supranationale. La souveraineté se rapporte donc à la fonction de pouvoir et, précisément de pouvoir d'État dans le cas présent.
        Le courant souverainiste, qui se rattache à la nébuleuse populiste, justifie son existence par sa volonté de rétablir la souveraineté des États qui est en train de se diluer dans l'Union européenne, l'U.E.. Leur dénonciation de la perte de l'autonomie, de l’indépendance de décision des États au profit de la Commission européenne constitue leur cheval de bataille. La dénonciation est juste ; cependant cela dénote une conception essentiellement juridique de la souveraineté. Ce que les souverainistes ont en vue est avant tout l'indépendance juridique, politique des États membres actuellement d'une U.E. qui les transforme en simples États fédéraux d'une fédération européenne. (1)
        Or l'indépendance ne se mesure pas au seul point de vue du pouvoir politique. Certes, il s'agit d'un pouvoir essentiel, mais il n'est pas seul. De nos jours, il est concurrencé par d'autres pouvoirs, voire en passe - si ce n'est déjà fait - de leur être inféodé, notamment le pouvoir de la finance, le pouvoir économique de sociétés transnationales, voire le pouvoir moral et financier de ces organisations internationales, sinon internationalistes que les sont les Organisations non gouvernementales, les ONG.
        Économiquement, les colossaux montants d'endettements sous toutes leurs formes, étatiques, collectivités locales sont une des formes de destruction de souveraineté. En est une autre l'organisation du travail mondial qui se met en place : elle consiste à ce que plus aucun État ne soit en mesure de maîtriser la totalité de ses chaînes de production, tant pour l'industrie que pour l'agriculture avec les Monsanto qui détiennent le monopole des graines. Que dire des courants d'immigration allogènes qui sont poussés de toutes parts contre le continent européen ? Que dire de la manipulation des esprits fondée sur le réchauffement climatique ? Il y a une logique à l'œuvre dont il faut avoir la conscience la plus claire possible.
        Comment un État peut-il être souverain, disposer d'une défense nationale sûre, lorsque la nation dont il est la colonne vertébrale a perdu la maîtrise de son économie ? Lorsque cet État voit sa souveraineté monétaire battue en brèche par la finance internationale et apatride ? Lorsque cet État se retrouve infiltré, perverti par des groupes de pression, des sociétés de pensée qui ont des ramifications avec l'étranger, à moins que celles-ci ne soient que des ramifications d'organisation étrangères ? (2)
        Les souverainistes déplorent certes bien des travers de la présente situation, comprennent qu'il faut maintenir des industries vitales pour la nation à l'intérieur des frontières nationales mais ne présentent aucun projet capable de restaurer à terme cette souveraineté monétaire, économique, intellectuelle. Au fond, ils demeurent attachés aux principes du libéralisme économique. Les principes d'une économie orientée et d'une finance fondée sur une autre base que la monnaie d'endettement leur sont inconnus sinon étrangers. La souveraineté monétaire n'est qu'une condition préalable ; elle n'est rien sans les techniques financières appropriées.
        En quelque sorte, ils veulent retrouver une organisation économique du même ordre que celle qui existait dans les années 1960, époque mythique à bien des égards pour beaucoup de gens.
        Mais la situation a changé. L'ouvrage est gigantesque : il faudra bientôt reformer une main-d’œuvre qui aura été coupée de toute une tradition de savoir-faire de tours de mains, tout ou presque sera à reconstruire. Cela nécessitera bien autre chose que la simple revendication du rétablissement de la souveraineté nationale ; cela nécessitera de mettre en place une société de corps intermédiaires économiques.
        Pour ce faire, une doctrine et une conception complètes et cohérentes sont nécessaires. Elles existent : ce sont la doctrine et la pensée nationalistes. Il semble utile de rappeler que le nationalisme, doctrine prônant la primauté du spirituel sur le matériel, est un élan vital qui refuse la mort de la nation, envisage et résout chaque problème par rapport à la France ; il est unité de doctrine, de direction et de méthode, ce que n'ont ni les partis populistes et souverainistes.
