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culture et histoire - Page 812

  • Jean-Jacques Goldman, cet artiste au-dessus de la mêlée …

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    Sache que je… a chanté Jean-Jacques Goldman.

    Sachez que je…

    Sachez que j’aurais voulu écrire un livre sur Jean-Jacques Goldman.

    On m’objecte que ce serait inutile, qu’il y en a déjà beaucoup et qu’une nouvelle biographie n’apporterait rien.

    Mais je n’aurais pas désiré écrire une biographie de plus. Il se tait, il fuit les médias et jamais on n’aurait pu espérer de sa part une quelconque validation de ce que quelques intrépides ou imprudents auraient cru devoir raconter sur lui.

    J’aurais seulement cherché à faire comprendre pourquoi depuis tant d’années un lien intime me relie à lui. Aussi bien au chanteur et au compositeur qu’à l’homme, surtout à l’homme.

    J’aurais tenté de dissiper les ombres malveillantes et les procès injustes, les analyses idiotes et les interprétations fausses.

    Par exemple le reproche qui lui a été fait de fuir la France pour des motifs fiscaux alors qu’il a été le seul artiste à se déclarer fier et heureux de payer beaucoup d’impôts.

    Aussi la polémique absurde au sujet de la superbe confrontation entre jeunesse et maturité composée pour les Restos du coeur : Toute la vie.

    Jean-Jacques Goldman a trop de classe pour un monde trop grossier. On ne le verra jamais se mêler aux démagogies et troupeaux d’aujourd’hui. En l’approuvant, j’aurais pu risquer une élucidation.

    J’aurais essayé de démontrer pourquoi cette personnalité est unique car jamais, dans son parcours, celui du professionnel comme celui de l’être privé, il n’a été responsable, coupable de la moindre vulgarité, de la plus petite bêtise.

    Il est resté honorablement à l’abri de toute intrusion, de tout narcissisme et il a su même échapper à cette forme étrange de modestie tellement ostensible et revendiquée qu’elle ressemble presque à de la vanité.

    Je me serais efforcé de montrer le caractère singulier de son aura qui n’est pas celle des politiques au plus haut quand ils se taisent ou disparaissent mais consacre une admiration pour une exemplarité aussi présente et obsédante que si elle continuait de s’offrir dans l’éclat médiatique et artistique .Absent, par contraste il rayonne.

    J’aurais pris la peine de rendre hommage à cette incarnation d’un élitisme populaire qui a su recueillir les suffrages d’un immense public sans jamais mépriser ce dernier.

    J’aurais évidemment choisi mon « Goldman » en espérant que mon empathie pourrait correspondre à celle de beaucoup d’autres.

    J’aurais rêvé de démêler des mystères et de formuler des hypothèses, mais sans présomption ni arrogance, j’aurais veillé à le traiter avec autant de délicatesse qu’il le mérite, j’aurais dévoilé sans fard les ressorts qui l’ont constitué comme « l’idole du vieux » en ne me dissimulant pas ce que le terme d’idole doit avoir d’indécent pour lui.

    J’aurais été prêt, pour le rencontrer et le questionner, à l’impossible. Mais mes efforts sont demeurés infructueux.

    Regret évidemment mais cette déception est tellement reliée à ce qu’on aime passionnément chez lui qu’on lui pardonne.

    J’aurais imaginé un livre sur lui parce qu’on n’a pas le droit de laisser ses élans et ses admirations sur le pas de la porte.

    Sachez que je…

    Extrait de : Justice au Singulier

    Philippe Bilger

    http://www.bvoltaire.fr/jean-jacques-goldman-cet-artiste-au-dessus-de-la-melee/

  • Soljenitsyne, le Vendéen [3]

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    par Dominique Souchet

    Comment commémorer plus dignement qu'il n'a été fait à ce jour le centenaire du grand Soljenitsyne ? Et comment évoquer en même temps  l'écrasement de la Vendée par la fureur révolutionnaire autrement que par les indignations faciles et les formules toutes faites cent fois répétées ? Le superbe récit des relations entre Alexandre Soljenitsyne et la Vendée de Dominique Souchet que le dernier numéro de la Nouvelle Revue Universelle vient de publier répond à ce souci de façon passionnante. On a là un récit précis mais aussi une réflexion à l'altitude qui convient pour évoquer en les reliant Alexandre Soljenitsyne, la révolution russe et le massacre de la Vendée. L'horreur révolutionnaire en soi-même d'un siècle l'autre. Du XVIIIe au XXe. Nous avons entrepris dimanche dernier la publication de ce récit qui s'étendra aux jours suivants. En remerciant Dominique Souchet et la N.R.U. de nous l'avoir donné.  LFAR  

    Le récit

    LA VENDÉE... FAMILIÈRE DEPUIS L'ENFANCE

    En réalité, l'intérêt de Soljenitsyne pour la Vendée et son histoire est ancien. Très ancien même, puisqu'il remonte à son enfance.

    C'est sa mère qui, à Rostov-sur-le-Don, lui a donné le goût de la lecture dès l'âge de huit ans, comme il le révélera dans son discours des Lucs, « les récits évoquant le soulèvement de la Vendée, si courageux et désespéré » suscitant, dès cet âge, son « admiration ».

    Soljenitsyne est frappé très tôt par la ressemblance entre les soulèvements paysans vendéen et russe contre le « régénération » que l'idéologie révolutionnaire veut imposer. Dans une lettre de 1992, par exemple, il écrit : « Pour moi, la Vendée est un symbole important : c'est l'ana­logue exact de nos deux grandes révoltes paysannes contre les bolcheviks. »

    L'analogie s'étend au déni qui affecte les deux événements. À l'occultation du soulèvement vendéen en France correspond celle qui frappe les soulèvements de populations rurales entières dans la Russie des années 1920. En Russie aussi, il y eut une résistance populaire. Une résistance paysanne qui fut, elle aussi, ardente et finalement vaincue. Et Soljenitsyne enrage qu'elle soit pareillement méconnue et occultée en Occident.

