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entretiens et videos - Page 868

  • Mgr Cattenoz : « Je ne vois pas comment un Gouvernement de gauche et franc-maçon pourrait nous être favorable » .

    Choqué par les récentes déclarations de Vincent Peillon, Monseigneur Cattenoz, l’archevêque d’Avignon, s’insurge en exclusivité sur Nouvelles de France contre « les attaques tous azimut » du ministre de l’Éducation nationale.

    Quelle est votre réaction suite à la polémique provoquée par les propos de Vincent Peillon sur l’enseignement privé ?

    Monsieur Peillon outrepasse ses droits. L’enseignement libre a parfaitement le droit d’organiser des débats. Et plus précisément, je tiens à faire remarquer que l’enseignement catholique a un « caractère propre » qui lui permet de dispenser une heure d’enseignement supplémentaire dans laquelle l’enseignement de l’Eglise peut être entendu.

    Vincent Peillon, à l’instar du Président dont il dépend, attaque tous azimut. C’est vraiment le comble quand on songe qu’il reproche à l’enseignement privé de pouvoir réaliser des débats sur le « mariage » homosexuel alors même que Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole du Gouvernement, vient faire la promotion du projet de loi et du mariage entre gays et lesbiennes dans les collèges public, ce qu’elle n’a pas le droit de faire. Il y a clairement deux poids, deux mesures. Par ailleurs, j’ai entendu dire que François Hollande désirerait un vote bloqué sur le projet de loi. Si la liberté des députés était bridée à ce point, cela poserait de vraies questions sur notre démocratie.

    Après les dérapages de Vincent Peillon, Cécile Duflot, Michèle Delaunay… certains parlent de « cathophobie » du Gouvernement… [...]

    La suite sur NdF

  • Heidegger : la parole à la défense

    Agrégé et docteur en philosophie, Maxence Caron a publié un livre monumental sur la pensée d'Heidegger, primé par l'Académie française (1).
    Il dénonce la querelle qui agite les universitaires français autour de l'œuvre du philosophe allemand.

    Le Choc du mois : À votre avis, pourquoi veut-t-on brûler Heidegger ?
    Maxence Caron : Heidegger sert aujourd'hui de prétexte à alimenter la pauvreté de nos mythologies référentielles : pour une époque qui pense en mode binaire et distribue ses faveurs selon une basique dualité de catégories, partageant le passé et le présent entre les bien-pensants et les sorcières, il est toujours rassurant de ne jamais regarder plus loin que le bout de son petit confort manichéen. De même que le bourgeois devait autrefois apprendre les bonnes manières, ne pas mettre son coude à table, ôter son chapeau devant une dame ou ne pas se commettre avec certains milieux nuisibles à son avancement, il faut aujourd'hui prouver par des jappements de circonstances qu'on ne fréquente pas certaines œuvres,
    Dans ce contexte, s'informer en profondeur n'est pas considéré comme un devoir, et une simple ingestion des nouveaux dictionnaires d'idées reçues suffit à la plupart pour parvenir à leur fin. Tocqueville nous avait prévenus dans La Démocratie en Amérique : l'ère des masses est celle des plaisirs faciles et de l'instruction sans travail.

    Que pensez- vous de cette polémique à rebondissements ?
    Je n'ai nullement l'intention d'entrer ici dans la sempiternelle polémique, c'est-à-dire de nier la réalité du bref engagement politique de Heidegger ou au contraire de l'en accabler avec toute l'assurance que donne la position facilement dédaigneuse de ceux qui, historiquement, sont de l'autre côté de la barrière, il est tout autant regrettable de se laisser déchoir au niveau du révisionnisme que de hurler avec les loups. Je rappellerai seulement quelques points très objectifs.
    D'une part, Heidegger évoque en 1938 « les pénibles ramassis de choses aussi insensées que les philosophies national-socialistes » (Chemins qui ne mènent nulle part, Gallimard, TEL, p 130). La pensée heideggerienne refuse par essence toute emprise du référentiel technologique contemporain sur les mentalités et déplore l'instrumentalisation de l'homme à des fins techniques ; elle remet en cause le concept de volonté de puissance ainsi que toute dérive biologique ou raciste dans l'interprétation de l'essence de l'homme, D'autre part, R. Safranski a montré dans sa biographie de Heidegger que ni le penseur ni l'homme n'était antisémite, ce qui est pourtant la condition sine qua non d'une appartenance théorique au national-socialisme. Il faut être aveugle ou n'y avoir rien compris pour ne pas voir que l'œuvre heideggerienne est le contraire du nazisme.
    Il y a là une triste évidence : s'entêter à faire subir des autodafés à l'oeuvre de Heidegger nous en apprend plus sur les pathologies de notre époque en quête de mythes fondateurs que sur le bouc émissaire qu'elle se choisit. On peut en tout cas lire, travailler et aimer la pensée de Heidegger sans crainte de se laisser sournoisement asperger de messages subliminaux nazis, de même qu'on peut lire, travailler et aimer l'œuvre de Platon sans crainte de devenir un rétrospectif suppôt du tyran de Syracuse.
    Propos recueillis par J, C. Le Choc du Mois février 2001
    (1) Heidegger. Pensée de l'être et origine de la subjectivité, Cerf, 2005, 1760 pages.

    Assez des épurateurs !

    Depuis quelques années, il est de bon ton d'initier des procès en sorcellerie à Martin Heidegger, Carl Schmitt voire Ernst Jünger, Sous prétexte qu'ils ont entretenu des liens plus ou moins ambigus avec le IIIe Reich, on ne devrait plus les lire ou même les éditer. Yves-Charles Zarka s'acharne ainsi sur Schmitt. Michel Vanoosthuyse sur Jünger et Emmanuel Faye sur Heidegger : Heureusement la riposte s'organise, notamment pour ce qui est de l'œuvre de ce dernier.
    Cette défense est d'abord le fruit de l'école française heideggérienne, longtemps animée par Jean Beaufret, destinataire de la célèbre Lettre sur l'humanisme. François Fédier, élève de Beaufret et traducteur du pourfendeur de la métaphysique, a réuni une dizaine de contributions sous le titre Heidegger à plus forte raison. Ce livre, accepté dans un premier temps par Gallimard, avant d'être refusé, vient de paraître chez Fayard,
    En réfutant le livre de Faye, Heidegger/l'introduction du nazisme dans la philosophie, en dénonçant les mensonges et les erreurs qu'il véhicule, les auteurs démontrent toute la distance existant entre la pensée d'Heidegger et le phénomène nazi. Que lui reproche-t-on en fait : de penser radicalement, d'affirmer que, depuis Platon, la philosophie occidentale a été celle de l'oubli de l'être ? Comme le dit Marcel Conche, Heidegger « est absolument exempt de ce qui est essentiel au national-socialisme : le racisme et l'antisémitisme ». François Fédier est tout aussi formel : « Il n'y a pas chez Heidegger de penchants pour le nazisme. »
    De jeunes philosophes sont également portés à la défense d'Heidegger. Ainsi Maxence Caron a publié sa thèse monumentale, portant sur l'ensemble de l'œuvre d'Heidegger, en insistant sur les correspondances poétiques de son ontologie (d'Höderlin à René Char en passant par Mallarmé). Il a également dirigé un Cahier d'histoire de la philosophie consacré à l'auteur d'Etre et temps (Cerf, 2006), On y trouvera notamment de remarquables articles de Rémy Brague, « la phénoménologie comme voie d'accès au monde grec », et de Jean-Louis Chrétien, « De l'espace au lieu dans la pensée de Heidegger ».
    De même le théologien Fabrice Hadjadj a défendu, dans les colonnes du Figaro littéraire du 18 janvier, l'intérêt de continuer à lire et à étudier Heidegger, saluant au passage le travail de Fédier et ses amis : « Le collectif lancé aujourd'hui en représailles accomplit une œuvre de salubrité. » Assez des épurateurs, et place aux philosophes !
    J. C. Le Choc du Mois février 2001

  • Warren Buffett a-t-il raison (“la lutte des classes existe et ce sont les riches qui sont en train de la gagner”) ?

