économie et finance - Page 873
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Comprendre l'empire bancaire et militaire (extrait de l'entretien)
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Comment les cartels imposent leur loi
Qu’ils vendent du ciment, des téléviseurs, de l’électricité ou du café, les grands groupes préfèrent s’accorder entre eux pour gonfler les prix plutôt que de se risquer à faire jouer la concurrence. Et même si cette pratique est illégale, ils sont rarement inquiétés. Extraits.
(…) Directeurs généraux et responsables des ventes se retrouvaient alors en “petit comité“, retracent les enquêteurs, pour des “échanges ciblés sur des projets précis“, dont les fruits étaient fort juteux.
Ils concluaient des arrangements garantissant à de pseudo-concurrents des bénéfices supplémentaires qui se chiffraient en dizaines de millions d’euros. Les acteurs en présence convenaient dans le détail du partage des contrats et, surtout, des prix à pratiquer.
(…) Les fonctionnaires de l’Office fédéral des ententes de Bonn ont découvert que, pendant au moins cinq ans, le groupe Siemens, la société Starkstrom-Gerätebau de Ratisbonne, le français Alstom et le géant suisse de l’électricité ABB se sont partagés le marché allemand des transformateurs,
se privant ainsi de toute compétition, au détriment de consommateurs contraints de débourser nettement plus que si les fournisseurs avaient été en situation de concurrence.
(…) les dirigeants impliqués ont dû payer 24,3 millions d’euros d’amende au Trésor public.
Mais rien de plus. Personne n’a été tenu de répondre de ses actes devant une cour. Aucune des parties concernées n’a été nommément citée. Au-delà de quelques brèves, les médias ne se sont pas étendus sur l’affaire.
Il en va presque toujours ainsi lorsque des cartels se font pincer en Europe.
En réalité, le coût du fléau des ententes est bien plus élevé que l’on ne le croit généralement. A partir de leur expérience, les autorités de la concurrence ont pu établir que les cartels gonflaient les prix de leurs produits de 25% en moyenne et pouvaient ainsi, en l’espace de quatre ans, engranger un bonus équivalent à leur chiffre d’affaires annuel.
(…) les pertes imputables aux ententes européennes à plus de 260 milliards d’euros par an, dans une étude commandée par la Commission européenne. Soit 2,3% du PIB annuel de l’Union ou le double du budget annuel de la Commission européenne.
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FIN DE PARTIE POUR l’EURO... ou pour les Européens ?
L’Euro a été mis en place dans une zone qui n’a jamais été optimale. Les têtes plates qui ont justifié sa création mentaient. Il s’agissait d’utiliser la monnaie pour détruire les Etats et asservir les populations.Depuis qu’une nouvelle crise a démarré en 2008, les “piliers” de la monnaie unique européenne se sont effondrés les uns après les autres : interdiction de renflouer un pays ; indépendance de la Banque Centrale Européenne ; affirmation qu’il n’y aurait pas de restructuration des dettes publiques, ou pas de sorties de la zone. Maintenant, chacun voit que la finance pousse à accomplir l’union pour survivre. Elle affirme que le seul choix réside dans l’accomplissement d’une union budgétaire et politique et en conclue qu’il faut faire partager les dettes. Mais pourquoi leur obéir? Car la dette n’est qu’un des problèmes de l’Europe. Il faut aussi tenir compte du vieillissement des populations, de la financiarisation, des inégalités, de la compétitivité, etc….Le Groupe de FrancfortLorsqu’un dirigeant grec a proposé, en novembre 2011, un référendum sur le plan de “sauvetage” qui était imposé à son pays, la réaction des "élites européennes" a consisté à créer un nouveau cabinet: Le Groupe de Francfort, qui réunit des représentants de la France, de l’Allemagne, de la BCE, du FMI et de la Commission Européenne. Ce quintette a organisé les putsch en Italie et en Grèce, plaçant des petits fonctionnaires de l’imposture économique à la tête des Etats, afin que l’oligarchie continue à parasiter en toute quiétude. Car les politiques de création monétaire que la BCE a commencé, pour imiter la banque centrale américaine, vont déboucher sur l’inflation qui certes amortit les dettes mais détruira les retraites telles qu’elles existent ainsi que le niveau de vie des classes moyennes.
Le Groupe de Francfort Un but contre son camp?Les parlements, en Grèce comme ailleurs - Bundestag, Paris - votent tout ce que veut le pouvoir financier à condition d'échapper à de nouvelles élections et de profiter du système aussi longtemps que possible. Le parlement grec a donc fini par approuver le gouvernement qui va paralyser l'économie grecque. La Grèce ne peut vendre aux étrangers que du tourisme. Les Grecs ne peuvent importer que s'ils ont du crédit. S'ils n'en ont pas, ils ne peuvent plus rien importer et doivent produire eux-mêmes ce dont ils ont besoin. Mais pour cela aussi il faudrait du crédit afin de s'équiper en machines et de créer des entreprises. En conséquence, la misère va s'étendre, et cela est le sort de tous les pays européens si on ne change pas les gouvernants actuellement en possession d’Etat. Ce qui reste de richesse en Europe, va tomber entre les mains des nouveaux nababs issus du monde entier - Emirats arabes - Chine, etc. - avec la bénédiction des cuistres de l’Union Européenne.L'Euro se maintient parce que l'on couleAlors que l’Europe a besoin de croissance, les plans d’austérité la font plonger dans un marasme permanent. Le bon maintien de l’Euro est justement la preuve que la volonté de détruire l’Europe est à l’œuvre. Qui peut croire que les mesures d’austérité vont maintenir la puissance du continent? Comment penser sérieusement que la Grèce peut s’en sortir en mettant à contribution les banques privées qui abandonnent une partie de la valeur de leurs créances? La BCE, qui achète des titres sans valeur, copie désormais la Fed en créant de la monnaie. Et cela sans fin prévisible….Partout il faut s’attendre à une baisse du niveau de vie, afin de s’ajuster aux conditions internationales, dumping légal provenant des produits fabriqués dans des pays à bas salaire. Sans dévaluation de l’Euro, plusieurs pays, dont le Portugal et l’Espagne, n’ont pas d’avenir car leurs produits ne sont pas compétitifs. Seules les banques s’en sortent grâce aux prêts du FMI à l’Europe et grâce à la prise en charge par l’Europe des dettes de certains Etats.
Jacques SapirComme toujours, on ne s'en prend qu'aux dépenses de l'Etat et absolument rien n’est prévu pour faire redémarrer l'économie. Dans toute la zone Euro les gouvernements réduisent les dépenses publiques, rackettent fiscalement les classes moyennes en chute libre et les entreprises continuent de fermer car elles délocalisent leur production. On s’enfonce dans le néant, et les grands penseurs officiels ou officieux montrent leurs limites: tête vide de solutions alternatives mais poches pleines….ReconstruireToutes les élites non stipendiées convergent vers la même solution : sortir de l’Euro, créer une monnaie commune, modifier les règles financières pour que la collectivité émette sa monnaie, que certaines techniques spéculatives soient interdites et, surtout, que l’on sorte du piège tendu par le fameux triangle de Mundell. Puisqu’il est impossible de mener une politique monétaire indépendante lorsque les mouvements de capitaux sont libres et les taux de change fixes, c’est le mouvement inutile de capitaux inutiles qu’il importe d’encadrer. De feu Maurice Allais à Jacques Sapir, des économistes libéraux allemands aux Espagnols, tous ceux qui pensent en faveur du bien commun se rejoignent dans cette gamme de solutions. On a sous nos yeux la preuve la plus flagrante de la tyrannie de la supra société globalitaire : comme les vieilles badernes, ses membres sont incapables de changer; comme les primates, ils se tapent sur la poitrine pour enseigner leur vanité creuse ; comme les cagots, ils s’accrochent à leurs superstitions monstrueuses. Périsse le peuple plutôt que d’accepter d’écorner leur cagnotte. Tout ce spectacle de la médiocrité serait divertissant s’il ne débouchait sur la mort de toute l’Europe.On ne peut aider la Grèce ou quelqu’autre pays que ce soit, sans sortir de l’Euro. On peut aider les populations pour supporter la transition vers la sortie. Comme l’explique Jacques Sapir, il convient de mettre un point final à la crise actuelle en pratiquant ce que fait la Banque centrale américaine : acheter les obligations émises par les Etats. Cette politique, sur cinq ans, donnerait le temps nécessaire à la mise au point de la nouvelle solution: la monnaie commune. Cependant, il faut penser à remplacer le personnel, décidément trop répugnant, afin de donner une opportunité aux élites preoccupées par la construction d’une maison commune européenne.Auran Derien http://metamag.frPour aller plus loin:Jacques Sapir : Faut-il sortir de l’Euro? Le Seuil, 2011Jason Manolopoulos : La dette odieuse. Les leçons de la crise grecque. Ed. Les Echos/Pearson, 2011. -
Marx et les crises
Marx considérait que les crises sont l’expression des contradictions internes au capitalisme, et qu’elles doivent conduire à son effondrement. Mais il a laissé sa théorie des crises inachevée. Dans quelle mesure peut-il donc éclairer la crise d’aujourd’hui ?
