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culture et histoire - Page 2001

  • Après le Printemps arabe, l’Hiver du chaos, de la charia et de la dictature

    Par Marc Rousset, écrivain, économiste, auteur de « La Nouvelle Europe Paris-Berlin-Moscou »

    Les lendemains de la victoire indigne contre Mouammar  Kadhafi menacent de déchanter. Seule l’Afrique du sud aura sauvé l’honneur jusqu’au bout, le vrai coupable étant le clan réformiste de Dmitri Medvedev qui, en s’éloignant de la « Real Politik » de  Vladimir Poutine, en s’abstenant lors de la résolution 1973 qui autorisait le recours à la force pour protéger les populations civiles, aura laissé s’engouffrer dans la brèche l’impérialisme et l’hypocrisie droit de l’hommiste. Dmitri Medevedv ne l’aura donc pas « volé » s’il se retrouve prochainement simple Président du Conseil Constitutionnel de la Russie à Saint Pétersbourg. Moscou a été floué. Paris et Londres ont outrepassé le mandat accordé par les Nations Unies et trahi Medvedev en renversant Kadhafi, sous couvert de « responsabilité de protéger » les civils. Nicolas Sarkozy et David Cameron ont tout simplement pris parti  dans une guerre civile, comme Hitler et Mussolini pendant la guerre d’Espagne. L’intervention cynique de l’Otan aura eu  non seulement pour seul effet d’augmenter le nombre de morts libyens par rapport aux morts virtuels  de Benghazi, mais en plus elle aura eu pour effet, en détruisant l’État libyen, de conduire la Libye vers l’abîme.
    Le Conseil national de transition n’est pas représentatif de la Libye ! Le CNT devra accorder aux rebelles de l’Ouest (la grande tribu arabe des Zintan  du djebel Nefoussa) une place conforme à leur rôle militaire. Les habitants de Misrata, descendants des Turcs, ont pris les armes contre le régime immédiatement après ceux de la Cyrénaïque car la moitié  de la population de Benghazi descend  d’immigrés originaires de Misrata. Le sentiment d’appartenance tribale et non les bobards  démagogiques de Monsieur Bernard Henri Levy au sujet de la démocratie, des droits de l’homme et de la  liberté individuelle,  est la donnée fondamentale de compréhension des réalités libyennes. Il va s’agir de répartir la rente pétrolière en veillant à respecter les équilibres entre tribus et régions, d’où comme en Irak et surtout Somalie le risque de conflits sans fin entre tribus menaçant l’unité et la paix  du pays. L’échiquier libyen est complexe : la région de Bani Walid est le fief des Ouarfalla ; Tarhoufa est le le fief de l’importante confédération tribale des Tarhouna ; Syrte, d’où est originaire Mouammar  Kadhafi  est le fief des Kadhafa ; le Fezzan est le fief des populations kadhafa,magariha, hassouana et touarègues rétribuées et recrutées par le régime ; les habitants de Taourgha manifestent une méfiance ancienne à l’encontre des habitants de Misrata ; la population jaramna de Ghadamès, à la frontière algérienne, est toujours demeurée fidèle au pouvoir. On prend encore mieux conscience du puzzle tribal  lorsqu’on apprend que Mizda, fief des Malachiya et des Aoulad Bou Saif, ainsi que  les oasis d’Aoujila, Waddan,  Houn, Soukna et  Zliten, fief des Aoulad Shaik, se méfient de ceux de Misrata !(1) Il faut savoir enfin qu’en Cyrénaïque, l’État libyen est très marqué par l’existence sous-jacente de mouvements islamistes et de la puissante secte Sénoussie qui avait donné naissance à la première monarchie de 1947. Les Tribus en Tripolitaine considèrent les gens de la Cyrénaïque comme des  péquenauds prenant le pouvoir  et imposant leur  nouveau drapeau (le drapeau de la Cyrénaïque, soit un rectangle noir avec un croissant d’Islam blanc, avec seulement deux bandes supplémentaires, une rouge pour le Fezzan et une verte pour la Tripolitaine. Bref, l’OTAN avec ses bombardements unilatéraux, ses porte-avions et ses hélicoptères  a fait pencher la balance des armes du côté du CNT , sans tenir compte de l’équilibre  des forces  sociologiques propres à la Libye. Les médias  du politiquement correct se sont bien gardés de dire que tous les noirs en Libye, soupçonnés d’être des mercenaires, font l’objet d’exactions de la part des fiers combattants du CNT car cela ne correspondait pas aux  contes de fées  droit de l’hommistes  du  nouveau paysage libyen.
    Dmitri Rogozine, Ambassadeur de la Russie à l’Otan , a admirablement bien résumé la situation en Libye et du Printemps arabe : « Nous ne sommes pas fait d’illusion sur Kadhafi, mais nous ne partageons pas votre vision du monde arabe. Vous pensez que  c’est le rendez-vous de l’islam et de la démocratie. Nous croyons que c’est un choix entre un tyran et Al-Qaïda »(2). De son côté le Ciret (Centre international de recherche et d’étude sur le terrorisme) s’est inquiété , en revenant de Libye, de l’existence d’une tentation islamiste parmi les insurgés. Son rapport dénonçait le projet d’instaurer une charia islamique dans la Libye d’après Kadhafi. Il n’est un secret pour personne que des islamistes radicaux se sont battus dans les rangs rebelles. Abdelhakim Belhadj est devenu le gouverneur militaire de Tripoli, non reconnu par les tribus de l’Ouest  qui ne veulent pas se faire voler leur « victoire ». Capturé par la CIA en 2003,nommé « émir » du Groupe islamique combattant (GICL)libyen, adoubé par Ben Laden en 2007, il est connu pour avoir été proche de Zarqaoui, le chef d’al-Qaida en Irak. Il n’est pas le seul ancien du CICL à avoir été propulsé à un poste militaire de premier plan en Libye Les objectifs démocratiques des pays occidentaux sont du pain bénit pour les Islamistes radicaux, comme cela a failli être le cas en Ouzbékistan si la Russie n’était pas intervenue en 2005  pour mettre en place un dictateur à poigne, Islam Karimov, seul capable d’écarter le danger islamique. La lutte en Libye va, d’ici peu, devenir féroce entre les laïcs et les islamistes. Il est également clair que si le CNT ne parvient pas à démilitariser les milices, ce qui est plus que probable, ni à instituer les conditions de la stabilité et de la sécurité, des conflits lancinants entre tribus apparaitront, tout comme en Somalie ! Voilà où nous conduit la pantomime  démocratique de Nicolas Sarkozy qui, une fois encore, veut  nous faire prendre les vessies libyennes pour des lanternes !
    Tout cela n’est pas sans nous rappeler la Somalie, où après la défaite du groupe islamiste al-Shebab, les luttes chaotiques et violentes ont commencé entre les clans pour savoir qui, après vingt années de conflit, prendra le contrôle du pays. La situation actuelle est la pagaille la plus complète et l’instabilité la plus totale avec la création de vingt mini-États sur-armés non viables qui se disputent le pouvoir dans une ambiance de guerres régionales. On ne peut pas également ne pas penser à l’Irak avec la suppression des institutions solides de Saddam Hussein et l’absence totale  de cohésion entre sunnites et chiites, Arabes et Kurdes. Les Irakiens reprochent  aujourd’hui aux États-Unis  comme demain les Libyens à la France et à la Grande-Bretagne d’avoir mis en pièces leur société et d’envisager de se retirer sans réparer les dégâts, avec en prime  pour enjoliver le tableau la disparition programmée des chrétiens !
    Je reviens  personnellement d’un voyage en Égypte cet été ! Les Égyptiens se fichent comme de l’an 40 de la démocratie ! Ce qu’ils veulent, c’est croûter, comme nous le répétait notre guide copte et comme me l’a montré le cocher d’une calèche à Louxor en attirant mon attention sur son estomac et la maigreur de son cheval ! Or le problème fondamental, même si l’on tord le cou à tous les Moubarak et les oligarques égyptiens de la terre, c’est que l’Égypte, avec sa population de 80 millions d’habitants sur 4% de territoire utile autour du Nil, entouré de toutes parts du désert, n’est pas un pays viable ! Et  cerise sur le gâteau, suite à l’éviction de Hosni Moubarak, le premier ministre égyptien Essam Charaf a jugé que le traité de paix signé en 1979 avec Israël, premier ratifié entre l’Etat hébreu et un pays arabe, n’était pas sacré ! La mise à sac des archives de l’ambassade d’Israël  au Caire, avec destruction d’un mur d’enceinte,  est venue couronner les prémisses du désastre, de la catastrophe monumentale  qui s’annonce ! Tout cela se terminera donc par une nouvelle dictature militaire ou la chape  de fer de la  charia islamique pour ramener l’ordre dans les chaumières, sans remplir les estomacs pour autant !
    Même chose en Libye, mais pays riche par rapport à sa population, contrairement à l’Égypte. Les Libyens veulent avant tout du travail, une bonne éducation pour leurs enfants, de bons  hôpitaux, vivre normalement. C’est ce qu’ils avaient avec Mouammar Kadhafi qui de plus, avait amélioré la condition féminine. Les Libyens, suite aux chimères et rêveries de liberté démocratique risquent bien de tout perdre sans jamais avoir de liberté  individuelle pour autant, les  réalités holistes de la tribu s’imposant à tous. Ils risquent de tout perdre pour leur qualité de vie, avec  en prime des guerres  intestines incessantes et des violences sans fin. Il est fort probable que d’ici peu de temps, les Libyens vont commencer à regretter Kadhafi, nonobstant les haines tribales des gens de Benghazi et de Misrata qui, au mieux feront place aux haines nouvelles des tribus pro-Kadhafi, soit un prêté pour un rendu.
    Quant à la Tunisie, l’impression de gâchis de la  « révolution de jasmin ». est chaque jour plus forte. En 2011, l’insécurité a nettement augmenté ;  les troubles, les grèves augmentent et la fréquentation touristique a baissé de 40% tandis que les recettes baissaient de 50%. La guerre civile avec les islamistes qui tentent de miner les institutions laïques est maintenant possible. De 1990 à 2010, la Tunisie avait augmenté de 3,4% par an sa valeur ajoutée manufacturière par habitant, alors qu’au mieux , elle sera proche de 0% en 2011. L’éviction de Ben Ali est donc une catastrophe pour la Tunisie, même si lui et sa famille s’en mettaient plein les poches ! En  Tunisie, on ne peut pas ne pas penser aux grenouilles qui demandent un roi. La Tunisie connaîtra demain soit une dictature militaire  soit la prise de pouvoir par les islamistes.
    Il est probable que les barbus tunisiens  d’Ennadha et leurs compères égyptiens des Frères musulmans, tout comme leurs compères libyens, attendent le moment propice pour récolter ce qu’une main invisible a semé durant le «  Printemps arabe ». En Libye, le CNT rase dores et déjà gratis ! Le CNT se donne huit mois pour rédiger une constitution s’appuyant sur la charia et non pas sur la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ce qui était le prétexte de l’intervention occidentale ! Et avec  beaucoup de chance, des élections auront lieu après environ 20 mois ! D’ici là, de l’eau aura coulé sous les  ponts dans le désert libyen !  Il semble que, dans le contexte de la Pensée Unique, Nicolas Sarkozy et  les charlatans du Politiquement correct, du Droit de l’Hommisme, de la Démocratie universelle  in abstracto, de l’IrrealPolitik, n’aient pas tenu compte des réalités politiques, historiques, sociologiques et économiques des pays arabes. Il leur suffisait cependant de retenir les leçons du renversement du Shah d’Iran par l’Ayatollah Khomeiny ainsi que du  très difficile  rétablissement  de l’ordre et de la paix par la Russie dans le Caucase,  en Ouzbékistan et en Asie centrale !
    M.Rousset http://www.scriptoblog.com/
    ( 1 ) Libye, les conditions de l’unité nationale, Le Monde diplomatique, septembre 2011, p16
    ( 2 ) Le Figaro du samedi 18 septembre 2010