    Le milliardaire américain Warren Buffett a déclaré il y a quelques années, non sans humour, qu’il existait “bel et bien une guerre des classes mais c’est ma classe, la classe des riches qui fait la guerre et c’est nous qui gagnons“.

    Alors que 1% des Américains accaparent 93% de l’augmentation des revenus, la part du profit des entreprises dans le PIB n’a jamais été aussi haute et celle des salaires n’a jamais été aussi basse. Dans un éditorial daté du 16 novembre 2012, publié sur Reuters, Robert Borosage, faisant référence aux arbitrages entre la taxation des hauts revenus et la réforme du système de santé aux États-Unis, estimait que “lorsque les fruits de la croissance ne sont pas partagés, il est normal que la demande de partager les sacrifices suscite des réactions de colère”.

    Pour lui, les élections présidentielles américaines de 2012 ont été emblématiques de la guerre des classes qui fait rage actuellement. Elles ont également été les premières élections lors desquelles la classe moyenne s’est rendue compte que le système n’était pas en sa faveur.

    [Entretien avec] Vincent de Gaulejac, professeur de sociologie à l’UFR de Sciences Sociales de l’Université Paris 7 Denis-Diderot (*).

    Atlantico : Colère des ouvriers, lynchage des élites exilées et dépression des classes moyennes. La France est-elle le théâtre d’une lutte des classes sans pareils précédents ?

    Vincent de Gaulejac : La lutte des classes n’a jamais disparu en France, et comme je l’avais théorisé il y a vingt ans, il me semble que la lutte des places a remplacé la lutte des classes qui ont éclaté. L’exemple de la classe ouvrière par exemple a éclaté en trois parties distinctes : les ouvriers qui sont sortis par le haut en devenant techniciens, les derniers bastions qui se sont maintenus et ceux qui ont sombré dans le chômage et l’exclusion.

    Il n’existe donc plus aucune solidarité de classe tant ces différentes populations sont socialement éloignées les unes des autres. Les ouvriers qui se sont insérés dans les classes moyennes et qui ont permis à leurs enfants d’accéder aux études supérieures sont entrés dans une logique d’individualisme, comme toute la société française, qui les a déliés de leur ancienne classe.

    La seule classe sociale qui s’est maintenue en l’état est la bourgeoisie bien que celle-ci ait à présent des visages plus divers. D’une part, il existe toujours la vieille bourgeoisie traditionnelle que l’on nomme caricaturalement “versaillaise” ou que l’on assimile à certains arrondissements de Paris. Et d’autre part, il existe ce que j’ai nommé “l’hyperbourgeoisie” qui est constituée de gens qui n’appartiennent pas initialement à cette classe mais qui ont été happés par les valeurs de la mondialisation et qui sont donc entrés dans la lutte des classes par les grandes écoles, le management, le sport ou les arts.

    Des gens comme Depardieu ou Tapie ne sont pas des héritiers ou des bourgeois, ils représentent une classe ayant des origines sociales diverses. Ils se sont hissés à une position dans laquelle ils retrouvent une solidarité de classe très étroite et d’entraide pour se maintenir les uns les autres au plus haut niveau. Malgré cette configuration issue des trente dernières années, le capital social, culturel et économique bourdieusien n’a pas disparu pour autant et continue de créer des inégalités naturelles d’accès à certaines ressources.

    Les promesses électorales, dont l’imposition massive des plus aisés, sur lesquelles le gouvernement a été élu et a déjà reculé ont-elles encouragé cet affrontement ?

    Cela n’a pas encouragé l’affrontement mais a encouragé le ressentiment, la défection et la frustration. Dans notre siècle, la lutte des classes a changé et il est davantage questions d’enjeux symboliques que d’enjeux d’affrontement et de mouvements sociaux. Le nouveau visage de la lutte des classes s’éloigne de celui que nous lui connaissions durant la période du capitalisme industriel entre patrons et ouvriers, bourgeois et prolétaires, ceux d’en haut et ceux d’en bas.

    Cette lutte n’est plus frontale, elle s’est déplacée du niveau social et au niveau psychologique. Cela s’illustre parfaitement dans les revendications liées aux conditions de travail, les travailleurs se battaient autrefois pour l’amélioration de leur condition matérielle alors qu’à présent ils le font pour des conditions psycho-sociales comme la reconnaissance du travail accompli ou la limitation du stress.

    Qui sont les véritables vainqueurs de cette lutte : les riches de plus en plus riches qu’évoque Warren Buffett ou les plus défavorisés dont les conditions se sont améliorées ?

    Déterminer un gagnant dans la lutte des classes impliquerait qu’elle soit terminée. Ce qui est certain c’est que l’écart entre les riches et les pauvres qui a diminué jusque dans les années 1980 est en train de s’accroître à nouveau et atteint un niveau exceptionnel. Pour autant, il n’est pas possible de dire que tous les riches sont les gagnants dans le monde mondialisé car même eux vivent une lutte des classes interne.

    Les riches qui profitent réellement de la globalisation et de ce qu’il reste de croissance économique sont ceux qui se sont déterritorialisés et ont mondialisé leurs ressources. Ce qui fait que des peuples comme les Grecs ou les Espagnols souffrent, c’est la territorialisation économique dont ils ne peuvent, par nature, pas se débarrasser. Il n’y a que ceux qui ne sont plus liés à une terre qui peuvent continuer à gagner.

    Pour les couches les plus défavorisées de la société française, il me semble impossible de dire qu’elles sont les gagnantes de la lutte des classes. Malgré l’obstination de la France à maintenir son système de protection sociale, les personnes les plus exclues ont vu leur situation se dégrader.

    Comme l’avait mis en exergue le sociologue Robert Castel, l’individualisme développe deux types d’individus : l’individu par excès et l’individu par défaut. Ces deux concepts représentent parfaitement les deux populations que j’évoque. La fracture sociale existe toujours mais une analyse approfondie nous montre qu’elle est composée de multiples petites fractures qui composent et renforcent la grande.

    Les classes moyennes sont-elles les seules et les grandes perdantes de cet affrontement ?

    Globalement, le niveau de vie des classes moyennes s’est amélioré depuis trente ans et même si cela ralentit à cause de la crise, elles n’ont jamais eu à ce point accès à la propriété et aux études supérieures. Bien qu’objectivement leur situation soit meilleure, il est certain que les classes moyennes ont perdu sur le plan de la symbolique. Leur statut social n’a plus le prestige qu’il a pu avoir par le passé et même si leurs conditions de travail sont meilleures, elles sont paradoxalement perçues comme détériorées : pression, compétition au sein de l’entreprise, pression patronale, alourdissement de la charge psychique, etc…

    La lutte des classes existe-t-elle dans les autres pays d’occident comme en France ? Qu’en est-il des économies émergentes ?

    De toute évidence, la lutte des classes existe dans de nombreux pays d’Occident comme le Royaume-Uni qui se défend pourtant farouchement d’avoir un régime similaire à celui de la France. Cette lutte existe également dans les faits aux Etats-Unis bien que dans ce pays le langage et les concepts liés à la lutte des classes sont peu usités. Cela est lié au fait que les Etats-Unis n’ont pas connu la révolution communo-socialiste de l’Europe et que la lutte individuelle a toujours pris le pas sur la solidarité de classes.

    Dans un pays comme la Chine, la lutte des classes fait rage mais elle ne fait pas, et ne fera peut-être jamais, l’objet d’un affrontement comme cela a pu être le cas en Europe. Elle apparaît sous d’autres formes comme le suicide ou de timides revendications ouvrières qui sont tuées dans l’œuf.

    En Amérique du Sud, les différents régimes d’extrême droite puis d’extrême gauche on créé des situations diverses. Au Brésil, le phénomène Lula a permis d’améliorer profondément le sort des classes populaires et de les faire entrer dans une véritable logique d’intégration à la société. En Argentine, au contraire, la crise fait rebasculer dans la misère une partie de ceux qui s’en étaient fragilement extraits.

