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culture et histoire - Page 1998

  • Les racines de la “Nouvelle Droite”

    ◊ Lorenzo Papini, Radici del pensiero della Nuova Destra : La riflessione politica di Alain de Benoist, Giardini, Pisa, 1995.

    Étude fouillée sur la trajectoire d'Alain de Benoist depuis Europe-Action, les Ca­hiers Univer­si­tai­res et Défense de l'Occident. Pour Lorenzo Papini, docteur en scien­ces politiques formé à Pi­se, enseignant à Rome, le fondement de la pensée de Benoist, d'après ses écrits de jeu­nes­se, est un « racisme grand-européen », pui­sé chez Renan, Gobineau et Chamberlain, vi­sant la défense de la “race blanche” et la création, à terme, d'un “Empire blanc”, qu'il appelait le “Witland”, entité my­thi­que à laquelle il rêvait, à l'époque, avec les racialistes américains (Ku-Klux-Klan, etc.) et sud-africains (White suprematists). À cette é­po­que, l'orientation du fu­tur chef de file de la "nouvelle droite" est encore ra­di­ca­le­ment occidentaliste : De Gaulle est ac­cusé d'avoir « trahi la race » (Europe-Action, 20 déc. 1965), d'ê­tre un « imposteur com­mu­niste » et d'avoir « brisé l'Alliance At­lantique » (ibid., juil. 1967). Tels étaient les péchés de jeu­nesse que de Be­noist ne cessera plus de re­nier, en exprimant parfois des remords pathé­ti­ques, à partir de la création du GRECE, où il opte pour une stratégie “métapolitique”, qui dé­bou­chera sur la for­mulation d'un anti-racisme dif­férentialiste et sur une réfutation du pro­mé­théisme initial de ce mouvement. Il faut reconnaître que, de ce point de vue, l'évolution d'A. de Benoist est in­té­res­sante, constitue une évolution étonnante et positive. Pa­pini retrace clai­rement cette trajectoire, comme Taguieff l'avait fait en Fran­ce, dans son livre intitulé Sur la nou­velle droite. L'étude de Papini permet à l'étu­diant, à celui qui ne connaît pas la ND ou n'en a entendu que vaguement par­ler, d'avoir un fil d'Ariane pour la découvrir. À signaler dans ce li­vre : l'excellent cha­pitre, clair et concis, sur la réception de Nietzsche par de Benoist (RS).

    Les huit questions auxquelles Alain de Benoist n’a jamais voulu répondre

    Fin 1990, début 1991, Alain Benoist me convoque et me soumet un projet. Il voulait que je l’interviewe pour Vouloir ou Orientations, afin de mettre en exergue, par le biais d’un tel en­tretien, les nouvelles pistes que la Nou­velle Droite était sur le point d’em­prunter. A. de Benoist m’explique que la situation politique et intellec­tuelle de la France et les mentalités en général ont considérablement changé depuis la naissance de la Nouvelle Droi­te, plus exactement du GRECE et de la revue Nouvelle école en 1968-69. Dès lors, ajoutait-il, le GRECE ne peut plus véhiculer certains idéolo­gè­mes, devenus obsolètes au fil du temps. En revanche, il s’avère impé­ra­tif d’explorer de nouvelles pistes. Mais cette nouveauté risque de provoquer le désarroi chez d’anciens militants, en­core trop prisonniers de schémas dé­passés, m’a-t-il précisé. Vouloir ou Orientations sont des revues extérieu­res au mouvement, elles sont publiées hors de France : elles sont donc le trem­­plin idéal pour lancer ces nou­vel­les pistes.

    Les arguments d’Alain de Benoist me semblaient judicieux et correspon­daient effectivement à mon analyse de­puis 1989, où, en juin de cette an­née, par ma première conférence of­fi­cielle au GRECE depuis mon retour (1), j’avais réclamé (en vain !) une ou­ver­ture aux nouvelles recherches pros­pec­tives et fondamentales de la phi­losophie française. En réclamant cette ouverture, je suivais un conseil d’Ar­min Mohler, engageant les lec­teurs de Criticón à lire les post-mo­der­nes français à travers l’analyse de leurs œuvres que proposait, avec un re­­marquable esprit de synthèse, le pro­­fesseur allemand Wolfgang Welsch, spécialiste incontesté de ces problématiques. A. de Benoist a souvent écouté Armin Mohler, recopié ce qu’il disait, béatement paraphrasé ce qu’il énonçait dans le contexte alle­mand, sauf en ce qui concerne les post-modernes et les synthèses de Welsch, où il n’a pas été le bon petit é­lève obéissant, mais plutôt le cancre, sourd à tout bon conseil.

    J’ai donc, à la demande explicite de de Benoist, composé les questions ci-des­sous que je lui ai faxées 5 jours plus tard. Mon objectif en posant ces questions : pouvoir expliciter les muta­tions idéologiques qui avaient jalonné l’itinéraire intellectuel du GRECE et de son animateur principal. Quand de Be­noist a reçu ces questions, il les a tout de suite contestées en montrant une ner­vosité incompréhensible, il a criti­qué des détails sans importance (le fait d’utiliser le terme “dada” pour dé­signer des engouements philoso­phi­ques), il n’a abordé aucune des thé­matiques de fond, soulevées par mes questions. Lors d’une entrevue quel­ques semaines plus tard, il a ré­i­té­ré ces critiques sans me donner d’ex­plications satisfaisantes. De Be­noist é­tait dans un état de nervosité bizarre, ses paroles étaient ponctuées de drô­les de rictus, ses doigts se cram­pon­naient à ses longues cigaret­tes, dont il as­pirait la fumée à grosses bouffées. Inutile de préciser qu’il n’a JA­MAIS ré­pondu à cette proposition d’en­tretien, qu’il avait lui-même récla­mé ! Pour­tant, une brochure avec des réponses clai­res aurait permis de cla­ri­fier les po­sitions de la Nouvelle Droi­te, d’orienter les militants et les sym­pa­thisants de ce courant de pensée. Je soumets au­jour­d’hui ces questions aux lecteurs de Vouloir. A eux de ju­ger comme il se doit le silence du gou­rou de la Nou­velle Droite. Un silence plus révélateur que tous ses discours et écrits…