« Un spectre hante l’Europe – le spectre du communisme. » Ainsi commence le Manifeste du parti communiste. Curieuse formule ! Ne faut-il pas être mort pour revenir à l’état spectral, fantomatique ? À la manière de Jean Baudrillard, faut-il penser un retour spectral du communisme ? Ou ce revenant est-il enterré, un pieu enfoncé dans le cœur ? Dans Spectres de Marx, Jacques Derrida fait de Karl Marx lui-même un perpétuel revenant. Après sa mort, sa pensée est revenue hanter l’Europe et l’Amérique à la fin du XIXe siècle, lors de la grande dépression, et encore dans les premières années après la Première Guerre mondiale ; elle est revenue en force au cours des années 1930, pendant la grande crise. Il y aurait donc un lien entre les grandes crises qui, elles aussi, sont des « revenants », et les retours de Marx. Ce n’est pas si simple.
À la fin des années 1960, le spectre de Marx revient nous visiter, pas seulement dans les rues de Paris et dans les campus du monde entier. Or le monde est en expansion, dans la phase active des trente glorieuses. Marx hante les esprits et pourtant « même les tables ne tournent pas », comme il l’analysait. Le capitalisme triomphe un siècle après ses prédictions apocalyptiques : mieux, il produit un énorme accroissement de richesses dont jouissent aussi les masses populaires, la société de consommation explose, les inégalités ont régressé, « l’armée de réserve industrielle » (Marx nomme ainsi les chômeurs) a disparu ainsi que les crises périodiques avec leur cortège de misère, de chômage. À l’époque, de doctes et pourtant jeunes experts en marxisme se posaient sérieusement la question de la paupérisation en Europe, aux États-Unis, l’une des grandes prédictions de Marx. Était-elle absolue, alors que les PIB croissaient à des taux records, ou seulement relative, alors que la hausse des revenus des salariés n’avait jamais été aussi forte, que les inégalités régressaient ?
Chômage, paupérisation et inégalités
Notre époque offre un exemple similaire. Marx est mort, enterré sous une lourde pierre tombale. Reprendre telle formule marxienne fait sourire ; elles sont usées d’avoir tant servi. Au mieux, on jette quelques roses (pas nécessairement rouges) sur sa tombe. Et pourtant, rarement dans l’histoire ses enseignements ont eu une telle pertinence. Nous vivons une crise massive, mondiale, une crise capitaliste qui est aussi une crise du capitalisme.
Marx a observé des crises financières qui ressemblent comme des sœurs à celles que nous connaissons, a précisé le rôle du « capital financier ». Il a analysé les conséquences de la suraccumulation du capital, expliqué les difficultés de la « réalisation », c’est-à-dire de la vente des valeurs produites.
L’exploitation des travailleurs se durcit, « l’armée de réserve industrielle » a retrouvé ses effectifs, la paupérisation relative est devenue un phénomène massif avec la remontée des inégalités au niveau de 1929, la paupérisation absolue sévit en Grèce, dans toute l’Europe du Sud, en Irlande, elle est à l’ordre du jour en France, en Grande-Bretagne, des populations entières se prolétarisent. « Le grand capital » (l’une de ces expressions rebattues, ridicules aujourd’hui) se renforce au détriment de ce que l’on n’appelait pas encore les PME.
Marx n’avait pas bâti une théorie unifiée des crises, même s’il en est l’un des principaux théoriciens, même s’il fut l’un des premiers penseurs du cycle. Il avait même projeté de terminer son grand œuvre, Le Capital, par un livre dont le titre est d’une grande actualité : Le Marché mondial et les Crises. Pour lui, les crises sont endogènes, inhérentes au fonctionnement du capitalisme, nullement des chocs exogènes dus à des phénomènes contingents. C’est là son enseignement principal, en opposition aux théories libérales contemporaines qui présupposent un fonctionnement harmonieux de l’économie de marché seulement perturbé par des chocs stochastiques.
Pour appréhender la pensée marxienne des crises, on peut distinguer trois niveaux : les agitations conjoncturelles de surface, les lourds mouvements en profondeur, les phénomènes économiques intermédiaires. Cette présentation au parfum braudelien me semble fidèle à la pensée de Marx (Fernand Braudel était d’ailleurs influencé par Marx, mais sa conception du capitalisme, un capitalisme à domination financière, n’était pas celle plus industrialiste de Marx). Ces trois niveaux ne sont pas clairement présentés, encore moins articulés. Marx ne livre que des éléments dispersés, disjoints, manquant de cohérence, parfois contradictoires. Il serait naïf d’en faire l’alpha et l’oméga de l’explication de la crise actuelle : le monde a changé, ce n’est plus le capitalisme de Marx, et les théories ont progressé depuis les années 1848 ou 1860.
Une révolte des forces productives
En surface, mais non pas superficiellement, nous trouvons les manifestations des crises de surproduction et les crises financières. Friedrich Engels et Marx sont de bons observateurs des crises économiques de leur temps (en particulier dans Neue Rheinische Zeitung), en Angleterre, en France et plus généralement en Europe, aux États-Unis. Souvent, dans ces descriptions presque au jour le jour, se trouvent le mieux exposés la dimension financière et spéculative, les excès de confiance et les paniques.
Marx fait de la monnaie une condition des crises et la spéculation financière, inhérente aux périodes de surproduction, fournit « un palliatif momentané » et « hâte l’irruption de la crise, en augmente la violence ». Après les périodes de surcrédit, d’overtrading et de spéculation vient forcément le retournement brutal, avec ses conséquences déflationnistes, la « course au cash » : « C’est là la phase particulière des crises du marché mondial que l’on appelle crise monétaire. Le bien suprême que l’on réclame à cor et à cri dans ces moments comme l’unique richesse, c’est l’argent, l’argent comptant » (Critique de l’économie politique).
Au niveau le plus profond, celui de l’histoire longue, Marx fait des crises « une révolte des forces productives ». Les crises, comme les révolutions sociales sont les douleurs de l’enfantement d’un mode de production nouveau. Les forces productives sont entravées par les rapports capitalistes, par la contradiction majeure entre une production qui devient chaque jour plus collective et des rapports de propriété qui sont restés privés. Ces rapports de propriété, comme les rapports sociaux qui les fondent, sont devenus des entraves, ils seront éliminés.
Jusqu’ici le capitalisme a permis un développement des forces productives plus puissant qu’aucun autre mode de production (il faut lire l’hymne aux succès du capitalisme dans le Manifeste). Mais, souligne Marx, les crises économiques, de plus en plus fortes, mettent en lumière ce fait majeur : le salariat et les « rapports de propriété bourgeois » sont devenus des entraves. Être communiste, pour Marx, ce n’est pas chercher à obtenir la justice sociale (il y a autant de conceptions de la justice que de modes de production), mais connaître l’imminente advenue d’un nouveau mode de production et participer aux luttes collectives pour l’accoucher.
Reste l’essentiel pour l’économiste, l’analyse des mécanismes qui, dans ce mode de production capitaliste, produisent les crises. Marx, même s’il nuance, reste déterministe et sa théorie des crises endogènes s’en ressent. Pour simplifier, on trouve deux grands pans explicatifs, l’un du côté de l’offre – il s’agit des crises de suraccumulation –, l’autre du côté de la demande – il s’agit des crises de réalisation. Ces deux pans se croisent pour former les crises de surproduction.
