« Ce sont surtout des Juifs assimilés et très attachés à leur citoyenneté française qui vont mettre le doigt dans l’engrenage d’une collaboration avec les autorités de Vichy »
(d’après l’avant-propos de Jean-Claude Valla publié dans son livre Ces Juifs de France qui ont collaboré, « Cahiers Libres d’Histoire n°8 », éditions Dualpha).
Des Juifs ont-ils réellement collaboré durant la IIe Guerre mondiale ?
Les sionistes ont flirté avec l’antisémitisme qu’ils considéraient volontiers comme leur meilleur allié contre l’assimilationnisme. Dans un discours prononcé en 1960 à l’ouverture du Congrès juif mondial, le Dr Nahum Goldmann, son président, semblait encore regretter que « la disparition de l’antisémitisme classique » ait eu « un effet très fâcheux » sur le comportement des Juifs. Pourtant, ce sont surtout des Juifs assimilés et très attachés à leur citoyenneté française qui vont mettre le doigt dans l’engrenage d’une collaboration avec les autorités de Vichy et, en zone occupée, avec le service antijuif de la SIPO-SD.
Paradoxalement, des antisémites ont choisi la Résistance ou la France libre ?
Oui, tandis que des Juifs ont reconnu la légitimité du gouvernement de Vichy et fait preuve d’une totale loyauté à l’égard du Maréchal. Il s’en est même trouvé quelques-uns, comme Kadmi Cohen, pour collaborer avec le Commissariat général aux Questions juives et apporter une contribution à la législation antisémite, en attendant que soient réunies les conditions d’un retour en Palestine. Kadmi Cohen était un sioniste intégral, parfaitement logique avec lui-même.
Une large part de ce cahier est précisément consacrée à l’Union générale des israélites de France (UGIF) ?
C’est un organisme où des Juifs ont accepté, bon gré mal gré, d’exercer des responsabilités. Les lecteurs ne seront pas surpris que Jean-Claude Valla se soit abstenu de tout manichéisme pour étudier un sujet aussi complexe. Il aurait pu reprendre à son compte les graves accusations portées contre les dirigeants de l’UGIF par Maurice Rajsfus dans plusieurs de ses livres et relancer ainsi la polémique. Fils de déportés juifs, Rajsfus n’était pas suspect d’antisémitisme. S’il avait mis les pieds dans le plat, c’était sûrement à bon escient.
Ces Juifs qui ont collaboré ont-ils été inquiétés à la fin de la guerre ?
Aucun rapport avec les condamnations qui ont frappé les goyim engagés dans le même combat. Combien de Français qui n’étaient pas de confession ou de culture israélite ont été fusillés, abattus comme des chiens, lourdement sanctionnés ou mis au ban de la société pour avoir voulu, eux aussi, ruser avec l’ennemi et sauver ce qui pouvait l’être ? Or, à l’exception de Joseph Joinovici qui a bénéficié d’un traitement de faveur et d’un supplétif de la Gestapo, moins chanceux, qui a été condamné à mort et exécuté, aucun Juif suspecté de collaboration n’a été traduit devant la justice. Ce sont des jurys d’honneur mis en place par le Conseil représentatif des Juifs de France qui ont jugé les suspects en catimini et les ont systématiquement acquittés. Ainsi furent soustraits aux lois communes de la République les ressortissants d’une communauté qui ne cesse d’en invoquer les mânes.
_ Jean-Claude Valla, (1944-2010) a été le premier directeur de la rédaction du Figaro Magazine et l’auteur de nombreux livres d’histoire. De même, il fut le directeur de Magazine Hebdo (1983-1985) avant de diriger La Lettre de Magazine Hebdo. Ancien collaborateur d’Historia, d’Historama, du Miroir de l’histoire et d’Enquête sur l’histoire, il collaborait depuis 2002 à la Nouvelle Revue d’Histoire de Dominique Venner. Il fut président d’honneur du Comité français des fils et filles de victimes des bombardements de la IIe Guerre mondiale (2001-2005).
Ses « Cahiers Libres d’Histoire ont, dès leur parution, rencontrés un énorme succès qui ne se dément pas et sont sans cesse réédités.
www.francephi.com.
entretiens et videos - Page 828
-
Ces Juifs de France qui ont collaborés
-
L'historien face à l'économie. Entretien avec Goff Le Jacques, historien.
Propos recueillis par Sylvain Allemand
Historien médiéviste, Jacques Le Goff est l'un des principaux héritiers de l'école des Annales, qui a révolutionné l'approche historiographique.
En quoi l'histoire de la pensée économique a-t-elle été utile à vos travaux de médiéviste ?
Sans être un spécialiste de cette pensée, j'y ai consacré de longs développements dans deux de mes livres: Marchands et banquiers au Moyen Age (1956) et La Bourse et la vie (1986), qui a pour sous-titre "Economie et religion au Moyen Age". J'appartiens par ailleurs à une génération d'historiens et à un mouvement historiographique (les Annales) qui ont accordé à l'économie et à la pensée économique un intérêt notoire par rapport aux historiens traditionnels. Cependant, en tant que médiéviste, je m'intéresse à une période où le fait économique à proprement parler et la pensée économique proprement dite tiennent peu de place et dont on peut même dire, à la limite, qu'ils n'existent tout simplement pas en tant que tels. Ainsi que l'a montré le théoricien américain d'origine hongroise Karl Polanyi, qui m'a personnellement beaucoup marqué, ce qui relève de ce que l'on appelle aujourd'hui l'économie était "encastrée" dans le social.
Même si cela ne m'a pas empêché de prendre en considération l'économie, je suis convaincu qu'il n'y a pas eu de pensée économique autonome au Moyen Age. En cela, je me démarque d'autres historiens qui, comme Raymond de Roover par exemple, ont jugé utile de parler de pensée économique pour cette période. Il me semble que c'est un anachronisme. Au Moyen Age, quand on parle d'économie, en particulier à partir du XIIIe siècle, c'est uniquement au sens aristotélicien du terme, c'est-à-dire d'oikonomia qui, en grec ancien, signifie la gestion de la maison. Et s'il existe des réflexions d'ordre économique, elles s'inscrivent dans la pensée scolastique en général.
Prétendre trouver une pensée proprement économique est une erreur de perspective. Cependant, des opinions élaborées sur des phénomènes que nous qualifierions aujourd'hui d'économiques peuvent se trouver dans la pensée scolastique. A cet égard, un des scolastiques tardifs les plus intéressants est l'archevêque de Florence, Augustin: au début du XVe siècle, dans sa somme théologique, il étudia avec une grande acuité une notion particulièrement importante en économie, la valeur.
C'est pourtant au Moyen Age que l'on doit des innovations économiques importantes comme, par exemple, la lettre de change…
Elle voit en effet le jour au cours du Moyen Age, mais elle apparaît dans un contexte particulier et dans un tout autre horizon. Tout en ayant indéniablement une valeur financière, elle était d'abord considérée et utilisée comme un instrument de circulation des marchandises, plus que comme un instrument proprement économique. On peut dire la même chose de la monnaie, que la science économique moderne a annexée comme objet d'étude. Au Moyen Age, les frappes monétaires ont joué, comme les pratiques de crédit et de change ou encore les mutations monétaires, un rôle extrêmement important, mais en revêtant encore une fois des significations où se mêlent l'économique, le politique et le culturel. Les économistes ont eu tendance à réduire la monnaie à un instrument d'échange artificiel, alors que l'on sait très bien - si on lit les anthropologues et les ethnologues - qu'il y eut des monnaies d'échange de tout autre nature que celles que nous connaissons. Un historien spécialiste du XVIIe siècle, Jean Meuvret, auquel on ne fait pas à mon sens une place suffisante dans l'historiographie, s'était précisément employé à penser la monnaie dans une perspective qui n'était justement pas strictement économique.
La mise en perspective historique des faits et des instruments économiques permet de faire apparaître des continuités, mais aussi leurs significations particulières selon les contextes. Et éviter ainsi la tentation d'une vision par trop linéaire de l'histoire des faits comme de la pensée économique à laquelle ont trop souvent recours les économistes d'aujourd'hui.
