culture et histoire - Page 700
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Les Brigandes - Staline
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Lépante, du mythe à la réalité par Georges FELTIN-TRACOL
Le 7 octobre 1571 au large de Lépante en Grèce se déroula une gigantesque bataille navale entre les flottes ottomane et de la Sainte-Ligue qui s’acheva par le triomphe incontestable des marines catholiques, fortes de leur supériorité technique et militaire.
Publié par IDées, la maison d’édition du Bloc identitaire, 1571. Lépante est un « ouvrage collectif [qui] vient de célébrer le 440e anniversaire de la victoire de Lépante. Victoire de l’Europe coalisée face à l’Envahisseur, victoire d’une Europe dépassant les querelles et égoïsmes “ nationaux ” pour faire face (p. 11) ». Son objectif est d’abord d’inciter à réfléchir « autour de Lépante, davantage que sur Lépante uniquement (p. 11) », d’où la contribution de militants plutôt que d’historiens chevronnés. On y trouve aussi en annexes des textes de Cervantès – qui en perdit la main gauche -, de Voltaire et de G.K. Chesterton.
Comme tout travail collectif, les articles sont inégaux. Outre la reprise d’un texte de février 2003 signé par les Jeunesses identitaires, « La Turquie ne passera pas ! », on peut lire « Assaut contre l’Europe » par Benoît Lœuillet, une belle description de « Don Juan d’Autriche, un héros pour les temps présents » par Guillaume Luyt ou l’évocation par Jean-David Cattin de l’Ordre de Malte qui, au XVIe siècle, incarne « l’élite guerrière de l’aristocratie européenne (p. 54) ». Y participent enfin Frédéric Pichon d’Europæ Gentes, Philippe Vardon-Raybaud qui salue la figure d’André Provana de Leyni (1511 – 1592), « le Niçois de Lépante » et l’euro-député de Padanie, Mario Borghezio, qui entend célébrer « Une bataille pour l’Europe ».
Un nouvel intérêt pour Lépante
Quelques mois plus tard, Flammarion publia un épais ouvrage de l’historien militaire italien Alessandro Barbero, riche en notes qui explique les origines et le déroulement de la célèbre bataille. Précédemment, en 2010, les éditions Les Amis du Livre européen avaient sorti Force & Honneur, un recueil de trente grandes batailles européennes dont Lépante traité avec brio par Robert Steuckers. L’ancien directeur des revues Vouloir et Orientations y donne une belle étude, mais du fait des contraintes de place et de mise en page, ne fut publiée qu’une version résumée. Robert Steuckers replace dans la longue durée cette lutte en Méditerranée orientale puisqu’il remonte aux temps des Croisades et insiste sur le désastre européen de Nicopolis en 1396.
Sous le titre mystérieux de La bataille des trois empires, Barbero observe, lui, l’Empire ottoman à son apogée, l’Espagne de Philippe II présente en Italie avec le royaume de Naples et de Sicile, et la Sérénissime République de Venise dont les possessions maritimes (l’État de Mer) sont uniquement méditerranéennes.
Ayant consulté les sources turques, Barbero explique les profondes, vives et sourdes rivalités qui traversent le Divan, le Grand Pacha et les pachas, ce qui n’empêche pas la Sublime Porte d’étendre son emprise plus à l’Ouest, ce qui signifie combattre Venise… Conscient de cette avancée menaçante, le pape Pie V en appelle à une nouvelle croisade qui exigerait une unité d’action des puissances chrétiennes. Il y arrive péniblement avec la Sainte-Ligue. Or « l’alliance est encore fragile, relève Lœuillet, et les rivalités commerciales entre l’Espagne et Venise semblent encore plus fortes que l’ennemi commun ottoman (p. 18) ». En effet, les tiraillements sont permanents entre Venise et sa rivale Gènes, Venise et les États de l’Église, Venise et l’Espagne. Les contentieux éclatent au grand jour d’autant que l’entreprise destinée en théorie à reprendre Chypre coûte chère.