La baisse tendancielle du taux de profit
La théorie des crises de suraccumulation du capital est livrée dans le livre iii du Capital, dans les chapitres consacrés à « la baisse tendancielle du taux de profit ». Elle pourrait être présentée dans la syntaxe de la théorie classique ou néoclassique. Marx, d’ailleurs, n’innove pas complètement puisque beaucoup d’éléments sont chez son maître, David Ricardo, et chez John Stuart Mill.
Poussés par la concurrence qu’ils se font les uns les autres, les capitalistes sont obligés, sans cesse, de réduire les coûts de production pour que leurs entreprises survivent ou pour empiéter sur le voisin. À cette fin, ils doivent continuellement investir en machines, accroître ce que Marx nomme le capital constant. Sous la plume d’un économiste néoclassique, on pourrait écrire que plus le volume du capital augmente, plus le rendement d’un nouvel investissement se réduit. C’est la loi générale de la productivité marginale décroissante.
Dès lors, la rétribution du capital, le taux de profit, se réduit puisqu’elle dépend, avec plus ou moins de précision, de cette productivité. Marx raisonne avec une théorie de la valeur radicalement différente. Il explique la baisse du taux de profit comme le résultat d’un accroissement relatif de la fraction du capital qui ne produit pas de plus-value (le capital constant) par rapport au capital qui achète la force de travail (le capital variable) et produit seul de la plus-value par l’exploitation des travailleurs, une plus-value qui est la source unique du profit et de l’accumulation du capital.
À l’arrière-plan de la théorie de Marx, comme d’ailleurs dans la théorie contemporaine, on trouve le circuit qui va du capital à davantage de capital en passant par l’accumulation du profit (ou de la plus-value) : le capital produit du capital, mais à chaque tour de roue, le rendement est plus faible. « Accumulez, accumulez, c’est la loi et les prophètes », écrit ironiquement Marx, mais en accumulant, les capitalistes scient la branche sur laquelle ils sont perchés puisqu’ils réduisent le taux de profit et la source de l’accumulation. La loi de l’accumulation capitaliste sape ses propres bases, une dialectique qui aboutira finalement à l’effondrement du capitalisme.
La baisse du taux de profit n’est que tendancielle. Les capitalistes réagissent à cette baisse de plusieurs manières. Ils peuvent allonger la durée du travail ou accroître sa productivité (plus d’intensité du travail et le recours à davantage de machines, mais cela renforce encore le processus) afin d’élever le taux d’exploitation, ils peuvent faire baisser le prix des biens de consommation consommés par les travailleurs (importations bon marché, productivité) ou abaisser les coûts de production du capital constant (à nouveau en élevant la productivité du travail et en recourant à des importations de matières premières moins chères). Le recours au marché mondial est l’un des moyens essentiels de contrecarrer l’effectivité de la loi. Mais le fait d’y recourir fait remonter le taux de profit, donc l’accumulation rebondit, ce qui relance la tendance à la baisse du taux de profit.
Nous avons là l’amorce d’une théorie du cycle économique. Dans la phase d’expansion, l’accumulation du capital est vive, la tendance à la suraccumulation s’affirme, le taux de profit baisse (la part du capital constant s’accroît au détriment du capital variable) et donc le taux d’accumulation et le taux de croissance, l’expansion s’amortit, l’économie entre en récession.
Dans la récession, les contre-tendances sont mises en œuvre, le taux d’exploitation augmente, le recours au marché mondial se renforce. Surtout dans la crise elle-même, la valeur du capital se réduit fortement et donc le taux de profit augmente.
Dans la crise… Le passage d’une phase à l’autre, en effet, ne se fait pas par une baisse continue, régulière du taux de profit. Les capitalistes, cherchant à éviter les conséquences d’une baisse du taux de profit, se lancent dans un recours aux crédits de plus en plus risqués, dans la spéculation, l’overtrading, « l’aventurisme », concentrent le capital (au détriment des fractions les plus faibles). Ainsi, artificiellement, le capital réussit à maintenir ses profits, mais à la façon où, dans les cartoons, le héros dans sa course folle continue d’avancer au-delà de la falaise pour dégringoler brutalement quand il constate qu’il n’a plus d’assise réelle ! Alors « le retournement subi du système de crédit en système au comptant ajoute à la panique pratique l’effroi théorique » (Critique de l’économie politique). La crise est donc expliquée à la fois par la loi tendancielle et par la phase finale spéculative de l’expansion, le temps des excès du capital financier.
La monnaie rend possibles les crises
La crise du début du XXIe siècle peut s’inscrire dans cette analyse. Dans les années 2000, la suraccumulation du capital est mondiale, elle affecte surtout un secteur, l’immobilier, et une nation, la Chine. La suraccumulation du capital en Chine a été exportée vers l’Europe et les États-Unis essentiellement sous forme d’exportations de marchandises, d’où une crise de surproduction dans ces régions (en Occident), les délocalisations, la désindustrialisation. Longtemps la baisse du taux de profit a été compensée par le recours exagéré au crédit, à la spéculation et à l’aventurisme, par les fusions-acquisitions d’entreprises, jusqu’à l’éclatement des bulles financière et immobilière et l’effondrement du taux de profit dès lors qu’il n’était plus soutenu par l’aventurisme financier.
La crise de réalisation est l’autre dimension de la théorie marxienne des crises, du côté de la demande. Marx est un critique virulent de la loi des débouchés de Jean-Baptiste Say, qui nie la possibilité d’une crise générale en posant que « les marchandises s’échangent contre des marchandises » ou que la monnaie n’est qu’un voile. Marx comprend que c’est faux, que la monnaie joue un rôle essentiel, qu’elle rend possibles les crises.
Pourtant Marx va montrer qu’il existe une solution de croissance équilibrée dans une économie plurisectorielle et sa démonstration sera admirée par les plus grands économistes du xxe siècle. Dans une économie avec un secteur produisant des biens de production (section 1) et un secteur produisant des biens de consommation (section 2), la croissance équilibrée est possible, l’une achetant à l’autre, pourvu qu’une certaine proportion soit respectée.
Il montre également qu’une disproportion entre ces sections conduit à la crise de surproduction sectorielle, et comment cette crise se généralise. On pourrait penser que le théoricien de l’exploitation des travailleurs invoquerait une théorie de la crise du fait de la sous-consommation ouvrière (du type de celle que Jean de Sismondi avant lui, et John A. Hobson après lui, ont développée). Ce n’est pas le cas. Marx, en effet, comprend que la demande d’investissement (l’achat de machines) peut être un substitut à la demande de biens de consommation. La tendance à l’accumulation soutient la demande effective.
Mais il comprend aussi que ce soutien n’est pas sans limite, que la demande d’investissement finira forcément par chuter si la base de consommation est bloquée. Les débouchés sont donc limités non seulement par un problème de proportionnalité (ce que nous venons de voir), mais aussi par le pouvoir de consommation de la société, celui-ci restant entravé, du fait des rapports antagoniques de répartition : 1) par des salaires fixés à un minimum socialement nécessaire et 2) par la tendance des capitalistes à épargner pour accumuler.
La faiblesse de la consommation imposée par les rapports sociaux capitalistes ne peut expliquer directement les crises, mais elle reste leur fondement et en définitive, « plus les forces productives se développent, plus elles entrent en conflit avec les fondements étroits sur lesquels reposent les rapports de consommation ». Marx retrouve la révolte des forces productives.
Trop d’inégalités
On retrouve avec la crise contemporaine cette dimension de crise de réalisation. La vive montée des inégalités a eu comme résultat, et particulièrement aux États-Unis, ou au Royaume-Uni, de réduire fortement le pouvoir d’achat des travailleurs.
Certes, dans la demande effective, il y eut aussi accroissement des dépenses de luxe des plus riches, mais ceci ne peut compenser cela, la tendance à la croissance de l’épargne l’emportant dans ces catégories sur la dépense de consommation. La demande globale a longtemps été soutenue par le recours aux emprunts. Ce que les revenus réels ne permettaient pas d’acheter, l’ouverture de crédit le rendait possible.