Alternatives Economiques Hors-série n° 073 - avril 2007
Source : Alternatives économiques : http://www.alternatives-economiques.fr/l-historien-face-a-l-economie_fr_art__6115.html
http://www.voxnr.com/cc/dh_autres/EFAyVlEyFlLjlMuOyn.shtml -
Monot (FN) : «Valls se heurtera rapidement aux obstacles économiques»
Conseiller économique de Marine Le Pen et tête de liste du Front national aux élections européennes (région Centre), Bernard Monot estime que le nouveau premier ministre est dans une impasse.
LE FIGARO. - Vous estimez que le nouveau gouvernement de Manuel Valls se trouve dans une impasse économique. Pourquoi ?
Bernard MONOT. - Le premier problème est celui de la compétitivité de la France, mais aussi celle de l'Europe. Aujourd'hui, le monde entier est en situation de dévaluation compétitive - que ce soit au niveau du dollar, du yen ou de la livre sterling - et seuls les pays de la zone euro ne peuvent pas agir sur le taux de leur monnaie. Tous les gains de compétitivité que nous pourrions imaginer via les sacrifices des Français (réductions de prestations et hausses d'impôts) permettront au mieux de gagner 4%, mais cela ne vaudra jamais une dévaluation interne de la monnaie, qui permettrait de gagner immédiatement 20% de gains de compétitivité. C'est cela qui pourrait entraîner une reprise économique et un retour à l'emploi.
Vous vous interrogez également sur la possibilité pour ce gouvernement de désendetter la France. Pourquoi ?
Comment vont-ils pouvoir désendetter le pays ? La dette ne cesse de croître depuis quarante ans. Quant aux déficits, cela fait trente ans que la France n'a pas de budget en excédent. Malgré tous les efforts, et même si l'on atteignait un déficit zéro, nous n'avons pas encore commencé à rembourser un seul euro du stock de dette. Je rappelle que nous allons atteindre 2000 milliards d'euros !
Que pensez-vous du pacte de responsabilité ?
C'est la tenue de camouflage de l'austérité. Il faudra bien trouver les 50 milliards d'euros quelque part. En 2012, nous avions modélisé l'irrémédiable évolution de la dette publique et prévu sa croissance suivant cette politique ultra-libérale.
Que répondez-vous à ceux qui observent pourtant des signes de reprise en Europe, comme en Espagne par exemple ?
Peut-on appeler cela une reprise, dans ce pays, quand le système bancaire européen privé est au bord du gouffre ? On a oublié aussi l'ensemble des pertes non résorbées depuis la crise de 2008 et qui sont passées hors bilan. Si les banques ne se prêtent pas entre elles aujourd'hui, c'est bien qu'il existe un risque majeur de défaut. On met en place l'union bancaire de toute urgence parce qu'on sent que certaines banques risquent de basculer.
Quels sont les principaux défis pour Manuel Valls ?
D'abord l'emploi. Avec une inflation aussi basse, le chômage ne peut qu'exploser. C'est l'analyse faite par le FN en posant la problématique de l'euro. En taux réel, cette inflation n'a jamais été aussi basse depuis très longtemps. Actuellement, la zone euro est à 0,5% d'inflation. Nous ne sommes donc pas loin de passer en déflation, synonyme de catastrophes sociales. Le deuxième défi sera celui du pouvoir d'achat des Français qui va diminuer. Dans le prolongement, on peut imaginer les problèmes de sécurité apparaissant dans un pays qui s'appauvrit.
Comment analysez-vous cette nomination à Matignon ?
J'ai l'impression de voir un gouvernement de cohabitation entre un président social-démocrate et un Manuel Valls qui pourraient très bien faire partie du personnel de l'UMP. La politique macroéconomique de cette coalition UMPS sera la feuille de route d'une Union européenne inféodée aux marchés financiers.
Selon vous, quelles actions prioritaires la France devrait-elle lancer sans attendre ?
Ouvrir un sommet de la zone euro avec les dix-huit pays membres. Il faut mettre sur la table le problème de la monnaie surévaluée qui obère la croissance économique et provoque la désindustrialisation, à l'exception de l'Allemagne qui fait de la dévaluation compétitive territoriale. Ce sommet permettrait de passer aux monnaies nationales, dans la douceur et pas dans la douleur, tout en gardant un euro monnaie commune. Il faut absolument avoir la possibilité d'agir, au niveau national, sur la politique monétaire et sur la politique de change.
Source -
« La nation, ce concept géopolitique fort, n'est pas d'essence populiste »
Entretien avec Yves Lacoste par Christian David
Géopolitologue de renom, le père de la revue "Hérodote" soumet l'actualité à sa grille de lecture, qui voit les espaces, les territoires et les frontières cristalliser les rivalités de pouvoir.
À 84 ans, Yves Lacoste reste toujours passionné par le sujet de sa vie, la géopolitique. Ce docteur et agrégé en géographie né au Maroc est un adepte du travail de terrain, en Afrique du Nord et au Vietnam notamment. Un temps membre du PCF et partisan de l'indépendance de l'Algérie, il devient professeur à la bouillonnante université de Paris VIII-Vincennes en 1968, où il créera Hérodote en 1976, première revue de géopolitique où se croisent les regards de l'histoire et de la géographie pour analyser l'espace et le temps du monde. La même année, il publie chez Maspero La géographie, ça sert, d'abord, à faire la guerre, un ouvrage détonnant (réédité cette année par La Découverte).
Soucieux de la précision des termes, il se considère moins comme un géopoliticien que comme un géopolitologue, et s'interroge sur des questions comme les frontières de l'Union européenne, les effets du réchauffement climatique, le conflit ukraino-russe ou l'idée de nation.
Vous êtes l'un des précurseurs du concept de géopolitique omniprésent dès que l'on aborde les questions de diplomatie et de développement économique. Quelle en est votre définition ?
Est géopolitique, à mon sens, tout ce qui est rivalité de pouvoir sur des territoires. J'ajouterais que ces questions ne concernent pas forcément de très vastes territoires. Des questions géopolitiques peuvent dégénérer en conflit autour de très petites zones. Le conflit israélo-palestinien porte sur des territoires limités qui n'avaient a priori pas de valeur économique déterminante, même si, récemment, on a découvert des gisements de gaz et de pétrole au large des côtes d'Israël, de la Palestine et du Liban.
Ces rivalités de pouvoir se cristallisent autour de données pas nécessairement objectives et de questions pas purement stratégiques, mais aussi autour de ce que j'appelle, à tort ou à raison, les représentations de soi ou des autres. Ce territoire est à moi, parce que des gens, dont je me considère être le descendant, y ont vécu. Cette représentation peut être fondée, démontrée ou tout à fait illusoire. Généralement, chaque camp a tendance à sous-estimer la valeur de la représentation de la partie adverse, considérant qu'elle est fausse, secondaire ou dépassée.
Cela conduit à des dialogues de sourds qui peuvent paraître sans grand intérêt à des tiers, mais susceptibles d'aboutir à des violences extrêmes, comme on l'a vu dans l'ancienne Yougoslavie. Là-bas, des gens se sont entre-tués pour des plateaux peu peuplés, sans valeur agricole ou stratégique, parfois, pour des cimetières. Il n'est pas question d'abandonner une partie de son espace à des musulmans, à des catholiques ou à des orthodoxes, alors que l'on pensait que les problèmes religieux avaient été dépassés dans l'ex-Yougoslavie.
L'Europe, deux fois au centre de conflits mondiaux au XXe siècle, s'est transformée en une zone d'union à 28 pays. Quelle lecture faites-vous cette nouvelle Europe ?
Certains analysent aujourd'hui la création d'une Europe unie comme ayant été le moyen d'empêcher le retour des conflits. Mais il faut conserver en mémoire que cet ensemble s'est constitué à l'origine sans qu'il s'agisse d'une union, mais d'une entente commerciale, héritière de la Communauté européenne du charbon et de l'acier. Il est intéressant de noter que les principaux protagonistes de ce mouvement, la France et l'Allemagne, n'étaient à l'époque ni l'une ni l'autre en position glorieuse au regard de leur puissance passée: la France avait subi la défaite de 1940 et l'Allemagne, celle de 1945, avec en outre la découverte de l'horreur qu'avait été la politique d'extermination de populations.