    Il confie son exaspération au magazine Le Point qui l'a consacré « homme de l'année » en 1975 : « Vous ignorez et tout le monde ignore, ce qu'a été la résistance des peuples russe et ukrainien. J'écrirai cela. Parce que l'Occident n'a jamais su et ne sait toujours pas : des horizons entiers de paysans armés de fourches, avançant par milliers contre des mitrailleuses. Des entassements de morts, partout. En fait, nous avons été décimés. Le mystère n'est pas dans notre affaissement. Il est dans notre résistance. »

    3650118671.11.pngC'est après son passage en Vendée, une fois rentré en Russie et après être allé sur place interroger les descendants des survivants, qu'il réalisera son projet. Il consacre un livre entier, Ego, publié en 1995 — ce sera sa première publication en Russie après son retour —, à l'insurrection paysanne de la région de Tambov en 1920-21, dont le Charette s'appelle Alexandre Antonov. (Photo ci-contre). Un récit particulièrement intense. À trois reprises y surgit l'interrogation : est-ce une nouvelle Vendée ? Et Soljenitsyne conclut : oui, c'est incontestablement une Vendée russe », la plus emblématique peut-être. À une exception près : l'attitude du clergé orthodoxe, dont il déplore la passivité générale, contrastant avec le courage général du clergé catholique qu'il relève en Vendée.

    Alexandre Soljenitsyne s'est explicitement et longuement référé dans son discours des Lucs au soulèvement de Tambov : « Nous pouvons en être fiers en notre âme et conscience, nous avons eu notre Vendée, et même plus d'une. Ce sont les grands soulèvements paysans, celui de Tambov, en 1920-21, de la Sibérie occidentale en 1921. » Il anticipe alors sur le récit qu'il fera dans Ego : « Un épisode bien connu : des foules de paysans en chaussures de tille (écorce de tilleul), armés de bâtons et de fourches, ont marché sur Tambov, au son des cloches des églises avoisinantes, pour être fauchées par les mitrailleuses.

    2509440407.jpgLe soulèvement de Tambov s'est prolongé pendant onze mois, bien que les communistes, pour le réprimer, aient employé des chars d'assaut, des trains blindés, des avions, bien qu'ils aient pris en otages les familles des révoltés et qu'ils fussent à deux doigts d'employer des gaz toxiques. Nous avons connu aussi une résistance farouche chez les Cosaques du Don... (Photo ci-contre) étouffée dans des torrents de sang, un véritable génocide. » Nous retrouvons ici le parallèle entre le Don et la Vendée, magnifié par Marina Tsvetaieva.

    On voit bien que pour Soljenitsyne, ces soulèvements paysans et cosaques ne sont nullement anecdotiques et que pour lui, ils constituent au contraire une grande page de l'histoire russe et de l'histoire tout court. Il en va de même, à ses yeux, pour la Vendée. Sa venue, il la conçoit comme devant être pour le plus grand nombre possible de Français, un révélateur : « Aujourd'hui, je le pense — c'est ainsi qu'il conclue son grand discours des Lucs — les Français seront de plus en plus nombreux à mieux comprendre, à mieux estimer, à garder avec fierté dans leur mémoire, la résistance et le sacrifice de la Vendée. »

    3278650961.2.jpgLa question du parallèle entre les deux Révolutions et les deux résistances qu'incarnent la Vendée française et les Vendées russes ne cesse de l'habiter. Il avait même rédigé, en 1984, une étude intituléeLes deux Révolutions dans laquelle il souligne les « ressemblances déter­minantes » entre les deux Terreurs, leur « ampleur et leur caractère inhumain » et entre les méthodes d'abomination utilisées pour réduire les deux résistances paysannes, la vendéenne et la russe. (Photo ci-contre : les noyades de Nantes). ) Un point qu'il reprendra et développera aux Lucs : « De nombreux procédés cruels de la Révolution française ont été docilement réappliqués sur le corps de la Russie par les communistes léniniens et par les socialistes internationalistes ; seuls leur degré d'organisation et leur caractère systé­matique ont largement dépassé ceux des Jacobins. »  

    A suivre, demain mercredi.

    Lire les articles précédents ... 

    Soljenitsyne, le Vendéen [1]

    Soljenitsyne, le Vendéen [2]

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    http://lafautearousseau.hautetfort.com/

  • Passé Présent n°204 : Le sulfureux Henri VIII

  • La petite histoire : Gilles de Rais, bourreau sanguinaire ou victime ?

    Parmi les personnages de la guerre de Cent Ans figure un cas tout à fait particulier en la personne de Gilles de Rais. Pieu compagnon d’armes de Jeanne d’Arc, riche seigneur de Bretagne, ce maréchal de France est autant connu pour ses faits d’armes que pour ses excès de faste… et les crimes abominables qu’on lui impute, tels que les meurtres rituels de plus d’une centaine d’enfants. C’est pour ce motif qu’il sera condamné et pendu, en 1440. Pour autant, en 1992, à la suite de certains auteurs, une commission « d’experts » l’a entièrement disculpé. Alors, Gilles de Rais est-il un bourreau sanguinaire ou la victime d’une vaste machination politique ?

    https://www.tvlibertes.com/2018/07/17/24333/gilles-de-rais-bourreau-sanguinaire-victime

  • Claude Seignolle, le réenchanteur

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    Claude Seignolle est mort le 13 juillet, Il venait d’avoir 101 ans le 25 juin dernier ! Folkloriste, conteur et enchanteur, c’était un des plus beaux vieillards de France dont il connaissait toutes les patries et les parties secrètes. Mieux qu’historien : diseur de légendes. Olivier François lui avait rendu hommage l’année dernière dans notre dossier d’Éléments “La réponse polythéiste” numéro 167.

