Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

entretiens et videos - Page 820

  • Serge Federbush: « Anne Hidalgo ne montre même pas le talent de dissimulation de son prédécesseur »

    Serge Federbush est à l’origine du site Delanopolis, le premier site indépendant d’informations sur la politique parisienne. Nous avons pu l’interroger sur l’actuelle mairie mais aussi sur l’opposition de droite au conseil municipal de Paris.

    1)  Serge Federbusch, vous avez été conseiller du Xème arrondissement de Paris en 2008 et vous avez fondé Delanopolis, un site d’informations indépendant sur l’actualité politique parisienne. Pourriez-vous d’abord faire un bref premier bilan du mandat d’Anne Hidalgo ?

    Il est encore bien tôt mais il est caractérisé par l’absence manifeste d’idées nouvelles. Les 13 ans de Delanoë ont enlaidi Paris, laminé sa situation financière et lui ont fait perdre du temps dans la compétition internationale des grandes métropoles mais, au moins, en matière de communication l’ancien maire parvenait à enfumer efficacement les médias. Hidalgo, sur l’affaire du trou de 400 millions d’euros par exemple, du bureau donné à Delanoë alors qu’il n’est plus élu ou dans sa gestion désastreuse des grèves à répétition dans les bibliothèques et piscines, ne montre même pas ce talent de dissimulation.

    2) Justement, dernièrement Anne Hidalgo a été obligée de reconnaître publiquement que son prédécesseur avait laissé une situation financière désastreuse avec un manque de 400 millions d’euros pour boucler le budget de l’an prochain. Pensez-vous qu’elle était au courant de cette situation avant sa campagne ? Ne s’est-elle pas mise en porte-à-faux avec ses promesses électorales ?

  • Entretien avec Alain de Benoist sur le Traité transatlantique

     

    «Ce qui est terrible en effet, c’est que les négociateurs de l’Union européenne semblent s’être engagés dans ces discussions sans le moindre souci de faire passer en premier les intérêts des Européens.»

    «L’enjeu final est donc bel et bien politique. Par une intégration économique imposée à marche forcée, l’objectif final est de mettre en place une « nouvelle gouvernance » commune aux deux continents.»

    La « libéralisation » totale des échanges commerciaux est un vieil objectif des milieux financiers et libéraux. Dès le 22 novembre 1990, un an après la chute du Mur de Berlin, les Etats-Unis et l’Europe avaient adopté une première «Déclaration transatlantique» par laquelle ils s’engageaient à «promouvoir les principes de l’économie de marché, à rejeter le protectionnisme, à renforcer et ouvrir davantage les économies nationales à un système de commerce multilatéral». S’ensuivirent différentes initiatives allant toutes dans le sens d’un partenariat commercial euro-américain. En mai 1998, lors du sommet américano-européen de Londres, un premier Partenariat économique transatlantique fut signé.


    Le projet fut réactivé en juin 2005, au sommet américano-européen de Washington, sous la forme d’une déclaration solennelle en faveur d’un «Nouveau partenariat économique transatlantique». Le 30 avril 2007, un Conseil économique transatlantique était mis en place par George W. Bush, président des Etats-Unis, Angela Merkel, alors présidente du Conseil européen, et José Manuel Barroso président de la Commission européenne, sous la direction conjointe de Karel De Gucht, commissaire européen au Commerce, et de l’Américain Michael Froman. Cette nouvelle instance se fixait pour objectif de négocier le marché transatlantique dans tous ses aspects législatifs liés à la production, au commerce et aux investissements. Il fut convenu de se réunir tous les ans.

    Le 2 février 2009, le Parlement européen adoptait une résolution sur l’«état des relations transatlantiques» invitant à la création effective d’un grand marché transatlantique calqué sur le modèle libéral et impliquant une liberté de circulation totale des hommes, des capitaux, des services et des marchandises. Le texte précisait que ce partenariat transatlantique se fondait «sur des valeurs centrales partagées, telles que la démocratie, les droits de l’homme et l’Etat de droit», et qu’il devait «demeurer la pierre angulaire de l’action extérieure de l’Union». Le processus pouvait alors s’engager concrètement. Le 13 février 2013, Obama signait avec José Manuel Barroso et Herman Van Rompuy une déclaration adoptant le principe d’un accord de partenariat transatlantique. François Hollande, représentant la France, laissait faire. Le 12 mars, la Commission européenne approuvait le projet de mandat concernant la conclusion d’un tel accord avec les Etats-Unis. Enfin, le 14 juin 2013, les gouvernements des 27 Etats membres de l’Union européenne donnaient officiellement mandat à la Commission européenne pour négocier avec le gouvernement américain la création d’un grand marché commun transatlantique, qui a reçu le nom de Partenariat transatlantique de commerce et d’investissements (Trasantlantic Trade and Investment Partnership, TTIP), l’objectif affiché étant de «lier le niveau de libéralisation des deux parties au plus haut niveau de libéralisation obtenu suite aux accords de libre-échange déjà conclus, tout en cherchant à atteindre de nouveaux accès au marché en éliminant les obstacles qui demeurent». Les négociations officielles se sont ouvertes à Washington le 8 juillet 2013. Elles se poursuivent toujours actuellement, les partenaires espèrent parvenir à un accord d’ici 2015.

    Rébellion – Décrit comme le plus important accord commercial bilatéral de l’histoire (800 millions de consommateurs, la moitié du PIB mondial et 40% des échanges mondiaux sont directement concernés), il est pourtant négocié dans le plus grand secret par Washington et Bruxelles. Alors que les peuples sont globalement tenus à l’écart des négociations, il semble que les représentants des multinationales et des grands intérêts financiers soient des membres actifs des réunions de préparation. Pourquoi autant d’opacité autour de ce projet ? Que révèle pour vous ce basculement anti-démocratique du système mondialiste ?

    On retrouve dans cette affaire la volonté des milieux libéraux de tenir le plus possible les peuples dans l’ignorance de ce qui va engager leur avenir. Ni l’opinion publique ni ses représentants n’ont en effet eu accès au mandat de négociation. La classe politique, dans son ensemble, s’est réfugiée dans un silence qui laisse pantois. Les traités confiant à la Commission européenne une compétence exclusive en matière commerciale, le Parlement européen n’a même pas été saisi. Beaucoup n’hésitent pas à parler de «négociations commerciales secrètes» pour qualifier ces tractations qui se déroulent à huis clos. Ce que l’on en sait provient uniquement de «fuites». Les citoyens n’en ont en rien été informés – ce qui n’est pas le cas en revanche des «décideurs» appartenant aux grands groupes privés, aux multinationales et aux divers groupes de pression, qui sont au contraire régulièrement associés aux discussions.

