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géopolitique - Page 579

  • Comment l’argent de l’Arabie saoudite et du Golfe alimente la terreur

    Daniel Lazare est l’auteur de plusieurs livres dont  The Frozen Republic: How the Constitution Is Paralyzing Democracy (Harcourt Brace).

    Exclusif : Alors que le bilan des morts des attentats de Paris continue de s’aggraver, le président Hollande dénonce « un acte de guerre » de l’État islamique, mais, nous explique Daniel Lazare, la réalité sous-jacente est que les riches amis de la France dans le Golfe persique sont les complices de cette horreur.

    Au lendemain du dernier attentat terroriste de Paris, la question n’est pas de savoir quel groupe en particulier est responsable de l’attaque, mais en tout premier lieu de savoir qui est responsable de l’émergence de l’État islamique et d’Al-Qaïda. La réponse qui a émergé de plus en plus clairement au cours de ces dernières années est que ce sont les dirigeants occidentaux qui ont utilisé des portions croissantes du monde musulman comme terrain pour leurs jeux guerriers, et qui viennent maintenant verser des larmes de crocodile sur les conséquences de leurs actes.

    Ce phénomène a commencé dans les années 80 en Afghanistan, où la CIA et la famille royale saoudienne ont quasiment inventé le djihadisme en essayant d’imposer aux Soviétiques une guerre à la vietnamienne juste dans leur arrière-cour. C’est ce qui s’est passé aussi en Irak, que les États-Unis et la Grande-Bretagne ont envahi en 2003, déclenchant ainsi une guerre civile féroce entre les chiites et les sunnites.

    C’est ce qui se passe aujourd’hui au Yémen où les États-Unis et la France aident l’Arabie saoudite dans une guerre aérienne de grande ampleur contre les chiites Houthis. Et c’est ce qui se passe en Syrie, théâtre du jeu guerrier le plus destructeur, là où l’Arabie saoudite et d’autres pays du Golfe fournissent armes et argent à Al-Qaïda, à l’État Islamique, connu aussi sous les noms d’ISIS et de Daech, et à des organisations du même type, ce que les États-Unis savent parfaitement.

    Les dirigeants occidentaux encouragent cette violence tout en s’en indignant quasi simultanément. En avril 2008, un responsable du ministère des finances a témoigné, lors d’une audition devant le Congrès : « L’endroit d’où part l’argent que reçoivent les groupes terroristes sunnites et les Talibans reste prioritairement l’Arabie saoudite. » [cf Rachel Ehrenfeld «Their Oil is Thicker Than Our Blood» dans Saudi Arabia and the Global Islamic Terrorist Network : America and the West’s Fatal Embrace (New York: Palgrave Macmillan,2011), p. 127.]

    En décembre 2009, Hillary Clinton a indiqué dans une note diplomatique confidentielle que les donateurs d’Arabie saoudite constituaient, et ce au niveau mondial, la source la plus importante de financement des groupes terroristes. En octobre 2014, Joe Biden a déclaré aux étudiants de la Kennedy School de Harvard : « les Saoudiens, les émirats, etc. […] sont si déterminés à provoquer la chute d’Assad et surtout à mener par procuration une guerre chiites contre sunnites […] [qu’]ils ont versé des centaines de millions de dollars et fourni des dizaines de milliers de tonnes d’armement militaire à tous ceux qui voulaient se battre contre Assad, sauf que ceux qui ont reçu cette manne, c’étaient Al-Nosra et Al-Qaïda. »

    Le mois dernier, le New York Times s’était plaint dans un éditorial de ce que les Saoudiens, les Qataris et les Koweitiens maintenaient leurs donations non seulement à Al-Qaïda mais aussi à l’État Islamique.

    Cependant, même si on a souvent promis d’arrêter de financer ces groupes, les robinets sont demeurés grand ouverts. Les États-Unis ont non seulement approuvé de telles pratiques, mais ils en ont même été partie prenante. En juin 2012, le Times a écrit que la CIA travaillait avec les Frères Musulmans à faire passer aux rebelles anti-Assad des armes fournies par les Turcs, les Saoudiens et les Qataris.

    Deux mois plus tard, la Defense Intelligence Agency, le Bureau du renseignement militaire, a indiqué qu’Al-Qaïda, les salafistes et les Frères Musulmans dominaient le mouvement rebelle syrien, que leur but était d’établir une « principauté salafiste dans l’est de la Syrie » là où se trouve maintenant le califat et que c’est « précisément ce que veulent les puissances qui soutiennent l’opposition », c’est-à-dire l’Occident, les États du Golfe et la Turquie, « afin d’isoler le régime syrien. »

    Plus récemment, l’administration Obama n’a soulevé aucune objection lorsque les Saoudiens ont fourni à Al-Nosra, la branche officielle syrienne d’Al-Qaïda, des missiles de pointe TOW pour l’aider lors de son offensive dans la province d’Idleb au nord de la Syrie. Elle n’a pas protesté quand les Saoudiens ont souhaité très vivement accroître leur aide à ces groupes, en réponse à l’intervention russe qui soutient le régime affaibli d’Assad.