    Maître de l’étrange, fantastiqueur en sabots, grand initié aux arcanes du Démon et de ses pompes, collecteur folkloriste disciple d’Arnold van Gennep, collectionneur de légendes et de menteries, brocanteur de superstitions et de chimères, barde et conteur de tous les pays de France, écrivain de race admiré et salué par Lawrence Durell, Blaise Cendrars, Thierry Maulnier, Pierre Mac-Orlan et Hubert Juin, Claude Seignolle avait eu 100 ans le 25 juin dernier. Cet anniversaire a été célébré plus que discrètement par la presse nationale ou généralement passé sous silence. N’en soyons pas étonnés car cela fait bien longtemps que les journaux de l’Hexagone ne savent plus reconnaître les vraies grandeurs. Ils n’admirent désormais que les talents moyens, les talents comme-il-faut, les mous et les tièdes, les fruits désinfectés et sans saveur.Maître de l’étrange, fantastiqueur en sabots, grand initié aux arcanes du Démon et de ses pompes, collecteur folkloriste disciple d’Arnold van Gennep, collectionneur de légendes et de menteries, brocanteur de superstitions et de chimères, barde et conteur de tous les pays de France, écrivain de race admiré et salué par Lawrence Durell, Blaise Cendrars, Thierry Maulnier, Pierre Mac-Orlan et Hubert Juin, Claude Seignolle a eu 100 ans le 25 juin dernier. Cet anniversaire a été célébré plus que discrètement par la presse nationale ou généralement passé sous silence. N’en soyons pas étonnés car cela fait bien longtemps que les journaux de l’Hexagone ne savent plus reconnaître les vraies grandeurs. Ils n’admirent désormais que les talents moyens, les talents comme-il-faut, les mous et les tièdes, les fruits désinfectés et sans saveur. L’œuvre de Claude Seignolle est certainement trop forte – ainsi que les alcools de certaines distilleries clandestines – pour les admirateurs des fémelins de la littérature contemporaine. On y respire l’air vif d’un monde très ancien, de cette vieille civilisation qui a précédé la grande mue industrielle ; on y sent des odeurs de landes et de marais, de bois et de ruisseaux, des muscs paysans, des fumets de plantes et de bêtes sauvages. Les loups y dévorent toujours les agneaux et les jolies bergères ; les animaux n’y sont pas trente millions d’amis, mais parfois les gardiens de secrets immémoriaux, des intercesseurs vers ce qui est en deçà ou au-delà de l’humain. On y entend aussi des musiques que le brouhaha moderne a aujourd’hui recouvert, les symphonies que jouait la nature quand elle était toujours cosmos ou création divine, les chants des dieux et des fées, les cris des démons et des faunes ; et de plus simples chansons paysannes, ces refrains entonnés par les peuples de la glèbe et de la faux pour conjurer le sort, s’accorder la faveur des astres, maudire leurs ennemis, louer le retour des saisons et bénir la fécondité des femmes.

    [Recueillir les derniers feux d’une civilisation]

    Claude Seignolle n’est pas un écrivain bucolique comme ces petits maîtres du XVIIIe siècle français, ces poudrés qui rêvaient d’un monde policé, réconcilié et aménagé, d’un grand jardin taillé au cordeau destiné aux marquises en rose et aux abbés de cour. Le royaume seignollesque n’est pas le cauchemar climatisé du Grand Architecte. Le bien et le mal n’y sont pas ces entités abstraites qui inspirent aux philosophes et aux théologiens modernistes les froides spéculations des sommes et des traités. Claude Seignolle enseigne, à rebours, une sorte de pensée sauvage, une « manière d’être », notait Hubert Juin dans une préface à La Malvenue, qui semble « posée de biais pas rapport à l’Histoire » et qui se joue des catégories religieuses et philosophiques classiques, ces carcans spirituels imposés aux peuples européens par les absolutismes cléricaux et politiques. Satanisme paysan et carnavalesque, catholicisme populaire d’avant la réforme tridentine, survivances païennes, animisme et petites religions locales s’affrontent ou se conjuguent pour la joie et l’inquiétude des lecteurs. L’univers retrouve enfin ses ambigüités, ses rythmes et ses alternances. À nouveau le sang et la sève coulent à travers les veines et les racines du monde. À nouveau la nuit est une nuit de mystères, d’angoisses ou de rêves, une nuit qui n’est pas polluée par « les affichages célestes » de la société marchande. À nouveau la lune est une puissance qui fait battre les entrailles, inspire les amants et incite aux chasses les plus sauvages. La lecture de Claude Seignolle est une aventure plus dépaysante que toutes les explorations spatiales car elle nous restitue des dimensions du ciel et de la terre que nous avions perdues. Claude Seignolle a 100 ans, mais nous pourrions parfois en douter. Cet écrivain est moins vétuste et empoussiéré que la plupart des romanciers contemporains. Sa langue est drue, son imagination vive, et ses livres envoutent immédiatement. Ouvrir les pages des ses romans et de ses recueils de contes ne donne pas l’impression d’entrer dans une serre ou dans un petit salon propret où le maître des lieux présente avec parcimonie des plantes artificielles ou de petits meubles cirés qui font sans doute le bonheur des musées, mais ne touchent ni l’âme ni le cœur ni l’esprit. Au contraire c’est beau, c’est grand, c’est généreux, Seignolle ! Cela ressemble davantage à la noce de Brueghel l’Ancien qu’aux agapes petites-bourgeoises. Et il ne déçoit jamais, il a compris ses lecteurs et ne trahit pas leurs espérances. Il leur offre toujours les sortilèges de cet esprit d’enfance qui réenchante le monde ou le défait avec une ironie cinglante, et ouvre des perspectives – de terreur ou de joie – auxquelles l’esprit habitué des adultes est souvent définitivement fermé. Seignolle a 100 ans mais il est plus jeune que tous les trentenaires, les quarantenaires, les quinquagénaires, les sexagénaires – ne parlons pas des sexygénaires –, les septuagénaires, les octogénaires et les nonagénaires réunis. Jeune centenaire, Seignolle pourrait d’ailleurs aussi bien être un très jeune bicentenaire ou tricentenaire, voire être né il y a mille ou trois mille ans. Pour ma part, je l’imagine assez jeune barde d’une tribu gauloise d’avant la conquête romaine, sorcier du Haut Moyen Âge résistant à la christianisation, gueux des croisades populaires, errant de la Sainte Russie, trafiquant de poisons et de philtres d’amour dans la Chine des Mings, colporteur traversant les pays du royaume de France au milieu du XVIIIe siècle, clochard céleste et trimardier… Seignolle en a gardé la très haute sagesse et la très sage fantaisie. Mais d’où vient ce sacré bonhomme, me direz-vous ? Cent ans, c’est une vie que l’on peut saisir à vue d’homme, n’est-ce pas ? Il est parfois fastidieux de retracer précisément la vie des écrivains. Le genre biographique échappe souvent à l’essentiel en se perdant dans des détails, des dates, des faits qui se veulent révélateurs, mais occultent l’esprit et le sens réel d’une destinée. Aussi certains secrets ne doivent pas être percés, jetés en pâture à la curiosité mauvaise du public. Seignolle doit évidemment d’abord se rencontrer dans son œuvre, mais nous révélerons pourtant deux moments de son existence, deux expériences de son enfance et de sa jeunesse, qui sont fondateurs de sa singulière sensibilité. Car le futur quêteur d’histoires et de légendes a senti très tôt le frisson du mystère et décidé de son destin.
    [Une enfance sorcière]

