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géopolitique - Page 577

  • Russie, Otan, le dessous des cartes

    Faut-il rappeler de nouveau cette évidence alors que débute aujourd’hui la rencontre entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine, la diplomatie consiste (surtout) à parler avec ceux avec lesquels on est en désaccord, voire en opposition tranchée. C’est le cas entre la France et la Russie ou les sujets de discordes ne cessent hélas de croître depuis 2011 et l’élimination dramatique par la France et la Grande-Bretagne (avec la bénédiction de l’Oncle Sam) du régime de Kadhafi en Libye et les tentatives de renverser le gouvernement légitime de la République arabe syrienne. Tensions qui croissent au fur et à mesure que notre pays renonce à faire entendre une voix indépendante et rentre dans la niche euro-atlantiste. Sur le site de RT, Bruno Drweski , maître de conférences à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), date cette fâcheuse évolution de la seconde partie du mandat présidentiel de Jacques Chirac. Emmanuel Macron entend-il rééquilibrer et pacifier les relations franco-russes après le désastreux quinquennat Hollande? L’un des derniers avatars de celles-ci, sur fond de conflit ukrainien et d’embargo économique, de votes souvent antagonistes de nos deux pays aux Nations-Unies,  fut le refus très symbolique par le précédent gouvernement d’honorer sa promesse de livrer à Moscou les bâtiments Mistral.

    De symbole,  il est encore question puisque Emmanuel Macron a choisi, de manière assez intelligente, pour marquer l’importance qu’il accorde à la Russie,  de recevoir aujourd’hui Vladimir Poutine au château de Versailles . Et plus précisément au Grand Trianon. Les deux chefs d’Etat visiteront l’exposition consacrée à Pierre Ier de Russie (dit Pierre Le Grand), qui fut à la tête de son pays de 1682 à 1725. Contemporain du règne de Louis XIV, de la régence et du début de celui du Louis XV,Pierre Le Grand fut reçu en France pendant trois mois avec les plus grands honneurs en 1717. Il y rencontra le futur Louis XV avant que ce dernier ne monte sur le trône, lequel ne partageait pas les préjugés du Roi Soleil à l’encontre de l’empire des tsars…

    M. Macron a promis un dialogue constructif mais qui ne fera pas l’impasse sur les sujets qui  fâchent citant l‘Ukraine, le pluralisme démocratique, les libertés accordées à l’opposition, les droits des homosexuels en… Tchétchénie. Autant de points qui seront vite balayés par un Vladimir Poutine qui,  pas plus qu’un autre chef d’Etat souverain, n’entend recevoir de leçons pour  ce qu’il considère être des sujets relevant de la politique intérieure de son pays. La Crimée juge-t-il,  appartient historiquement à la Russie (ce qui est vrai) et non à l’Ukraine -un référendum local l’a confirmé et a tranché cette question. Quant au conflit en Ukraine et notamment au Donbass, il est aussi alimenté par des officines, des puissances étrangères qui entendent affaiblir la Russie, atténuer sa capacité de manœuvre, garder une épine dans le pied de l’ours russe. M Macron ne l’ignore certainement pas…

    Pour ce qui est de la démocratie, les observateurs internationaux, notamment Européens, n’ont pas relevé de fraudes lors des derniers scrutins qui ont vu les victoires assez nettes de M. Poutine et de son parti Russie Unie aux élections. Enfin il s’agirait aussi de  regarder, avant de faire la leçon aux autres sur  le sort des minorités,  la situation en  France même avec une montée de l’intolérance et de l’effacement de l’Etat de droit dans les quartiers pluriels et communautarisés. Il en est de même sur le fameux pluralisme, au vu de la concentration dans notre pays  des principaux gros médias entre les mêmes mains capitalistisques et partageant la même idéologie libérale-libertaire transfrontièriste. La France n’est pas un exemple dudit pluralisme démocratique tant vanté;  il suffit pour s’en convaincre de se souvenir  de l’unanimisme venimeux, du grégarisme, du comportement orwellien assez effarant de 99% de ces gros médias là lors du second tour de notre présidentielle…