    Il y a deux semaines, Ben Hubbard du Times a indiqué que les troupes des opérations spéciales américaines introduites dans le nord de la Syrie avaient reçu l’ordre de travailler avec des rebelles arabes qui avaient précédemment collaboré avec Al-Nosra et qui – bien qu’Hubbard ne le précise pas – ne manqueront sûrement pas de le faire de nouveau quand les Américains seront partis.

    Collaboration, vous avez dit collaboration ?

    Bien qu’ils vouent une haine éternelle à Al-Qaïda, les États-Unis et leurs alliés du Golfe travaillent main dans la main avec ces mêmes forces, lorsqu’il s’agit d’atteindre certains objectifs. Pourtant, à présent, de Washington à Riyad, les dirigeants se désolent fort de ce que ces mêmes groupes mordent la main qui les nourrit.

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  • TERRORISME : L’OVERDOSE MÉDIATIQUE

    Les médias audiovisuels font objectivement le jeu des terroristes
    Ex: http://metamag.fr
    Le traitement médiatique de la dramatique actualité française, en butte à une guerre asymétrique menée contre no us au nom d'Allah, est irresponsable.On nous affaibli, on nous inquiète, on met en vedette les tueurs.
    Tout d’abord, il y a ces défilés permanents d’experts qui expliquent tous après coup et qui annoncent toujours le pire. Ils se font mousser. Ils savent tout et c’est du rabâchage. On entend la même chose depuis 10 jours. Les médias participent à la montée de l’angoisse collective. C’est indiscutable.
    Dans le même temps, ils sont à la recherche désespérée de l’esprit du 11 janvier disparu avec ce deuxième attentat. Ils ont du mal à  y renoncer à  leur France "black blanc beur". Ils sentent bien que les Français voudraient un régime même provisoirement autoritaire pour assurer la dimension sécuritaire et ne font pas confiance au système et à ses représentants politico-médiatiques.
    Alors, ils nous tendent l’épaule pour qu’on pleure plutôt que de crier vengeance. Leur hantise serait une réaction populaire violente. Ils accumulent donc les pages Facebook, les chandelles illuminées, les messages. Ils pratiquent toujours la ligne éditoriale du pas d’amalgame et valorisent, comme fascinés, les terroristes.

    terrorismemedias.jpg

    D’insupportables visages aussi privés d’intelligence qu’arrogants tournent en boucle. "Même pas peur", slogan creux, permet à quelques intellectuels auto proclamés, cultureux et histrions de justifier le maintien de leurs suffisances et de leurs spectacles.
    Mais les Français, en réalité, ont peur et ils ont bien raison et l’opération "tous au bistrot" a été un échec révélateur. Même pas peur mais angoissés comme jamais. A qui la faute ? La frénésie informative rend impossible le retour à l’indispensable sang froid.
    En fait les journalistes idéologiques qui prétendent nous informer sont comme des mouches dans un bocal de verre. Ils ne voient pas les parois du réel et s'y fracassent pour retrouver leur monde virtuel si léger si aérien devenu inaccessible et pour longtemps.
    Les terroristes se moquent eux de nos marseillaises, de nos bougies et de nos drapeaux. En revanche, ils scrutent les médias. Ils se sentent importants, on ne parle que d’eux, ils font la loi, ils sont le centre de la France.
    Un traitement plus sobre devrait s’imposer car les médias  ont une influence. Leur espoir c’est bien sûr un vote moins défavorable à la gauche pour les régionales dans un réflexe légitimiste. Ils commencent à penser que François Hollande revient dans le jeu présidentiel. Ils le font car c’est ce qu’ils souhaitent comme ils voient une France courageuse défendant les valeurs de tolérance.
    Ils ne veulent pas admettre que les Français ont compris et pensent finalement comme Marion Maréchal Le Pen, bien plus claire et donc courageuse que sa tante si peu présente… Dans les médias, on ne voit même plus Philippot
    «Nous ne sommes pas une terre d’islam. Si les Français peuvent être de confession musulmane (...) c’est à la condition seulement de se plier aux mœurs de la France», a dit la députée. «Chez nous, on ne vit pas en djellaba. Chez nous, on ne vit pas en voile intégral (...) A Rome, fais comme les Romains. En France, fais comme les Français», a-t-elle ajouté, en appelant à «en finir avec le droit du sol qui fabrique des Français qui n’en sont pas». Une phrase qui serait approuvée par une immense majorité de nos concitoyens mais qui, pour les médias, reste bien sûr «  controversée ». Les élections régionales risquent d’être une grande claque alors que la droite de Sarkozy est totalement inaudible.
    Bien sûr, on ne peut fermer les médias irresponsables comme les mosquées salafistes. On arriverait presque parfois à le souhaiter.
    Jean Ansard
  • Lutte-t-on vraiment contre l’Etat islamique ?