    Rébellion – Le contenu du projet de traité semble viser à une libéralisation totale des rapports économiques entre l’Europe et les Etats-Unis. Que recouvrerait exactement le futur accord ?

    C’est à la fois simple et immensément ambitieux. Il s’agit de déréglementer complètement les échanges entre les deux plus grands marchés de la planète. Le projet vise pour cela à la «suppression totale des droits de douane sur les produits industriels et agricoles», mais surtout se propose d’«atteindre les niveaux les plus élevés de libéralisation des investissements ».

    Pour quel objectif ? L’élimination des barrières commerciales transatlantiques, dit-on, apporterait entre 86 et 119 milliards d’euros par an à l’économie européenne et entre 65 et 90 milliards aux Etats-Unis, ce qui pourrait entraîner d’ici quinze ans une augmentation moyenne des revenus de 545 euros par ménage européen (chiffres fournis par la Commission européenne et par le Center for Economic Policy Research). Selon un rituel bien au point, on assure que l’accord bénéficiera à tout le monde, qu’il aura un effet favorable sur l’emploi, etc. Rapportées à l’horizon 2027, qui est celui que l’on a retenu, de telles promesses sont en réalité dépourvues de sens. En 1988, la Commission européenne avait déjà affirmé que la mise en place du grand marché européen, prévue pour 1992, créerait entre 2 et 5 millions d’emplois en Europe. On les attend toujours.

    La suppression des droits de douane sera surtout sensible dans le secteur du textile et dans le secteur agricole : elle devrait entraîner une chute des exportations agricoles françaises, une industrialisation accrue de l’agriculture européenne, et l’arrivée massive en Europe de soja et de blé américain. Globalement, le démantèlement des droits de douane sera en outre préjudiciable à l’Europe, car le taux moyen de droits de douane est de 5,2 % dans l’Union européenne, tandis qu’il n’est que de 3,5 % aux Etats-Unis. S’ils sont supprimés, les Etats-Unis en retireront donc un avantage de 40 % supérieur à celui de l’UE. Cet avantage sera spécialement marqué dans certains secteurs : les droits de douane sur les matériels de transports sont de 7,8 % en Europe, contre 0 % aux Etats-Unis. Leur suppression portera donc directement atteinte à l’industrie automobile européenne. Et la faiblesse du dollar par rapport à l’euro profitera également aux Etats-Unis au détriment des productions européennes, qui seront incitées à délocaliser, ce qui aggravera d’autant le chômage. Cela dit, la disparition des barrières douanières n’aura pas d’effets macro-économiques véritablement décisifs, puisque les Etats-Unis sont déjà les premiers clients de l’Union européenne, et inversement. A l’heure actuelle, quelque 2,7 milliards de dollars de biens et de services sont échangés chaque jour entre les deux continents !

    Rébellion – La fin des normes protectrices et les poursuites possibles pour faire «sauter» les dernières barrières au libre-échange mondial ouvrent-elles la voie à une « privatisation » du droit au service des grands groupes ?

    C’est en effet le point essentiel. Beaucoup plus importante que la suppression des droits de douane est l’élimination programmée de ce qu’on appelle les «barrières non tarifaires» (BNT), c’est-à-dire l’ensemble des réglementations que les négociateurs jugent nuisibles parce qu’elles constituent autant d’«entraves» à la liberté du commerce. En clair, les normes constitutionnelles, légales et réglementaires qui, dans chaque pays, seraient susceptibles d’entraver une liberté commerciale érigée en liberté fondamentale : normes de production sociales, salariales, environnementales, sanitaires, financières, économiques, politiques, etc. Pour ce faire, les accords en cours de négociation se proposent d’aboutir à une «harmonisation progressive des réglementations et de la reconnaissance mutuelle des règles et normes en vigueur». José Manuel Barroso a lui-même précisé que «80 % des gains économiques attendus de l’accord viendront de la réduction du fardeau réglementaire et de la bureaucratie». L’enjeu normatif est donc énorme.

    Pour libéraliser l’accès aux marchés, l’Union européenne et les Etats-Unis sont censés faire «converger» leurs réglementations dans tous les secteurs. Le problème est que, dans presque tous les cas, les règlements en vigueur aux Etats-Unis sont moins contraignants que ceux qui existent en Europe. Comme les Américains n’envisagent évidemment pas un instant de durcir leur législation et que l’objectif est de s’aligner sur le «plus haut niveau de libéralisation existant», la «convergence» se fera nécessairement par l’alignement des normes européennes sur les leurs. En fait d’«harmonisation», ce sont les Etats-Unis qui vont imposer à l’Europe leurs règles commerciales.

    Dans le domaine agricole, l’ouverture du marché européen devrait entraîner l’arrivée massive des produits à bas coûts de l’agrobusiness américain : bœuf aux hormones, carcasses de viande aspergées à l’acide lactique, viandes aux OGM, etc. Jugées depuis longtemps «trop contraignantes» par les Américains, toutes les normes sanitaires européennes pourraient ainsi être condamnées comme «barrières commerciales illégales». En matière environnementale, la réglementation encadrant l’industrie agro-alimentaire serait démantelée. Les groupes pharmaceutiques pourraient bloquer la distribution des génériques. Les services d’urgence pourraient être contraints de se privatiser. Il pourrait en aller de même de l’eau et de l’énergie. Concernant le gaz de schiste, la fracturation hydraulique deviendrait un droit intangible. En outre, comme aux Etats-Unis les «indications géographiques protégées» ne sont pas reconnues, les «appellations d’origine contrôlées» (AOC) françaises seraient directement menacées. En matière sociale, ce sont toutes les protections liées au droit du travail qui pourraient être remises en cause, de même que le statut des services publics et des marchés publics.

    Mais il y a pire encore. L’un des dossiers les plus explosifs de la négociation concerne la mise en place d’un mécanisme d’«arbitrage des différends» entre Etats et investisseurs privés. Ce mécanisme dit de «protection des investissements» (Investor State Dispute Settlement, ISDS) doit permettre aux entreprises multinationales et aux sociétés privées de traîner devant un tribunal ad hoc les Etats ou les collectivités territoriales qui feraient évoluer leur législation dans un sens jugé nuisible à leurs intérêts ou de nature à restreindre leurs bénéfices, c’est-à-dire chaque fois que leurs politiques d’investissement seraient mises en causes par les politiques publiques, afin d’obtenir des dommages et intérêts. Le différend serait arbitré de façon discrétionnaire par des juges ou des experts privés, en dehors des juridictions publiques nationales ou régionales. Le montant des dommages et intérêts serait potentiellement illimité (c’est-à-dire qu’il n’y aurait pas de limite aux pénalités qu’un tribunal pourrait infliger à un Etat au bénéfice d’une multinationale), et le jugement rendu ne serait susceptible d’aucun appel. Un mécanisme de ce type a d’ailleurs déjà été intégré à l’accord commercial que l’Europe a récemment négocié avec le Canada (CETA).