    Il faut  aussi rappeler cette vérité essentielle note Bruno Gollnisch, à savoir que c’est Poutine qui a arraché la Russie au déclin depuis son arrivée au pouvoir, nation russe à laquelle il a redonné un statut de grande puissance qui compte. Un Russie réarmée moralement, modernisée, fière de ses racines, qui renoue avec ses traditions et qui semble sortir de l’hiver démographique dans lequel elle était entrée. Il reste certes encore beaucoup à faire dans ce pays immense, dont les experts pointent les disparités, la  trop grande dépendance économique à ses gigantesques réserves d’énergies fossiles, mais le bilan  du poutinisme  n’est déjà pas si mal!

    En janvier 2016 en visite à Moscou, il était encore ministre de l’Economie, M. Macron avait affirmé que les sanctions économiques frappant la Russie étaient une mauvaise chose pour les entreprises françaises. Le Macron candidat de ces derniers mois a martelé au contraire les mises en garde contre la Russie, développant un antipoutinisme assez primaire mais conforme avec sa logique progressiste. Quel, qui est donc le vrai Macron? Nous le saurons bientôt.

    Le vrai Macron c’est déjà celui des discours ambivalents que l’on connait qui a rencontré jeudi à Bruxelles les 28 dirigeants de l’Otan, juste avant la réunion du G7 qui s’est déroulée à Taormina (Italie),  qui a déclaré qu’il fallait tout faire pour éviter la «destruction de l’Europe» de Bruxelles, évoquant l’impératif d’une «refondation européenne » et  contestant être un eurobéat…

     Donald Trump lors de cette même réunion a « tancé ses pairs lors d’une cérémonie au nouveau QG de l’Alliance (atlantique) à Bruxelles, affirmant qu’ils devaient  d’énormes sommes d’argent en raison du déséquilibre entre les budgets militaires des Etats-Unis et des pays d’Europe. Le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, s’est voulu rassurant,  M Trump a clairement exprimé son soutien à l’Otan , se félicitant que l’administration Trump propose d’augmenter de 40% les budgets alloués aux déploiements de soldats américains en Europe en 2018.»

    Et surtout,  le président américain ne s’est pas contenté de tacler Mme Merkel en expliquant que « nous devons être durs » et « vigilants » sur l’immigration. « Des milliers et des milliers de personnes se répandent dans nos différents pays et se dispersent, et dans de nombreux cas, nous ne savons pas qui ils sont ».  Il a aussi entretenu la russophobie: « L’Otan du futur doit se concentrer sur le terrorisme et l’immigration, ainsi que sur les menaces de la Russie et les frontières à l’est et au sud de l’Otan », a insisté M. Trump.

    Sur son compte twitter , M.  Macron a d’ailleurs  écrit, avec ce tropisme victimaire qui est au  cœur de l’aveuglement de la gauche,  que «les terroristes prospèrent sur la misère. Lutter contre le terrorisme, c’est aussi promouvoir l’éducation, s’engager pour le développement ». Affirmer (uniquement)  cela c’est ne rien comprendre au ressort profond du djihadisme. Les travaux  menés sur les fondamentalistes, les cadres islamistes dans de nombreux pays musulmans soulignent d’ailleurs que ce système idéologico-religieux n’est pas l’apanage des illettrés, des voyous et des déshérités, loin s’en faut.

    Selon un récent sondage  l’Otan serait plébiscitée en Pologne et aux Pays-Bas (auprès de 79 % des citoyens dans ces deux cas), suivis par les Allemands (67 %), les Canadiens (66 %), les Américains et les Britannique (62 %), les Français (60 %) et les Espagnols (45 %).Otan qui comme le souhaitait  Donald Trump qui a obtenu gain de cause des Européens jeudi,  est devenu membre à part entière de la coalition internationale contre l’EI en Irak et en Syrie. Et ce, le jour même ou des frappes de l’aviation (américaine?) visant des islamistes ont de nouveau  tué des civils et des enfants jeudi dans la ville syrienne de Mayadine,  selon l’officine proche des Frères musulmans, l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH ). L’armée américaine a reconnu officiellement la mort accidentelle de 352 civils tués par la coalition en Irak et en Syrie depuis 2014. N’en doutons pas,  ce sang répandu-là nourrit aussi la haine et la  propagande des islamistes.