    Philippe Raggi, écrivain, chercheur en géopolitique, directeur du département Asie du Sud-Est à l’Académie internationale de géopolitique (dirigée par Aymeric Chauprade)

    ♦ Sortir de l’idéologie et entrer dans le réalisme : c’est le premier pas qu’il s’agit d’entamer pour commencer le chemin vers un bon diagnostic pouvant porter des fruits. En effet, faut-il le rappeler, à diagnostic erroné, prescriptions erronées, résultats erronés.

    Reprenons les choses depuis le début en posant les données du problème.

    Un Etat islamique autoproclamé s’est installé à cheval entre l’Irak et la Syrie. Ce pseudo-Etat a sous sa coupe une grande partie des zones riches en hydrocarbures (gaz et pétrole). Une « Coalition » est censée lutter contre cet Etat islamique.

    En un premier point, constatons que les puits de pétrole et de gaz, ainsi que toutes les infrastructures comme la logistique qui y participe (raffineries, bâtiments, pipelines, camions citernes, etc.) font que l’Etat islamique engrange chaque mois des dizaines de millions de dollars. Ce devrait donc être des cibles de choix à bombarder, raser. Mais personne ne le fait : une chose d’autant plus curieuse que lesdites cibles sont répertoriées, cartographiées, photographiées en temps réel ; notons de surcroît qu’elles le sont depuis plusieurs décennies. L’on ne peut donc qu’en arriver à la conclusion suivante : si ces cibles ne sont pas touchées, c’est qu’il y a une volonté de ne pas le faire.

    Second point important : le pétrole et le gaz issus de ces puits (1) sont vendus sur le marché international depuis au moins trois ans au bénéfice de l’Etat islamique. Pour ce faire, ces hydrocarbures sont acheminés vers des ports où ils sont transportés via des tankers ou autres pipelines jusqu’aux acheteurs.

    Il y a deux possibilités d’acheminement depuis la source de production : les pipelines et les convois routiers. Dans les deux cas, une seule porte de sortie possible (2) pour ce pétrole et ce gaz : le port méditerranéen de Yumurtalik, via Ceyhan, tous deux situés en Turquie. Ankara sait d’où viennent le pétrole et le gaz ; il y a traçabilité des produits. Mais personne ne dénonce la Turquie pour complicité avec l’Etat islamique. D’un autre côté, les acheteurs savent – ou peuvent savoir – d’où vient ce qu’ils ont acheté. Mais qui dénonce le fait qu’en achetant le pétrole et le gaz issus des territoires occupés par l’Etat islamique, on finance les caisses de l’Etat islamique ? A toutes fins utiles, soulignons que parmi les acheteurs, il y a la France ; mais elle n’est pas la seule, il y a aussi les autres pays européens, les Etats Unis, etc. Pour finir, ladite Coalition n’a toujours pas pensé, à ce jour, à la mise en place d’un blocus de cet Etat islamique, un « Etat » de plus enclavé, rappelons-le !

    Quand on décide d’une guerre contre un Etat (ou un pseudo-Etat), on doit s’attaquer non seulement aux forces armées adverses, mais aussi aux financements, aux sources de revenus de cet Etat. Mais tant que les deux points, abordés plus haut, ne sont pas tirés au clair, le pseudo-Califat aura de beaux jours devant lui. On pourra faire des déclarations tonitruantes, en appeler à la mobilisation, à l’Etat d’urgence et autres billevesées, mais rien sur le fond ne sera résolu.

    D’où la question simple : lutte-t-on vraiment contre l’Etat islamique ?

    Philipe Raggi, 28/11/2015

    Notes :

    1/ Rappelons-le, propriétés des compagnies ExxonMobil, Shell, Total, British Petroleum, Lukoi, Petronas, Korea Gaz Corporation, ENI, China National Petroleum, Chevron, etc.
    2/ L’Etat islamique n’a aucun port et ne peut les acheminer vers le sud, vers l’Etat irakien (ou ce qu’il en reste) depuis le chaos instauré par Washington dans ce pays. Le seul pipeline en fonction sortant des territoires sous la coupe de l’Etat islamique ou de ses alliés passe par la Turquie (via Midyat).