    HUIT QUESTIONS A ALAIN DE BENOIST
    La Nouvelle Droite : histoire, destin, évolution, ruptures
    ◊ 1. Quand vous avez fondé avec quel­ques-uns de vos amis les structures qui allaient donner naissance à Nou­velle école puis au GRECE et à la mou­vance “Nouvelle Droite”, vous é­tiez animé par un désir de rupture. Une rupture qui tournait le dos à l'agitation politique groupusculaire pour approfondir les fondements, non seulement des sciences politiques, mais de toutes les disciplines humai­nes. Près de 25 ans après, comment jugez-vous cette rupture qui a décidé de votre destin de “journaliste méta­politique”, de “maître-à-penser” d'u­ne génération hostile à bien des com­promissions ?
    ◊ 2. Il serait peut-être utile aussi que vous nous rappeliez le contexte global de cette époque où vous avez amorcé votre rupture, tant sur le plan philo­so­phique, avec la vogue existentialiste, que sur le plan politique, avec les guer­res de décolonisation et du Viet­nam. En effet, les jeunes gens des années 70 et 80, a fortiori ceux qui seront la génération des années 90, ont baigné dans des atmosphères in­tellectuelles et politiques très diffé­ren­tes et certains d'entre eux m'ont déjà exprimé le souhait de connaître les mo­tivations et les sentiments qui ac­com­pagnaient les premiers balbutie­ments de ce qui allait devenir la “Nou­velle Droite” ?
    ◊ 3. Votre “démarche rupturale initiale” est contemporaine de mai '68. Dans l'u­niversité d'alors, sur le terrain po­litique, dans les débats intellectuels, quels ont été les facteurs qui ont dé­terminé vos options, quels sont les cli­vages qui vous semblaient incon­tour­nables et empêchaient tout dialogue avec les “contestataires d'en face”. Je pose cette question en sachant très bien qu'il existe aujourd'hui chez beau­coup d'ex-soixante-huitards une volonté très nette de brûler ce qu'ils ont adoré et de dénoncer “l'anti-humanisme” de leur jeunesse. Dans certains de vos écrits récents, vous soulignez, à rebours des “renégats de 68”, le grand intérêt intellectuel de certains linéaments philosophiques de cette époque contestataire. Quel ju­ge­ment pose l'Alain de Benoist d'au­jour­d'hui ?
    ◊ 4. Vous avez posé un pari faustien et prométhéen au début de votre aven­ture intellectuelle, assorti d'une criti­que de la sinistrose et du mythe du bon sauvage (notamment dans la forme que celui-ci prenait chez Claude Lévi-Strauss) et d'une apologie du “gé­nie européen”. De ce fait, vous a­vez été accusé de “racisme” par quel­ques adversaires manichéens, dont les héritiers sévissent encore au­jourd'hui. Vous étiez sur la même lon­gueur d'onde qu'un André Reszler lorsqu'il écrivait L'intellectuel contre l'Europe (PUF, 1976). Par la suite, vo­tre pensée semble avoir connu une sor­te de retournement : la linéarité quantitativiste du matérialisme occi­den­tal, vous avez commencé à la con­sidérer comme un avatar matérialiste de la linéarité judéo-chrétienne. Ipso facto, cette linéarité est devenue en quelque sorte votre “ennemi prin­ci­pal”, auquel vous opposez les essen­ces identitaires qu'elles soient euro­péen­nes ou extra-européennes. Mais dans ce cheminement philosophique, qui est le vôtre, on assiste à une mu­ta­tion dans votre définition de l'identité européenne : celle-ci ne serait plus ex­clusivement de nature faustienne / pro­méthéenne mais autre, c'est-à-dire moins vectorielle, moins progressiste, moins marquée par les linéarités du judéo-christianisme et de ces avatars laïcisés. Pouvez-vous nous préciser cette nouvelle définition de l'identité eu­ropéenne ?
    ◊ 5. Des auteurs comme Robert Mu­chem­bled (avec sa distinction entre la “culture des élites” et la “culture du peuple”) ou Carlo Ginzburg (avec son analyse des propos d'un meunier friou­lan promis au bûcher de l'In­qui­si­tion) ont-ils joué un rôle dans l'é­volution de votre pensée, partie d'un prométhéisme assez techniciste et quantitativiste ?
    ◊ 6. Toujours dans la même optique, vous êtes passé d'un dada philo­so­phique à un autre : en l'occurrence de l'empirisme logique anglo-saxon, intro­duit en France par l'un de vos maîtres-à-penser, Louis Rougier, pour aboutir à un discours anti-techniciste très mar­qué par Heidegger. Beaucoup de vos lecteurs n'ont pas compris cette évolution. Généralement, quand ils m'en parlent, je réponds que le “chaî­non manquant” dans cette évolution, est peut-être une réflexion sur la pen­sée de Wittgenstein, qui, au-delà de sa logique rigoureuse, de sa critique des ambiguïtés du langage, n'est pas dépourvue de mysticisme. Réflexion qui, de surcroît, n'a pas été consignée dans un texte majeur de vous-même ou de l'un de vos collaborateurs. Quelle est votre explication ? Y a-t-il un lien entre le mysticisme de Witt­gen­stein et votre engouement pour Hei­degger ?
    ◊ 7. La “nouvelle droite” est souvent ca­taloguée dans la mouvance d'un néo-paganisme. Votre critique de la li­néarité judéo-chrétienne vous a induit à ouvrir une réflexion sur le temps et l'histoire. En opérant cette réflexion, vous deviez nécessairement aborder les façons non linéaires de saisir temps et histoire notamment les théo­ries cycliques de l'histoire, propres aux cultures traditionnelles. Par ail­leurs, à la suite d'Armin Mohler, vous avez parlé de la sphéricité du temps : en clair, dans cette optique, le temps est une sphère et n'est pas vectoriel mais, en revanche, le cycle qu'il par­court n'est pas répétitif ; à tout mo­ment, une direction nouvelle peut être impulsée par la volonté d'un peuple, d'un chef, d'une personnalité charis­ma­tique, d'un génie de la pensée, etc. Aujourd'hui, dans vos écrits les plus ré­cents, on aperçoit une influence crois­sante des auteurs traditionalistes comme Guénon, Evola, Schuon ou Coo­maraswamy. Avez-vous renoncé à la théorie sphérique de l'histoire, abandonné l’amor fati de Nietzsche, pour retrouver le silence immobile de la tradition ? Votre approche païenne, approche basée sur une option pour le devenir et non pas pour l'être, s'es­tom­pe-t-elle, passe-t-elle au second plan ?
    ◊ 8. Sigrid Hunke, dans son célèbre ou­vrage Europas andere Religion, dont vous avez patronné la traduction fran­çaise aux éditions Le Labyrinthe, a dé­montré que l'essence de la religiosité européenne était l'unité du monde, l'u­nité fondamentale de toutes les cho­ses qui s'exprime la plupart du temps par la mystique. Dans Comment peut-on être païen ?, vous embrayé dans ce sens, en critiquant systématiquement les théologies et les pensées de la “cé­sure”, des dualismes qui opèrent précisément une césure, en valorisant certaines catégories de choses et de faits et en en rejetant d'autres dans une géhenne d'opprobre, instaurant de la sorte la désacralisation d'une bon­ne partie du monde, notamment de la vie, de la sexualité, des énergies sourdes qui irriguent les cultures de l'hu­manité. À la critique hunkienne du dualisme métaphysique, vous avez quel­ques fois ajouté des éléments très féconds puisés dans la physique non dualiste, dans la logique du tiers-in­clus de Sté­phane Lupasco et de son disciple Basarab Nicolescu. Aujour­d'hui, Jean-Jacques Wunenburger, qui vient de collaborer à votre nouvelle re­vue Kri­sis, a élaboré une “raison contra­­dic­toire”. Comment Alain de Be­noist re­lie-t-il aujourd'hui son option païenne anti-dualiste à la logique lu­pascienne du tiers-inclus voire à la “rai­son con­tra­dictoire” de Wunenbur­ger ?
    ◊ ◊ ◊
    Huit ans (aujourd'hui, 21 à 22 ans!!!!) plus tard, nous attendons tou­jours les réponses d’Alain de Be­noist…
    • Note :
    (1) Je ne compte pas mon intervention fortuite lors du Colloque annuel de l’as­so­ciation en novembre 1986, où j’ai été con­voqué à mon grand étonnement, vraisem­blablement parce qu’on craignait la dé­fec­tion de Faye, qui contestait durement la di­rec­tion du GRECE, à ce moment ; après cet­te intervention au colloque de 86, je n’ai plus eu de contacts avec le GRECE jus­qu’en mai-juin 1989, période où Charles Cham­petier m’a demandé de prononcer cet exposé sur la post-modernité de juin 89, à la tribune du Cercle Héraclite. J’avais tou­tefois reçu une lettre de C. Cham­pe­tier en juin 1988, me demandant une col­lection complète de mes publications pour ses archives personnelles. Champetier n’a­vait pas encore pris contact avec le GRE­CE. Je l’ai rencontré pour la première fois le 31 juillet 1988 en Suisse, lors d’une assem­blée de la Lugnasad, organisée à l’occasion de la fête nationale helvétique. Champetier est ensuite venu à Bruxelles en septembre 88 me demander des conseils sur la voie à suivre. Il a investi la ND, où il n’y avait quasi plus personne, donnant au mouvement d’A. de Benoist un souffle nouveau. C’est dans le cadre de ses nouvelles fonctions au GRECE que Champetier m’a invité en juin 1989, ainsi qu’en mars 1990, pour un collo­que sur le futurisme, avec Jean-Marc Viven­za et Omar Vecchio. Alessandra Colla ac­com­pagnait ces exégètes du futurisme. Je n’ai en aucune façon influencé Champetier dans le choix des orateurs. C’est ainsi que j’ai fait connaissance avec la future Prési­dente du Bureau Européen de Synergies Eu­ropéennes et avec J. M. Vivenza, grâce, je tiens encore à le préciser, à l’entremise de C. Champetier et dans le cadre du GRECE. Mais aussitôt a­près cette ma­nifestation consacrée au futu­risme, derrière le dos de Champetier, une campagne de dé­nigrement systématique a été habilement or­chestrée contre Vivenza (un “fou”) et A. Colla (une “dan­gereuse extré­miste”) et, partiellement, con­tre moi-même. Champetier a fini par pren­dre ces ragots pour argent comptant et par perdre son in­dé­pendance d’esprit ; il a ac­quis les réfle­xes sectaires de l’apparatchik et perdu toute originalité intellectuelle. Pire : il a abandon­né ses propres initiatives, le groupe de ré­fle­xion IDEE et, un peu plus tard, sa revue, modeste mais pertinente, Métapo. C. Cham­petier ne s’est jamais posé de ques­tions sur les rai­sons pratiques ou psy­chia­tri­ques qui pous­saient son “chef” à colpor­ter des ra­gots infondés contre cer­taines per­sonnes (sur­tout quand elles sont dotées d’un vérita­ble diplôme universitaire ou, mê­me, d’une pe­tite peau d’âne de ba­chelier !). Un tel com­portement empêchait à l’éviden­ce le mou­vement de se développer : un tel sa­bo­tage systématique est-il le résul­tat d’une dé­faillance comportementale ou psy­chique ou bien, plus subtilement, est-ce une tactique dû­ment réfléchie et inspirée par cert­ains ser­vi­ces ? Trop jeune et finale­ment fort naïf, C. Champetier ne s’est appa­remment ja­mais rendu compte de la si­tua­tion… De mê­me, en ne répondant pas aux questions que je posais (à sa propre de­man­de !!!), l’a­ni­mateur principal du GRE­CE maintenait son mouvement dans un “flou artistique”, per­mettant toutes les ma­ni­pulations. De plus, alors qu’il annonçait vou­loir rompre avec certains éléments pas­séistes de son grou­pe, on constate, dix ans après, que les mê­mes olibrius encombrants et ridicules (un ridicule qui tue !) continuent leurs pitreries drui­dico-avinées, cucu-nazies et pagano-bur­les­ques en marge des dis­cours doctes de de Benoist et Champetier, qui affirment, avec les trémolos de la vierge effarouchée, qu’ils n’ont rien à voir avec le IIIe Reich (ni avec David Mortimerson).
  • Robert Steuckers : Entretien pour le journal Hrvatsko Slovo