On a pensé des deux côtés du Rhin que le commerce et la prospérité retrouvée permettraient aussi de reconquérir un poids institutionnel. Les diplomates ont invité d'autres Etats pour bâtir une Europe des Six qui restait dans le domaine du raisonnable. Ont été ajoutés ensuite d'autres partenaires, au début pour des raisons économiques, comme les Anglais, qui ont veillé à ce que cette union ne soit jamais autre chose que commerciale. Je comprends l'intérêt pour les différents Etats de l'UE à bien s'entendre sur le plan commercial et financier, mais cela ne forme pas pour autant un ensemble géopolitique cohérent.
Ce manque de cohérence pose-t-il pour autant un problème pour l'action ?
Evidemment, puisque des mesures élémentaires qui permettraient de bâtir un ensemble politique ne peuvent pas être prises. Face à la mondialisation qui entraîne des phénomènes de concurrence d'envergure planétaire, l'Europe est incapable de se défendre. Pour beaucoup de gens, il ne s'agit d'ailleurs pas d'un objectif. L'Allemagne, qui est en position de force pour ses exportations, refuse des mesures de protection qui risqueraient de pénaliser son activité internationale.
Je ne prône pas le démantèlement de l'Europe, comme certains le proposent, parce que cela entraînerait des conséquences financières considérables pour les pays qui ont adopté la monnaie unique. Mais je me rends compte que, face au poids nouveau des pays émergents ou émergés, comme la Chine, il ne faut pas envisager le problème de la cohésion européenne d'un point de vue sentimental, mais politique.
Il est curieux de noter que de nombreux pays veulent entrer dans l'Union européenne, alors que, dans les pays fondateurs, le ton monte contre l'Europe...
Quand on n'en fait pas partie, l'entrée dans l'Union est évidemment très avantageuse. On s'ouvre un marché pour ses produits, mais aussi pour sa main-d'oeuvre, et l'on acquiert un statut diplomatique, par exemple. Les Polonais ont été rassurés d'appartenir à l'Otan pour se prémunir contre un retour de l'impérialisme russe, mais ont tenu à devenir membres de l'Union européenne pour des raisons économiques.
Dans les pays fondateurs, en revanche, il y a beaucoup de déception à voir que la mise en place d'un vrai pouvoir politique n'a pas suivi les constructions économiques et financières.
Le conflit ukrainien s'est cristallisé sur l'entrée dans l'Europe et pose le problème de la place de la Russie sur le continent européen...
Les tensions ne sont pas nouvelles dans ce pays, dont la partie orientale est russe et dont la partie occidentale est ukrainienne. Dès le lendemain de la dislocation de l'Union soviétique et d'une indépendance guère réclamée, des risques de guerre sont apparus avec la Russie, on en a peu parlé. Le problème n'a pas changé, c'est celui de la Crimée. Elle appartient à l'Ukraine depuis 1954. Ses habitants sont en majorité russes et l'Ukraine ne la revendiquait pas, mais c'est Nikita Khrouchtchev, ukrainien d'origine, qui en avait décidé son rattachement.
Or la principale base navale russe est installée de longue date à Sébastopol, en Crimée, et offre notamment l'accès à la mer. Les Russes ne tiennent donc pas à ce que l'Ukraine entre dans l'Otan. Intégrer l'Union européenne, cela veut dire rejoindre l'Otan, un peu avant ou un peu après.
Quel est pour vous l'enjeu géopolitique majeur pour la Russie ?
L'Eurasie, en réponse à l'offensive de la Chine en Asie centrale. Avant 1991 et la fin de l'Union soviétique, Moscou pensait que ces territoires n'avaient pas beaucoup de valeur. Les publications officielles expliquaient que les réserves pétrolières de l'Azerbaïdjan étaient limitées. Mais quand les compagnies occidentales ont commencé à prospecter avec des moyens dont ne disposaient pas les Soviétiques, des gisements ont été découverts au Kazakhstan et au large de Bakou.
Les Russes se sont rassurés en pensant que l'exportation de ces produits vers l'Europe occidentale transiterait forcément par leur territoire. Mais ils n'ont pas mesuré l'extraordinaire rapidité de la poussée des Chinois vers l'Asie centrale. En deux ans, ils ont construit un oléoduc qui peut orienter les pétroles du Kazakhstan et de la Caspienne vers leur pays, avant que les Russes se rendent compte que leurs accords de coopération avec les Chinois ne leur sont guère utiles.
La Russie peut-elle tirer profit de ce que l'on appelle le réchauffement climatique ?
C'est l'un de ses atouts. Le dégel de toute la zone en bordure de l'Océan glacial arctique pose beaucoup de problèmes, comme l'ameublissement des couches de sous-sols gelés qui supportaient les bâtiments, les usines, les routes, ce qui provoque aujourd'hui leur effondrement. Mais l'atout est formidable pour la liaison maritime entre la Baltique et le Pacifique. L'exploitation de toute une série de gisements sera largement facilitée. Cependant, les bras pour en tirer profit ne seront pas faciles à trouver, car, démographiquement, la Russie est en voie d'appauvrissement, et les citoyens n'ont pas forcément envie d'aller travailler dans ces régions désolées.
Y a-t-il, avec ce réchauffement, un vrai risque de voir évoluer nombre de données géographiques au point de modifier des équilibres ?
On évoque souvent les conséquences de la montée du niveau des océans pour les atolls et les îles du Pacifique, mais cela ne concernerait qu'un nombre limité de terres, aux populations peu nombreuses. En cas de nécessité, des solutions seraient trouvées. Pour d'autres zones, en revanche, les conséquences peuvent être très graves. On peut redouter, par exemple, une aggravation de la sécheresse au Maghreb et au Moyen-Orient.
Ces régions connaissent déjà des problèmes d'alimentation en eau du fait de la durée des étés secs, le climat méditerranéen étant caractérisé par le fait que l'été est la saison sèche. Dans la zone tropicale, dans la zone des moussons, l'été est la saison des pluies. Le réchauffement climatique risque de prolonger la saison sèche. Pour répondre aux besoins en eau dans ces zones, l'une des principales solutions sera la désalinisation de l'eau de mer, avec pour effet d'amplifier encore la tendance au réchauffement de la planète.
Quel regard portez-vous sur la renaissance des nationalismes intérieurs, qui touche les pays de l'UE, de l'Ecosse à la Catalogne, en passant, en France, par le mouvement des "bonnets rouges" ?
Je pense que le discours sur l'Union européenne a fait considérer comme ringarde l'idée de nation, alors que c'était un concept fort de la géopolitique qu'il ne faut pas assimiler aux idéologies populistes. Il se réfère à des territoires, à des hommes et à des ambitions, sans que cela conduise forcément à des affrontements.
L'appartenance à une nation est une création intellectuelle, c'est l'idée que l'on a de composer un ensemble ou non, dont il faut ensuite trouver la cohérence. Certains territoires sont clairement définis par la géographie. Tous les Corses ne sont pas nationalistes, mais il n'y a pas de discussions pour savoir ce qu'est la Corse. De même pour l'Ecosse, où la question est de savoir où s'étend sa souveraineté maritime, avec l'enjeu pétrolier et gazier en mer du Nord. Le nationalisme catalan est très tardif. Il renaît au XIXe siècle avec le rétablissement de la royauté en Espagne, après la fin des guerres napoléoniennes.
Mais, aujourd'hui, le projet d'indépendance d'une grande Catalogne vue de Barcelone intègre des zones de culture catalane comme les Baléares ou la région de Valence, qui ne veulent pas en dépendre. En Bretagne, le mouvement des "bonnets rouges", par exemple, reflète une action régionaliste, mais la définition même de leur Bretagne est floue. Que font-ils de Nantes, dont ils souhaitent le rattachement à la région bretonne ? Quelle sera la capitale de la région, Rennes ou Nantes ?
A quoi sert la géopolitique aujourd'hui ?
Amener les citoyens à raisonner en termes de géopolitique est leur donner un moyen de ne pas se faire imposer des décisions. La géopolitique impose la démonstration: celui qui veut prouver à d'autres la valeur de son projet pour de multiples raisons, historique, linguistique, religieuse, doit établir la logique.
