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économie et finance - Page 843

  • Chronique de l'espoir (arch 2009)

    Il y a vraiment, de temps en temps, dans ce monde troublé de vraiment bonnes nouvelles. L'échec ridicule de Copenhague est l'une d'entre elles et c'est en réalité une victoire de la liberté et de la vérité. Il est intéressant, à cette occasion, de remarquer qu'il y a une grande ressemblance entre la fausse idéologie du réchauffement climatique et le système Madoff.

    D'abord, à la base, il s'agit de deux chimères. La chimère du réchauffement climatique revient à affirmer qu'il y a effectivement un réchauffement et que ce réchauffement est dû aux activités humaines et non au soleil ou autres manifestations de la nature. Or, cette double affirmation semble contraire aux faits. Des milliers de savants américains ont envoyé une pétition à Obama pour le mettre en garde contre les erreurs ainsi formulées et les conséquences dévastatrices qu'elles pourraient avoir pour l'économie américaine. Vaclav Klaus, président tchèque qui fut président de l'Europe pendant six mois, est un savant et a examiné en détail les études concernant le prétendu réchauffement et son rattachement au C02 ; il a montré dans plusieurs livres que c'était pure fantaisie. Parallèlement, sur la toile, le «Climategate» a éclaté et dévoilé les combines minables auxquelles se livrent les dévots de la chimère pour masquer la vérité. Une bataille de chiffonniers prit place à Copenhague entre les délégations pour savoir si l'on pouvait supporter en 2050 une augmentation prévisible de 2 degrés ! En fait les 192 chefs d'État voulaient par des discours lutter contre le soleil : n'est pas Josué qui veut !

    Du côté de Madoff, nous sommes aussi en pleine chimère : c'était l'idée folle que l'on pouvait obtenir, par une prétendue bonne gestion, un rendement financier très supérieur à la norme des rendements dans des placements similaires à un moment donné et que ce succès pouvait être durable, voire indéfini.

    Pour poursuivre la comparaison dans les deux phénomènes, il faut ajouter la respectabilité apparente des acteurs. Pour le réchauffement, c'est un fait qu'un grand nombre de savants fort honorables se sont engagés pour le glorifier. Madoff avait pour lui sa célébrité due à ses hautes fonctions antérieures et personne ne pouvait imaginer qu'il se tromperait et tromperait tout le monde jusqu'à ses meilleurs amis. Ensuite, nous relevons la consolidation des chimères. J'ai souvent montré ailleurs comment et pourquoi une chimère, reposant sur un pur mensonge au départ, peut se consolider au fur et à mesure du temps jusqu'à devenir du béton ; personne, alors, ne se soucie plus d'aller aux sources pour vérifier les fondations. Des Danois se sont vantés, en plein Copenhague, de prendre des douches très brèves pour sauver la planète (sic) : comme la douche est brève, ils n'ont certes pas le temps de réfléchir calmement à l'ineptie de leur propre comportement ! Les idiots utiles ont de l'avenir.

    Poursuivons l'analyse. Les deux chimères du réchauffement et de Madoff sont ou furent mondiales et cette extension universelle est extraordinairement favorisée par les moyens de communication ultrarapides que nous connaissons. La mondialisation joue ainsi sa partie dans la consolidation. Attendons-nous à bien d'autres chimères. Nous relevons aussi le jeu des intérêts. Derrière Madoff se groupaient des intermédiaires naïfs ou à moitié consentants pour avoir le bonheur de profiter de l'aubaine. Les personnes qui tirent avantage de la chimère du prétendu réchauffement climatique sont extrêmement nombreuses. Il y a au départ un très grand nombre de savants ; la chimère est, en effet, tellement bien organisée qu'il est pas possible de faire une carrière raisonnable et paisible dans un domaine scientifique, quel qu'il soit, si l'on marque du scepticisme vis-à-vis du réchauffement climatique et de ses causes humaines : les éditeurs se dérobent et les postes intéressants vous échappent. Mais, en plus, un grand nombre de firmes importantes se sont engouffrées dans l'occasion. Des sociétés de renom international et cotées dans les grandes bourses mondiales ont un directeur du « développement durable ». Elles investissent de grandes sommes dans la promotion de leur action dans ce domaine et prétendent faire des produits «durables», personne ne s'avisant de l'absence de signification intelligente de ce terme dans la langue française telle qu'elle est connue. Il serait inimaginable que ces sociétés et leurs collaborateurs se mettent brusquement à semer le doute sur la solidité de l'édifice. La presse est invitée au festin : nous sommes inondés de publicité proposant des produits «durables» ou soi-disant respectueux de l'environnement. En plus, mettre du « sang à la une » fait vendre les journaux. Les gouvernements et les politiques en tout genre ont un intérêt majeur à la chimère du développement climatique, car c'est l'occasion rêvée de renforcer leur pouvoir quasi totalitaire sur les populations ainsi que la richesse qui s'ensuit pour eux-mêmes.

    Des deux côtés, la ruine est au rendez-vous. Pour Madoff, sans avoir causé à lui seul la crise financière, il l'a sensiblement aggravée dans le monde entier entraînant dans la ruine à la fois des riches et des pauvres. À la faveur du prétendu réchauffement, les États se saisissent de la chimère pour nous dicter leur loi jusque dans tous les détails de la vie publique et privée et, d'ailleurs, cet interventionnisme des gouvernements a joué un rôle dans la consolidation de la chimère. Copenhague ne répondant pas aux espérances des dévots, il y a, hélas, nombre de pays, dont le nôtre, qui nous promettent des impôts, des réglementations et des dépenses insensés. La conséquence négative de toute action économique d'un État est bien connue avec l'effet de ruine pour chacun. La chimère du réchauffement est l'occasion rêvée d'attaquer l'économie libre seul moyen pourtant de créer la richesse nous permettant de nous adapter au climat quel qu'il soit. Avec une grande cruauté, les chefs d'État occidentaux ont essayé d'interdire aux pays émergents de parcourir le chemin que nous Occidentaux avons franchi dans la durée pour échapper à la faim ou à la misère.

    Il y a cependant, entre les deux phénomènes, une différence essentielle qui rend la chimère du réchauffement particulièrement redoutable : celle-ci est une véritable religion avec ses dogmes et ses dévots alors que le système Madoff était une simple combine au service d'un particulier. Dans cet aspect religieux se glisse l'adoration de la « terre-mère » qui est le contraire du culte dû au vrai Dieu. Il conduit les manipulateurs du réchauffement à penser que les hommes sont « de trop » dans la nature ; leurs prétentieux calculs aboutissent carrément à chiffrer le C02 dont les nourrissons seraient responsables (sic) ; ils appellent la Chine et l'Inde à limiter leurs populations au besoin en détruisant leurs petits à naître. Il y a conjonction entre la chimère et la culture de mort. II est facile aussi d'apercevoir un des mensonges fondateurs à la base de la fausse idéologie : c'est l'idée que les hommes de l'État et, en particulier, les politiques auraient le monopole de l'intérêt général. C'est sur la base de ce monopole parfaitement abusif qu'ils veulent réglementer notre vie dans tous ses détails, ce qui est absolument intolérable.

    Un autre mensonge se trouve à la base de cette opération : celui selon lequel il faut que l'action publique s'occupe des enfants et petits-enfants. Que chaque personne s'occupe des intérêts moraux et de l'avenir de ceux dont il peut avoir la charge est exact. Mais, en fait, l'idée sous-jacente est que les pouvoirs publics peuvent ruiner la génération présente au nom de l'intérêt hypothétique de générations incertaines. Ruiner la génération présente c'est l'empêcher de s'adapter dans le cadre de la liberté aux changements climatiques si jamais ils se produisent. Les hommes sont doués de raison et se sont toujours adaptés aux circonstances climatiques telles qu'elles se présentaient. Pour orchestrer le tout, se trouve l'attaque contre les nations. Le rêve impossible du gouvernement mondial se réaliserait sur la disparition des nations. Or les nations sont des ensembles de familles voulues par Dieu ; elles ont même leur Ange gardien ainsi que l'Ange du Portugal l'a confirmé à Fatima. Il est étrange, d'ailleurs, que la défense des nations ait été assumée par la Chine dont les dirigeants pourtant n'attirent pas tant la sympathie.

    Certains mensonges étaient particulièrement hilarants. Les 45 000 participants à la fête ont libéré 45 000 tonnes de C02 ! Pour parer aux reproches inévitables, le gouvernement danois a imaginé une parade ; il a annoncé une subvention au Bangladesh pour ralentir ses émissions de C02 ; dans ce lointain pays, le C02 est partout avec des plus et des moins et lutter contre le C02, c'est lutter contre des mirages. Ajoutons que personne n'ignore le sort funeste réservé aux aides internationales, ceci dans la corruption généralisée !

    C'est pour cela qu'il faut affirmer que finalement l'échec de Copenhague est bien une victoire de la liberté. Mais dans cette guerre planétaire, le gain d'une bataille n'est jamais qu'une péripétie. Les forces obscures qui manipulent l'opinion publique mondiale sont toujours à l'œuvre. II fallait voir, après l'échec, la mine contrite des présentateurs de télévision. Quant à Nicolas Hulot, qui s'est hissé d'une façon surprenante au sommet de la secte des écolos, il n'est pas près d'abandonner son formidable business. Soyons prudents, déterminés et persuasifs : la victoire est à ce prix. Ora et Labora, la célèbre règle de vie est plus que jamais nécessaire.
    Michel de Poncins Présent du 29 décembre 2009

  • Delors suggère aux Anglais de quitter l'Union européenne

    Ça va péter ! Les européistes se sentent-ils aux abois ? En tout cas, l'ex-président de la Commission européenne, le socialiste Jacques Delors, vient de suggérer aux Anglais, hostiles à plus d'intégration européenne, de quitter l'UE et d'opter pour une autre forme de partenariat avec le Vieux continent. 
    "Les Britanniques s'intéressent seulement à leurs intérêts économiques, à rien de plus. On pourrait leur proposer une autre forme de partenariat", estime Jacques Delors, dans un entretien au quotidien économique allemand Handelsblatt.
    Le Premier ministre britannique David Cameron, qui subit les pressions des "eurosceptiques" de son parti conservateur, avait déclaré le mois dernier qu'il soutenait l'appartenance du Royaume-Uni à l'UE, mais qu'il voulait "un nouvel accord" qui comporte une procédure de non-participation sur des problèmes-clé.
    Dans un entretien publié jeudi dans le Guardian, le président du Conseil européen Herman Van Rompuy a averti que ces tentatives de récupérer des pouvoirs aux dépends de l'Europe pourraient mettre l'UE en danger.
    "Si les Britanniques ne suivent pas la tendance allant vers plus d'intégration dans l'Union européenne, nous pourrions malgré tout rester amis, mais sous une autre forme", estime pour sa part, dans le Handelsblatt, Jacques Delors, qui plaide par ailleurs avec insistance pour davantage d'intégration politique au sein de l'UE.
    Comme possibilités de partenariats avec le Royaume-Uni, M. Delors cite "une forme comme celle de l'espace économique européen" ou "un accord de libre-échange".
    En cas de sortie de l'UE, le Royaume-Uni resterait néanmoins "un partenaire privilégié", insiste M. Delors. "Le Royaume-Uni est stratégique et économiquement important, mais comme le sont aussi d'autres pays", comme l'Inde et la Chine, selon lui.
    De son côté, Herman Van Rompuy a estimé qu'un départ du Royaume-Uni de l'UE serait comme si "un ami partait dans le désert".
    Le Royaume-Uni appartient à l'UE depuis 1973 mais n'a pas rejoint la zone euro.