    https://gollnisch.com/2017/05/29/russie-otan-le-dessous-des-cartes/

  • "La France atlantiste ou le naufrage de la diplomatie" de Hadrien Desuin

    2074666294.jpgTribune littéraire d’Eric Delbecque

    Ex: http://destimed.fr 

    Dans La France atlantiste ou le naufrage de la diplomatie (Éditions du Cerf), Hadrien Desuin part d’un constat fort et simple : la vassalisation de la France dans le monde. Il en tire une conclusion tout aussi limpide et lourde : à l’heure de la mondialisation, la hiérarchisation classique qui donne la priorité à la politique intérieure sur la politique étrangère ne fonctionne plus. Dans un monde « ouvert », il convient d’abord de manifester sa cohérence et sa force à l’étranger. Or, l’Hexagone ne s’en montre plus capable.

    Notre voix à la surface de la planète se résume à trois mots : morale, compassion et communication. Adieu à la realpolitik. Desuin parle avec une grande clarté et justesse : « Aujourd’hui, la nouvelle religion universelle des droits de l’Homme voudrait en finir avec la distinction entre conviction éthique et action diplomatique. Pour les chantres de la mondialisation heureuse, la fragmentation des nations est néfaste sans qu’ils ne réalisent combien le meilleur des mondes qu’ils projettent laisse place à une fragmentation communautaire bien plus violente. De surcroît, la globalisation ressort propice à une sorte de naïveté humanitaire où chaque crise internationale apparaît réductible un fait divers collectif ».

    Sur un jeu d’échec global réapparaissant dans sa nature forcément tragique, la France a perdu la boussole dans le grand chaos planétaire. Quant à l’Europe, elle ne trouve pas sa place dans la grille internationale de la puissance. Notre pays s’égare dans un atlantisme paresseux qui lui évite le trouble d’élaborer dans la douleur un position constructive et originale dans le concert des nations, dont elle a pourtant eu le secret durant la parenthèse gaullienne.

    Parallèlement, elle s’engouffre trop volontiers dans la promotion d’un droit d’ingérence caricatural qui fabrique davantage de problèmes qu’il n’en résout. « Le concept de « guerre humanitaire » […], écrit l’auteur, forme une synthèse hybride entre le courant doctrinaire atlantiste et belliciste d’une part et la mouvance associative des droits de l’homme d’autre part. Il relève du glissement des idéaux du pacifisme humaniste militant vers la notion de responsabilité militaire protectrice. L’ingérence marque la tentative de légitimer par le droit international n’importe quelle guerre au nom de principes supérieurs, indéniablement nobles mais aux conséquences incalculables et aux effets souvent désastreux ».

    Hadrien Desuin décrit ensuite quelques lieux où s’élabore cet atlantisme droit-de-l’hommiste, compagnon du néoconservatisme, notamment la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS), créée en 1993. Le résultat aujourd’hui ? Une politique étrangère réduite au suivisme vis-à-vis des Américains, et une propension à substituer le respect craintif du politiquement correct à l’analyse géopolitique lucide. Ce premier problème se double d’un second : la dénonciation permanente de l’identité nationale qui conduit à un « messianisme humanitaire à la française ». Ce dernier s’enracine dans une conception « hors-sol, déracinée et abstraite de l’identité. Inversement, le messianisme à l’américaine repose sur la certitude que les Etats-Unis ont une mission évangélisatrice et que l’humanité doit suivre la patrie américaine ».