Longtemps, la géopolitique a été dénoncée comme un outil qui avait permis à Hitler d'entraîner le monde vers la catastrophe, au nom d'un grand destin politico-territorial. Lorsque j'ai créé la première revue de géopolitique, en 1976, je l'ai appelée Hérodote, parce que cet historien grec a été le premier à mener un raisonnement historique et géographique pour analyser les deux premiers conflits entre les Perses et les Grecs et éviter qu'un troisième ne soit fatal à ces derniers.
Cette forme de compréhension de l'espace et du temps peut-elle jouer un rôle direct dans la vie du citoyen ?
Prenez l'exemple du projet du Grand Paris. Il s'agit de constituer un ensemble réunissant autour de la ville capitale les 13 millions d'habitants de la région parisienne, dont les échanges sont quotidiens. Autour de cette idée géopolitique d'une nouvelle organisation de l'espace se posent la question des rivalités de pouvoir entre les élus et celle du partage des richesses. Le département des Hauts-de-Seine ne tient à dépendre ni d'un pouvoir central parisien, ni d'un département moins riche comme la Seine-Saint-Denis, d'autant plus qu'il n'y a pas un vrai sentiment francilien d'appartenance à une unicité territoriale.
Un regard géopolitique sur cette ambition géographique nourrirait les discussions entre citoyens, en permettant d'exprimer et de comprendre les rivalités de pouvoir entre des hommes politiques de différentes sensibilités ou défendant les intérêts de tel ou tel quartier, de tel ou tel corps social. Les citoyens tentent de mieux analyser ce qui se passe tout près de chez eux, dans le cadre de la démocratie locale.
Source : L'express : http://www.lexpress.fr/actualite/monde/yves-lacoste-la-nation-ce-concept-geopolitique-fort-n-est-pas-d-essence-populiste_1504212.html
Biographie : http://fr.wikipedia.org/wiki/Yves_Lacoste
http://www.voxnr.com/cc/di_antiamerique/EFAyuAlApEKStOaLBb.shtml -
Rencontre avec Martial Bild, directeur de la rédaction de TVLibertes
Martial Bild est avant tout un militant. Entré très jeune au Front national, il en a gravi les principaux échelons jusqu'à en devenir, notamment, le directeur de la communication. En 2008, c'est sous les couleurs du Parti de la France, avec Cari Lang, qu'il continue cette aventure.
Mais, comme le laissait supposer certaines de ses fonctions, Martial Bild est aussi un homme de communication. Après Français d'abord, le mensuel aujourd'hui disparu du FN, dont il assura la direction de la rédaction, Radio Courtoisie, dont il anime un « Libre journal » c'est aujourd'hui TVLibertes, dont il a pris les rênes de la rédaction.
Comment est né TVLibertes ?
C'est au départ le pari un peu fou d'un homme, Philippe Milliau, et de quelques amis : créer une véritable télévision qui se fasse le défenseur de l'esprit français, de la culture et des traditions françaises et européennes.
C'était aussi l'idée de redonner la parole aux Français.
Comme par exemple, à ces millions de Français qui sont descendus dans la rue en 2013 pour dénoncer le « mariage » homosexuel et dont le beau et juste combat a été trop souvent minimisé, moqué, voire vilipendé par la presse audiovisuelle traditionnelle.
TVLibertes est un projet qui constitue une véritable révolution dans le paysage médiatique français dominé par des chaines ou des programmes télévisés interchangeables. C'est le remède aux poisons que sont l'idéologie dominante, la bien-pensance, l'ironie et le cynisme, le mépris et l'arrogance, la malhonnêteté et la propagande.
Et quand on sait que toute cette propagande anti-chrétienne ou anti-française qui se déverse est en partie financée par la redevance télévisuelle que l'on nous oblige à payer, on se dit qu'un don volontaire à TVLibertes, ce n'est pas cher payer pour voir ses idées, ses convictions, défendues avec vigueur et dans une démarche non partisane.
D'autres média non-conformistes faisaient déjà un bon travail ?
Grâce à Dieu, TVLibertes ne nait pas dans le désert. Il y a évidemment une presse écrite ou radiophonique qui mène, souvent depuis longtemps, un travail indispensable de réinformation. Il y a des média alternatifs, blogs et sites web, qui fonctionnent avec brio dans le même sens. Il n'est cependant pas faux d'affirmer que TVLibertes correspond à une autre dimension, une autre démarche.
Nous avons, d'ores et déjà, une dizaine d'émissions par semaine. Nous nous sommes donné les moyens de présenter un vrai journal quotidien, avec des équipes de journalistes professionnels sur le terrain qui filment mais aussi enquêtent, approfondissent des sujets. C'est ainsi que TVLibertes avait deux équipes pour suivre La Marche pour la Vie, la Manif pour tous, Jour de Colère ou le rassemblement anti-Femen.
Vous êtes entouré de journalistes jeunes ?
De journalistes et de techniciens ! La petite direction de notre télé connectée bénéficie de l'apport de jeunes professionnels enthousiastes qui se démultiplient et font souvent des miracles avec des moyens ridicules au regard des chaînes classiques. Nous étoffons actuellement la rédaction avec l'arrivée de consultants. C'est ainsi, par exemple, que nous avions un reporter à Kiev pendant les événements de la place Maïdan. Notre prochaine étape sera d'installer des correspondants locaux dans toutes les grandes villes de France. Nous avons commencé avec Nantes et Rennes et ce réseau sera rapidement en place pour nous permettre d'avoir de nombreuses informations locales ou de proximité.
TVLibertes a aussi lancé des magazines ?
Nous avons fait le choix de lancer nos programmes le 30 janvier dernier puis de monter en puissance, semaine après semaine, en tenant compte de l'avis de nos téléspectateurs.
Les premiers magazines qui sont apparus ont reçu un accueil vraiment très prometteur. Je pense tout particulièrement à l'émission d'histoire menée par Philippe Conrad, à « Perles de culture » dirigée par Anne Brassié et Maxime Gabriel, à l'émission sur le cinéma animée par Arnaud Guyot-Jeannin ou à I-Media avec Jean-Yves Le Gallou.
Les prochains magazines seront consacrés à l'économie, à l'artisanat, à la musique, à la religion... De nouvelles personnalités vont nous rejoindre comme Robert Ménard, Paul-Marie Couteaux, Aymeric Chauprade, Guillaume de Thieulloy, Daniel Hamiche et beaucoup d'autres. Nous aboutirons rapidement à trois heures d'émissions quotidiennes, avec plus de débats et plus d'interactivité et des soirées spéciales comme la commémoration de la bravoure de nos soldats en Indochine avec Jean Luciani et Roger Holeindre.
On n'a pas encore évoqué la question de savoir où regarder TVLibertes ?
Rien de plus simple. Il suffit de se rendre sur le site internet www.tvlibertes.com. Et cela, je le précise, en attendant de bénéficier des mêmes canaux de distribution que les autres télévisions.
Pour l'instant, on peut donc regarder le programme en direct ou en rediffusion à partir de son poste de télévision récent ou connecté. Sinon, l'ordinateur personnel est l'option la plus simple. La solution la plus confortable étant de disposer d'une tablette numérique tactile ou d'un téléphone intelligent (smartphone).
Vous êtes totalement, à titre personnel, impliqué dans ce projet ?
On ne s'engage pas dans une telle aventure sans y consacrer 100 % de son énergie. On pourrait en dire tout autant du directeur de la production Arnaud Soyez qui partage avec moi et les techniciens cette expérience que je considère comme une chance ou une grâce pour promouvoir nos idées et nos valeurs de civilisation attaquées comme jamais auparavant.
Si les téléspectateurs nous restent fidèles et s'ils nous apportent aide et soutien, parce qu'il est vrai nous n'avons pas l'argent de la redevance ou des grands groupes industriels, on n'a pas fini d'entendre parler de TVLibertes.
Propos recueillis par Monde & Vie
TVLibertes, BP 435,94 271 Le Kremlin-Bicêtre Cedex. Tél.: 01 43 90 51 30. www.tvlibertes.com
monde & vie 18 mars 2014 -
La mythologie du progrès repose sur l’idolâtrie du nouveau…
Entretien avec Alain de Benoist, entretien réalisé par Nicolas Gauthier.