    Propos recueillis par Tomislav Sunic
    1. Quelle est votre carte d'identité?
    Je suis né en 1956 à Uccle près de Bruxelles. J'ai été à l'école de 1961 à 1974 et à l'Université et à l'école de traducteurs-inter­prètes de 1974 à 1980. Dans ma jeunesse, j'ai été fasciné par le roman historique an­glais, par la dimension épique de l'Ivanhoe  de Walter Scott, de la légende de Robin des Bois, par l'aventure de Quentin Durward, par les thématiques de la Table Ronde. Le cadre médiéval et la profondeur mythique ont très tôt constitué chez moi des réfé­rentiels importants, que j'ai complété avec notre propre héritage littéraire épique flamand, avec le Lion des Flandres  de Hendrik Conscience, et par les thèmes bretons, dé­couverts dans Le Loup Blanc de Paul Féval. Certes, j'ai lu à l'époque de nombreuses édi­tions vulgarisées, parfois imagées, de ces thématiques, mais elles n'ont cessé de me fasciner. Des films comme Excalibur ou Braveheart  prouvent que ce filon reste malgré tout bien ancré dans l'imaginaire eu­ropéen. En dépit des progrès techniques, du désen­chantement comme résultat de plusieurs décennies de rationalisme bureaucratique, les peuples ont un besoin vital de cette veine épique, il est donc néces­saire que la trame de ces lé­gendes ou que ces figures héroïsées de­meurent des réferentiels im­pas­sables. Sur le plan philosophique, avant l'université, dans l'adolescence de 12 à 18 ans qui reste la pé­riode où s'acquièrent les bases éthiques et philosophiques essen­tielles du futur adulte, j'ai abordé Nietzsche, mais surtout Spengler parce qu'il met l'histoire en perspective. Pour un adolescent, Spengler est difficile à digé­rer, c'est évident et on n'en retient qu'une caricature quand on est un trop jeune lecteur de cet Allemand à la culture immense, qui nous a légué une vision synoptique de l'histoire mondiale. Toute­fois, j'ai retenu de cette lec­ture, jusqu'à aujourd'hui, la vo­lonté de mettre l'histoire en perspec­tive, de ne jamais soustraire la pensée du drame planétaire qui se joue chaque jour et partout. Juste avant d'en­trer à l'université, pen­dant la dernière année de l'école secondaire, j'ai découvert Toynbee, A Study of History, sa classification des civilisations, son étude des ressorts de celles-ci, sa dynamique de “chal­len­ge-and-response”; ensuite, pour la Noël 1973, il y avait pour moi dans la hotte des ca­deaux Révolte con­tre le monde moderne  de Julius Evola et une anthologie de textes de Gottfried Benn, où celui-ci insistait sur la notion de “forme”. J'avais également lu mes premiers ouvrages d'Ernst Jünger. A l'école, j'avais lu no­tamment le Testament espagnol  de Koestler et La puissance et la gloire  de Graham Greene, éveillant en moi un intérêt durable pour la littérature carcérale et surtout, avec le prêtre alcoolique admi­rablement mis en scène par Greene, les notions de péché, de perfectibilité, etc. que transcende malgré tout l'homme tel qu'il est, imparfait mais sublime en dépit de cette imperfection. Dès la première année à l'Université, je découvre la veine faustienne à partir de Goethe, les deux chefs-d'œuvre d'Or­well (La ferme des animaux et 1984), Darkness at Noon de Koe­st­ler (autre merveille de la littérature car­cérale!). Im­mé­dia­te­ment dans la foulée, je me suis plongé dans son ouvrage philoso­phi­que The Ghost in the Machine, qui m'a fait dé­cou­vrir le com­bat philosophique, à mon avis central, contre le ré­ductionnisme qui a ruiné le continent eu­ro­péen et la pensée occi­dentale en ce siècle et dont nous tentons péniblement de sortir au­jourd'hui. Depuis ma sortie de l'université, j'ai évi­demment travaillé comme traducteur, mais j'ai aussi fondé mes revues Orien­tations (1982-1992), Vouloir (depuis 1983), et co-édité avec mes amis suisses et français, le bulletin Nou­velles de Synergies Européennes (depuis 1994). Entre 1990 et 1992, j'ai travaillé avec le Prof. Jean-Fran­çois Mattéi à l'Encyclopédie des Œuvres philosophiques des Presses Univ­er­si­tai­res de France. 
    2. Dans les milieux politico-littéraires, on vous colle souvent l'étiquette de “droitier”. Etes-vous de droite ou de gauche. Qu'est-ce que cela signifie aujourd'hui?
    Dans l'espace linguistique francophone, cela a été une véritable manie de coller à tout constestataire l'étiquette de “droite”, parce que la droite, depuis le libéralisme le plus modéré jusqu'à l'affirmation natio­naliste la plus intransigeante, en passant par toutes les variantes non progressistes du catholicisme, ont été re­jetées sans ménagement dans la géhenne des pensées interdites, considé­rées arbitrairement comme droitières voire comme crypto-fascistes ou carrément fascistes. Cette manie de juger toutes les pensées à l'aune d'un schéma binaire provient en droite ligne de la propagande communiste française, très puissante dans les médias et le monde des lettres à Paris, qui tentait d'assimiler tous les adversaires du PCF et de ses satellites au fas­cisme et à l'occupant allemand de 1940-44. Or, au-delà de cette polé­mique  —que je ne reprendrai pas parce que je suis né après la guerre—  je constate, comme doivent le constater tous les observa­teurs lucides, que les cultures dans le monde, que les filons cultu­rels au sein de chaque culture, sont l'expression d'une pluralité inépuisable, où tout se compose, se décompose et se recompose à l'infini. Dans ce grouillement fécond, il est impossible d'opérer un tri au départ d'un schéma simplement binaire! La démarche binaire est toujours mutilante. Ceci dit, je vois essentiellement trois pistes pour échapper au schéma binaire gauche/droite.
    - La première vient de la définition que donnait le grand économiste français François Perroux du rôle de l'homme dans l'histoire de l'humanité et dans l'histoire de la communauté où il est né par le hasard des circonstances. L'homme selon Perroux est une personne qui joue un rôle pour le bénéfice de sa communauté et non pas un individu qui s'isole du reste du monde et ne donne rien ni aux siens ni aux autres. En jouant ce rôle, l'homme tente au mieux d'incarner les valeurs impassables de sa communauté nationale ou religieuse. Cette définition a été classé à droite, précisément parce qu'elle insistait sur le caractère impassable des grandes valeurs traditionnelles, mais bon nombre d'hommes de gauche, qu'ils soient chrétiens, musulmans, agnostiques ou athées, en recon­naîtront la pertinence.
    - La deuxième piste, très actuelle, est celle que nous indique le communauta­risme américain, avec des auteurs comme Sandel, Taylor, McIntyre, Martha Nussbaum, Bellah, Barber,Walzer, etc. Au cours du XXième siècle, les grandes idéologies politiques dominantes ont tenté de mettre les valeurs entre paren­thè­ses, de procéder à une neutralisation des valeurs, au bénéfice d'une approche purement techno­cra­ti­que des hommes et des choses. Dans les années 50 et 60, l'idéologie dominante de l'Occident, aux Etats-Unis et en Europe de l'Ouest, a été ce technocratisme, partagé par le libéralisme, la sociale-dé­mo­cra­tie et un conservatisme qui se dégageait des valeurs traditionnelles du ca­tholicisme ou du pro­testantisme (en Allemagne: de l'éthique prussienne du service à l'Etat). Les ques­tions soulevées par les valeurs, dans l'optique d'une certaine philosophie empirique, néo-logique, étaient des questions vides de sens. Ce refus occidental des valeurs a généré un hyper-individualisme, une anomie générale qui se tra­duit par un incivisme global et une criminalité débridée en croissance continue. Le questionnement sou­le­vé aujourd'hui par l'école communautarienne américaine est une réponse à l'anomie occidentale (dont on n'est pas toujours fort conscient dans les pays européens qui ont connu le communisme) et cette ré­ponse transcende évidemment le clivage gauche/droite.
    - La troisième piste est celle des populismes. Sous le titre significatif de Beyond Left and Right. Insur­gency and the Establishment,  une figure de proue de la gauche radicale américaine, David A. Horowitz, a publié récem­ment un ouvrage qui fait sensation aux Etats-Unis depuis quelques mois. Horowitz recence toutes les ré­voltes populaires américaines contre l'établissement au pouvoir à Washington, depuis 1880 à nos jours. Délibérément, Horowitz choisit à gauche comme à droite ses multiples exemples de révoltes du peuple contre ces oligarchies qui ne répondent plus aux nécessités cruelles qui frappent la population dans sa vie quotidienne. Horowitz brise un tabou tenace aux Etats-Unis, notamment en s'attaquant au caractère quelque peu coercitif des gauches, depuis le New Deal de Roosevelt jusqu'à nos jours. Une coercition subtile, bien camouflée derrière des paroles moralisantes... C'est à dessein que j'ai choisis ici des exemples américains, car les idéologèmes américains sont indépendants, finalement, des clivages eu­ro­péens nés de la seconde guerre mondiale. Même des propagandistes chevronnés ne pourront ac­cuser de “fascisme” des filons idéologiques nés en plein centre ou en marge des traditions “républi­caines” ou “démocrates”. Ce qui importe, c'est de défendre un continuum dans lequel on s'inscrit avec sa lignée.
    3. Dans vos écrits sur la géopolitique, on perçoit une très nette influence des grands géopolitologues comme Kjellén, Mackinder, Haushofer et Jordis von Lohausen; vous semblez aussi vous intéresser aux travaux du Croate Radovan Pavic. De votre point de vue d'Européen du Nord-Ouest, comment percevez-vous la Mitteleuropa, plus particulièrement la Croatie?
    C'est certain, j'ai été fasciné par les travaux des classiques de la géopolitique. J'ai rédigé des notes sur les géopolitologues dans l'Encyclopédie des Œuvres philosophiques, éditée par le Prof. Jean-François Mattéi (Paris, 1992). Le dernier numéro de ma revue Vouloir   (n°9/1997) est consacré à ces pionniers de la pensée géopolitique. En ce qui concerne votre compatriote Pavic, c'est, avec le Français Michel Fou­cher (Lyon), le meilleur dessinateur de cartes expressives, parlantes, suggestives en Europe au­jourd'hui. L'art de la géopolitique, c'est avant tout l'art de savoir dessiner des cartes qui résument à elles seules, en un seul coup d'oeil, toute une problématique historique et géographique complexe. Pavic et Klemencic (avec son atlas de l'Europe, paru cette année à Zagreb) perpétuent une méthode, lancée par la géopo­litique allemande au début de ce siècle, mais dont les racines remontent à ce pionnier de la géogra­phie et de la cartographie que fut Carl Ritter (1779-1859). Quant à ma vision de la Mitteleuropa, elle est quelque peu différente de celle qu'avait envisagée Friedrich Naumann en 1916. Au beau milieu de la pre­mière guer­re mondiale, Naumann percevait sa Mitteleuropa comme l'alliance du Reich allemand avec l'Autriche-Hon­grie, flanquée éventuellement d'une nouvelle confédération balkanique faisant fonction d'Ergänzungs­raum pour la machine industrielle allemande, autrichienne et tchèque. Cette alliance articu­lée en trois vo­lets aurait eu son prolonge­ment semi-colonial dans l'empire ottoman, jusqu'aux côtes de la Mer Rouge, du Golfe Persique et de l'Océan Indien. Aujourd'hui, un élément nouveau s'est ajouté et son importance est ca­pitale: le Rhin et le Main sont désormais reliés au Danube par un canal à gros gabarit, assurant un tran­sit direct entre la Mer du Nord et l'espace pontique (Fleuves ukrainiens, Crimée, Mer Noire, Cau­case, Ana­to­lie, Caspienne). Cette liaison est un événment extra­ordinaire, une nouvelle donne importante dans l'Eu­ro­pe en voie de formation. La vision du géopolitologue Artur Dix, malheu­reu­sement tombé dans l'oubli au­jourd'hui, peut se réaliser. Dix, dans son ouvrage principal (Politische Geographie. Weltpolitisches Hand­buch, 1923), a publié une carte montrant quelles dynami­ques seraient possibles dès le creusement défi­nitif du canal Main/Danube, un projet qu'avait déjà envisagé Charlemagne, il y a plus de mille ans! Aujour­d'hui le Rhin est lié à la Meuse et pourrait être lié au Rhône (si les gauches françaises et les nationalistes é­triqués de ce pays ne faisaient pas le jeu des adversaires extra-européens de l'unité de l'Europe et du rayonnement de sa cul­tu­re). Les trafics sur route sont saturés en Europe et le transport de marchandises par camions s'avèrent trop cher. L'avenir appar­tient aux péniches, aux barges et aux gros-pousseurs fluviaux. Ainsi qu'aux oléoducs transcaucasiens. Fin décembre 1997, l'ar­mée belge en poste en Slavonie orientale a plié bagages et a ache­miné tout son charroi et ses blindés par pousseurs jusqu'à Liège, prou­vant de la sorte l'importance militaire et stratégique du sy­stème fluvial intérieur de la Mitteleuropa. La mise en valeur de ce réseau diminue ipso facto l'importance de la Méditerranée, contrô­lée par les flottes amé­ri­cai­ne et britannique, appuyées par leur allié turc. Les Etats d'Europe centrale peuvent contrôler aisé­ment, par leurs propres forces terrestres la principale voie de passage à travers le con­ti­nent. La liaison Rot­terdam/Constantza devient l'épine dorsale de l'Europe.  