La crise financière, l’insolvabilité de nombre de ménages surendettés, les restrictions de crédit, la course à la liquidité font qu’aujourd’hui, la mer de l’endettement s’étant retirée, la crise de réalisation due aux inégalités se révèle. Le diagnostic de Marx reste d’actualité : à l’échelle mondiale, les salaires sont trop faibles et l’épargne trop élevée.
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Europe : la tentation fédéraliste
En dépit de l'échec du dernier sommet européen sur le budget, le mythe de la gouvernance européenne continue d'être présenté comme la panacée contre la crise. Et l'Allemagne, maîtresse du jeu, pousse au fédéralisme.
Recevant Jean-Marc Ayrault à Berlin, Angela Merkel s'est prononcée en faveur d'une « France forte ». Cette expression, plus sarkozyste qu'hollandienne, est loin de signifier, comme a voulu le croire son homologue, que le chancelier allemand donnait son satisfecit aux positions françaises sur l'Europe. Il suffit, pour s'en convaincre, de lire ce que, au même moment, Volker Kauder, président du groupe parlementaire et proche d'Angela Merkel, confiait à l'hebdomadaire Der Spiegel sur notre pays : « Ce serait bien si les socialistes engageaient maintenant vraiment des réformes structurelles. Cela ferait du bien au pays et à l'Europe. »
Les Allemands ne feignent évidemment pas de croire que François Hollande ne fait rien. Non ! ils critiquent son action. Reprenant une idée gaullienne, Volker Kauder précise en effet que « l'Europe ne va pas avancer sans un axe franco-allemand qui fonctionne » ; ce qui signifie clairement pour lui « que le président François Hollande se rapproche du chancelier ». Pas l'inverse !
Et Angela Merkel l'a clairement signifié, qui n'a de cesse de critiquer les positions affichées par le président de la République, à commencer par sa volonté d'obtenir de Bruxelles une mutualisation de la dette au sein de l'Europe.
Cette idée, et sa détermination à maintenir, contre ses partenaires, le niveau actuel de la PAC, loin de le différencier des autres politiques européens, soulignent au contraire l'espèce de sauve-qui-peut généralisé qui prévaut aujourd'hui dans l'Union européenne : chacun essaye de sauvegarder pour lui ce qu'il dénonce chez le voisin comme un égoïsme national.
Berlin a une position sensiblement différente. Elle pointe le manque de compétitivité de certains pays, et l'excès de dettes publiques. Et, pour y remédier, invite ses partenaires à entreprendre les réformes nécessaires, en renforçant en outre l'intégration européenne. Car si tous appellent de leurs vœux une gouvernance économique européenne, l'Allemagne est sans doute un des rares pays encore en mesure de s'y atteler. D'où son leitmotiv sur la discipline budgétaire, que ses partenaires feignent de ne point entendre.
Parce que, ils le démontrent tous les jours, ils ne sont plus capables, pour la plupart, de contenir les effets catastrophiques de leur dette.
Parce que, en conséquence, et sans se l'avouer, ils comptent aussi sur Berlin pour compenser leur faiblesse.
Tutelle allemande
De ce fait, et paradoxalement puisque ce n'est pas le but recherché, la mutualisation des dettes chère à François Hollande renforcerait la mise sous tutelle allemande de l'Europe, et singulièrement de la France. Car son adoption serait le signe que l'Allemagne est reconnue comme le dernier garant de cette dette. Notamment parce que chacun de ses partenaires demande à Berlin ce qu'il est incapable de faire, ni d'accepter. Mais ce jour-là, rien ni personne ne pourrait plus empêcher l'Allemagne d'imposer cette discipline budgétaire tant redoutée... Ce qui confirmerait la critique renouvelée de certains eurosceptiques, qui considèrent que la monnaie unique, conçue comme un outil idéologique censé, à lui tout seul, construire l'Europe, n'a, de fait, profité qu'à la seule Allemagne.
Dès lors, Jean-Luc Mélenchon n'a pas tort d'évoquer une arrogance allemande. Mais celle-ci, aujourd'hui, n'est d'abord, pour les Allemands, qu'un moyen de se préserver, autant que faire se peut, de la contagion de la crise actuelle.
Une crise qui, quoi qu'en disent nos dirigeants, frappe particulièrement notre pays. Au point que divers média allemands n'ont pas hésité à qualifier la France de nouvel « homme malade de l'Europe ». Et que l'hebdomadaire britannique The Economist qualifiait la France, le 17 novembre dernier, de « bombe à retardement au cœur de l'Europe ».
Cette défiance universelle de tous envers chacun explique, partiellement, le raté du dernier sommet européen sur le budget, qui, après avoir commencé avec plusieurs heures de retard, s'est soldé, au bout de deux petites heures, par un constat d'échec - constat, malgré de nouvelles discussions, réitéré dès le lendemain.
En cause, bien sûr, certaines « lignes rouges » nationales ; mais aussi l'horizon 2020 jusqu' auquel doit tenir le prochain budget, et qui, à l'heure de la crise, paraît bien lointain. Tout le monde admet qu'il faut faire des économies... mais, évidemment, dans la poche du voisin.
Ce n'est d'ailleurs pas l'Allemande Angela Merkel qui a cristallisé le refus européen d'un accord, fût-il un compromis, mais le Britannique David Cameron, qui a défendu bec et ongles son rabais, faisant résonner, à plus de trente ans de distance, la formule thatchérienne : « I want my money back ! »(1)
Herman Van Rompuy y aura pourtant mis toute sa force, manifestement insuffisante, de persuasion. Il ne suffit pas que le « dogme » impose l'Europe aux européens des pays qui la composent, pour que nos dirigeants, d'où qu'ils viennent, oublient qu'ils ne sauraient aller indéfiniment à rebours de leurs opinions publiques. Surtout pour défendre une Europe qui n'est, selon l'expression de François Hollande, qu'un compromis. Tu parles d'un idéal ! Un compromis qui fait d'ailleurs fi, aujourd'hui, des particularismes mis en place par chacun depuis la fin de la guerre. En bref, on en est arrivé au point où les nationalismes n'entrent plus dans le cadre européen...
Prix Nobel de la paix, l'Europe paraît aujourd'hui incapable de la faire chez elle.
On a donc suspendu la discussion, pour la remettre au mois de janvier prochain. Rompuy espère que les « replis nationaux » feront alors place à un esprit européen. Et peut-être même à l'Europe fédérale, que l'Allemagne appelle de ses vœux.
Il faudra, pour y parvenir, supprimer les derniers pans de souveraineté qui restent en chaque État-membre. Et dans l'esprit de leurs habitants.
Olivier Figueras monde & vie 4 décembre 2012
1. Rendez-moi mon argent ! -
Jacques Bompard à L’Action Française : "Il suffit de gérer différemment, proprement, efficacement..."
Jacques Bompard est Député-Maire d’Orange, il est Président de la Ligue du Sud. Nous l’avons rencontrés pour faire le point avec lui sur différents projets du gouvernement.
L’Action Française : Vous êtes partisan de la prise de pouvoir par la base, c’est-à-dire par les élections locales
Jacques Bompard : Absolument ! L’exercice d’un mandat local est indispensable, que ce soit pour l’individu ou le mouvement auquel il appartient. C’est à travers l’exercice d’un mandat local que le militant devient véritablement un cadre politique. C’est grâce à sa capacité à rassembler des milliers d’élus locaux qu’un mouvement se met en position de prendre le pouvoir à l’échelon national. J’ajoute que, pour ce qui est de l’individu, un passage dans l’opposition est une bonne école pour se préparer à travailler dans une majorité.
Il est un autre élément clé de cette importance du local : la lutte contre la désinformation. En effet, s’il est excessivement difficile de lutter contre la désinformation du journal télévisé de 20 heures, il n’en va pas de même à l’échelle d’une commune ou d’un canton. Un élu local, pour peu qu’il soit habile, souple, prudent, possède tous les atouts pour devenir un contre-pouvoir médiatique. Il peut, et donc doit, incarner la réalité concrète des idées qu’il défend et non la caricature qui en est faite.
En quoi un Maire, peut-il changer la vie de ses administrés ?
En faisant, tout simplement son travail ! La grande majorité des collectivités de notre pays sont très mal gérées. Les communes ne font pas exception, surtout lorsqu’elles gagnent en taille. Ce phénomène n’est pas dû à la gauche ou à la droite, mais aux deux. Ce constat est partagé par une immense majorité de Français. Il suffit donc de gérer différemment, proprement, efficacement, pour apparaitre comme véritablement révolutionnaire, apporter de l’espoir et démontrer qu’une autre politique est possible.