  • ACTION FRANÇAISE Une histoire intellectuelle

    Nous commençons, à propos de la nouvelle édition de l'ouvrage de François Huguenin consacré à l'Action française, l'évocation d'un siècle d'histoire intellectuelle, d'autant que l'auteur, révisant certains de ses jugements publiés en 1998, les nuance à l'excès, au risque de verser parfois dans l'incohérence.
    IL EST INHABITUEL, nous en avons conscience, d'ouvrir la critique d'un livre, en l'occurrence d'une « édition revue et augmentée », par la critique de la critique... C'est pourtant ce que nous avons fait, sur le site de l'Action française, à propos de la réédition du livre de François Huguenin, À l'École de l'Action française, publiée cet automne sous un titre plus neutre, L'Action française, une histoire intellectuelle. Et nous ne le regrettons pas 1. D'autant que François Sureau, dans Le Figaro littéraire du 9 novembre, semble confirmer le jugement, dépréciatif, de Patrice de Plunkett, que nous avons épinglé 2 : « Peut-être a-t-on exagéré Maurras, et c'est l'immense mérite du livre exigeant et subtil de François Huguenin de le remettre à sa juste place. » Car la même condamnation et, sinon les mêmes contresens, du moins leur expression convergente, ne laissent pas d'interroger. Qu'est donc l'ouvrage de François Huguenin devenu ?
    En 1998, la parution du livre avait été légitimement et unanimement saluée par la critique. D'autant qu'il ne laissait quasiment rien dans l'ombre de la multiplicité de l'influence d'une école de pensée - d'où le titre originel - sur les plans politique évidemment, mais également intellectuel, religieux et spirituel, littéraire, artistique ou géopolitique. Ce balayage de près d'un siècle d'histoire intellectuelle était fait, nous prévenait alors la quatrième de couverture, « sans indulgence ni manichéisme vis-à-vis des errements de l'antisémitisme ou du ralliement de Vichy d'une partie des intellectuels d'Action française ». Aujourd'hui, la quatrième de couverture nous prévient que l'étude est réalisée « sans indulgence vis-à-vis des dévoiements de l'antisémitisme ou du ralliement à Vichy ». Certes, chacun connaît le dicton editore, traditore, mais, tout de même, perce une interrogation majeure : entre 1998 et 2011, François Huguenin serait- il devenu « manichéen » ?
    L'auteur prévient d'emblée : sa nouvelle édition, à ses yeux « définitive », prend non seulement en considération la bibliographie la plus récente, mais développe également « un certain nombre de points qui, à la relecture, [lui] avaient paru insuffisamment traités », notamment « la xénophobie maurrassienne », l'antisémitisme, les relations entre l'Action française et le catholicisme et l'héritage de la pensée réactionnaire (Huguenin ayant écrit entre-temps un ouvrage justement remarqué sur Le Conservatisme impossible), si bien que « la conclusion de ce livre [...] est substantiellement différente de celle [...] livrée en 1998 » (14-15 3). Comment ne pas s'en réjouir, du moins a priori ? D'autant que Huguenin nous prévient avoir fort heureusement « retranché quelques longueurs parfois ». Nous verrons toutefois qu'on n'est jamais si bien trahi que par... sa propre modestie. On comprendra que cette nouvelle « profondeur de champ » fasse l'objet de notre analyse.
    1 – Nous renvoyons à nos deux articles parus sur Internet : http://www.actionfrancaise.net/craf/?PONCIFS-ANTIMAURRASSIENS-1 et http://www.actionfrancaise.net/craf/?PONCIFS-ANTIMAURRASSIENS-II
    2 – Patrice de Plunkett se demande notamment, entre autres amabilités : « Comment expliquer le prestige de Maurras durant les années 1920-1930 ? Que des auteurs de l'envergure de Maritain ou Bernanos aient été "mêlés de si près" à l'histoire de l'Action française, semble une énigme aujourd'hui. »
    3 – Nous mettons entre entre parenthèses le numéro des pages.
    La question de l'antisémitisme, de la xénophobie et du populisme (I)
    FRANÇOIS HUGUENIN n'a pas tort de remarquer d'emblée, car c'est une constatation, non un jugement, que si « l'image de l'Action française est considérablement dégradée depuis cinquante ans, en dépit de son refus viscéral des totalitarismes que d'autres mouvements célébrèrent sans complexe », c'est « pour deux raisons presque successives » : Vichy et l'antisémitisme (11). D'où un nouveau chapitre, sur la « Tunique de Nessus » que constituerait pour l'AF l'antisémitisme maurrassien. Chapitre ô combien douloureux, compte tenu de la tragédie historique. Toutefois, rappelant que pour Maurras l'antisémitisme de peau est un mal (40), et que l'antisémitisme maurrassien est « inassimilable à un antisémitisme biologique à la manière nazie », pourquoi affirmer quelques lignes plus loin que, même replacé dans son époque, le concept de « Juifs bien nés », « dans son ambiguïté même, relativise dangereusement la distinction que l'Action française a toujours voulu prôner entre antisémitisme d'État et antisémitisme de race » (41) ? Comment deux termes « inassimilables » peuvent-ils être relativisés, c'est-à-dire mis en relation et donc rendus semblables à certains égards, c'est là un mystère logique que nous ne saurions résoudre. Peut-on parler de « délire paranoïaque » (42) à propos de Maurras seul quand on avoue aussitôt après, avec justesse, que son antisémitisme était une « vision alors partagée avec les syndicalistes révolutionnaires de l'extrême gauche engagés dans la lutte insurrectionnelle » (ibid.) et que l'on a rappelé auparavant que Clemenceau évoquait, en 1898, « le Juif crasseux » au « nez crochu » (cherchez : vous ne trouverez pas cela chez Maurras), et que Jaurès dénonçait, après Fachoda, « dans l'action juive un cas particulièrement aigu de l'action capitaliste », prônant un « socialisme nuancé d'antisémitisme » (38) ? Du reste, s'appuyant sur Michel Herszlikowicz, il reconnaît peu après « l'irréductibilité de la position maurrassienne au racisme nazi et à ses conséquences immédiatement démoniaques », « jusqu'à l'abandon définitif de tout discours antisémite » par l'Action française (42-3).
    L'enkystement intellectuel de Maurras sur la question de l'antisémitisme est à la fois suffisamment douloureux et réel pour ne pas justifier le soupçon d'être autre que ce qu'il a été : une permanence (ignorée de Bainville, abandonnée par Daudet) d'un héritage multiple du XIXe siècle, dont Pierre Boutang a montré qu'il n'était pas essentiel à la pensée maurrassienne. D'ailleurs Huguenin remarque, dans la première mouture, conservée, de son ouvrage, que « plus la pensée politique de la jeune Action française s'affine, moins l'antisémitisme apparaît » et que la « plupart des antisémites obsessionnels - comme Jules Soury, François de Mahy ou Jules Caplain-Cortambert - ne se convertiront jamais au royalisme » (69-70) : il eût pu tout simplement ajouter le nom de Drumont, Maurras exprimant publiquement en 1903 son désaccord dans La Libre Parole sur le fait que l'antisémitisme pût être la pierre angulaire du redressement national. Drumont mettra autoritairement fin aux articles de Maurras sur le sujet. Alors « délire paranoïaque » ou héritage dépourvu de tout caractère « obsessionnel » ?
    De même, sur la question de la xénophobie et du populisme, le Huguenin nouveau n'évite pas la facilité de mauvais journaliste d'une comparaison avec le... lepénisme (109), se demandant dans un anachronisme qui n'honore jamais l'intelligence, ce que Maurras « aurait exprimé face à l'immigration maghrébine ». Il découvre que, journaliste avant tout, son « discours [...] entremêle, notamment dans les articles du quotidien, un niveau de discours quasi populiste et une réflexion souvent beaucoup plus distanciée de l'événement », ce qui « crée une confusion dont nous avons encore du mal à sortir »... Huguenin n'interroge pas le mot "populiste" dont les résonances en ce début de XXIe siècle ne sont pas les mêmes qu'à la fin du XIXe ou au début du XXe siècle. Mais l'anachronisme, mêlé d'une étonnante ignorance, atteint un sommet lorsqu'il reproche à Maurras d'avoir employé le mot "métèque", « qui renvoie également à une insulte courante, liée au délit de faciès » (109), alors même que c'est Maurras qui, dans La Cocarde de Barrès, en 1894, fut... le premier à l'employer en français moderne ! Il ne s'agissait donc pas pour Maurras de reprendre « une insulte courante », mais d'observer, comme il le dira par la suite, que « la République française était sans défense contre ces hôtes [sens du mot métèque : celui qui vit sous le même toit que le citoyen], car ils s'y rendent maîtres de l'Etat dénationalisé » (L'Action Française quotidienne, 6 mars 1927).
    L'auteur "revu et augmenté" oublie également un peu vite que le journalisme, avec ses exigences et contraintes, est un acte politique par excellence pour Maurras, qui avait à ce point conscience de cette difficulté, inhérente au combat quotidien, qu'il tirait - ou faisait tirer - de ses articles des recueils permettant précisément de dégager les « lignes de force » de ses... Politiques. Aussi est-il un peu convenu et décevant de conclure que ce que Maurras énonce serait « une peur », « celle de voir le lieu du vivre ensemble se disloquer et, du coup, se retrouver face à la solitude existentielle de tout son être »... Ces anachronismes bien pensants, ce psychologisme de pacotille sont-il dignes de François Huguenin ? Ils ne l'auraient pas été, en tout cas, de celui de 1998. Du reste, reprenant son ouvrage antérieur, ne reconnaît-il pas, trois pages plus loin, que « l'Action française, dès 1902, se rallie à la conclusion monarchiste de Maurras et s'affranchit du vieux fond de nationalisme populiste » (112, réitéré 113) ? Là encore, les deux vêtements, l'ancien et le nouveau, cousus maladroitement ensemble, jurent...
    À suivre.
    Axel Tisserand L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 1er au 14 décembre 2011
    ✓ François Huguenin, L'Action française, Perrin-Tempus, 686 p., 12 €,

  • Julius Evola : Un traditionaliste européen révolté contre le monde moderne

    Il y a trente-cinq ans disparaissait Julius Evola. La réédition de son ouvrage capital, Révolte contre le monde moderne ainsi que la publication d'un Guide des citations sont l'occasion de revenir sur l'oeuvre de l'un des plus grands penseurs de la Tradition.