    ————

    (*) Il est l’auteur du livre Les sources de la honte (2011, Ed. Points Essais). Il a également publié Manifeste pour sortir du mal-être au travail avec Antoine Mercier (2012, Ed. Desclée de Brouwer), a co-écrit La lutte des places avec Isabel Taboada-Léonetti chez Desclée de Brouwer et a collaboré à De la lutte des classes à la lutte des places.

    Atlantico  http://fortune.fdesouche.com

  • Bruno Gollnisch : le Japon se redressera (arch 2011)

    M & V : Comment le Japon a-t-il pu connaître une catastrophe nucléaire d'une telle ampleur ?
    Bruno Gollnisch : Le Japon est et a toujours été un pays extrêmement fragile, fréquemment sujet aux famines et aux guerres civiles, qui n'ont cessé qu'avec l'avènement de la dynastie des Tokugawa au début du XVIIe siècle. Puis, à partir de la restauration de Meiji (1868) il s'est lancé dans une politique expansionniste qui n'a trouvé son terme qu'à Hiroshima et Nagasaki. Sa réussite économique tient à l'organisation méticuleuse, au sens du devoir, à l'intelligence, à la discipline du peuple japonais. Mais les problèmes de la société japonaise ne sont pas résolus pour autant. Le Japon est, à terme, fragilisé par sa structure démographique, parce que des décennies d'avortements, de dénatalité, et corrélativement l'augmentation du niveau de la vie et une hygiène de vie extrêmement saine, ont induit une prolongation de la durée de vie et une pyramide des âges qui repose maintenant sur son sommet au lieu de reposer sur sa base. En une génération, il va passer de 127 à 100 millions d'habitants, dont presque la moitié aura plus de 50 ans.
    Mais n'a-t-il pas les moyens humains, techniques, pour faire face à de pareilles crises ?
    La puissance japonaise, telle qu'elle avait pu apparaître dans les années 1960 avec un développement fantastique que rappelle aujourd'hui celui de la Chine, est en voie d'érosion à cause de ce problème démographique. Et sur le plan économique et stratégique, sa grande faiblesse a toujours été le manque de matières premières. On sait que le Japon ne pouvait manquer d'entrer en guerre à Pearl Harbour, car les États-Unis l'avaient soumis à un embargo pétrolier qui le contraignait soit à capituler devant les exigences américaines, soit à déclencher les hostilités. Du fait de cette faiblesse, les Japonais ont choisi le nucléaire ; le problème étant que les experts apprécient le risque des accidents, naturels ou autres, mais n'apprécient pas le risque du cumul d'accidents ; or on sait très bien que, généralement, c'est leur cumul fortuit qui provoque une catastrophe. Ainsi, à Fukushima, la centrale a résisté au tremblement de terre, mais n'a pas résisté au cumul du tremblement de terre et du tsunami. Cela étant, en Occident, nous sommes beaucoup plus sensibles à la question des radiations que les Japonais. Avec la pudeur et la dignité qui les caractérisent, ceux-ci ne font pas étalage de la situation dramatique des centaines de milliers de réfugiés du tremblement de terre et du tsunami, dont certains se trouvent, bien qu'il s'agisse d'un pays développé, organisé et discipliné, dans un extrême dénuement. On comprend donc qu'ils ne s'inquiètent pas d'abord des radiations, même si la persistance du problème et son aggravation les inquiètent...
    Un État digne de ce nom et d'un dévouement indiscutable
    L'aide internationale semble bloquée par cet apparent manque de réaction des Japonais.
    Ils sont naturellement touchés. La mère japonaise qui perd ses enfants ou l'homme qui voit sa famille emportée par un tremblement de terre sont aussi affectés que sous nos latitudes. Les Japonais ont une très grande pudeur de leurs sentiments, et sont habitués à les maîtriser, mais ils souffrent comme tout le monde. En ce qui concerne l'aide internationale, le problème est surtout logistique. Bien que les Japonais soient très préparés, que les pompiers volontaires soient très nombreux, s'entraînent régulièrement, etc., le séisme n'a pas seulement détruit les maisons, mais aussi les infrastructures qui permettent d'apporter une aide aux réfugiés.
    Le Japon passe pour un pays économiquement fort, et l'on apprend que sa dette est importante...
    Elle est colossale et équivaut pratiquement au produit national. Mais elle est assez différente de la nôtre, car essentiellement souscrite sur le marché intérieur. En outre, la monnaie japonaise est très forte. Non seulement elle n'a pas souffert de ce drame, mais, au contraire, elle s'est évaluée par rapport au dollar au cours de cette période.
    En prévision de la reconstruction ?
    Sans doute, mais cela montre que l'indicateur de la croissance est très imparfait, parce qu'il y a de bonnes croissances qui correspondent à l'augmentation de biens et de services mis à la disposition des gens, et puis il y a une croissance artificielle provoquée, par exemple, par l'insécurité. Le roi du Bhoutan avait proposé de substituer à l'indicateur de produit intérieur brut celui de bonheur intérieur brut. Il a tout à fait raison, mais le bonheur est plus difficile à mesurer que les flux monétaires.
    Ce paradoxe économique a-t-il un impact sur l'organisation économique mondiale ?
    Il y a bien sûr un impact, parce qu'un déficit énergétique se cumule avec une relative crise du pétrole. Je pense que cela sera résorbé par le labeur et l'organisation des Japonais. Le Japon reste la troisième puissance industrielle du monde.
    Quelle est votre action personnelle ?
    Je me suis porté volontaire auprès des autorités françaises pour accompagner les équipes de secours, mais on n'a pas jugé utile de faire appel à moi. J'irai peut-être, en mai, rencontrer des politiques.
    Selon le sous-directeur de Tepco - la compagnie qui gère la centrale de Fukushima - le retour à la normale ne sera pas possible avant des années...
    Pour la Centrale Fukushima Daïchi, c'est sûr. Mais le Japon est en mesure de se redresser. Cette catastrophe n'est pas la première, ni sans doute la dernière, hélas : le grand tremblement de terre attendu dans la région de Tokyo-Yokohama, la région dite du Kantô, où il se produit habituellement tous les trois quarts de siècle - le dernier, en 1923, avait bien plus de victimes que celui qui vient de se produire. Mais les spécialistes ne sont pas capable prévoir un séisme à échéance de plus de quelques heures ou quelques jours...
    Le Japon est l'un des pays les plus à même de supporter une catastrophe de cette ampleur...
    Oui, parce qu'au Japon il existe quand même un État digne de ce nom, il y a une structure sociale un dévouement indiscutable à la collectivité, discipline. C'est un pays qui n'a pas connu ce que Soljénitsyne appelait l'hypertrophie de l'individualisme juridique, et où les gens sont conscient leurs devoirs avant d'être conscients de leurs droits. En outre, c'est un pays culturellement homogène où le taux de criminalité est dix fois inférieur nôtre. On n'y a pas vu de scènes de pillage ou d'émeutes… Que se serait-il passé si un tel phénomène s'était produit en France ?
    Propos recueillis par Olivier Figueras monde & vie du 23 avril 2011