Alessandro Barbero rappelle aussi que dans l’espace méditerranéen, le navire adéquat reste la galère avec des rameurs tantôt volontaires, tantôt forcés (des esclaves, des prisonniers ou des repris de justice). La force de propulsion, leur entretien et celui des bâtiments, la fabrication de l’armement accroissent les dépenses si bien que les participants aimeraient que leur lourdeur soit prise en charge par leurs alliés. Dans cette ambiance souvent délétère, on peut imaginer – comme le fait Frédéric Pichon – que « le pape va faire preuve d’un sens du bien commun européen et percevoir la nécessité d’une unité européenne (p. 63) ». On en est en fait loin. Barbero signale que la population orthodoxe de Chypre soumise à l’aristocratie vénitienne accueille avec une joie certaine les Ottomans. Dans le même temps, les Albanais chrétiens, tant orthodoxes que catholiques, se soulèvent contre Istamboul à l’instigation de Venise qui les arment et les financent…
Après maintes difficultés dues à des divergences liées aux intérêts économiques, aux considérations politiques et aux susceptibilités personnelles, Pie V parvient à former une coalition qui réunit Venise, Gênes, les États de l’Église, l’Espagne, la Savoie et l’Ordre de Malte. Enthousiaste, Jean-David Cattin s’exclame : « Ce qui rend cet exploit encore plus remarquable, c’est l’union et la profonde solidarité qui animaient ces Européens à une époque où les royaumes dont ils étaient issus se faisaient souvent la guerre. Dépassant ces querelles stériles, ils surent mourir côte à côte devant la plus grande menace que l’Europe ait connu depuis deux mille ans. Ensemble (p. 59). » Assertion que nuance Barbero, mais qui n’en demeure pas moins vraie. « Victoire européenne. Défaite turque. Un choc brutal, de grande ampleur pour l’époque, mais un choc bref. La bataille, en effet, ne dure que de trois à cinq heures. Mais, et c’est surtout cela qu’il faut rappeler aujourd’hui, elle s’inscrit dans une vaste épopée : celle de l’Europe, toujours divisée en fractions rivales, incapable de bander toutes ses forces dans un effort unique sur le long terme, souligne Robert Steuckers (p. 1). »
Alessandro Barbero insiste, lui, sur des Européens convertis dans l’appareil administratif de l’Empire ottoman. Alger est ainsi à cette époque peuplé de renégats qui, pirates, participent à la mise en esclavage de leurs anciens coreligionnaires…
Lépante et la France
Les auteurs de 1571. Lépante, Guillaume Luyt en particulier, reviennent sur ce « non-dit français » qu’est Lépante. Si Luyt fustige avec raison la vision francocentrée et l’hostilité incessante envers toute idée européenne des nationalistes français, il faut cependant rappeler que la France subit depuis onze ans une guerre civile religieuse qui se traduira dans quelques mois par le massacre de la Saint-Barthélemy (24 août 1572). Par ailleurs, le Roi Très Chrétien est l’allié du Grand Turc (l’ambassadeur de France à Constantinople est le seul diplomate européen présent avec le représentant de Venise). Robert Steuckers indique qu’« en 1542, François Ier s’allie officiellement aux Ottomans. Pendant dix-sept ans, la guerre fera rage entre le binôme franco-turc et les autres puissances européennes. Le premier acte de guerre a lieu en mai 1543 : la flotte de Charles Quint quitte Barcelone sous les ordres de l’empereur lui-même, tandis qu’au même moment la flotte turque, commandée par Kheir ed-Din, quitte Modon/Methoni, un port du Péloponnèse. Elle est forte de 110 galères et de 40 bateaux à voiles. Son objectif ? Ravager le bassin occidental, à commencer par Reggio en Calabre. La malheureuse cité n’est pas la seule à recevoir la visite de Barberousse : Terracina, Civitavecchia et Piombino partagent bien vite son sort. Après avoir mis les côtes italiennes à feu et à sang, Kheir ed-Din cingle vers Marseille pour faire jonction avec la flotte française, dont le capitaine général est le duc d’Enghien. Ensemble, ils prennent Nice, alors italienne, et la mettent à sac. Les Français accordent aux Turcs et aux Barbaresques le droit de mouiller et de passer l’hiver à Toulon, qui est transformée en une enclave musulmane en terre provençale, une enclave que les Français doivent alimenter et approvisionner en toutes sortes de matériels (pp. 16 – 17) ».
Cette alliance franco-ottomane est une exception dans le paysage géopolitique de l’époque. En effet, « le protocole diplomatique impliquait, remarque Barbero, le refus de reconnaître quelque légitimité que ce soit au pouvoir du sultan, assimilé au tyran qu’il est légitime de combattre et même de tuer, selon l’éthique thomiste. Le roi de France n’avait par contre aucun scrupule à commencer ainsi ses lettres adressées à Sélim : “ Très haut et excellent, très puissant, très magnanime et invincible Prince, le Grand Empereur des Musulmans Sultan Sélim Han, tout honneur et vertu abonde, notre très cher et vertueux ami, Dieu veuille augmenter Votre Grandeur et Hautesse avec fin heureuse ” (note 12 p. 584) ». Voilà pourquoi, outre une ignorance historique considérable, les Français restent de marbre à l’évocation de Lépante qui soulève au contraire l’enthousiasme des Corses, des Nissarts et des Savoisiens.
Quelles ont été les conséquences de Lépante ? Est-il fondé d’avancer comme le fait Benoît Lœuillet que « c’est la première fois depuis le XVe siècle qu’un coup d’arrêt est porté à la suprématie turque en Méditerranée. L’expansionnisme ottoman est irréversiblement marqué par la défaite de Lépante (p. 23) » ? Oui, en relativisant le propos, car Barbero estime qu’« il est juste de conclure qu’elle en eut bien peu, et qu’il ne pouvait en être autrement parce qu’elle fut menée en octobre (p. 554) ». Barbero pense que « l’importance historique de Lépante tient surtout à son énorme impact émotif et à la propagande qui s’en suivit. La nouvelle de la victoire fut accueillie dans les capitales catholiques avec un enthousiasme sans précédent, et ce d’autant plus qu’elle arrivait après des années de frustration et de disette. Les célébrations partout proclamées laissèrent une impression durable sur un public pourtant habitué au contraste entre la misère de la vie quotidienne et le luxe somptueux des festivités de l’État (p. 555) ».
Actualité géopolitique d’un affrontement passé
Très réaliste, Mario Borghezio considère, pour sa part, que « l’Europe catholique avait remporté son défi vital mais était en train de perdre, sans s’en rendre compte, sa prépondérance économique et militaire au profit des pays protestants du Nord du continent (p. 78) ». Aujourd’hui, les Anglo-Saxons soutiennent la Turquie et l’islam sunnite djihadiste. Les Jeunesse identitaires regrettaient qu’« à l’axe Paris – Berlin – Moscou (et pourquoi pas Pékin ?), on aura préféré pour notre malheur un axe Washington – Londres – Ankara – Tel Aviv. Ne l’oublions pas, les Turcs savent jouer sur toutes les cordes, l’islamisme le plus radical mais aussi la carte américaine et la carte israélienne (p. 72) ».