        Il importe toutefois de préciser qu'il ne s'agit pas d'attaquer les personnes. Il existe parmi les membres des partis populistes et souverainistes un spectre d'opinions allant des réformistes aux opposants plus catégoriques. Il est parmi eux des gens qui prennent conscience des travers présentement dénoncés ou qui, en ayant pris conscience ou le sachant clairement dès l'origine, pensent encore jouer un rôle d'essence révolutionnaire semblable à celui décrit précédemment. II ne s'agit pas de leur jeter d'opprobre. Le moment venu, les positions se clarifieront autour du pôle nationaliste qui constitue la matrice à partir de laquelle une direction nouvelle sera prise effectivement.
    André Gandillon
    (1) Encore, lorsque l'on parle de souveraineté de la France, faut-il se rappeler que par deux fois, les dirigeants de la République ont voulu des abandons de souveraineté : en juin 1940 avec Raynaud et Churchill, en 1956 avec Mollet et Eden lors de l'affaire de Suez ; cela bien avant que l'on brade notre souveraineté juridique avec l'U.E.. N'y a-t-il pas une sorte de penchant malsain dans le monde politique français ?
    (2) Précisons, même si cela paraît casuiste, que cette remarque ne vise pas l'Église dans la mesure où, s'occupant de questions spirituelles, étant universelle, elle n'a pour rôle que d'informer les intelligences de principes formateurs qui sont aussi bien intemporels qu'universels. Les relations entre spirituel et temporel sont régies par l'adage christique « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ».

  • Le leurre droite-gauche

    Le linguiste italien Raffaele Simone vient de publier un essai « Le Monstre doux. L'Occident vire-t-il à droite ? » dans lequel il analyse la faillite de la "gauche" en Europe et les raisons qui font que l'Europe « vire à droite ».
    La thèse de Simone est que la gauche n'est plus porteuse d'un grand projet « à la hauteur de son temps », alors que la droite l'emporte parce qu'elle sait épouser l'esprit de notre époque marquée par l'individualisme, le consumérisme, la médiatisation et l'agitation (le "bougisme") et sait être pragmatique, sans idéologie précise.
    LE PARADIGME DES «LUMIÈRES»
    Nous sommes là en présence d'un livre qui participe à l'édification d'un énorme leurre dans la mesure où il continue de faire accroire qu'il existe bien une droite et une gauche alors qu'en réalité, il s'agit essentiellement de variations d'intensités au sein d'un même spectre à savoir celui issu du courant de pensée des «Lumières» qui constitue le paradigme du monde dit "moderne".
    Celui-ci se fonde sur la thèse anthropocentriste selon laquelle l'homme, doué de sa seule raison, est capable d'organiser et de transformer harmonieusement le monde selon sa volonté. Il en résulte que cette conception s'oppose à la notion d'ordre universel au sein duquel l'homme n'est qu'un élément et aux lois duquel il doit obéir pour vivre harmonieusement. La civilisation européenne, comme toutes les civilisations d'ailleurs, s'est construite selon cette notion d'ordre universel et plus particulièrement selon les principes de l'helléno-christianisme qui constituent la fibre de sa pensée et de son âme. Toute société repose sur une hiérarchie de corps intermédiaires, sur les différences d'aptitudes et de qualité des personnes que, cependant, le christianisme a, en Europe, tempérée et sublimée en établissant que chaque homme, en tant que fils de Dieu, avait une égale dignité.
    Or, depuis 1789, à savoir le déclenchement du séisme révolutionnaire en France, les idées dites « des Lumières » se sont progressivement imposées à toute l'Europe, en sapant et en détruisant les fondements sur lesquels la société européenne s'était construite. Les différences naturelles entre les personnes ont été niées, les corps intermédiaires supprimés pour faire place à une société faite d'individus, dont l'image la plus saisissante est celle de ces écrans faits de milliers de pixels indifférenciés et anonymes. Tout ordre transcendant, supérieur à l'homme, a été nié, laissant celui-ci établir des règles selon son bon vouloir et dont la validité dure aussi longtemps qu'il n'a pas décidé d'en adopter de nouvelles.