À chaque élection, les hommes de gauche prétendent rassembler les « forces de progrès ». Mais un cancer peut, lui aussi, progresser ! Le progrès serait-il une fin en soi ?
Les malheureux ne savent même plus de quoi ils parlent ! Historiquement, l’idée de progrès se formule autour de 1680, avant de se préciser au siècle suivant chez des hommes comme Turgot ou Condorcet. Le progrès se définit alors comme un processus accumulant des étapes, dont la plus récente est toujours jugée préférable et meilleure, c’est-à-dire qualitativement supérieure à celle qui l’a précédée. Cette définition comprend un élément descriptif (un changement intervient dans une direction donnée) et un élément axiologique (cette progression est interprétée comme une amélioration). Il s’agit donc d’un changement orienté, et orienté vers le mieux, à la fois nécessaire (on n’arrête pas le progrès) et irréversible (il n’y a pas de retour en arrière possible). L’amélioration étant inéluctable, il s’en déduit que demain sera toujours meilleur.
Pour les hommes des Lumières, étant donné que l’homme agira à l’avenir de façon toujours plus « éclairée », la raison se perfectionnera et l’humanité deviendra elle-même moralement meilleure. Le progrès, loin de n’affecter que le cadre extérieur de l’existence, transformera donc l’homme lui-même. C’est ce que Condorcet exprime en ces termes : « La masse totale du genre humain marche toujours à une perfection plus grande. »
Lire la suite -
Accord de libre échange transatlantique : les Européens ont la mémoire et la vue courte en croyant aux promesses d’amitié d’Obama
Obama se rend en Belgique pour un discours sur les relations transatlantiques, dont le traité est de plus en plus critiqué. Et pour cause : il est loin d’assurer une vraie protection et l’Europe a davantage tendance à être lésée.
ALENA : Accord de libre échange nord-américain. Ce traité, devenant pour l’Europe le TTIP (Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement) dont il est le laboratoire, est entré en vigueur le 1er janvier 1994. Il a créé une zone de libre-échange entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique et a notablement favorisé les exportations canadiennes et mexicaines vers les Etats-Unis, mais la crise économique 2008-2010 les ont fait chuter. Confronté à l’opposition de groupes altermondialistes, ALENA a fait l’objet de nombreuses critiques : dépendance économique du Mexique vis-à-vis des Etats-Unis, agriculture dévastée, effets négatifs des envois de fonds, délocalisations d’emplois…
Elargir ce type de traité à l’Europe soulève plusieurs questions auxquelles Christian Harbulot répond ci-après dans un article publié par Atlantico.fr et qui nous est communiqué par un de nos correspondants.
Polémia
Atlantico : Barack Obama passera la journée du 26 mars en Belgique, à l’occasion d’une rencontre politique avec l’Union européenne. L’unique discours que devrait donner le Président américain concerne les relations transatlantiques. Le traité transatlantique est supposé induire une harmonisation progressive des normes en vigueurs, mais fait l’objet de vives critiques. Pourquoi ? Dans quelle mesure peut-il représenter un danger pour l’Europe ?
Christian Harbulot : Le traité transatlantique représente un danger pour l’Europe, dans la mesure où le système qui est appliqué dans le cadre de l’ALENA (qui peut apparaitre comme un laboratoire qui sera transposé ensuite dans le cadre européen) est un système qui, de fait, favorise les Etats-Unis. Pour des raisons tant juridiques et financières que normatives. Il faut comprendre que les Etats-Unis se sont préparés à ce type de système et qu’ils sont dominants dans l’application de ces trois types de sujets. Arrêtons-nous un instant sur cet aspect juridique, dont on parle malheureusement trop peu. Il y a là une dimension stratégique du droit, qui s’explique par la taille critique prise par les cabinets anglo-saxons. En France, en 30 ans, ces cabinets sont passés de 15% à plus de 80% des parts de marché. Ces cabinets ont une attitude qu’on peut qualifier d’ambigüe, en cela qu’ils ont une attitude particulièrement critique face aux mesures protectionnistes, voire défensives, que pourraient prendre un pays comme la France (on l’a vu dans le cadre des OPA de l’affaire Florange), tandis que ces mêmes cabinets ne formulent aucune critique à l’égard de mesures similaires, si pas plus protectionnistes encore quand elles ont lieu aux Etats-Unis. Cette ambiguïté est parfois traduit comme une forme d’hypocrisie par certains.
Prenons aussi l’exemple du tribunal arbitral, présenté comme un risque un peu générique et qui devraient profiter plus aux entreprises qu’à l’intérêt général. Dans les faits, le problème est plus compliqué et ne se limite pas au simple problème entreprise-état. Quand on a bien étudié le fonctionnement de l’ALENA, on réalise que les Etats-Unis font jouer cette masse critique, qu’ils ont bâtie pour défendre leurs intérêts. Autant ceux de firmes multinationales que ceux du système Nord-Américain, au dépend de celui des autres, comme dans le cas du Canada et du Mexique. Il faut craindre une organisation semblable des rapports entre les Etats-Unis et l’Europe.
Nous Français avons pris l’habitude, en termes de défense des intérêts français, de nous focaliser sur certains dossiers, comme celui de la politique agricole commune. Parce que nous nous focalisons sur ces dossiers, nous en abandonnons d’autres, et pire encore, nous n’anticipons pas sur les dossiers majeurs. Quelle anticipation sur ce monde immatériel, en émergence ? Aucune. Pour la première fois de l’histoire de l’humanité, on va travailler non plus sur un mais sur deux mondes. Il y a les enjeux de l’économie numérique, de celle de la connaissance. Pour l’heure, il y a un déficit très fort de définition de la stratégie qu’un état comme la France devrait avoir, d’abord pour la France et ensuite au sein du débat européen. C’est là que se situe le déficit, dans le sens où les Etats-Unis ont déjà noué certains contacts dans les zones privilégiées (nord de l’Europe, certains pays de l’Est), qui visent à asseoir leur influence. Il n’y a pas nécessairement harmonie, ou même similitude d’intérêt au sein de l’Union Européenne.
Face à ce danger, comment réagissent les états membres ? Finalement, à qui la faute ? S’agit-il des Etats-Unis qui ne jouent pas franc-jeu, ou bien des membres de l’UE qui n’ont pas de vision politique et stratégique suffisante ? Comment est-ce que cela peut profiter aux USA ?
Il y a effectivement un double langage du côté des Etats-Unis. D’une part, pour faciliter ce marché transatlantique, ils souhaitent effectivement plus de liens et des liens plus ouverts. D’autre part, ils ne veulent pas perdre leurs avantages acquis ; comme le small business act qui ne rejoindra certainement pas la corbeille de la mariée. Ils feront très attention à préserver un certain nombre de dispositions, qui sont en fait de nature protectionniste.
Dans le même temps, le problème vient également du fait que nous n’avons pas une position unitaire, en Europe. Chacun va défendre ses propres intérêts et on voit bien certaines divergences qui affectent certains états. La question se pose : comment négocier avec un état qui, lui, a une vision unitaire comme les Etats-Unis, alors qu’en face, nous arrivons en ordre dispersé ? Il n’est pas possible de négocier à part égale, et dès lors il n’est pas non plus possible de tirer notre épingle du jeu.
Une des questions vitales, c’est de se mobiliser à la hauteur des enjeux. La gouvernance internet est un enjeu stratégique, pas un débat technique. Je crains que, pour l’instant, notre ministre des affaires étrangères n’ait pas pris la mesure de cet enjeu stratégique. Si Laurent Fabius en prend la mesure, il doit se rendre à Ryo, en personne. Et s’il s’y rend, il faut qu’il dise des choses pertinentes : sur cette question, cela signifie que l’Europe et la France doivent tenir compte des contrecoups de l’affaire Snowden et défendre une position face aux Etats-Unis qui ne soit pas une position suiviste. L’Europe doit récupérer son autonomie stratégique.