    Les firmes multinationales se verraient donc conférer un statut juridique égal à celui des Etats ou des nations, tandis que les investisseurs étrangers obtiendraient le pouvoir de contourner la législation et les tribunaux nationaux pour obtenir des compensations payées par les contribuables pour des actions politiques gouvernementales visant à sauvegarder la qualité de l’air, la sécurité alimentaire, les conditions de travail, le niveau des charges sociales et des salaires ou la stabilité du système bancaire. La capacité des Etats à légiférer étant ainsi remise en question, les normes sociales, fiscales, sanitaires et environnementales, ne résulteraient plus de la loi, mais d’un accord entre groupes privés, firmes multinationales et leurs avocats, consacrant la primauté du droit américain. On assisterait ainsi à une privatisation totale de la justice et du droit, tandis que l’Union européenne s’exposerait à un déluge de demandes d’indemnités provenant des 14.400 multinationales qui possèdent aujourd’hui plus de 50 800 filiales en Europe.

    Rébellion – L’Union européenne se révèle un acteur de l’arrimage de notre continent aux intérêts des Etats-Unis. Pensez-vous que cette orientation atlantiste cache une course vers le vide d’une institution technocratique qui tente de renforcer son emprise sur les peuples ?

    Ce qui est terrible en effet, c’est que les négociateurs de l’Union européenne semblent s’être engagés dans ces discussions sans le moindre souci de faire passer en premier les intérêts des Européens. On ne peut s’en étonner, puisque l’idéologie de l’Union est cette même idéologie capitaliste et libérale dont se réclament les Etats-Unis. Dans certains domaines, les Européens vont même plus loin que les Américains. Un exemple : le 1er juillet dernier, un document qui a «fuité» grâce à un groupe bruxellois appelé Corporate Europe Observatory (CEO) a révélé que, dans le cadre des négociations sur l’accord commercial transatlantique, les Européens s’apprêtent à demander eux-mêmes moins de règles pour les banques et les marchés financiers, cet appel à déréglementer la finance, qui résulte du travail de lobbying des banques européennes, remettant directement en cause tout le travail d’encadrement de ce secteur réalisé depuis le début de la crise. L’intégration des services financiers à l’accord transatlantique permettrait ainsi aux banques européennes d’opérer aux Etats-Unis avec leurs propres réglementations.

    Rébellion – La perte de souveraineté économique de l’Europe représentée par la mise en place du Traité transatlantique ne va t-elle pas renforcer la perte de souveraineté politique déjà existante avec son intégration dans l’OTAN ?

    La réponse est dans la question ! Le Wall Street Journal l’a d’ailleurs reconnu avec ingénuité : tout comme le «Partenariat transpacifique» (Trans-Pacific Partnership, TPP) que les Etats-Unis ont également lancé en 2011 pour contenir la montée en puissance de la Chine, le partenariat transatlantique «est une opportunité de réaffirmer le leadership global de l’Ouest dans un monde multipolaire». Un leadership que les Etats-Unis ne sont pas parvenus à imposer par l’intermédiaire de l’OMC en raison de la résistance des pays pauvres et des pays émergents. Il s’agit donc bien pour eux de tenter de maintenir leur hégémonie mondiale en enlevant aux autres nations la maîtrise de leurs échanges commerciaux au bénéfice de multinationales largement contrôlées par leurs élites financières. La création d’un grand marché transatlantique leur offrirait un partenaire stratégique susceptible de faire tomber les dernières places fortes industrielles européennes. Il permettrait de démanteler l’Union européenne au profit d’une union économique intercontinentale, c’est-à-dire d’arrimer définitivement l’Europe à un grand ensemble «océanique» la coupant de sa partie orientale et de tout lien avec la Russie.

    L’enjeu final est donc bel et bien politique. Par une intégration économique imposée à marche forcée, l’objectif final est de mettre en place une «nouvelle gouvernance» commune aux deux continents. A Washington comme à Bruxelles, on ne dissimule pas que le grand marché transatlantique n’est qu’une étape vers la création d’une structure politique mondiale, qui prendrait le nom d’Union transatlantique. De même que l’intégration économique de l’Europe était censée déboucher sur son unification politique, il s’agirait de créer à terme un grand bloc politico-culturel unifié allant de San Francisco jusqu’aux frontières de la zone d’influence russe. Le continent eurasiatique étant ainsi coupé en deux, une véritable Fédération transatlantique pourrait ainsi voir le jour. Les souverainetés nationales ayant déjà été annexées par la Commission de Bruxelles, c’est la souveraineté européenne qui serait alors transférée aux Etats-Unis. Les nations européennes resteraient dirigées par des directives européennes, mais celles-ci seraient dictées par les Américains. Il s’agit, on le voit, d’un projet d’une immense ambition, dont la réalisation marquerait un tournant historique – sur l’opportunité duquel aucun peuple n’a jamais été consulté.

    Rébellion – Grand absent de cette négociation, quel est le regard de la Russie sur ce renforcement des liens du bloc atlantiste ? Propose-t-elle une voie alternative ?

    La Russie ne peut que s’inquiéter de la mise en place d’un tel accord, qui contribuerait à l’encercler du point de vue économique et politique, et à la couper un peu plus des pays européens. Elle pourrait bien entendu offrir une alternative aux Européens, en leur proposant de s’associer à la construction d’un grand bloc continental, mais elle sait très bien que l’Union européenne ne s’engagera jamais dans cette voie aussi longtemps qu’elle restera aux ordres de Washington. Dans le passé, Poutine semble avoir espéré que les Européens se montreraient plus soucieux de leur indépendance et prendraient conscience de ce qui rend complémentaires les intérêts russes et les intérêts européens. Je pense qu’aujourd’hui, il ne se fait plus d’illusion. C’est la raison pour laquelle il se rapproche toujours plus de la Chine, afin de créer avec elle une puissance commune qui puisse contrebalancer l’offensive américaine et affaiblir un dollar déjà bien mal en point.

    Rébellion – Lors des débats à l’Assemblée nationale, l’UMP comme le PS ont rejeté l’appel à la suspension des discussions déposé par le Front de gauche. Cet alignement de la «gauche» comme de la «droite» est-il une nouvelle preuve de leur adhésion commune à logique libérale ?