    Voici ce qu’écrit maître Seignolle dans Une enfance sorcière, un de ses rares récits vraiment autobiographiques : « C’est à Périgueux, dans un Périgord truffé du passé le plus ancien, celui des civilisations longtemps dites antédiluviennes que ma mère me porta en ventre, de septembre 1916 au 25 juin 1917. Chaque jour de sa croissante grossesse, elle se livra à de vaillants exercices pédestres, car elle n’a jamais su tenir en place, et promena le docile fœtus que j’étais, l’imprégnant d’ambiances extérieures qui décidèrent de mes goûts futurs, tant il est vrai qu’un embryon subit non seulement l’héritage chromosomique mais encore les influences, le milieu et les humeurs d’autrui. Et l’on comprendra le sort de ma destinée lorsqu’on saura que ma mère avait de hautes prédilections, puisqu’elle parcourait avec ivresse les ruines des arènes romaines et pétrocoriennes, les jardins des musées encombrés de stèles funéraires gauloises, de gisants médiévaux, ou qu’elle allait à Chancelade, un site où l’on avait découvert le crâne d’un des hommes les plus vieux du monde… J’affirme que ce fut là que je pris les premiers frissons de mystère et le virus de la pierre. » L’enfance de Claude Seignolle est en effet imprégnée de mystère et nourrie par les légendes et les chimères qui hantent encore un pays peu touché par la modernité en ce début du XXe siècle. Les vieilles peurs et les plus antiques croyances sont toujours présentes dans le cœur et l’esprit de paysans qui n’ont pas encore été complètement assimilés. On rencontre toujours, au détour des chemins, des « encloueurs de vipères, des forgerons magiciens qui guérissent les enfants convulsionnaires en faisant mine de leur écraser le ventre ou la poitrine d’un coup de masse », de « vieilles goitreuses qui racontent des prodiges, y croyant ferme, mettant les noms de leurs parents à des personnages surnaturels et donnant l’impression d’être elles-mêmes d’anciennes princesses malchanceuses et déchues ; des femmes qui portent sur elles des Abraxas… destinés à retourner les mauvais sorts ». Et la campagne bourdonne encore de la rumeur des superstitions, des histoires de possession, de fées et de sources sacrées, d’hommes changés en loup et de « chasses volantes ». Tout cela enflamme évidemment l’imagination d’un enfant qui préfère certainement ce monde sauvage et fantastique à l’enseignement rationaliste et sans joie des sinistres instituteurs de la République. Claude Seignolle eut la chance de connaître cette enfance sorcière. Il a bu aux sources encore vives d’une grande culture populaire.

    [Sa rencontre avec Arnold van Gennep]

    La seconde matrice de l’œuvre de notre écrivain sorcier est la rencontre avec Arnold van Gennep (1873-1957), savant ethnologue et auteur d’un monumental Manuel de folklore français contemporain. En 1926, le père du petit Claude s’est décidé à monter à Paris pour se lancer dans le commerce du textile. Après trois ans passés dans la capitale, la famille s’est installée enfin à Chatenay-Malabry où le jeune Seignolle retrouve « un peu de la campagne » que l’exil parisien lui avait interdit. « À Chatenay, il y avait encore un reste de nature ; une campagne verdoyante farcie de noms évocateurs : Vallée-aux-Loups, rue du Loup pendu, voie de l’Homme mort. » L’adolescent voue à cette époque une passion pour les vieilles pierres et les objets antiques, virus de la pierre que lui a transmis sa mère. Les vestiges des civilisations disparues le fascinent. Dans les bois d’Aulnay, de Robinson ou de la Vallée de Chevreuse, il part en quête de statuettes, de monnaies romaines ou de silex mégalithiques. C’est en assistant aux conférences de la Société archéologique de France que Claude Seignolle va rencontrer Arnold van Gennep. Une rencontre déterminante qui sera véritablement à l’origine de sa vocation de folkloriste et d’écrivain. « Van Gennep n’eut pas de peine à me démontrer que les cailloux historiques et préhistoriques pouvaient encore attendre ; par contre ce qui ne pouvait plus, c’étaient les vieux paysans illettrés qui mouraient à corbillard-que veux-tu en emportant leur pleine tête de traditions orales : je devais m’empresser de cueillir le contenu vivant de ces crânes-là au lieu d’attendre que la mort les ait pourris, me les laissant creux comme des tourteaux vides et sans utilité, dans les ossuaires. Il fallait faire vite, bondir sur eux tant qu’il y avait encore de ces vieillards bredouilleurs d’anciennes légendes, dictons ou sornettes, et les questionner avant leur mise en terre d’oubli. » Et c’est ainsi qu’un enfant périgourdin, grâce à l’impulsion d’un vieux savant, est devenu Claude Seignolle. Pendant plus de trente ans, il va garder le bâton de chercheur de coutumes paysannes, parcourant les provinces françaises pour recueillir les derniers feux d’une civilisation en voie de disparition. De cette quête du graal populaire naîtront des ouvrages aussi essentiels que Les Évangiles du Diable dans la tradition populaire, les volumes des Contes populaires et légendes des pays de France ainsi que de nombreux recueils de nouvelles et romans d’une inspiration plus personnelle – La Malvenue, Marie la louve, La morsure de Satan, Les chevaux de la nuit, Le rond des sorciers – où son talent d’écrivain s’est révélé et qui classent Seignolle parmi les grands rénovateurs du genre fantastique en France. Citons enfin un récit à part dans la bibliographie seignollienne, La gueule, une évocation hallucinée de la Seconde Guerre mondiale qui rappelle, par son ton et son regard, les pages les plus fortes du Kapput de Curzio Malaparte. Et c’est ainsi que Claude Seignolle est grand ! Le prétendu Roman national inspire aujourd’hui des parcs d’attractions où les jets de la Patrouille de France se mêlent aux poilus des tranchées de 14-18, aux Vikings et à la pucelle Jeanne, aux Chouans et aux gladiateurs. Certains journalistes disent que c’est une réjouissante expression de l’identité française. Pauvre identité française révisée par le spectacle qui oscille entre le chauvinisme et le kitch. Les historiens post-modernes, eux, s’empressent de réécrire notre histoire à la lumière des derniers « progrès » des genders et autres cultural studies. Et ils publient d’indigestes pensums où nos peuples sont absents ou calomniés. Claude Seignolle n’est certes pas un historien, c’est un écrivain et un enlumineur du verbe populaire. Mais il a sauvé de la condescendance de la postérité – selon l’expression de l’historien britannique d’Eward P. Thompson – les traditions, les croyances et les mythologies des peuples de France. Non pas le Peuple, cette idole en toc, mais la belle tapisserie bigarrée des peuples de France, de leurs pays et de leurs terres. En lisant les ouvrages de l’enchanteur Seignolle ne pouvons-nous pas retrouver aussi certains instincts, certaines formules de vie, de pensée et de conjurations que l’homme européen a trop vite oublié ? Archaïque est aujourd’hui une insulte. Mais ne devons-nous pas être archaïques face au ressentiment des réactionnaires et à l’insouciance béate et suicidaire des progressistes ? La révolution sera sorcière…