    Source : http://www.philippe-raggi.blogspot.fr/2015/11/lutte-t-on-vraiment-contre-letat.html

    http://www.polemia.com/lutte-t-on-vraiment-contre-letat-islamique/

  • Avion russe : l’escalade se poursuit entre Moscou et Ankara

    « Nous n’avons entendu aucune excuse de la part des dignitaires politiques turcs », affirme le Président russe Vladimir Poutine, « ni de proposition de compensation des dommages, ni de promesse de punir les criminels. Cela donne l’impression que les dirigeants turcs mènent volontairement les relations russo-turques droit dans l’impasse. Nous le regrettons »

    A noter qu’Erdogan continue l’épuration dans les rangs des journalistes turcs qui ne suivent pas mot pour mot la ligne du régime. Aujourd’hui, deux journalistes accusant les services turcs de livrer des armes aux rebelles syriens, ont été arrêtés.

    http://www.contre-info.com/

  • Avion russe : l’escalade se poursuit entre Moscou et Ankara

    A noter qu’Erdogan continue l’épuration dans les rangs des journalistes turcs qui ne suivent pas mot pour mot la ligne du régime. Aujourd’hui, deux journalistes accusant les services turcs de livrer des armes aux rebelles syriens, ont été arrêtés.

    http://www.contre-info.com/

  • Le choc des non-civilisations

    Choc des civilisations vraiment ? De part et d’autre, l’entretien de cette fiction permet surtout d’oublier l’état réel de la civilisation que l’on prétend défendre, et de se lancer en toute bonne conscience dans de lyriques et exaltantes considérations identitaires. Dans ce ridicule concours des fiertés (civilisation pride ?), les divers gardiens de néant oublient l’essentiel : ils veillent sur un champ de ruines.
    Dans Respectez la joie, chronique publiée il y a déjà douze ans, Philippe Muray posait la question suivante : « Comment spéculer sur la défense d’une civilisation que nous ne faisons même pas l’effort de voir telle qu’elle est, dans toutes ses extraordinaires et souvent monstrueuses transformations ? » Face à l’ennemi islamiste, à sa haine de « l’Occident », qu’avons-nous à faire valoir pour notre défense, hormis « la liberté d’expression », « les jupes courtes », « le multipartisme », « le sexe » ou « les sandwichs au bacon » ? Pas grand-chose. Et ces éléments sont eux-mêmes illusoires : « Le seul ennui, écrit Muray, c’est que ces mots recouvrent des choses qui ont tant changé, depuis quelques décennies, qu’ils ne désignent plus rien. » Ainsi de la liberté sexuelle, brandie comme un progrès civilisationnel (ce qui en soi peut se contester), alors même qu’elle est de moins en moins effective : « On doit immédiatement reconnaître que c’est la civilisation occidentale elle-même qui a entrepris de détruire, en le criminalisant, le commerce entre les sexes ; et de faire peser sur toute entreprise séductrice ou galante le soupçon du viol ; sans d’ailleurs jamais cesser de se réclamer de la plus grande liberté. »
    L’Occident s’est tiré deux balles dans le pied
    L’Occident post-moderne a achevé l’Occident moderne, celui de la liberté individuelle et de la pensée critique. Et l’Occident moderne était né lui-même de la destruction de l’Occident traditionnel, de sa civilisation, de son histoire et du christianisme. L’Occident post-moderne est le fruit d’un double meurtre : d’abord celui de la royauté de droit divin, avec tout ce qu’elle comporte de représentations symboliques traditionnelles, avec toute la conception hiérarchique de l’ontologie qu’elle suppose. Puis, celui de l’individu. Muray, en vieux libéral qu’il est, est évidemment plus touché par ce dernier meurtre : l’individu réellement libre – c’est-à-dire : ayant les moyens intellectuels de l’être – n’est plus. Cela n’empêche pas toute l’école néo-kantienne de la Sorbonne – entre autres – de répéter à l’envi que le respect de l’individu caractérise notre civilisation, par opposition à la « barbarie » médiévale d’une part, et au « retard » des autres civilisations d’autre part, encore prisonnières d’un monde où le groupe, la Cité, importent davantage que l’individu. La réalité est pourtant plus amère, et il n’y a pas de quoi fanfaronner : notre civilisation a fini par tuer l’individu réellement libre, si durement arraché à l’Ancien Monde.