    Est-il encore besoin de « preuves » ? Le parti socialiste, qui depuis 1983 n’a plus de socialiste que le nom, ressemble aujourd’hui de plus en plus à l’ancienne SFIO. Il a hérité d’un atlantisme qui ne s’est pas démenti depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce qui explique que François Hollande se soit bien gardé de revenir sur la réintégration de la France dans l’appareil intégré de l’OTAN. Toute sa politique montre par ailleurs qu’il s’est officiellement soumis à la finance de marché. N’oublions pas non plus que nombre de membres de la Nouvelle Classe, qu’il s’agisse de leaders d’opinion ou de dirigeants des grands «partis de gouvernement», à commencer par François Hollande (promotion 1996), font partie des «Young Leaders» de la French-American Foundation, organisation créée en 1976 pour «renforcer les liens entre la France et les Etats-Unis», notamment par la recherche de «solutions partagées» (c’est aussi le cas de personnalités aussi différentes que Arnaud Montebourg, Aquilino Morelle, Marisol Touraine, Najat Vallaud-Belkacem, Matthieu Pigasse, Laurent Joffrin, David Kessler, Jean-Marie Colombani, Jérôme Clément, Yves de Kerdrel, Pierre Moscovici, Valérie Pécresse, Christine Ockrent, Alain Minc, Anne Lauvergeon, Alain Juppé, etc.). Comment s’étonner alors de la déclaration de Nicole Bricq, ancien ministre du Commerce extérieur, présentant le projet de Traité transatlantique comme une «chance pour la France», à laquelle on «ne peut qu’être favorable» ?

    Rébellion – De José Bové à Marine Le Pen, en passant par Nicolas Dupont-Aignan et Jean-Luc Mélanchon, des voix se font pourtant entendre contre le projet de traité. Des initiatives de terrain sont lancées par de nombreuses associations ou individus autonomes pour sensibiliser sur cette question. Pensez-vous qu’une opposition populaire puisse faire reculer le système sur cette question ? Assistons-nous à la naissance d’un mouvement transversal comme lors du référendum sur la Constitution européenne de 2005 ?

    La comparaison que vous faites trouve d’emblée ses limites puisque, contrairement à ce qui s’était passé lors du référendum de 2005, le peuple n’est pas convié à donner son opinion à propos du projet de Traité transatlantique. Les protestations très justifiées qui se font entendre ici ou là n’ont donc pas la moindre chance d’empêcher les négociations de se poursuivre. On constate tout simplement que le pouvoir est ailleurs ! Ce qui est vrai, en revanche, c’est que les adversaires du traité se recrutent dans des familles politiques d’origines très différentes. En ce sens, il n’est pas exagéré de parler de «mouvement transversal». C’est une preuve de plus du caractère obsolète des anciens clivages et de la mise en place de clivages nouveaux. Mais cela, on le savait déjà depuis longtemps.

    Rébellion – Plus largement, que vous inspirent les contestations sociales et les sursauts «populistes» récents en Europe. Croyez-vous à la naissance d’une alternative au système ?

    Il y aurait beaucoup à dire sur les phénomènes que l’on désigne habituellement sous l’étiquette de «populisme». Chacun sait que la poussée des mouvements populistes (qu’on aurait tort de réduire à un modèle standard, car ils peuvent être très différents les uns des autres) traduit une crise profonde de la représentation, en même temps qu’elle illustre l’épuisement du clivage droite-gauche. Mais il faut aussi préciser que le populisme n’est pas une idéologie, mais un style qui, en tant que tel, peut se combiner avec des idéologies elles aussi très variées. Il est encore trop tôt pour dire s’il peut en sortir une véritable alternative – et non pas seulement une alternance. Disons que ces phénomènes sont à surveiller de près, sans a priori idéologiques et sans idées préconçues.

     Rébellion, 2/07/2014

     SourceRébellion.hautefort.com

    http://www.polemia.com/entretien-avec-alain-de-benoist-sur-le-traite-transatlantique/

     

  • Hervé Juvin : la fin de la mondialisation et le retour des identités

    « Ce que j’appelle « grande séparation », c’est cet espoir un peu fou, très largement dominant aux Etats-Unis, notamment à travers le transhumanisme, de s’affranchir totalement de la condition humaine. » (Hervé Juvin)

    FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN – On croyait que la mondialisation conduirait à l’uniformisation du monde sous la bannière du modèle occidental. Mais l’auteur de La grande séparation montre que celle-ci réveille au contraire les particularismes identitaires.(Figaro Vox)

    Figarovox: Votre livre s’intitule La grande séparation. Qu’est-ce que cette grande séparation? De quoi nous séparons nous ?

    Hervé Juvin : La condition politique repose sur la séparation des groupes humains qui assure leur diversité. Jusqu’ici cette séparation entre les hommes provenait de la langue, des mœurs, des lois et des cultures, et se traduisait par le phénomène universel de la frontière: on traçait des séparations matérielles entre «nous» et les «autres». Il s’agissait d’une séparation géographique, matérielle, et horizontale. La Nation était la traduction politique de cette séparation. Depuis une trentaine d’années, on assiste à un phénomène nouveau, une forme de transgression qui se traduit par le «tout est possible» ou «le monde est à nous». Tout cela est en train de faire naitre une nouvelle séparation qui bouleverse radicalement tout ce qui faisait le vivre-ensemble et le faire société. Ce que j’appelle «grande séparation», c’est cet espoir un peu fou, très largement dominant aux Etats-Unis, notamment à travers le transhumanisme, de s’affranchir totalement de la condition humaine. L’ultra-libéralisme, l’hypertrophie du capitalisme financier, le retour du scientisme sont l’une des faces d’un visage dont le transhumanisme, la transexualité, le transfrontiérisme sont l’autre face. Il faut en finir avec toutes les limites, toutes les déterminations de la nature. Ainsi Google a pour objectif affiché de lutter contre la mort à travers sa filiale Calico. L’idéologie transgenre veut que chaque homme et chaque femme puissent choisir leur sexe. Des entreprises très «humanistes» comme Goldman Sachs remboursent les opérations de changement de sexe de leurs employés!

    Cette idéologie des «trans» vise à construire un homme hors-sol, délié de toute origine, et déterminé uniquement par sa propre volonté. C’est le retour du mythe de l’homme nouveau appuyé sur un délire scientiste qui voudrait que chacun soit à lui-même son petit Dieu autocréateur, pur produit de son désir, de ses intérêts ou de sa volonté propre. C’est cela, la grande séparation: la fabrique d’un homme sans origines, sans liens et sans foi, mais qui à chaque instant se choisit lui-même et choisit qui il est.