Prenons toutefois garde de ne pas tomber dans un anti-islamisme primaire ou dans une quelconque turcophobie stérile. « Il semble vain d’agiter le spectre légitime de l’islam s’il s’agit simplement de défendre la civilisation du Mac Donald, de la Star Ac’, de l’individualisme, du délitement des mœurs et de l’athéisme. Autant combattre les mains liées avec une béquille de bois (p. 64) », avertit Frédéric Pichon pour qui le recours au christianisme catholique s’impose. « Notre civilisation est blessée au cœur et c’est en renouant avec Celui qui est la source de tout bien, à savoir au Dieu créateur, personnel et infiniment bon, que l’on pourra constituer une alternative opérante à l’expansion de l’Islam (p. 66). » Or le déclin de l’Europe ne provient-il pas du monothéisme dont les valeurs ont été sécularisées et qui saturent maintenant toute la société postmoderniste ? Le remède monothéiste contre un autre péril, monothéiste lui aussi, n’est guère probant. Pour sa part, Robert Steuckers estime qu’« aujourd’hui, avec le déclin démographique de l’Europe et l’amnésie généralisée qui s’est emparé de nos peuples dans l’euphorie d’une société de consommation, le danger turc est pourtant bien présent. Une adhésion à l’U.E. submergerait l’Europe et lui ferait perdre son identité géopolitique, forgée justement pendant plus d’un millénaire de lutte contre les irruptions centre-asiatiques dans sa périphérie ou carrément dans son espace médian. L’Europe doit être vigilante et ne tolérer aucun empiétement supplémentaire de son territoire : à Chypre, dans l’Égée, dans le Caucase, sur le littoral nord-africain où subsistent les “ presidios ” espagnols, dans les Canaries, il faut être intransigeant. Mais dans quel esprit doit s’inscrire cette intransigeance ? Dans l’esprit de l’Ordre de Saint-Jean, bien évidemment, qui a toujours refusé de lutter contre une puissance chrétienne ou de s’embarquer dans des alliances qui s’opposaient à d’autres pactes où des puissances chrétiennes étaient parties prenantes : on a en tête les alliances contre-nature que concoctaient les Byzantins sur leur déclin et qui ont amené les Turcs en Thrace. L’Ordre a toujours su désigner l’ennemi géopolitique et en a tiré les conséquences voulues. L’idéal bourguignon du XVe siècle, très bien décrit dans le beau livre de Bertrand Schnerb, correspond parfaitement à ce qu’il faudrait penser aujourd’hui, au-delà des misères idéologiques dominantes et des bricolages insipides de nos intellectuels désincarnés ou de nos médiacrates festivistes. Notre idéal remonte en effet à Philippe le Bon, le fils de Jean sans Peur et d’une duchesse bavaroise, qui prête à Lille, le 17 février 1454, le fameux “ Vœu du Faisan ”, un an après la chute de Constantinople. Le “ Vœu du Faisan ” est effectivement resté un simple vœu, parce que Trébizonde est tombée à son tour. Les Ducs de Bourgogne voulaient intervenir en Mer Noire et harceler les Ottomans par le Nord. Deux hommes ont tenté de traduire ce projet dans les faits : Waleran de Wavrin et Geoffroy de Thoisy. L’idéal de la Toison d’Or et l’idéal alexandrin de l’époque s’inscrivent aussi dans ce “ Vœu ” et dans ces projets : il convient de méditer cet état de choses et de l’actualiser, à l’heure où ces mêmes régions balkaniques, pontiques et caucasiennes entrent en turbulences. Et où, avec Davutoglu, la Turquie s’est donné un ministre des affaires étrangères qui qualifie ses options géopolitiques de “ néo-ottomanes ”. Lépante est l’aboutissement d’une guerre longue (pp. 25 – 26) ». Et si le Sahel devenait le nouveau terrain d’action des Européens enfin conscients d’eux-mêmes ?
La survie européenne passe nécessairement par le recours à l’archaïque, la remise en cause complète des valeurs d’une civilisation dorénavant naufragée et la redécouverte d’une vieille mémoire historique collective enfouie – « La longue mémoire, dans les guerres longues, est une arme redoutable, précise Steuckers (p. 26) ». Un autre Moyen Âge doit être devant nous.
Georges Feltin-Tracol
• Alessandro Barbero, La bataille des trois empires. Lépante, 1571, Flammarion, coll. « Au fil de l’histoire », Paris, 2012, traduction de Patricia Farazzi et Michel Valensi, 684 p., 29 €.
• Robert Steuckers, « 7 octobre 1571 : bataille de Lépante. Réflexions historiques et géopolitiques sur l’aboutissement d’un conflit trois fois séculaire », version intégrale transmise par l’auteur dont sont extraites les citations. Une version condensée a été publiée dans Collectif, Force & Honneur. Ces batailles qui ont fait la grandeur de la France et de l’Europe, Les Amis du Livre européen, Boulogne-Billancourt, 2010, 352 p., 45 €.