    Avec AFP http://www.francepresseinfos.com/

  • Chronique d'un banquier : La relique barbare est de retour !

    C'est par la voix officielle de M. Zœllick, directeur de la Banque mondiale, que le rôle de l'or revient comme acteur de la scène économique. Dans une tribune libre publiée par le Financial Times, il a proposé d'« envisager d'employer l'or comme point de référence international des anticipations des marchés au point de vue de l'inflation, de la déflation et des taux de changes futurs ». Réponse obligée du directeur de la BCE, M. Trichet : « il n'y a pas de discussion sur l'étalon-or. De mémoire, une telle idée avait été évoquée il y a longtemps par James Baker lorsqu'il était secrétaire du Trésor [dans les années 1980] ». Débat surréaliste sur un sujet qu'on croyait enterré ? Mais pourquoi maintenant ?
    Petit retour sur l'histoire de cette « relique barbare » - selon John Keynes. Pendant longtemps et jusqu'en 1944, le système mondial d'échange a été dominé par l'or. Chaque monnaie nationale était convertible et ainsi comparable et échangeable. A cette date, les Etats-Unis possédaient 75 % des réserves d'or, thésaurisées grâce à leur rôle pendant les conflits européens (en tant que fournisseurs d'armes) et par le fait que le théâtre des conflits se trouvait en dehors de leur pays.
    Cette concentration aux mains d'un seul pays risquait de freiner la croissance mondiale par la rareté des liquidités mondiales et hypothéquer ainsi la reconstruction des économies occidentales. En 1944, au cours de la réunion dite de Bretton Wood, Roosevelt décida - avec la caution douteuse du plus grand économiste de cette époque, Keynes (déjà malade) - de passer à un nouveau système de changes international facilitant les échanges mondiaux. L'idée était que le dollar devienne   ait d'inonder le monde entier de liquidités en dollar avec une redistribution effective des réserves d'or. Autre effet non négligeable, cet afflux massif de devises a permis de financer une des plus belles périodes de croissance : les trente glorieuses.
    Résultat, en 1971, les Etats-Unis ne possédaient plus qu'une très faible quantité d'or. Nouvelle réunion de chefs d'Etats qui décidèrent, au lieu de revenir à l'ancien système, d'abandonner purement et simplement toute référence = l'or au nom du progrès. Un nouveau système flexible et relatif du change entre les différentes devises fut décidé, consacrant ainsi l'étalon dollar, dorénavant seule référence des échanges mondiaux. Il donna ainsi à l'Etat américain la possibilité de financer son économie grâce aux fonds du monde entier, ce que l'on appelle un droit de seigneuriage. L'or, après une belle résistance dans les années 1970, finalement abandonné, n'a cessé de perdre de la valeur pendant trois décennies.
    Tout allait bien dans le meilleur des mondes mondialisé (croissance généralisée, innovations à-tout-va, victoire des démocraties...) lorsqu'intervint la crise de 2008 qui fit vaciller la première économie mondiale. Ce choc toujours pas digéré a ces deux dernières années obligé les Etats à augmenter fortement les déficits publics, et par voie de conséquence leur endettement, pour relancer une hypothétique croissance. Résultat, la monnaie que vous détenez, représentative de la santé économique de l'Etat dans lequel vous vivez, s'avère être garantie par des déficits et un énorme tas de dette ! Alors le réel ressurgit et la question cette fois se pose vraiment, peut-on continuer ainsi avec un étalon dollar ? Pourquoi ne pas réactualiser l'étalon-or ?
    Pour ma part, je ne crois pas un instant à un retour à court terme à ce système. Il n'y a pas assez de quantité d'or pour faire face aux échanges mondiaux, et les pays détenteurs de ce métal ne sont pas ceux qui sont en meilleure santé. Et la Chine en possède peu et l'Allemagne quasiment pas. Cependant à moyen terme, il semble probable que le système de l'étalon dollar soit abandonné pour quelque chose de différent dont les contours sont difficiles à prévoir. La création d'un panier de devises références contenant une portion d'or est la seule idée qui trouve pour l'instant écho dans quelques livres très théoriques. En attendant cet hypothétique système, faut-il acheter ce métal ? Ses détracteurs considèrent ajuste titre qu'il n'a aucune application industrielle, que sa détention coûte cher, que le stock dépend de l'extraction et que surtout il ne rapporte aucun revenu.
    Mais d'autres arguments plus géopolitiques -prévalent : la Chine, la-Russie et les pays émergents s'attachent à en acheter pour diversifier leurs réserves libellées en USD -monnaie qui, comme nous l'avons vu, ne représente que des pays surendettés. Par ailleurs, l'or reste une couverture contre l'inflation (perte de valeur de tous les actifs), seul système qui pourra nous faire sortir de la crise. Il protège aussi contre le risque d'implosion de tout le système mondial économique, risque que l'on ne peut toujours pas exclure à la vue de ce qui se passe en Irlande, au Portugal et en Espagne.
    Alors, vous l'aurez compris, il est toujours bon d'acheter des actifs tangibles dont la liste est réduite : l'or, la terre, ou la pierre. Parmi les trois, on choisira plutôt le métal qui reste toujours le plus transportable, le plus facile à dissimuler et surtout non sujet à des lois d'expropriation.
    Célestin Auzies  Présent du 1er décembre 2010

  • Le Conseil constitutionnel censure la taxation à 75 % sur les hauts revenus promise par François Hollande

    Les-3-singes-le-changement-cest-maintenant-ou-jamais-300x236.pngLe Conseil constitutionnel vient de censurer la taxation à 75 % sur les revenus de plus d’un million d’euros en soulignant qu’il s’agissait très clairement d’une « méconnaissance de l’égalité devant les charges publiques ».

    On notera que les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent et que cette mesure était une priorité de François Hollande, aujourd’hui devenu président de la République, pendant la campagne présidentielle.

  • Chez Jean-Claude Michéa, quelques éléments pour une résistance au libéralisme

     

    micheaAu fil de l’analyse de ses postulats et de ses contradictions pratiques, la logique libérale apparaît à Michéa comme une pensée double. Droit et Marché assurent l’osmose d’un système dialectiquement unitaire. En reprenant Orwell, il constate que le libéralisme est, encore plus que cette pensée double, une double pensée. Celle-ci implique de penser simultanément et consciemment deux postulats antinomiques sans tenir compte de cette contradiction.

    Dès Impasse Adam Smith, Michéa a proposé cette lecture. La propagande, expliquait-il, nous assure que les avancées technologiques toujours plus nombreuses et performantes libèrent progressivement l’homme de l’aliénation et de la domination. Dans les faits, il nous est demandé de travailler davantage pour des salaires minorés, et dans des conditions précaires. (1)

    L’intelligentsia de gauche, principal relais de la propagande systémique, n’est pas épargnée par cette schizophrénie. Elle ne voit aucun paradoxe en prônant, d’une part, le sans-frontiérisme intégral, pour d’autre part exiger le respect des souverainetés tibétaine et palestinienne. Par sa réflexion bornée, l’intellectuel moderne évacue toute complexité de son esprit et ne voit aucune contradiction à fustiger une critique anticapitaliste forcément réactionnaire, tout en se faisant l’apologète du « doux commerce » dont le pouvoir émancipateur libère l’individu du carcan étatique et policier. L’enseignant de gauche est quant à lui forcé de tomber dans la même logique, en s’opposant aux réformes libérales tout en prétendant concomitamment que malgré celles-ci le niveau monte et que la démocratisation de l’école est bénéfique. (2)

    Toutes les contradictions du libéralisme risquent donc de renouer avec la guerre de tous contre tous, mais sous une nouvelle forme, triple : concurrence généralisée, querelle procédurière permanente et incivilité généralisée (3), aboutissement logique du libéralisme culturel généralisé et de son droit de tous sur tout.

    Michéa démontre par conséquent que la prétention libérale à émanciper l’individu pour en faire un être autoréférent est fallacieuse. Pour preuve, il prend le nombre croissant d’experts dans tous les domaines de la vie, et en premier lieu l’École. L’homme de bon sens, responsable, mature, s’en remettrait désormais aux « experts » en sciences de l’éducation. Citant Georges Trow, Michéa pose qu’« en l’absence d’adultes, on se met à faire confiance aux experts. » (4) Ce qui explique pour lui en grande partie le « destin libéral de l’école ». L’émancipation est de fait une fausse libération, encore plus mutilante que l’ancienne répression. Car si la modernité reconnaît l’homme en tant que consommateur, elle le nie en tant qu’être humain. Sa seule liberté est d’être un outil au service de la reproduction du système. Pour reprendre la métaphore proposée par Orwell, l’homme est désormais comme une guêpe qui n’a de cesse de se nourrir, sans fin, tout en ne s’apercevant pas qu’elle n’a plus d’abdomen. (5) La seule utilité de l’homme est alors d’accompagner le système marchand dans sa fuite en avant en se pliant à ses rythmes. Peu importe, pour ce faire, qu’il puisse développer des qualités humaines et une conception critique dans son rapport au monde dont il fait partie. Il est donc encore moins question de l’appréhender sous l’aspect d’un potentiel adulte responsable. Dans une société devenue exclusivement gestionnaire, où l’individu est infantilisé, l’expertise est devenue la norme.