    «Plus rien ne nous est étranger», tel est le résultat de la mondialisation. Pourtant à mesure que l’on cherche à détruire le même, l’autre revient toujours plus fort. L’uniformisation a pour conséquence un retour des particularismes. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

    On peut considérer qu’à bien des égards la mondialisation est achevée. J’ai la chance de voyager beaucoup dans le monde: il n’y a plus de jungles, de mangroves, de déserts, aussi perdus soient-ils où vous n’avez pas des gens qui sortent un téléphone portable de leur poche. La mondialisation des outils techniques – pour la plupart conçus en Occident – est à peu près aboutie. Le phénomène auquel on ne s’attendait pas, ce que j’appelle dans mon livre «l’aventure inattendue», c’est que l’uniformisation du monde est en train de réveiller les différences. L’exemple le plus frappant est celui de l’islam radical. Malraux parlait de «l’invincible sommeil de l’islam»: il y a trente ou quarante ans, l’islam était quelque chose d’endormi, d’immobile et d’assez pacifique. On peut dire ce qu’on veut sur les dérives extrémistes de l’islam, mais une chose est sûre: le retour (et dans certains cas l’invention) d’un fondamentalisme musulman (pratiques, cultes et doctrines rigoureux et agressifs) est généralement le produit direct d’une confrontation avec la modernité occidentale. Ceux qui vont combattre le djihad, en Syrie ou ailleurs, ceux qui ont commis des attentats en Occident, notamment le 11 septembre, n’étaient pas des pauvres sans boulot ni éducation, mais des ingénieurs, des gens diplômés, parfaitement intégrés à la civilisation moderne. Il est intéressant de voir qu’une partie des mouvements fondamentalistes en Afrique – je pense notamment à Boko Haram – sont directement l’effet de l’agression de sociétés traditionnelles par les évangélistes et les missionnaires financés souvent par les fondations américaines. La mondialisation, dans laquelle on a voulu voir une homogénéisation du monde est en train de déboucher sur son contraire: le retour des particularismes identitaires, des singularités, et plus généralement un retour du «nous».

    L’illusion du multiculturalisme du «village monde» a-t-elle vécu ?

    Depuis 40 ans on avait assisté à la proclamation de l’individu absolu, sans aucune appartenance, seul face au monde. On a aujourd’hui un retour de bâton de la réalité: on ne vit pas riche et seul dans un océan de ruines, on ne vit bien que quand on sent qu’on appartient à un ensemble, à un groupe, quand on est dans le faire-société avec d’autres, et c’est probablement ce que cette phase très déroutante de la mondialisation est en train de nous révéler.

    Est-ce à dire que chacun va retourner chez soi et se confiner dans le séparatisme ethnique ?

    Quelle forme la séparation politique va-t-elle prendre en réaction à cette grande séparation? Difficile de le dire. Mais ce qu’il est important de comprendre c’est qu’on ne peut dire «nous» que lorsqu’on a déterminé qui sont les «autres». Il y a quelque chose de profondément mensonger et dangereux dans la grande séparation qui fait de tous les hommes sont les mêmes – les hommes réduits à l’idiot utile des économistes! Si tous les hommes sont les mêmes, je suis absolument isolé, seul et incapable de dire «nous». Dans la plupart des pays occidentaux, on assiste à cet isolement croissant des individus, qui n’ont plus de repères, plus de structures, plus de capacité à dire «nous». Pour dire «nous», il faut qu’il existe des «autres» qui ne sont pas appelés à devenir les mêmes. Nos amis américains disent volontiers: tout homme ou femme sur cette terre n’aspire qu’à une chose: devenir un américain comme les autres. C’est la négation absolue de l’altérité. C’est aussi l’inverse du respect pour l’Autre, celui qui ne sera jamais le même, celui qui à ce titre m’aide à sentir mon identité. La paix dans le monde repose sur l’idée inverse: indépendance et différence. J’ai trop longtemps vécu et travaillé à Madagascar, eu des amis marocains, fréquenté l’Inde, je respecte trop les Malgaches, les Marocains, les Indiens, pour vouloir qu’ils deviennent des Français comme les autres. Ils ont leurs identités, leurs coutumes religieuses, leurs mœurs, qui sont éminemment respectables: au nom de quoi puis-je dire que je suis supérieur à eux? Quel droit m’autorise à dire que l’avenir d’un malgache, d’un marocain ou d’un hindou est de devenir un Français comme moi?

    C’est quelque part le crime de l’universel: de penser que ce qui est bon pour moi est bon pour le reste de l’humanité.

    Oui, mais nier l’universel, n’est-ce pas nier le propre de la culture européenne ?

    C’est le grand débat des Lumières et de la prétention au règne universel de la raison. L’idée que nous, Occidentaux, Européens, Français, Américains, aurions mis en place depuis les Lumières un modèle idéal de vie pour l’humanité, entre la croissance économique et la révolution industrielle, la démocratie et les droits de l’homme. Je ne le crois absolument pas. Je crois que d’autres sociétés qui vivent avec d’autres lois, d’autres mœurs, selon d’autres règles, ont su offrir les conditions du bonheur à leurs habitants. Je ne souscris pas à l’idée selon laquelle notre régime politique, notre musique, notre art, notre culture seraient le point d’aboutissement de l’humanité vers lequel tous les autres peuples devraient converger. Il y a une voie chinoise, une voie hindoue, des voies africaines, qui feront des sociétés équilibrées et heureuses, sûres de leurs identités, différentes de la voie américaine ou de la voie européenne.

    Toutes les civilisations se valent, alors? Il n’y a pas de valeurs transcendantes, pas de droits de l’homme, pas d’universel… L’excision et le mariage forcée des petites filles est de même valeur que la quasi égalité hommes-femmes en Occident ?

    On a le droit de défendre un système de valeurs qu’on croit universel. Vous n’allez pas me faire dire que je suis pour la lapidation! Personne évidement ne peut souhaiter être mis en détention sans jugements, être torturé, etc… Mais on ne peut pas ne pas constater les désastres que produit l’imposition par le haut du modèle occidental dans les sociétés traditionnelles. L’universalisme européen et américain n’a abouti qu’à des champs de ruines: en Afrique, en Afghanistan, en Irak, en Libye… Et la folle course en avant du développement menace la survie de l’humanité ; au nom de quoi arracher ces millions d’hommes qui vivaient hors de l’économie du capitalisme, de l’accumulation, dans un équilibre avec la nature, pour les précipiter dans un système qui détruit les biens vitaux et les services gratuits de la nature?

    Les motifs humanitaires masquent souvent des ingérences guerrières. Le «droit au développement» masque l’agression impitoyable de l’obligation de se développer, qui a fait des ravages en Asie et en Afrique. Les limites à l’universel ne sont pas seulement morales, mais physiques. La pénétration sans limites d’internet répand dans des populations entières des rêves qu’elles n’auront aucun moyen de satisfaire, à moins de faire exploser la planète. Il est impossible que 9 milliards d’humains vivent comme un Américain moyen. Ne pas se rendre

    compte de cela, c’est créer les conditions d’une humanité frustrée. Non seulement cet universalisme sème les graines du malheur, mais il est contre-productif: plus il essaie de s’imposer, plus il réveille des particularismes de plus en plus agressifs.