Comment un Maire peut-il s’opposer à certaines décisions prises par le législatif ou par le gouvernement ?
Dura lex sed lex. La seule possibilité pour le maire de réagir est de porter les dossiers qu’il conteste devant le Tribunal administratif. En général, le Tribunal administratif a des conclusions conformes à la position de l’Etat. Mais les tribunaux administratifs ont tendance à être plus indépendants que les autres juridictions. Ils n’hésitent pas à condamner l’’Etat. Cela ouvre donc un petit espace de liberté.
Par ailleurs, on peut utiliser les décisions aberrantes de l’’Etat en démontrant leur absurdité auprès des citoyens. La mise en exergue des disfonctionnements incite les citoyens à se mobiliser. Le réveil des Français peut passer par cette contestation d’un Etat qui ne les protège plus, d’un Etat dur avec eux et pusillanime avec les autres...
Etes-vous favorable au cumul des mandats ?
Oui, lorsqu’il s’’agit d’un mandat local et d’un mandat national. L’’exercice d’un mandat local permet l’’ancrage dans les réalités du terrain. Il permet de sortir un peu du carcan mortifère des partis politiques centralisés, et donc d’’insuffler un peu d’esprit démocratique dans la vie politique, via la démocratie locale.
Comment mettre en place la « préférence nationale » au niveau local ?
C’’est impossible directement. Mais le maire peut veiller à l’’application stricte de la loi et donc faire en sorte que n’existe pas une préférence étrangère. Ainsi, même s’il ne dispose d’aucun pouvoir en matière d’attribution de logements sociaux, un maire peut veiller à ce que l’’aide sociale municipale ne soit pas versée préférentiellement aux étrangers ou aux personnes d’’origine étrangère. C’’est pourtant ce qui arrive souvent car beaucoup d’’entre eux sont souvent mieux informés de la loi que les autochtones qui n’’osent pas toujours demander à bénéficier des aides publiques.
Comment une municipalité peut-elle endiguer le développement de l’’immigration et de l’’Islam dans une commune ?
Ce n’’est pas possible. Prétendre le contraire serait mentir car le maire n’’en a pas les compétences puisque ces dossiers sont régis par l’Etat. Cependant, être en place permet d’’éviter bien des dérapages de maires de gauche ou UMP. Nous ne donnons pas de terrains pour construire des mosquées, nous ne finançons pas des écoles coraniques.
Ne pensez-vous pas que le seul combat contre l’’immigration est un peu juste pour obtenir une majorité. Depuis le temps, il y a bien longtemps que l’’opposition nationale aurait dû marquer des avancées significatives.
Mais même sur ce sujet, l’’opposition nationale a eu malheureusement des positions fluctuantes qui ont désorienté les électeurs. Une bonne politique de l’’immigration ne suffit pas à faire une bonne politique nationale car, si c’’est un problème majeur pour la France, ce n’’est pas le seul dont elle souffre, tant sans faut. Une politique de redressement national passe par une lutte efficace contre l’’immigration, mais également par un assainissement des finances publiques, la défense et la promotion de la famille traditionnelle...
Qu’’est-ce qui a changé à Orange depuis 17 ans ?
Tout a changé. Par exemple, on investit deux fois plus que les autres villes de taille comparable. Dans le même temps, les impôts locaux n’’ont cessé de diminuer et la ville n’’est plus endettée. Et si l’’Etat n’’entravait pas sans cesse notre action, nous ferions plus. Comme quoi, même avec une politique désastreuse au niveau national, il est encore possible de conduire une politique de redressement.
En quoi pensez-vous pouvoir être utile comme député ?
C’’est indéniablement un plus pour notre action. Le député précédent me voyait comme un danger et tentait de saborder tous les projets. J’’essaye désormais de les débloquer. Et dans l’’hémicycle, je défends nos concitoyens en apportant une vision des choses que je suis le seul à apporter. Sur le logement social, j’’étais le seul à dire que c’’était un outil utilisé par les autorités pour développer l’’immigration et que la mixité demandée par le gouvernement était refusée par les étrangers eux-mêmes qui chassent les Européens des logements sociaux.
Propos receuillis par François Xavier Présent - L’AF n° 2852
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Capitalisme : Le triomphe de l’argent roi
Extrait de “Les sept plaies du capitalisme” par Henri Bodinat, paru aux éditions Léo Scheer
Dans les pays démocratiques et développés, l’argent est devenu la seule balise. Après avoir été méprisés ou honnis jusqu’à la fin des années 1970 – une Rolls était alors le sommet de la ringardise –, le « fric » et ses attributs clinquants se sont imposés en force depuis les années 1990. Une caste étroite a vu son patrimoine et ses revenus grimper à des sommets inédits, pendant que se développait simultanément une grande classe pauvre de chômeurs, d’immigrants, d’employés saisonniers ou temporaires.
Comme l’avait remarqué Adam Smith, au-delà d’un toit et d’une nourriture suffisante, l’argent n’a plus d’utilité en soi. L’accumulation monomaniaque d’argent n’a pas pour objet d’acheter produits ou services indispensables mais simplement de susciter l’admiration ou, mieux, l’envie. La richesse permet de paraître riche. L’argent, comme une épidémie, est sorti du cadre occidental pour contaminer les pays émergents et tous les anciens pays communistes, et spécialement la Russie et la Chine. En Russie, une clique de kleptocrates a confisqué l’économie jusqu’ici étatique, et, devenue instantanément milliardaire, a déversé son surplus autour d’elle, créant une tribu de minioligarques gonflés de roubles. En Chine, les dirigeants du PCC ont ouvert les vannes à une caste d’ex-cadres du parti reconvertis dans la finance ou l’industrie, rapidement enrichis, acheteurs frénétiques de produits tape-à-l’oeil.
Ces fortunes colossales et très visibles, accumulées par des financiers, des industriels ou des hommes politiques, ont redéfini le système de valeurs. La véritable hiérarchie est devenue celle de l’argent : autour de lui s’est réorganisée la structure sociale, quand le niveau d’éducation ou la profession étaient, autrefois, des critères de classement. Plus on « vaut », plus on vaut. Achetant pêle-mêle clubs de foot, chalets à Courchevel, maisons à Londres, yachts géants, chacun pour plusieurs dizaines de millions d’euros, glamourisés dans tous les journaux people, les milliardaires ont remplacé les « best et brightest » au sommet de la pyramide sociale : cette pyramide est désormais celle de l’argent.
Constatant qu’il était possible de devenir milliardaire non seulement en entreprenant avec audace et compétence, mais aussi par le biais du pouvoir d’État, des réseaux ou de la corruption pure, et qu’une fois acquises, les fortunes, petites ou grandes, lavaient les délits ou les crimes commis pour les obtenir, la classe moyenne et supérieure mondiale a intériorisé un rapport cynique à l’argent, devenu le critère dominant du succès – peu importe le moyen de l’obtenir. Une fois acquis, il blanchit les âmes les plus noires. La seule morale consiste à se remplir les poches.
Dans le monde entier, les salaires des dirigeants d’entreprise ont augmenté à une vitesse fulgurante, passant de quelques centaines de milliers de francs à des millions d’euros. Il y a trente ans, un PDG avait de quoi bien vivre. Aujourd’hui, il fait fortune. La feuille de paie du PDG de Peugeot, Calvet, à 2 millions de francs, choquait sous Giscard. Son successeur gagne dix fois plus. Michel Bon, PDG de France Télécom dans les années 1990, gagnait 120 000 euros par an. Aujourd’hui, les PDG des grandes entreprises françaises gagnent en moyenne 4 millions d’euros par an, soit 250 fois le Smic. Au États-Unis, les PDG gagnent en moyenne 400 fois plus que leurs employés de base : en un jour, ils reçoivent plus qu’eux en un an. Le salaire d’un PDG est lié à un statut et non à une performance. Le PDG de Goldman Sachs en déroute a gagné 60 millions de dollars en 2008. Aucun chiffre ne choque plus. Les dirigeants du Crédit mutuel de Bretagne se sont augmentés de plus de 50 % en 2011, contre une augmentation de moins de 2 % accordée à leurs employés. Après avoir été sauvé en 2008 par l’injection de 6 milliards d’euros de fonds publics, Dexia a consenti des bonus de plusieurs dizaines de millions d’euros à ses dirigeants en 2009 et 2010, avant de faire faillite en 2011.