Quant à la Croatie, elle est une pièce impor­tante dans cette dynamique, puisqu'elle est à la fois riveraine du Danube en Slavonie et de l'Adriatique, partie de la Méditerranée qui s'enfon­ce le plus profondément à l'intérieur du continent européen et qui revêt dès lors une importance stratégique considérable. Au cours de l'histoire, quand la Croatie apparte­nait à la double mo­narchie austro-hongroise et était liée au Saint-Empire, dont le territoire belge d'aujour­d'hui faisait partie intégrante,  elle offrait à cet ensemble complexe mais mal unifié une façade méditerra­néen­ne, que l'empire ottoman et la France ont toujours voulu confis­quer à l'Autriche, l'Allemagne et la Hon­grie pour les as­phy­xier, les en­claver, leur couper la route du large. Rappelons tout de même que la misère de l'Europe, que la ruine de la civilisation européen­ne en ce siècle, vient essen­tiellement de l'al­lian­ce perverse et pluriséculaire de la France monarchique et de la Turquie ot­tomane, où la France reniait la civilisation européenne, mobilisait ses forces pour la détruire. La Mitteleuropa a été prise en tenaille et ra­vagée par cette alliance: en 1526, le Roi de France François Ier marche sur Milan qu'il veut arracher au Saint-Empire; il est battu à Pavie et pris prisonnier. Ses alliés ot­tomans profitent de sa trahison et de sa di­version et s'emparent de votre pays pen­dant longtemps en le ra­vageant totalement. Au XVIIième siècle, la collusion franco-ottomane fonctionne à nouveau, le Saint-Em­pire est attaqué à l'Ouest, le Palatinat est ra­vagé, la Franche-Comté est annexée par la France, la Lorraine impériale est en­va­hie, l'Alsace est elle aus­si définitivement arrachée à l'Empire: cette guerre inique a été menée pour soulager les Turcs pen­dant la grande guerre de 1684 à 1699, où la Sainte-Alliance des puissances européennes (Autriche-Hongrie, Po­logne, Russie) con­jugue ses efforts pour libérer les Balkans. En 1695, Louis XIV ra­vage les Pays-Bas et incendie Bruxelles en inaugurant le bom­bardement de pure terreur, tandis que les Ottomans reprennent pied en Serbie et en Roumanie. En 1699, le Prince Eugène, adver­sai­re tenace de Louis XIV et brillant serviteur de l'Empire, impose aux Turcs le Traité de Carlowitz: la Sublime Porte doit céder 400.000 km2 de territoires à la Sainte-Alliance, mais au prix de tous les glacis de l'Ouest (Lorraine, Alsace, Franche-Comté, Bresse). La Répu­bli­que sera tout aussi rénégate à l'égard de l'Europe que la monar­chie française, tout en introduisant le fanatisme idéologique dans les guerres entre Etats, ruinant ainsi les principes civilisateurs du jus publicum europæum:  en 1791, alors qu'Autrichiens, Hon­grois et Russes s'apprêtaient à lancer une offensive définitive dans les Balkans, la France, fidèle à son anti-européisme foncier, oblige les troupes impériales à se porter à l'Ouest car elle lance les hordes révolu­tion­naires, récrutées dans les bas-fonds de Paris, contre les Pays-Bas et la Lorraine. Le premier souci de Napoléon a été de fabriquer des “départements illyriens” pour couper la côte dalmate de son “hinterland mittel­europäisch” et pour pri­ver ce dernier de toute façade méditerra­néenne. L'indépendance de la Croatie met un terme à cette logi­que de l'asphyxie, redonne à la Mitteleuropa une façade adriati­que/méditerranéenne.
    4. A votre avis, quelles seront les forces géopolitiques qui auront un impact sur le destin croate dans l'avenir?
    Le destin croate est lié au processus d'unification européenne et à la rentabilisation du nouvel axe central de l'Europe, la liaison par fleuves et canaux entre la Mer du Nord et la Mer Noire. Mais il reste à savoir si la “diagonale verte”, le verrou d'Etats plus ou moins liés à la Turquie et s'étendant de l'Albanie à la Macédoine, prendra for­me ou non, ou si une zone de turbulences durables y empêchera l'émergence de dynamiques fécondes. Ensuite, l'af­frontement croato-serbe en Slavonie pour la maîtrise d'une fe­nê­tre sur le Da­nube pose une question de principe à Belgrade: la Serbie se sou­vient-elle du temps de la Sainte-Alliance où Austro-Hongrois ca­tholiques et Russes orthodoxes joignaient frater­nel­lement leurs efforts pour libérer les Balkans? Se faire l'allié in­conditionnel de la France, comme en 1914, n'est-ce pas jouer le rôle dévolu par la monarchie et la république françaises à l'Em­pire ottoman de 1526 à 1792? Ce rôle d'ersatz  de l'empire otto­man moribond est-il compatible avec le rôle qu'entendent se don­ner certains na­tionalistes serbes: celui de bou­clier européen con­tre tout nouveau déferlement turc? La nou­velle Serbie déyougo­slavisée a intérêt à participer à la dyna­mi­que danubien­ne et à trouver une liaison fluviale avec la Russie. Toute autre politique serait de l'aberration. Et serait contraire au principe de la Sainte-Alliance de 1684-1699, qu'il s'agit de restaurer après la chute du Rideau de fer et des régimes communistes. Par ail­leurs, l'intérêt de la France (ou du moins de la population française) serait de joindre à la dynamique Rhin/Danube le complexe fluvial Saô­ne/Rhône débouchant sur le bassin occidental de la Méditerra­née, zone hautement stratégique pour l'ensemble européen, dont Mackinder, dans son livre Democratic Ideals and Reality  (1919), avait bien montré l'importance, de César aux Vandales et aux Byzantins, et de ceux-ci aux Sarrazins et à Nelson.
    5. En vue de la proximité balkanique, quelles seront les synergies convergentes?
    Favoriser le transit inter-continental Rotterdam/Mer Noire et faire de la région pontique le tremplin vers les matières premières caucasiennes, caspiennes et centre-asiatiques, est une nécessité économique vitale pour tous les riverains de ce grand axe fluvial et de cette mer intérieure. D'office, dans un tel contexte, une symphonie adviendra inéluctablement, si les peu­ples ont la force de se dégager des influences étrangères qui veu­lent freiner ce processus. Les adversaires d'un consensus harmo­nieux en Europe, de tout retour au jus publicum euro­pæum  (dont l'OSCE est un embryon), placent leurs espoirs dans la ligne de fracture qui sépare l'Europe catholique et protestante d'une part, de l'Europe orthodoxe-byzantine d'autre part. Ils spéculent sur la classification récente des civilisations du globe par l'Amé­ricain Samuel Huntington, où la sphère occidentale euro-amé­ricaine (“The West”) serait séparée de la sphère orthodoxe par un fossé trop profond, à hauteur de Belgrade ou de Vukovar, soit exactement au milieu de la ligne Rotterdam/Constantza. Cette césure rendrait inopérante la nouvelle dynamique potentielle, couperait l'Europe industrielle des pétroles et des gaz caucasiens et l'Europe orientale, plus rurale, des produits in­dustriels alle­mands. De même, la coupure sur le Danube à Belgrade a son é­quivalent au Nord du Caucase, avec la coupure tchétchène sur le parcours de l'oléoduc transcaucasien, qui aboutit à Novorossisk en Russie, sur les rives de la Mer Noire. La guerre tchétchène profite aux oléoducs turcs qui aboutissent en Méditerranée orientale contrôlée par les Etats-Unis, tout comme le blocage du transit danubien profite aux armateurs qui assurent le transport transméditerranéen et non pas aux peuples européens qui ont intérêt à raccourcir les voies de communication et à les contrôler directement. La raison d'être du nouvel Etat croate, aux yeux des Européens du Nord-Ouest et des Allemands, du moins s'ils sont conscients du des­tin du continent, se lit spontanément sur la carte: la configuration géographique de la Croatie, en forme de fer à cheval, donne à l'Ouest et au Centre de l'Europe une fenêtre adriatique et une fenêtre danubienne. La fenêtre adriatique don­ne un accès direct à la Méditerranée orientale (comme jadis la République de Venise), à condition que l'Adriatique ne soit pas blo­quée à hauteur de l'Albanie et de l'Epire par une éven­tuelle barrière d'Etats satellites de la Turquie, qui verrouilleraient le cas échéant le Détroit d'Otrante ou y géneraient le transit. La fenêtre danubienne donne accès à la Mer Noire et au Caucase, à condi­tion qu'elle ne soit pas bloquée par une entité serbe ou néo-you­go­slave qui jouerait le même rôle de verrou que l'Empire ottoman jadis et oublierait la Sainte-Alliance de 1684 à 1699, prélude d'une symphonie efficace des forces en présence dans les Balkans et en Mer Noire. L'Europe comme puissance ne peut naître que d'une telle symphonie où le nouvel Etat croate à un rôle-clé à jouer, no­tamment en reprenant partiellement à son compte les anciennes dynamiques déployées par la République de Venise, dont Ragu­se/Dubrovnik était un superbe fleuron.
    6. Vous semblez être assez critique à l'égard de l'Etat pluri-ethnique belge? Quel se­ra son rôle?
    L'Etat et le peuple belges sont des victimes de la logique partito­cra­tique. Les peuples de l'Ostmitteleu­ropa  savent ce qu'est une logi­que partisane absolue, parce qu'ils ont vécu le communisme. A l'Ouest la logique partisane existe également: certes, dans la sphè­re privée, on peut dire ou proclamer ce que l'on veut, mais dans un Etat comme la Belgique, où les postes sont répartis entre trois formations politiques au pro rata des voix obtenues, on est obligé de s'aligner sur la politique et sur l'idéologie étri­quée de l'un de ces trois partis (démocrates-chrétiens, socialistes, libéraux), sinon on est marginalisé ou exclu: la libre parole dérange, la volonté d'aller de l'avant est considérée comme “impie”. On m'objectera que la démocratie de modèle occidental permet l'alternance politique par le jeu des élections: or cette possibilité d'alter­nan­ce a été éli­minée en Belgique par le prolongement et la succession ad infini­tum de “grandes coalitions” entre démocrates-chrétiens et socia­listes. A l'exception de quelques années dans les “Eigh­ties”, où les libéraux ont participé aux affaires. Ce type de “grandes coali­tions” ne porte au pou­voir que l'aile gauche de la démocratie-chré­tienne, dont l'arme principale est une démagogie dangereuse sur le long terme et dont la caractéristique majeure est l'absence de principes politiques. Cette absence de prin­ci­pes conduit à des bricolages politiques abracadabrants que les Belges appellent ironiquement de la “plom­berie”. L'aile plus conservatrice de cette démocratie-chrétienne a été progressivement marginali­sée en Flandre, pour faire place à des politiciens prêts à toutes les combines pour gouverner avec les socia­listes. Or, les socialistes sont relativement minoritaires en Flandre mais majoritaires en Wallonie. Dans cet­te partie du pays, qui est francophone, ils ont mis le patrimoine régional en coupe réglée et ils y rè­gnent com­me la mafia en Sicile, avec des méthodes et des pratiques qui rap­pellent les grands réseaux ita­liens de criminalité. Les scandales qui n'ont cessé d'émailler la chronique quotidienne en Belgique vien­nent essentiellement de ce parti socialiste wallon. La Belgique fonctionne donc avec l'alliance de so­cia­listes wallons majoritaires dans leur région, de socialistes flamands minoritaires dans leur région, de dé­mo­crates-chrétiens wallons minoritaires et de dé­mo­crates-chrétiens flamands majoritaires, mais dont la ma­jorité est aujourd'hui contestée par les libéraux néo-thatché­riens et les ultra-nationalistes. Une très for­te minorité flamande conserva­tri­ce (mais divisée en plusieurs pôles antagonistes) est hors jeu, de mê­me que les classes moyennes et les entrepreneurs dynamiques en Wallonie, qui font face à un socia­lisme ar­chaïque, vindicatif, corrompu et inefficace. La solution réside dans une fédéralisation toujours plus pous­sée, de façon à ce que les Flamands plus conservateurs n'aient pas à subir le mafia-socialisme wal­lon et les Wallons socialistes n'aient pas à abandonner leurs acquis sociaux sous la pression de néo-tha­tché­riens flamands. Mais la pire tare de la Belgique actuelle reste la nomination politique des magis­trats, éga­lement au pro rata des voix obtenues par les partis. Cette pratique scandaleuse élimine l'indé­pen­dan­ce de la magistrature et ruine le principe de la séparation des pouvoirs, dont l'Occident est pour­tant si fier. Ce principe est lettre morte en Belgique et la cassure entre la population et les institutions judi­ciai­res est dé­sormais préoccupant et gros de complications. L'a­venir de la Belgique s'avère précaire dans de telles con­ditions, d'autant plus que la France essaie d'avancer ses pions partout dans l'économie du pays, de le co­loniser financièrement, avec l'ac­cord tacite de Kohl  —il faut bien le dire—  qui achète de la sorte l'ac­cep­tation par la France de la réunification allemande. Le pays implosera si son personnel poli­tique con­ti­nue à ne pas avoir de vision géopolitique cohérente, s'il ne reprend pas cons­cience de son destin et de sa mis­sion mitteleuropäisch,  qui le con­duiront de surcroît à retrouver les intérêts considé­rables qu'il avait dans la Mer Noire avant 1914, surtout les entreprises wallonnes! Non seulement l'Etat belge implosera s'il ne retrouve pas une vision géopolitique cohérente, mais chacune de ses compo­san­tes imploseront à leur tour, entraînant une catastrophe sans précédent pour la population et créant un vi­de au Nord-Ouest de l'Eu­rope, dans une région hautement stratégique: le delta du Rhin, de la Meuse et de l'Es­caut, avec tous les canaux qui les relient (Canal Albert, Canal Juliana, Canal Wilhelmina, Willems­vaart, etc.).
    7. Le peuple flamand en Belgique a joué un rôle non négligeable lors de la guerre en ex-Yougoslavie, en apportant son aide au peuple croate. Qu'est-ce qui les unit?
    Les nationalistes flamands s'identifient toujours aux peuples qui veulent s'affranchir ou se détacher de structures étatiques jugées oppressantes ou obsolètes. En Flandre, il existe un véritable engouement pour les Basques, les Bretons et les Corses: c'est dû partiellement à un ressentiment atavique à l'égard de la France et de l'Espagne. La Croatie a bénéficié elle aussi de ce sentiment de solidarité pour les peuples concrets contre les Etats abstraits. Pour la Croatie, il y a encore d'autres motifs de sympathie: il y a au fond de la culture flamande des éléments baroques comme en Autriche et en Bavière, mais mar­qués d'une truculence et d'une jovialité que l'on retrouve surtout dans la peinture de Rubens et de Jor­daens. Ensuite, il y a évidemment le catholicisme, partagé par les Flamands et les Croates, et un Kultur­na­tionalismus  hé­rité de Herder qui est commun aux revendications nationalistes de nos deux peuples. Mais ce Kulturnationalismus  n'est pas pur repli sur soi: il est toujours accompagné du sentiment d'ap­partenir à une entité plus grande que l'Etat contesté  —l'Etat belge ici, l'Etat yougoslave chez vous—  et cette en­tité est l'Europe comme espace de civilisation ou la Mitteleuropa comme communauté de destin histo­rique. Certes, dans la partie flamande de la Belgique, le souvenir de l'Autriche habsbourgeoise est plus ancien, plus diffus et plus estompé. Mais il n'a pas laissé de mauvais souvenirs et l'Impératrice Ma­rie-Thérèse, par exemple, demeure une personnalité historique respectée.