Les Etats-Unis ont tout intérêt à signer un traité qui soit le plus linéaire possible, soit un traité qui ne fasse ressortir que des questions d’ordre technique. Un traité transatlantique dans lequel on aborde des questions d’ordre stratégique sous l’angle technique entrainerait un déséquilibre favorable aux USA. Il est clair que nous perdrions du terrain, et pas seulement en termes de marchés : sur des questions essentielles comme la définition de l’intérêt général, ou de rapport aux modes de vies. Nous n’avons pas du tout la même approche que les Etats-Unis sur le rapport entre l’agroalimentaire et la santé publique. Il y a en Europe des critères différents. Ça n’est pas pour autant le type de contradiction qu’on pourrait faire ressortir lors des négociations. Il est même possible, via l’approche technique, qu’on cherche à les lisser, de façon à pouvoir faire passer ces différences comme de simples approches normatives différentes.
Qu’en est-il des protections annoncées dans le traité ? Barack Obama se fait-il véritablement le blanc chevalier protecteur des marchés et de l’échange Européen ? Le constat brossé est résolument sombre, mais n’avons-nous rien à y gagner ?
La seule chose que nous avons à gagner à cette entente, c’est une alliance entre Etats-Unis et Europe, face à la Chine. Et sur ce terrain-là, les USA ont compris qu’ils avaient besoin d’un traité transatlantique pour ne pas être laminés par la Chine. Il faudra donc être attentif à ce qui sera négocié, puisque le véritable enjeu se porte contre la menace économique que représente la Chine. Là, effectivement, on peut gagner un certain nombre de choses. Il est très important d’imposer à la Chine des règles qu’elle ne respecte pas forcément. Il n’est pas normal que la Chine continue à laisser contrefaire des produits comme les médicaments (avec tous les risques qui y sont inhérents), ou la contrefaçon de marques de luxe. C’est une nécessité absolue que de les obliger à respecter ces principes. Ce traité pourrait nous aider à, au moins, les amener à un autre type de rapport de force que celui qui prévaut en ce moment.
Quels sont les moyens dont nous disposons aujourd’hui pour nous protéger de ce traité ? Et, à termes, qui va devoir en payer les frais ?
Une des manières de ne pas être pénalisé par ce traité sommeille dans les forces de la société civile, qui doivent jouer un rôle de lanceur d’alerte. Pas comme les ONG type Greenpeace : il faut que la société civile s’exprime sur des problématiques où elle est légitime. Dans l’économie de la connaissance, sur les normes éducatives… Il est vital que nous ne soyons pas aussi démunis qu’aujourd’hui. L’Europe doit pouvoir défendre des intérêts précis : la CNIL ne suffit pas face à ce genre d’enjeu. L’Europe devrait développer son propre réseau internet. Il faut s’emparer de ce sujet du monde immatériel, comme on a pu le faire à propos des voies maritimes par le passé. C’est aussi important, et pour l’instant nous n’y avons pas accès. Au travers des sociétés civiles, on pourra passer outre le déficit des politiques et des entreprises pour rendre les états légitimes à porter ces sujets.
Il est évident, également, qu’une Europe incapable de faire en sorte qu’il y ait un changement nous coûtera cher à nous, contribuable. Qu’il s’agisse de l’éducation de nos enfants, de la notion d’e-commerce ou même d’échange marchands dans ce monde immatériel. Si nous ne réfléchissons pas à ça, c’est notre indépendance qui est mis en danger.
Christian Harbulot, 26/03/2014
Source : Atlantico.fr
Christian Harbulot est historien, politologue et expert international en intelligence économique. Directeur associé du cabinet Spin Partners, il est également directeur de l’Ecole de Guerre Economique, membre fondateur du nouvel Institut de l’intelligence économique. Il est l’auteur de La guerre économique (PUF, Que sais-je ?, 2010).Correspondance Polémia – 30/03/2014
http://www.polemia.com/accord-de-libre-echange-transatlantique-les-europeens-ont-la-memoire-et-la-vue-courte-en-croyant-aux-promesses-damitie-dobama/ -
Le nouveau capitalisme criminel
Entretien avec Jean-François Gayraud réalisé par Pierre Verluise
Jean-François Gayraud est haut fonctionnaire de la police nationale. Il a publié Le nouveau capitalisme criminel, Le Monde des mafias. Géopolitique du crime organisé, Showbiz, people et corruption, La Grande Fraude. Crime, subprimes et crises financières et Géo-stratégie du crime (avec François Thual). P. Verluise est Directeur du Diploweb.com.
Géopolitique du capitalisme criminel. Le Commissaire divisionnaire Jean-François Gayraud vient de publier un ouvrage remarquable : "Le nouveau capitalisme criminel. Crises financières, narcobanques, trading de haute fréquence", aux éditions Odile Jacob. Il répond aux questions de Pierre Verluise, Directeur du Diploweb.com.
Pierre Verluise : Quelle est la part de la criminalité dans la crise financière de 2007-2008 ?
Jean-François Gayraud : Pour comprendre ce qui s’est produit en 2008 avec la crise des subprimes, il faut d’abord diagnostiquer le contexte global. Quel est-il ? Le capitalisme s’est profondément ré-agencé à partir des années 1980, aux Etats-Unis et ailleurs, à partir d’une doxa néo libérale. Le nouveau visage du capitalisme comporte depuis des dynamiques et des vulnérabilités aux comportements criminels particulièrement fortes. Ce capitalisme est devenu excessivement dérégulé, mondialisé et financiarisé. Ces trois caractéristiques font que ce capitalisme est désormais criminogène : il recèle des incitations et des opportunités aux fraudes d’une intensité nouvelle. La crise financière s’est déclenchée aux Etats-Unis à partir d’un petit secteur financier : le marché de l’immobilier hypothécaire. La bulle immobilière fut en partie gonflée par des pratiques de crédit totalement frauduleuses ; des centaines de milliers de prêts furent perclus d’infractions toutes simples : faux en écriture, abus de confiance, escroqueries, abus de faiblesse, etc. Par le biais du mécanisme de la titrisation et d’agences de notation complaisantes ou franchement malhonnêtes, ces fraudes se sont retrouvées dans les fameux « produits financiers innovants » vendus sans devoir de précaution et de conseil sur les marchés à Wall Street. La bulle boursière s’est ainsi à son tour formée à partir de véritables fraudes. C’est pourquoi la crise des subprimes peut être rebaptisée sans exagération de crise des subcrimes . L’analyse criminologique que je propose ne relève donc pas de la métaphore facile par laquelle « fraude » serait simplement le synonyme de « prédation ». Il s’agit de vrais crimes, mais qui n’ont pas reçu de décantations judiciaires sérieuses ! D’ailleurs, le rapport de la grande commission d’enquête du Sénat des Etats-Unis (FCIC) qui est venu ensuite autopsier cette crise utilise le mot « fraude » 147 fois ! Est-ce vraiment un hasard ? J’ai analysé la crise des subprimes sous cet éclairage criminologique dans La grande fraude (Odile Jacob) en 2011. Et je me livre dans Le nouveau capitalisme criminel (Odile Jacob, 2014) à un exercice similaire pour d’autres crises financières issues de la dérégulation : Japon, Mexique, Albanie, etc.
Pierre Verluise : Votre approche est innovante, me semble t-il ?
Jean-François Gayraud : Je tente depuis ces dernières années de donner corps à une véritable « géopolitique et géo économie du crime ». Je souhaite que la criminologie sorte d’une certaine torpeur, d’un certain vase clos, afin qu’elle prenne le grand air de la modernité et des grands espaces de la mondialisation. Le crime est désormais une réalité centrale de la modernité et non une marge folklorique. Dans Le nouveau capitalisme criminel, j’entreprends à nouveau d’éclairer des phénomènes de niveau macro économique, en l’occurrence ici des crises financières, avec la lumière criminologique. Je ne sous estime pas combien une telle entreprise peut se heurter à de multiples objections, en particulier en France où la réflexion sur le crime est monopolisée par une sociologie criminelle misérabiliste, obsédée par la « culture de l’excuse » et qui ne sait même plus lever la tête pour s’intéresser aux crimes élitistes : ceux des élites légales mais aussi ceux des élites du crime. Les cloisonnements disciplinaires traditionnels dans les milieux académiques et un positivisme un peu étroit consubstantiel à la pensée économique font que le crime est rarement invité dans la réflexion globale. C’est à mon sens un oubli mortifère car on s’interdit de porter un diagnostic juste sur certaines pathologies issues de la modernité post guerre froide.