    Mais la réflexion de Michéa ne se limite pas à une simple critique ni au démontage de la logique philosophique contradictoire de la modernité libérale. Il entend promouvoir un socialisme populaire, proche des postulats originels – et donc tant distinct du clivage droite-gauche qu’opposé aux cultes du Progrès et de la Modernité. Hybride et transversal, ce socialisme doit avoir pour base, tel qu’énoncé dans Orwell éducateur, le syndicat et la coopérative socialiste. Pour synthétiser, cette pensée de Gauche est à deux dimensions, indissociables. Elle suppose dans un premier temps d’opposer un conservatisme critique au mythe progressiste Dans un second temps, elle entend instaurer une société basée sur la common decency, ce bon sens inné propre aux gens ordinaires, antithétique de l’homme calculateur égoïste.

     

    Un conservatisme critique

     

    Le conservatisme critique est le qualificatif donné par Michéa à la pensée politique de George Orwell, dans Orwell, anarchiste tory. La question que se pose l’auteur de 1984, que l’on retrouve dans son article « Les lieux de loisirs », est de savoir si tout « progrès », tout changement, nous rend plus ou moins humain. (6) Car la société d’Orwell – l’envers d’une société « orwellienne » – ne vise pas au bonheur (l’homme haïssait le « je-m’en-foutisme hédoniste » (7)) mais à la fraternité humaine. Elle est « une société libre, égalitaire […] honnête » (8) et « décente » (9). Méthodologiquement donc, Michéa opte lui aussi pour une comparaison systématique du présent et du passé pour distinguer ce qui dans la modernité aliène ou émancipe, en déterminant les seuils à ne pas franchir. Dans tous les cas, il s’agit d’opérer une critique radicale d’un monde analysé à travers le prisme de l’Économie.

     

    1) Le rapport au langage

     

    La liberté, en premier lieu, passe donc par le langage, dont la corruption entraîne le déclin de l’intelligence critique par dissociation du signifiant de son signifié originel (et réciproquement). La Gauche officielle, par exemple, assimile « conservatisme » à « archaïsme », « Droite », « ordre établi » ou encore « société d’intolérance et d’exclusion » (10). Tout anticapitaliste sincère, critique du libéralisme, se voit accoler le qualificatif de fasciste, utopiste, totalitaire, populiste – avec le sempiternel « vous faites le jeu du Front National » destiné à éviter toute critique sérieuse. Toute défense des valeurs propres à la société traditionnelle est quant à elle indexée comme conservatrice, réactionnaire ou raciste. (11) Michéa entend réhabiliter le sens des mots, notamment en redonnant sa signification réelle au populisme (12) et au socialisme. Mais cela implique aussi de refuser la dénaturation du langage et sa transformation en Novlangue tel que nous l’offre le globish abscons du tertiaire pur – auquel nous pourrions ajouter le langage SMS. En y opposant, par exemple, un nouveau langage commun. (13) Dans son dernier essai, La double pensée, il propose par exemple de privilégier la langue espérantiste face au business English, langue vernaculaire utilisée dans le processus libéral d’unification juridico-marchande – l’anglais qui, selon la logique libérale de Claude Allègre, « n’est pas une langue étrangère. » (14) Bien avant déjà, dans L’enseignement de l’ignorance, en plus d’insister sur la nécessité d’inclure des éléments conservateurs dans une vraie lutte anticapitaliste, Michéa précisait qu’un esprit critique est un esprit « qui n’a pas peur des mots ». (15)

    Par ailleurs, une analyse du langage implique de déceler la signification réelle des euphémismes employés, qu’il s’agisse de l’émancipation, de la liberté ou encore de la Croissance. La critique de l’enseignement de l’ignorance est donc vitale. Toujours dans cet essai, Michéa offrait la traduction réelle d’une ville « qui bouge bien ». En réalité, ceci signifie qu’elle est détruite par le tourisme et la promotion immobilière. (16) Car le déclin de l’intelligence critique crée ce qu’Orwell appelait la canelangue (duckspeak) : « les bruits appropriés sortent du larynx mais le cerveau n’est pas impliqué, comme il le serait si lui-même devait choisir ses mots. » (17) Une réaction conservatrice est donc nécessaire pour éviter que l’esprit ne soit réduit à l’état de gramophone. Pour ce faire, il convient – contrairement à la méthode libérale – de partir non pas d’une position originelle hypothétique, paradigme épistémologique purement abstrait, mais du monde sensible – comme le fit Orwell – celui de l’expérience vécue. En se coupant du réel, le langage se prive de son rapport concret avec les choses et s'en dénature d'autant facilement. D’où, chez Orwell et Michéa, l’importance du rôle de la classe ouvrière.

     

    2) Le rapport à la morale

     

    Le second axe de la réflexion orwellienne – et par extension, michéenne – est relative au sens du passé, et donc de la morale – avant que le libéralisme et sa neutralité axiologique ne produisent d’effets réels. Ce sens du passé rompt avec le sens de l’histoire moderne et par suite post-moderne. Loin du monadisme nomade, Orwell promeut le lien et l’attachement, tout comme les travailleurs veulent protéger intuitivement certaines formes d’existence communautaire. (18) Ce désir de conserver un héritage traditionnel se situe d’ailleurs souvent à l’origine de l’esprit révolutionnaire – dont le combat Luddite du 19ème siècle représentait une manifestation très éclairante. Tant le déracinement que l’a-moralité ne sont nullement des signes d’émancipation, si l’on suit Michéa, pour qui la reconnaissance de « droits à » spécifiques n’implique nullement qu’ils soient pour autant légitimes. Être socialiste c’est donc, comme l'expose la d’Orwell éducateur, être réactionnaire en refusant la tabula rasa et ses arguments fallacieux. Pour revenir sur la comparaison entre le souhaitable et le dispensable dans l’innovation, Michéa distingue la marche arrière de la régression. Ce sont des rythmes imposés par le libéralisme dont il faut se méfier. Le sens des mots intervient encore une fois : la culture doit être distincte de la mode. Alors que la première, héritage de valeurs et tradition, relève de la transmission, la seconde reste intra-générationnelle, fugace et n’obéit qu’à la logique marchande. (19)

    Le conservatisme critique du socialisme michéen entend entre autres appliquer sa méthode aux droits de l’homme, base théorique de départ privilégiée. Mais ils ne sont pas une fin, un dogme inaltérable qui comme aujourd’hui ne souffre aucune contestation. Si la théorie socialiste s’oppose au socialisme réellement existant auquel s’est confronté Michéa dans sa jeunesse, en allant en URSS, il refuse tout autant la sacralisation « citoyenne » droit-de-l’hommiste. Cette dernière formalisation s’est manifestée dans les années 1970, où les droits de l’homme ont été réintroduits « sans la moindre critique philosophique préalable ». (20) Les combats « citoyens » ont alors été la seule finalité de la gauche. En outre, la dimension critique suppose d’accepter le constat que la lutte pour « le droit des minorités » et « contre toutes les discriminations » est le plus allée de l’avant là où les puissances économiques étaient les plus fortes. Une logique d'ingénierie sociale utilise donc les droits de l’homme comme paravent pour mener à bien sa politique. Initialement, rappelle Michéa, ces droits de l’homme formalisent et entérinent l’individualisme libéral. Mais cette distance prise avec les obligations communautaires et traditionnelles n’implique pas un sujet souverain. Le rapport métaphysique a changé, lit-on, mais n’aboutit qu’à une plus grande aliénation. Bien avant La double pensée, Michéa écrivait que la destitution de la Loi et du Symbolique n'entraîne pas la victoire du sujet autonomisé, mais son passage à une autre forme de domination et de soumission, potentiellement plus forte. (21) Or si l’autonomisation individuelle et collective est pour Michéa le but de toute société décente, cela implique que l’homme soit pris dans sa dimension double : ni monade, ni rouage, il est un individu socialisé. Par cette vie en communauté, il doit donc respecter certaines règles collectives. Les droits de l’homme défendus par Michéa ne sont donc pas les droits négatifs du libéralisme, mais des droits qui refusent le postulat anthropologique nouveau du calculateur rationnel et égoïste. Ceci implique, par ailleurs, d’accepter d’émettre des jugements de valeur qui limitent la fuite en avant des revendications. Et ce faisant, d’assurer les possibilités de réalisation d’une société socialiste, c’est-à-dire décente – et vice-versa.

     

    De la décence

     

    Nous touchons là au cœur des valeurs michéennes, directement héritées de la pensée politique de George Orwell. et du concept central énoncé par ce dernier : la common decency. Loin d’être une simple marotte, elle est le fil conducteur qui relie toutes les analyses de Michéa. La common decency est, pour lui, la condition inaliénable à respecter pour établir une société décente, « fondée sur ce que les hommes peuvent donner de meilleur chaque fois que le contexte politique et culturel les y encourage. » (22) Il s’agit de refuser la fuite en avant, pour au contraire s’appuyer sur cette common decency (morale commune, décence ordinaire, décence commune) et le bon sens des classes populaires – et d’une frange de la classe moyenne – pour s’autolimiter en s’en servant comme garde-fou. Mais chez Michéa comme auparavant chez Orwell, il n’est pas question d’idéaliser de telles classes. Le contexte favorable dont parle Michéa est celui qui fait que l’homme reste vraiment homme, à savoir un individu socialisé enchevêtré dans un tissu de relations. Pour reprendre Mauss et ses héritiers du MAUSS (Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales), la common decency est possible lorsque le système du don / contre-don trouve encore à s’exprimer. La triple obligation de donner, recevoir et rendre s’avère donc inséparable de toute société décente.