Le culte de l’argent a contaminé les politiques. Les dictatures ont ouvert le bal : depuis 1980, s’enrichir rapidement tout en restant à n’importe quel prix au pouvoir est devenu le principal passe-temps des despotes. La fortune de Kadhafi était estimée à plus de 25 milliards de dollars, à égalité avec Bill Gates. Pas mal, pour un pays de 6 millions d’habitants. Au Gabon, la famille Bongo a détourné plus de 5 milliards d’euros des caisses de l’État et de son peuple, ce qui a permis à Ali Bongo de racheter un hôtel particulier à Paris pour 100 millions d’euros. Laurent Bagbo, en sept ans, aurait détourné 5 milliards d’euros, ce qui devrait lui assurer une retraite agréable quand il sortira de prison. Bachar el-Assad, sa famille et sa clique ont accumulé quelques milliards de dollars. Les gardiens de la révolution iranienne, autrefois troupes d’élite, aujourd’hui affairistes d’État, ont accumulé quelques milliards de dollars, tout comme les généraux algériens. Un dictateur, fût-ce d’un pays marginal, qui a accumulé moins de 1 milliard d’euros est aujourd’hui un loser. Même certaines démocraties ont été touchées : en Italie, Berlusconi a utilisé sa fortune, amassée grâce à la politique, pour accéder au pouvoir, et le pouvoir pour arrondir sa fortune.
L’entrée de l’Inde, du Brésil, de la Russie et surtout de la Chine dans l’hypercapitalisme a mondialisé le culte de l’argent. Dans tous les pays du monde, est apparue une nouvelle classe ultrariche, au mieux, d’entrepreneurs, au pire, de profiteurs capitalisant sur leurs connections politiques. En creusant massivement les inégalités, ce phénomène fracture les sociétés. Mais le pire a été le renversement universel des valeurs. Un pauvre est devenu un nul, un riche, un génie. Un financier enrichi sans créer de valeur regarde de haut un grand chercheur, fût-il prix Nobel, aux revenus modestes.
L’argent est devenu une fin en soi, puisque au-delà de ce qu’il permet d’acquérir, il est la clé du positionnement social. Il n’y a plus de héros. Il y a des riches. Armstrong n’est plus un sportif, mais une marque. Tapie s’est fait remettre indûment 300 millions d’euros par l’État français : joli coup ! Comme le remarquait finement l’ancêtre bronzé de la publicité, Jacques Séguéla, dans sa phrase désormais tristement célèbre : « Si, à cinquante ans, on n’a pas une Rolex, on a quand même raté sa vie. » Ou Lord Mandelson, ministre du gouvernement « travailliste » de Blair : « Je n’ai rien contre les gens qui sont ignoblement riches ! »
La religion de l’argent roi rend les dirigeants politiques et les chefs d’entreprise cyniques et égoïstes, et surtout indifférents aux drames sociaux, sanitaires ou économiques que ce culte induit. Les dirigeants d’entreprise se focalisent sur le profit maximum : c’est la mission que leur ont donnée leurs actionnaires, et leur propre « valeur » monétaire, en salaire et intéressement, en dépend. Les dommages collatéraux de cette quête éperdue de la marge bénéficiaire, comme le stress ou le licenciement des employés, les délocalisations massives et sauvages, l’appauvrissement des clients, les drames écologiques ou sanitaires, sont considérés comme secondaires. L’argent étouffe les autres valeurs.
Ces dirigeants ne sont pas méchants ou malsains : ils fonctionnent logiquement, dans le système de valeur dominant qui s’impose à eux comme l’air qu’ils respirent. Les dirigeants des grands groupes de distribution ont ainsi une responsabilité écrasante dans la création de friches agricoles ou industrielles. Pour gagner quelques centimes de marge, ils n’hésitent pas à remplacer les tomates goûteuses de maraîchers locaux par les tomates hors sol insipides d’usines agroalimentaires les font transporter par des norias de camions. Ils n’hésitent pas à abuser de leur position dominante pour faire baisser leur prix d’achat aux producteurs de fruits et légumes audessous du prix de revient. Ils n’hésitent pas, comme Walmart (Wal-Mart Stores), à déplacer massivement et rapide ment leurs achats de jouets, d’outils, de matériel électronique ou de textiles vers l’Asie.
Prisonniers de la loi d’airain du profit à court terme, ils commettent des déprédations massives, en toute bonne conscience. Le président polytechnicien d’un grand groupe de télécommunication n’a pas compris que pousser à la productivité à outrance conduirait ses employés au suicide. L’intègre président d’une grande banque ne peut comprendre que l’obsession pour le profit de sa filiale de crédit à la consommation pousse au surendettement et au drame personnel des millions de ménages pauvres. Le dirigeant d’un grand groupe pétrolier ne peut accepter la responsabilité d’une pollution majeure. Ils ne sont que les gardiens du camp, ils n’édictent ni ne font les règles qui emprisonnent.
La priorité absolue donnée à l’argent transforme des hommes honnêtes en kapos involontaires. Pour l’argent, des entreprises pharmaceutiques ont sorti, en s’appuyant sur des chercheurs ou des régulateurs complices, des produits sans valeur thérapeutique mais aux effets secondaires meurtriers. Des entreprises ont licencié des ouvriers à l’expérience et au talent unique pour augmenter d’un ou deux points leur marge, causant à la fois un désastre social et une impasse industrielle. Le surendettement massif des consommateurs et la délocalisation forcenée vers l’Asie résultent d’une volonté psychotique d’augmenter à tout prix les profits et les bonus à court terme.
Le profit n’est plus la mesure du succès de l’entreprise, de sa contribution à la société. Il est devenu une fin en soi.
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“Le Siècle” : Un bien étrange club
Documentaire de Pierre Carles à la sortie du livre d’Emmanuel Ratier ” Au cœur du pouvoir ” consacré au club d’influence ” Le Siècle “.
partie 1 :
partie 2 :
partie 3 :
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Lobbying intensif pro gaz de schiste en France et en Europe
C’est la crise, c’est l’austérité, la rigueur, le « coût du travail » devient LA préoccupation, et voilà qu’on commence à nous sensibiliser aux bienfaits du gaz de schiste. Qui permettrait aux Etats Unis de devenir bientôt exportateur de pétrole. Autant dire que ce sera le Pérou. Faisons le point sur le sujet, sans idéologie, alors que le lobbying auprès des institutions européennes et même françaises n’a jamais été aussi important.
D’abord, on nous dit qu’aux Etats Unis le gaz de schiste fait des merveilles. Le magazine Challenges titre par exemple « Le gaz de schiste, sauveur des Etats Unis ». Alors qu’Obama parlait d’énergies vertes il y a quatre ans, voilà que le pays a décidé de laisser faire la « puissance industrielle ».
Le gaz de schiste, on le sait, se trouve en profondeur, et pour le faire sortir on envoie de l’eau à très haute pression dans le sol, accompagnée d’un cocktail de produits chimiques. On le récupère sous forme de gaz, ou de pétrole mais dans une moindre mesure. Alors évidemment, les très puissantes compagnies gazières et pétrolières sont au taquet pour récupérer le marché.
En quatre ans, les USA sont passés de 5 à 6,2 millions de barils de pétrole produits chaque jour. Les USA sont donc indépendants au niveau de leur fourniture de gaz et l’Agence internationale de l’énergie révèle dans une étude récente que les Etats Unis seront « le plus gros producteur de pétrole en 2017 et exportateur net de brut autour de 2030 ». Et 600.000 nouveaux emplois sont attendus dans le secteur du gaz de schiste et du pétrole d’ici 2020. Et le cabinet PricewaterhouseCoopers surenchérit : ce sont même un millions d’emplois qui seront crées d’ici 2025.