Pierre Verluise : Depuis la crise, la régulation a-t-elle vraiment progressé ?
Jean-François Gayraud : Non. Toutes les lois votées sont purement cosmétiques. Elles n’ont pas su ou pas pu toucher à l’architecture et à l’économie du système financier international, en particulier dans ce qu’il a de plus déviant et criminogène.
Les modifications apportées ne relèvent pas du changement de cap. Les législateurs européens et américains se sont contentés de rajouter des canots de sauvetage autour du Titanic. Canots qui bien évidemment ne profiteront qu’aux premières classes lors de la prochaine crises financière. Ce qu’il faut comprendre, c’est que, d’une certaine manière, il n’y a jamais de « crise financière » stricto sensu ; il n’y a que des crises politiques : il faut en effet interroger les dispositifs normatifs et les politiques publiques qui en amont mettent en place des systèmes aussi dérégulés et criminogènes. Et à ce stade du raisonnement il convient alors de comprendre comment sont votées les lois de dérégulation et comment se font les élections ? D’où vient l’argent des campagnes électorales et quel est le poids du lobby de la finance ? Les principes mortifères issus du fameux « consensus de Washington » ne tombent pas de la planète Mars ! La finance impose désormais un rapport de force – feutré en apparence mais violent en coulisse - aux pouvoirs politiques contemporains. Nombre d’Etats sont littéralement « capturés » par les puissances financières. Et ce phénomène ne touche pas que les seuls « paradis fiscaux et bancaires » ! Le phénomène est central aux Etats-Unis. Par exemple, qui est le premier employeur en France des inspecteurs des finances ? Bercy ou les quatre grandes banques universelles qui font habituellement notre fierté ? Cela crée sans nul doute possible, de manière mécanique, de subtiles convergences de vues aux conséquences profondes....
Pierre Verluise : Pourquoi le trading de haute fréquence pourrait-il provoquer de nouveaux effondrements partiels ou systémiques ?
Jean-François Gayraud : Sans débat public, à bas bruit, les marchés financiers fonctionnent depuis une vingtaine d’années autour d’ordinateurs et d’algorithmes surpuissants, dans un monde plus proche des romans de Philipp K. Dick que des récits balzaciens. A la très grande vitesse de la nanoseconde, des centaines de milliers de transactions irriguent en continu les plate formes boursières dispersées sur toute la planète. Or cette équation "très grands volumes" et "très grande vitesse" produit de l’invisibilité sur les marchés ; une invisibilité telle que les régulateurs en charge de la police des marchés sont devenus quasi aveugles. Le THF n’est pas qu’un outil ; ou plus précisément, comme tous les outils, il n’est pas neutre. Comme toute technique, quelqu’en soit l’utilisation bonne ou mauvaise, elle transforme profondément tant l’architecture que le fonctionnement des marchés financier contemporains. Les très grandes banques et les fonds spéculatifs, qui sont les acteurs centraux du "THF", expliquent que cette technique est utile et saine. On ne peut que douter, me semble t-il, de l’utilité sociale de cet outil, mais c’est un débat macro-économique hors de mon coeur de sujet. En revanche, le "THF" pose trois séries de problèmes relevant clairement de la sécurité nationale. Et ces trois questionnements ne sont jamais exposés. D’abord, l’outil du "THF" ne peut que développer les fraudes financières à grande échelle : leur invisibilité matérielle et intellectuelle risque en effet d’être un encouragement permanent aux mauvaises pratiques et pour les mauvais acteurs. Ensuite, pour sortir du cadre pénal, on peut s’interroger sur l’économie même de cette technique : n’a-t-on pas légalisé le délit d’initié, encouragé la concurrence déloyale et institutionnalisé la spéculation criminelle ? Enfin, on sait que les marchés financiers fonctionnant avec le "THF" subissent des tensions constantes ; déjà, des effondrements se produisent régulièrement : parviendra-t-on à contenir les suivants ?
Pierre Verluise : Pourquoi, à ce jour, la lutte contre l’argent sale reste-t-elle un échec flagrant ?
Jean-François Gayraud : Les Etats ne parviennent à capter que moins de 1% de l’argent sale. Pourquoi ne le dit-on pas ? Pourquoi une telle omerta ? J’essaye de détailler les causes profondes, structurelles, de cet échec, au delà des petites explications ponctuelles et techniciennes que l’on nous assène en général. Il y a me semble t-il trois raisons majeures que je ne vais ici qu’effleurer. L’une est temporelle et historique : ce combat est très récent ; il n’a vraiment pris une certaine consistance que depuis la fin des années 1990. La deuxième est plus géopolitique : l’existence de dizaines d’Etats pirates à travers le monde, de type paradis fiscaux et bancaires, qui constituent autant de trous noirs permanents dans la raquette de la régulation et du contrôle. Enfin, il y a une causalité relevant du droit : nous autorisons ou laissons se développer les instruments juridico financiers d’opacification et d’anonymisation de la propriété du capital que sont par exemple les trusts et autres fiducies.
La question du blanchiment d’argent est centrale car l’argent recyclé dans l’économie légale permet au crime non seulement de jouir de ses profits mal acquis, mais surtout d’acquérir des parts de l’économie et de la finance légales ; et par conséquent de se doter face aux pouvoirs élus d’une position haute. Contrairement à ce que nous assène la doxa libérale dans sa version la plus fondamentaliste, l’argent du crime n’est jamais neutre : il est faux de considérer que Pecunia non olet. En se blanchissant d’un point de vue formel, en se légalisant, l’argent du crime vient griser voire noircir les institutions légales, quelles soient politique, économiques ou financières. C’est tout le biotope démocratique qui en est bouleversé. Ce qui semble se blanchir noircit en réalité notre monde légal. Ces transformations invisibles sont comme toujours les plus profondes et les plus durables, donc les plus dangereuses.
Source : Diploweb : http://www.diploweb.com/Le-nouveau-capitalisme-criminel.html
Jean-François Gayraud, Le nouveau capitalisme criminel. Crises financières, narcobanques, trading de haute fréquence, aux éditions Odile Jacob, 2014, 368 pages. ISBN : 9782738130723
Financiarisé, mondialisé et dérégulé à l’excès, le capitalisme n’est-il pas devenu criminogène, tant il offre désormais d’opportunités et d’incitations aux déviances frauduleuses ?
C’est ce qu’indique la dimension criminelle qu’ont prise certaines crises financières, au Japon, en Albanie, en Espagne ou encore au Mexique et en Colombie. C’est ce qu’implique l’extension du trading de haute fréquence, qui permet de négocier à la nanoseconde des milliers d’ordres de Bourse. Et c’est enfin ce qu’induit le blanchiment d’argent sale à travers les narcobanques.
Éclairant toujours plus profondément la géo-économie et la géopolitique du crime organisé, Jean-François Gayraud montre ici que, sur les marchés financiers, le crime est parfois si systématique qu’il en devient systémique dans ses effets. De curieuses coopérations et hybridations se nouent ainsi entre criminels en col blanc, gangsters traditionnels et hommes politiques corrompus.
Il s’interroge aussi sur le devenir de la finance : portée par sa seule volonté de puissance, par-delà le bien et le mal, n’est-elle pas en train de s’affranchir de la souveraineté des États ? Dès lors, face à des puissances financières aux arcanes si sombres, quelle liberté reste-t-il ?
Voir sur le site des éditions Odile Jacob : http://www.odilejacob.fr/
http://www.voxnr.com/cc/dt_autres/EFAyEuZyZVUhTjTUYd.shtml -
Isabelle des Antigones: « Les mois et les années à venir verront certainement une diversification progressive de nos actions »
On parle beaucoup des mouvements féministes et pourtant depuis un peu plus d’un an, un mouvement féminin, sortant du schéma habituel, a fait son apparition sous le nom des Antigones. Souvent discrédité par les grands médias traditionnels, il tente cependant de proposer une autre voie, basée sur la réflexion et l’action. Isabelle, une membre des Antigones, a bien voulu répondre à nos questions…
1) Antigones, c’est un nom original, pourquoi l’avoir choisi ?