    Par un étrange paradoxe, c’est précisément en voulant émanciper l’individu que nous l’avons asservi. En effet, nous avons souscrit à la thèse progressiste selon laquelle la liberté politique et intellectuelle de l’individu suppose son arrachement à tous les déterminismes sociaux, à tous les enracinements familiaux, culturels, religieux, intellectuels. Seuls les déracinés pourraient accéder à la liberté dont l’effectivité « exigerait au préalable un programme éducatif ou un processus social (ou les deux) capable d’arracher les enfants à leur contexte familier, et d’affaiblir les liens de parenté, les traditions locales et régionales, et toutes les formes d’enracinement dans un lieu ». Cette vieille thèse, résumée ici par Christopher Lasch (Culture de masse ou culture populaire ?), est toujours d’actualité : Vincent Peillon, ex-ministre de l’Éducation nationale, a ainsi déclaré vouloir « arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel ».
    Elle est pourtant contredite par la réalité de la société de marché que nous avons bâtie. Ainsi que le remarque Lasch, « le développement d’un marché de masse qui détruit l’intimité, décourage l’esprit critique et rend les individus dépendants de la consommation, qui est supposée satisfaire leurs besoins, anéantit les possibilités d’émancipation que la suppression des anciennes contraintes pesant sur l’imagination et l’intelligence avait laissé entrevoir ».
    Le cas de l’islam en France
    Comment alors s’étonner des phénomènes que l’on constate dans les « quartiers difficiles », de l’illettrisme généralisé et de la violence banalisée qui s’y côtoient ? Comment s’étonner des effets du double déracinement des immigrés ? Voilà des gens que l’on a arraché à leur terre (ou qui s’en sont arrachés), qui ont abandonné leur culture, ont oublié leur langue, et qui n’ont dès lors plus rien à transmettre à leurs enfants. Ces enfants, parfaits cobayes de l’expérimentation de la liberté par le déracinement, sujets idéals de l’idéologie délirante d’un Peillon, sont les premiers post-humains. Sans racines, et bientôt, après un passage par l’école républicaine, sans savoir et sans attachement à leur nouvelle terre. Coupés de leurs origines sans qu’on leur donne la possibilité de s’enraciner dans une civilisation qui se sabote elle-même, ils incarnent au plus haut degré le néo-humain sans attaches, sans références, celui que rêvent les idéologues de la post-modernité. Ce n’est donc pas en tant qu’étrangers à la France que les déracinés de banlieue posent problème, mais en tant qu’ils sont les parfaits produits de la nouvelle France, celle qui se renie elle-même.
    Ce règne, chaotique dans ses effets, de la table rase n’est pas sans provoquer un certain malaise chez les individus les plus conscients. On a beau déraciner, la réalité demeure : l’enracinement est un besoin essentiel à l’humanité. On y revient toujours, d’une manière ou d’une autre. « Le déracinement détruit tout, sauf le besoin de racines », écrit Lasch. D’où le phénomène de réislamisation, processus de ré-enracinement parmi d’autres (car il en est d’autres), qui s’explique par la recherche d’une alternative à ce que l’on nomme le « mode de vie occidental » (en réalité le mode de vie mondialisé de la consommation soumise).
    Il est d’ailleurs amusant de constater que le plus grand grief que la koinè médiatique fait aux beurs réislamisés ou salafisés, plus grave encore que les attentats qu’ils projettent ou commettent, c’est « le rejet du mode de vie occidental ». Horreur ! Peut-on imaginer plus atroce blasphème ? « Comment peut-on être pensant ? » comme dit Muray. Faut-il donc être un odieux islamiste tueur d’enfants (juifs de préférence) pour trouver à redire à ce merveilleux monde démocratico-festif, qui n’est pourtant plus que l’ombre d’une ombre ?
    Face à la chute des anciens modèles occidentaux, les jeunes déracinés que nous avons produits cherchent à reprendre racine. Que certains se tournent vers l’Islam, comme vers un modèle qui leur semble traditionnel et producteur de sens, doit être compris comme une réaction au modernisme du déracinement culturel. Dans la mesure où toute alternative au « mode de vie occidental » est présentée comme une régression barbare, la radicalité de la réislamisation, le fait qu’elle se fasse notamment – mais pas uniquement – dans les termes du salafisme, paraît inéluctable : le néo-Occident permet qu’on le fuie, à condition que l’on se jette dans les impasses qu’il ménage à ses opposants.