    Contrairement à ce que prétendent certaines rumeurs malveillantes, Julius Evola ne fut ni un fasciste classique, ni un nazi dissimulé. Il a toujours rejeté le totalitarisme et défendu le principe d’organicité. Ennemi des démocraties capitalistes et des régimes communistes qu'il jugeait comme des enfants abâtardis du monde moderne, il ne peut pas être considéré non plus comme un nationaliste, tant le nationalisme lui apparaissait comme un phénomène individualiste et prométhéen, négateur des identités traditionnelles.
    Défenseur de l'Empire vrai, c'est-à-dire de l'organisation politico-religieuse et sociale qui combine l'unité par le haut (légitimité sacrale et européenne) à la diversité par le bas (communautés populaires enracinées), Evola stigmatisait l'égoïsme national ainsi que le cosmopolitisme de masse. Il était favorable à la fédération impériale, pas à l'unification nationale ; à la multiplicité culturelle englobée par une unité spirituelle, pas à l'interchangeabilité d'éléments mélangés au sein d'un espace indistinct ; à la différence comme spécificité de chacun, pas à la ressemblance comme égalité de tous.
    Il souhaitait un pouvoir spiritualisé et différencié qui s'acquerrait grâce à la vigilance d'une élite traditionaliste-révolutionnnaire d'avant-garde. Sans d'ailleurs trop préciser comment pourrait se matérialiser et à quelle religion devraient adhérer les militants d'une telle élite. Et pour cause, il se voulait au-dessus des formes religieuses.
    Antibourgeois d'abord !
    Né à Rome, dans une famille de la petite noblesse sicilienne, le 19 mai 1898, Giulio Cesare Andréa Evola (il adoptera le prénom de Julius par admiration pour l'Antiquité romaine) reste une figure capitale de la droite radicale et traditionaliste européenne. Tour à tour élève-ingénieur, lecteur passionné de philosophie, officier d'artillerie sur le front durant la Première Guerre mondiale, il s'intéresse de très près, les événements terminés, aux mouvements artistiques, dont le dadaïsme. Pour la petite histoire, il se peignait les ongles en vert lorsqu'il se rendait dans certaines soirées, souci de singularité aristocratique, qui nous renvoie, dans les années 50, au port de son énigmatique monocle.
    Insurgé contre le monde bourgeois, Evola s'interroge à cette époque sur la morne condition existentielle de l'homme moderne. Son premier ouvrage, Le yoga tantrique, paraît en 1926. À son propos, Marguerite Yourcenar écrira plus tard avec euphorie : « J'acquis là un de ces ouvrages qui pendant des années vous alimente et jusqu'à un certain point vous transporte ». Il reviendra en 1958 sur le sujet, avec Métaphysique du Sexe, l'un de ses livres les plus importants, fustigeant aussi bien le puritanisme bourgeois que le pansexualisme hédoniste et le féminisme égalitaire, indifférencié et déliquescent.
    Critique vis-à-vis du fascisme, Evola croit pourtant à la nécessité de l'orienter positivement selon sa propre pensée. Il rencontre deux fois Benito Mussolini. À cette époque, à la fin des années 20, au moment de la signature des accords du Latran entre le Duce et le clergé italien, il se réclame d'un paganisme antichrétien très poussé, sur lequel il reviendra plus tard, à la lumière notamment des écrits de René Guenon. La Rome antique et le Moyen-Âge représentent les deux périodes de l'histoire auxquelles le Baron se réfère idéalement d'un point de vue historique, militant en faveur d'un retour à un paganisme olympien.
    La Tradition hermétique (1931), Masques et visages du spiritualisme contemporain (1933), Le Mystère du Graal et l'idée impériale gibeline (1937), font partie des ouvrages illustrant à merveille la vision évolienne du monde qui se présente comme puissante, guerrière et ascétique. Evola devient aussi un alpiniste de haut niveau. Dans son ouvrage, Méditations du haut des cimes, paru en 1974, il montre bien que le courage et l'effort constituent autant d'épreuves pour atteindre le sommet en partant de la base. Monter de la Terre vers le Ciel. Cette conception élévatrice et transcendantale, nietzschéenne à plus d'un titre, s'adresse à « l'homme différencié », seul capable de la vivre.
    Révolte contre le monde moderne
    L'ouvrage le plus important selon Evola, Révolte contre le monde moderne, paraît en 1934. Il l'a rédigé à destination de l'homme de Tradition en lutte contre la modernité avilissante. Cette anthropologie spirituelle et morphologie historique nous indiquent les valeurs traditionnelles à défendre (honneur, devoir, volonté, connaissance, hiérarchie, mesure, élévation intérieure, sacrifice) et les principes modernistes à pourfendre («piraterie capitaliste» américaine et flibusterie bolchevique, esprit bourgeois quantitatif et individualisme calculateur, matérialisme laïc desséchant et culte du travail standardisant). Révolte contre le monde moderne critique radicalement la société occidentale à partir de la Renaissance, période identifiée à l'humanisme anthropomorphe où l'homme est un être au centre du monde, fustigeant aussi le nationalisme - qu'Evola distingue des nationalités - qui trouve sa source historique à partir de Philippe le Bel jusqu'à la paroxysmique Révolution française, où le processus d'homogénéisation s'accélère.
    Durant la Seconde Guerre mondiale, Evola, se trouvant à Vienne, écrit La doctrine de l'éveil (1943), ouvrage d'apologétique bouddhique. Lors d'un bombardement aérien, refusant comme toujours de se cacher sous les abris, il échappe de peu à la mort : « Ne pas esquiver et même rechercher le danger quasiment dans le sens d'une silencieuse interrogation du destin », répétait-il couramment. Il sort de cette guerre paralysé de ses membres inférieurs, ne pouvant plus se déplacer qu'en chaise roulante. Soutenant l'Axe jusqu'à la fin du conflit, y compris pendant la République de Salo, il considère les forces alliées, celles du futur pacte de Yalta, comme prioritairement ennemies. Il n'en reste pas moins un vigoureux critique du racisme biologique hitlérien et de l'étatisme collectiviste fasciste. Le fascisme vu de droite (1963) confirmera, plus tard, cette vision d'un fascisme contre-révolutionnaire et traditionaliste européen intégral.
    Une après-guerre parmi les ruines
    Evola rentre à Rome en 1948. Son activité livresque et journalistique ne cesse de croître. Il est jugé dans un procès inique en 1951 et se voit accuser d'être l'inspirateur d'une « reconstitution du parti fasciste » et d'un « terrorisme noir ». Il ne fait aucune concession aux instances démocratiques bourgeoises italiennes, tout en affirmant haut et fort qu'il est « contre le totalitarisme ». Cinq ans plus tard, paraît un livre politique essentiel, en direction des jeunes milieux anticonformistes de droite, Les hommes au milieu des ruines (1953). Julius Evola s'y emploie à donner une doctrine contre-révolutionnaire intégrale face au libéralisme bourgeois et au socialisme marxiste en vogue. Si cet ouvrage n'a aucune incidence sur les instances dirigeantes du mouvement néo-fasciste (MSI), il exerce une influence indéniable sur la jeunesse radicale droitiste. Evola s'adresse aux militants et activistes intelligents, en s'illusionnant sur les possibilités de renverser le régime avec le soutien des « corps sains » de la nation (police, armée, etc.) contre la subversion progressiste.
    Au début des années soixante, il enjoint l'élite traditionnelle dans Chevaucher le tigre (1961) à ne rien sauver, sinon soi-même d'abord, en attendant activement la fin du cycle de l'Age sombre présent. Cette conception cyclique ne doit pas engendrer le pessimisme, la résignation ou la violence terroriste récupérée par le système - comme cela a pu être le cas. Certes, Chevaucher le tigre est une bombe, mais une bombe pour soi-même, afin de dynamiter ses aigreurs, son amertume, son narcissisme. En effet, que signifie, cette expression extrême-orientale ? Elle exprime l'idée qu'il faut empêcher le tigre, c'est-à-dire les forces de dissolution, de vous sauter à la gorge, en enfourchant l'animal pour arriver finalement à bout de lui. L'homme de Tradition doit ainsi ne pas fuir le danger (le tigre), mais le braver (le chevaucher) pour l'annuler (le domestiquer).
    On possède très peu d'informations sur la vie d'Evola. Le chemin du Cinabre (1963) représente ses mémoires autobibliographiques. Leur auteur a toujours cultivé « l'impersonnalité active ». Mort le 11 juin 1974, à son domicile du Corso Vittorio Emanuele à Rome, son corps est incinéré selon ses volontés et ses cendres dispersées sur un glacier au Mont-Rose, qu'il avait arpenté durant ses périples alpestres.     
    Arnaud Guyot-Jeannin Le Choc du Mois, juillet 2010
    Révolte contre le monde moderne, L'Age d'Homme/Guy Trédaniel, 457 p., 25 €.
    9 Guides des citations, réunies et classées par Antoine Dectot de Christen, Pardès, 127 p,14€.
    Evola, envers et contre tous, collectif dirigé par Thierry Jolif, Avatar éditions, 200 p., 20 €.

  • Vous avez dit «civilisations» ?...

    À Paris, le ministre de l’Intérieur Claude Guéant a déclaré le 4 février 2012, devant des représentants d’une association étudiante : «Contrairement à ce que dit l'idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas (…). Celles qui défendent l'humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient. Celles qui défendent la liberté, l'égalité et la fraternité, nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique».

     

    Le propos a fait polémique en raison du flou qui entoure le mot «civilisations» (au pluriel). Que recouvre ce mot, que le ministre français a employé sciemment en lieu et place du mot «sociétés» ?

     

     

    Pour nous éclairer, nous nous sommes tournés vers nos grands ancêtres et vers l’un des historiens les plus illustres du XXe siècle, le britannique Arnold Toynbee (1889-1975), auteur d’une Étude de l’Histoire en 12 volumes. Ainsi comprendrons-nous un peu mieux notre monde, au passé, au présent et au futur.

     

    André Larané, avec la contribution d'Isabelle Grégor

     

     

    Pas de «civilisation» avant le XVIIIe siècle !

     

    Bien que d’apparence commune, le mot «civilisation» n’a que trois siècles d’existence. Il est issu du latin civis, c'est-à-dire citoyen, et de civitas, qui désigne la cité, autrement dit l’ensemble des citoyens. Il apparaît d’abord dans le vocabulaire juridique pour désigner le fait de rendre civile une matière criminelle.

     

    Au siècle des Lumières, il commence à se montrer dans un sens moderne. On le repère en 1758 dans L’Ami des Hommes, un essai politique de Victor Riqueti de Mirabeau, le père du tribun révolutionnaire : «C'est la religion le premier ressort de la civilisation», c'est-à-dire qui rend les hommes plus aptes à vivre ensemble.

     

    On le retrouve en 1770 dans L’Histoire des Deux Indes, un ouvrage majeur du siècle des Lumières, attribué à l’abbé de Raynal et plus probablement à Diderot : «La civilisation d'un empire est un ouvrage long et difficile».

     

    Dans cet ouvrage, le mot «civilisation» est employé comme synonyme de «rendre policé» (de polis, cité en grec). Il exprime le processus qui permet aux hommes de s’élever au-dessus de l’état de nature, en corrélation avec le développement des villes. À ce propos, il n’est pas anodin d’observer que les adjectifs apparentés «civilisé», «policé» et «urbain» (au sens d’urbanité) viennent de mots latins ou grecs qui désignent tous la ville ou la cité : civitas, polis, urbs.

     

    En 1795, à la fin de la Révolution, le mot civilisation a les honneurs du dictionnaire de l'Académie française avec la définition suivante : «Action de civiliser, ou état de ce qui est civilisé».

     

    L'édition de 1872 est plus précise : «État de ce qui est civilisé, c'est-à-dire ensemble des opinions et des mœurs qui résulte de l'action réciproque des arts industriels, de la religion, des beaux-arts et des sciences». Elle ne porte pas de jugement de valeur ni n’établit de comparaison entre différentes formes de civilisations.

     

    Le barbare n'est pas celui qu'on croit...

     

    Les jugements de valeur ont longtemps été étrangers à la pensée occidentale. Quand les anciens Grecs inventent le mot barbare, il s’agit simplement d'une onomatopée par laquelle ils désignent les gens qui ne parlent pas leur langue.

     

    Le sens du mot évolue à la fin de l’Antiquité quand, choqués par la violence des invasions germaniques, les Romains commencent à opposer sauvagerie et civilisation (humanitas). Le mot barbare prend alors une consonance péjorative en désignant l'ensemble des peuples hostiles qui vivent aux confins de l'empire.

     

    Mais les Romains et leurs héritiers, chrétiens à l’ouest, majoritairement musulmans à l’est, demeurent étrangers aux jugements de valeur et plus encore aux catégories raciales. Au Moyen Âge, pour les disciples du Christ comme pour ceux de Mahomet, tous les hommes ont vocation à rejoindre leur foi.

     

    À ce propos, retenons l’observation ironique d’Arnold Toynbee, publiée en 1972 : «Au lieu de diviser l’humanité comme nous le faisons, en hommes de race blanche et en hommes de couleur, nos ancêtres les divisaient en chrétiens et en païens. Nous ne pouvons manquer d’avouer que leur dichotomie valait mieux que la nôtre tant sur le plan de l’esprit que de la morale» (L’Histoire, Elsevier, 1972, traduction : 1978).

     

    Curieux de tout, les Européens du Moyen Âge, une fois qu’ils ont fait le tour de leur monde imaginaire (bestiaire, gargouilles…), s’échappent de l’étroite «fin de terre» dans laquelle ils sont piégés. Ils empruntent la seule voie qui leur est ouverte, la voie océanique, et ainsi découvrent «monter en un ciel ignoré/Du fond de l’Océan des étoiles nouvelles» (José Maria de Heredia).

     

    La rencontre avec les peuples du Nouveau Monde est brutale, d’autant plus meurtrière que s’immisce le fléau des épidémies. Elle révèle aussi aux Européens l’infinie diversité de la condition humaine : «Mais quoi, ils ne portent point de hauts-de-chausses !» Cette réflexion amusée conclut le passage des Essais rédigé par Montaigne après sa rencontre avec trois Indiens du Brésil, à Rouen, en 1562.

     

     

    Montaigne ne s’en tient pas là. Décrivant les mœurs cruelles des «cannibales», il ajoute : «Je trouve, pour revenir à mon propos, qu’il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu’on m’en a rapporté : sinon que chacun appelle barbarie, ce qui n’est pas de son usage». Et précise : «Je pense qu’il y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu’à le manger mort, à déchirer par tourments et par géhennes, un corps encore plein de sentiment, à le faire rôtir par le menu».

     

    La critique vise ses contemporains qui se déchirent dans les guerres de religion. Montaigne les amène à réfléchir sur leur conduite par une mise en parallèle avec une autre conduite, le cannibalisme, que son éloignement permet d’observer avec détachement. Cette démarche sera reprise un siècle plus tard par Montesquieu dans les Lettres persanes. Ses deux héros, Usbek et Rica, par leur questionnement sur la société française, amènent les lecteurs à remettre en question leurs certitudes.

     

    Pour ces penseurs éclairés, il s’agit non pas de condamner ou réprouver mais simplement de faire progresser des pratiques figées dans l’habitude et la routine.

     

    En prévenant les Occidentaux contre le péché d’arrogance et le sentiment qu’ils n’ont rien à apprendre de quiconque, l’ouverture aux sociétés étrangères devient un moteur de l’innovation. Elle s’avère efficace si l’on en juge par la liste des emprunts étrangers dans les sociétés de la Renaissance et du siècle des Lumières, depuis le tabac, originaire du Brésil, jusqu’au recrutement des hauts fonctionnaires par concours, selon la pratique chinoise du mandarinat.

     

    L'Autre sous le projecteur des Lumières

     

    Les Lumières ont su aussi observer les autres peuples, tantôt avec dégoût ou admiration, toujours avec étonnement. C'est le temps des grands voyages d'exploration à but non plus uniquement militaire ou commercial mais également scientifique. Les circumnavigateurs (Bougainville, Cook, Lapérouse...) s'empressent de coucher dans leurs carnets de route leurs observations sur les peuples rencontrés, bien conscients qu’elles allaient être épluchées par les grands esprits de l'époque.