    L’ensemble de cette logique a fini par aboutir à la réintégration par la France du commandement militaire de l’OTAN. Quant à l’Europe de la défense, elle demeure une politique assez théorique… Les Européens, français compris, apparaissent toujours peu ou prou à la remorque de Washington. Notons d’ailleurs que la Maison Blanche sait s’affranchir des règles de la morale droit-de-l’hommiste quand les intérêts de la bannière étoilée l’exigent. En témoigne le cas de l’Iran : plus question d’Axe du Mal ou d’exportation du modèle démocratique. Face aux ambitions russes et chinoises, il est devenu essentiel de régler la question iranienne. Il en découle naturellement une politique de défense peu enthousiasmante depuis vingt ans (malgré les efforts et les incontestables réussites de personnalités particulières, comme Jean-Yves Le Drian). Notons enfin que l’auteur met en lumière les incohérences de la politique française au Moyen-Orient et vis-à-vis de la Russie.

    2368833082.jpgAu final, Hadrien Desuin démontre avec talent et précision que la France ne décide plus en toute indépendance sur la scène internationale mais en fonction d’intérêts politiciens et au nom de l’utopie d’une démocratie universelle qui produit des désastres en série. Retrouver la singularité de la voix de la France impose de sortir de cette impasse. Un ouvrage stimulant à lire attentivement !

    Eric DELBECQUE Président de l’ACSE et membre du Comité Les Orwelliens (ex-Comité Orwell). Il vient de publier : Le Bluff sécuritaire

    http://euro-synergies.hautetfort.com/

  • Premiers nuages sur la tête de Macron, le président à la mode bobo

    Sans parler de « l’affaire Ferrand », que nous évoquerons demain, deux couacs ont marqué ce début de semaine, ou cet après-Manchester, comme on voudra : Pour commencer, l'inquiétante et affligeante vacuité des réactions - tardives - du président si mal élu : dire par exemple que « les terroristes ont une cible : le monde libre et la jeunesse », est-ce que, sérieusement, quelqu'un peut penser que cela soit une réaction à la hauteur des faits, et un vocabulaire digne du Chef de l'Etat français ?
    1. D'abord, de quels terroristes s'agit-il ? D'êtres étranges, venus d'ailleurs, ou de nulle part ? Mystère, semble-t-il. Notre président sait qu'il y a « terrorisme », mais sans plus. Inquiétant... Et découvrir, aujourd'hui, que « le monde libre » est la cible des terroristes islamistes - parce que, nous, nous savons de qui il s'agit, à la différence du président - n'est-ce pas un peu comme... découvrir l'eau tiède ? Quant à prétendre que « la jeunesse » est leur cible, on nous pardonnera, mais c'est carrément idiot. Il y avait des jeunes à Nice, aux terrasses des cafés de Paris, au Bataclan ; il y en avait partout ailleurs dans le monde là où les lâches assassins de l'ombre ont frappé. Non, vraiment, ce « jeunisme » de mauvais aloi du président jeune sonne très, très mal...
    2. Ensuite, cette désastreuse image des quatre ministres devant le perron de l'Elysée, pour parler de Manchester : quatre hommes, pas de femmes (bonjour la parité !), et deux vieux (Bayrou et Collomb, bonjour le rajeunissement et le changement des visages !)∗. Attention, et qu'on nous comprenne bien : ce qui nous choque, ce n'est pas qu'il y ait ou non des femmes en un moment aussi grave, ou qu'il y ait deux ministres âgés. Ce qui nous choque c'est l'hypocrisie et la tartufferie :
    - nous ne sommes ni « jeunistes » ni « anti seniors » : seules les compétences doivent primer pour nommer aux plus hauts postes. Jeanne d'Arc avait achevé sa grandiose mission à 19 ans, et Léonard de Vinci a peint la Joconde a plus de soixante ans. Nous pensons donc qu'on ne doit ni privilégier ni rejeter la jeunesse, en soi ; ni faire la même chose pour l'âge mûr. Mais, justement, c'est ce que Macron a fait : il a dit, avec moi ce sera la jeunesse, et il s'est enfermé dans le piège de l'imbécile parité. Résultat : dès que les choses sont un peu sérieuses, zéro femme et deux vieux routiers de la politique, dont le dernier des Caïmans, Bayrou. Franchement, ce n'est pas sérieux. On se souvient encore du sort des ministres femmes de Juppé (les « Jupettes », virées dès le premier remaniement) ; on parlera longtemps de cette image malheureuse du perron de l'Elysée après Manchester, qui se révèlera certainement néfaste pour Macron, à terme...
    - et quand nous parlons d’ « imbécile parité », nous voulons simplement dire que, là aussi, ce n'est pas le sexe mais la compétence qui doit faire nommer tel ou telle. Supposons - c'est une hypothèse d'école - que l'on doive recruter dix personnes à dix postes importants. Se présentent dix femmes remarquables, et dix hommes totalement incompétents. Il faudra bien sûr nommer les dix femmes et ne retenir aucun homme. Ou l'inverse, si les choses se présentent inversées. Mais poser en principe que l'on prendra tout le temps et en toutes circonstances moitié d'hommes et moitié de femmes, voilà bien une aberration - le type même de la fausse bonne idée bobo - dans laquelle notre président s'est enfermé sottement.
    Nous le disons d'autant plus volontiers que, vis-à-vis des femmes et de la confiance qu'on peut leur faire, notre Royauté a presque neuf siècles d'avance sur cette pauvre république idéologique, à bout de souffle, qui en est réduite à des gadgets de gamin pour donner l'impression qu'elle a encore quelque chose à dire ! En effet, six fois, dans notre Histoire, sous la Royauté, la totalité du pouvoir, sur la totalité du pays (et pas seulement un ministère) a été confiée à des femmes ! Et, excusez du peu, quatre fois à des femmes étrangères ! Et, réexcusez du peu, la première d'entre elles, Blanche de Castille, reçut deux fois les pleins pouvoirs, une fois au début du règne de Louis IX (minorité) et l'autre lorsque le roi partit en Terre sainte.
    Alors, il est où le « féminisme » ? Elle est où, la « promotion de la femme » ? Royauté ou République, c'est lequel des deux régimes qui est le plus « avancé », le plus « ouvert », le plus « jeune », le plus... -  allez, disons-le ! - moderne
    Sans compter que, quelques heures plus tard, invité de Jean-Jacques Bourdin, le premier flic de France dévoilait follement que Salman Abedi était « sans doute » passé par la Syrie et qu'il avait des liens « avérés » avec le groupe Etat islamique, qui a revendiqué l'attentat. Les enquêteurs britanniques avaient averti leurs homologues européens mais s'étaient bien gardés de divulguer l'information : ils n'ont pu que qualifier de « désespérante « (sic !) la bourde monumentale du nouveau ministre, qui commence bien mal !