     

    1) La common decency

     

    Le socialisme populaire réside dans le maintien de cette common decency. Orwell est resté volontairement flou sur cette notion introduite pour la première fois dans son essai sur Charles Dickens. (23) Michéa la définit comme un ensemble de valeurs partagées permettant de faire sens par le lien commun. Elle est l’indicible qui prescrit et proscrit implicitement. Elle se caractérise, dans les faits, par la loyauté, l’amitié, le désintéressement, la générosité, la haine des privilèges. En deux mots, la sensibilité et la bienveillance. (24) Là où dans le libéralisme, l’individu a le choix d’opter pour des valeurs de générosité ou d’égoïsme, il est ici question de reconnaître la supériorité de certaines valeurs humaines, d’accepter de prendre parti. La common decency constitue donc, dans son essence, l’antithèse des valeurs de l’intelligentsia et autres relais d’extrême-gauche libérale. Héritée des valeurs traditionnelles, c’est toutefois dans la modernité occidentale qu’elle trouve le plus à s’appliquer. Dans L’enseignement de l’ignorance, Michéa la qualifie de « mixte, historiquement constitué, de civilités traditionnelles et de dispositions modernes qui ont jusqu’ici permis de neutraliser une grande partie de l’horreur économique. » (25) Il s’agit donc d’un dispositif critique interne à la modernité libérale. Il en va de même pour le socialisme, apparu après l’avènement de la civilisation industrielle. Orwell en donne de nombreux exemples dans son essai Le Quai de Wigan, parmi les ouvriers mineurs. Malgré la pauvreté de ce milieu, il y constate une réelle fraternité entre les hommes, et une forte propension au don de soi envers autrui. En somme, le contraire du Narcisse qui, ne parvenant pas à s’aimer, n’est pas capable d’aimer ni de donner à autrui. (26)

    La common decency est un mécanisme intuitif dont les implications sont partagées par ceux qui partagent la vie des classes populaires. A l’opposé de l’anthropologie libérale, elle s’appuie sur la confiance réciproque. Dans Impasse Adam Smith, Michéa isole trois traits pour théoriser ce concept-clé a minima a) le sentiment intuitif de ce qui ne se fait pas, pour maintenir une coexistence quotidienne « véritablement commune » effective b) la bienveillance qu’implique cette réciprocité renvoie à une historicité spécifique. En Occident, elle est l’héritage des valeurs chrétiennes et de la Révolution française. Mais son champ d’application la rend universalisable, car elle peut aller « de l’entraide bienveillante à la simple politesse » (27) c) aspect le plus décisif, pour Michéa, si la common decency est psychologiquement et philosophiquement accessible à tous, elle est avant tout l’apanage des gens ordinaires. Ces derniers ne dominent pas et ne cherchent pas à dominer – même si, réaliste, Michéa est conscient – comme l’était Orwell – que les risques de s’en écarter existent pour tous. (28) En somme, poursuit-il, la common decency est bien plus qu’un concept de résistance. Elle est « le point de départ indispensable de toute critique socialiste au sens originel du terme. » (29)

     

    2) Donner, recevoir et rendre versus demander, recevoir et prendre

     

    Sans ce « minimum de valeurs partagées et de solidarité collective effectivement pratiquée » (30), telle qu’est définie la common decency dans L’empire du moindre mal, une société est vouée à l’échec. En particulier, si la logique du donnant-donnant est universalisée, avec sa base contractualiste et calculatrice. Car la common decency, à lire Michéa, peut s’intégrer dans les théories maussiennes du système de don / contre-don. Cette théorie de Marcel Mauss repose sur la triple obligation de donner, recevoir et rendre, nœud borroméen qui sous-tend toutes les sociétés traditionnelles. Profondément symboliques, celles-ci maintiennent une forte solidarité en faisant primer « le lien sur le bien », la relation dans le temps que le donnant-donnant rompt en l’achetant. Avec cette approche, l’hypothèse libérale s’écroule à l’épreuve des faits, selon Michéa. Car les sociétés ne reposent pas sur une anthropologie pessimiste du soupçon faite de calculateurs égoïstes et rationnels, sans quoi elles n’auraient jamais pu se développer. L’anthropologie dite économique propose ainsi une hypothèse erronée en parlant de système économique originel voire de troc, une « fable » pour Michéa. La common decency est donc, en fin de compte, bien plus « naturelle » que notre comportement supposé rationnel, que la modernité libérale tente d’imposer pour que nous soyons enfin décidés à être nous-mêmes. Dans la common decency comme dans le système maussien, l’éventail de la psychologie humaine est pris en compte, tant dans sa capacité belliqueuse que bienveillante. Il faut donc favoriser le contexte qui incitera davantage à la coopération et à l’amitié qu’à l’égoïsme et au conflit généralisé. Il conviendra, dans tous les cas, de refuser les fausses alternatives économiques qui, qu’il s’agisse d’un altermondialisme ou d’une alteréconomie, ne constituent au bout du compte qu’un altercapitalisme, au lieu de proposer un autre rapport des hommes à l’économie. (31)

    Plusieurs implications en découlent, que Michéa propose. Critique envers les autres, il l’est tout autant avec les militants proches de sa sensibilité. En premier lieu, il est indispensable de rompre avec l’imaginaire du Spectacle et la propagande publicitaire, « nouveaux dispositifs de domination et autorité symboliques » (32) qui, insidieux, fonctionnent à la séduction. Ceci permettra de se débarrasser de ces « machines » qui, avec l’industrie du divertissement, servent à faire intérioriser l’imaginaire moderne. Agir de manière efficiente suppose pour Michéa de se mettre en conformité avec plusieurs principes. La rotation permanente des tâches doit être assurée pour toutes les fonctions dirigeantes, pour se prémunir contre le révolutionnaire professionnel – que l’on retrouve d’ailleurs chez Orwell dans Le Quai de Wigan. De plus, comme notre révolution colorée de mai 68 l’a prouvé, il faudrait entretenir un rapport de méfiance à l’égard des médias officiels. Enfin, sans qu’il l’écrive explicitement, il faudrait utiliser les analyses combinées de Lasch et Orwell. A savoir, prendre la common decency comme jauge de l’intégrité du militant révolutionnaire – non exempt de critiques – afin de déterminer s’il n’agit pas uniquement comme une victime de la culture du narcissisme, i. e. un être incapable d’aimer et de donner mais en réalité animé par une volonté de puissance et la soif de reconnaissance, empli de ressentiment, obstacle psychologique fondamental (33) à la naissance d’une société décente. La common decency doit donc servir de correctif référent pour se prémunir des tentatives hégémoniques d’intellectuels partidaires en devenir au sein des mouvements anticapitalistes. Car pour Michéa, afin d’inverser la tendance de l’époque, donner, recevoir et rendre sont la condition indépassable d’une rupture avec un système qui incite de plus en plus à demander, recevoir et prendre (34), à l’envers des médiations sociales intemporelles. Car la volonté de puissance, selon lui, consiste à demander toujours plus sans jamais rien donner en retour, posant ainsi les jalons de l’exploitation. Ce qui peut difficilement être démenti à l’époque de l’ingénierie sociale, de la virtualisation de l’économie et des salaires indécents.

     

    En résumé, la lecture de Michéa apporte de nombreux éléments pour comprendre de quoi le néo-libéralisme est le nom. Toute critique est diabolisée, l'extrême-gauche – toujours idiot utile – qualifie les réfractaires de néoconservateurs (35) et que les détracteurs du Marché mondial sont presque unanimement traités de fascistes. (36) Faussement partisan du moindre mal, le système s'appuie sur l'ingénierie sociale et nous mène tout droit vers la rationalisation technicienne intégrale tarée de Brzezinski & Attali Inc., celle du Meilleur des mondes à la Huxley. En détruisant les fondements de l’humanité, les conditions d’exercice de la socialité et les valeurs des gens ordinaires, nous dit Michéa, nous entrons de plain-pied dans cette post-humanité d’après le dernier homme (les actuels débats sur le post-humanisme en sont le meilleur exemple), telle que rêvée par l’économiste Francis Fukuyama.(37) Le complexe d'Orphée qui sort – rappelons-le – le 5 octobre prochain et l'intégralité des écrits de Michéa relèvent donc de la plus saine des lectures pour tout anti-mondialiste, par-delà droite et gauche, afin de réfléchir aux alternatives communes à proposer contre le néo-totalitarisme. Avis à ceux qui ne l'ont pas encore lu !

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    (1) Impasse Adam Smith, p.11.

     

    (2) La double pensée, p.249.

     

    (3) Ibid., p.154n.

     

    (4) L’empire du moindre mal, p.175n1.

     

    (5) Orwell (G.), Essais, articles, lettres volume I, 67, « Recension : Tropic of Cancer de Henry Miller », p.200.

     

    (6) Orwell (G.), Essais, articles, lettres, volume IV, 19, « Les lieux de loisirs », p.104.

     

    (7) Orwell (G.), Essais, articles, lettres volume II, 17, Le Lion et la Licorne : socialisme et génie anglais, p.133.

     

    (8) Orwell (S.), in Orwell (G.), Essais, articles, lettres volume I, préface, p.8.

     

    (9) Orwell (G.), Écrits politiques (1928-1949), 35, « La révolte intellectuelle », p.248.

     

    (10) Orwell, anarchiste tory, p.137.

     

    (11) La double pensée, p.217.

     

    (12) Dans Les intellectuels, le peuple et le ballon rond, Michéa effectue le rappel historique qu’avant sa perversion sémantique sous l’impulsion des médias, « le terme de « populisme » était employé de façon tout à fait positive pour désigner certains mouvements révolutionnaires issus des traditions russes et américaines de la deuxième moitié du 19ème siècle. », pp.43-44. En ce sens, il exposait que « le Ministère de la Vérité avait déjà ainsi presque réussi à nous faire oublier que Pasolini plaçait naguère sa défense des paysans du Frioul ou des travailleurs de Naples sous le drapeau, clairement déployé, du populisme », in Impasse Adam Smith, scolies I, [S] p.83.

     

    (13) Orwell éducateur, p.71.

     

    (14) La double pensée, p.170n.

     

    (15) L’enseignement de l’ignorance, p.104.

     

    (16) L’enseignement de l’ignorance, [F] « Anticapitalisme et conservatisme », p.105n2.

     

    (17) Cité in Orwell, anarchiste tory, p.48.

     

    (18) Impasse Adam Smith, p.49.

     

    (19) L’enseignement de l’ignorance, [F], p.106n2.

     

    (20) La double pensée, p.240.

     

    (21) Michéa (J.-C.), Finkielkraut (A.), Bruckner (P.), Les valeurs de l’homme contemporain, p.24.

     

    (22) La double pensée, p.265.

     

    (23) Essais, articles, lettres volume I, 162, « Charles Dickens », pp.517-574.

     

    (24) Les intellectuels, le peuple et le ballon rond, p.20.

     

    (25) L’enseignement de l’ignorance, [D] « De l’ambiguïté de l’échange marchand », p.91.