     

    Le XVIIIe siècle est en effet celui de l'étude de l'Homme, à la fois dans sa singularité et dans sa diversité.

     

    Les voyageurs croient trouver au-delà des mers l'«état de nature» décrit par Rousseau de façon purement théorique : les Tahitiens ne sont-ils pas de «bons sauvages» vivant dans un pays paradisiaque et ignorant la propriété, la violence, le besoin ? Malgré les mises au point de Bougainville puis de Diderot, le mythe prend de l'ampleur, faisant des Polynésiens les représentants d'une humanité primitive idéale.

     

     Cette empathie pour l’Autre se prolonge jusqu’à la moitié du XIXe siècle. Ainsi en attestent les peintures de la société algérienne par Fromentin et Delacroix et les écrits de voyageurs en Orient, de Chateaubriand à Nerval. On la retrouve aussi dans la lutte pour l’abolition de l’esclavage.

     

    Cette ignominie est venue du contact entre Méditerranéens de tous bords sur les marchés du Maghreb et de l’Orient au XVe siècle. Quand ils ont voulu exploiter les terres du Nouveau Monde, Espagnols et Portugais y ont tout naturellement transporté le système des grandes plantations sucrières esclavagistes qu’ils avaient découvert en Orient. Les Anglais ont pris le relais et, pour se protéger du risque de se dissoudre dans le métissage face à un flux grandissant d’Africains, ont érigé au XVIIe siècle la barrière du racisme.

     

    Mais en Europe même, l’esclavage a été condamné par le pape dès le XVe siècle et le racisme n’a jamais eu de prise sur la société jusque dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Le mouvement en faveur de son abolition débute bien avant la Révolution. L’abbé de Raynal, dans l’Histoire des Deux Indes déjà citée, en appelle à un nouveau Spartacus. Dès son avènement, le jeune roi Louis XVI demande à Turgot d’abolir cette institution mais il doit reculer devant les menaces des planteurs. À l’ouverture des états généraux, en 1789, il récidive et par la voix de son ministre Necker, émet le vœu qu’il y soit mis fin.

     

    L’on commence aussi au XVIIIe siècle à cultiver le désir de policer les sociétés «sauvages» et les amener à la civilisation. L’Europe se passionne pour l'expérience menée par les Jésuites au Paraguay, au cœur du continent sud-américain, où ils ont rassemblé les Indiens dans des communautés paisibles et ordonnées : «Rien ne fait plus honneur à la religion que d'avoir civilisé ces nations», dit le naturaliste Buffon, admiratif devant les résultats des missions religieuses.

     

    Peuples océaniens, in Meyer Konversation Lexikon, 1897

     

    Quand la science s'en mêle

     

    Le siècle des Lumières est aussi le siècle de la raison et de la science. Dans L’Esprit des Lois (1748), Montesquieu emprunte au grec Hippocrate la «théorie des climats» pour expliquer de façon «rationnelle» les différences entre les sociétés humaines : «Les peuples des pays chauds sont timides comme les vieillards le sont ; ceux des pays froids sont courageux comme le sont les jeunes gens (…)». On entre ici dans le jugement de valeur.

     

    Dans son Histoire naturelle, qu’il écrit à partir de 1749, Buffon traite du règne animal. Comme le botaniste suédois Linné, il se pique de mettre en fiches la Nature. Travail utile. Mais il n'oublie pas l'homme et effectue une étude approfondie des «Variétés dans l'espèce humaine». L'homme, qui se distingue de l'animal par sa capacité à réfléchir, lui est aussi supérieur par son désir de créer des sociétés et de les développer. Mais si l'homme est unique, ajoute Buffon, il varie en fonction de la couleur, de la taille et des mœurs. Certains représentants «paraissent avoir dégénéré de l'espèce humaine», notamment à cause des conditions climatiques, de la nourriture et des coutumes. Pour s'améliorer, l'homme doit donc être capable de se détacher de son milieu naturel.

     

    C'est pourquoi, pour Buffon, on trouve au sommet les peuples d'Europe «policés», sociables, capables de développement, puis au bas de l'échelle les groupes américains «grossiers», «brutes», vivant nus en pleine nature, y compris sous les climats rigoureux (Fuégiens). Pour asseoir sa réflexion, le savant se base sur une différence des cultures et non des corps : le degré de perfection des sociétés se mesure à l’éloignement par rapport à «l'état de nature» en prenant toujours comme repère idéal la société européenne.

     

    L’aboutissement de ces travaux de classification, c’est d'abord en 1854 la publication par le comte de Gobineau de l'Essai sur l'inégalité des races humaines (tout est dit dans le titre) puis, en 1859, la publication de L’Origine des Espèces. Cette théorie de la sélection naturelle, exposée avec brio par Charles Darwin, est pleinement acceptée par l'opinion publique qui y voit le fondement de ses conceptions politiques et sociales, alors que triomphent le libéralisme et la foi dans le progrès, sur fond d'agnosticisme.

     

     L’Europe est alors au sommet de sa puissance et ses élites ne doutent plus de la supériorité de «leur» civilisation. Le mot lui-même se décline désormais au pluriel et l’on regarde avec condescendance ou mépris les autres grandes civilisations universelles qui, au même moment, sont au plus mal, qu’il s’agisse des Indes, de la Chine ou des empires musulmans, pour ne rien dire de l’Afrique. Leurs différences et leur retard paraissent trop grands pour qu’elles puissent un jour rattraper l’Occident.

     

    Revenus de leurs illusions après le cataclysme de la Grande Guerre, les Européens prêtent davantage d’attention aux travaux des pionniers en ethnologie et anthropologie qui mettent en évidence la richesse symbolique des sociétés dites primitives. Les préhistoriens montrent que le génie inventif de Cro-Magnon supporte la comparaison avec celui de l’Occidental.

     

    La psychanalyse donne à penser, suprême humiliation, que les performances de nos sociétés seraient le fruit de nos frustrations. C’est en tout cas ce qu’affirme Sigmund Freund en 1929 dans Malaise dans la civilisation (en allemand : Das Unbehagen in der Kultur).

     

    Après la Seconde Guerre mondiale et ses horreurs, l’ethnologue Claude Lévi-Strauss en rajoute en réduisant les différences entre les sociétés humaines à des variations de structures élémentaires (préférences matrimoniales…).

     

    Plus fort que tout, bien sûr, le formidable rattrapage de l’Occident par le Japon, la Chine, l’Inde et quelques pays musulmans renvoie aux oubliettes l’arrogance passée de la bourgeoisie européenne. Il remet en selle la vision d’un monde multipolaire, fragmenté entre plusieurs aires de civilisation. Fragmenté ou soudé ?

     

    Une civilisation mondialisée ?

     

    Héritier de l’historiographie européenne du XIXe siècle, Arnold Toynbee a consacré sa vie à disséquer les civilisations. Comment se définissent-elles ? Comment grandissent-elles et meurent-elles ?

     

     L’historien en a recensé une trentaine au cours des cinq millénaires qui se sont écoulés depuis l’apparition des premières cités-États, dont plusieurs qui ont avorté. Par exemple la civilisation nestorienne, issu d’un rameau oriental du christianisme : elle était sur le point de séduire l’Asie centrale quand elle a été détruite par l’irruption de l’islam.

     

    Parmi les civilisations les plus durables, il y a la civilisation chinoise et ses satellites : les civilisations vietnamienne, coréenne et japonaise ; la civilisation occidentale et la civilisation orthodoxe, la civilisation russe, cousine de la précédente ; la civilisation pharaonique et la civilisation hellénique, qui a réuni la Grèce et Rome… C’est beaucoup moins que le nombre de cultures et de sociétés.

     

    La distinction entre civilisation, culture et société ne va pas de soi. Le concept de «culture» est issu du mouvement romantique allemand ; il désigne tout ce qui fait l’essence d’une société humaine : langue, mœurs, habitudes, rites et souvenirs communs…

     

    Au sein d’une civilisation peuvent cohabiter plusieurs variantes culturelles. Arnold Toynbee définit une «civilisation» comme «un champ intelligible d’études historiques». Ainsi l’Angleterre a une culture propre, avec sa langue, ses rituels sportifs et sa gastronomie particulière, son humour so british, mais elle ne constitue pas pour autant une civilisation parce que son Histoire est incompréhensible si on ne la relie pas à celle de ses voisins européens.

     

    Toynbee n’en admet pas moins des affinités et des passerelles plus ou moins intenses entre les civilisations elles-mêmes. Ainsi entre la civilisation occidentale, la civilisation orthodoxe et la civilisation islamique, toutes les trois issues de ce qu’il appelle le rameau syro-hellénique (pensée grecque et monothéismes orientaux).

     

    On peut porter un jugement de valeur sur une société et considérer par exemple que la société fédérale allemande est plus estimable que la société hitlérienne. On le peut d’autant mieux qu’une société se définit par des choix politiques (au sens large) et que tout individu est en mesure de récuser ceux-ci, par la révolte ou la fuite.

     

    Il n’en va pas de même d’une civilisation ou d’une culture, qui sont partie intégrante de chaque individu. Dès les premiers jours de l’existence, nous sommes imprégnés par la langue, les bruits, les odeurs, les couleurs et les rituels de notre culture. Nous ne pouvons nous en défaire mais nous pouvons l’enrichir de notre expérience.

     

    Un pays comme la France peut faire bon accueil au couscous et accepter la préférence d'une fraction de ses habitants pour la nourriture halal ou kasher. Il est par contre impensable - sauf à se mutiler - qu'elle mette à l'index les fêtes et traditions issues de son héritage chrétien ou encore les paroles de la Marseillaise, si rudes qu'elles nous paraissent.

     

    En ce XXIe siècle mondialisé, peut-on concevoir que se forge une civilisation planétaire ? L’idée est suggérée par certains penseurs mais l’analyse des échanges et des mentalités permet d’en douter.

     

    À mesure que se précise le rattrapage économique de l’Occident par l’Extrême-Orient, ce dernier se redéfinit comme un monde clos : la mer de Chine devient un foyer d’échanges privilégié entre Japon, Chine et Corées, à l’égal de la mer du Nord pour l’Europe, et ces deux extrémités de l'Eurasie tendent à se tourner le dos. Le sous-continent indien a quant à lui toujours conservé son identité ; il limite ses échanges avec l'extérieur et vit en quasi-autarcie. 

     

    Si l’on regarde sur un planisphère les pays qui mettent en avant les droits des homosexuels ou abolissent la peine de mort, ils coïncident à quelques exceptions près avec l’ancien monde européen (Europe, Amériques, Océanie), preuve que les idées politiques elles-mêmes ont une universalité toute relative. Enfin, le rêve d'un idiome universel, le «globish», version appauvrie de l’anglo-américain, ne devrait pas survivre au déclin des États-Unis.

     

    Conclusion très provisoire

     

    Les différentes civilisations de ce IIIe millénaire n'ont sans doute pas dit leur dernier mot. 

     

    La civilisation chinoise et ses satellites (Japon, Corée...) montrent une étonnante capacité à se maintenir envers et contre tout (invasions, guerres civiles, cataclysmes et infécondité...), sans doute grâce à des anticorps que l'on appelle de ce côté-ci de la planète ethnocentrisme

     

    C'est ce que donne à croire l'historien Serge Gruzinski (L'Aigle et le Dragon, Fayard, 2012) dans un entretien au Nouvel Observateur (9 février 2012) : «(...) les Chinois n'éprouvaient aucun intérêt ni attirance pour l'étranger, qu'il soit européen ou mongol (...). Par l'intermédiaire de leur bureaucratie tentaculaire et xénophobe, les Chinois se sont constitués de formidables défenses immunitaires contre les Portugais. En revanche, l'empereur aztèque Moctezuma est tombé dans le piège de sa curiosité envers l'"autre" castillan, le conquistador, arrivé par bateau de nulle part. Moctezuma a accordé une place à l'étranger et cela lui fut fatal».

     

    Largement ouverte aux influences étrangères (invasions islamo-mongoles, colonisation britannique), la civilisation indienne a quant à elle su les digérer sans rien perdre de son identité plurimillénaire.

     

    Paul Valéry (1871-1945)La civilisation occidentale, moins ancienne que les précédentes puisqu'elle n'a que dix à quinze siècles d'existence, aura-t-elle la même capacité de résistance que l'Extrême-Orient, tirera-t-elle de nouveaux profits de son ouverture au monde comme les Indes, ou succombera-t-elle à sa curiosité insatiable comme le Mexique des Aztèques ?