  • Thomas Wauquier « 1995 2015 savoir tirer les leçons des guerres balkaniques »

  • Les fiancés de la mort et les stratèges de la terreur globale (Jean-Michel Vernochet)

  • Tristes tropiques géopolitiques

    Un bref retour sur la lecture des Tristes tropiques de Claude Lévi-Strauss pourrait bien faire la lumière sur l’Etat du monde en termes de géopolitique.

    Déjà au début du XXe siècle, à travers ses nombreux voyages et ses rencontres avec les Indiens du Brésil, Lévi-Strauss avait su démasquer les leurres du discours orientaliste et néocolonial, tout en démontrant les ravages que l’idéologie du progrès de la civilisation mécaniciste occidentale produit sur son environnement et les différentes cultures avec lesquelles elle entre en contact.

    Loin de méditer sur le devenir et le relativisme des civilisations sur le plan anthropologique et culturel, le National Intelligence Council (NIC) a remis, le 9 janvier dernier, au nouveau président des Etats-Unis  Donald Trump, son nouveau rapport sur l’Etat du monde, comprenant des pronostics sur l’évolution du monde dans les années à venir. Le rapport, qui rend compte des tendances démographiques, technologiques et environnementales (sous le titre de Tendances globales : les paradoxes du progrès), dégage toutes les thématiques en mouvement qui influeront à moyen et à long terme sur l’organisation du monde, et distingue trois scénarios d’organisation humaine possibles dans les vingt prochaines années.