    En fait, en moins de deux siècles, la civilisation européenne s'est trouvée amputée de sa composante spirituelle pour se réduire à sa seule composante matérielle, ignorant les règles fondamentales et immuables sans lesquelles aucun homme ne peut se construire et aucune civilisation ne peut survivre durablement. Comme l'écrivait Lionel Groulx (Directives, 1937, Montréal), ce prêtre et nationaliste canadien français, « Tout ordre économique et toute civilisation qui tentent de se constituer contre l'homme sont voués à la destruction violente ». Des phénomènes comme le développement de l'immoralité, de l'immigration extra-européenne inassimilable sont la conséquence de cet état de fait et sont les prodromes de graves crises futures.
    La distinction « droite-gauche » date de la Révolution française et a pour origine le positionnement des factions modérées à droite et des factions révolutionnaires à gauche du président de l'Assemblée constituante dès 1789. Il en résulte que ce classement est lié à la société révolutionnaire : raisonner, se positionner selon cet ordre revient à s'insérer peu ou prou dans les repères d'un monde qui s'est développé sur la destruction de celui issu du fond des âges. Ce monde "moderne" s'est constitué en rupture avec la tradition millénaire sur laquelle se fonde notre civilisation.
    La tradition est d'ailleurs cette grande réalité qu'il convient de dégager de notions confuses. Pour quelques-uns, tradition est synonyme de menues coutumes : familiales, paroissiales, nationales... Traditions si l'on veut, mais fleurs ou fruits d'une tradition plus vraie, plus profonde, où chacun aperçoit l'esprit chrétien d'une famille, l'autorité patriarcale, elles-mêmes rattachées à la grande tradition chrétienne de notre race. Pour d'autres - et c'est le grand nombre - qui dit tradition, dit routine, à tout le moins quelque chose de statique, de figé, une sorte de résidu archéologique cristallisé, il y a des siècles, au fond de l'âme d'une nation.
    La simple étymologie proteste déjà contre pareilles définitions. Tradition veut dire livraison, transmission. Et puisqu'il s'agit ici de la transmission d'un legs moral, et d'une transmission par un organisme vivant, en évolution constante, forcément la réalité s'impose d'un legs moral qu'on peut supposer identique à soi-même en son fond, mais qui, de génération en génération, ne laisse pas de se modifier, de s'enrichir d'éléments nouveaux. À parler net, qui dit tradition, dit continuité, avance constante, enrichissement perpétuel ; et, par cela même, l'on ne saurait concevoir de tradition que la tradition vivante. Au sens le plus général du mot, qu'est-ce autre chose que les caractères, les lignes maîtresses d'une histoire ? On l'a dit justement : ce sont les «constantes» d'un peuple, ses lignes de force. Et le mot évoque la pensée intérieure, le plan architectural selon lequel un peuple bâtit son histoire alors que, fidèle aux impulsions spécifiques de son âme, il vit, crée, évolue mais sans jamais briser ses lignes de fond, restant consubstantiel à son passé, à ses ancêtres, au génie de sa race. Qui ne voit aussi que définir le rôle de la tradition, c'est définir, du même coup, le rôle de l'histoire ? Les "constantes", les lignes de force, qui les découvre dans l'amas et le déroulement emmêlés des faits ? Qui peut les dégager, dans le paysage du passé, aussi nettement que, sur une carte routière, les voies maîtresses ?
    Lorsque l'on tourne le dos au principe de sa vie, on ne peut se sauver que par retour à son principe vital. C'est ce phénomène de rejet de ce que nous sommes, nous autres débiteurs insolvables de nos ancêtres, et des conséquences qui en résultent, dont nous vivons, douloureusement, les manifestations.