  • Michel Déon et l'Action française

    Quelques semaines après la parution d'une édition corrigée des Poneys sauvages, Michel Déon a bien voulu nous accorder un entretien où il évoque, plus particulièrement, ses liens avec l'Action française.
    L'Action Française 2000 – Quel intérêt présente encore pour vous le combat d'Action française, et où placez-vous l'oeuvre maurrassienne dans le débat contemporain ?
    Michel Déon – Guillaume Bourgeade vient de publier un travail du plus grand intérêt sur les origines romantiques de Maurras – c'est-à-dire tout le contraire de ce qu'il a été ensuite. Maurras a beaucoup "piqué" à Schopenhauer... C'est cela qui intéresse, et non la fête des rois ou le bal des débutantes à L'Hay-les-Roses ! Il faut entrer dans le débat universitaire, rompre avec les images d'Épinal. Vous ne constituerez bientôt même plus une chapelle, mais une sacristie – le fond d'une sacristie. Pardonnez-moi, mais je tiens à être sincère avec vous. Un jour, un chercheur de la Queen University de Belfast m'a écrit car il préparait une conférence sur André Chamson et Robert Brasillach. À présent, il en prépare une autre sur Maurras, c'est venu comme ça ! Peut-être un peu par réaction...C'est évident : dès qu'on l'installe un peu partout, la démocratie, c'est le désordre, le chaos financier et économique et, au final, la guerre.
    Ce que je voudrais, c'est la république, dans le sens romain du mot : aristocratique – une oligarchie intelligente. J'en suis arrivé là... Mais la politique, ou la philosophie politique, a commencé pour moi quand j'allais m'instruire 33 rue Saint-André-des-Arts, là où ma fille a maintenant ses bureaux, et qui était le lieu intellectuel de Paris par excellence : l'Institut des étudiants d'Action française.
    Vous avez eu pour parrain François Perrier, le futur comédien...
    François était l'un des rares boursiers du lycée Janson de Sailly. Je me suis lié avec lui. Il lisait L'AF. Cela dans les années 1933-1934. Mon père aussi lisait L'AF ; et Maurras, et Bainville. Le 7 février 1934 au matin, nous étions émus, nous savions qu'il s'était passé quelque chose... François me dit : « tu as compris maintenant » et me tendit ma carte de lycéen d'Action française. C'est lui qui m'a inscrit.
    Le premier texte que j'ai lu de Maurras fut L'Avenir de l'intelligence. Il faut dire que tous ses livres étaient dans la bibliothèque de mon père. J'ai découvert ensuite des ouvrages un peu anecdotiques : Au signe de Flore, Quatre nuits de Provence (très joli) ; puis évidemment Anthinéa. J'aime beaucoup La Musique intérieure, offert par ma mère lorsque j'ai eu seize ans.
    La première fois que j'ai vu Maurras, ce fut probablement lors d'une expédition du dimanche, lorsque nous prenions le train et que nous partions, trois cents ou quatre cents galopins, pour Saint-Germain-en-Laye. Nous allions écouter Maurras et sans doute faire la claque ! On chantait la Royale dans les gares pour impressionner le personnel de la SNCF, en plein Front populaire. Les discours de Maurras étaient audibles, mais un peu trop "intello". Je me souviens d'une réunion à la Mutualité où Daudet parlait après lui. Tout le monde sait qu'il était meilleur... Lorsqu'il prenait la parole, c'était la drôlerie, l'improvisation, le mot qui claquait – le bonheur ! Évidemment, la surdité coupait Maurras du monde.
    Comment êtes-vous devenu secrétaire de rédaction de L'Action Française ?
    J'appartenais à l'armée d'armistice – celle de 100 000 hommes, d'après Rethondes. J'ai rencontré François Daudet qui m'a invité à rédiger un article sur cette armée dont on connaissait mal le rôle : elle était déployée sur la ligne de démarcation, dans les gares... Cet article, je l'ai signé Miles, et il a paru à Lyon où était repliée L'AF, comme beaucoup d'autres journaux. J'avais écrit deux grands articles, dont le second n'a pas été publié parce que j'y faisais l'éloge de De Lattre, qui venait d'être arrêté – le poids de la censure, évidemment. Démobilisé, j'ai remplacé à L'AF Jacques Durand, un type très bien, en novembre 1942, au moment de l'occupation de la zone sud.
    Le secrétaire de rédaction écrit des articles s'il le veut, mais c'est lui, surtout, qui récolte la copie de tous les rédacteurs, puis qui la prépare, cherche le titre, organise la mise en page. À Lyon, le journal d'AF était très réduit. Étaient présents Auphan, Noël Boyer, puis, en 1943, Roger Joseph, qui était aussi secrétaire de rédaction. Je m'occupais particulièrement de la copie de Maurras et des éditoriaux voisins. Le tirage était très limité. Il fallait inclure des articles obligatoires. À l'AF, on trichait en les plaçant en tout petits caractères ! L'encre de l'Occupation bavait toujours un peu... Avec un peu de chance, ils en devenaient illisibles.
    Maurras avait un chauffeur à Lyon, et un policier armé pour le protéger des attentats. Un soir, la voiture a été mitraillée très sérieusement, et le chauffeur blessé assez gravement. Maurras n'était pas dans la voiture, mais il a fallu désigner un nouveau chauffeur. Autant vous dire qu'on trouvait peu de volontaires ! J'ai dit alors à Auphan : « Écoutez, moi je peux le faire, aller chercher le patron, je conduis depuis l'âge de dix-huit ans. » Les trois derniers mois, j'ai donc fait la navette pour l'amener au journal. Le matin, j'allais tôt au journal voir les dépêches tombées, avant huit heures. Ensuite, j'allais le chercher vers 10 h 30 – 11 heures. J'entrais dans son appartement, m'approchais du lit. Je le voyais dormir. Je le réveillais en lui touchant le bras, car le bruit, bien sûr, ne le dérangeait pas (il ne prenait pas conscience des bombardements à Lyon). Il était là, dans son lit, en chemise de nuit, la barbe en pointe. Je suis resté longtemps car je l'aimais bien... Mon père était mort en 1933... Cela a dû jouer dans mon attachement.
    Maurras déjeunait parfois avec nous, mais rarement. On ne parlait pas politique : il récitait des poèmes. Il n'était pas un homme de table ou de banquet. Ce n'est jamais facile quand on n'entend pas bien. On prend la parole tout le temps, ou bien on se tait et on reste dans son coin. Mais de lui se dégageait toujours du charisme.
    La dernière fois que je l'ai vu, c'était en le reconduisant du journal jusqu'à chez lui, et je lui ai dit : « Monsieur, vous avez là une femme, chez vous, qui s'occupe très bien de vous, ne sortez pas dans la rue, s'il vous plaît, j'ai des ordres précis de M. Pujo. » Il ne m'a, bien sûr, pas répondu, et m'a simplement donné l'accolade. Je suis rentré au journal, où il avait oublié un dossier. Je le lui ai rapporté aussitôt en voiture. Lorsque je suis arrivé devant chez lui, il était dans la rue ; il allait voir son ami Rambaud. J'ai pris un air accablé et je lui ai dit « Rentrez ! » Je l'aimais bien, et il m'aimait bien.
    L'intérêt de l'Action française, je le dis après coup et avec le recul de l'histoire, aurait été de cesser la publication en juin 1940. Un type comme Bainville aurait procédé ainsi. Bainville connaissait trop l'Allemagne pour deviner le statut fragile donnée à la France vaincue. Le grand désastre de l'Action française, c'est la mort de Jacques Bainville en 1936. Au nom de l'Académie française, c'est d'ailleurs moi qui ai eu l'honneur de poser la plaque sur sa maison natale à Vincennes.
    Après avoir travaillé à L'AF, n'était-il pas difficile de faire carrière à Paris, ou vous êtes arrivé à l'été 1944 ?
    Un journaliste qui s'était trouvé à Lyon et qui était revenu lui aussi à Paris, Lionel Hart, un type très bien, m'a proposé de travailler dans un magazine, Radio 44, qui annonçait tous les programmes de radio, et proposait en plus quelques articles. J'ai dit oui, cela ne me paraissait pas trop compliqué. Quelques jours après mon arrivée dans la capitale, j'ai donc été recruté.
    À la mort de Maurras, en 1952, je travaillais à Match. J'avais une voiture de sport... J'avais proposé à Laudenbach d'aller nous recueillir à Tours sur sa dépouille. Le matin, la radio annonçait la neige, le verglas. Nous avons donc pris le train, où nous avons trouvé Bernard Grasset et un type très curieux, qui s'appelait Michel Mourre et qui, un an auparavant, vêtu d'une bure, était monté en chaire à Notre-Dame, un peu avant l'office, pour crier « Dieu est mort ». Mais lui aussi était maurrassien ! Bien des années plus tard, c'est moi qui ai prononcé le discours sur la tombe de Roquevaire lors du rachat du Chemin de Paradis par la mairie de gauche de Martigues pour un franc symbolique. Une vraie fidélité, assurément !
    Peut-on dire que vous êtes le dernier maurrassien de l'Académie française, notamment après la mort de Jean Dutourd ?
    Ce n'est pas que d'être désigné comme maurrassien me déplaise ou me dérange – au contraire même. Je cherche simplement à retrouver à l'Académie ceux qui ont lu Maurras. Probablement Jean-Luc Marion, le philosophe, qui était un disciple de Boutang, même s'il le renie un peu maintenant. Il n'était peut-être pas royaliste, mais un peu maurrassien. En revanche, Dutourd n'était pas maurrassien, il faut récuser cela. Ronchon, si vous voulez ! Très intelligent, très au fait des choses, un bon écrivain. Mais demeure un élément incompatible : son gaullisme frénétique. Pour moi, les choses ne sont pas si simples... Pour Dutourd, ce n'était pas une posture mais un choix sincère. Il était l'auteur d'un opuscule, Moi et De Gaulle, dans lequel De Gaulle lui disait que lui, Dutourd, avait tout compris de la France de l'Occupation en rédigeant Au bon beurre. Je pense, pour ma part, que La Traversée de Paris de Marcel Aymé recèle bien plus d'acuité que le livre du regretté Jean. Nous nous échangions de petites piques, des vers boiteux, des réflexions comme ça, comme deux collégiens qui s'ennuient !
    Quelles sont vos dernières lectures, les ouvrages que vous aimeriez conseiller ?
    Parmi mes lectures récentes, je vous recommande le Brasillach de Philippe Bilger, l'avocat général de la cour d'appel de Paris, auteur d'une réflexion tout à fait intéressante sur le procès de Robert Brasillach. Par ailleurs, je viens de terminer une biographie de Malaparte, par une un ambassadeur italien à l'Unesco qui écrit en français ; son livre de 600 pages est remarquable. Enfin, je vous conseille l'Ignace de Loyola de François Sureau, un formidable ouvrage.
    Propos recueillis par Marc Savina L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 17 février au 2 mars 2011