    Olivier François

    Tribune reprise dBlog éléments

    https://fr.novopress.info/211580/claude-seignolle-le-reenchanteur/#more-211580

  • Soljenitsyne, le Vendéen [2]

    La Chabotterie, le logis rustique témoin de la capture du chef emblématique du soulèvement vendéen, Charette 

    par Dominique Souchet

    Comment commémorer plus dignement qu'il n'a été fait à ce jour le centenaire du grand Soljenitsyne ? Et comment évoquer en même temps  l'écrasement de la Vendée par la fureur révolutionnaire autrement que par les indignations faciles et les formules toutes faites cent fois répétées ? Le superbe récit des relations entre Alexandre Soljenitsyne et la Vendée de Dominique Souchet que le dernier numéro de la Nouvelle Revue Universelle vient de publier répond à ce souci de façon passionnante. On a là un récit précis mais aussi une réflexion à l'altitude qui convient pour évoquer en les reliant Alexandre Soljenitsyne, la révolution russe et le massacre de la Vendée. L'horreur révolutionnaire en soi-même d'un siècle l'autre. Du XVIIIe au XXe. Nous avons entrepris hier dimanche la publication de ce récit qui s'étendra aux jours suivants. En remerciant Dominique Souchet et la N.R.U. de nous l'avoir donné.  LFAR 

    Le récit

    UN ITINÉRAIRE VENDÉEN EN QUATRE ÉTAPES

    Des liens profonds unissent la Vendée et la Russie. Elles ont partagé une épreuve et un élan de même nature : une épreuve et un élanexistentiels.

    C'est la force de ces liens qu'ont voulu mettre en évidence les quatre étapes de l'itinéraire suivi par Alexandre Soljenitsyne en Vendée : le Puy du Fou ; le logis de la Chabotterie ; Les Lucs-sur-Boulogne ; et la côte océanique à Saint-Gilles-Croix-de-Vie.

    Au Puy du Fou, le spectacle de nuit, la Cinéscénie, sera exception­nellement représenté pour lui, hors saison, par les bénévoles. Le produit de la soirée sera remis à Natalia Soljenitsyne, pour la Fondation d'aide aux victimes du Goulag et à leurs familles qu'elle préside. Le lendemain, le couple Soljenitsyne s'attardera longuement et passion­nément auprès de tous les artisans du Grand Parc, exprimant un amour profond pour la ruralité dans lequel Vendéens et Russes reconnaissent un de leurs traits majeurs communs. Au « village XVIIIe », il empoigne le marteau du forgeron pour forger lui-même un clou. Dans ses Mémoires publiés sous le titre Esquisses d'exil, Soljenitsyne revient longuement sur son passage au Puy du Fou, qui l'a littéralement fasciné : « De Villiers nous offrit d'assister à un extraor­dinaire spectacle populaire traditionnel (mais bénéficiant de la technique la plus avancée), avec ses effets de foule, représentant en plein air, dans une immense arène, de nuit mais avec quantité d'effets de lumière, l'histoire du soulèvement vendéen. Adia [Natalia, son épouse] et moi nous n'avions jamais rien vu de semblable et n'aurions même pu l'imaginer... Ce fut une impression poignante, qui ne s'effacera jamais. Quelqu'un pourra-t-il jamais, en Russie, reconstituer des scènes équivalentes de la résistance populaire au bolchevisme, depuis les junkers et les petits étudiants de l'armée des Volon­taires jusqu'aux moujiks barbus fous de désespoir, leurs fourches à la main ? » Le projet de création d'un « Puy du Fou » en Russie, c'est donc Soljenitsyne qui en fut l'initiateur véritable, avant Vladimir Poutine...

    À La Chabotterie, le logis rustique le séduira par son charme propre sans doute, mais surtout parce qu'il est le témoin de la capture du chef emblématique du soulèvement vendéen, Charette. Un nom qui sonne familièrement aux oreilles de Soljenitsyne, un nom que l'illustre maréchal Alexandre Souvorov a rendu familier aux oreilles russes : dans une lettre qu'il lui adressa six mois avant sa capture dans les bois de La Chabotterie, il qualifiait Charette de « héros de la Vendée et illustre défenseur de la foi et du trône, éminent représentant des immortels Vendéens, fidèles conservateurs de l'honneur des Français. »

    Quant aux Lucs-sur-Boulogne, ils sont évidemment le cœur de l'itinéraire vendéen de Soljenitsyne, le lieu du grand discours qu'il va prononcer en guise d'adieu à l'Europe, après avoir inauguré, en compagnie de Philippe de Villiers, avec une émotion qu'il peine à contenir, le nouveau Mémorial érigé sur la rive sud de la Boulogne.

    Un discours qu'il porte et qu'il a préparé depuis longtemps. Un discours, inutile de le préciser, exclusivement de sa main. Un discours qu'il a soigneusement répété, dès son arrivée à Paris, sur le balcon de son hôtel, avec son ami et interprète Nikita Struve. Il y attache une telle importance qu'il revêt, ce soir-là, le costume qu'il portait le jour de la remise du prix Nobel, en 1974, à Stockholm.

    Lorsqu'il parvient au pied de la tribune, la clameur qui l'accueille est inouïe : elle paraît ne jamais devoir finir. C'était comme si cette foule immense ne parvenait pas à croire à la réalité de ce qu'elle voyait et était soudain prise de vertige devant la force symbolique de l'événement auquel elle participait : Alexandre Soljenitsyne, l'homme des brèches, était en train, par sa seule présence ici, au cœur de la Vendée suppliciée, d'abattre le mur de déni obstiné qui sub­sistait depuis deux cents ans. Même si la quête de reconnaissance devrait se poursuivre après son passage, quelque chose de décisif, cependant, était en train de se jouer. Un effet cliquet, sans retour possible. Et la houle des applaudissements se mettait à exprimer une reconnaissance infinie. Alexandre Issaievitch en était comme éberlué. Il murmurait : jamais, jamais, même lors de mon arrivée à Zurich en 1974, je n'ai vu une chose pareille... Les Vendéens l'accueillaient comme une grâce.