    Le même rapport fait état des enjeux soulevés par « le paradoxe du progrès » : sous la poussée d’une démographie de plus en plus jeune dans les pays en voie de développement, l’économie, l’emploi et l’urbanisation vont augmenter dans certaines régions du monde (pays du BRICS), alors que la croissance économique dans les pays riches va rester faible dans un avenir proche. Cette croissance plus faible devrait aboutir à une remise en question de la mondialisation mais aussi des bienfaits de progrès technologique qui « aggraveront les disparités entre les “gagnants” et les “perdants” ». Le rapport dresse un éventail de risques naturels et polémogènes : le changement climatique et les questions de santé, une météo extrême, le manque d’eau et de nourriture et de fertilité des terres, l’acidification des océans, la fonte des glaces et la pollution, les maladies infectieuses ; autant de risques potentiels qui appellent à une collaboration étroite de la communauté internationale.

    La gouvernance mondiale devient de plus en plus difficile et inadaptée en raison de la prolifération du phénomène polyarchique et le nombre croissant d’acteurs qui rendent difficile la gestion commune des crises. Le rapport stigmatise la montée du populisme de gauche comme de droite, l’influence du facteur religieux, le nationalisme, qui « menaceront le libéralisme ».

    Prenant en compte les différentes problématiques et défis dans les 20 années à venir, le NIC prévoit trois scénarios possibles : « Islands » (Iles), « Orbites » (Orbites) et « Communities » (Communautés).

    -Le premier des scénarios des « Iles » correspondrait au pire des scénarios d’un repli sur soi des Etats et envisage un monde dans lequel les Etats se fermeraient aux défis externes et les collaborations entre Etats seraient très restreintes.

    -Le deuxième scénario, celui des « Orbites », ferait des Etats-Unis une sorte d’orbite globale centripète, puissance-pivot mondiale bienveillante qui devrait être capable de rassurer ses alliés sur fond de coopération renforcée et de déployer de nouvelles capacités militaires qui devraient neutraliser les nouvelles dynamiques d’escalade qui augmentent le risque de guerre.

    -Enfin le troisième scénario, celui des « Communautés », consisterait à faire des démocraties libérales les nouveaux leviers d’une gouvernance décentralisée et des partenariats public-privé. On note le rôle de sous-traitant dédié aux grandes entreprises multinationales qui pourraient compléter le travail et le rôle des gouvernements « en fournissant des recherches, une éducation, des formations, une couverture médicale et des services d’information pour les sociétés dans le besoin.

    Alors que les Etats-Unis persistent dans leur tropisme géoconstructiviste global, en inventant et réactivant des discours-images et des guerres de représentations en faveur de la légitimation de leurs interventions dans le monde, ce tropisme géopolitique est le plus souvent en contradiction, en conflit avec le tropisme local, social et culturel des lieux. En effet, l’équation entre représentation géopolitique et territorialité réelle n’est jamais aisée. Le géopolitique et la dynamique sociale et territoriale d’un lieu, même s’ils peuvent entrer en résonance, leurs cadres spatiaux ne se calquent jamais. Les frontières, les nouvelles situations géopolitiques contribuent à l’émergence d’un espace public communautaire singulier, en marge des pesanteurs idéologiques, des volontés réductrices et uniformisatrices du discours géopolitique.