  • Qu’est-ce qu’un oligarque ? Entretien avec Alexandre Douguine

    Les oligarques sont-ils la version russe de l’hyperclasse ? Nous le subodorions… Pour en être certain nous avons interrogé Alexandre Douguine, professeur de sociologie à l’université de Moscou et chef de file du Mouvement eurasiste. Sa réponse est oui... et non ! 

    Alexandre Douguine, pouvez vous nous dire ce qu’est un oligarque ? Quand sont-ils apparus en Russie et dans quelles circonstances ?

    Alexandre Douguine : La figure de l’oligarque est apparue en Russie dans les années 1990. Ce furent de jeunes businessmen, soutenus par des éléments criminels, qui prirent part à la privatisation des entreprises de l’époque soviétique et qui, ce faisant, réussirent à rassembler des fortunes immenses grâce a la destruction de l’économie socialiste et à la corruption sans précédent qui régna alors. Tout cela dans une période de temps très brève.

    Les libéraux autour d’Eltsine ont commencé à construire le capitalisme en Russie de manière artificielle. Sauf que dans l’URSS il n’y avait pas de bourgeoisie. Donc ils ont été obligés de la créer vite et de toute pièce. L’alliance des réformateurs libéraux occidentalistes et des bureaucrates ex-soviétiques corrompus a ainsi produit le phénomène des oligarques.

    À l’époque d’Eltsine, ils se sont organisés dans une sorte de club des oligarques et ils ont acquis ainsi un poids politique important. Ils soutenaient les médias pro-occidentaux, les partis politiques réformateurs et ils faisaient pression sur Eltsine pour l’obliger à mener une politique allant dans le sens de leurs intérêts et de ceux des États-Unis. Ils ont alors placé leur fortune immense dans des banques occidentales et sont devenu chez nous, dans la totalité des cas, des agents d’influence volontaires de l’Occident.

    Donc l’oligarque ce n’est pas seulement le nouveau riche de la Russie des années 1990, mais plutôt le nouveau riche plus riche que les autres, conscient de ses intérêts, participant activement à la politique, soutenant l’idéologie libérale, réalisant les souhaits de l’Occident et impliqué dans des activités criminelles et dans la corruption au plus haut niveau.

    Combien sont-ils et qui sont les plus connus ?

    Alexandre Douguine : C’est difficile à dire parce qu’il s’agit d’un statut informel. On cite le plus souvent comme en faisant partie : Berezovsky, Gusinsky, Nevzlin, Khodorkovsky, d’une part, Abramovitch, Potatnin, Derepaska, Fridman, Aven, Prokhorov, d’autre part.

    Les premiers ont été chassés par Poutine et persécutés du fait de leur insistance à faire mener une politique identique à celle de l’époque d’Eltsine. Les autres ont choisi d’accepter les nouvelles règles du jeu imposées par Poutine. En Occident on critique les oligarques pro-Poutine et on soutient ceux qui s’opposent à lui. C’est un double jeu géopolitique et atlantiste (anti-Russie et anti-Eurasie) typique.

    Objectivement, la nature des oligarques est la même dans deux cas : ce sont des criminels libéraux, russophobes et atlantistes. La différence est uniquement que les premiers le sont ouvertement et que les autres le cachent. 

    Peut-on considérer que les oligarques sont les représentants en Russie de l’hyperclasse ?

    Alexandre Douguine : Dans un certain sens oui, mais comme je l’ai dit les oligarques ne sont pas que les plus riches, ils sont de plus idéologiquement libéraux, politiquement actifs et géopolitiquement atlantistes. Il y a en Russie d’autres super-riches auxquels il manque l’un ou l’autre de ces traits. Par exemple certains ne sont pas libéraux, d’autres ne sont pas atlantistes, et le plus grand nombre se garde bien d’avoir la moindre activité politique.

    Les oligarques sont-ils bien tous libéraux ? Il n’en existe pas de patriotes ?

    Alexandre Douguine : En Russie, on ne désigne comme oligarques que les libéraux actifs, occidentalistes et atlantistes. S’ils sont patriotes ils restent des extra-riches mais ne sont pas considérés comme des oligarques. Les extra-riches patriotes ne se mêlent presque jamais de politique et sont satisfaits de s’enrichir encore plus sans faire de bruit en profitant de la situation actuelle. 

    Quels sont les rapports entre Vladimir Poutine et les oligarques ?

    Alexandre Douguine : Poutine a proposé un pacte aux oligarques juste après sa première élection. Il leur a uniquement demandé, en contre-partie de l’impunité, de ne pas nuire à la souveraineté du pays et de ne pas contester la primauté de l’administration nationale. Certains ont refusé comme Berezovsky, Gusinsky et, plus tard, Khodorkovsky ; les autres ont accepté. Ceux qui ont accepté le pacte ont ensuite soutenu, pour la plupart, Medvedev et son groupe de réformateurs.

    Il est naturel que Poutine soit influencé en partie par les oligarques, y compris par ceux qui luttent contre lui en finançant, en commun avec les États-Unis, les manifestations anti-Poutine, parce qu’ils dictent certaines stratégies et qu’ils insistent sur la privatisation et sur la libéralisation de l’économie russe. 

    Pour quelles raisons une partie des oligarques a-t-elle refusé le pacte que Poutine lui proposait ?

    Alexandre Douguine : Je crois qu’il y a plusieurs raisons à cela.