     

    Nul ne peut le dire mais l'on peut conclure sans trop de risque sur une antienne : «Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d'empires coulés à pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins ; descendus au fond inexplorable des siècles avec leurs dieux et leurs lois, leurs académies et leurs sciences pures et appliquées (...). Tout ne s'est pas perdu mais tout s'est senti périr. Un frisson extraordinaire a couru la moelle de l'Europe (...)». Publié en avril 1919 dans La Crise de l'esprit, ce texte a été inspiré à Paul Valéry par la catastrophe de la Grande Guerre. http://www.herodote.net

     

  • Anne Kling : « Dès les années 70, la Licra va systématiquement soutenir l'immigration de peuplement arabo-musulmane »

    RIVAROL : Anne Kling, vous intervenez à la journée de Terre et Peuple, sur le thème des lobbys qui prétendent diriger la France, et vous êtes l'auteur de trois livres remarqués, consacrés à la Liera, au Crif et aux révolutionnaires juifs. Dites-nous quel est votre cheminement intellectuel et politique ?
    Anne KLING : Je ne suis absolument pas issue de ce que d'aucuns appellent « l'extrême-droite ». J'avais été suppléante au titre du RPR du député UDF strasbourgeois Harry Lapp. Je fus ensuite responsable de La Droite de Charles Millon, à Strasbourg. C'est dans le cadre de la préparation  d'élections  municipales à Strasbourg que mes ennuis commencèrent, et par là, ma prise de conscience. J'avais décidé de faire équipe avec Robert Spieler, alors président d'Alsace d'Abord et j'avais rédigé un tract, au titre d'une association que j'avais créée, où je liais immigration et insécurité. La Licra me traina devant les tribunaux, mais je fus relaxée. C'était ma première rencontre avec l'officine... Par la suite, un autre tract me valut de sérieux ennuis professionnels. J'étais fonctionnaire au Conseil de l'Europe, dont la Turquie fait partie, et j'avais eu l'outrecuidance de lancer une pétition contre l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne. Je considérai que c'était là mon droit le plus strict, en tant que citoyenne. Le secrétaire général du Conseil de l'Europe ne l'entendit pas ainsi et enclencha une procédure disciplinaire en vue de mon licenciement. J'avais décidé de me battre. Les tribunaux français n'étant pas compétents, j'ai obligé le Conseil de l'Europe à réunir un tribunal administratif international pour juger mon cas. C'était, à ma connaissance, la première fois que cela se produisait. Je finis, après quelques péripéties, par obtenir en grande partie gain de cause. J'ai certes terminé ma vie professionnelle dans un placard, mais je ne m'en suis pas plainte. Cela m'a donné du temps pour réfléchir à l'écriture de mes livres !
    R. : Pourquoi avez-vous décidé de consacrer un livre à la Licra, et un autre au Crif ?
    A. K. : Le Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) et la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme) sont peu connus du grand public. Il suffit de demander autour de soi ce que ces sigles signifient pour s'en rendre compte facilement.
    Et même dans nos rangs, si l'on sait en général un peu mieux ce dont il est question, beaucoup ignorent l'étendue réelle du rayon d'action de ces officines. Leur puissance et leur capacité d'influence dans un grand nombre de domaines importants de la vie politique française, comme la justice, l'éducation nationale, la promotion de l'immigration arabo-musulmane.
    Et donc on méconnaît généralement leur forte responsabilité dans la situation très dégradée de la France d'aujourd'hui. Jusqu'il y a une dizaine d'années, le CRIF qui se qualifie lui-même de porte-parole politique de la communauté juive de France auprès des pouvoirs publics, était occulté, dans les média surtout, par la puissante Licra. C'est la Licra qui jouait en matière de lutte « contre le racisme et l'antisémitisme » le rôle de bras armé et veillait jalousement à l'orthodoxie de la vie politique française. C'est qu'un renvoi en correctionnelle, une excommunication sur la place publique, un tabou jeté sur tel ou tel, étaient vite arrivés.
    Et leur seule perspective suffisait à tenir en laisse une classe politique particulièrement docile. Mais les circonstances ont évolué depuis le début des années 2000 et la Licra, qui est toujours là et bien là, apparaît aujourd'hui en retrait derrière le CRIF qui tient à présent le haut du pavé et de l'affiche. Bien sûr, pour s'en apercevoir, il faut s'intéresser de près au fonctionnement de la vie politique du pays. Encore une fois, le grand public n'a pas conscience de la réalité et de la puissance de ces courants souterrains.
    Car les média du système se gardent bien d'attirer son attention sur une situation qui pourrait finir par paraître bizarre. Tout est fait au contraire pour éluder le sujet et ceux qui persistent à se poser trop de questions sont généralement réduits au silence par l'accusation absolument terrifiante d'antisémitisme.
    Celle qui vous rejette illico en dehors de l'humanité et vous précipite aux enfers. Car il faut savoir que l'"antisémitisme" est actuellement le seul péché mortel encore existant.
    R. : Parlez-nous des origines de la Licra ?
    A. K. : La Licra est l'officine la plus ancienne et a longtemps été la plus puissante. C'est elle qui a le plus fortement contribué à façonner le visage de la France d'aujourd'hui..Car elle a très fortement ; contribué à imposer au pays une immigration musulmane massive. Devant la tournure prise par les événements, elle est maintenant un peu moins flamboyante. C'est l'une des raisons pour lesquelles le Crif a pris le relais.
    Mais le pouvoir de la Licra a été très important globalement entre les années 1970 et 2000. Une période charnière qui a vu une véritable mutation du pays.
    Pour comprendre d'où elle a pu tirer son pouvoir exorbitant, il faut remonter à la source : au confluent de deux événements majeurs du XXe siècle : la révolution bolchevique et la Seconde Guerre mondiale. Deux événements puissamment liés l'un à l'autre. Deux événements dont nous subissons encore fortement les retombées.
    La Licra a été créée en 1926 sous le nom de Ligue internationale contre les pogroms par un journaliste communiste, Bernard Lecache. Qui, comme son nom ne l'indique pas, était né dans une famille juive d'origine ukrainienne réfugiée en France. Lecache a été parmi les premiers à adhérer au tout nouveau Parti communiste français qui se crée en 1921.
    C'est donc un communiste de la première heure qui crée la Licra. Le pouvoir bolchevique règne alors d'une main de fer sur l'URSS depuis 8 ans et voudrait bien s'étendre à l'Ouest. C'est à cela que travaillent ses agents d'influence, tels que Lecache.
    Ce dernier crée la Ligue pour assurer le battage médiatique voulu autour du procès de l'assassin de Simon Petlura, abattu à Paris par Samuel Schwartzbard. C'est le meurtre d'un nationaliste ukrainien par un communiste juif qui est à proprement parler à l'origine de la Licra, le battage fait autour de ce procès sera immense et efficace : toute la gauche ainsi que la diaspora juive sont mobilisées, jusqu'aux États-Unis. Tant et si bien que par une inversion classique à ce procès on ne jugera pas le meurtrier, mais sa victime, présumée coupable de pogroms en Ukraine. En réalité, le procès ne permettra même pas d'établir sa part réelle de responsabilité dans les exactions commises par son armée.
    Bien évidemment, Schwartzbard est triomphalement acquitté à Paris en 1927 et dans la foulée Lecache transforme sa Ligue contre les pogroms, qui a parfaitement rempli sa fonction, en Ligue contre l'antisémitisme, pour disposer d'un rayon d'action plus vaste.
    Nous sommes en 1928, il va présider la Licra pendant 40 ans, jusqu'en 1968. À ce moment-là prendra le relais Jean Pierre-Bloch, le second président de la Licra qui restera à son tour à sa tête jusqu'en 1993. Ce qui signifie que de 1927 à 1993, la Licra a connu en tout et pour tout deux présidents. Tous deux juifs bien évidemment, tous deux journalistes, tous deux de gauche, tous deux indéboulonnables. Une étonnante continuité.
    R. : Jean-Pierre Bloch va poursuivre d'une haine vigilante tout ce qui est national ?
    A. K. : Ses haines vont, en effet, fortement ; marquer l'action de la Ligue. Elles plongent leurs racines dans les années de guerre et même d'avant-guerre. À la Libération, il est député socialiste, l'un des 27 jurés au procès du maréchal Pétain dont il votera la condamnation. Dès ce moment la Licra poursuivra les responsables du régime de Vichy d'une haine implacable qui culminera des décennies plus tard en un certain nombre de procès tardifs, mais retentissants. La Licra a donc été créée par des personnes et en des circonstances fortement politisées - à gauche - ce qui ne l'a jamais empêché de tranquillement se déclarer apolitique, ou plus exactement, selon ses propres termes, « au-dessus des partis ». Elle s'est déclarée de la même façon non confessionnelle. Cette apparente neutralité, totalement mensongère, lui a permis d'étendre son réseau dans toutes les directions et d'afficher une vitrine universaliste et morale derrière laquelle elle a pu exercer une influence politique importante et bien ciblée, quoique méconnue ou sous-estimée du public.
    R. : Quel rôle la Licra joue-t-elle dans l'arrivée de la gauche au pouvoir ? Et dans  l'immigration de peuplement arabo-musulmane ?
    A. K. : Avant 1981, son objectif premier a été d'aider la gauche à parvenir au pouvoir. Elle l'y a aidée de toutes ses forces et n'a pas eu affaire à des ingrats. Du reste, Mitterrand était membre d'honneur de la Liera, comme le sera son successeur, Chirac, qui n'avait rien à lui refuser.
    Pour la gauche, le meilleur moyen de parvenir au pouvoir et d'y rester, était de transformer le pays et surtout sa population. De faire de la France un territoire multiculturel et multiethnique. Dès les années 1970, la Licra va systématiquement soutenir l'immigration de peuplement arabo-musulmane. À ce moment-là, pour elle, juifs et arabes sont fondamentalement considérés comme frères. Ceci apparaît clairement dans tous ses écrits.
    Elle favorise donc l'arrivée d'une population considérée comme une alliée. Il s'agit, de concert avec la gauche politique, de transformer la France en profondeur, de modifier sa population, et donc son électorat, dans un sens favorable à la gauche.
    Pour la Licra, il s'agissait en outre de briser une cohésion nationale jugée menaçante à bien des égards. Et de faire payer , ce qu'elle estimait être une dette imprescriptible de la France à l'égard de sa population juive.
    Encore fallait-il désarmer toute opposition à l'immigration. Ce sera le rôle assigné à l'arsenal des législations dites antiracistes que la Licra inspirera et parviendra à imposer dès 1972.
    Car la loi antiraciste de 1972, la première de la série, a été arrachée de haute lutte par des socialistes membres de l'officine. Le président Pierre-Bloch s'en félicitera tout à fait clairement et revendiquera pour la Licra la totale paternité de cette loi. Qui est décisive car elle va offrir à l'officine un levier extrêmement puissant dont elle va se servir sans relâche. Grâce à cette loi et aux suivantes qui perfectionneront le système et muscleront toute liberté d'expression et même toute interrogation historique sur certains sujets, la Licra pourra poursuivre tous ceux qu'elle désigne comme racistes. C'est elle qui décidera qui est raciste et qui ne l'est pas. Qui est antisémite et qui ne l'est pas. Elle distribuera à sa guise les bons et les mauvais points.
    Elle va pouvoir grâce à cette loi créer le climat favorable à l'arrivée de la gauche au pouvoir et criminaliser les résistances à l'immigration massive qui va s'intensifier à partir de ces années.
    R. : Son rôle se modifie-t-iI, une fois la gauche au pouvoir ?
    A. K. : Son rôle, déjà déterminant, ne va pas s'arrêter lorsque la gauche atteindra enfin l'Olympe, en 1981. Bien au contraire. Car va s'ouvrir à ce moment-là un second volet de son action qui va se révéler extrêmement utile au camp socialiste. Car ce n'est pas le tout d'arriver au pouvoir, encore faut-il s'y cramponner.
    Nous entrons là dans un domaine subtil, où la morale et les droits de l'homme vont servir de paravents à des appétits de pouvoir classiques. Et au cynisme le plus éhonté.
    Je me bornerai à n'indiquer que les grandes lignes de ce qui fut mené avec intelligence et persévérance, à la fois par l'Elysée et par les responsables dits antiracistes.
    Le fait est qu'à peine arrivée au pouvoir, la gauche s'est vite aperçue qu'il était plus facile de changer la vie dans les discours que dans la réalité. Les lendemains qui devaient chanter n'ont pas tardé à se transformer en petits matins grincheux.
    La droite risquait donc de reprendre des couleurs. Et le pouvoir. C'est à partir de cette constatation que Mitterrand a décidé de favoriser l'émergence médiatique, donc électorale, du président du Front national, petit parti existant depuis 1972 mais qui ne connaissait jusque-là que des scores confidentiels. Cette stratégie va être développée à partir de 1982. Mitterrand va personnellement favoriser l'accès du président frontiste, qu'il connaissait pour l'avoir fréquenté dans les couloirs de la IVe République, aux chaînes de télévision.
    Comme prévu, le résultat ne se fera pas attendre : le FN va décoller électoralement à partir de ce moment. Il aura des élus aux européennes de 1984 puis à l'assemblée nationale en 1986. Car 35 députés Front national vont être élus grâce au changement de mode de scrutin décidé par le chef de l'Etat, pourtant membre distingué de la Licra. Qui ne pipera pas un mot, car c'était pour le bon motif : handicaper la droite classique. De toute façon, deux ans plus tard, le mode de scrutin sera changé à nouveau et le groupe balayé.
    Mais évidemment, il fallait compléter le piège et c'est là que vont intervenir à nouveau la Licra et toutes les associations dites antiracistes qui vont se mettre à pulluler. Car c'était une chose de détourner des suffrages de la droite classique vers le Front national. Mais si ces deux-là parvenaient à s'entendre - comme les socialistes se sont entendus avec les communistes par exemple - c'était la catastrophe totale. L'assurance pour la gauche d'être éjectée du pouvoir.
    Il fallait à tout prix empêcher cette éventualité : l'entente entre droite nationale et droite républicaine.
    R. : Comment la Licra a-t-elle procédé pour empêcher l'éventualité d'une entente entre droite nationale et droite républicaine ?
    A. K. : Grâce à la diabolisation que les associations dites antiracistes, Licra en tête, orchestrèrent autour du FN qui devint le parti maudit entre tous, infréquentable, antisémite, raciste, etc., etc.
    Ces associations réussirent, avec la complicité des média, à imposer l'amalgame Front national égale Vichy égale collaboration, et parvinrent à faire peser sur toute la droite, et même sur tout le pays, l'opprobre et la culpabilité liés à cette période.
    La diabolisation permit de stériliser tous les suffrages qui se portaient sur ce mouvement, qui ne servirent jamais à rien ni à personne. Et de mettre au ban de la société toute une partie de la population.
    Tous les partenaires ont joué cette partition avec constance et virtuosité. La France a été soumise à un vrai lavage de cerveau et à un chantage permanent à la démocratie et aux droits de l'homme. Alors que jamais ces notions n'ont été dans le même temps autant bafouées. La Licra a été au premier rang de la manœuvre. Le pouvoir de la gauche en dépendait.
    R. : Et puis, dans les années 2000, ce scénario va connaître quelques couacs ?
    A. K. : Ce sont les conséquences de la seconde intifada. Des manifestations d'antisémitisme commencent à se multiplier fâcheusement dans les banlieues "sensibles". Il ne s'agit plus cette fois d'un "climat" que les associations dites antiracistes ont l'habitude de dénoncer. Mais bien de faits réels et tangibles qui surviennent de plus en plus fréquemment, et particulièrement dans les établissements de l'Education nationale. Comble de malheur, ces manifestations ne sont pas le fait de l'extrême droite, ce qui serait bien commode, mais proviennent en droite ligne des quartiers peuplés d'immigrés. De ceux-là même qui ont été encouragés pendant des décennies à venir s'installer en France par toutes les organisations communautaires et assimilées.
    Ce fait va provoquer des révisions déchirantes dans la communauté et entraînera un certain retrait de la Licra, qui est largement responsable de cette situation.
    R. : Et le CRIF prend-le relais de la Licra ?
    Le CRIF était tout prêt à prendre le relais et à apparaître en première ligne. De toute façon lui aussi avait, comme la Licra, accompagné la longue marche de la gauche vers le pouvoir. Il partageait la même volonté de promouvoir en France une société multiethnique et d'imposer au pays une inextinguible repentance. Il était exactement sur la même longueur d'onde.
    Ce que l'on nomme « le Crif » est en réalité un rassemblement de plus de soixante associations extrêmement diverses à tous points de vue, y compris politique. Elles ont cependant un certain nombre de points communs absolument impératifs et incontournables : elles sont juives bien sûr, mais surtout elles soutiennent à fond l'Etat d'Israël dans tout ce qu'il dit et fait. Ce soutien inconditionnel est le fil conducteur de toute l'action du CRIF. Qui non seulement défend en toutes circonstances l'État et les intérêts d'Israël mais combat avec virulence toutes les menaces, réelles ou virtuelles, pesant sur l'État hébreu ou ses intérêts.
    Le soutien à l'État d'Israël passe aux yeux du CRIF par l'entretien quasi obsessionnel du souvenir de la Shoah. Ce souvenir est en effet intimement lié à la création de l'État hébreu. Et son évocation continuelle a pour but de graver dans les esprits qu'Israël, peuplé en grande partie de rescapés, n'est pas un État comme un autre, qu'il se situe quelque part dans l'exception et par conséquent qu'il a droit à un comportement qui ne serait admis d'aucun autre.
    La Shoah ne doit en aucun cas être oubliée ou rangée au magasin bien fourni des horreurs en tous genres produites par l'humanité. Car elle a un rôle bien précis à remplir : elle doit culpabiliser à tout jamais le genre humain en général - et les Occidentaux en particulier - et rappeler la dette inexpiable contractée à l'égard des juifs. La Shoah est devenue au fil des ans la pièce maîtresse de la stratégie de soutien de la diaspora à l'État d'Israël. Aujourd'hui plus que jamais. Et les exigences du Crif s'agissant de cet enseignement de la Shoah dans l'éducation nationale sont très lourdes. Elles sont cependant scrupuleusement prises en compte par les ministres concernés. Quel que soit leur bord.
    Dernière priorité de l'officine : la lutte contre l'antisémitisme. Ce terme est des plus vagues et englobe toute critique ou réprobation touchant au peuple juif et à l'État hébreu.
    R. : Le mode d'action du Crif est-il identique à celui de la Licra ?
    A. K. : Son mode d'action est sensiblement différent de celui de la Licra. Alors que la Licra se faisait craindre par les procès qu'elle intentait pour un oui ou pour un non, le Crif, lui, fréquente assidûment les responsables politiques et fait entendre ses exigences au plus haut sommet de l'État.
    Son dîner annuel voit se bousculer toute la classe politique - habituellement 800 invités - Premier ministre et quasiment tout le gouvernement en tête, venus humblement entendre les reproches, récriminations et requêtes de son président Richard Prasquier.
    Ce dîner de gala annuel est relayé par autant de dîners régionaux où se bouscule cette fois le gratin politique local pour entendre les mêmes antiennes.
    Pourtant, de son propre aveu, le Crif ne représente guère que 100 000 personnes, et encore, en comptant très large : 1/6e à peine de l'ensemble de la communauté et 0,2 % de la population totale du pays. Ce qui ne l'empêche pas de prétendre parler au nom de tous les juifs de France.
    Devant l'empressement servile de la classe politique face à cette officine communautaire, les Français ont le droit - et le devoir - de s'interroger. Et de se demander s'il est normal de la voir exercer un ascendant aussi déterminant sur la vie publique. Que faut-il en conclure ? À l'évidence, que ce 0,2 % possède un pouvoir, une puissance, qui vont bien au-delà de son importance numérique. Pourquoi ? Comment ? Dans un pays qui ne reconnaît officiellement, de par ses textes fondateurs, que des citoyens tous pareillement égaux, voilà un sujet inépuisable de stupéfaction et de réflexion.
    Il faut donc admettre que certains ont trouvé le moyen imparable de devenir nettement plus égaux que tous les autres. Et qu'il leur est extrêmement difficile de se résoudre à devenir, simplement, des Français comme les autres et à se fondre dans la masse.
    Nous sommes arrivés au stade où la situation du pays est considérablement dégradée. Car l'objectif visé avec opiniâtreté par la gauche morale entre guillemets et la gauche politique est atteint : la France a bel et bien été transformée et son identité détruite. Elle est devenue plurielle conformément aux souhaits de ceux qui y avaient intérêt.
    R. : Quel avenir voyez-vous à ces lobbys ?
    Â. K. : Les lobbys triomphent, certes, mais sur un socle très fragilisé et qui risque de les entraîner dans sa chute. Le gros capital de sympathie dont ils bénéficiaient spontanément, quoi qu'ils en disent, et dont bénéficiait Israël, ne semble plus aujourd'hui qu'un lointain souvenir. Des lendemains plutôt difficiles se profilent pour eux. Et ils en ont conscience. D'où des tentatives actuelles de rapprochements plus qu'étonnants. Pour ne pas dire contre-nature.
    Propos recueillis par Jérôme BOURBON. Rivarol du 2 décembre 2011
    Pour commander les livres d'Anne Kling : La France Licratisée (264 pages) ; Le CRIF : un lobby au cœur de la République (294 pages) ; Révolutionnaires juifs (224 pages) : Chaque livre : 18 euros plus 3 euros de frais de port.
 Envoyer chèques à l'ordre d'Anne Kling ; Anne Kling, éditions Mithra, BP 60291, 67008 Strasbourg Cedex.   