• Collectif, 1571. Lépante, IDées, Nice, 2011, 108 p., 10 €.
http://www.europemaxima.com/lepante-du-mythe-a-la-realite-par-georges-feltin-tracol/
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Suisse : il trouve un trésor, l’apporte au Service archéologique et il est condamné
[…] Le particulier qui avait découvert une main en bronze datant de 3500 ans à Prêles (BE) à l’aide d’un détecteur de métal a été condamné à une amende de 2500 francs suisses. Le tribunal l’a reconnu mercredi coupable d’infractions à la loi sur la protection du patrimoine.Ce détectoriste avait fait cette découverte archéologique qualifiée d’exceptionnelle le 7 octobre 2017 dans un champ situé près du village de Prêles, dans le Jura bernois. Une lame de poignard en bronze et une côte humaine étaient enfouies près de cette main sculptée en bronze avec une fine plaque d’or. […]
« Le prévenu n’est pas un pilleur et il n’est pas non plus animé par la cupidité mais par l’enthousiasme« , a relevé le juge. « Mais il ne peut pas décider de faire de la détection de loisir où il l’entend« , a ajouté le magistrat en soulignant que le prévenu avait pour dessein de faire également des trouvailles archéologiques. […]
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Nicolas Klein sur radio Courtoisie : Les espagnols face à leur histoire
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Pour mieux comprendre la Révolution Conservatrice allemande par Georges FELTIN-TRACOL
En dépit de la parution en 1993 chez Pardès de l’ouvrage majeur d’Armin Mohler, La Révolution Conservatrice allemande 1918 – 1932, le public français persiste à méconnaître cet immense ensemble intellectuel qui ne se confine pas aux seules limites temporelles dressées par l’auteur. Conséquence immédiate de la Première Guerre mondiale et de la défaite allemande, cette mouvance complexe d’idées plonge ses racines dans l’avant-guerre, se retrouve sous des formes plus ou moins proches ailleurs dans l’espace germanophone et présente de nombreuses affinités avec le « non-conformisme français des années 30 ».
Dans son étude remarquable, Armin Mohler dresse une typologie pertinente. À côté d’auteurs inclassables tels Oswald Spengler, Thomas Mann, Carl Schmitt, Hans Blüher, les frères Ernst et Friedrich Georg Jünger, il distingue six principales tendances :
— le mouvement Völkisch (ou folciste) qui verse parfois dans le nordicisme et le paganisme,
— le mouvement Bündisch avec des ligues de jeunesse favorables à la nature, aux randonnées et à la vie rurale,
— le très attachant Mouvement paysan de Claus Heim qui souleva le Schleswig-Holstein de novembre 1928 à septembre 1929,
— le mouvement national-révolutionnaire qui célébra le « soldat politique »,
— il s’en dégage rapidement un fort courant national-bolchévik avec la figure exemplaire d’Ernst Niekisch,
— le mouvement jeune-conservateur qui réactive, par-delà le catholicisme, le protestantisme ou l’agnosticisme de ses membres, les idées de Reich, d’État corporatif (Ständestaat) et de fédéralisme concret.
Le riche ouvrage d’Armin Mohler étant épuisé, difficile à dénicher chez les bouquinistes et dans l’attente d’une éventuelle réédition, le lecteur français peut épancher sa soif avec La Révolution Conservatrice allemande, l’ouvrage de Robert Steuckers. Ancien responsable des revues Orientations, Vouloir et Synergies européennes, animateur aujourd’hui de l’excellent site métapolitique Euro-Synergies, Robert Steuckers parle le néerlandais, le français, l’allemand et l’anglais. À la fin des années 1970 et à l’orée des années 1980, il fit découvrir aux « Nouvelles Droites » francophones des penseurs germaniques méconnus dont Ernst Niekisch. Il faut par conséquent comprendre ce livre dense et riche comme une introduction aux origines de cette galaxie intellectuelle, complémentaire au maître-ouvrage de Mohler.
Vingt-cinq articles constituent ce recueil qui éclaire ainsi de larges pans de la Révolution Conservatrice. Outre des études biographiques autour de Jakob Wilhelm Hauer, d’Arthur Mœller van den Bruck, d’Alfred Schuler, d’Edgar Julius Jung, d’Herman Wirth ou de Christoph Steding, le lecteur trouve aussi des monographies concernant un aspect, politologique ou historique, de cette constellation. Il examine par exemple l’œuvre posthume de Spengler à travers les matrices préhistoriques des civilisations antiques, le mouvement métapolitique viennois d’Engelbert Pernerstorfer, précurseur de la Révolution Conservatrice, ou bien « L’impact de Nietzsche dans les milieux politiques de gauche et de droite ».
De tout cet intense bouillonnement, seuls les thèmes abordés par les auteurs révolutionnaires-conservateurs demeurent actuels. Les « jeunes-conservateurs » développent une « “ troisième voie ” (Dritte Weg) [qui] rejette le libéralisme en tant que réduction des activités politiques à la seule économie et en tant que force généralisant l’abstraction dans la société (en multipliant des facteurs nouveaux et inutiles, dissolvants et rigidifiants, comme les banques, les compagnies d’assurance, la bureaucratie, les artifices soi-disant “ rationnels ”, etc., dénoncés par la sociologie de Georges Simmel) (p. 223) ».