    C’est là un point essentiel en géopolitique aujourd’hui: l’agression des modèles universels réveille les logiques de la différence politique. Je cite dans mon livre celui que je considère comme le plus grand ethnologue du XXe siècle Elwin Verrier, pasteur britannique marié avec une fille de la tribu des Muria: au bout de quarante ans passés à côtoyer les tribus indiennes, il a abouti à la conclusion suivante: laissons les vivre comme ils sont, hors du développement économique. Mêlons-nous de ce qui nous regarde: sagesse qui nous éviterait bien des bêtises!

     Eugénie Bastié
    4/07/2014

    Hervé Juvin est un écrivain et essayiste français. Il poursuit un travail de réflexion sur la transformation violente de notre condition humaine qui, selon lui, caractérise ce début de XXIe siècle. Il est par ailleurs associé d’Eurogroup Consulting. Son dernier livre La grande séparation, pour une écologie des civilisationsa été publié aux éditions Gallimard (Le Débat, 2014).

    Source : FIGARO VOX > VOX MONDE

    Voir aussi :

    « La Grande Séparation. Pour une écologie des civilisations » de Hervé Juvin
     
    (Georges Feltin-Tracol)

    « La Grande Séparation » de Hervé Juvin (Bruno Guillard)

    « Le renversement du monde/ Politique de la crise » de Hervé Juvin

    Le retour à l’identité (édito 05/08)

    L’identité vue par Samuel Huntington et Alain de Benoist

    L’identité nationale selon Huntington

    http://www.polemia.com/herve-juvin-la-fin-de-la-mondialisation-et-le-retour-des-identites/

  • La véritable histoire du 14 juillet

    Figarovox - 11/07/2014

    FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Pourquoi le 14 juillet est-il devenu notre fête nationale ? Depuis quand ? L'historien Jean Sévillia nous raconte les dessous de cet événement symbolique et les enjeux de sa commémoration.

    FigaroVox - Depuis quand et pourquoi le 14 juillet est-il devenu notre fête nationale ? Que commémore-t-on exactement ?

    Jean Sévillia - C’est en 1880 que le 14 juillet est devenu fête nationale. Reprenons le contexte. En 1871, après l’effondrement du Second Empire et la défaite face aux Prussiens, se met en place, avec une majorité royaliste élue au suffrage universel, un régime d’attente, fait pour préparer la restauration de la monarchie, restauration qui n’aura pas lieu en raison de la division entre légitimistes et orléanistes et du refus du comte de Chambord, l’aîné des Bourbons, de composer avec les principes issus de la Révolution. Faute de roi s’installe une République conservatrice, la République des ducs (Mac-Mahon, Broglie, etc.)  En 1876, les républicains de conviction obtiennent la majorité à l’Assemblée. En 1877, ils forcent le Président conservateur, Mac-Mahon, à se soumettre en acceptant la prééminence du pouvoir législatif sur le pouvoir exécutif. En 1879, le Sénat passe aux républicains et Mac-Mahon démissionne. Commence alors la République des Jules (Simon, Grévy, Ferry), la République des républicains.

    Sous le Second Empire, on fêtait la Saint-Napoléon le 15 août, date de l’Assomption, grande fête mariale dans l’Eglise catholique, fête confortée, en 1854 par la proclamation du dogme de l’Immaculée-Conception par le pape Pie IX. Le 15 août était donc la fête nationale de la France sous Napoléon III. Symboliquement, quand ils arrivent au pouvoir, en 1879, les républicains veulent donc instaurer une fête nationale qui soit en accord avec le projet politique dont ils sont porteurs : républicaniser la France, la couper de l’influence de l’Eglise. Depuis 1872, le parti républicain organisait des manifestations privées à la date du 14 juillet. Lors d’un discours prononcé le 14 juillet 1872 à la Ferté-sous-Jouarre, Gambetta avait ainsi exalté le souvenir de la prise de la Bastille, affirmant que le peuple de Paris ne s’était pas levé « pour renverser une Bastille de pierre, mais pour détruire la véritable Bastille : le Moyen-Age, le despotisme, l’oligarchie, la royauté ».

    La loi promulguée le 6 juillet 1880 annonce que « la République adopte le 14 juillet comme jour de fête nationale annuelle ». Le choix de cette date, en réalité, ratifie une pratique antérieure du parti républicain, mais en jouant sur la double signification du 14 juillet : les radicaux commémorent la prise de la Bastille (14 juillet 1789), tandis que les modérés, à qui la violence révolutionnaire fait peur, préfèrent se souvenir de la Fête de la Fédération (14 juillet 1790).

    Dès lors, ce choix fera-t-il l'objet d'un consensus ?

    En 1880, le 14 juillet ne fait pas l’unanimité. Ni les conservateurs, qui n’ont accepté la République que par défaut, ni les catholiques, heurtés de front par l’anticléricalisme gouvernemental, anticléricalisme qui restera le ciment du parti républicain jusqu’en 1914, ne sont prêts à commémorer un événement révolutionnaire. Jusqu’à la Grande Guerre, le 14 juillet, à l’instar de l’école laïque de Jules Ferry, restera idéologiquement marqué : il est un symbole républicain, c’est-à-dire de gauche, anticlérical et patriotique au sens des Volontaires de l’An II. Peu à peu, toutefois, il deviendra une fête populaire, avec ses bals et ses lampions.

    Le 14 juillet 1919 voit le défilé de l’armée française victorieuse, derrière Joffre et Foch, avec des détachements de tous les pays vainqueurs. Les deux France se retrouvent dorénavant dans un 14 juillet qui revêt plus une signification militaire et nationale que politique.  La politique revient le 14 juillet 1935 avec le défilé politico-syndical des organisations de gauche, prélude au défilé unitaire du 14 juillet 1936 qui rattache le Front populaire au mouvement de 1789.

    Le 14 juillet 1945, c’est de nouveau un défilé de la victoire. A l’exception de 1989 et du défilé du Bicentenaire griffé par le couturier Jean-Paul Goude, la fête nationale s’est éloignée de sa source originelle. Elle n’est plus qu’une fête militaire, chérie du grand public, une fête populaire, avec ses feux d’artifice et encore ses bals de pompiers, et un micro-événement politique pour les amateurs de « petites phrases », dans les années où le chef de l’Etat parle à la télévision… Les restrictions budgétaires ont enterré la garden-party, qui était en passe de devenir une tradition mixte, à la fois républicaine dans la mesure où tout citoyen, virtuellement, pouvait être amené à fouler les pelouses de l’Elysée, et monarchique dans l’autre mesure où il fallait une invitation du Château pour y participer.