  • Bruno Gollnisch :”un peuple qui n’honore pas ses morts n’a plus d’avenir”

    Nous évoquions la semaine passée l’offensive menée contre les traditions de Noël. Elle s’inscrit dans un contexte beaucoup  plus général d’attaques répétées et planifiées contre notre mémoire, notre passé, notre identité,  les fondements moraux, spirituels de  notre civilisation. Avec ce billet d’humeur, Bruno Gollnisch s’arrête sur le sort que la France réserve aujourd’hui à ses morts, qui en dit aussi très long sur l’état d’avancement (de décomposition) de  notre société dite « moderne »…

    “Novembre s’en est allé, et avec lui les feuilles mortes, qui, avec les souvenirs et les regrets, se ramassent à la pelle, comme le dit l’une de nos plus belles chansons, que fredonnait Lionel Jospin, preuve que l’on peut être socialiste et sensible… On connaît l’interprétation d’Yves Montand ; je préfère encore celle du regretté Mouloudji, qui chantait aussi le deuxième couplet, plus poétique encore.

     Ce mois de Novembre est –ou était- chez nous le mois du culte des morts : fête de la Toussaint, suivie de celle des Trépassés. Cérémonies du 11 novembre, rappelant l’incroyable sacrifice de millions de Français. Visite des cimetières.

    Ce culte est de tous les temps et de toutes les civilisations. Peut-être même peut-on dire qu’il est à l’origine de la Civilisation. Les monuments de l’Egypte ancienne qui nous fascinent encore ne sont-ils pas le résultat du prodigieux effort auquel ce culte donna lieu ?

      Les morts, les pauvres morts ont de grandes douleurs  disait Baudelaire, dans l’un de ses très beaux poèmes, consacré à la tombe abandonnée d’une « servante au grand cœur » qui avait veillé sur son enfance.

     Car la France d’aujourd’hui maltraite ses morts. Au nom de la rentabilité, depuis quelques années, on n’a plus le droit de réserver, comme on pouvait le faire autrefois –à grand prix !- une concession perpétuelle. Les défunts eux-mêmes sont soumis à la précarité. Tout au plus peut-on les héberger 30 ans au maximum. Passé cette date, il faut renouveler ce que j’appellerai, en quelque sorte, le loyer de la concession…si les héritiers y pensent, s’ils le peuvent, et s’ils sont toujours là !

     Cette législation a été passée il y a des années sans susciter de débats et dans l’indifférence générale.

     Comme on ne peut porter atteinte aux droits acquis, on a du moins maintenu les concessions perpétuelles existantes, tout en empêchant d’en acquérir de nouvelles. Mais, même cela est en fait attaqué par le zèle abusif de mairies qui se saisissent de tout motif pour décréter une tombe abandonnée.

      Une pierre très légèrement descellée, une croix qui se penche, une vieil enclos dont la grille est rouillée, et la tombe, réputée abandonnée, pourra faire l’objet d’une reprise –c’est-à-dire qu’elle sera profanée, détruite, les pauvres restes du ou des défunts jetés dans une fosse commune,…et l’emplacement reloué !

     Le résultat, c’est qu’à terme il n’y aura plus de tombes anciennes. Dans un village des Ardennes où j’ai quelques origines familiales, on m’a parlé de la tombe du fils unique de l’ancien forgeron. Il avait forgé lui-même la grille qui entourait l’emplacement où reposait son fils unique, tué à 20ans à la guerre de 1914-18. C’était, dit-on, une très belle grille, avec un beau crucifix. Le forgeron est mort aussi, et sa famille s’est éteinte après lui. Récemment, on a « repris » la tombe ; la grille et la croix sont parties à la décharge.

     Ainsi, rien n’échappe, dans notre société moderne (?), pas même les morts, à la loi de l’apparente rationalité marchande et de la précarité qu’elle engendre. Non pas la précarité inhérente au temps qui passe dans un monde où rien n’est éternel, non pas l’impermanence des choses telle que la conçoit la sensibilité extrême-orientale, mais la rotation forcée, voulue, fruit du matérialisme et de l’impiété de notre génération.