    LA DÉMOCRATIE, REGIME DE GAUCHE
    Dans le subconscient commun, la droite est assimilée à ce courant générique de pensée qui se réfère à la tradition, à l'enracinement dans ce qui constitue la fibre de notre être et de notre civilisation. La gauche est considérée comme regroupant tout ce qui fait table rase du passé et dont l'adage emblématique en France est qu'elle est née en 1789, telle une sorte de génération spontanée, faisant fi des « quarante rois qui ont fait la France ».
    Au fil des générations, pourtant, ce schéma est non seulement des plus trompeurs mais il est devenu une des croyances les plus fausses qui soient.
    En effet, cette distinction droite-gauche s'est atténuée, au point de n'être plus qu'une distinction en trompe-l'œil, dans la mesure où la droite s'est gauchisée. Autrement dit, ce que l'on désigne comme étant « la droite » n'est plus rien d'autre qu'un leurre grossier dans la mesure où, au fil des lustres et des ans, elle n'a cessé, par démagogie, par nécessité électoraliste, par intérêt politique immédiat et initialement par manque de conviction, de faire sienne les idées de gauche.
    Ce glissement résulte de ce que le régime dans lequel nous vivons depuis 1789 et qui a gangrené toute l'Europe est un régime de gauche dans la mesure où c'est son système de pensée, celui fondé sur le rejet de l'idée d'un ordre universel aux règles duquel l'homme doit se conformer, qui s'est imposé à elle. Il faut avoir en permanence présent à l'esprit que nous vivons dans un ordre politique, celui de la "démocratie", qui s'est substitué à l'ordre naturel des civilisations et, par suite en contradiction avec la civilisation helléno-chrétienne dont nous sommes les héritiers et les tributaires.
    Par conséquent, pour être admis dans ce système, il faut inévitablement, comme dans tout système, en accepter les présupposés philosophiques et métaphysiques ou, du moins, s'en accommoder et ne pas les rejeter. Sinon c'est le système qui vous rejette et vous vous retrouvez dans la situation d'opposant. Certes, il est possible de jouer à l'intérieur du système dans la mesure où vous êtes contraints de le subir aussi longtemps que vous ne l'avez pas renversé, mais vous aurez le système contre vous et il fera tout pour vous marginaliser, voire vous éliminer, tel un corps étranger.
    LE PIÈGE DE L'ACCOMMODEMENT
    Le piège, en quelque sorte, dans lequel sont tombés les contempteurs de l'ordre démocratique est en effet celui-ci : bien que le rejetant viscéralement à l'origine, ils n'ont jamais su, ou pu le mettre à bas car, en dehors de ceux qui ont vu dans la tradition, non pas un système vivant mais un système figé qu'il fallait conserver coûte que coûte, oubliant les effets de la flèche du temps, ils ont toujours pensé, ou bien qu'il était amendable, ou bien qu'il n'était pas entièrement mauvais.
    L'un des événements les plus tragiques fut la politique de ralliement des catholiques, sous l'impulsion de Léon XIII, à une République française qui, par nature, était anti-catholique et ne cessait de le montrer. L'idée de Léon XIII était que les catholiques, constituant la majorité de la population française, devaient logiquement s'emparer du pouvoir et transformer la république maçonnique en une république chrétienne. Funeste erreur car accepter un régime jusqu'alors vilipendé revenait à le conforter et à lui donner les moyens de se renforcer et de combattre ceux qui, au lieu de continuer à le rejeter, s'en accommodaient. Nous savons la suite : ce furent le ministère Waldeck Rousseau et sa loi sur les Congrégations mise en œuvre par le « Petit Père Combes » qui déboucha sur la séparation de l'Église et de l'État sous l'impulsion des frères du Grand Orient.