    Les mêmes erreurs produisent souvent les mêmes effets. Et si l’on résume les grandes lignes prospectives de ce dernier rapport, les Etats-Unis devraient s’engager, en dépit de l’arrivée d’un président loué pour son antisystémisme, sur la voie d’un ordre mondial, certes, perturbé et en mouvement, mais reposant sur le libéralisme marchand, une gouvernance mondiale hybride revisitée et relookée élargie au secteur des ONG et des grandes corporations, dans lequel seraient bannies toutes formes de populisme et de nationalisme jugées comme principales ennemies » de cette nouvelle communauté globale. Ce tropisme piétiste voire messianique ne date pas d’hier et coïncide parfaitement avec le divorce entre les élites mondialistes et les citoyens, non seulement en Europe mais aussi dans le monde entier. Il correspond à ce que l’éditorialiste économique Martin Wolf (dans Le Monde du 18 janvier 2014) nomme « La faillite des élites ». L’auteur y développe la thèse du manquement des élites européennes et mondiales dans la crise actuelle et dans celle de la Première Guerre mondiale (1914-18). Le trait commun d’hier et d’aujourd’hui est représenté par un cumul impressionnant d’ignorance et de préjugés ayant conduit, avec le premier conflit, à détruire les deux piliers de l’économie du XIXe siècle : le libre-échange et l’étalon or, avec la crise actuelle qui a encouragé un gigantesque pari consistant à dissocier responsabilité (répercussions d’une crise systémique) et pouvoir (système de décision) portant atteinte à la gouvernance démocratique. Le divorce entre élites et citoyens a engendré en Europe une concentration du pouvoir entre trois bureaucraties non élues (la Commission, la Banque Centrale européenne et le Fonds monétaire international) et une série de pays créanciers.

    Si le Tropisme rend compte de la tendance d’un organisme à croître dans une direction donnée, par exemple vers le bas ou vers le haut, on sait de longue date que le tropisme politique voire idéologique aboutit le plus souvent à un déni de réalité, en persistant dans l’erreur et la reproduction ad vitam æternam d’un simulacre géopolitique déstructurant. Eh bien, tout comme hier les Tristes tropiques dévoilaient l’eurocentrisme culturel et civilisationnel de l’Occident, aujourd’hui ces erreurs d’optique et de sens rendent compte du désordre géopolitique mondial.

    L’élection de Donald Trump en tant qu’outsider de l’Establishment américain annonçait, certes, pour le camp multipolaire et antiglobaliste des lendemains joyeux mais très vite désenchanteurs face à la pression de l’Etat profond étatsunien et surtout après l’attaque surprise étatsunienne en Syrie. Il faut rappeler que le camp atlantiste interprétait le tropisme géopolitique de Trump sous la forme d’une nouvelle opportunité pour refonder des relations transatlantiques plus équilibrées, plus inclusives et plus resserrées, dans un espace géopolitique « de Vancouver à Vladivostok ». En tout état de cause, la nouvelle feuille de route étatsunienne et sa représentation géopolitique du monde semblent souffrir du même tropisme atavique de cette super-puissance hégémonique au moment même où cet Empire est en voie de reflux sur le plan économique. Le tropisme bruxellois, à la fois technocratique et normativiste,   complète le tropisme globaliste du grand marché, le tropisme ONUsien, et puis, au niveau macro-régional, les différents tropismes néo-impériaux des puissances ayant connu dans le passé une expérience impériale.

    Bien sûr, il serait naïf de croire que le tropisme en géopolitique est uniquement un attribut de puissances globales qui prétendent au hegemon global. Le plus souvent, ce même tropisme globaliste se nourrit de tropismes régionaux, sub-régionaux et panistes qui, en tant qu’éléments apparemment perturbateurs, font très souvent le jeu des puissances globales, ainsi : tropisme néo-ottoman, tropisme grand-russe néosoviétique, micro-panismes dans les Balkans, le tropisme grand-albanais, le tropisme grand-serbe, etc. (le tropisme ethno-confessionnel qui cumule souvent les uchronies et les mythes fondateurs).

    D’autre part, une autre tendance plus scientifique et intellectuelle voire universitaire consiste à systématiquement déceler, classifier, découper le tout en parties indépendantes voire manichéennes, dans un cadre d’analyse autoréférentiel binaire, polaire, les dynamiques géopolitiques à l’œuvre dans le monde. Ce tropisme systémiste ne prend pas en compte les dynamiques plus complexes et conjoncturelles, les alliances ad hoc croisées, plus souvent dictées par le contexte et le moment que par des constantes statiques. En effet, la précarité des équilibres de puissance (balances) et l’incertitude stratégique permanente impliquent de reconsidérer le concept d’hégémonie géopolitique du passé et la « Global dominance » du système unipolaire du passé.