    On a fait de la prise de la Bastille l’élément fondateur marquant le début de la Révolution française. Est-ce vrai ? Est-ce réellement la borne qui marque « le début de la fin d’un monde » ?

    Le 20 juin 1789, quand les députés du tiers-état qui se sont proclamés les mandataires de toute la population française, excluant de la représentation nationale la noblesse et le clergé, se rassemblent dans la salle du Jeu de Paume, à Versailles, et font serment de ne pas se séparer avant d’avoir donné une Constitution à la France, la Révolution commence vraiment, puisque les institutions qui maintenaient l’ancienne France deviennent caduques. Il en est de même pour le 4 août 1789, où ce qu’on appelle improprement «  l’abolition des privilèges », privilèges qui représentaient en réalité l’organisation socio-territoriale de droit coutumier de l’Ancien Régime, marque l’entrée dans un monde nouveau.Le 5 et 6 octobre 1789, quand la foule ramène la famille royale à Paris et que le roi est prisonnier de la révolution parisienne, marque aussi la fin d’un monde.

    La prise de la Bastille était-elle un mouvement populaire spontané, une révolte plébéienne contre l’arbitraire, ou bien une manipulation des masses orchestrée par le haut ?

    Le 12 juillet 1789, Camille Desmoulins appelle les Parisiens à prendre les armes. Le 14 juillet au matin, quelques milliers d’émeutiers envahissent les Invalides, et prennent armes et canons. A l’autre bout de Paris, la Bastille, prison d’Etat dénoncée par les libellistes comme un symbole de l’arbitraire royal, est assaillie non par la population spontanément mobilisée, mais par une bande d’agitateurs qui ont préparé l’opération. Del’édifice sont extraits, en fait de victimes de l’absolutisme, sept prisonniers, dont quatre faussaires, deux fouset un débauché. Le gouverneur Launey, qui a capitulé devant l’émeute et qui a été conduit à l’Hôtel de Ville, est assassiné avec Flesselles, le prévôt des marchands, leurs corps étant dépecés et leurs têtes placées au bout d’une pique. 83 assaillants ont péri dans l’assaut. Le premier sang de la Révolution a coulé. L’opération a été orchestrée, mais elle a revêtu tout de suite un sens politique et une dimension symbolique.

    On évoque souvent les mots de Louis XVI dans son journal le jour de cet événement historique : 14 juillet : rien, pour montrer l’aveuglement et la nonchalance du roi. Comment se fait-il que ce dernier ne se soit pas rendu compte de l’importance de l’évènement ?

    Rappelons d’abord que ce « rien » consigné par Louis XVI dans son carnet désignait son tableau de chasse, vide en l’occurrence puisqu’il n’avait pas chassé ce jour-là. Il est néanmoins exact que le roi n’a pas tout de suite pris la mesure de ce qui s’est passé à la Bastille, d’où le dialogue, authentique ou apocryphe, survenu lorsqu’on lui a raconté les événements : « Mais c’est une révolte ? – Non, Sire, c’est une Révolution ! ». Horrifié par le récit de la mort de Launey et Flesselles, Louis XVI sera conforté dans son refus de verser le sang, disposition d’esprit qui va lui dicter sa conduite face à la Révolution.

    Le 14 juillet peut-il être le moment permettant la réconciliation des deux histoires de France, révolutionnaire et contre-révolutionnaire, dans la « République, notre royaume de France » chère à Péguy ?

    La question me semble un peu dépassée, dans la mesure où la vie politique française ne s’organise plus du tout autour de l’axe pour ou contre la Révolution. Le débat sur la Révolution n’est pas épuisé intellectuellement, mais il n’a pas de traduction politique immédiate. En sens inverse, le 14 juillet d’aujourd’hui n’a pratiquement rien à voir avec la Révolution, ce qui était déjà le cas en 1989, lors du défilé du Bicentenaire évoqué plus. Encore une fois, le 14 juillet n’est plus que la fête de l’armée, ce qui déplace le débat : le rituel militaire est-il vraiment compris dans une époque où le patriotisme n’est plus enseigné, où l’armée est invitée à se battre pour les droits de l’homme et non pour le territoire national ou les intérêts extérieurs du pays, et où le sens du sacrifice renvoie à une morale en voie de disparition ?

    Propos recueillis par Eugénie Bastié

    http://www.jeansevillia.com/index.php?page=fiche_article&id=355

  • Bernard Antony : « Le combat pour la nation n'a de sens que s'il est un combat pour l'enracinement et l'universel »

    Bernard Antony, fondateur et président du Centre Charlier, de Chrétienté-Solidarité et de l'AGRIF (Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne) est un infatigable militant politique depuis ses jeunes années, mais aussi un penseur de la politique, auteur de très nombreux ouvrages très documentés sur l'actualité, le judaïsme, l'islam, la franc-maçonnerie... Homme libre et indépendant, cet ancien député européen du Front national, aujourd'hui sans étiquette politique mais toujours davantage au service du pays réel, de la liberté, des chrétientés persécutées, s'appuie sur la longue tradition, vivante, du mouvement national.

    Jeanne Smits : La distinction entre « droite » et « gauche » a-t-elle encore un sens aujourd'hui ?

    Bernard Antony : Elle a un sens très fondé qui s'ordonne autour de quelques mots : Décalogue, écologie humaine, humilité, soumission au réel...

    Certes, il y a bien eu des chasses-croisés entre la « droite » et la « gauche » depuis que ces notions sont passées de la révélation religieuse (« à la droite du Père » ou à la gauche, avec les « maudits ») au positionnement politique dans le système démocratique. Ainsi la gauche a été originellement, jacobinement nationaliste et colonialiste, et même raciste et antisémite alors que surgissait parallèlement une droite authentique affirmant progressivement son identité dans un positionnement de Contre-Révolution à la fois morale et sociale ; hors de l'idéologie ramenant la conceptualisation de la nation aux deux idoles fondatrices de la Révolution : l'État et l'individu ; autrement dit, Le zéro et l'infini comme l'exprime magnifiquement par son titre le grand livre d'Arthur Koestler.

    Et ce n'est pas, tant s'en faut, la gauche qui a eu le monopole du combat pour la justice sociale après le déboisement juridique révolutionnaire et post-révolutionnaire de tout ce qui était protection de l'ouvrier par l'inique loi Le Chapelier et les décrets d’Allarde.