    Tout d’abord, certains se sont sentis humiliés par l’affirmation de la supériorité de l’État et du Président par rapport à eux-mêmes qui, pendant les années 1990, dirigeaient presque ouvertement le pays, son économie et sa politique. C’est certainement le cas de Boris Berezovsky. Ensuite, d’autres ont compris que l’Occident serait contre Poutine, qui allait réaffirmer l’indépendance de la Russie, et ils ont donc préféré, afin de conserver leurs fortune en sécurité dans les banques occidentales ou dans les zones off shore, s’allier avec l’Ouest dans la fronde contre Poutine. Finalement, les autres sont arrivés à la conclusion que le libéralisme était menacé par Poutine et que sa politique pouvait devenir populiste, donc orientée contre les oligarques. Pour eux, la lutte contre Poutine est une guerre des classes préventive...

    http://www.egaliteetreconciliation.fr

  • Bataille des mémoires : à l'applaudimètre de l'émotionnel, les « colonisés » seront toujours vainqueurs face aux « colonisateurs »

    Lors de sa visite officielle en Algérie les 19 et 20 décembre derniers, le président de la République a estimé que la colonisation française en Algérie avait été « brutale et injuste ». Gérard Longuet a expliqué quant à lui que « si elle était injuste, elle constituait, au regard de ce qu'était la société traditionnelle ottomane, un véritable progrès ».
    Interrogé par Jean-Benoît Raynaud pour Atlantico, l’africaniste Bernard Lugan donne son point de vue.
    Polémia
     

    Atlantico : Le président de la République a estimé ce jeudi que la colonisation française en Algérie avait été « brutale et injuste ». Interrogé par Public Sénat, l’ex-ministre de la Défense Gérard Longuet a déclaré ce vendredi matin que le colonialisme ne peut être jugé à l'aune d'aujourd'hui, et que, replacé dans son contexte historique, il a eu un bilan « acceptable » et même « positif ». Il a également ajouté que « si elle était injuste, elle constituait, au regard de ce qu'était la société traditionnelle ottomane, un véritable progrès ». Cette bataille des mémoires est-elle de nature à faire avancer le débat ?

     

    Bernard Lugan : Le débat sur la colonisation est stérile car il a échappé aux historiens pour être monopolisé par des groupes mémoriels. Or, la Mémoire n’est pas l’Histoire. L’historien est un peu comme un juge d’instruction : il travaille à charge et à décharge, alors que le mémorialiste ou le témoin sont, par définition, en pleine subjectivité. Avec le rôle « positif » ou « négatif » de la colonisation, deux mémoires se dressent ainsi l’une contre l’autre : celle des anciens « colonisateurs » et celle des anciens « colonisés ». Or, comme colonisation est devenu un mot-prison synonyme, à tort, d’exploitation, d’injustice et d’esclavage, l’incommunicabilité entre les deux mémoires est totale.

     

    A. Les anciens colonisateurs ont une logique comptable, alignant le nombre d’hôpitaux construits, les pourcentages d’enfants scolarisés ou encore les kilomètres de routes quand les anciens colonisés parlent de dignité bafouée.

     

    B.L. A l’applaudimètre de l’émotionnel, les seconds sont assurés d’être les vainqueurs. Que pèse en effet un livre de comptes face à une humiliation historique, réelle, supposée ou ressentie ?
    Pour tenter de « reprendre la main » les premiers devront alors mettre en avant leurs propres souffrances : exode de 1962, spoliation, attentats, assassinats, enlèvements qui ont d’ailleurs été scandaleusement oubliés par François Hollande dans son discours d’Alger. Désormais, ce sera donc Mémoire contre Mémoire. Mais dans ce type d’exercice, les jeux sont faits par avance et les anciens « coloniaux » assurés de perdre une fois de plus. En effet, et à supposer que leur part de souffrance soit prise en compte, il leur sera toujours opposé, in fine que, pour respectable qu’elle soit, la leur l’est dans tous les cas moins que celle de ceux qu’ils ont humilié en les colonisant… Les colonisateurs étant toujours présentés comme des agresseurs et les colonisés comme des victimes, nous sommes donc dans une impasse et comme je n’aime pas me sentir enfermé, je refuse d’entrer dans ce débat biaisé.

     

    A. Pour autant, peut-on laisser de côté le bilan « civilisationnel » de la colonisation ?

     

    B.L. Evidemment non car il est nécessaire de rappeler à ceux qui ne cessent d’accuser la France de les avoir colonisés, qu’à la veille des indépendances, ils mangeaient à leur faim, étaient gratuitement soignés et se déplaçaient le long de routes ou de pistes entretenues sans risquer de se faire rançonner. Mais cela avait un coût pour les Français, toutes les infrastructures créées en Afrique, ports, routes, pont, écoles, hôpitaux, voies ferrées etc., ayant été payées par les impôts de nos grands-parents.
    Daniel Lefeuvre a magistralement démontré comment l’Algérie fut un insupportable fardeau pour la France. En 1959, toutes dépenses confondues, celle qu’il baptise la « Chère Algérie » engloutissait ainsi à elle seule 20% du budget de l’Etat français, soit davantage que les budgets additionnés de l’Education nationale, des Travaux publics, des Transports, de la Reconstruction et du Logement, de l’Industrie et du Commerce ! Quels intérêts la France avait-elle donc à défendre en Algérie pour s’y ruiner ainsi avec une telle obstination, l’on pourrait presque dire avec un tel aveuglement ? La réponse est claire : économiquement aucun ! Qu’il s’agisse des minerais, du liège, de l’alpha, des vins, des agrumes etc., toutes les productions algériennes avaient en effet des coûts supérieurs à ceux du marché. Quant au pétrole et au gaz découverts par des Français, ils ne furent véritablement exploités qu’après l’indépendance.

     

    A. Vous avez écrit que « la question coloniale sert à désarmer moralement les Français ». Pouvez-vous expliquer ?

     

    B.L. Si nous faisons le bilan, c’est pour nos sociétés européennes que la colonisation fut une catastrophe. Aujourd’hui, elle est devenue une véritable « tunique de Nessus » qui fait peser sur les générations européennes à venir une hypothèque d’autant plus lourde qu’elles ne l’ont pas signée et dont elles demanderont un jour pourquoi elle sont condamnées à en honorer les traites. Combien de temps encore les jeunes Européens accepteront-ils en effet de se soumettre aux incantations accusatoires de ceux qui veulent leur faire croire que, puisque, et par postulat, leurs grands-parents ont « pillé » l’Afrique, ils sont donc condamnés à subir et à réparer ? D’autant plus qu’ils ont sous les yeux le spectacle de ceux qui, tout en accusant la France de tous les maux, forcent cependant ses portes pour y trouver de quoi survivre ou pour s’y faire soigner. Laissons parler les chiffres. Il y eut au maximum 1.500.000 nationaux (ou Européens) installés dans tout l’Empire français, dont les deux tiers dans la seule Algérie. Or, aujourd’hui, les populations originaires de notre ancien empire et vivant en France, comptent plus de 6 millions de personnes, naturalisés compris, soit quatre fois plus qu’il n’y eut de « colons ». Là est le vrai bilan colonial.

     

    Propos recueillis par Jean-Benoît Raynaud
    Atlantico
    22/12/2012

     

    Correspondance Polémia – 28/12/2012

  • SCANDALE : Rance 2 s’en prend aux catholiques de tradition ! (arch 2010)

    La chaîne publique cède aux caricatures et tombe dans un anticatholicisme primaire !

    Daniel Hamiche, directeur de la rédaction de Riposte-catholique et rédacteur du blog Americatho, était invité cet après-midi à un débat enregistré (diffusé mardi 27 avril à 22h55 sur France 2) faisant suite à un reportage consacré aux catholiques de tradition. Il a bien voulu nous raconter en exclusivité son déroulement.

    Daniel Hamiche, directeur de la rédaction

    Daniel Hamiche, directeur de la rédaction de riposte-catholique.fr

    Riposte-catholique : vous venez de quitter le plateau de France 2 pour une émission enregistrée sur les « traditionalistes ». Comment la chose s’est-elle passée ?

    Daniel Hamiche : c’est passé !

    Que voulez-vous dire ?

    Je pensais qu’il s’agissait d’un magazine sur la question des traditionalistes en France. Mais ce ne fut pas exactement le cas…

    Vous pouvez préciser ?

    Il s’agissait en fait d’un magazine produit par Capa Télévision pour le compte de France 2 et animé par David Pujadas. Ce magazine a pour titre « Les Infiltrés ».

    Mais en quoi ce ne fut pas exactement le cas ?