    La déchéance civilisationnelle de l’islam
    Il est une autre raison à la radicalité de la réislamisation. Elle tient à la chute de l’islam comme civilisation. À l’instar de l’Occident, à sa suite et sous son influence, l’Orient en général et l’islam en particulier subissent les effets de la modernité et des bouleversements politiques, sociaux, intellectuels, théologiques qu’elle entraîne.
    Historiquement et politiquement, cela s’est fait d’abord par la pression occidentale sur le califat ottoman, qui ployait déjà sous son propre poids. N’oublions pas que le monde arabo-musulman est mis au contact de la pensée des Lumières dès 1798, avec l’expédition d’Égypte de Napoléon. À peine la France avait-elle accompli sa Révolution qu’elle tentait déjà d’en exporter les principes, appuyés par une subjuguante supériorité technique. Les Britanniques, mais aussi, dans une moindre mesure, les Français, n’eurent ensuite de cesse d’encourager l’émergence des nationalismes, insufflant chez les peuples arabes le désir de révolte contre la domination turque : ils posèrent en termes modernes, ceux des nationalismes, un problème qui ne se posait pas ainsi. Plus tard, ce fut l’islamisme dont se servirent cette fois les Américains. À ces facteurs, il faut ajouter l’apparition de la manne pétrolière, mise au service du wahhabisme (lui-même soutenu originellement par les Britanniques) et la révolution islamique iranienne. Tout concourrait à la destruction des structures politiques et sociales traditionnelles de la civilisation islamique : les interventions étrangères certes, mais également un certain essoufflement de l’Empire ottoman, qui avait manqué le train de la révolution industrielle et se trouva dépassé par les puissances occidentales.
    En l’absence de structures sociales fortes, ce fut bientôt la pensée islamique traditionnelle elle-même qui succomba. Face aux puissances occidentales, les musulmans réagirent de deux façons antagonistes, que l’excellent historien Arnold Toynbee a qualifiées de « zélotisme » et d’ « hérodianisme ». Voyant une analogie entre la réaction des musulmans à la domination occidentale, et celle des Juifs à la domination de l’Empire romain, Toynbee explique que tout bouleversement venu de l’étranger entraîne historiquement une réaction de repli sur soi, d’une part, et une réaction d’adhésion et de soumission totales aux nouveaux maîtres, d’autre part. Mais dans les deux cas, on sort de la sphère traditionnelle : ni les zélotes ni les hérodiens ne peuvent prétendre représenter la pensée islamique traditionnelle. Leurs conceptions respectives de l’islam obéissent à des circonstances historiques déterminées, et ne sont plus le résultat de la réflexion sereine d’une civilisation sûre d’elle-même.
    Les nombreuses manifestations de l’islamisme contemporain sont autant de variétés d’un islam de réaction. Couplée à la mondialisation, qui est en réalité occidentalisation – au sens post-moderne – du monde, et à ses conséquences, cette réaction a fini par produire un islam de masse, adapté aux néo-sociétés, et qu’Olivier Roy a admirablement analysé dans ses travaux. Dans L’Islam mondialisé, il montre ainsi en quoi le nouvel islam est un islam déraciné pour déracinés, et en quoi la réislamisation est « partie prenante d’un processus d’acculturation, c’est-à-dire d’effacement des cultures d’origines au profit d’une forme d’occidentalisation ».
    Dès lors, il apparaît clairement que le prétendu « choc des civilisations » procède d’une analyse incorrecte de la situation. Il n’y a pas de choc des civilisations, car il n’est plus de civilisations qui pourraient s’entrechoquer ; toutes les civilisations ont disparu au profit d’une « culture » mondialisée et uniformisée, dont les divers éléments ne se distinguent guère plus que par de légères et inoffensives différences de colorations. Ce à quoi on assiste est donc plutôt un choc des non-civilisations, un choc de déracinés.
    [Cet article est une version modifiée d’un texte paru initialement sur le blog de l’EPHES.]