    Ce n'est que leur ignorance qui excuse les déclarations de certains grands responsables politiques nationalistes se plaçant dans le sillage d'une gauche bien à tort considérée par eux comme historiquement détentrice de la légitimité du combat social. À moins qu'ils ne soient eux-mêmes véritablement socialistes et de gauche.

    En fait, au-delà des variations circonstancielles, il y a une cohérence très fondée dans ce qui sépare la gauche de la droite véritable, « la droite de conviction ».

    Ce qui sous-tend la doctrine et les applications concrètes de cette droite par rapport à la gauche tient dans sa soumission au réel, dans sa considération réaliste et scientifique de la nature humaine, du respect de la vie, et somme toute, de là sagesse du Décalogue. Aux antipodes de l'orgueil commun à un Marx, à un Nietzsche, à un Jaurès, à un Sartre selon lequel l'homme est « créé créateur ».

    Dans le même ordre d'idées, qu'en est-il du nationalisme aujourd'hui? Est-il la véritable urgence ?

    La nation doit être défendue comme la réalité protectrice et bienfaisante qu'elle doit être, non comme une idole exclusive. Le nationalisme n'a de légitimité que s'il est un patriotisme « en alerte » face aux menaces pesant sur notre patrie, nos valeurs et nos libertés. Il peut être perverti s'il se mue en repliement autarcique ou en déni de ce qui peut et doit encore unir les patries de la vieille Europe.

    La véritable urgence, c'est de retrouver le sens du respect de la vie, de la dignité humaine, de la défense du vrai, du beau, du bien face aux entreprises de dialectisation, de déstructuration, de désintégration de la personne humaine et de la société. Le combat pour la nation n'a de sens que s'il est un combat pour la double bienfaisance si bien exaltée par la philosophe Simone Weil si chère à Gustave Thibon : l'enracinement et l'universel. Autrement dit, le contraire du cosmopolitisme désintégrateur.

    Face à une entreprise mondiale de déni nihiliste de ce qui fait « l'humain », il est évident que les combats de reconquête et de reconstruction ne peuvent qu' avoir une nécessaire dimension de solidarité chrétienne et humaine. Nous ne nous sauverons pas tout seuls.

    Vous êtes l'auteur d'un remarquable Jean Jaurès, le mythe et la réalité. Voilà un personnage qu'une grande partie de la classe politique, droite et gauche confondues, tend à s'approprier aujourd'hui. Où est la méprise ?

    Elle réside principalement dans l'ignorance de la réalité du personnage, de ses idées, de son utopie. Le plus consternant, c'est de lire dans certains hebdomadaires de droite ou dans l'ouvrage d'un jauressophile de droite l'affirmation d'un « Jaurès chrétien » (sic !), sous le prétexte qu'il n'était pas matérialiste comme Marx. D était en effet vaguement spiritualiste, panthéiste, gnostique, kabbaliste, c'est-à-dire tout sauf catholique et même tout sauf chrétien dans une constante volonté haineuse d'éliminer toute trace de dogme chrétien dans la conscience humaine, notamment par l'école. Un Jaurès certes bonhomme à ses heures, mais sur le fond fanatiquement avec Combes et Ferry, et que veulent continuer un Peillon et un Hamon dans le vieux projet de « substitution de religion ».

    Enfin, un Jaurès «prophète», mais c'est vraiment se moquer du monde ! Trois jours avant la déclaration de guerre de l'Allemagne, et la veille de son malheureux assassinat, il prophétisait encore l’anti-militarisme massif des socialistes et syndicalistes de ce pays qui feraient échec à la guerre !

    En fait par essai de récupération politicienne de cet incontestable tribun génial, on ressasse sans cesse à droite quelques inusables citations de début de carrière en faveur du patronat. On évite tout de même d'en faire autant avec ses propos bien plus nombreux, férocement antisémites, de la même époque, dans la plus parfaite continuité de Voltaire, Proudhon, Marx et Engels et, en fait, de toute la gauche au XIXe siècle.

    Vous avez été le premier à dénoncer en ces termes le « génocide français ». Comment espérer le vaincre aujourd'hui ? « Politique d'abord », est-ce toujours la bonne réponse ?

    « Politique d'abord » de Charles Maurras, c'est une direction d'action légitime et compréhensible alors que demeure une société encore debout mais menacée et autour et au sein de laquelle il faut mettre en place des politiques de protection.

    Aujourd'hui, c'est «médecine d'abord » qu'il faut dire, c'est-à-dire d'abord le diagnostic d'un génocide non pas seulement politique mais simultanément spirituel, culturel, intellectuel et moral, et démographique.

    C'est de la réanimation en tous ces domaines qu'il nous faut. Il faudra bien sûr des loismais surtout un esprit nouveau pour des loisnouvelles, l'enjeu est métaphysique : il faut avecChesterton « revenir au surnaturel » pour éliminer ce qui détruit le « naturel ».

    Propos recueillis par Jeanne Smits

    monde&vie juillet 2014

  • Entretien avec Julien Rochedy (video) : « Nous sommes les enfants de Waterloo »

    Le Bréviaire des patriotes a rencontré Julien Rochedy, directeur national du FNJ, avec lequel il revient sur plusieurs points comme la jeunesse, Napoléon, le bonapartisme, la Russie ou encore la politique économique de Marine Le Pen.

  • Entretien avec Emmanuel Ratier à propos de Manuel Valls et du coup d’Etat franco-français…

    Médias-Presse-Info pose quelques questions à Emmanuel Ratier…

  • La crise vue par Antoine de Crémiers

    Le dernier café d'actualité aixois de l'année 2013-2014 a été l'occasion pour son animateur, Antoine de CRÉMIERS, de faire la synthèse des idées débattues dans ce rendez-vous intellectuel incontournable d'Aix-en-Provence

    Mardi 3 juin, sous le thème "1984, C'EST MAINTENANT !", allusion au roman de Georges Orwell, Antoine de CRÉMIERS, qui est également conseiller éditorial de "La Nouvelle Revue Universelle", a expliqué que «la crise», ou ce qu’il est convenu de baptiser ainsi, n’est que le prétexte du renforcement du pouvoir des banques et de la finance et de la disparition du politique.
    L’hallucinant projet «Tafta» (traité de libre-échange transatlantique) nous ferait très clairement basculer dans le meilleur des mondes (immondes).
    Aucune réforme n’est possible ou même simplement envisageable. Le système est clos!

    Si nous ne réfléchissons pas à la manière de changer de système, nous n'arriverons à rien.

     

    Regardez l'enregistrement vidéo de cette réunion. Cela donne à méditer.

     

     

     

    http://www.af-provence.com/article-la-crise-vue-par-antoine-de-cremiers-124039510.html