     

    (26) Les valeurs de l’homme contemporain, pp.16-17.

     

    (27) Impasse Adam Smith, p.95.

     

    (28) Essais, articles, lettres volume I, 149, « Recension : Russia under Soviet rule », pp.477-478.

     

    (29) Impasse Adam Smith, p.97. C’est Michéa qui souligne.

     

    (30) L’empire du moindre mal, p.55.

     

    (31) Orwell éducateur, p.81.

     

    (32) Culture de masse ou culture populaire ?, préface, p.20.

     

    (33) Orwell éducateur, scolies I, [A], p.19.

     

    (34) La double pensée, p.50n.

     

    (35) Ibid., p.176.

     

    (36) L’empire du moindre mal, p.125.

     

    (37) « Le caractère ouvert des sciences contemporaines de la nature – écrit-il encore – nous permet de supputer que, d’ici les deux prochaines générations, la biotechnologie nous donnera les outils qui nous permettront d’accomplir ce que les spécialistes d’ingénierie sociale n’ont pas réussi à faire. A ce stade, nous en aurons définitivement terminé avec l’histoire humaine parce que nous aurons aboli les êtres humains en tant que tels. Alors commencera une nouvelle histoire, au-delà de l’humain. », cité par Michéa in L’empire du moindre mal, p.200.

  • Zone euro : La crise n’est pas finie !

    par Nouriel Roubini

    Les dangers qui planent sur la zone euro se sont estompés depuis cet été ; le coût du crédit pour l’Espagne et l’Italie avait alors atteint des valeurs records intenables et la sortie de la Grèce paraissait imminente. Mais si la tension financière s’est relâchée, la situation économique à la périphérie la zone euro reste instable.

    La baisse des risques tient à plusieurs facteurs. Tout d’abord, le programme de Transactions monétaires fermes de la BCE s’est révélé incroyablement efficace : les différences de taux d’intérêt entre l’Espagne et l’Italie ont diminué de 250 points de base, avant même qu’un seul euro ait été dépensé en achat d’obligations d’Etat. L’introduction du Mécanisme de stabilité européen (MSE) qui contribue pour 500 milliards d’euros supplémentaires au secours des banques et des Etats a aussi eu son utilité, de même que la reconnaissance par les dirigeants européens du fait qu’une union monétaire à elle seule ne suffit pas ; elle nécessite plus d’intégration bancaire, budgétaire, économique et politique pour échapper à l’instabilité.

    Mais le facteur majeur est le changement d’attitude de l’Allemagne envers la zone euro en général et la Grèce en particulier. Les responsables allemands comprennent maintenant qu’étant donné l’importance des liens commerciaux et financiers, les troubles dans la zone euro n’affectent pas uniquement sa périphérie, mais aussi son centre. Ils ont arrêté de faire des déclarations publiques concernant une sortie possible de la Grèce et ils viennent d’approuver un troisième plan de sauvetage qui lui est destiné. Aussi longtemps que l’Espagne et l’Italie sont fragilisées, un éclatement de la Grèce pourrait faire tache d’huile. Ce serait gênant pour la chancelière Angela Merkel qui verrait ses chances de réélection pour un troisième mandat diminuer lors des élections qui auront lieu l’année prochaine en Allemagne. Aussi, pour l’instant l’Allemagne continue-t-elle à financer la Grèce.

    Néanmoins, on ne voit guère de signe de reprise à la périphérie de la zone euro. Son PIB continue à diminuer en raison de la politique d’austérité, de la surévaluation de l’euro, du resserrement marqué du crédit sous-tendu par le manque de capitaux des banques, de la morosité du climat des affaires et de la baisse de confiance des consommateurs. La récession de la périphérie s’étend maintenant au centre de la zone euro ; la production française baisse et l’Allemagne elle-même se trouve au point mort, car la croissance chancelle dans les deux marchés où elle exporte (elle chute dans le reste de la zone euro et diminue en Chine et ailleurs en Asie).

    La balkanisation de l’activité économique, des systèmes bancaires et des marchés de la dette publique se prolonge, tandis que les investisseurs étrangers fuient la périphérie de la zone euro pour chercher la sécurité dans son centre. Les dettes publiques comme les dettes privés ont atteint des niveaux presque insoutenables. Ce n’est pas surprenant, car la perte de compétitivité qui a conduit à des déficits extérieurs considérables n’a guère été combattue, et des tendances démographiques négatives, de faibles gains de productivité et la lenteur des réformes structurelles dépriment la croissance potentielle.

    Il est vrai que les pays de la périphérie ont fait quelques progrès ces dernières années : les déficits budgétaires ont diminué et certains pays connaissent même un excédent de leur budget primaire (le budget sans les intérêts). On assiste également à un regain partiel de compétitivité, car l’augmentation des salaires a été inférieure à celle de la productivité, réduisant ainsi le coût du travail par rapport à la production, tandis que des réformes structurelles sont en cours.

    Mais à court terme, l’austérité, les baisses de salaires et les réformes poussent à la récession, et il en est de même du processus asymétrique d’ajustement au sein de l’ensemble de la zone euro qui pousse aussi à la déflation. Les pays qui dépensaient plus qu’ils ne gagnaient ont dû resserrer les cordons de leur bourse et épargner davantage, réduisant ainsi leur déficit commercial. Mais des pays comme l’Allemagne dont l’épargne était excessive et qui connaissaient des excédents extérieurs n’ont pas été contraints de diminuer leur demande intérieure, aussi leur excédent commercial n’a-t-il guère baissé.

    L’union monétaire reste en équilibre instable : soit la zone euro évolue vers plus d’intégration (limitée par la capacité de l’UE à donner une légitimité démocratique à la perte de souveraineté nationale en matière de politique bancaire, budgétaire et économique), ou alors elle va évoluer vers la désunion, la désintégration, la fragmentation et finalement l’éclatement. Les dirigeants de l’UE ont fait des propositions en faveur d’une union bancaire et budgétaire, mais l’Allemagne traîne des pieds.

    Les dirigeants allemands craignent que le partage des risques lié à davantage d’intégration – la recapitalisation des banques grâce au MSE, un fond commun de résolution pour les banques insolvables, la garantie des dépôts dans toute la zone euro, un pas en direction de l’union budgétaire et la mutualisation de la dette – implique une union de transfert au sein de laquelle l’Allemagne et les pays du centre subventionneront unilatéralement et en permanence ceux de la périphérie, ce qui serait politiquement inacceptable. Selon eux, les déficits budgétaires et les dettes massives de la périphérie ne sont pas dus à l’absence d’une union bancaire ou budgétaire, mais à la perte de compétitivité et au faible potentiel de croissance liés au manque de réformes structurelles.

    L’Allemagne ne réalise pas qu’une union monétaire réussie (à l’instar des USA) suppose une union bancaire totale avec un partage des risques important, ainsi qu’une union budgétaire dans laquelle le budget fédéral absorbe les chocs que peut subir tel ou tel Etat. Les USA sont aussi une grande union de transfert dans laquelle les Etats les plus riches aident en permanence les Etats les plus pauvres.

    Alors que l’on discute des propositions en faveur d’une union bancaire, budgétaire et politique, on parle beaucoup moins de la manière de restaurer la croissance à court terme. Les Européens sont prêts à se serrer la ceinture, mais ils veulent voir la lumière au fond du tunnel, sous forme d’une augmentation des revenus et de la baisse du chômage. Si la récession s’installe, rien ne pourra empêcher une réaction sur le front politique et social : manifestations contre l’austérité, grèves, violences, émeutes, montée des partis extrémistes et effondrement des gouvernements les plus faibles.

    Le risque extrême d’une sortie de la Grèce hors de la zone euro et d’une perte massive d’accès aux marchés en Italie et en Espagne vont être moindres en 2013. Mais la crise fondamentale de la zone euro n’a pas été résolue et une année supplémentaire traversée tant bien que mal pourrait réactiver et accroître ce risque en 2014 et au-delà. Malheureusement, la crise de la zone euro va probablement se prolonger dans les années à venir, et pourrait s’accompagner d’une restructuration coercitive des dettes et de la sortie de certains pays de la zone euro.

    Les Echos  http://fortune.fdesouche.com

  • La plus grande offensive contre les droits sociaux menée depuis la seconde guerre mondiale à l’échelle européenne

    Série « Banques – Peuples : les dessous d’un match truqué ! » (3e partie)

    La première partie de la série, intitulée « 2007-2012 : 6 années qui ébranlèrent les banques » a été publiée le 20 novembre 2012, la seconde partie intitulée « La BCE et la Fed au service des grandes banques privées » a été publiée le 29 novembre 2012

    Ne pas sous-estimer la capacité des gouvernants à mettre à profit une situation de crise

    De manière régulière, les grands médias abordent les questions d’un possible éclatement de la zone euro, de l’échec des politiques d’austérité en matière de relance économique, des tensions entre Berlin et Paris, entre Londres et les membres de la zone euro, des contradictions au sein du conseil de la BCE, des énormes difficultés pour trouver un accord sur le budget de l’UE, des crispations de certains gouvernements européens à l’égard du FMI à propos du dosage de l’austérité. Tout cela est vrai, mais il ne faut surtout pas oublier un point fondamental : la capacité de gouvernants, qui se sont mis docilement au service des intérêts des grandes entreprises privées, de gérer une situation de crise, voire de chaos, pour agir dans le sens demandé par ces grandes entreprises. Le lien étroit entre les gouvernants et le grand Capital n’est même plus dissimulé. A la tête de plusieurs gouvernements, placés à des postes ministériels importants et à la présidence de la BCE, se trouvent des hommes directement issus du monde de la haute finance, à commencer par la banque d’affaires Goldman Sachs. Certains hommes politiques de premier plan sont récompensés par un poste dans une grande banque ou une autre grande entreprise une fois qu’ils ont accompli leurs bons offices pour le grand Capital. Ce n’est pas nouveau mais c’est plus évident et régulier qu’au cours de 50 dernières années. On peut parler de véritables vases communicants.

    Considérer que la politique des dirigeants européens est un échec parce que la croissance économique n’est pas de retour, c’est en partie se tromper de critère d’analyse. Les objectifs poursuivis par la direction de la BCE, par la Commission européenne, par les gouvernements des économies les plus fortes de l’UE, par les directions des banques et des autres grandes entreprises privées, ce n’est ni le retour rapide à la croissance, ni la réduction des asymétries au sein de la zone euro et de l’UE afin d’en faire un ensemble plus cohérent où serait de retour la prospérité.