  • Troisième marche de la fierté tourangelle samedi 26 janvier 2013

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    TOURS (NOVOpress) — Le samedi 26 janvier 2013, l’association patriote enracinée Vox Populi organise la troisième marche de la fierté tourangelle.

    Pour Vox Populi, il s’agit d’« ancrer une tradition qui, chaque année, permettra aux Tourangeaux fiers et forts de leur identité de venir l’affirmer dans la rue en hommes libres qu’ils sont. »

    En organisant cette marche, Pierre Louis Mériguet, porte-parole de Vox Populi, affirme : « Fervents défenseurs de nos patries charnelles, nous sommes les héritiers de Balzac, Jeanne d’Arc, Charles Martel, Maurras, Raspail, Ronsard et tant d’autres. Les vignes du Vouvrillon coulent dans nos veines et la basilique Saint Martin ainsi que les châteaux de la Loire sont une partie des richesses qui marquent notre différence. Si certains portent cet héritage comme un fardeau et veulent l’oublier, les enracinés que nous sommes le revendiquent la tête haute, sans rougir. Loin de nous l’idée de rester figés dans l’image d’un passé idéalisé en pensant que tout était mieux avant, mais nous savons néanmoins que pour construire l’avenir, il faut déjà savoir se souvenir de ce qui nous définit. »

    http://fr.novopress.info

  • Annulation magique de la crise et « méthode physiognomique » chez Ernst Jünger

    Parmi les fidèles de l'idéologie marxiste, bien peu ont analysé la pensée de ceux qu'ils appellent les écrivains « pré-fascistes », ou carrément "fascistes", et dont Ernst Jünger, évidemment, serait une des figures de proue. Armin Steil est un des rares idéologues marxistes à avoir analysé avec pertinence et profondeur, et surtout avec clarté, les démarches de Georges Sorel, Carl Schmitt et Ernst Jünger, dans son ouvrage Die imaginäre Revolte. Untersuchungen zur faschistischen Ideologie und ihrer theoretischen Vorbereitung bei Georges Sorel, Carl Schmitt und Ernst Jünger (réf. infra; = La révolte imaginaire. Recherches sur l'idéologie fasciste et sur sa préparation chez GS, CS et EJ).

    En se penchant sur Le Travailleur, Steil constate que la logique de Jünger, et partant de son «fascisme», ou, plus exactement, de son « conservatisme révolutionnaire », n'est pas une logique théorique, une logique construite, basée sur l'observation de causes et d'effets, mais une logique et un langage métaphoriques, poétiques, imagées. Face à une réalité socio-économique et politique chaotique, face à la crise de la société et de la cultures allemandes, Jünger veut maîtriser les effets pervers, les dysfonctionnements par l'esthétique : son «fascisme», son « conservatisme révolutionnaire », seraient donc essentiellement de nature esthétique, contrairement au marxisme qui se moulerait sur les réalités matérielles et résoudrait les crises en travaillant les matières socio-économiques elles-mêmes, sans recul idéaliste, sans recours à une transcendance ou à une esthétique. Steil conclut très justement : « Le livre [= Le Travailleur]  veut éduquer [les hommes] à avoir une attitude souveraine face aux processus sociaux ». L'observation minutieuse, froide, dépassionnée, constituerait dont la « clef magique » qui permettrait à l'élite qui s'en sert de maîtriser les crises, de mettre un terme au chaos et aux disparités dissolvantes qui entravent le bon fonctionnement des sociétés qui les subissent.

    être des yeux hyper-perceptifs

    Les esprits volontaires qui souhaitent donc « prendre le taureau par les cornes », agir sur le terrain politique, lutter contre les crises et leurs effets, ne doivent donc pas s'atteler à construire un système mécanique d'idées toutes faites qui s'agencent et s'emboîtent parfaitement, mais être des «yeux» hyper-perceptifs, capables de décrire les phénomènes de la vie quotidienne : c'est ce que Jünger appelle la « méthode physiognomique ». Elle permet de voir l'essence d'une chose dans sa simple apparence, de saisir l'unité de l'essence et de l'apparence, qui est la «forme» (die Gestalt), invisible pour tout observateur inattentif, distrait, non habitué à manier avec la dextérité voulue la « méthode physiognomique ». Tout phénomène valable, fécond, porterait donc en lui une «forme», plus ou moins occultée, une force potentielle qu'il s'agit d'arraisonner et de mettre au service d'un projet politique ou historique. En revanche, tout phénomène qui n'apparaît que comme «normal» est, par conséquent, un phénomène sans plus de «forme», sans «force». En tant que tel ce phénomène serait un signe avant-coureur de la décadence, un signe indiquant qu'il y a redistribution des cartes, que des formes meurent, en obéissant ainsi à une logique cachée, qui, elle, prépare l'avènement de formes nouvelles, aux forces intactes.