    Dernière étape, enfin, à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, Soljenitsyne est venu marcher sur les pas de l'une des plus grandes poétesses russes, Marina Tsvetaieva. Elle avait séjourné sur la côte vendéenne en 1926, attirée elle aussi par le souvenir du soulèvement de 1793. Au lendemain de la révolution d'Octobre, alors que son mari servait dans l'Armée blanche, elle avait publié un recueil de poèmes, Le camp des cygnes, qui s'achevait par une admirable poésie réunissant la Vendée et le Don :

    Du monde d'avant, l'ultime vision :

    Jeunesse. Héroïsme. Vendée. Don.

    Sur la dune de la Garenne, où Marina aimait venir contempler l'océan, on inaugura une stèle portant ces deux vers, gravés en russe et en français. Puis on relut et on commenta les poèmes et les lettres exprimant l'amour que Marina portait à « sa » Vendée. Soljenitsyne — qu'elle inspira — dit à quel point il admirait l'étonnante musicalité et l'exceptionnelle densité de la langue de cette poétesse russe.

    De tout ce voyage, Nikita Struve tirera ce profond commentaire « Au pied de la chapelle des Lucs et sur les dunes vendéennes, se retrouvait dans une même vérité la France et la Russie, deux époques, deux pays, mais en profondeur un seul et même destin, authentifié par les souffrances des uns et des autres et porteur d'un message universel de courage et de liberté »

    Le voyage en Vendée d'Alexandre Soljenitsyne n'eut en effet rien d'une excursion touristique. « Ce projet était cher à mon cœur » écrira-t-il dans ses Mémoires. C'est une mission pleine de gravité qu'il vient accomplir. Comme la Vendée était venue se loger dans son œuvre, lui-même va venir faire irruption dans l'histoire France, sans mesurer sans doute alors la force de l'onde de choc que va produire sa venue en Vendée. Le quotidien Le Monde titre même en première page : Vendée et Goulag : Un moment d'égarement

    Mais quel rapport Alexandre Soljenitsyne lui-même entretenait-il avec la Vendée ? Il n'y était jamais venu. Comment se fait-il qu'elle lui fût apparemment si familière ? C'est ce qu'il a fait apparaître manière solaire dans le discours des Lucs, un discours d'une exceptionnelle densité qu'il faut lire, relire et méditer. ■  

    A suivre, demain mardi.

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    Soljenitsyne, le Vendéen [1]

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  • Histoire & Révolution • Soljenitsyne, le Vendéen [1]

    par Dominique Souchet

    Comment commémorer plus dignement qu'il n'a été fait à ce jour le centenaire du grand Soljenitsyne ? Et comment évoquer en même temps  l'écrasement de la Vendée par la fureur révolutionnaire autrement que par les indignations faciles et les formules toutes faites cent fois répétées ? Le superbe récit des relations entre Alexandre Soljenitsyne et la Vendée de Dominique Souchet que le dernier numéro de la Nouvelle Revue Universelle vient de publier répond à ce souci de façon passionnante. On a là un récit précis mais aussi une réflexion à l'altitude qui convient pour évoquer en les reliant Alexandre Soljenitsyne, la révolution russe et le massacre de la Vendée. L'horreur révolutionnaire en soi-même d'un siècle l'autre. Du XVIIIe au XXe. Nous entreprenons ce dimanche d'été la publication de ce récit qui s'étendra aux jours suivants. En remerciant Dominique Souchet et laN.R.U. de nous l'avoir donné.  LFAR       

    3260188147.4.jpgPrésentation de la Nouvelle Revue Universelle [Extraits]

    Le discours prononcé par Alexandre Soljenitsyne le 25 septembre 1993 en Vendée pour le bicentenaire du soulèvement de 1793, alors qu'il était encore en exil, fut un événement considérable : une des plus grandes autorités spirituelles du XXe siècle finissant dénonçait à la face du monde la source « vendéenne » des totalitarismes de ce siècle de fer et de sang. […]

    Le rôle joué par Alexandre Soljenitsyne dans l'écroulement du Communise fut considérable. La publication en France, en1973, de L'Archipel du Goulag, dont le manuscrit avait pu être transmis clandestinement, eut un effet déflagrateur dans l'opinion occidentale […]. Dès l'année suivante, déchu de la citoyenneté soviétique, Soljenitsyne était expulsé d'URSS et s'exilait aux États-Unis, dans le Vermont où il dut demeurer vingt ans. Autorisé à retourner en Russie en 1994 [...] il est mort à Moscou en 2008.

    Pour célébrer le centenaire de sa naissance, l’Institut catholique d'études supérieures de Vendée (Ices), à La Roche-sur-Yon […] a consacré une nuit entière,le 1er mars dernier, à ce géant de la littérature [..]. Lors de cette « nuit de l'histoire », née d'une initiative des professeurs Eric et Emeline Picard, Dominique Souchet, organisateur du voyage de Soljenitsyne en Vendée en 1993, a évoqué la relation privilégiée qu'entretenait avec la Vendée le grand dissident. Il a bien voulu confier le texte de son intervention à notre revue.

    Le récit

    25 septembre 1993, Les Lucs-sur-Boulogne, il est 21 heures. Cette petite commune de Vendée (2600 habitants) a été choisie comme haut-lieu de la commémoration du bicentenaire du soulèvement de la Vendée et de l'extermination de sa population.

    Aux Lucs fut perpétré, non pas pendant la guerre, mais bien après la défaite militaire des Vendéens, l'un des plus effroyables massacres de population civile qu'aient commis les colonnes infernales. Le martyrologe relève 564 noms, dont 110 enfants de moins de sept ans. Le plus jeune avait 15 jours.

    La nuit est tombée. Il bruine sur la Vendée. 30 000 personnes pourtant se sont massées dans le vallon de la Boulogne, face à une immense tribune, emplie de musiciens et de choristes et implantée à l'endroit même où sera édifié, quelques années plus tard, l'Historial de la Vendée.