    Parmi leurs objectifs principaux, il faut en souligner deux : 1. éviter un nouveau krach financier et bancaire qui pourrait se révéler pire que celui de septembre 2008 (les deux premières parties de cette série ont abordé cet objectif qui sera à nouveau développé dans la quatrième partie) ; 2. utiliser plusieurs armes (l’augmentation très importante du chômage, le remboursement de la dette publique, la recherche de l’équilibre budgétaire, le fouet de la quête de l’amélioration de la compétitivité des Etats membres de l’UE les uns par rapport aux autres et par rapport aux concurrents commerciaux des autres continents) pour avancer dans la plus grande offensive menée depuis la seconde guerre mondiale à l’échelle européenne par le Capital contre le Travail. Pour le Capital, il s’agit d’accroître encore la précarisation des travailleurs, de réduire radicalement leur capacité de mobilisation et de résistance, de réduire les salaires et différentes indemnités sociales de manière importante tout en maintenant les énormes disparités entre les travailleurs dans l’UE afin d’augmenter la compétition entre eux. D’abord, il y a les disparités entre les salariés d’un même pays : entre femmes et hommes, entre CDI et CDD, entre travailleurs à temps partiel et travailleurs à temps plein. A l’initiative du patronat et avec l’appui des gouvernements successifs (et en leur sein les partis socialistes européens ont joué un rôle actif), ces disparités se sont accrues au cours des 20 dernières années. Et puis, il y a les disparités entre les travailleurs des différents pays de l’UE. Les disparités entre travailleurs des pays du Centre et ceux des pays de la Périphérie à l’intérieur de l’UE sont le complément de celles se creusant à l’intérieur des frontières nationales.

    Les profondes disparités entre les travailleurs des différents pays de l’UE

    Les salaires des travailleurs du groupe de pays les plus forts (Allemagne, France, Pays-Bas, Finlande, Suède, Autriche, Danemark) sont le double ou le triple des salaires des travailleurs en Grèce, au Portugal ou en Slovénie, ils sont 10 fois plus élevés que les salaires des travailleurs de Bulgarie, 7 à 9 fois plus que les salaires roumains, lituaniens ou lettons |1|
    . En Amérique du Sud, alors que les différences sont grandes entre les économies les plus fortes (Brésil, Argentine, Venezuela) et les plus faibles (Paraguay, Bolivie, Equateur…), la différence entre le salaire minimum légal est de l’ordre de 1 à 4, donc une disparité nettement plus faible qu’au sein de l’Union Européenne. C’est dire à quel point est forte la concurrence entre les travailleurs d’Europe.

    Les grandes entreprises des pays européens les plus forts sur le plan économique profitent à fond des disparités salariales au sein de l’UE. Les entreprises allemandes ont choisi d’accroître fortement leur production réalisée dans les pays de l’UE où les salaires sont les plus bas. Les biens intermédiaires sont ensuite rapatriés en Allemagne sans payer de taxe d’import/export, pour y être assemblés puis réexportés principalement vers les autres pays d’Europe. Cela permet de diminuer les coûts de production, de mettre en concurrence les travailleurs allemands avec ceux des autres pays et d’augmenter la rentabilité de ces entreprises. De plus, ces biens assemblés en Allemagne et vendus sur les marchés extérieurs apparaissent bien sûr dans les exportations allemandes, dont une partie importante est en réalité le résultat de l’assemblage de produits importés. Les entreprises des autres pays forts de l’UE font certes de même, mais l’économie allemande est celle qui bénéficie proportionnellement le plus des bas salaires et de la précarisation du travail au sein de la zone euro (y compris à l’intérieur des frontières de l’Allemagne |2|) et de l’UE. En 2007, les excédents commerciaux de l’Allemagne étaient redevables à 83% de ses échanges avec les autres pays de l’UE (145 milliards d’euros vis-à-vis des autres pays de la zone euro, 79 milliards vis-à-vis de l’Europe hors zone euro, et 45 milliards avec le reste du monde) |3| .

    Le modèle allemand comme produit de l’offensive néolibérale

    Les patrons allemands, aidés par le gouvernement socialiste de Gerhard Schröder en 2003-2005, ont réussi à imposer des sacrifices aux travailleurs. L’étude En finir avec la compétitivité publiée conjointement par ATTAC et la Fondation Copernic résume ainsi les grandes étapes des atteintes aux conquêtes des travailleurs d’Allemagne et à leurs droits sociaux et économiques : « Les lois Hartz (du nom de l’ex-Directeur des Ressources Humaines de Volkswagen et conseiller de Gerhard Schröder) se sont échelonnées entre 2003 et 2005. Hartz I oblige les chômeurs à accepter l’emploi qui leur est proposé, même pour un salaire inférieur à leur indemnité chômage. Hartz II institue des mini-jobs à moins de 400 euros mensuels (exemptés de cotisations sociales salariées). Hartz III limite à un an le versement des allocations chômage pour les travailleurs âgés et en durcit les conditions d’attribution. Hartz IV fusionne l’allocation chômage de longue durée et les aides sociales, et les plafonne à 345 euros par mois. Aux lois Hartz s’ajoutent les réformes successives des retraites et du système d’assurance-maladie : retraite par capitalisation (retraites Riester) ; hausse des cotisations, report de l’âge légal de départ à la retraite (objectif 67 ans en 2017). » Les auteurs de cette étude soulignent : « L’ensemble de ces réformes a conduit à une impressionnante montée des inégalités sociales. C’est un aspect souvent oublié du ‘modèle allemand’ et cela vaut donc la peine de donner quelques chiffres détaillés. L’Allemagne est devenue un pays très inégalitaire : un avant-projet de rapport parlementaire sur la pauvreté et la richesse |4| vient d’établir que la moitié la plus pauvre de la société possède seulement 1% des actifs, contre 53 % pour les plus riches. Entre 2003 et 2010, le pouvoir d’achat du salaire médian a baissé de 5,6 %. Mais cette baisse a été très inégalement répartie : – 12 % pour les 40 % de salariés les moins bien payés, – 4 % pour les 40 % de salariés les mieux payés |5|. Les données officielles montrent que la proportion de bas salaires est passée de 18,7 % en 2006 à 21 % en 2010 et cette progression des bas salaires – c’est à souligner – se fait pour l’essentiel en Allemagne de l’Ouest. »

    Selon la même étude, en 2008, le nombre de salariés a augmenté de 1,2 million par rapport à 1999, mais cette progression correspond à une augmentation de 1,9 million du nombre d’emplois précaires, et donc à une perte d’un demi-million d’emplois CDI à plein temps. Un quart des salarié(e)s occupent aujourd’hui un emploi précaire, et cette proportion (la même désormais qu’aux États-Unis) monte à 40 % chez les femmes. « Les emplois salariés précaires sont majoritairement (à 70 %) destinés aux femmes |6|. La proportion de chômeurs indemnisés a chuté de 80 % en 1995 à 35 % en 2008 et toutes les personnes au chômage depuis plus d’un an ont basculé vers l’aide sociale ».

    Comme le note Arnaud Lechevalier, cette évolution s’inscrit « dans un contexte plus général d’érosion de la protection des salariés par les conventions collectives : la part des salariés couverts a baissé de 76 % à 62 % en dix ans et ces conventions ne concernaient plus que 40 % des entreprises allemandes en 2008. De plus, les syndicats ont dû concéder de multiples dérogations aux conventions collectives de branche au niveau des entreprises » |7|.

    Les arrière-pensées des dirigeants et des patrons européens

    Quand on tente d’expliquer l’attitude actuelle des dirigeants allemands face à la crise de l’Eurozone, on peut émettre l’hypothèse qu’une des leçons qu’ils ont tirées de l’absorption de l’Allemagne de l’Est au début des années 1990, c’est que les disparités très fortes entre travailleurs peuvent être exploitées pour imposer une politique pro-patronale très forte. Les privatisations massives en Allemagne de l’Est, les atteintes à la sécurité de l’emploi des travailleurs de l’ex-RDA combinée à l’augmentation de la dette publique allemande due au financement de cette absorption (qui a servi de prétexte pour imposer les politiques d’austérité) ont permis d’imposer des reculs très importants aux travailleurs d’Allemagne, qu’ils soient de l’Est ou de l’Ouest. Les dirigeants allemands actuels se disent que la crise de la zone euro et les attaques brutales imposées au peuple grec et à d’autres peuples de la Périphérie sont l’occasion d’aller encore plus loin et de reproduire d’une certaine manière à l’échelle européenne ce qu’ils ont fait en Allemagne. Quant aux autres dirigeants européens des pays les plus forts et aux patrons des grandes entreprises, ils ne sont pas en reste, ils se félicitent de l’existence d’une zone économique, commerciale et politique commune où les transnationales européennes et les économies du Nord de la zone euro tirent profit de la débâcle du Sud pour renforcer la profitabilité des entreprises et marquer des points en terme de compétitivité par rapport à leur concurrents nord-américains et chinois. Leur objectif, au stade actuel de la crise, n’est pas de relancer la croissance et de réduire les asymétries entre les économies fortes et les faibles de l’UE. Ils considèrent en outre que la débâcle du Sud va se traduire par des opportunités de privatisations massives d’entreprises et de biens publics à des prix bradés. L’intervention de la Troïka et la complicité active des gouvernements de la Périphérie les y aident. Le grand Capital des pays de la Périphérie est favorable à ces politiques car il compte bien lui-même obtenir une part d’un gâteau qu’il convoitait depuis des années. Les privatisations en Grèce et au Portugal préfigurent ce qui va arriver en Espagne et en Italie où les biens publics à acquérir sont beaucoup plus importants vu la taille de ces deux économies.