Challenges explique « Selon l’institut IHS Global Insight, l’accès à un gaz bon marché produit localement pourrait accroître la production industrielle de 2,9% en 2017 et de 4,7% d’ici à 2035. Cette année-là, la contribution du gaz non conventionnel au PIB devrait atteindre pas moins de 332 milliards de dollars. »Autrement dit, l’ensemble du monde économique applaudit cette invention. On parle de « renaissance industrielle ». Mais à quel prix ? .
On nous vante les mérites du gaz de schiste car il diminue les gaz à effets de serre, et en plus ça ferait baisser les prix de l’énergie en général (nucléaire, pétrole, gaz, charbon…). Et surtout parce qu’il promet une belle rentabilité dans les 10 ou 15 ans à venir.
Mais déjà, on s’aperçoit que le gaz de schiste créé des gaz à effets de serrecar du méthane ou du benzène s’échappent lors du forage des puits.
Du gaz s’échappe aussi lors du transport, dans des gazoducs parfois centenaires, et chaque année des explosions surviennent pour cette raison. Ainsi, « Au total, en intégrant toutes ces phases, résume le biogéochimiste Robert Howarth, on estime qu'entre 3,6 et 7,9 % du gaz extrait sur toute la durée de production des sites de gaz de schiste s'échappent. Les recherches menées depuis un an confirment cet ordre de grandeur." Les promoteurs du gaz de schiste avancent qu'en se substituant au charbon dans les centrales électriques, il permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Une assertion fausse, selon le chercheur, si l'on prend en compte tous les éléments de la chaîne », explique Le Monde.
D’après Environmental Health Perspectives du mois de juillet, plus de 20 000 puits devraient être creusés chaque année aux USA d'ici à 2035, ainsi que 10 000 puits pour le pétrole de schiste.
Quant à la consommation d’eau, elle va exploser également et son prix avec. Et il faut de l’eau potable pour envoyer dans le sol avec tous ces produits chimiques ! Dans le Nord Dakota, la dernière source d’eau potable dans toute une zone est justement la seule dans laquelle pompent les industries du gaz de schiste, si bien que les paysans n’ont plus d’eau. Dans cet Etat, il faudra bientôt 23 millions de gallons (87 millions de litres) d’eau potable par jour pour exploiter les puits. Et tout vient par camion….
L’option de recycler l’eau semble assez lointaine car cela augmenterait le coût d’extraction de 75%, nous dit une entreprise du secteur. Et recycler quoi ? Plusieurs centaines de produits chimiques sont injectés dans le sol avec l’eau et le sable, et on ne sait même pas lesquels : la composition de la mixture est couverte par la loi US sur les brevets.
Aux Etats Unis, plus de 1.000 cas de contamination de l’eau aux abords de sites de forage ont été dénoncés auprès des tribunaux[1]. Des familles doivent être approvisionnées en eau potable car celle du robinet n’est plus propre à la consommation. Ces transports d’eau ont coûté 10 millions de dollars à la Pennsylvanie en 2010.
Il y a en fait tellement de méthane dans l’eau de certaines zones que l’eau en devient même explosive, comme le montre le film Gasland. Mais, on y trouve aussi du baryum (14 fois la dose normale), du benzène (373 fois la dose standard) et tout un tas d’autres produits, selon une étude de 2010 du Center for Healthy Environments and Communities (CHEC) de l’université de Pittsburgh. En décembre 2007, une maison de Cleveland dans l’Ohio a carrément explosé à cause des infiltrations de méthane..
GASLANDEn outre, on ne sait pas jusqu’à quand l’exploitation du gaz de schiste sera rentable. Une fois que le territoire aura été bien saccagé, il est probable que les industries s’en aillent, laissant des nappes phréatiques polluées et un pays qui ressemble à un véritable gruyère.
Aux Etats Unis où on nous dit que le gaz de schiste, c’est génial, certains Etats comme le Michigan demandent un moratoire sur leur exploitation.
Lobbying
L’Agence Internationale de l’Energie vient de publier un rapport extrêmement favorable à l’exploitation du gaz de schiste, montrant en exemple les Etats-Unis, qui « deviendront le 1er producteur de pétrole de la planète vers 2017, et même exportateur net de brut autour de 2030, selon la grande étude prospective annuelle de l'Agence mondiale de l'Energie », nous dit L’Express-l’Expansion. L’AIE ajoute qu’on peut exploiter le gaz de schiste « proprement », ce qui est réellement une blague.
Loin de toute préoccupation environnementale, l’AIE explique que « Les développements dans l'énergie aux Etats-Unis sont profonds et leurs effets vont se faire ressentir bien au-delà de l'Amérique du Nord et du secteur ». Plantée, l’Arabie Saoudite, aux USA le retour de la puissance : en 2017 les USA seront les premiers producteurs de pétrole, devant l’Arabie Saoudite, et en 2025 ils seront « numéro un mondial incontesté de la production gazière mondiale », devant la Russie. A lire de telles envolée lyriques, on se croirait presque dans une foire, avec un type en train de nous dire que son produit lave plus blanc.
Les industriels estiment qu’en Europe, c’est en France et en Pologne qu’on a le plus de gaz de schiste. Et en Europe, il n’y a aucune législation cohérente pour encadrer les forages.
Les technocrates de Bruxelles sont évidemment dans les petits papiers des lobbies gaziers et pétroliers. ExxonMobil, Halliburton, Statoil, Shell, PGNiG, Total, OMV et toute la clique sont sur le pont. Cela a l’air de marcher puisqu’on prend le chemin d’une législation extrêmement laxiste. L’industrie chimique est également dans la course, rêvant déjà à l’explosion de ses ventes.
Selon les industriels, la « viabilité économique » du gaz de schiste est conditionnée à une réglementation minimaliste.
Mais pourquoi se gêner ? Les peuples européens, qui reviennent sur un siècle d’acquis sociaux, en sont à demander eux-mêmes toujours plus d’austérité, alors qu’on sait parfaitement que c’est contre productif et sans limites.
Bref, bien que plusieurs rapports européens soulignent les risques environnementaux de l’exploitation des gaz de schiste, les lobbies continuent à travailler. Et c’est ainsi qu’au printemps 2012, deux projets de textes ont été déposés par les commissions de l’Environnement et de l’Industrie du parlement européen. Et les deux étaient favorables à l’industrie, précise le Corporate Europe Observatory (CEO). Le vote est prévu fon novembre.
Et puis, l’industrie a des relais chez les parlementaires via d’anciens députés européens ou attachés de cabinet de députées européens. Des cabinets de lobbying comme Burson-Marsteller (qui représente par exemple Shell), FTI Consulting (représentant Halliburton) ou Fleishman-Hillard (qui bosse notamment pour ExxonMobil ou pour l’American Petroleum Institute) organisent avec leur centaine de lobbyistes des événements, par exemple Lors d’une rencontre avec la DG Environnement, un représentant de Shell affirmait que « Les gaz de schistes représentent un secteur marginal pour les (grandes) firmes et des coûts trop élevés chasseraient ces entreprises des gaz de schistes dans l’UE », selon le CEO.
En Autriche, la firme locale OMV[2] qui avait des projets de forage a tout cessé après que le pays ait imposé des études environnementales préalables.
La firme US Talisman Energy, spécialisée dans le forage des gaz de schistes, ainsi que Marathon Oil, qui travaille sur la mise en valeur des gaz de schistes aux Etats-Unis, font appel à Hill+Knowlton Strategies pour communiquer avec la Commission.
Hill+Knowlton soutient aussi l’America’s Natural Gas Alliance (ANGA), qui est l’association professionnelle du gaz aux Etats-Unis et cherche à rendre le gaz de schiste écologique aux yeux du public et des institutions.
Le CEO écrit que « Des documents obtenus par le biais de la loi sur la liberté de l’information montrent que des représentants des Directions Energie, Environnement et Climat rencontrent tous de nombreux lobbyistes de l’industrie, à propos de la mise en valeur des gaz de schiste en Europe. Entre janvier et août 2012, treize réunions formelles avec pour thème les gaz de schistes ont eu lieu entre la Commission et des représentants d’ExxonMobil, Talisman Energy, Shell, Statoil, Halliburton, Chevron et GDF Suez ».
L’ANGA promet ainsi des millions d’emplois aux Etats Unis avec le développement du gaz de schiste et estimait qu’en 2008, 2,8 millions d’emplois avaient été créés par le secteur du gaz de schiste. Mais combien ont été détruits dans le même temps, l’histoire ne le dit pas. En tout cas, le chômage ne baisse pas aux Etats Unis.