    Qui attendent-elles ? Le président de la République, venu saisir cette occasion unique de faire enfin entrer dans l'histoire de France la page de sang et de lumière, de terreur et de résistance, qui s'est écrite ici ? Non, il n'y eut aux Lucs, ce soir-là, ni président, ni premier ministre... "Pas même un ministre !", s'exclamera, horrifié, scandalisé, l'académicien Alain Decaux qui, lui, eut le courage de venir, malgré les pressions, et de parler : « J'ai cru que la République se grandirait dès lors qu'un historien républicain viendrait publiquement affirmer que les droits de l'homme ont été bafoués en Vendée. »

    Ce n'est pourtant pas Alain Decaux que cette foule attend. C'est une présence apparemment hautement improbable en ces lieux et en ces circonstances. C'est un personnage hors norme, qui a souffert dans sa chair et dans son âme la réalité de la Terreur, et que la Terreur n'a pas réussi à briser. C'est un Russe dans lequel les Vendéens se reconnaissent, parce qu'il actualise ce qui fut la raison d'être de leur soulèvement, il y a deux siècles. Il est ce qu'ils furent, une «conscience rebelle à la séduction de l'idéologie » : c'est ainsi que Philippe de Villiers, alors président du Conseil général de la Vendée, parle de celui qu'il a invité à présider la commémoration de 1793 et qui a immédiatement accepté l'invitation comme « un honneur ».

    DERNIER REGARD SUR L'EUROPE AVANT LE RETOUR D'EXIL

    Dans quel cadre se place cette étonnante venue en Vendée de l'auteur de L'Archipel du Goulag ?

    À l'automne 1993, avant de rentrer définitivement en Russie après vingt ans de bannissement et d'exil, Soljenitsyne entreprend une tournée d'adieu à l'Europe. Il veut « prendre congé » des pays qui l'ont accueilli ou soutenu. Il conçoit cet adieu, comme toute chose, en stratège. Il a choisi deux hauts-lieux inattendus, où il prononcera les deux seuls discours de sa tournée : Vaduz et Les Lucs-sur-Boulogne. Ils s'inscrivent dans une géopolitique singulière : Soljenitsyne vient y rendre hommage à deux actes de courage. Au Liechtenstein, en Europe centrale : cette petite principauté, contrai­rement aux grandes puissances anglo-saxonnes, a refusé de livrer à Staline les anticommunistes russes qui y avaient trouvé refuge. Et, sur la frange occidentale de l'Europe, en Vendée : ici s'est tenu le soulèvement héroïque d'une population contre la libération totalitaire qu'on voulait lui imposer, ici eut lieu la première terreur idéologique. « C'est au cours du dernier été que je passai dans le Vermont, écrit Soljenitsyne dans Esquisses d'exil, second tome de ses Mémoires, que j'écrivis les deux discours que je devais prononcer à l'Académie inter­nationale de philosophie de Vaduz et en Vendée, et que je me préparai soigneusement à cet ultime voyage. »

    Après une promenade d'adieu dans Zurich, son premier port après son expulsion d'URSS, c'est la France, Paris puis la Vendée. « Me trouver en France, comme toujours, m'a fait chaud au cœur. Dans les rues, quantité de Parisiens me reconnaissaient et me saluaient, s'arrêtaient pour me dire un mot de reconnaissance ; depuis vingt ans, j'étais accoutumé à me sentir en France comme dans une seconde patrie tout à fait inattendue. » Un déjeuner chez Balladur, alors Premier Ministre ; une visite de Chirac, alors maire de Paris ; un passage chez Pivot, alors le roi des émissions littéraires ; un adieu à ses traducteurs et éditeurs et en route pour la Vendée !

    Après la Vendée, ce sera l'Allemagne, et la rencontre avec le président Weizsäcker, qui se déroulera à Bonn. Une audience délicate avec Jean-Paul II, le pape polonais, clôturera cette visite d'adieu à l'Europe.

    Tel fut le contexte de la visite d'Alexandre Soljenitsyne en Vendée. Quel allait y être son itinéraire ? Quatre jours, quatre lieux - là encore, rien n'a été laissé au hasard.   ■  (A suivre, demain lundi)

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  • Livres & Histoire • Le Roi ou l’incarnation du pouvoir

    3884406673.pngDepuis la mort de Louis XVI, la France, en dépit des apparences républicaines, n’aura cessé de rechercher un remplaçant à la figure royale. En vain. Deux études historiques, complémentaires, permettent, en dépit de leurs défauts, de comprendre pourquoi aucun homme prétendu providentiel n’est jamais parvenu à remplacer le Très Chrétien.

    Un pouvoir sacré indépendant

    Que cela plaise ou non, à la différence de la plupart des modèles monarchiques à travers le monde et le temps, la royauté française relève héréditairement du sacré ; le pacte de Reims n’est pas un accord opportuniste conclu en 496 entre l’Église des Gaules et Clovis, puis renouvelé avec les dynasties successives, mais une réalité spirituelle unissant le royaume de la terre à Celui du Ciel. Perdre cela de vue, c’est se condamner, sous prétexte de rationalisme ou de dénonciation d’une « pensée magique » que notre époque éclairée ne saurait admettre, à ne rien comprendre à notre passé et aux façons d’être et de penser de nos ancêtres. Voilà sans doute, aujourd’hui, le pire écueil auquel se heurtent des historiens plus ou moins étrangers à la foi catholique et qui ont tendance à en parler comme ils le feraient des croyances de l’Égypte pharaonique. S’ils refusent d’admettre ce particularisme français, et que la Fille aînée de l’Église puisse avoir une place à part dans les plans d’un Dieu auquel il est de mauvais ton de se référer, toute leur vision de la longue geste royale s’en trouve d’emblée faussée. Voilà sans doute pourquoi, chacun à leur manière, Stanis Perez, qui signe Le corps du Roi (Perrin) et Marie-Claude Canova-Green, auteur de Faire le Roi ; l’autre corps de Louis XIII (Fayard), malgré d’impressionnantes recherches, restent à la surface des choses et passent à côté de l’essentiel.