    L'observation des phénomènes de la vie courante, de détails de nos décors quotidiens, laisse entrevoir où se manifestent la chute et la mort des formes : les néons, les lumières tapageuses, criardes et artificielles des villes modernes, sont un indice patent de cette déperdition de forces, masquée par des couleurs et des intensités sans vie réelle. La circulation moderne dans les grandes villes houspille le piéton, seul être de chair dans cet univers de béton, d'asphalte et de métal, sur ces marges à peine tolérées que sont les trottoirs, pistes réservées à la « moindre vitesse ».

    Le «Travailleur» utilise la « méthode physiognomique »

    Le «Travailleur» est donc la figure qui fait usage de la « méthode physiognomique », observe, déchiffre, plonge dans cet univers d'artifice à la recherce des forces encore enfouies, pour les mobiliser en vue d'un projet purement imaginé, explique Steil, «utopique» au sens marxien et engelsien du terme. Ce recours à l'imaginaire, explique le marxiste Steil, procède d'une logique du doute, qui veut à tout prix donner du sens à ce qui n'en a pas. Qui veut se persuader que, derrière, les phénomènes de déclin, de dévitalisation, se profilent un «Ordre» et des lois, qui sont des avatars du Dieu unique refusé par les tenants du matérialisme historique. Cet «Ordre», cette «Gestalt», cette «forme», sont intégrateurs de la diversité infinie des observations posées par les personnes, mais ne sont pas, comme dans le cas du matérialisme historique, un reflet des rapports sociaux, mais une vision totalisante, intuitive, allant directement à l'essentiel, c'est-à-dire à la forme originelle. Ce n'est pas l'énumération objective et positive des causes et des effets qui permet de décider et d'agir, mais, au contraire, un regard perçant qui permet de voir et de saisir le monde comme le théâtre où s'affrontent et coopèrent les formes.

    Le «Travailleur» est précisément celui qui possède un tel « regard perçant », et qui remplacera le «bourgeois», raisonnant étroitement sur les simples causes et effets. Steil constate le hiatus entre cette vision du «Travailleur» et celle, marxiste et empirique, du «Prolétaire» : la figure forgée par Jünger se place très haut au-dessus des contingences socio-économiques ; le prolétaire conscient de sa déréliction, lui, travaille au coeur même de ces contingences, sans prendre aucune distance, sans détachement. Le « haut vol » du «Travailleur», sa perspective aquiline, lui procure un masque : métallique ou cosmétique, masque à gaz du combattant, masque du coureur automobile chez les hommes, fard chez les femmes. Les traits individuels disparaissent derrière ces masques, comme doivent disparaître les imperfections individuelles des hommes humains, trop humains. Les figures du Travailleur sont des figures certes imaginaires, idéalisées à outrance, dés-individualisées et apurées : elles fonctionnent comme des soldats prussiens de l'ère frédéricienne à l'exercice. En suivant leurs chefs, ces moindres (mais néanmoins nécessaires) avatars du «Travailleur» et des soldats prussiens de la guerre en dentelle, perdent certes les imperfections de leur individualité, mais abandonnent aussi leurs doutes et leurs désorientements : les règles et l'Ordre sont des ancres de sauvetage offertes par la nouvelle communauté élitaire des «Travailleurs», virtuoses de la « méthode physiognomique ».

    L'indépendance apparente du prolétaire

    L'Ordre, comme projection imaginaire, et la « méthode physiognomique » sont des instruments contre la notion empirique et marxiste de « lutte des classes », proteste Steil, avant de donner très clairement la version de Jünger : laisser le travailleur, l'ouvrier, dans les contingences socio-économiques, c'est le laisser dans un monde entièrement déterminé par la bourgeoisie, issu d'elle et contrôlé en dernière instance par elle. En occupant une place désignée dans l'ordre bourgeois, l'ouvrier ne jouit que d'une indépendance apparente ; il n'a là aucune autonomie. Toute attaque lancée contre l'ordre bourgeois au départ de cette position apparente n'est elle aussi qu'apparente, appelée à être récupérée et à renforcer l'établissement. « Tout mouvement s'effectue théoriquement dans le cadre d'une utopie sociale et humaine vieillie, en pratique elle hisse toujours au pouvoir la figure de l'affairiste rusé, dont l'art consiste à négocier et à trafiquer », écrit Jünger. Pour Steil, cette définition radicalise la vision sorélienne du socialisme, qui voulait transformer la politique en pur moyen, sans objectif limitant, inscrit dans les contingences.

    Restaurer l'oeuvre «auratique»

    Un marxiste verra, dans cet idéalisme et dans cette épure du politique comme pur moyen, une élimination de la politique, une volonté de mettre un terme à la violence destructrice de la politique, qui est seulement, pour le regard marxiste, « lutte des classes ». Mais la technique en marche qui balaie les formes mortes pour rétablir de nouvelles formes à la suite d'un affrontement planétaire des formes subsistantes, encore dotées de forces plus ou moins intactes. La technique détruit donc les formes résiduaires et caduques, elle planétarise et gigantise la guerre permanente des formes, mais le «Travailleur», en instrumentalisant froidement la « méthode physiognomique », donnera une forme finale à la technique (voeu qui ne s'est jamais réalisé ! !). Cette forme finale sera artistique et le beau qui s'en dégagera aura une fonction magique et «sacrale», comme dans les sociétés dites «primitives». La rénovation de ces formes, écrit Steil, se fera par la restauration de l'oeuvre «auratique», éclipsée par la sérialisation technique. L'Aura, expression impalpable de la forme, de l'essence du phénomène représenté, restitue la dimension sacrée, proclame le retour d'un culte du beau, en remplacement qualitatif des religiosités mortes au cours de l'ère bourgeoise.

    Le « réalisme héroïque », assise du nouvel Ordre socio-politique, sera porté par une caste dominatrice exerçant simultanément trois fonctions : celle de détenteur du savoir, celle du guerrier nouveau forgé au cours des batailles de matériel de la Grande Guerre, et celle du producteur d'une nouvelle esthétique, medium intégrateur des différences sociales.

    Armin Steil, dans sa critique marxiste du « pré-fascisme » des Sorel, Jünger et Schmitt, dégage clairement l'essentiel d'une oeuvre aussi capitale que Le Travailleur, où la manie de fabriquer des systèmes est réfutée au bénéfice de grandes affirmations idéales, dégagées des trop lourdes contingences de la société bourgeoise et de la misère prolétarienne. La démarche jüngerienne, dans cette optique, apparaît comme un dégagement de la cangue du concret, comme un retrait hautain conduisant in fine  à une domination totale mais extérieure de cette concrétude. Mais le regard perçant, réclamé par la méthodologie physiognomique, n'est-il pas, au contraire, un instrument de pénétration de la concrétude, bien plus subtil que les simples prises en compte de la surface des phénomènes ?
    Robert Steuckers : [Synergies Européennes, Vouloir, Juillet, 1995] http://vouloir.hautetfort.com/
    Référence : Armin STEIL, Die imaginäre Revolte. Untersuchungen zur faschistischen Ideologie und ihrer theoretischen Vorbereitung bei Georges Sorel, Carl Schmitt und Ernst Jünger, Verlag Arbeiterbewegung und Gesellschaftswissenschaft, Marburg, 1984, ISBN 3-921630-39-8.

  • Adieu !

    La perte d’honneur tue. Chez les hommes et les femmes de devoir, la sensation d’avoir failli peut entraîner le geste irréversible. C’est ce qui est arrivé à Jacinta Saldanha, infirmière qui a cru au canular, organisé par une radio australienne 2Day FM. Réalisant qu’elle avait permis à cette radio de diffuser à l’antenne des informations qui devaient rester confidentielles, elle s’est suicidée.

    Je veux bien penser que ses auteurs ne pensaient pas que ce canular aboutirait au suicide d’une infirmière, mais quelles sont donc les valeurs de ces humoristes qui croient que pour une plaisanterie douteuse de trente secondes, on a le droit de piétiner l’honneur de deux personnes ? Les infirmières au service de Kate Middleton, enceinte d’un héritier du trône britannique, ont évidemment un sens du devoir poussé et se moquer d’elles ouvertement en se faisant passer respectivement pour le prince Charles et la reine d’Angleterre, dans le seul but de leur faire trahir le secret médical, relève de l’action honteuse. L’une de ces femmes s’en est voulu (alors qu’elle n’avait pas failli, croyant réellement avoir affaire à la reine d’Angleterre) et a mis fin à ces jours.

    Suis-je le seul à en avoir assez que le créneau « humour » dans les média soit détenu par des nihilistes animés de mauvaises intentions, qui ricanent constamment, tentant de détruire ce qui est sacré aux yeux des autres ? Il n’y a rien de drôle à profiter du fascisme du micro pour attaquer une infirmière qui ne fait que son devoir. Même sans ce suicide, cette action radiophonique relevait du lamentable.

    Ces humoristes Mel Greig et Michael Christian font maintenant mine de regretter leur geste. Leurs larmes de crocodiles ne trompent personne, déjà suspendus d’antenne, il essayent simplement de sauver leur poste voire leur carrière.

    Adieu donc Jacinta Saldanha, vous étiez une femme d’honneur à l’inverse de ceux qui ont pénétré de force dans votre hôpital via le téléphone.