    La volonté de faire baisser les salaires

    Revenons à la question des salaires. Selon Michel Husson, en Allemagne, le coût salarial unitaire réel a baissé de près de 10 % entre 2004 et 2008 |8|
    . Dans le reste de l’Europe, pendant la même période, il a également baissé mais dans une proportion bien moindre qu’en Allemagne. C’est à partir de la crise de 2008-2009, qui affecte durement l’Eurozone, que l’on constate une chute très nette des salaires réels des pays les plus touchés. C’est ce que souligne Patrick Artus : « On constate dans les pays en difficulté de la zone euro (Espagne, Italie, Grèce, Portugal) une forte baisse des salaires réels » |9|. Patrick Artus déclare que la baisse des salaires correspond à une politique délibérée des dirigeants européens et il ajoute que, de toute évidence, cette politique n’a ni permis de relancer l’investissement dans les pays mentionnés, ni de rendre plus compétitive les exportations des mêmes pays. Patrick Artus écrit que les effets favorables : « des baisses de salaires sur la compétitivité donc le commerce extérieur ou sur l’investissement des entreprises ne sont pas présents ». Il ajoute que la baisse de salaire a deux effets clairs : d’une part, elle a augmenté la profitabilité des entreprises (donc, en termes marxistes, une augmentation du taux de profit par une augmentation de la plus-value absolue, voir encadré « L’ABC sur la plus-value absolue et relative ainsi que sur le salaire ») ; d’autre part, elle a diminué la demande des ménages, ce qui a renforcé la contraction de l’économie |10|. Cette étude réalisée par Natixis vient confirmer que le but des dirigeants européens n’est ni de relancer l’activité économique, ni d’améliorer la position économique des pays de la Périphérie par rapport à ceux du Centre. La baisse des salaires vise à réduire la capacité de résistance des travailleurs des pays concernés, augmenter le taux de profit du Capital et pousser plus loin le démantèlement de ce qui reste du welfare state construit au cours des 35 années qui ont suivi la seconde guerre mondiale (période qui a été suivie par le tournant néolibéral de la fin des années 1970-début des années 1980).

    Dans le Rapport mondial sur les salaires 2012-2013 publié par l’Organisation internationale du travail en décembre 2012, les auteurs relèvent que dans les pays développés entre 2008 et 2012, « 1es salaires ont enregistré un double creux » (càd en 2008 et en 2011) |11| . C’est la seule région du monde avec le Moyen Orient où les salaires ont baissé depuis 2008. En Chine, dans le reste de l’Asie, en Amérique latine, les salaires ont augmenté. En Europe orientale, ils ont connu une certaine récupération après l’effondrement des années 1990. Ce rapport permet de confirmer que l’épicentre de l’offensive du Capital contre le Travail s’est déplacé vers les pays les plus développés.

    L’ABC sur la plus-value absolue et relative ainsi que sur le salaire |12|Lorsque l’ouvrier (ou l’ouvrière) commence à travailler à l’usine au début de sa journée, il incorpore une valeur aux matières premières (ou aux biens intermédiaires qu’ils assemblent). Au bout d’un certain nombre d’heures, il ou elle a reproduit une valeur qui est exactement l’équivalent de on salaire quotidien ou hebdomadaire. Si il ou si elle s’arrêtait de travailler à ce moment précis, le capitaliste n’obtiendrait pas un sou de plus-value mais dans ces conditions-là, le capitaliste n’aurait aucun intérêt d’acheter cette force de travail. Comme l’usurier ou le marchand du Moyen-âge, il « achète pour vendre ». Il achète la force de travail pour obtenir d’elle un produit plus élevé que ce qu’il a dépensé pour l’acheter. Ce « supplément », ce « rabiot », c’est précisément sa plus value, son profit. Il est donc entendu que, si l’ouvrier ou l’ouvrière produit l’équivalent de son salaire en 4 heures de travail, il ou elle travaillera non pas 4 mais 6, 7, 8 ou 9 heures. Pendant ces 2, 3, 4 ou 5 heures « supplémentaires », il ou elle produit de la plus-value pour le capitaliste en échange de laquelle il ou elle ne touche rien. L’origine de la plus-value, c’est donc du surtravail, du travail gratuit, approprié par le capitaliste. « Mais c’est du vol », va-t-on s’écrier. La réponse doit être : « oui et non ». Oui du point de vue de l’ouvrier ou de l’ouvrière ; non, du point du capitaliste et des lois du marché. Le capitaliste n’a en effet pas acheté sur le marché « la valeur produite ou à produire par l’ouvrier ou par l’ouvrière ». Il n’a pas acheté son travail, càd le travail que l’ouvrier ou l’ouvrière va effectuer (s’il avait fait cela, il aurait commis un vol pur et simple ; il aurait payé 25€ pour ce qui vaut 50€). Il a acheté la force de travail de l’ouvrier ou de l’ouvrière. Cette force de travail a une valeur propre comme toute marchandise à sa valeur. La valeur de la force de travail est déterminée par la quantité de travail nécessaire pour la reproduire, càd par la subsistance (ou sens large du terme) de l’ouvrier, de l’ouvrière et de leur famille. La plus-value prend son origine dans le fait qu’un écart apparaît entre la valeur produite par l’ouvrier/ière et la valeur des marchandises nécessaires pour assurer sa subsistance.La valeur de la force de travail a une caractéristique particulière par rapport à celle de toute autre marchandise : elle comporte, outre un élément strictement mesurable, un élément variable. L’élément stable, c’est la valeur des marchandises qui doivent reconstituer la force de travail du point de vue physiologique (qui doivent permettre à l’ouvrier ou à l’ouvrière de récupérer des calories, des vitamines, une capacité de dégager une énergie musculaire et nerveuse déterminée, sans laquelle il serait incapable de travailler au rythme normal prévu par l’organisation capitaliste de travail à un moment donné). L’élément variable, c’est la valeur des marchandises, à une époque et dans un pays déterminé, qui ne font pas partie du minimum vital physiologique. Marx appelle cette part de la valeur de la force de travail, sa fraction historico-morale. Cela veut dire qu’elle n’est pas fortuite. Elle est le résultat d’une évolution historique et d’une situation donnée des rapports de force entre le Capital et le Travail. A ce point précis de l’analyse économique marxiste, la lutte des classes, son passé et son présent, devient un facteur co-déterminant de l’économie capitaliste.Le salaire est le prix de marché de la force de travail. Comme tous les prix de marché, il fluctue autour de la valeur de la marchandise examinée. Les fluctuations du salaire sont déterminées notamment par les fluctuations de l’armée de réserve industrielle, càd du chômage.Pour obtenir le maximum de profit et développer le plus possible l’accumulation du capital, les capitalistes réduisent au maximum la part de la valeur nouvelle, produit par la force de travail, qui revient aux travailleurs et travailleuses sous forme de salaires. Les deux moyens essentiels par lesquelles les capitalistes s’efforcent d’accroître leur part, càd la plus-value, sont :La prolongation de la journée de travail, la réduction des salaires réels et l’abaissement du minimum vital. C’est ce que Marx appelle l’accroissement de la plus-value absolue.L’augmentation de l’intensité et de la productivité du travail sans augmentation proportionnelle du salaire. C’est l’accroissement de la plus-value relative.

     Mise en perspective de l’offensive du Capital contre le Travail

    Ce que vivent les salariés et les allocataires sociaux de Grèce, du Portugal, d’Irlande et d’Espagne aujourd’hui a été imposé aux travailleurs des pays en développement à la faveur de la crise de la dette des années 1980-1990. Au cours des années 1980, l’offensive a également visé les travailleurs en Amérique du Nord à partir de la présidence de Ronald Reagan, en Grande-Bretagne sous la férule de Margaret Thatcher, la Dame de fer, et chez ses émules sur le vieux continent. Les travailleurs de l’ex-bloc de l’Est ont également été soumis au cours des années 1990 aux politiques brutales imposées par leurs gouvernements et le FMI. Selon le rapport Rapport mondial sur les salaires 2012-2013 publié par l’OIT (mentionné plus haut) : « En Russie, par exemple, la valeur réelle des salaires s’est effondrée dans les années 1990 à moins de 40% de la valeur qu’ils avaient et il a fallu une autre décennie pour qu’ils retrouvent leur niveau initial » |13|
    . Ensuite, d’une manière certes nettement moins brutale que celle qui a affecté les peuples du tiers-monde (des pays les plus pauvres jusqu’aux économies dites émergentes), l’offensive a pris pour cible les travailleurs d’Allemagne à partir de 2003-2005. Les effets néfastes pour une partie significative de la population allemande se font sentir encore aujourd’hui même si les succès des exportations allemandes |14| limitent le nombre de chômeurs et qu’une partie de la classe ouvrière n’en ressent pas directement les conséquences. L’offensive qui s’est accélérée depuis 2007-2008 a donc démarré au niveau mondial au début des années 1980 |15|. L’OIT centre son analyse sur une période plus courte (1999-2011) et les données sont claires : « Entre 1999 et 2011, l’augmentation de la productivité du travail moyenne dans les économies développées a été plus de deux fois supérieure à celle des salaires moyens. Aux Etats-Unis, la productivité du travail réelle horaire a augmenté de 85% depuis 1980, tandis que la rémunération horaire réelle n’a augmenté que de 35%. En Allemagne, la productivité du travail a augmenté de presque un quart sur les deux décennies écoulées tandis que les salaires mensuels réels n’ont pas bougé » |16|. C’est ce que Karl Marx appelait l’augmentation de la plus-value relative (voir encadré).

    Et plus loin : « La tendance mondiale a entraîné un changement dans la distribution du revenu national, la part des travailleurs baissant tandis que les parts du capital dans le revenu augmentent dans une majorité de pays. Même en Chine, pays où les salaires ont approximativement triplé durant la décennie écoulée, le PIB a augmenté plus rapidement que la masse salariale totale – et la part du travail a donc baissé. » |17| Cette tendance lourde au niveau mondial est la manifestation de l’augmentation de la plus-value extraite du Travail par le Capital. Il est important de noter que pendant une bonne partie du 19e siècle la forme principale d’augmentation de la plus-value est passée par l’accroissement de la plus-value absolue (baisse des salaires, augmentation des heures de travail). Progressivement, dans les économies les plus fortes, au cours de la deuxième moitié du 19e s. et tout au long du 20e s. (sauf pendant le nazisme, le fascisme et sous d’autres régimes dictatoriaux qui ont imposé des baisses de salaires), elle a été remplacée ou dépassée par l’augmentation de la plus-value relative (augmentation de la productivité du travail sans que les salaires suivent dans la même proportion). Après plusieurs décennies d’offensive néolibérale, l’accroissement de la plus-value absolue redevient une forme importante d’extraction de la plus-value et s’ajoute à la plus-value relative. Alors que pendant des décennies, les patrons ont essentiellement augmenté la plus-value relative, principalement grâce aux gains de productivité du travail, depuis 2009-2010, ils parviennent à augmenter la plus-value absolue : en baissant les salaires réels et dans certains cas en augmentant le temps de travail. Ils utilisent la crise pour combiner l’augmentation de la plus-value relative à l’augmentation de la plus-value absolue. Cela donne une indication de l’ampleur de l’offensive en cours.