La Révolution Conservatrice couvre tous les champs de la connaissance, y compris la géopolitique. « Dans les normes internationales, imposées depuis Wilson et la S.D.N., Schmitt voit un “ instrumentarium ” mis au point par les juristes américains pour maintenir les puissances européennes et asiatiques dans un état de faiblesse permanent. Pour surmonter cet handicap imposé, l’Europe doit se constituer en un “ Grand Espace ” (Grossraum), en une “ Terre ” organisée autour de deux ou trois “hegemons ” européens ou asiatiques (Allemagne, Russie, Japon) qui s’opposera à la domination des puissances de la “ Mer ” soit les thalassocraties anglo-saxonnes. C’est l’opposition, également évoquée par Spengler et Sombart, entre les paysans (les géomètres romains) et les “ pirates ”. Plus tard, après 1945, Schmitt, devenu effroyablement pessimiste, dira que nous ne pourrons plus être des géomètres romains, vu la défaite de l’Allemagne et, partant, de toute l’Europe en tant que “ grand espace ” unifié autour de l’hegemon germanique. Nous ne pouvons plus faire qu’une chose : écrire le “ logbook ” d’un navire à la dérive sur un monde entièrement “ fluidifié ” par l’hégémonisme de la grande thalassocratie d’Outre-Atlantique (p. 35). »
Robert Steuckers mentionne que la Révolution Conservatrice a été en partie influencée par la riche et éclectique pensée contre-révolutionnaire d’origine française. « Dans le kaléidoscope de la contre-révolution, note-t-il, il y a […] l’organicisme, propre du romantisme post-révolutionnaire, incarné notamment par Madame de Staël, et étudié à fond par le philosophe strasbourgeois Georges Gusdorf. Cet organicisme génère parfois un néo-médiévisme, comme celui chanté par le poète Novalis. Qui dit médiévisme, dit retour du religieux et de l’irrationnel de la foi, force liante, au contraire du “ laïcisme ”, vociféré par le “ révolutionnarisme institutionnalisé ”. Cette revalorisation de l’irrationnel n’est pas nécessairement absolue ou hystérique : cela veut parfois tout simplement dire qu’on ne considère pas le rationalisme comme une panacée capable de résoudre tous les problèmes. Ensuite, le vieux-conservatisme rejette l’idée d’un droit naturel mais non pas celle d’un ordre naturel, dit “ chrétien ” mais qui dérive en fait de l’aristotélisme antique, via l’interprétation médiévale de Thomas d’Aquin. Ce mélange de thomisme, de médiévisme et de romantisme connaîtra un certain succès dans les provinces catholiques d’Allemagne et dans la zone dite “ baroque ” de la Flandre à l’Italie du Nord et à la Croatie (p. 221). » Mais « la Révolution Conservatrice n’est pas seulement une continuation de la Deutsche Ideologie de romantique mémoire ou une réactualisation des prises de positions anti-chrétiennes et hellénisantes de Hegel (années 1790 – 99) ou une extension du prussianisme laïc et militaire, mais a également son volet catholique romain (p. 177) ». Elle présente plus de variétés axiologiques. De là la difficulté de la cerner réellement.
La postérité révolutionnaire-conservatrice catholique prend ensuite une voie originale. « En effet, après 1945, l’Occident, vaste réceptacle territorial océano-centré où est sensé se recomposer l’Ordo romanus pour ces penseurs conservateurs et catholiques, devient l’Euramérique, l’Atlantis : paradoxe difficile à résoudre car comment fusionner les principes du “ terrisme ” (Schmitt) et ceux de la fluidité libérale, hyper-moderne et économiciste de la civilisation “ états-unienne ” ? Pour d’autres, entre l’Orient bolchevisé et post-orthodoxe, et l’Hyper-Occident fluide et ultra-matérialiste, doit s’ériger une puissance “ terriste ”, justement installée sur le territoire matriciel de l’impérialité virgilienne et carolingienne, et cette puissance est l’Europe en gestation. Mais avec l’Allemagne vaincue, empêchée d’exercer ses fonctions impériales post-romaines, une translatio imperii (une translation de l’empire) doit s’opérer au bénéficie de la France de De Gaulle, soit une translatio imperii ad Gallos, thématique en vogue au moment du rapprochement entre De Gaulle et Adenauer et plus pertinente encore au moment où Charles De Gaulle tente, au cours des années 60, de positionner la France “ contre les empires ”, c’est-à-dire contre les “ impérialismes ”, véhicules des fluidités morbides de la modernité anti-politique et antidotes à toute forme d’ancrage stabilisant (p. 181) ». Le gaullisme, agent inattendu de la Révolution Conservatrice ? Dominique de Roux le pressentait avec son essai, L’Écriture de Charles de Gaulle en 1967.
Ainsi le philosophe et poète allemand Rudolf Pannwitz soutient-il l’Imperium Europæum qui « ne pourra pas être un empire monolithique où habiterait l’union monstrueuse du vagabondage de l’argent (héritage anglais) et de la rigidité conceptuelle (héritage prussien). Cet Imperium Europæum sera pluri-perspectiviste : c’est là une voie que Pannwitz sait difficile, mais que l’Europe pourra suivre parce qu’elle est chargée d’histoire, parce qu’elle a accumulé un patrimoine culturel inégalé et incomparable. Cet Imperium Europæum sera écologique car il sera “ le lieu d’accomplissement parfait du culte de la Terre, le champ où s’épanouit le pouvoir créateur de l’Homme et où se totalisent les plus hautes réalisations, dans la mesure et l’équilibre, au service de l’Homme. Cette Europe-là n’est pas essentiellement une puissance temporelle; elle est la “ balance de l’Olympe ” (p. 184) ». On comprend dès lors que « chez Pannwitz, comme chez le Schmitt d’après-guerre, la Terre est substance, gravité, intensité et cristallisation. L’Eau (et la mer) sont mobilités dissolvantes. Continent, dans cette géopolitique substantielle, signifie substance et l’Europe espérée par Pannwitz est la forme politique du culte de la Terre, elles est dépositaire des cultures, issues de la glèbe, comme par définition et par force des choses toute culture est issue d’une glèbe (p. 185) ».
On le voit, cette belle somme de Robert Steuckers ne se réduit pas à une simple histoire des idées politiques. Elle instruit utilement le jeune lecteur avide d’actions politiques. « La politique est un espace de perpétuelles transitions, prévient-il : les vrais hommes politiques sont donc ceux qui parviennent à demeurer eux-mêmes, fidèles à des traditions – à une Leitkultur dirait-on aujourd’hui -, mais sans figer ces traditions, en les maintenant en état de dynamisme constant, bref, répétons-le une fois de plus, l’état de dynamisme d’une anti-modernité moderniste (p. 222). » Une lecture indispensable !