    Sous la cinquième de leurs républiques, nous avons pu observer la poursuite de ce processus. Les exemples ne manquent pas. Citons celui de la pilule anticonceptionnelle, promue par les égéries de gauche du style Simone de Beauvoir, rejetée dans un premier temps avec horreur par le pouvoir gaulliste avant qu'il en légalise l'usage avec la loi Neuwirth en 1967. Poursuivons avec l'avortement, dont la dépénalisation fut soutenue par les mêmes gauchistes, au grand scandale des partis de droite alors au pouvoir avec Georges Pompidou, avant qu'en 1974, un autre gouvernement de droite, celui de Giscard d'Estaing-Chirac, ne le dépénalise et, de fait, le légalise sous le nom de « loi Veil », du nom de celle qui l'a rédigée.
    Nous pouvons continuer avec la politique de l'antiracisme et des lois anti-françaises dans la mesure où elles accordent aux immigrés, même illégaux, un traitement de faveur. Adoptées dans les années 1980 à l'initiative des gouvernements socialistes sous la présidence Mitterrand, au grand dam des partis de droite d'alors, RPR et UDF, elles ne furent jamais remises en cause par ces derniers lorsqu'ils revinrent aux affaires et, plus encore, furent aggravées, au point que sous l'actuelle présidence, le pouvoir a adopté comme un dogme la notion de « discrimination positive », autrement dit le principe consistant à favoriser les étrangers d'origine au détriment des naturels français. Nous pourrions continuer cette nomenclature avec d'autres exemples dont l'un des plus aberrants est la question du "mariage" des homosexuels...
    Un processus analogue peut être observé et décrit dans les autres États d'Europe. Lâcheté ? Manque de convictions ? Intérêts personnels à court terme ? Un mélange des trois ? Peu importe : les hommes étant jugés à la somme de leurs actes, nous n'avons pas à sonder l'âme des membres des partis de droite : constater leur glissement continuel vers les idées de gauche, même avec quelque retard, nous suffit pour conclure que, sous des emballages différents, nous avons affaire à des gens qui ne se différencient en rien de fondamental avec les gens de gauche.
    Dès lors, il n'est pas étonnant que celle-ci soit, comme l'écrit Raffaele Simone, en perte de vitesse dans la mesure où son dessein historique se trouve réalisé puisqu'elle a réussi à faire adopter ses idées par ses adversaires et faire quasiment table rase du passé.
    Le phénomène est d'autant plus compréhensible que cette gauche, notamment la gauche marxiste, depuis l'effondrement du régime soviétique, s'est de fait, pour une grande part, ralliée au système d'économie de marché et plus encore de domination de l'économie financière qui s'affranchit de toute règle autre que celle qui lui convient à un moment donné.
    En fait, la différence n'est que dans la présentation, dans la manière de savoir se vendre sur le marché électoral, phénomène bien décrit par Raffaele Simone.
    RÉSISTER À  LA SIRENE DEMOCRATIQUE
    Certes, il n'est pas facile, durant des décennies, d'avoir assez de force de conviction, assez de force de caractère pour refuser un système malsain, destructeur de notre civilisation, pour affirmer sans faiblir les principes éternels, conformes à l'ordre naturel et tels que nous l'enseignent - ou devraient nous l'enseigner - l'expérience et l'histoire, sans lesquels une civilisation ne peut que s'affaiblir sinon mourir ; cela sans pour autant s'enfermer dans un conservatisme obtus comme ce genre de situation tend à le susciter chez certains.
    L'évolution actuelle du Front National, telle qu'elle se dessine avec Marine Le Pen, montre que ce mouvement politique, qui a toujours accepté de fait les présupposés du système démocratique, est comme attiré par les sirènes régimistes et par suite est fortement tenté d'amodier son discours pour pouvoir être admis par la Ve République qui jusqu'alors le tenait à l'écart, en l'utilisant comme force de stérilisation des régnicoles qui rejettent le déclin et la décadence d'une France dirigée par des sicaires au service d'une super classe mondiale apatride. Il suivrait en cela l'évolution d'un Gianfranco Fini qui a depuis longtemps vendu son âme au système pour y faire carrière.