    Un premier mystère, dans une société strictement matérialiste comme la nôtre, est d’admettre que le Roi « sacré », ce qui veut tout dire, entre dans une autre dimension et que, tout en restant un homme à part entière, car il ne s’agit pas, à l’instar du Pharaon, voire même du Principat romain dans certaines de ses manifestations, de diviniser le souverain, il devient cependant un lien, un intermédiaire entre ici-bas et En-haut, dimension qui comprend une part hautement sacrificielle, celle-là même que Louis XVI assumera jusqu’à l’échafaud. Faute de le comprendre – tout comme, d’ailleurs, notre époque devient incapable de saisir ce que sont les grâces du baptême ou le sacrement de l’Ordre – l’historien se focalise sur des points de détail ou pose de mauvaises questions. Vouloir réduire les rois de France à une « incarnation du pouvoir », ce que les juristes royaux au demeurant, savaient bien, c’est s’arrêter à mi-chemin de la réalité et perdre de vue ce rôle de « Lieutenant de Dieu » qui était le leur. C’est l’idée même d’un pouvoir chrétien procédant du divin, non de la volonté populaire, ou prétendue telle, qui heurte. Dès lors, les deux universitaires se perdent dans l’étude de ce qui leur semble relever de bizarreries dépassées.

    Le corps du Roi

    Qui dit pouvoir incarné dit fatalement corps. Le Roi est homme, avec ses défauts, ses faiblesses, ses passions, ses maladies, et sa condition mortelle qui, cependant, n’altère pas l’immortalité du système monarchique, ou du royaume, ou de l’État, conception plus compréhensible à nos contemporains.

    Stanis Perez scrute cet homme qui reste ancré dans son humanité, ne revendique nulle essence « divine » ; il le suit, de Philippe Auguste à Louis-Philippe, dans son quotidien le plus prosaïque. Pour lui, mais là encore, ce n’est que partiellement exact car le postulat de base de la sacralité du pouvoir reste la même à travers les siècles, l’image du Roi, ou celle du corps du Roi, se serait construite puis déconstruite au fil des siècles, de sorte que saint Louis n’aurait pas appréhendé son rôle et sa personne comme pouvaient les appréhender Henri III ou Louis XIV. Cette image renvoyée au peuple, cette propagande auraient pareillement fluctuée. Reste que le Roi demeurait le Roi, tant à ses propres yeux qu’à celui de ses peuples et que porter sur cela un regard « moderne », fausse fatalement l’objet de l’étude …

    Ce qui est intéressant, néanmoins, dans ce livre, relève du sociologique et de l’anecdotique. Si le Roi est un homme, et nul ne le nie, il naît, il grandit, il se forme, il mange, il prend soin de son corps, de son apparence, de sa santé, il engendre, et il meurt. Comment ?

    L’autre paradoxe est de parvenir à en imposer à ses sujets ou à ses ennemis tout en assumant son humanité et sa mortalité. Le cas extrême est celui de Charles VI, rongé par sa maladie mentale jusqu’à en perdre sa dignité humaine, mais jamais sa dignité royale, au point que le peuple a aimé son pauvre roi fou bien plus qu’il ne l’eût aimé sain d’esprit, dans la certitude mystique que le souverain expiait dans sa chair les péchés de la France. L’on touche là, une fois encore, à la dimension christique du pouvoir royal que nos contemporains ne savent plus appréhender. Elle est pourtant infiniment plus importante que de savoir si Louis XI jugeait indigne de se baigner en public ou que le contenu de l’assiette royale.

    Dans l’imaginaire, et dans l’idéal, il faudrait que le Roi soit toujours jeune, beau, en pleine santé, doté de toutes les vertus du corps et de l’esprit. Cela peut parfois arriver, cela ne dure jamais. Comment, sauf à imiter ces peuplades qui sacrifiaient le roi vieillissant ou malade, continuer d’en imposer ?

    Le roi est une incarnation

    Louis XIII n’était pas séduisant, il souffrait d’un sérieux défaut d’élocution, son caractère était difficile et angoissé, sa santé mauvaise depuis l’adolescence. Dans ces conditions, alors qu’il n’avait pour lui que son droit d’aînesse, comment a-t-il incarné son rôle ?

    Spécialiste du « spectacle de cour » dans l’Europe moderne, Marie-Claude Canova-Green voit, et, jusqu’à un certain point, elle a raison, Louis XIII, – mais ce serait vrai de tous les rois, – comme un acteur presque continuellement sur scène, obligé de jouer un rôle qu’il n’a pas choisi mais qui lui colle à la peau et dont il n’a pas le droit de se dépouiller.

    L’on en arrive ainsi à une vision quasi schizophrénique du monarque, pris entre son personnage royal qu’il doit assumer, et sa personne privée dans l’impossibilité de s’exprimer puisque la sphère intime lui est presque interdite. Faut-il vraiment supposer la coexistence, peu apaisée, de Louis de Bourbon et de Louis XIII dans un même corps ? Ne vaut-il pas mieux admettre que le Roi était un, même si, au siècle suivant, Louis XV, et Louis XVI plus encore, rechercheront, ce qui s’avérera une faute, les moyens d’échapper à cette épuisante et constante représentation ?

    Reste une analyse étonnante, et dure, de ce que l’historienne considère comme une sorte de dressage ou de conditionnement d’un enfant qui, né mâle et premier de sa fratrie princière, est destiné au trône, quand même ses qualités propres ne l’appelleraient pas spécialement à l’occuper.

    Les études de « genre » étant l’une des grandes préoccupations actuelles, il est beaucoup question ici, trop peut-être, d’« apprentissage de la masculinité », notion qui aurait sans doute laissé pantois nos aïeux du XVIIe siècle. Louis XIII ne s’est sûrement jamais demandé s’il devait assumer sa condition masculine, parce qu’il a toujours su et admis qu’il était un homme, et pas une femme …

    C’est parce qu’il était homme, et prématurément roi après l’assassinat de son père, qu’il s’est donné, sans pitié pour lui-même, les moyens d’assumer son destin. En toute conscience.

    Louis XIII ne s’est jamais pris pour Jupiter, pas plus que son fils ne se prendrait pour Apollon. Seulement pour ce qu’il était : l’homme, avec tous ses défauts et ses péchés, que les lois de dévolution de la couronne, et la volonté de Dieu, avaient fait roi de France et qui devait s’en rendre digne.

    Ne pas admettre cela, c’est renoncer à rien comprendre à la monarchie française.  

    121039987.jpgLe corps du Roi, Stanis Perez, Editions Perrin, 475 p, 25 € 

     

     

     

     

     

     

     

     

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    Faire le Roi, L’autre corps de Louis XIII, Marie-Claude Canova-Green, Editions Fayard, 372 p, 23 € 

     
     
     
     
     
    Anne Bernet

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