Georges Feltin-Tracol
• Robert Steuckers, La Révolution Conservatrice allemande. Biographies de ses principaux acteurs et textes choisis, Les Éditions du Lore (La Fosse, F – 35 250 Chevaigné), 2014, 347 p., 28 € + 6 € de port.
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La Petite Histoire : Les Anglais n’auront pas l’île de Ré !
En 1627, sans déclaration de guerre, les troupes anglaises du Duc de Buckingham prennent pied sur l’île de Ré et débutent le siège de Saint-Martin-de-Ré afin d’inciter les protestants de La Rochelle à se soulever. Mais grâce à des nageurs héroïques envoyés sur le continent chercher de l’aide, la citadelle tient bon et bientôt les renforts arrivent. Ce sera, pour les Britanniques, une mémorable déculottée, et pour le pouvoir royal, l’occasion de faire de La Rochelle un exemple.
https://www.tvlibertes.com/la-petite-histoire-les-anglais-nauront-pas-lile-de-re
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Theusz : collectif artistique de droite - Vive l'Europe, septembre 2019, Conversano
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Passé-Présent n°252 – Guerre de Sécession : un régiment français au côté des Confédérés
L’échec de la S.D.N.
Philippe Conrad nous conte la malheureuse expérience de la Société des Nations créée en 1919, à partir d’une idée du président américain Woodrow Wilson, dans le but de bâtir une paix mondiale sûre et durable. Malgré la résolution de quelques différents internationaux mineurs, la S.D.N., vite paralysée par la règle de l’unanimité des états membres, restera impuissante face aux tensions et aux conflits mondiaux, plombée par l’héritage des traités dont elle devait être la garante. Dissoute en avril 1946, les missions qu’elle se proposait d’entreprendre seront alors reprises par l’O.N.U.
Les oubliés de l’île de Clipperton
Anne Sicard nous entraîne dans l’océan Pacifique, à plus de 1 000 km des côtes mexicaines, sur un atoll de 1,7 km² : l’île de Clipperton. Désormais possession française, l’îlot fut habité en 1906 par des familles mexicaines qui, n’étant plus ravitaillées, furent pour la plupart décimées par la famine et le scorbut.
Un régiment français dans l’armée confédérée durant la guerre de Sécession
Philippe Conrad accueille le lieutenant-colonel, Eric Vieux de Morzadec, pour son livre : Le 1er Bataillon de Zouaves de Louisiane, préfacé par Alain Sanders. (Atelier Fol’fer – 250 p. – 25 €). L’auteur relate un aspect méconnu de la guerre de Sécession américaine (1861-1865), celui d’une présence française représentée par des unités de zouaves qui rejoignirent, dans une large majorité, l’armée confédérée sudiste face aux Etats du nord.
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Retour sur « Le dernier Gaulois » par Jean NON-CONFORME
France 2 nous proposait, en première partie de soirée et pendant la période des fêtes, un docu-fiction franco-belge intitulé Le dernier Gaulois. Nous ne pouvons que saluer l’initiative, d’autant plus que ce reportage ne fut pas le prétexte à un intense moment de propagande dont la télévision est pourtant un vecteur majeur. C’est déjà un point positif.
Réalisé essentiellement en « motion capture » et donc en 3D, il nous faisait vivre la fin d’une civilisation, celle des Gaulois, à travers un personnage, Apator, vieux chef éduen. Je regrette pour ma part qu’une plus large place n’ait pas été réservée à l’archéologie expérimentale et à la reconstitution historique, où vêtements et objets sont reproduits fidèlement. Cela permet une plus grande authenticité et une meilleure immersion.
Le reportage passe en revue un grand nombre d’aspects de la civilisation gauloise : habitat, artisanat, activité guerrière, rôle de la femme ou encore assemblées politiques et divisions. Il s’inscrit dans un mouvement de revalorisation des Gaulois qui ont oscillé entre les caricatures du roman national et celles de tous ceux qui à l’inverse méprisent notre histoire. À l’instar des populations du Haut Moyen-Âge, en en particulier des Francs et des « Vikings », les études archéologiques et historiques nous permettent de porter un regard bien plus favorable sur ces peuples gaulois qui pratiquaient peu l’écrit. On y découvre alors un véritable artisanat de qualité et une organisation sociale complexe qui n’a rien à envier – ou presque – à ses voisins romains. Ils leur sont proches au moins par la géographie et une origine commune, indo-européenne. Le commerce est florissant entre Romains et Gaulois, en particulier dans la vallée du Rhône, de la Saône, et les Romains introduisent la vigne. De leur côté, les Gaulois inventent le tonneau, ce qui est un véritable progrès par rapport aux amphores grecques et romaines, très fragiles. On notera que le reportage fait l’impasse sur les contacts encore plus anciens des Gaulois avec le monde grec. La cité de Phocée ayant par exemple fondée des colonies aux VIIe et VIe siècles av. J-C comme Nikaia (Nice), Massalia (Marseille) ou encore Agathé Tychè (Agde). On prête également des contacts entre druides et savants grecs. Du côté des Romains, c’est vers Cicéron qu’il faudrait chercher pour trouver des éloges envers les druides.