  • Le choc des non-civilisations

    Choc des civilisations vraiment ? De part et d’autre, l’entretien de cette fiction permet surtout d’oublier l’état réel de la civilisation que l’on prétend défendre, et de se lancer en toute bonne conscience dans de lyriques et exaltantes considérations identitaires. Dans ce ridicule concours des fiertés (civilisation pride ?), les divers gardiens de néant oublient l’essentiel : ils veillent sur un champ de ruines.
    Dans Respectez la joie, chronique publiée il y a déjà douze ans, Philippe Muray posait la question suivante : « Comment spéculer sur la défense d’une civilisation que nous ne faisons même pas l’effort de voir telle qu’elle est, dans toutes ses extraordinaires et souvent monstrueuses transformations ? » Face à l’ennemi islamiste, à sa haine de « l’Occident », qu’avons-nous à faire valoir pour notre défense, hormis « la liberté d’expression », « les jupes courtes », « le multipartisme », « le sexe » ou « les sandwichs au bacon » ? Pas grand-chose. Et ces éléments sont eux-mêmes illusoires : « Le seul ennui, écrit Muray, c’est que ces mots recouvrent des choses qui ont tant changé, depuis quelques décennies, qu’ils ne désignent plus rien. » Ainsi de la liberté sexuelle, brandie comme un progrès civilisationnel (ce qui en soi peut se contester), alors même qu’elle est de moins en moins effective : « On doit immédiatement reconnaître que c’est la civilisation occidentale elle-même qui a entrepris de détruire, en le criminalisant, le commerce entre les sexes ; et de faire peser sur toute entreprise séductrice ou galante le soupçon du viol ; sans d’ailleurs jamais cesser de se réclamer de la plus grande liberté. »
    L’Occident s’est tiré deux balles dans le pied
    L’Occident post-moderne a achevé l’Occident moderne, celui de la liberté individuelle et de la pensée critique. Et l’Occident moderne était né lui-même de la destruction de l’Occident traditionnel, de sa civilisation, de son histoire et du christianisme. L’Occident post-moderne est le fruit d’un double meurtre : d’abord celui de la royauté de droit divin, avec tout ce qu’elle comporte de représentations symboliques traditionnelles, avec toute la conception hiérarchique de l’ontologie qu’elle suppose. Puis, celui de l’individu. Muray, en vieux libéral qu’il est, est évidemment plus touché par ce dernier meurtre : l’individu réellement libre – c’est-à-dire : ayant les moyens intellectuels de l’être – n’est plus. Cela n’empêche pas toute l’école néo-kantienne de la Sorbonne – entre autres – de répéter à l’envi que le respect de l’individu caractérise notre civilisation, par opposition à la « barbarie » médiévale d’une part, et au « retard » des autres civilisations d’autre part, encore prisonnières d’un monde où le groupe, la Cité, importent davantage que l’individu. La réalité est pourtant plus amère, et il n’y a pas de quoi fanfaronner : notre civilisation a fini par tuer l’individu réellement libre, si durement arraché à l’Ancien Monde.
    Par un étrange paradoxe, c’est précisément en voulant émanciper l’individu que nous l’avons asservi. En effet, nous avons souscrit à la thèse progressiste selon laquelle la liberté politique et intellectuelle de l’individu suppose son arrachement à tous les déterminismes sociaux, à tous les enracinements familiaux, culturels, religieux, intellectuels. Seuls les déracinés pourraient accéder à la liberté dont l’effectivité « exigerait au préalable un programme éducatif ou un processus social (ou les deux) capable d’arracher les enfants à leur contexte familier, et d’affaiblir les liens de parenté, les traditions locales et régionales, et toutes les formes d’enracinement dans un lieu ». Cette vieille thèse, résumée ici par Christopher Lasch (Culture de masse ou culture populaire ?), est toujours d’actualité : Vincent Peillon, ex-ministre de l’Éducation nationale, a ainsi déclaré vouloir « arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel ».
    Elle est pourtant contredite par la réalité de la société de marché que nous avons bâtie. Ainsi que le remarque Lasch, « le développement d’un marché de masse qui détruit l’intimité, décourage l’esprit critique et rend les individus dépendants de la consommation, qui est supposée satisfaire leurs besoins, anéantit les possibilités d’émancipation que la suppression des anciennes contraintes pesant sur l’imagination et l’intelligence avait laissé entrevoir ».
    Le cas de l’islam en France
    Comment alors s’étonner des phénomènes que l’on constate dans les « quartiers difficiles », de l’illettrisme généralisé et de la violence banalisée qui s’y côtoient ? Comment s’étonner des effets du double déracinement des immigrés ? Voilà des gens que l’on a arraché à leur terre (ou qui s’en sont arrachés), qui ont abandonné leur culture, ont oublié leur langue, et qui n’ont dès lors plus rien à transmettre à leurs enfants. Ces enfants, parfaits cobayes de l’expérimentation de la liberté par le déracinement, sujets idéals de l’idéologie délirante d’un Peillon, sont les premiers post-humains. Sans racines, et bientôt, après un passage par l’école républicaine, sans savoir et sans attachement à leur nouvelle terre. Coupés de leurs origines sans qu’on leur donne la possibilité de s’enraciner dans une civilisation qui se sabote elle-même, ils incarnent au plus haut degré le néo-humain sans attaches, sans références, celui que rêvent les idéologues de la post-modernité. Ce n’est donc pas en tant qu’étrangers à la France que les déracinés de banlieue posent problème, mais en tant qu’ils sont les parfaits produits de la nouvelle France, celle qui se renie elle-même.