    Il a été montré que la grande faiblesse de Louis XVI fut d'avoir de la sympathie pour les idées des révolutionnaires, lesquelles étaient opposées aux principes qu'il incarnait. Sous la Restauration, les « ultras royalistes » s'accommodèrent déjà du système démocratique, adoptant ainsi une idée des révolutionnaires. Certes, ils l'avaient amodié en le limitant aux classes aisées, mais, ce faisant, ils avaient oublié que l'on ne peut accepter un principe sans en comprendre et en admettre toute la logique qui est ici celle du suffrage universel fondé sur un égalitarisme théorique. D'ailleurs, diverses études historiques ont montré que, si la Restauration avait maintenu le suffrage universel plutôt que d'instaurer le suffrage censitaire, mesure bancale, Charles X aurait conservé son trône car l'immense majorité de la population lui était favorable. En fait, il ne faut jamais oublier que si un système est par nature vicié, il pervertit inévitablement ce qu'il peut contenir d'apparemment valable.
    Au fil du XIXe siècle puis du XXe siècle, l'histoire politique des États d'Europe gagnés par les idées démocratiques, la Grande-Bretagne et la France donnant le ton, peut se résumer en ce que les partis de droite ont toujours adopté, avec plus ou moins de retard, les positions que défendaient les partis de gauche à un moment donné. Autrement dit, les partis de droite ont un simple rôle de frein dans la mesure où ils s'opposent dans un premier temps aux idées proposées par les partis de gauche et retardent ainsi leur mise en application de quelques mois ou de quelques années ; après quoi, lorsque d'aventure ils accèdent au pouvoir à la suite d'une échéance électorale, ils ne remettent pas en cause ce qu'ils rejetaient auparavant, à l'exception parfois de quelques mesures secondaires, électoralisme oblige.
    LA FAUTE DU RALLIEMENT
    Les Français et les Européens - qui, conscients de la nocivité du système démocratique, conscients que l'avenir de notre civilisation, envisageable uniquement par l'insertion de l'avenir dans la filiation de la tradition, est incompatible avec quelque compromission que ce soit -, doivent savoir et faire connaître, argumentaire à l'appui, que l'opposition droite-gauche n'est qu'un leurre, une sorte de jeu de rôles entre membres d'une même classe politique qui ne se distinguent que par des sensibilités, des états d'âme personnels mais qui se rejoignent pour défendre les principes fondateurs du système. Nombre de gens le ressentent confusément mais ne vont pas au-delà. Il s'agit de leur rendre les idées claires. Il s'agit de leur montrer que le nationalisme n'est pas cette idéologie aventuriste et belliqueuse que les media dressent comme un épouvantail mais la doctrine constituant le fondement du régime alternatif au funeste système démocratique qui nous ronge et nous détruit. Le nationalisme est la doctrine qui désigne les principes salvateurs de la politique naturelle, conforme à l'ordre universel et au génie de notre civilisation, qu'il convient de mettre en œuvre par rapport au bien commun de chaque nation considérée dans la totalité de ses composantes, d' ordre spirituel et matériel.
    En ce moment, comme par le passé, il s'est toujours trouvé des hommes qui ont refusé toute compromission avec le système. Généralement, ils n'ont jamais eu accès au pouvoir, ont été marginalisés, dénigrés, calomniés ; s'ils y ont eu accès, ce fut de manière éphémère, l'aléatoire de l'histoire ne leur permettant pas de s'y maintenir. Pourtant, au fil des générations, a toujours existé cette « minorité inaccessible au découragement », comme la désignait José Antonio Primo de Rivera, qui a su transmettre intact, vivant, car adapté aux conditions de chaque époque, le flambeau de notre tradition civilisationnelle, sachant que, si aujourd'hui elle ne connaissait pas la victoire, sa ténacité d'airain était la condition de la victoire de demain. Cette minorité d'élite sait que, tôt ou tard, le cours millénaire de l'histoire corrige les déviances. Face à un système contre nature, perclus de contradictions, elle sait que des occasions salvatrices se présenteront et qu'il lui revient de se préparer en permanence et plus que jamais pour alors les saisir.
    André GANDILLON. RIVAROL 8 OCTOBRE 2010