Le reportage se focalise sur la période de la guerre des Gaules (entre 58 et 52 av. J-C), dont la principale source écrite est l’œuvre éponyme rédigée par Caius Julius Caesar. Ce dernier est alors proconsul en Gaule Narbonnaise, territoire contrôlé par Rome depuis la fin des Guerres puniques contre Carthage. Un proconsul est un ancien consul (le plus haut magistrat romain) qui est amené à gérer un province à la fin de sa magistrature. On parlerait actuellement de gouverneur. Au-delà du Dernier Gaulois, ce reportage est aussi l’occasion de s’apercevoir du génie politique et surtout militaire de Jules César, presque inégalé jusqu’à Napoléon. Certes, César valorise ses adversaires pour augmenter son prestige, mais il est toutefois attesté que les différents peuples gaulois furent des adversaires redoutables pour les Romains. Le souvenir de la victoire de Brennus est resté douloureux dans les mémoires romaines. Malheureusement pour eux, les Gaulois sont à l’époque de la guerre des Gaules rongés par les luttes intestines et Rome exerce une véritable fascination pour une partie de leurs élites. Ils ne purent pendant ces six années offrir une opposition solide, ce qui ne les empêche pas de vaincre les Romains à Gergovie avant d’échouer à Alésia. Nous apprécions que le reportage mentionne que Vercingétorix a servi au côté de César, nous regretterons cependant que cet aspect n’ait pas été plus expliqué. César apparaît dans le reportage comme froid et cynique, n’hésitant pas à massacrer vieillards, femmes et enfants et à humilier les aristocrates gaulois. C’est un homme avide de pouvoir dans sa lutte contre Crassus et Pompée qui va parvenir à dominer toute la Gaule (oui toute, même les villages d’Armorique !) et pénétrer en Bretagne.
Sur ce point, on pourra toujours s’interroger. Le caractère des personnages participe plus de la narration que de la réalité. Ce n’est pas le seul élément discutable du reportage. Outre l’absence d’explication sur le « retournement » de Vercingétorix, le reportage ne fait que peu de cas de la cavalerie gauloise, la meilleure de son temps. Il est peut-être un peu caricatural sur le rôle de la femme. Certes, il était nécessaire, et nous ne nous en plaindrons pas, de rappeler que la femme gauloise avait un rôle sociale plutôt favorable, surtout si on la compare à d’autres cultures, y compris de nos jours. Mais cela manque peut-être un peu de nuance. Quant au passage sur le Gaulois étreignant une femme avec un mot grivois, il était totalement dispensable… La diversité des peuples n’est pas non plus très marquée. À diverses reprises le narrateur, Clovis Cornillac, nous parle de diversité dans les panthéons, mais les dieux ne sont presque jamais mentionnés, sauf dans le cadre des batailles avec Taranis et Teutates. L’Aquitaine est par ailleurs complètement oubliée, quid des Vascons de Novempopulanie qui occupent une partie non négligeable de la Gaule ?
Au terme de ce reportage, nous pouvons toutefois tirer quelques leçons d’histoire. La liberté défendue par Vercingétorix ou Apator – celle de rester un ensemble de peuples distincts pouvant vivre en bonne intelligence avec l’empire romain – est très noble, mais elle montre la difficulté de résister face à une puissance organisée, déterminée et qui parvient à séduire une partie des élites adverses. Il apparaît assez clairement qu’une partie des élites gauloises se laisse séduire par le commerce et qu’elle voit surtout ses intérêts immédiats dans ce domaine. Cela nous rappellerait presque nos élites actuelles… Presque… Nous savons désormais de façon certaine que la romanisation fut avant tout un processus de séduction, contrairement à l’idée jadis en vogue selon laquelle Rome aurait imposé son mode de vie. C’est un long processus d’acculturation et d’adoption des mœurs romaines (comme les tria nomina ou la toge) qui fera des Gaulois des Romains à part entière. Paradoxe lorsqu’on étudie dans le même temps l’hellénisation des élites romaines.
À l’heure de la faillite de notre système d’assimilation (qu’on s’en réjouisse ou qu’on le regrette n’est pas le sujet ici), ces questions identitaires et culturelles ne sont pas négligeables. Le reportage conclut en disant que les Gaulois deviennent des « Gallo-Romains », mais cette expression est aujourd’hui contestée et traduit l’ambiguïté de la dimension identitaire à cette époque. En effet, être Romain, ce n’est plus simplement être issu de la ville de Rome, mais être un citoyen de l’ensemble politique dirigé par Rome. Ce n’est plus l’ethnie qui définit seule l’identité, mais l’appartenance à un ensemble culturel et politique. Au final, le titre est bien choisi, car sans que les contemporains en aient conscience, Alésia a scellé le sort d’une civilisation mais peut-être aussi d’une conception de l’identité et de la citoyenneté.
Jean Non Conforme
• D’abord mis en ligne sur Cercle non conforme, le 3 janvier 2016.
http://www.europemaxima.com/retour-sur-%c2%ab-le-dernier-gaulois-%c2%bb-par-jean-non-conforme/
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Requiem pour un Empire défunt de François Fetjö par Franck ABED
Alors que l’Europe civilisationnelle meurt jour après jour devant nous, sous les coups de boutoir conjugués du modernisme, du mondialisme et du consumérisme, il demeure fondamental de comprendre l’histoire de notre continent, si nous voulons encore croire à un avenir digne de ce nom… À ce titre j’ai récemment découvert, au gré de mes recherches, une petite merveille intellectuelle qui décrypte avec faits, objectifs et arguments circonstanciés, la mort programmée de l’Autriche-Hongrie. Cette dernière reste couramment mais improprement appelée Empire austro-hongrois, alors que son nom exact devrait être Double Monarchie austro-hongroise.