    Un autre tropisme que l’on peut qualifier de tropisme géopolitique postmoderne consisterait à se représenter le monde comme un vaste laboratoire anarchique voué à une sorte de chaos entropique qui s’auto-organise spontanément. Le système-monde serait a-polaire, un monde « sans pôle », hostile à toute structure géopolitique polaire. Ce tropisme d’ailleurs serait un épiphénomène issu de la convergence entre le tropisme globaliste qui repose sur le dogme du marché transnational unificateur et le tropisme néocivilisationnel déconstructeur qui décompose les Etats et les entités politiques jugées hostiles à l’ordre néolibéral capitaliste.

    Or, même s’il est vrai que nous sommes sortis du système unipolaire américanocentré vers un monde multipolaire, il n’en demeure pas moins vrai que notre système international reste marqué par une hégémonie ou une rivalité hégémonique entre plusieurs pȏles au sein de constellations diplomatiques et militaires disparates et mouvantes. Derrière l’asymétrie des acteurs, le caractère a–polaire et les incertitudes stratégiques sont toujours à l’œuvre des stratégies de puissances et dispositifs hégémoniques. La nouveauté est que, depuis le Traité de Westphalie et l’ordre mondial de Yalta, la stabilité du système ne peut plus être le fruit d’un seul acteur global dominant. D’autre part, aucune puissance globale, y compris les Etats-Unis, ne peut prétendre au statut d’Hegemon « de sens », c’est-à-dire être en mesure de produire une stabilité de sens, une communauté de destin, une nouvelle narration intégratrice au niveau mondial. Enfin, une chose est sûre : l’inflation de tropismes en géopolitique dans ces temps d’incertitudes stratégiques ne peut être que génératrice de démesures d’hybris, de confusion et de chaos.

    A la suite des divers grands modèles d’ordonnancement géopolitique − les modèles de l’Antiquité et de l’ordre impérial, du féodal, de la modernité – notre monde se trouve au cœur de la grande parenthèse qui consomme encore le modèle de la « révolution systémique de l’âge planétaire », débutée au XXe siècle et qui coïncide avec l’implosion de l’ordre bipolaire de la Guerre froide. C’est ce que l’historien Hobsbawm appelle le « long XIXe siècle » : « Il ne fait aucun doute que la fin des années 1980 et le début des années 1990 constituent la fin d’une période, et l’entrée dans une nouvelle ère de l’histoire du monde ». Ainsi, les événements des années 1990 sont en corrélation directe avec un processus amorcé à Sarajevo en 1914. Dans un monde qui a perdu ses repères, le tropisme géopolitique consiste à attiser ou à gérer le désordre, sans possibilité de dépassement.

    Alors que les Tristes Tropiques de Lévi-Strauss finissaient avec une mise en perspective salutaire, une annonce optimiste à savoir qu’en comparaison avec les autres cultures « primitives » la civilisation occidentale apparaît comme une option, un choix, parmi d’autres offerts à l’humanité, les tropismes géopolitiques en raison de leurs implications pratiques destructrices sur le terrain annulent le choix, car ils aboutissent à un déni de réalité face à des situations complexes, protéiformes et mouvantes. Et c’est la raison pour laquelle ces tropismes se soldent le plus souvent par la pérennisation ou le gel d’une situation conflictuelle sans issue. Et c’est aussi la raison pour laquelle nous avons l’impression d’assister à du déjà-vu, lorsque l’histoire se répète. C’est le propre du tropisme que d’obéir à une dynamique de simulation, tout comme le notait Nietzsche dans La Naissance de la philosophie : « Le monde apparent est l’unique monde. C’est un mensonge que d’y ajouter le monde vrai. »

    Jure Georges Vujic
    5/05/2017

    Voir aussi : Les paradoxes du progrès : la CIA se penche sur notre avenir et ce n’est pas drôle
    Fabrice Frossard,  28/01/2017

    http://balises.info/2017/01/28/cia-se-penche-avenir-paradoxes-progres-nest-drole/

    https://www.polemia.com/tristes-tropiques-geopolitiques/