    Toujours davantage de travailleurs dans le collimateur

    Dans un document de la Commission européenne intitulé « Le deuxième programme économique d’ajustement pour la Grèce » et datant de mars 2012 |18|, il est clairement mis en évidence qu’il faut poursuivre la réduction des salaires. Le tableau 17 de la page 41 montre que le salaire minimum légal en Grèce est le quintuple du salaire minimum moyen en Roumanie et en Bulgarie (pays voisins de la Grèce), le triple de la Hongrie et des républiques baltes, plus du double du salaire minimum en Pologne et en République tchèque ; il est supérieur au salaire minimum en Espagne et au Portugal. L’objectif est de rapprocher la Grèce des pays où les salaires sont les plus « compétitifs », donc les plus bas. Evidemment, si les salaires poursuivent leur chute radicale en Grèce comme le veut la Troïka et le patronat, il faudra que les salaires en Espagne, au Portugal, en Irlande et aussi dans les pays les plus forts suivent la même tendance, et ce de manière accélérée.

    Ceux qui sont aux commandes en Europe servent une logique grâce à laquelle les patrons européens parviennent à augmenter la quantité de plus-value qu’ils extraient du travail des salariés d’Europe et cherchent à marquer des points dans la bataille commerciale avec les concurrents asiatiques ou nord-américains.

    Ces dirigeants sont prêts à pousser dans leur dernier retranchement les syndicats européens en réduisant fortement la marge de négociation dont ils ont disposé pendant des décennies.

    Le Capital marque des points supplémentaires contre le Travail

    Dans plusieurs pays de l’UE, au cours de leur offensive contre les conquêtes sociales, les gouvernants et la Commission européenne ont réussi à réduire radicalement la portée des conventions collectives interprofessionnelles. C’est le cas des pays de l’ex-bloc de l’Est, c’est aussi le cas de la Grèce, du Portugal, de l’Espagne, de l’Italie, de l’Irlande… Dans plusieurs pays, ils ont également réussi à faire baisser le salaire minimum légal et le montant des retraites. Ils ont réussi à réduire radicalement la protection contre les licenciements et à augmenter l’âge de départ à la retraite.

    L’aggravation de la crise des pays de la périphérie de la zone euro

    Au cours de 2012, la crise s’est aggravée en Grèce, en Irlande, au Portugal, en Espagne, en conséquence des politiques d’austérité brutale appliquées par des gouvernants complices des exigences de la Troïka. En Grèce, la chute cumulée du PIB depuis le début de la crise atteint 20%. Le pouvoir d’achat d’une grande majorité de la population a baissé de 30 à 50%. Le chômage et la pauvreté ont littéralement explosé. Alors qu’en mars 2012, tous les grands médias ont relayé le discours officiel qui affirmait que la dette avait été réduite de moitié |19|, selon les estimations officielles rendues publiques fin octobre 2012, la dette publique grecque qui représentait 162% du PIB à la veille de la réduction de dette de mars 2012 atteindra 189% du PIB en 2013 et 192% en 2014 |20|
    . Cette information ne fait pas partie des titres de la grande presse de masse. Au Portugal, les mesures d’austérité sont d’une telle violence et la dégradation économique est si grave qu’un million de Portugais ont manifesté spontanément le 15 septembre 2012, chiffre qui n’avait été atteint que le 1er mai 1974 pour fêter la victoire de la Révolution des œillets. En Irlande, dont les médias parlent beaucoup moins, le chômage a pris des proportions énormes, conduisant 182.900 jeunes âgés de 15 à 29 ans à quitter le pays depuis que la crise a éclaté en 2008 |21|. Un tiers des jeunes qui avaient un emploi avant la crise s’est retrouvé au chômage. Le sauvetage des banques a représenté jusqu’ici plus de 40 % du PIB (près de 70 milliards d’euros sur un PIB de 156 milliards en 2011) |22|
    . Le recul de l’activité économique a atteint 20% depuis 2008. Le gouvernement de Dublin a réaffirmé qu’il supprimerait 37 500 postes de travail dans le secteur public d’ici 2015. En Espagne, le taux de chômage atteint 50% chez les jeunes. Depuis le début de la crise, 350.000 familles ont été expulsées de leur logement à cause des impayés de dette hypothécaire |23|
    . En un an, le nombre de familles dont tous les membres sont sans emploi a augmenté de 300 000 pour atteindre un total de 1,7 million, soit 10% de toutes les familles d’Espagne |24|. La situation se dégrade de manière continue dans les pays de l’ancien bloc de l’Est membres de l’UE, à commencer par ceux qui ont adhéré à l’Eurozone.

    En somme, partout dans le monde, le Capital s’est lancé dans une offensive contre le Travail. C’est en Europe que, depuis 2008, l’offensive prend la forme la plus systématique en commençant par les pays de la Périphérie. Alors que les banques (et le capitalisme en tant que système) sont les responsables de la crise, elles sont systématiquement protégées. Partout, le remboursement de la dette publique est le prétexte invoqué par les gouvernants pour justifier une politique qui s’en prend aux droits économiques et sociaux de l’écrasante majorité de la population. Si les mouvements sociaux et, parmi eux, les syndicats veulent victorieusement affronter cette offensive dévastatrice, il faut prendre à bras le corps la question de la dette publique afin d’enlever au pouvoir son argument principal. L’annulation de la partie illégitime de la dette publique et l’expropriation des banques pour les intégrer à un service public de l’épargne et du crédit sont des mesures essentielles dans un programme alternatif à la gestion capitaliste de la crise.

    Fin de la troisième partie

    Éric Toussaint http://www.mondialisation.ca

    Notes

    |1| Voir Le Monde des 22 et 23 janvier 2012 sur la base d’Eurostat.

    |2| En Allemagne, en septembre 2010, selon Le Monde du 17 mai 2011, 7,3 millions de travailleurs gagnaient à peine 400 euros par mois. Dans ce pays, le nombre de travailleurs à temps partiel a augmenté de 46% entre 2000 et 2010 tandis qu’en France il augmentait de 17%.

    |3| OCDE, International Trade by Commodity Statistics (SITC Revision 3) mentionné dans ATTAC et Fondation Copernic, En finir avec la compétitivité, Paris, octobre 2012, http://www.france.attac.org/article…

    |4| Lebenslagen in Deutschland. Entwurf des vierten Armuts- und Reichstumsberichts der Bundesregierung, projet du 17 septembre 2012, http://gesd.free.fr/arb912.pdf

    |5| Karl Brenke et Markus M. Grabka, « Schwache Lohnentwicklung im letzten Jahrzehnt », DIW Wochenbericht, n° 45, 2011, http://gesd.free.fr/brenke11.pdf

    |6| Source : destatis.de (Office fédéral allemand de statistique).

    |7| Arnaud Lechevalier, « Un modèle qui ne fait guère envie », Alternatives économiques, n° 300, mars 2011, http://gesd.free.fr/allmodel.pdf cité par ATTAC et Fondation Copernic

    |8| Voir Michel Husson, Economie politique du « système-euro », juin 2012, http://cadtm.org/Economie-politique… ou http://hussonet.free.fr/eceurow.pdf

    |9| Patrick Artus, « La baisse des salaires dans les pays en difficulté de la zone euro est-elle utile ? », Flash Economie n°289, 18 avril 2012.

    |10| Patrick Artus : « il ne reste que les effets sur la demande des ménages, d’où une forte contraction de l’activité dont le seul effet positif est de réduire le déficit extérieur » (puisque les importations diminuent). Par ailleurs Patrick Artus montre avec des graphiques à l’appui que la profitabilité des entreprises a augmenté dans les 4 pays étudiés

    |11| OIT, Rapport mondial sur les salaires 2012-2013, Genève, décembre 2012, http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/pu…

    |12| Le contenu de cet encadré consiste en une utilisation libre et arrangée d’extraits de Ernest Mandel, Introduction au marxisme, Edition Formation Léon Lesoil, Bruxelles, 2007, p. 59, p. 68, p. 66 et 67.

    |13| OIT, Rapport mondial sur les salaires 2012-2013, Genève, décembre 2012

    |14| L’Allemagne a connu une croissance économique portée par ses exportations alors que la plupart de ses partenaires de l’UE et, en particulier, de la zone euro ressentent durement la crise. Vu que dans toute l’UE, on assiste à la baisse de la demande des ménages décrite plus haut, à laquelle s’ajoute une réduction de la demande publique, les débouchés pour les exportations allemandes se réduisent nettement. L’effet boomerang sur l’économie allemande est déjà en cours.

    |15| Voir Eric Toussaint, « Au Sud comme au Nord, de la grande transformation des années 1980 à la crise actuelle », septembre 2009.

    |16| OIT, Rapport mondial sur les salaires 2012-2013, Résumé analytique, Genève, décembre 2012, p. VI-VII

    |17| OIT, Rapport mondial sur les salaires 2012-2013, Résumé analytique, Genève, décembre 2012, p. VII. Le même rapport souligne également l’augmentation de l’écart entre les salaires les plus élevés et les salaires les plus bas dans chaque pays.

    |18| Voir European Commission, Directorate General Economic and Financial Affairs, “The Second Economic Adjustment Programme for Greece”, Mars 2012, http://ec.europa.eu/economy_finance…

    |19| Le CADTM a dénoncé dès le départ l’entreprise de propagande de la Troïka et du gouvernement grec. Voir « Le CADTM dénonce la campagne de désinformation sur la dette grecque et le plan de sauvetage des créanciers privés », publié le 10 mars 2012. Voir également Christina Laskaridis, « La Grèce a déjà fait défaut aux conditions des créanciers ; leur crainte est de voir celle-ci imposer ses propres conditions », publié le 31 mai 2012.

    |20| Financial Times, 1er novembre 2012, première page.

    |21| Financial Times, 1 octobre 2012.

    |22| Financial Times, 29 décembre 2011, p. 2.

    |23| Miles Johnson, « Suicides spark call for Madrid to halt evictions by banks », Financial Times, 13 novembre 2012, p. 2.

    |24| Tobias Buck, « Spain’s deepening lack of hope takes its toll », Financial Times, 6 novembre 2012, p. 4.