    Il ne s’agissait pas d’un magazine faisant le point sur le courant traditionaliste en France, mais d’une charge – qui n’était pas celle de la Cavalerie légère, croyez-moi – contre le traditionalisme catholique.

    Et alors ?

    Comme l’indique le titre de l’émission, des journalistes se sont “infiltrés” dans un groupe dit « traditionaliste » à Bordeaux pendant plus d’un an pour trouver des arguments à charge contre lui, en particulier, mais contre le traditionalisme en général. Ce groupe, Dies Irae – ses membres le nomment « DI » –, et dont j’ignorais jusqu’à l’existence, est en fait une petite formation de la droite radicale. Par les moyens de l’infiltration et des caméras cachées, les reporters donnent aux spectateurs une image vraiment peu recommandable de ce groupe.

    Par exemple ?

    On pourra s’en rendre compte mardi 27 avril prochain en seconde partie de soirée (22h55). Les axiomes de base du reportage sont les suivants : traditionalistes = nazis ; écoles hors contrat = couveuses de fascistes ; prêtres en soutane = aumôniers de la L.V.F. La “reductio ad hitlerum” en quelque sorte…

    Attendez, c’est grave tout cela. Dites-nous en plus…

    Ce groupe Dies Irae, tel qu’on s’en fait une idée en visionnant le reportage – mais ce n’est qu’une idée, et c’est celle qu’on veut évidemment mettre dans la tête des téléspectateurs –, est composé d’extrémistes racistes formatés pour tuer les « Arabes » et les « Juifs » au nom de Dieu dans une improbable « croisade » et parce qu’ils sont « traditionalistes ». L’école hors contrat rattachée à la paroisse Saint-Éloi de Bordeaux est une fabrique de jeunes fascistes puisqu’on y entend des jeunes enfants chanter des chants ou proférer des propos antisémites. Cela, je dois l’avouer, m’a mis plutôt mal à l’aise. Quant aux prêtres desservant la paroisse ou attachés à cette école hors contrat, ce sont des “complices” avérés – au pis – ou inconscients – au mieux – de ces “racistes-fascistes-antisémites”.

    Quelle ligne de défense avez-vous adoptée ?

    Vous avez raison de parler de “ligne de défense” parce que de témoins que nous entendions être du traditionalisme en France, nous nous sommes retrouvés dans la situation d’accusés de complicité de délits abominables.

    Quand vous dites “nous”, c’est qui ?

    Dieu merci, j’avais à mes côtés l’abbé Paul Aulagnier. Nous sommes montés à l’échafaud ensemble : l’issue n’est pas très sympathique mais c’est mieux de s’y avancer avec un bon camarade. Rassurez-vous, nous avons gardé la tête sur les épaules…

    Et les autres ?

    Un très beau “plateau” d’habitués, pour la plupart, des autres plateaux de la télévision publique, privée et galactique. Nihil novi sub sole. L’abbé Alain de la Morandais, que je n’imaginais pas aussi viscéralement hostile aux traditionalistes – lui qui a célébré une messe pour Louis XVI pour des fidèles qui n’étaient pas vraiment partisans de la théologie de la libération – et aux admirables efforts de Benoît XVI pour l’unité des catholiques, et particulièrement agressif contre l’abbé Aulagnier qui a fait une très bonne prestation, Caroline Fourest, fort jolie femme au demeurant mais pertinace dans sa détestation de ce qu’elle nomme les « intégrismes » et plus particulièrement de sa version prétendue “catholique”, Gilles Savary, vice-président socialiste du conseil général de Gironde, qui en a profité pour régler ses comptes avec Alain Juppé ce qui a provoqué chez moi un début de bâillement, Frédéric Lenoir du Monde des Religions, au fond assez proche de Caroline Fourest mais invitant gentiment après l’émission l’abbé Aulagnier à mettre de l’ordre sans sa maison (l’IBP je suppose), un inspecteur général de l’Éducation nationale de Gironde ayant diligenté une enquête sur l’école hors contrat de Bordeaux dont la conclusion fut qu’elle n’était pas aux normes (dont je n’ai pas très bien compris si elles étaient idéologiques ou sanitaires), et, invité surprise, puisque je ne l’ai su que sur le plateau, Mouloud Aounit, président du M.R.A.P. et professionnel de l’antiracisme…

    Personne de la Conférence épiscopale ?

    Non, personne. La production avait pourtant invité un représentant officiel à cet enregistrement, mais le diacre proposé par la Conférence ne semble pas avoir été agréé par les producteurs pour une raison que j’ignore.

    Revenons à votre ligne de défense…

    Dans le peu de temps dont j’ai disposé (8 invités pour 52 minutes, ce n’est pas le “grand oral” de l’E.N.A.), j’ai dénoncé les caricatures de ce reportage : la caricature donnée de ce groupe DI, la caricature de l’assimilation du traditionalisme en général avec ce groupe en particulier, et la caricature des écoles hors contrat avec ce que le reportage nous disait de celle de Bordeaux.

    C’est tout ?

    Non ! j’ai dû faire encore trois ou quatre saillies – dont on verra bien ce qu’il restera au montage – en rappelant que les cimetières catholiques aussi étaient profanés, alors que Caroline Fourest ne parlait que des cimetières musulmans et israélites, les persécutions extrêmes contre les chrétiens, allant jusqu’à la mort, alors que Mouloud Aounit ne parlait que « d’antisémistime » et « d’islamophobie », et en rappelant à un Père de la Morandais particulièrement sarcastique que j’étais un catholique qui n’avait jamais quitté l’Église et que j’étais même paroissien d’une paroisse dont il fut le curé à Paris, il y a à vrai dire de nombreuses années. Cela semble l’avoir surpris tant ses préjugés sont enracinés.

    Quel bilan tirez-vous de tout cela ?

    Une certaine gêne. Non pas d’avoir été “piégé” – j’ai l’habitude des plateaux de télévision… –, mais de n’avoir pu, qu’en toute dernière minute, dire tout le bien que je pensais des efforts de Benoît XVI pour la réconciliation des catholiques. C’était cela le vrai sujet d’un magazine sur les « traditionalistes ». On est passé à côté une fois de plus. L’ancien maire juif de New York, Ed Koch, vient d’écrire dans un quotidien israélien que la campagne des médias américains contre l’Église et Benoît XVI n’avait rien à voir avec l’information. Il a bien raison et je viens de le constater. Ce n’est pas un “scoop”.

    Propos recueillis par Arthur Leroy http://www.riposte-catholique.fr

  • CES LOBBIES QUI ÉTOUFFENT LA FRANCE

    L'A.F. REÇOIT PIERRE DE VILLEMAREST
    « À Lisbonne la Trilatérale a tenu la main de Sarkozy »
    Pierre de Villemarest, journaliste professionnel, membre de l’Amicale des Anciens des services spéciaux de la Défense nationale, a rencontré depuis les années cinquante les personnages clefs de l’histoire du XXe siècle. Il a publié depuis 1962 une vingtaine d’ouvrages, notamment sur les services secrets soviétiques. L’ouvrage sur la Trilatérale que présente ci-contre Pascal Nari est le troisième d’une série intitulée Faits et chroniques interdits au public sur toutes sortes de clubs dont celui des Bilderberg. Il dirige depuis trente ans une Lettre d’Information confidentielle qui traite des dessous des événements contemporains avec des correspondants dans une vingtaine de pays. Il a bien voulu à l’occasion de la sortie de son nouveau livre nous accorder cet entretien, dont nous le remercions.
    * Centre européen d’Information, La Vendômière , 27930 Cierrey

    L’ACTION FRANÇAISE 2000 – Quelle est la spécificité de la Trilatérale par rapport aux autres groupes, Bilderberg, CFR... ? A-t-elle une philosophie propre ? Des moyens d’action particuliers ?
    PIERRE DE VILLEMAREST – La Trilatérale est née en 1973 sous la tutelle du CFR (Council on Foreign Relations) à l’initiative de David Rockefeller et de son maître à penser Zbigniev Brzezinski. Je raconte dans mon livre comment cette création fut d’abord tenue secrète avant que Rockefeller lui-même avoue en 1991 devant les membres du cercle de Bilderberg en remerciant la grande presse d’avoir respecté les consignes de discrétion pendant des années : « Le monde est maintenant plus sophistiqué et disposé à marcher en direction d’un gouvernement mondial. La souveraineté supranationale d’une élite intellectuelle et des banquiers internationaux est sûrement préférable à l’autodétermination telle qu’elle a été pratiquée durant les siècles passés. »
    En fait, la Trilatérale a été créée sous prétexte d’appeler le Japon dans un système mondial qui s’érigerait comme puissance industrielle et commerciale, en vue de coiffer toutes les institutions européeennes et atlantiques et d’orchestrer la marche économique vers le mondialisme.