Le nom d’Antigones a été choisi pour le symbole qu’il représente : l’héroïne de Sophocle incarne la résistance aux lois positives injustes, en vertu de lois non écrites qui renvoient à une transcendance, et dépassent les contingences de la vie politique d’un lieu et d’un jour. Aujourd’hui, nous nous élevons contre les dérives idéologiques de la vie politique occidentale – on peut penser par exemple aux différentes idéologies du genre, dans l’actualité récente – et souhaitons refonder les débats sur l’homme et la femme dans une anthropologie respectueuse de la nature, du passé et du sacré.
2) On vous oppose souvent aux Femen à qui vous avez déclaré la guerre, en quoi vous différenciez-vous ? Comptez-vous élargir votre champ d’action ?
Nous n’avons pas « déclaré la guerre » à Femen, mais notre rassemblement est parti en effet d’une confrontation avec ce groupuscule « sextrémiste ». Iseul Turan, l’initiatrice de notre rassemblement, avait été interpellée et choquée par les actions des Femen. Elle a voulu les comprendre de l’intérieur, les a infiltrées, et a été profondément choquée par les pratiques dont elle a été témoin, la façon dont les militantes étaient traitées, l’idéologie régnante et l’absence de réflexion. Antigones est en partie le fruit de cette expérience : Femen impose à ses membres une idéologie préexistante – nous n’avons pas d’idéologie toute faite, mais construisons ensemble, jour après jour, une réflexion qui se veut au plus près de la vérité. Femen impose son idéologie par la violence et par l’insulte – nous voulons agir dans le dialogue et le respect. Femen prône la guerre des sexes – nous voulons repenser la complémentarité entre l’homme et la femme. Femen profane tout ce qui est sacré – notre discours est ouvert sur le religieux et sur la sacralité. Femen détruit – nous construisons, nous tissons jour après jour nos réflexions, nous voulons élaborer des solutions concrètes et positives pour les femmes. On pourrait multiplier encore ces effets de symétrie inversée.
-
« Enquête sur la droite en France Flavien Bertran de Balanda : Se préoccuper du seul intérêt national hors de toute vision partisane »
Ecrivain, essayiste, journaliste, enseignant-chercheur (Centre de Recherches sur l'Histoire du XIXe siècle, Universités Paris l/Paris IV-Sorbonne), Flavien-Alexandre Bertran de Balanda de Falguière est spécialiste des idées contre-révolutionnaires, et en particulier de Louis de Bonald, à qui il a consacré plusieurs ouvrages et travaux (1).
Monde et Vie : Les notions politiques de gauche et de droite vous paraissent-elles encore avoir un sens aujourd'hui, ou sont-elles dépassées ? Se différencient-elles ?
Flavien Bertran de Balanda : Nous connaissons tous l'origine révolutionnaire de ces termes, liés à la géographie des députés de la Constituante. Ils ont donc été forgés dans un contexte précis, rapidement bouleversé, mais auquel ils ont survécu. Par ailleurs, on peut considérer qu'ils ne sont opérants que dans le cadre d'un régime parlementaire, où le principe de bipolarité est inévitable. Du reste, gauche et droite gardent s longtemps une définition assez simpliste, l'une est l'héritière de 89, l'autre demeure synonyme de monarchisme. C'est à la fin du XIXe siècle, avec la consolidation de la IIIe République qui suit l'épisode équivoque de l'« ordre moral » (Broglie, Mac-Mahon), que se crée une droite sinon franchement républicaine, du moins non monarchiste, avec l'échec du comte de Cham-bord et surtout l'apparition du nationalisme et des premières ligues.
Rappelons que la jeune Action Française n'était pas le moins du monde royaliste. Quant au bonapartisme, qui n'était depuis 1815 qu'une fidélité à l'Empereur mais ne se définit comme idéologie que sous le Second Empire, je ne le considère pas, contrairement à René Rémond, comme une « troisième droite » : son aspect autocratique est largement contrebalancé par ses composantes sociales et méritocratiques. La Libération, enfin, a contraint la droite à se redéfinir face au passé vichyssois, séparant d'un fossé infranchissable droite démocrate et droite dite « extrême », laquelle s'est à son tour recomposée avec la guerre d'Algérie en opposition au gaullisme.
Depuis la fin du règne mitterrandien, est apparu cependant dans l'opinion un scepticisme croissant quant à la pertinence du clivage binaire, lié à une méfiance envers un personnel politique de plus en plus perçu comme une caste d'énarques corrompus et complices, dont les divergences de façade masqueraient des intérêts et des réseaux de manipulation communs, image en permanence entretenue par une extrême gauche et une extrême droite minoritaires se présentant comme les seules véritables forces d'opposition au système. La solidarité électorale improvisée en 2002 suite aux résultats du premier tour a en quelque sorte confirmé cette idée.
Cependant, on peut se demander si la présidence de François Hollande n'a pas ravivé cette dichotomie un temps estompée en soulevant des problèmes de société qui devaient inévitablement susciter des prises de positions radicales en fonction de visions du monde opposées. Le débat sur le mariage homosexuel, qui s'élargit aujourd'hui à la question du genre, semble avoir opéré un clivage entre deux France. Mais, de façon inédite, ce dernier est né spontanément de l'opinion, et non de directives politiciennes.
Vous avez consacré plusieurs ouvrages à Louis de Bonald, qui fut sous la Restauration le principal théoricien du parti ultra et représentait le courant légitimiste que René Rémond, dans sa typologie d'ailleurs sommaire, classait parmi les trois grandes familles des droites, avec l'orléanisme et le bonapartisme. Que reste-t-il aujourd'hui du légitimisme ? Si affaibli soit-il, a-t-il laissé un héritage et des héritiers ?
Définir le légitimisme implique un choix intellectuel. Au sens strict, la fidélité à la branche aînée des Bourbons demeure une position politique très marginale et souvent dépourvue d'engagement militant, d'autant qu'un nombre croissant de légitimistes s'interrogent quant à la motivation de leur prétendant à prendre le trône. Dans un sens plus large inspiré de René Rémond, même si de nombreux historiens considèrent sa tripartition comme obsolète, il s'agirait davantage d'une posture intellectuelle héritée en effet de l’ultracisme né sous l'éphémère Chambre Introuvable. En ce cas, ce serait moins la droite nationale « officielle », ainsi que l'affirme Rémond, qui en serait l'héritière, qu'une nébuleuse plus vaste dont les mouvements ouvertement traditionalistes et contre-révolutionnaires ne sont qu'une composante.
Enfin, rappelons qu'historiquement le légitimisme au sens strict n'est pas intrinsèquement hé à la droite, contrairement à l'orléanisme, plus monolithique dans son conservatisme bourgeois ; par réaction contre les valeurs de la Monarchie de Juillet, les légitimistes d'alors ont pu avoir des préoccupations sociales marquées et des prises de position inattendues, en faveur par exemple du suffrage universel. Ce courant prendrait alors une nouvelle définition, celle du refus de l'ordre bourgeois au nom du primat de l'éthique, qui pourrait prendre un sens neuf dans un contexte de mondialisation et de consumérisme triomphant.
Ce courant légitimiste peut-il apporter sa pierre aujourd'hui à la reconstruction politique des droites, si tant est qu'elle soit possible et souhaitable ?
L'idée légitimiste part en effet d'une vision fédératrice du monarque, mais qui précisément, au nom d'une cohésion nationale retrouvée et du refus des querelles politiciennes, transcenderait et finalement abolirait les catégories de droite et de gauche. Le succès des conceptions dites de droite ne peut à mon sens se faire que si cette dernière opère un vaste travail de redéfinition identitaire, en cessant de se construire en réaction par rapport à la gauche (j'emploie le terme réaction à dessein, au sens propre comme au sens figuré) pour se préoccuper du seul intérêt national hors de toute vision partisane.
Par quoi remplacer la droite ?
Il faudrait d'abord savoir si la droite accepterait d'être remplacée, voire tout simplement de se remettre en question !
Propos recueillis par Eric Letty monde&vie du 18 mars 2014
1. Bonald, la Réaction en action, éditions Prolégomènes, 2009, 304 p. Réédition Champ d'Azur, 2010.
2. Louis de Bonald publiciste ultra, éditions Champ d'Azur, 2010,310 p.
3. L’Histoire par la Littérature, éditions Champ d'Azur, 2010,112 p.