Les lobbyistes ont même inventé la « gaz week », avec une soirée au Ralph’s Bar, place du Luxembourg à Bruxelles. Organisée fin avril 2012, sur quatre jours, cette « semaine du gaz » était le prétexte à quelques causeries entre lobbyistes du gaz et représentants européens.
La veille du vote du rapport portant sur les gaz de schistes au Comité Environnement du Parlement, le rapporteur, le député Boguslaw Sonik et son compatriote Bogdan Marcinkiewicz (députés du Parti populaire européen) donnaient un banquet débat sur les gaz de schistes, co-organisé avec Lewiathan, la Confédération polonaise des employeurs privés. Accessoirement, Marcinkiewicz est aussi président du conseil d’administration de deux compagnies de gaz (CETUS Energyka et LNG-SILESIA).
Nos députés européens peuvent aussi adhérer au Forum Européen de l’Energie, destiné à organiser des événements avec les acteurs du secteur de l’énergie, y compris, donc, les parlementaires. Parmi les membres, on retrouve sans surprise e-on, EDF, Shell, Siemens, Statoil, Enel, Areva, Chevron, ENI, ERDF, Exxon, Lujoil, OMV, GDF Suez ou encore Total. On a aussi, parmi les parlementaires en question, on a Corinne Lepage, vice présidente de la Commission Environnement et de la Santé publique, mais aussi tout un tas d’autres parlementaires membres de diverses commissions.
Et chez nous ?
En France, où nous disposerions de « 5 100 milliards de mètres cubes exploitables sur son territoire, selon l’organisation américaine Energy Information Administration », flamby vient de dire qu’il « prendrait ses responsabilités » si on trouve une technique « propre » pour extraire les gaz de schiste, ce qui a fortement rassuré nos industriels. Mais en parallèle, il promeut le nucléaire et le gaz de schiste en Pologne », nous dit Le Figaro. Probablement parce que nos multinationales ont à y gagner et que faire des tests sur le forage « propre » là-bas c’est moins grave puisque la Pologne, c’est loin…
De fait, l’heure est aujourd’hui à nous démontrer que l’extraction de ces gaz de schiste ne va pas ravager notre territoire qui est aussi, n’en déplaise à certains une zone touristique et agricole.
On va nous sortir des études bidons soi-disant indépendantes, comme ce fut le cas aux Etats Unis, pour nous dire que le gaz de schiste, ça va être super. Comme pour les OGM, les pesticides, les antennes téléphoniques, les vaccins etc.
Et pour faire passer cela dans la presse, rien de tel qu’un petit voyage tous frais payés pour deux ou trois « journalistes » du Monde : Total a payé un voyage de presse aux Etats-Unis à des journalistes français, y compris trois journalistes du Monde. Cet investissement a été rentabilisé, puisque les journaux ont appelé à repenser l’interdiction de la fracturation hydraulique. Le fait que Jean-Michel Bezat n’ait pas mentionné que le voyage de ce reportage avait été payé par Total provoqua quelques débats au sein de la rédaction.En réalité, « Pour effectuer une fracturation hydraulique, chaque puits nécessite 20 millions de litres d’eau mélangés à du sable et à un cocktail d’environ 500 produits chimiques », nous dit-on sur un blog de Rue 89, « On peut admirer au Texas des files de camion de plus de trois kilomètres de long qui attendent consciencieusement d’injecter leurs marchandises dans le sous-sol. Le processus de fracturation en lui-même dure environ cinq jours, et le puits doit être alimenté toutes les douze minutes par un nouveau camion. Au final, 80% de l’eau injectée – soit seize millions de litres de cette mixture, stagnent dans le sol, et personne n’est en capacité aujourd’hui d’indiquer le devenir de cette « potion magique ».
Bientôt, ce seront pas moins de 450 000 puits qui seront forés dans le sol des Etats-Unis. Pour évaluer le désastre, le calcul est simple : environ 7 200 milliards de litres d’eaux polluées, soit l’équivalent de 2,4 millions de piscines olympiques stagneront dans le sous-sol américain. Et puis le mieux de toute manière est d’attendre, au cas où effectivement on trouverait une méthode d’extraction non polluante, les prix du gaz continueront à augmenter ».
Et mystérieusement, alors que tout le monde fait ses petites études pour nous vanter les bienfaits du gaz de schiste, personne ne sait aujourd’hui dire de combien le prix de l’eau va augmenter avec ce nouveau délire.
La biodiversité aussi serait touchée par cette industrie. Les auteurs d’un rapport de l’Europe sur les risques de cette exploitation évoquent la dégradation ou la disparition totale du milieu naturel autour des puits, en raison de prélèvements excessifs d’eau et aussi de la pollution importante autour de ces sites. Un autre rapport explique que le risque de contamination des eaux souterraines est «élevé», à cause des accidents et des défauts des structures des puits. Le rapport évoque aussi la possibilité de fractures naturelles dans le sous-sol qui favorisent le contact entre les zones fracturées par l'industrie et les nappes d'eau potable. Mais dans ce rapport également, les risques sont sous évalués.
La question est très simple : comme il n’y a pas d’autre méthode d’extraction, on doit simplement se demander si c’est bien ce que l’on veut chez nous ?
C’est ce que semblent dire des gens tels que Rocard ou Louis Gallois qui décidément feraient mieux d’aller se reposer.
En France un permis d’exploration permet à une entreprise d’accéder à la ressource découverte, c’est-à-dire de l’exploiter. Du coup, quand un permis d’exploration est refusé par l’Etat, les firmes introduisent des recours en Justice. Et apparemment, les industriels n’annoncent même pas la couleur lorsqu’ils demandent un permis d’exploration d’hydrocarbures dans une zone précise : l’Etat en a annulé sept en septembre parce qu’il estimait qu’en réalité, il s’agissait d’explorations visant à exploiter du gaz de schiste.
Mais, de nombreuses demandes de permis sont en cours d’étude dans nos administrations, et des permis d’exploration ont déjà été attribués dans plus de la moitié des départements de France,d’après une carte interactive du ministère de l’Environnement.
Libération nous apprend aussi que « la contre-offensive progaz de schiste est même devenue un cas d’école, puisque des étudiants en master d’intelligence économique ont planché sur une campagne, fictivement commanditée par Total, visant à démonter les arguments des anti. Leur document conseille de viser «politiques, médias, scientifiques et populations», de créer une commission «scientifique indépendante», d’inviter les médias sur place, voire de recruter un ambassadeur qui soit à la fois «scientifique et populaire», avant de suggérer le nom de l’ex-animateur de télé Jérôme Bonaldi. Total dément catégoriquement - et pour la seconde fois en un an - avoir commandé une telle étude, laquelle circule en boucle sur le Net ».
En mai 2012, le groupement des entreprises et professionnels de la filière des hydrocarbures (GEP-AFTP), a annoncé le lancement d'un comité de réflexion sur l'extraction du gaz de schiste constitué de professionnels (géologies, ingénieurs etc.). Et qui « a pour objectif d'apporter des réponses factuelles, techniques et dépassionnées aux principales questions soulevées par l'exploitation de cette source d'énergie non conventionnelle». Autant dire qu’il s’agira de propagande pure et dure…
Bref, la bataille fait rage et les industries mettent le paquet, de manière coordonnée et aussi individuellement, pour faire plier les récalcitrants tout en imposant des réglementations favorables au niveau européen.
On va nous inonder d’études bidons, d’interviews d’experts à la solde des industries, pendant que les lobbyistes inviteront nos élus à des repas dans des restos gastronomiques. Au final, comme à chaque fois, l’intérêt des citoyens va être sacrifié pour des intérêts particuliers, pour un bénéfice privé à court terme.
http://dondevamos.canalblog.com/
[1] En 2010, une famille a ainsi touché 4,1 millions de dollars de la part de la firme Cabot Oil and Gas Corp, qui préfère un arrangement plutôt qu’un procès et une jurisprudence retsrictive.
[2] Leader en Europe centrale dons le gaz et le pétrole, qui travaille beaucoup avec le russe Gazprom.
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Quand Serge de Beketch parlait de cette saleté de Téléthon