    Mondialisation et mondialisme

    L’AF 2000 – N’y a-t-il pas lieu de distinguer entre mondialisme et mondialisation ?
    P. de V. – Les trilatéralistes utilisent la phraséologie courante pour cacher leur idéologie, mais il faut en effet distinguer la mondialisation qui est la conséquence fatale des progrès techniques, notamment dans le domaine de la communication, et le mondialisme qui est une doctrine imposée par une coterie élitiste qui impose son explication de notre temps et qui dicte la mondialisation, laquelle est organisée autour de cercles qui existent déjà pour aboutir à une sorte de directoire du monde. La tactique des hommes de la Trilatérale est toujours de multiplier les ponts et les contacts avec toutes sortes d’organismes à l’échelon mondial même si ceux-ci sont apparemment très différents et non liés entre eux tels l’lnstitut Aspen, dont l’origine est franco-germanique, ou encore l’Institut français des relations internationales (IFRI) que dirige Thierry de Montbrial.
    Tous ces groupes se rejoignent dans l’idée de parvenir à la destruction des États nations. J’ajouterai les Amitiés France Amérique qui défendent l’idée de remplacer les nations par les régions.

    Hégémonie américaine

    L’AF 2000 – Peut-on dire de la Trilatérale qu’elle est l’instrument de l’impérialisme américain ?
    P. de V. – Le problème se pose toujours entre trilatéralistes de savoir si la direction doit revenir à des groupes géographiques et commerciaux anonymes ou si l’Amérique doit prendre l’organisation en mains. C’est pour le moment l’impasse. Mais il faut noter que Rockefeller (91 ans) et Brzezinski sont toujours le moteur de l’affaire.
    Je crois, par ce que j’ai vu et appris de l’intérieur, en parlant avec beaucoup de trilatéralistes, que les Américains pensent d’abord à leurs affaires (les firmes qui font partie de la Trilatérale représentent un poids supérieur à celui du budget des États Unis ; elles sont à même de dicter leurs volontés aux gouvernements américains. C’est bien la marche vers l’hégémonie capitaliste américaine.

    L’AF 2000 – Pourtant la Trilatérale s’est souvent lourdement trompée. Par exemple - vous le dites dans votre livre - en ne prévoyant pas l’effondrement du communisme... Comment un organisme qui commet tant d’erreurs peut-il être aussi dangereux ?
    P. de V. – La Trilatérale s’est trompée plusieurs fois dans ses prévisions et ses constatations ont éludé bien des problèmes. Ses textes sont sur le modèle des sociétés fabiennes : dans un même numéro des Affaires internationales on peut trouver la thèse et l’antithèse voire toutes sortes de contradictions. Les hommes de le Trilatérale n’ont pas su prévoir la chute du Mur de Berlin ni ses conséquences, pas plus qu’ils n’ont deviné qu’à côté du Japon émergeraient l’Inde et le Chine. Cela montre les limites de ces prévisionnistes. Ils n’en sont pas moins dangereux, car ils savent manipuler l’opinion à travers le commerce et les monnaies. Ils ont voulu l’euro, cette monnaie artificielle déjà préconisée par les Bilderberg ; aujourd’hui le secrétaire d’État au Trésor, H. Paulson, membre du CFR, peut en réalité coiffer l’économie de l’Europe occidentale.
    Ils entretiennent aussi la crise artificielle du pétrole ; ils veulent que les puissances pétrolières qu’ils coiffent réduisent leurs livraisons par peur d’avoir à épuiser leurs réserves ; ils arguent de cela pour laisser monter les prix. On se trouve ainsi à la merci d’un groupe de direction qui prend sur lui d’influencer la politique mondiale à travers les enjeux économiques.

    En route pour le mondialisme

    L’AF 2000 – Quelle influence joue la Trilatérale dans la construction dont rêvent certains d’une Europe fédérale ?
    P. de V. – Une certain nombre de ses membres appartiennent au groupe euro-atlantique des Bilderberg qui a tant contribué à lancer l’idée européenne, en liaison avec les comités d’action Jean Monnet, lesquels étaient financés avec parfois des rallonges par les Américains. Alors quand François Hollande dans Le Monde du 16 septembre 2004 revendique pour les socialistes la paternité des cinq ou six traités européens, on sait qui finançait. La Trilatérale a suggéré le texte “simplifié” et a tenu la main de Nicolas Sarkozy en posant le principe qu’on allait voter non par référendum mais seulement au Parlement. Car ils savent bien que d’instinct l’opinion voit quelque chose de louche dans l’affaire européenne, et redoute la catastrophe à plus ou moins long terme. Or, dans le traité “simplifié” il y a des signes inquiétants : si l’on a supprimé les symboles on n’en a pas moins gardé une espèce de ministre des Affaires étrangères avec une centaine d’ambassadeurs à travers les monde. On assistera donc bien à la soumission de la France à des étrangers.

    L’AF 2000 – Les Français faisant partie de la Trilatérale puisent-ils dans cette participation au moins quelques bénéfices économiques pour notre pays ?
    P. de V. – Ils obtiennent parfois quelques coups de pouce quand une firme a besoin d’aide, mais cela n’est pas calculé. En fait, ils y a à peu près quinze Français sur trois ou quatre cents trilatéralistes. Certains sont des passionnés du système mondialiste. Beaucoup sont seulement des opportunistes, sans grandes convictions. Je pense à Michel Crépeau, qui fut maire de La Rochelle, que j’ai interpellé un jour lors d’une réunion et qui m’a confié, à part, qu’ayant été chercher pour sa ville une aide aux États-Unis sur les conseils de Paul Delouvrier, directeur d’EDF et l’un des tout premiers trilatéralistes français, il en était revenu fort déçu et méfiant au sujet des antennes de la Trilatérale. Un petit groupe de personnes dirige tout. Donc les membres un peu trop tièdes sont vite détectés et leur mandat n’est pas renouvelé. Ils sont alors pour longtemps écoeurés d’avoir participé à de telles parlotes. D’autres se plaisent en revanche à siéger dans un club international, aussi mondain qu’artificiel.

    L’art de piéger même sans convaincre

    L’AF 2000 – Raymond Barre, ancien Premier ministre français, qui vient de mourir, était un trilatéraliste de haut niveau...
    P. de V. – Certes, mais ces trois dernières années, il s’était aperçu de son erreur et se montrait beaucoup moins ardent, ce que Simone Veil lui a reproché...

    L’AF 2000 – On ne peut pas à proprement parler accuser la Tilatérale de “complot” ; alors où réside la force de cet organisme ?
    P. de V. – La grande discrétion des médias à son égard contribue évidemment à renforcer son influence sournoise. Je dois déplorer aussi que les journalistes lucides et qui recueillent des informations agissent trop souvent chacun de leur côté et se citent rarement les uns les autres. Car il importe de mettre à jour la tactique des hommes de la Trilatérale qui consiste, à l’instar des sociétés fabiennes, à convaincre avec patience, par imprégnation des idées, de la politique et de l’économie d’un pays, puis à piéger ceux qui ne pensent pas comme eux en les contournant afin d’arriver même sans les convaincre à les persuader qu’ils ont intérêt à s’arranger avec eux...
    Propos recueillis par Michel FROMENTOUX L’Action Française 2000 du 15 au 28 novembre 2007