      Quelle importance ? » diront beaucoup. « Pourquoi se soucier des restes inertes de ceux qui nous ont précédés, et qui n’éprouvent plus rien ? » Ceux qui pensent ainsi ont tort. Un pays n’est pas seulement la propriété de ceux qui y vivent ; mais aussi de ceux qui y ont vécu. Effacez leur souvenir, et vous déclarez la terre ouverte à tous. Vita mortuorum in memoria est posita vivorum  La vie des morts est de survivre dans l’esprit des vivants  disait Cicéron, et, plus près de nous, Chateaubriand :  Les vivants ne peuvent rien apprendre aux morts ; les morts, au contraire, instruisent les vivants. 

     Disons-le tout net : un peuple qui n’honore pas ses morts n’a plus d’avenir. D’autres viendront, qui progressivement prendront la place des amnésiques, et ne coloniseront pas que ses cimetières. Car tout se tient.

     Barrès avait bien compris le lien charnel qui existe entre la terre et les morts. C’est que la terre de France n’est pas seulement la propriété des soixante millions de personnes qui y vivent aujourd’hui, et dont on ne sait trop s’il faut les qualifier d’habitants ou de nationaux. Elle appartient aussi au milliard d’êtres humains qui, depuis l’aube des temps historiques y ont vécu, travaillé, souffert, aimé, et qui, si souvent, ont donné leur vie pour elle.

     En honorant nos morts, en respectant la dernière et intangible demeure, à laquelle ils ont droit, nous nous relions à eux, qu’ils fussent riches ou pauvres, glorieux ou humbles :  Dona eis, Domine, requiem sempiternam.”

    Bruno Gollnisch. http://www.gollnisch.com

  • « Éloge du populisme » de Vincent Coussedière, par Didier Bourjon

    PARIS (NOVOpress Breizh) — Dans son livre Éloge du populisme(1), Vincent Coussedière propose une analyse à nouveaux frais de ce que recouvre le vocable “populisme”, analyse fondée philosophiquement et des plus utile politiquement.

    Le terme de populisme est polysémique, il recouvre des formes variées, à la typologie délicate à fixer, et dont l’origine est mal discernable : les narodniki de la Russie tsariste, le mouvement rural américain de la fin du XIXème siècle, notre boulangisme ? Pourquoi pas nos anciennes et récurrentes révoltes paysannes ?

    De nos jours, sa disparité n’est pas moindre en Europe et ailleurs : de G. Wilders et un populisme libertarien sinon “queer” à O. Fraysinger en passant par feu J. Haider, de notre FN v1 puis v2 à la Ligue du Nord  (Italie) et ses aléas, du PiS des frères Kaczynski (Pologne), ou du Tea Party américain et de Chavez à l’Aube dorée grecque : la palette est large, les expressions politiques sont pour le moins diverses. Malgré tout, on peut trouver une certaine unité à ce phénomène.

    D’abord, et particulièrement en Europe, il est un trait commun qui se détache nettement : le refus de l’immigration de peuplement, de la contre-colonisation massive Sud-Nord, et le rejet de l’islamisation intolérable des pays concernés qui en découle le plus souvent.

    De façon plus complexe, on peut y repérer une façon de creuset où se transcendent les clivages sociaux, générationnels ou politiques “traditionnels”, creuset façonné par les réactions multiples, non encore pleinement conscientes ni tout à fait articulées, à ladite “mondialisation” et à ses conséquences destructrices sur l’ethos des peuples tant et plus que sur le social et l’économique.

    S’y élabore un peu à l’aveugle un refus du post-humanisme globalisé exclusivement technique et marchand — virtuel et festif en mode “démo” mais dévastateur et mortifère en vérité — qui réveille conjointement la conscience culturelle et la conscience politique, en remettant en jeu la question de la “gouvernance”, comme on dit aujourd’hui, et bien au-delà celle du destin des peuples et des civilisations. C’est une résistance vitale et essentiellement politique.

    Cependant, “populisme” est devenu un leitmotiv dans la bouche des autorisés de parole du complexe clérico-médiatique pour parler peu ou prou du peuple, connotation péjorative et intellectuellement méprisante à la clef. C’est que le peuple renâcle à sa disparition politique, et à sa disparition tout court. Pire : il ne se laisse pas totalement berner par les idéaux si merveilleux qu’on lui ressasse à longueur de temps pour lui faire gober l’opération : l’antiracisme controuvé, le multi-culturalisme et son fabuleux “vivre ensemble”, l’européisme et son corollaire le mondialisme, l’écologisme fondamentaliste, le paritarisme et l’égalitarisme forcenés, le révisionnisme historique et le relativisme à sens unique, et tant d’autres calembredaines, contradictions  logiques, délires, désarrimage de tout réel, qui font les délices de nos idéologues enragés et béats d’admiration devant leurs inventions.

    Le peuple est décevant, il se rebiffe, il est populiste ! On a donc bien raison de tout faire pour en changer, ou mieux : pour ne plus avoir de peuple à considérer. À cet égard gauchistes libertariens et technocrates sont des “alliés objectifs” : les uns, soixante-huitards et leur descendance, n’ont pas digéré que ce peuple ait été incapable de faire la révolution qu’ils rêvaient de diriger et le lui font payer avec tout leur dédain, les autres entendent bien que la “gouvernance” techno-économique et le  Marché s’imposent à tous, mondialement, sans plus de politique.

    Hyper-individualisme et hyper-libéralisme sont deux facettes de l’hubris post-moderne : “soi-mêmisme” et oligarchie progressent de concert. Au prix de la “défaite de la pensée” comme du politique, donc au détriment total du peuple et de la société.

    Car, comme le rappelle à juste titre V. Coussedière : « Il n’y a pas de politique sans peuple, ni de peuple sans politique. (…) Le peuple est une réalité vivante dont l’être-ensemble est politique ».

    Cela dit, le peuple n’a jamais “produit” lui-même son idéologie politique, ce que le terme “populisme” suppose. En vérité : « Le populisme est un moment de crise de l’être-ensemble d’un peuple ».

    Plus précisément, le populisme n’est pas une aspiration à une démocratie plus directe, mais à une démocratie représentative effective, avec des dirigeants et une élite fidèle : « Seul un peuple politique peut devenir populiste ». Le peuple « veut qu’on le gouverne selon son intérêt », selon l’intérêt du pays.

    Le populisme n’est pas non plus la démagogie, laquelle est une réalité indépendante, consubstantielle à la démocratie elle-même, depuis l’origine : « L’irruption du démagogue sur la scène publique n’est cependant pas la cause du populisme mais sa conséquence ». Salutaire remise à l’endroit ! Le terme de populisme sert à reporter sur le peuple la responsabilité de la démagogie populiste.

    « Le populisme est donc le moment où l’essence du politique est encore abritée par le peuple ». Il est l’errance de l’être politique du peuple, désemparé de se voir impuissant au moment où il faudrait agir collectivement de façon décisive, au regard des crises qui de tous côtés convergent et nous menacent vitalement. En réalité : « Il y a beaucoup plus de mémoire du politique dans le populisme du peuple que dans le mépris des experts pour ce même populisme ». Au point que c’est peut-être là que git notre ultime ressource, notre ultime possibilité d’avenir.

    En l’occurrence : « Le populisme n’est pas uniquement une réaction à la perte de la capacité du peuple, il est aussi une réaction à la destruction de son être social, fondement de sa capacité politique ».

    C’est ici le cœur du livre, à mon sens : l’être-ensemble “pré-politique” d’un peuple, c’est sa sociabilité. Un peuple vit des relations sociales des individus qui le composent. Il n’y a pas de solution de continuité du rapport simple de voisinage à celui des différents rôles au sein de la société, du geste quotidien à la culture, de la civilité à la civilisation d’un pays.

    Dans la tradition, cette sociabilité peut avoir une base négative (Hobbes) ou se cristalliser dans une Volonté générale (Rousseau), c’est aussi bien l’amitié politique d’Aristote que la fraternité révolutionnaire. Toujours cela suppose un sentiment d’appartenance communautaire,  de  communauté de destin, de correspondance “civilisationnelle” : « La sociabilité naît de la similitude, de la ressemblance entre amis ».

    Or : « Cette importance de la similitude condition de la sociabilité est aujourd’hui l’objet d’un véritable tabou et d’un refoulement collectif. C’est parce qu’on confond la similitude avec l’Identité qu’on refuse d’en penser l’importance politique. »

    Le distinguo entre “identité” et “similitude”, le fourvoiement sur le thème de “l’identité” (qu’il n’y a pas à proprement parler, qu’il n’y a jamais eu) en lieu et place de la similitude (qui renvoie à la question essentielle de l’origine — qui est ce qui toujours nous devance), ces considérations font l’objet de remarques de premier ordre dans ce livre, importantes pour la réflexion politique.

    Si l’on extrapole : en guise de “contrat social” on peut distinguer celui qui est de pure convention (les “Français de papier”) et celui qui engage les Français par l’origine, que celle-ci soit “historique” ou pleinement endossée par choix et volonté. Ce dernier est le seul fondement politique légitime.

    Les civilisations de l’identité n’ont pas vraiment de rapport à l’origine, et à sa dynamique. Seul le contrat qui relie selon l’origine les hommes en Cité rompt avec l’identité et les liens premiers. C’est pourquoi il y a une connivence profonde entre les versions individualistes (soi-mêmisme post-moderne) et communautaristes (l’islamisme, par exemple…) des civilisations de l’identité contre les civilisations de l’origine. Où l’on retrouve les alliances envisagées supra… et les risques de l’apprenti sorcier.

    Il faut donc « repenser la sociabilité politique du peuple ». En effet, la sociabilité, comme tout le reste, a été progressivement absolutisé en même temps que réifié : « La sociabilité n’est plus le produit des individus, de leurs actions, de leurs capacité d’agir pour l’autre ou avec l’autre, elle devient une substance, le social, ou une marchandise, le sociétal. Au lieu que la sociabilité non politique soit le fondement de la politique, on attend que la politique qu’elle fonde ou refonde le lien social. Faire de l’Etat le producteur du social lui-même est incohérent avec une vision purement politique et artificialiste du peuple. La politique, à travers la politique sociale, doit imprégner toutes les relations humaines, pour créer de toutes pièces des solidarités qui n’existent pas, puisque le peuple lui-même n’existe pas. »

    V. Coussedière fait alors appel aux travaux d’un sociologue à part, G. Tarde, qui montre qu’il n’y a rapport social ou sociabilité que s’il y a effort d’imitation. On pourrait utilement remonter à la mimèsis. Le contrat peut seulement alors s’installer : « Ce n’est pas un droit commun qui fonde la similitude du peuple, mais c’est une certaine similitude du peuple qui permet à un droit commun de s’établir. » L’assimilation (assimiler, c’est rendre similaire) est donc la seule solution pour tout apport humain exogène, laquelle assimilation ne se peut donc concevoir que pour des individus, pas pour des masses, dans la durée, et cela plus ou moins selon l’éloignement culturel et civilisationnel qu’ils ont au peuple qu’ils veulent intégrer.

    On ne peut au passage que relever la contradiction flagrante de l’idéologie multi-culturaliste, pour en souligner la duplicité : on dénonce l’attachement du peuple d’accueil à sa similitude, c’est du “populisme”, et on encense l’attachement des immigrés à la similitude de leur peuple d’origine, les encourageant à cultiver leur “différence” et à prolonger leur civilisation au beau milieu de la nôtre !

    Mais qu’en est-il de la notion de “peuple” ? Elle peut être prise comme ethnos (le peuple organique et historique), comme dèmos (le peuple politique), ou comme classe sociale. Le populisme intègre ces notions, et les dépassent. Il renvoie à des classes sociales : classes populaires alliées avec tout ou partie des classes moyennes dès lors qu’ensemble ils subissent une altération de leur être politique et de leur situation sociale ; mais il reprend à son compte « l’idée » du peuple, dans l’imaginaire politique qui participe de la légende du pays. Et dans ce “peuple”, tous sont finalement repris, y compris les “experts” et autres technocrates, qui ne seraient pas ce qu’ils sont sans… le peuple dont ils font encore partie, quoi qu’ils en aient.

    Ces éléments de fond se retrouvent sur un plan politique plus superficiel : le “populisme” est aujourd’hui une réaction à la crise profonde de la démocratie représentative, dénoncée en France à longueur de scrutin depuis des décennies (abstentions, votes blancs, votes nuls, etc.). F. Hollande est le plus mal élu des présidents de la Vème République, il n’a rassemblé que 39 % des inscrits et 48,6 % des votants (ne parlons pas des législatives !).