    Cadichon  http://www.actionfrancaise.net

  • Après l'Afghanistan, jusqu'où iront les guerres de l'Otan ? (arch 2010)

    DEPUIS le 12 février, 2 500 soldats de la balbutiante armée afghane, épaulés par quelque 12 500 hommes de l'OTAN - Américains, Britanniques, Danois et Estoniens principalement, mais aussi plusieurs dizaines de Français opportunément baptisés simples "instructeurs" pour ne pas exciter les "cités" - tentent de déloger les Taliban de la province stratégique du Helmand, district agricole fertile et véritable grenier de l'opium. devenu un des bastions des insurgés islamistes.
    L'ATLANTIQUE NORD... DE KABOUL À RABAT EN PASSANT PAR TEL-AVIV ET TÉHÉRAN
    L'opération Mushtarak ("ensemble", en langue dari) a été volontairement médiatisée par l'administration Obama. C'est la plus massive menée par les forces internationales depuis l'annonce par le président états-unien, en décembre dernier, de l'envoi cette année de 30 000 soldats américains en renfort, et aussi l'une des plus importantes depuis le début de la guerre, fin 2001. Les insurgés, de leur côté, ont raillé cette opération "médiatisée" qui se concentre sur la ville de Marjah, « très petite zone » malgré ses 125 000 habitants.
    La guerre contre les Taliban ne sera donc pas gagnée grâce à cette offensive qui veut surtout manifester une volonté intacte d'imposer une nouvelle stratégie et d'occuper le terrain. Preuve est en tout cas faite que l'OTAN fait la guerre où les USA le désirent, comme les USA le désirent, sans plus tenir compte de l'origine de l'engagement et de son caractère à l'époque strictement défensif. La leçon a été bien comprise par certains et en premier lieu par Israël. Qui verrait bien l'OTAN mener une telle guerre contre l'Iran.
    Comme l'avait fait son homologue français François Fillon le 3 février au dîner du CRIF, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyaou, a préconisé le 9 des « sanctions sévères et immédiates » à l'encontre de Téhéran. Le danger perse est donc sans arrêt mis en avant. « L'Iran avance à grands pas vers la production d'armes nucléaires (...). Ce qu'il faut aujourd'hui, c'est une action ferme de la communauté internationale », a déclaré Netanyahou à des diplomates européens. « Cela veut dire des sanctions invalidantes, qui doivent être mises en œuvre dès maintenant. »
    L'option militaire n'a jamais été abandonnée et paraît même à vrai dire se préciser. Deux patrouilleurs lance-missiles israéliens ont emprunté le canal de Suez en direction de la mer Rouge. Le Caire a adopté des mesures de sécurité exceptionnelles pour garantir la sécurité de ces bâtiments. Selon les journaux cairotes, les autorités égyptiennes ont interdit à tout navire de traverser le canal et ont aussi bloqué le trafic routier sur la route qui y mène.
    Toujours selon les sources égyptiennes et notamment le très informé Gala ! Nassar du site < http://weekly.ahram.org.eg/ >. les patrouilleurs se dirigeaient vers le golfe Persique qu'ils devaient atteindre en quatre jours. Or, la semaine précédente, le journal égyptien AI-Shuruq rapportait que les États-Unis menaient des exercices intensifs dans le même secteur, dont certains le long des côtes iraniennes. De plus, le journal indiquait que des navires israéliens cartographiaient les eaux du golfe Persique depuis six mois, en coopération avec des forces américaines de la Ve Flotte.
    Cela participe d'une volonté stratégique de l'État hébreu de rejoindre l'OTAN. Il ne veut plus rester à l'écart des organisations militaires de l'Occident mais en être, pour mieux les diriger. Une majorité d'Israéliens estiment d'ailleurs que leur adhésion à l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord renforcerait à la fois la sécurité d'Israël et la puissance stratégique de l'OTAN.
    ÉTAT SIONISTE, PAYS ARABES, MÊME COMBAT
    Bizarrement, il n'y a eu aucune réaction arabe au souhait d'Israël de rejoindre l'OTAN, aucune tentative arabe de bloquer l'initiative, et aucun préparatif pour faire face à ses conséquences. En 2000 déjà, l'OTAN élargissait son dialogue méditerranéen en négociant avec sept pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord ; à savoir Égypte, Algérie, Jordanie, Maroc, Tunisie, Mauritanie et bien sûr Israël. En 2004, les pourparlers OTAN/Méditerranée se déroulèrent sous l'appellation, humoristique sans doute, de Partenaires pour la Paix. Six nouveaux pays étaient inclus dans ce nouveau dialogue : Bahreïn, Koweït, Oman, Qatar, Arabie séoudite et Émirats arabes unis. L'entité sioniste, en particulier, était pressée de mettre à profit toutes les possibilités que Partenaires pour la Paix pouvait offrir.
    Israël et la Jordanie participèrent, également pour la première fois, à des manœuvres militaires conjointes qui se déroulèrent, dans le cadre du programme de Partenaires pour la Paix, en Macédoine, dans l'ex-Yougoslavie, en février 2005. Franchement, que venaient-ils y faire ? Le magazine militaire britannique Jane's apportait une réponse. La « position géographique » d'Israël fournissait à l'OTAN une base extérieure idéale pour « défendre l'Occident », pendant que la puissance militaire et économique de l'OTAN avait la capacité d'accroître la sécurité et le potentiel économique du « pays d'accueil ». The Jerusalem Post indiqua alors la vérité : des liens plus étroits entre Israël et l'OTAN étaient essentiels dans le cas d'une « future confrontation avec l'Iran » (1er avril 2008).
    En réalité, Netanyahou voulait qu'Israël rejoigne l'OTAN avant même d'entrer en fonction pour son deuxième mandat de Premier ministre. Il a, depuis, fait de l'adhésion d'Israël à l'OTAN une pièce centrale de sa politique. Le 13 janvier 2009, The Jerusalem Post signalait qu'Israël lançait une « initiative diplomatique » visant à influencer l'ancienne secrétaire d'État US, Madeleine Albright, dans son réexamen de la politique de l'OTAN. En janvier 2009, des officiels israéliens rencontrèrent Albright à Oslo pour discuter de la nouvelle stratégie de l'OTAN. Durant cette réunion, les Israéliens exprimèrent le désir de resserrer leurs liens avec l'OTAN et demandèrent de participer à ses réunions au plus haut niveau. La réponse du monde arabe pourrait être de frapper à son tour à la porte de l'organisation militaire car, pour le moment, ces pays craignent plus Téhéran qu'Israël malgré le désaveu de leur opinion publique.
    Les dépenses d'armements des pays du Conseil de coopération du Golfe (Bahreïn, Qatar, Koweit, Émirats arabes unis, Arabie séoudite) se monteront à 63 milliards de dollars en 2010, dont deux tiers pour le seul royaume séoudien. Et ce n'est pas pour libérer al Qods-Jérusalem. Selon les estimations, cette croissance exponentielle du marché des armes dans la région devrait se poursuivre au moins jusqu'en 2014. En achetant des armes et des technologies militaires de pointe, les pays arabes du Golfe souhaitent contrebalancer l'Iran qui veut dominer dans la région, affirment les experts. En 2008, les dépenses militaires des pays du Golfe ont englouti 5,6 % de leur PIB contre 2,4 % de moyenne mondiale.
    L'OTAN a déjà des bases en « terre arabe » : les enclaves espagnoles du Maroc du nord qui sont protégées par l'Alliance. Mais l'Iran de Rabat reste largement encore, l'Algérie, au troisième rang des pays arabes en termes d'armement, juste derrière le Qatar et l'Arabie séoudite. Dans le même classement, le Maroc occupe le cinquième rang avec un budget qui dépasse 1,7 milliards de dollars en dépenses militaires hors les 2,4 milliards de dollars, budgétisés sur plusieurs exercices, relatifs à l'achat de 24 chasseurs F16 CID Block52 auprès du constructeur américain Lockheed Martin.
    L'Algérie a quasiment quadruplé ses achats d'armes à l'étranger en six ans, aucun pays de la région Moyen-Orient/Afrique du Nord n'a fait davantage.
    Pour sa part, le Maroc a consacré à la Défense, au titre de l'année 2009, un budget de 34,625 milliards de dirhams, soit environ 16 % du budget général de l'État et 4,6 % du PIB. Le royaume chérifien n'avait d'autre choix que de veiller à éviter que le déséquilibre des forces ne devienne trop grand. Car évidement le surarmement algérien ne vise ni Israël ni l'Iran mais le Maroc en cas d'aggravation du conflit du sud-saharien marocain. Rabat est également tentée par un rapprochement avec l'OTAN, ce qui mettrait le royaume à l'abri de l'aventurisme algérien, mais cette volonté est contrariée par la présence militaire espagnole dans le Rif.
    LE DÉVOIEMENT D'UNE ALLIANCE
    L'alliance pour la défense de l'Atlantique Nord est ainsi, de plus en plus, une alliance pour le Grand Moyen-Orient arabo-islamique dont rêvaient George Bush et son entourage, de néo-conservateurs. Entre mise sous tutelle des puissances énergétiques arabe, guerre anti-islamique et défense d'Israël, l'Organisation n'est plus ce qu'elle était, et certainement pas ce qu'elle devrait être.
    Pierre-Patrice Belesta Rivarol du 26 février 2010

  • Le début de la fin, par Dominique Venner

    PARIS (via le site officiel de Dominique Venner) — Le début de la fin(1) est le titre d’un petit livre d’Éric Werner, dont je vais parler pour ceux qui ne le connaissent pas encore. On va vite comprendre de quelle fin il est question, bien qu’Éric Werner se garde de donner des assurances à ce sujet. Confidence : j’aimerais bien, pour ma part, que ce soit en effet le début de la fin de ce que nous détestons, mais je ne suis pas certain que ce soit encore pour demain. Mais venons-en au fait.

     

    Longtemps professeur de philosophie politique à l’université de Genève, Éric Werner s’est fait connaître du grand public par un essai retentissant, L’Avant-guerre civile, publié en 1998. Il faisait entendre une voix d’une lucidité inhabituelle. Il développait la thèse d’une stratégie délibérée par laquelle la nouvelle classe dirigeante européenne, structurée autour du triptyque : libéralisme, américanisation, mondialisme, a établi son pouvoir en favorisant la dislocation des anciens cadres sociaux et en suscitant des antagonismes internes à la limite de la guerre civile. Antagonismes d’âge de sexe, de statut social, de culture, de religion, d’ethnie… Parmi ces antagonismes, l’immigration de masse extra-européenne jouait un rôle décisif.

    Éric Werner posait la question : pourquoi cette immigration de masse a-t-elle été voulue et encouragée par les gouvernements et classes dirigeantes européennes alors que ses conséquences nuisibles sont évidentes ? Réponse : s’ils favorisent cette immigration c’est qu’elle leur profite. En attisant les antagonismes et la défiance mutuelle, elle paralyse les réactions et défenses de la population. Pour une classe dirigeante corrompue, une société balkanisée est plus facile à contrôler qu’une société homogène. L’insécurité née de l’immigration devient même une arme formidable de gouvernement.

    « En laissant les délinquants agir à sa place, le pouvoir fait d’une pierre deux coups. L’ordre se défait, mais le désarroi même qui en résulte débouche paradoxalement dans une relégitimisation du pouvoir, car le pouvoir apparaît comme l’ultime rempart contre le désordre triomphant ». Le pouvoir tire ainsi argument de l’insécurité pour que les citoyens se résignent à l’abandon de leurs droits, comme la légitime défense.

    C’est un peu cette thématique, avec un zest de sophistication et d’ironie mordante en plus qu’Éric Werner développe dans son nouvel essai sous la forme très originale de brefs dialogues entre plusieurs personnages (ou plusieurs « types ») qui s’entrecroisent, l’Avocate, l’Ethnologue, l’Auteur bien sûr, l’Étudiante, le Colonel (d’un cynisme réjouissant), etc. Si vous souhaitez rire (jaune parfois) devant la réalité vraie de notre « meilleur des mondes », courez acheter Le début de la fin & autres causeries crépusculaires. Le plaisir de la démonstration est garanti.