François Fetjö fut un journaliste et historien français d’origine hongroise, spécialiste de l’Europe de l’Est et de l’histoire du communisme. Dans cet ouvrage solidement documenté, il présente sa thèse à rebrousse poil de l’histoire officielle : la Double Monarchie n’implosa pas suites aux attaques des minorités ethniques qui la composaient, pas plus qu’elle ne mourut à cause de ses contradictions internes dues à un système politique archaïque et décadent. Non ! Elle fut littéralement assassinée par la volonté politique des pays de l’Entente, animés par le désir de républicaniser l’Europe. Même si François Fetjö évoque, parfois avec une nostalgie certaine, que nous pouvons comprendre et partager le passé des Habsbourg, il ne tombe jamais dans l’hagiographie et le prosélytisme. Ainsi, avant d’entrer dans les considérations stratégiques et politiques du début du XXe siècle, l’écrivain rappelle comment cette famille de petite noblesse a su, par une lucide stratégie matrimoniale et une sagesse diplomatique, s’imposer comme l’une des dynasties les plus illustres d’Europe. Evoquant sa lutte contre la Maison de France, les Turcs musulmans, les Russes, l’auteur analyse également, point par point, les réussites et les échecs des descendants de Rodolphe de Habsbourg.
Précisons que l’histoire telle qu’elle est actuellement enseignée, reste malheureusement sous contrôle de la plus virulente extrême gauche. Les communistes et autres marxistes-léninistes dépeignent donc la chute de la Double Monarchie comme une fatalité qui relèverait en quelque sorte d’un sens de l’histoire cher à Hegel. Pourtant ce meurtre fut voulu et encouragé par les dominants d’alors. En effet, tout en évoquant le destin particulier de cette lignée habsbourgeoise, François Fejtö, à partir d’archives inédites ou trop peu connues, démontre que la monarchie austro-hongroise aurait pu continuer à exister après guerre, si les Alliés n’avaient pris la décision de la rayer de la carte. Nous pouvons lire cette analyse brillante : « Il est indéniable que le fait de démolir l’Autriche correspondait aux idées des maçons, en France et aux États-Unis (1). Leur vision de l’Europe républicaine et démocratique, dans le cadre de la Société des Nations qu’ils lui avaient prévue, ne s‘est point accomplie. En fin de compte, des dirigeants nationalistes, diplomates et militaires, se sont servis de leur appoint psychologique et moral pour établir l’hégémonie, encore précaire, de la France sur les petits États successeurs de la monarchie détruite, et qui étaient beaucoup moins viables et beaucoup plus dangereux pour l’équilibre de l’Europe, beaucoup moins utiles comme barrière à l’expansionnisme allemand que n’aurait été une monarchie réorganisée. »
Effectivement avant la Grande Guerre, l’Empire jouait un rôle stabilisateur en Europe centrale, comme nous l’avons malheureusement appris à nos dépends depuis son homicide : Deuxième Guerre mondiale, agitations et instabilités politiques chroniques dans cette zone géographique, guerres ethnico-religieuses dans les années 90, etc. Nous citons également le texte introductif de Joseph Roth qui figure dans l’avant-propos, démontrant la cohésion des peuples derrière leur souverain légitime : « Dans cette Europe insensée des États-nations et des nationalismes, les choses les plus naturelles apparaissent comme extravagantes. Par exemple, le fait que des Slovaques, des Polonais et des Ruthènes de Galicie, des juifs encafetanés de Boryslaw, des maquignons de la Bácska, des musulmans de Sarajevo, des vendeurs de marrons grillés de Mostar se mettent à chanter à l’unisson le Gott erhalte (2) le 18 août, jour anniversaire de François-Joseph, à cela, pour nous, il n’y a rien de singulier (3). » Il n’est guère étonnant que les babéliens d’hier et d’aujourd’hui, pourfendeurs des frontières et des identités, ne comprennent pas la nature réelle et profonde de ce cosmopolitisme chrétien et monarchique qui heurte leurs convictions maçonniques…
Sur la dépouille de la vieille et auguste monarchie naquirent de nombreux États libres et indépendants qui ne purent guère profiter longtemps de cette chimère révolutionnaire du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Des historiens sérieux comme Jacques Bainville (4) avait vu dans le traité de paix de Versailles la trame historique des prochaines décennies et les désastres qu’il engendrerait. François Fetjö conclut de manière admirable : « La victoire totale de 1918 et les traités de paix qui en découlèrent engendrèrent le néo-impérialisme monstrueux de l’Allemagne, incarné par Hitler, puis l’expansionnisme de l’Union soviétique, qui a pu prendre en charge comme prix de sa contribution à la victoire sur Hitler, la quasi-totalité de l’Europe centrale. » Concrètement nous pouvons dire que les grands principes démocratiques sont la mère de tous les totalitarismes. Malheureusement, au mépris de l’histoire nos adversaires enseignent que la Double Monarchie a implosé, alors qu’elle fut suicidée à l’insu de son plein gré…
Franck Abed
Notes
1: Il est notoire que Wilson et Clémenceau furent membres de la maçonnerie.
2 « Que Dieu garde notre Empereur et Roi », hymne de l’Empire, composé par Joseph Hayden.
3 : La Crypte des Capucins.
4 : Les conséquences politiques de la paix, ouvrage dans lequel est dénoncé le traité de Versailles de 1919 en ces termes célèbres : « Une paix trop douce pour ce qu’elle a de dur, et trop dure pour ce qu’elle a de doux. »
• D’abord mis en ligne sur AgoraVox, le 29 septembre 2016.
http://www.europemaxima.com/requiem-pour-un-empire-defunt-de-francois-fetjo-par-franck-abed/