    « La fracture n’est plus tant entre la gauche et la droite qu’entre les classes dominantes, indifféremment de droite ou de gauche, et les classes populaires ». (Christophe Guilluy, Fractures françaises). C’est pourquoi le populisme est attaqué à gauche comme à droite, mais aussi pourquoi gauche comme droite sont au fond scindées en deux, malgré la logique des appareils et la course aux postes et aux prébendes qu’ils structurent (le pouvoir, chacun sait qu’il n’y en a plus que l’ersatz : la classe dominante locale n’est plus que le fantoche d’une superclasse mondiale, d’une oligarchie ayant échappé à presque toutes les contraintes politiques et étatiques). Cela dans le cadre d’un jeu politique “officiel” qui maintient fictivement deux blocs “majoritaires” (majoritaires entre guillemets : même ensemble les principaux “partis de gouvernement” ne le sont plus guère, en bonne arithmétique électorale).

    La fracture n’est pas entre un “peuple de gauche”, celui que je côtoie du côté de Notre-Dame des Landes, et un “peuple de droite”, celui que je côtoie dans les manifestations contre le prétendu “mariage pour tous” : ces deux là se cherchent à tâtons, recherchent leur unité première pour se retrouver et se défendre comme peuple, comme pays — malgré l’aveuglement volontaire et acharné de la classe médiatico-politique et leur incessante propagande, et malgré l’exploitation de cette situation par les démagogues.

    Cette jonction est au cœur du “populisme”, qui n’est rien d’idéologique. Le populisme n’est pas un “parti” mais un rassemblement possible ; il n’est pas un programme :  il est un appel, une attente. C’est à défaut que ceux qu’il touche se rabattent, partiellement et sans satisfaction réelle, sur les démagogues qui flairent ce potentiel, mais qui ne peuvent que le mal représenter, et le trahir.

    Ce qui motive ce populisme, ce à quoi il est attaché, ce qu’il veut défendre ou recouvrer, n’en est pas moins précis, fort, et essentiel. Il reste à libérer sa parole, lui donner forme et expression, la structurer, en construisant les modalités d’organisation idoines à cet objectif d’émergence, dans une action volontaire et à nouveau réellement politique  — au sens noble du terme, à l’opposé du mauvais théâtre de boulevard des politicailleries au stade terminal d’une Ve défigurée et agonisante.

    La ligne de fracture profonde est bien entre la caste des tenants de la “mondialisation” et le désir du peuple de recouvrer une souveraineté légitime, à travers la restauration du politique à tous les échelons, à commencer par le pivot de tous : la nation, soit précisément ce que la “globalisation” cherche à ruiner et faire disparaître à toute force. En même temps que le peuple, comme par hasard… Avec toute la puissance du “système”, et l’aide des idiots utiles de toutes les variantes du totalitarisme mondialisé qui s’annonce. Nous assistons à une course-poursuite terrible entre la liquidation de nos anciennes nations et de nos peuples et la prise de conscience collective nécessaire à la reprise en main de leur destin par ces derniers.

    Le livre développe et approfondit ces idées, il analyse l’histoire de la décomposition politique du peuple français au cours des dernières décennies, et il débouche sur une sorte de prospective politique : il est plus riche que ce que les extraits cités et les indications faites ici ne l’indiquent. J’invite chacun à se faire son idée en le lisant, et en poursuivant la discussion, ici et ailleurs.

    Le populisme est gros d’une révolte. Il lui manque un débouché politique, non démagogique, issu de ses rangs. Si cette résistance trouve à s’unifier largement et à s’organiser, si une parole politique et le peuple se trouvent, alors ce sera une révolution, une révolution conservatrice d’un genre inédit. Populaire, elle régénèrera les élites, de la base au sommet de la société, contre tous les parvenus. Réconciliatrice, elle refondera un futur digne du passé, dans le respect de l’immémorial. Sur le mode de la reprise, elle réorientera le destin du pays.

    Didier Bourjon pour NOVOpress Breizh http://fr.novopress.info/

    1) « Éloge du populisme » de Vincent Coussedière, éditions Elya 16 €

  • Vichy, l'Eglise et la Shoah

    Le Figaro Histoire n° 2 - 20/07/2012

    Deux nouveaux ouvrages viennent remettre en question nombre d'idées reçues sur le rôle de Vichy et sur celui de l'Eglise de France face à la Shoah. Un double éclairage qui rappelle la complexité tragique des années de guerre et d'occupation.
         Les 16 et 17 juillet 1942, 13 000 Juifs sont arrêtés en région parisienne et conduits au Vélodrome d’hiver ou dans les camps d’internement de Drancy, Beaune-la-Rolande ou Pithiviers. Ils finiront tous à Auschwitz. La « rafle du Vel d’Hiv » et les opérations similaires en province résultent de la décision prise cette année-là à Berlin : après avoir persécuté les Juifs, les Allemands entreprennent de les regrouper, dans toute l’Europe occupée, avant de les exterminer. En juin, les autorités du Reich ont exigé l’arrestation de 100 000 Juifs sur le territoire français, chiffre ramené à 40 000 au cours des tractations avec Pierre Laval. Obéissant au chef du gouvernement, le secrétaire général de la police, René Bousquet, a entamé avec le général SS Karl Oberg un atroce marchandage : aucun Juif français ne sera interné ou déporté, mais c’est la police française qui arrêtera les Juifs étrangers.
         Pour Vichy, c’est un tournant. Depuis 1940, à travers une série de lois, le régime a organisé la discrimination et la spoliation des Juifs. Politique inique mais qui, à l’exception des cas d’internement en France, ne s’est pas traduite par la contrainte physique. En cet été 1942, l’antisémitisme d’exclusion sociale de Vichy, sans le vouloir et sans l’avoir prévu, est rattrapé, dépassé et objectivement associé à l’antisémitisme exterminateur des nazis.
         Sur les 330 000 Juifs vivant en France, 76 000 seront déportés : 55 000 étrangers et 21 000 Français. Quelle est alors la part de responsabilité française dans ce crime de masse ? Question gravissime qui, en1997, a été au cœur des débats entourant le procès Papon.
         Le point de vue dominant, à l’époque, venait des travaux des Américains Michaël Marrus et Robert Paxton (Vichy et les Juifs, Calmann-Lévy, 1981) ou du Français Serge Klarsfeld (Vichy-Auschwitz, le rôle de Vichy dans la Solution finale, Fayard, 1983-1985). Si ces historiens avaient produit des faits, des documents et des témoignages accablants et irréfutables, ils avaient aussi imposé une vision sans nuance : Vichy avait été complice de la Solution finale, culpabilité qui s’étendait indistinctement et solidairement à tous ceux qui, de 1940 à 1944, avaient exercé une fonction quelconque au sein de l’Etat français et de son administration.
         Depuis le procès Papon, une quinzaine d’années ont passé. Si la politique antijuive de Vichy n’a cessé d’être l’objet de nouvelles études, certains chercheurs s’aventurent désormais hors du schéma interprétatif imposé à l’époque. Ainsi Alain Michel. Tout en considérant comme « essentielle à notre connaissance de cette période de l’histoire » (1) la contribution du trio Marrus-Paxton-Klarsfeld, cet historien français déplore que la thèse centrale du dit trio ait accédé au rang de « doxa ». Une doxa qu’il n’hésite pas à contester avec son ouvrage Vichy et la Shoah. Enquête sur le paradoxe français.
         Vivant en Israël, ancien responsable du bureau francophone de l’Ecole internationale pour l’enseignement de la Shoah à Yad Vashem, Alain Michel, qui est de plus rabbin, fait paraître aujourd’hui un livre détonant. Préfacé par Richard Prasquier, le président du Crif, l’ouvrage revendique une filiation avec les travaux du Français Léon Poliakov, spécialiste de l’antisémitisme, ou ceux de l’Américain Raul Hilberg, historien de la Shoah de réputation mondiale. Des références incontestables.
         L’auteur part d’un constat : 75 % des Juifs établis en France pendant la guerre ont échappé au génocide. Par ailleurs, le pays a été un de ceux où les réseaux de sauvetage juifs ont été les plus efficaces. Comment cela peut-il avoir été possible, dès lors que tous les hommes de Vichy, de Pétain au plus humble fonctionnaire, auraient été constamment désireux de s’associer aux desseins des nazis ?
         Pour répondre à cette question, Alain Michel est donc conduit à trouver des explications qui, lors du procès Papon, valurent à un historien comme Henri Amouroux d’être voué aux gémonies par les avocats des parties civiles. L’antisémitisme de l’État français, observe-t-il, ne poursuivait pas le même but que celui du IIIe Reich. La distinction opérée par Vichy entre Juifs français et Juifs étrangers, ajoute-t-il, a permis, dans une certaine mesure, de ralentir la mécanique génocidaire. Les sauvetages de Juifs ont été réalisables, conclut-il enfin, parce qu’ils ont bénéficié de facteurs liés à Vichy : la zone sud, l’existence de l’Union générale des israélites de France (IGIF), structure voulue par l’État français mais qui avait une facette clandestine, le relatif sentiment de sécurité des Juifs français qui les a incités à s’investir pour aider leurs coreligionnaires étrangers. « Il est impossible, écrit Alain Michel, d’écrire l’histoire de cette période en noir et blanc, dès lors que l’on s’intéresse non aux extrémistes, mais aux dirigeants qui se sont retrouvés face à des décisions allemandes qu’ils n’avaient pas prévues, auxquelles ils ont dû donner des réponses en fonction de ce qu’ils pensaient possible ou raisonnable de faire. »
         En 1997, une trentaine d’évêques de France publiaient un acte de « repentance » pour les « erreurs et défaillances » du clergé catholique pendant la guerre, et notamment pour sa passivité devant l’antisémitisme. Dès l’année suivante, Michèle Cointet (L’Eglise sous Vichy, Perrin, 1998) rappelait que plus de la moitié des évêques français, sous l’Occupation, avait protesté officiellement contre les persécutions. Agrégée d’histoire, Sylvie Bernay a repris la question à frais nouveaux, dans une thèse de doctorat qui vient d’être éditée (2). Passionnant travail qui a conduit l’auteur à dépouiller les archives du ministère des Affaires étrangères ou des papiers inédits tirés des archives catholiques (diocèses, congrégations, œuvres caritatives) ou juives (Consistoire central, Centre de documentation juive contemporaine, Yad Vashem).
         Sylvie Bernay commence par camper le tableau d’avant-guerre en montrant que, au sein du catholicisme français, les préjugés antijuifs coexistent avec une conscience des racines communes au christianisme et au judaïsme et un mouvement d’aide aux Juifs réfugiés, et que la répartition de ces attitudes, contrairement à un préjugé répandu, ne s’opère pas systématiquement selon la distinction entre conservateurs et démocrates-chrétiens. La chercheuse réduit à néant, de même, la dichotomie qui tient du lieu commun, dans l’historiographie contemporaine, entre un épiscopat maréchaliste, indifférent au sort des Juifs, et un clergé et des fidèles qui auraient sauvé l’honneur.
         Sylvie Bernay souligne que l’épiscopat accepte le premier statut des Juifs, en 1940, au nom des prérogatives de l’État, mais en espérant des dérogations et en insistant sur le respect dû aux biens et aux personnes. Si les prélats n’approuvent pas le second statut, en 1941, ils ne le dénoncent pas non plus, de peur des représailles contre l’Église en zone occupée et pour des raisons politiques en zone libre. Ce sont les déportations de l’été 1942 qui provoquent le basculement, et cette série de protestations dont la plus célèbre est restée celle de Mgr Saliège, archevêque de Toulouse, le 20 août 1942 : « Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Ils font partie du genre humain ; ils sont nos frères comme tant d’autres ». L’auteur prouve en outre que le nonce, Mgr Valerio Valeri, a encouragé les évêques de zone sud à émettre ces protestations, et que les sauvetages de Juifs menés par des prêtres, des religieux ou des laïcs catholiques auraient été impossibles sans l’aval et le soutien des évêques, qui avaient instauré de véritables « diocèses-refuges » auxquels des milliers de juifs proscrits devront la vie sauve.
         Avec cette somme, Sylvie Bernay apporte une pierre fondamentale au débat sur « les silences » de l’Eglise catholique pendant la guerre. Mais en bousculant les idées reçues.
    Jean Sévillia http://www.jeansevillia.com
    1) Alain Michel, Vichy et la Shoah. Enquête sur le paradoxe français, CLD éditions.
    2) Sylvie Bernay, L’Église de France face à la persécution des Juifs, 1940-1944, CNRS éditions.

  • Discours de Jean-Marie Le Pen pour les 40 ans du Front National

     

    Discours de Jean-Marie Le Pen, Président d’Honneur du Front National, pour les 40 ans du Front National, le samedi 8 décembre 2012.

    Le Front National a 40 ans.

    Sa naissance officielle est datée du 5 octobre 1972.

    Elle était le fruit d’un accord intervenu entre leaders patriotes : Le mouvement de Georges Bidault, les jeunes d’Ordre nouveau et avec moi, de nombreux responsables des combats de l’Algérie française.

    Cette union allait être éphémère et rapidement ne restèrent au Front National avec moi, que mes compagnons et quelques dissidents d’Ordre nouveau. npi