    1) Éric Werner, Le début de la fin, Xenia, 110 p. 13 €

    http://fr.novopress.info

  • La bataille de Cocherel (16 mai 1364)

    La bataille de Cocherel - Chronique de Jean Froissart
    La bataille de Cocherel, Chronique de Jean Froissart (1410-1420).
    Bertrand du Guesclin est reconnaissable à l’aigle à deux têtes sur sa tunique.

    En ce début de seconde moitié du XIVe siècle, le royaume de France est bien mal en point : en juillet 1356, le Prince Noir et les redoutables archers anglais ont écrasé à Poitiers une armée française numériquement deux fois supérieure et fait prisonnier le roi de France Jean II le Bon, défaite lourde de conséquences. Le fils aîné du roi, Charles V, prend la régence en une période difficile et doit faire face à la révolte parisienne menée par Étienne Marcel (1358), laquelle ne prend fin qu’avec l’assassinat de son meneur ayant appelé à l’aide les Anglais.

    A l’automne 1359, le roi d’Angleterre Édouard III tente de se rendre à Reims pour se faire couronner mais ne parvient pas à destination, se heurtant à des villes et châteaux bien fortifiés. Près de Chartres, le lundi 13 avril de l’année suivante, une partie de son armée est emportée par une furieuse tempête de grêle ! Il se résout à traiter et signe la paix à Brétigny le 8 mai 1360. Le traité définitif de Calais (24 octobre) concède aux Anglais une Aquitaine élargie, comprenant le Poitou, la région de Calais et trois millions d’écus (somme énorme : environ 12 tonnes d’or, soit deux ans de recettes fiscales du pays). En échange, Édouard III accepte de renoncer à la couronne de France.

    Jean le Bon regagne la France laissant derrière lui de nombreux otages. Parmi eux, Louis d’Anjou, l’un de ses fils, qui s’échappe de prison malgré la parole donnée. Le roi de France part à Londres le 3 janvier 1364 pour renégocier le traité de Brétigny : il éprouve des difficultés à payer la rançon et doit résoudre la question des otages, dont celle de son fils évadé. Il y meurt le 8 avril 1364, laissant au futur Charles V un pays ruiné.

    I. La guerre des deux Charles

    Charles V est désormais maître du royaume. Avant de s’attaquer aux Anglais, il doit faire face à Charles II de Navarre, dit Charles le Mauvais. Fils de Philippe III de Navarre et de Jeanne II, fille du roi de France Louis X le Hutin, il profite du discrédit touchant les Valois pour réclamer la couronne de France. Le roi de Navarre, également comte d’Évreux, est un homme qui n’hésite pas à changer d’alliance pour parvenir à ses fins : tantôt les Anglais, tantôt ce qui était le futur Charles V, et même les Jacques d’Étienne Marcel. Sûr de son destin royal, il rencontre le Prince Noir à Bordeaux, négocie la paix avec le roi d’Aragon auquel il promet des territoires français et se fait broder une bannière aux couleurs de la France et la Navarre. Il est devenu la bête noire de Charles V.

    En avril 1364, le roi de France demande à un certain Bertrand du Guesclin de prendre les places fortes qui permettent à Charles le Mauvais de tenir la Seine : Mantes, Meulan, Vétheuil et Rosny ; mission menée à bien en une semaine seulement. Du Guesclin (v. 1320-1380) est alors une étoile montante : issu de la petite noblesse bretonne, d’une laideur légendaire, réputé pour sa ruse, il s’est fait remarquer pour ses exploits notamment pour la défense de Rennes en 1357. Celui qui gagne le surnom de « dogue noir de Brocéliande » est tout dévoué à la cause française.

    Pendant que Du Guesclin s’occupe des places fortes navarraises, une armée levée par Charles le Mauvais en Navarre et en Gascogne, embarquée à Bordeaux, fait voile vers le port de Cherbourg. Le roi de Navarre est resté au pays et a confié le commandement des troupes anglo-navarraise à Jean de Grailly, captal de Buch, grand seigneur gascon. Cette armée arrive à destination fin avril.

    II. Le face à face des deux armées

    Du Guesclin - Gravure de Jollain
    Du Guesclin. Détail d’une gravure
    de Jollain, La Cour du roi
    Charles V le Sage
    (XIVe).

    Jean de Grailly tient Évreux et Vernon. Le 11 mai, Du Guesclin sort de Rouen où il a établi son quartier général pour conduire ses troupes à Pont-de-l’Arche. Il traverse la Seine et se dirige vers la vallée de l’Eure qu’il remonte sur la rive droite en direction de Pacy, à une trentaine de kilomètres de Vernon. Le 14 mai, Jean de Grailly quitte Vernon pour prendre le commandement de son armée (plus de 2000 hommes dont 300 archers) avec Jean Jouël, chef de compagnie qui a déjà eu affaire à Bertrand (en tant que défenseur de Rolleboise).

    Dans la matinée du 14, Bertrand du Guesclin se dirige vers le petit village de Cocherel à la tête d’environ 1500 hommes ; parmi eux, des Bretons, des Picards, des hommes de l’Ile-de-France, et des Gascons. L’armée est en ordre de bataille le lendemain matin dans le champ de Cocherel. Aux premiers rayons du Soleil, les Français voient la colline à proximité se couvrir d’hommes armés : c’est Grailly ! Le captal de Buch, se trouvant avantagé par sa position, laisse à son ennemi l’initiative de l’attaque. Pas question pour Du Guesclin de charger l’armée du captal à cause des quelques 300 archers dont la réputation n’est plus à faire. Il envoie un héraut pour demander la bataille et lui dire qu’il l’attend dans la plaine ; mais il comprend vite que son adversaire, méfiant, n’entend pas bouger d’un pouce. Aucun fait d’arme n’a lieu durant cette journée où il fait très chaud, et la nuit tombe sur les deux armées se regardant en chiens de faïence.

    III. La bataille de Cocherel

    Le 16 mai 1364, dans la matinée, Bertrand expose son plan à ses compagnons d’armes : « Nous ferons semblant de battre en retraite, de renoncer au combat aujourd’hui, parce que nos gens sont durement éprouvés par la chaleur » (d’après Froissart). Il propose de faire défiler un certain nombre de chevaliers sur le pont enjambant l’Eure, pour faire croire qu’ils regagnent leur campement. Le captal, immobile, regarde du haut de la colline les chevaliers français qui rompent au son des trompettes. C’est alors que Jean Jouël, exaspéré par l’inaction de Grailly, sans prendre d’ordre auprès de son supérieur, charge les Français en criant « Par saint Georges ! Passez avant, qui m’aime me suive, je m’en vais combattre ». Le captal de Buch, voyant Jouel et d’autres capitaines descendre la colline, décide de suivre le mouvement.

    Les Français exultent. Ils font alors volte-face et crient « Notre-Dame ! Guesclin ! Notre-Dame ! Guesclin ! ». Les Anglo-Navarrais ignorent aussi que le rusé breton a caché deux cents cavaliers dans un bois sur le côté et qu’ils viennent de les dépasser… Ils offrent ainsi aux troupes françaises un flanc sans défense. Les cavaliers de Du Guesclin sortent du bois et les hommes de Grailly comprennent un peu tard que les fuyards n’en sont pas.

    Pris entre le gros de l’armée française et l’attaque de revers menée par les cavaliers d’élite, les Anglo-Navarrais sont submergés et les Français sont trop proches pour que les archers puissent entrer en action. Les coups de hache fendent les crânes tandis que les épées et lances embrochent les corps. Connaissant l’habileté du maniement de la hache des Bretons, Du Guesclin en avait commandé un grand nombre, à Paris, Orléans et Caen. Le captal se bat avec l’énergie du désespoir et ne se rend que tardivement à un Breton nommé Roland Bodin (d’autres sources disent Thibaut du Pont). Jean Jouël trouve la mort au cours du combat. Du Guesclin sort de la bataille couvert de gloire.

    IV. Les suites de la bataille

    Cocherel et couronnement de Charles V - Froissart
    Cocherel et le couronnement de Charles V, Chronique de Jean Froissart.

    Charles V, troisième souverain de la dynastie des Valois, reçoit l’onction sacrée à Reims le 19 mai. Il a appris sa victoire la veille de son couronnement. Le 28, il entre avec Jeanne de Bourbon triomphalement dans un Paris orné de tentures et tapisseries dans la Grand Rue Saint-Antoine. Des réjouissances s’ensuivent, avec un grand dîner et des joutes les jours suivant.

    Bertrand du Guesclin se rend à Saint-Denis le 27 mai. Dans la basilique, le vainqueur de Cocherel se voit attribuer tous les biens, titres, privilèges et revenus du comté de Longueville, riche seigneurie normande confisquée à Charles le Mauvais. Avec cet octroi, le capitaine breton se voit élevé au niveau des plus puissants seigneurs de la Cour. En échange, le nouveau comte de Longueville doit confier à son souverain deux de ses prisonniers : Jean de Grailly et Pierre de Sacquenville, seigneur normand partisan du roi de Navarre, ainsi que leurs rançons. Les trésoriers du roi lui versent en compensation l’intégralité des sommes qui lui sont dues pour ses services de guerre.

    Les prisonniers français – hors Gascons – sont décapités en tant que traitres à la cause française, n’ayant pas droit à la libération contre rançon. Charles V entend montrer que la guerre privée est un droit mais qu’il ne saurait y avoir de guerre contre le souverain. Charles le Mauvais, qui a appris sa défaite le 24 mai au soir, signe la paix de Saint-Denis en 1365, où il renonce à ses prétentions au trône de France. Les deux rois parviennent à s’accorder sur un échange : Charles V récupère les possessions navarraises de la basse vallée de la Seine tandis que Charles le Mauvais reçoit Montpellier. Le roi de Navarre est dupé : les Montpelliérains peu enthousiastes refusent de passer sous sa coupe…

    Bibliographie :
    DUPUY, Micheline. Du Guesclin. Perrin, 1999.
    FAVIER, Jean. La guerre de Cent Ans. Fayard, 1980.

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  • Lugdunum Suum V : le film et les photos de la marche

    600 participants pour la 5ème édition de Lugdunum Suum à Lyon.


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    Culture-Lyon

    Pour la cinquième année consécutive, les Lyonnais rendent hommage à la Vierge Marie, protectrice de la ville, avec une montée au flambeau de la colline de Fourvière. L’évènement avait rassemblé près de 600 personnes en 2011.

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