    Ce règne, chaotique dans ses effets, de la table rase n’est pas sans provoquer un certain malaise chez les individus les plus conscients. On a beau déraciner, la réalité demeure : l’enracinement est un besoin essentiel à l’humanité. On y revient toujours, d’une manière ou d’une autre. « Le déracinement détruit tout, sauf le besoin de racines », écrit Lasch. D’où le phénomène de réislamisation, processus de ré-enracinement parmi d’autres (car il en est d’autres), qui s’explique par la recherche d’une alternative à ce que l’on nomme le « mode de vie occidental » (en réalité le mode de vie mondialisé de la consommation soumise).
    Il est d’ailleurs amusant de constater que le plus grand grief que la koinè médiatique fait aux beurs réislamisés ou salafisés, plus grave encore que les attentats qu’ils projettent ou commettent, c’est « le rejet du mode de vie occidental ». Horreur ! Peut-on imaginer plus atroce blasphème ? « Comment peut-on être pensant ? » comme dit Muray. Faut-il donc être un odieux islamiste tueur d’enfants (juifs de préférence) pour trouver à redire à ce merveilleux monde démocratico-festif, qui n’est pourtant plus que l’ombre d’une ombre ?
    Face à la chute des anciens modèles occidentaux, les jeunes déracinés que nous avons produits cherchent à reprendre racine. Que certains se tournent vers l’Islam, comme vers un modèle qui leur semble traditionnel et producteur de sens, doit être compris comme une réaction au modernisme du déracinement culturel. Dans la mesure où toute alternative au « mode de vie occidental » est présentée comme une régression barbare, la radicalité de la réislamisation, le fait qu’elle se fasse notamment – mais pas uniquement – dans les termes du salafisme, paraît inéluctable : le néo-Occident permet qu’on le fuie, à condition que l’on se jette dans les impasses qu’il ménage à ses opposants.
    La déchéance civilisationnelle de l’islam
    Il est une autre raison à la radicalité de la réislamisation. Elle tient à la chute de l’islam comme civilisation. À l’instar de l’Occident, à sa suite et sous son influence, l’Orient en général et l’islam en particulier subissent les effets de la modernité et des bouleversements politiques, sociaux, intellectuels, théologiques qu’elle entraîne.
    Historiquement et politiquement, cela s’est fait d’abord par la pression occidentale sur le califat ottoman, qui ployait déjà sous son propre poids. N’oublions pas que le monde arabo-musulman est mis au contact de la pensée des Lumières dès 1798, avec l’expédition d’Égypte de Napoléon. À peine la France avait-elle accompli sa Révolution qu’elle tentait déjà d’en exporter les principes, appuyés par une subjuguante supériorité technique. Les Britanniques, mais aussi, dans une moindre mesure, les Français, n’eurent ensuite de cesse d’encourager l’émergence des nationalismes, insufflant chez les peuples arabes le désir de révolte contre la domination turque : ils posèrent en termes modernes, ceux des nationalismes, un problème qui ne se posait pas ainsi. Plus tard, ce fut l’islamisme dont se servirent cette fois les Américains. À ces facteurs, il faut ajouter l’apparition de la manne pétrolière, mise au service du wahhabisme (lui-même soutenu originellement par les Britanniques) et la révolution islamique iranienne. Tout concourrait à la destruction des structures politiques et sociales traditionnelles de la civilisation islamique : les interventions étrangères certes, mais également un certain essoufflement de l’Empire ottoman, qui avait manqué le train de la révolution industrielle et se trouva dépassé par les puissances occidentales.
    En l’absence de structures sociales fortes, ce fut bientôt la pensée islamique traditionnelle elle-même qui succomba. Face aux puissances occidentales, les musulmans réagirent de deux façons antagonistes, que l’excellent historien Arnold Toynbee a qualifiées de « zélotisme » et d’ « hérodianisme ». Voyant une analogie entre la réaction des musulmans à la domination occidentale, et celle des Juifs à la domination de l’Empire romain, Toynbee explique que tout bouleversement venu de l’étranger entraîne historiquement une réaction de repli sur soi, d’une part, et une réaction d’adhésion et de soumission totales aux nouveaux maîtres, d’autre part. Mais dans les deux cas, on sort de la sphère traditionnelle : ni les zélotes ni les hérodiens ne peuvent prétendre représenter la pensée islamique traditionnelle. Leurs conceptions respectives de l’islam obéissent à des circonstances historiques déterminées, et ne sont plus le résultat de la réflexion sereine d’une civilisation sûre d’elle-même.
    Les nombreuses manifestations de l’islamisme contemporain sont autant de variétés d’un islam de réaction. Couplée à la mondialisation, qui est en réalité occidentalisation – au sens post-moderne – du monde, et à ses conséquences, cette réaction a fini par produire un islam de masse, adapté aux néo-sociétés, et qu’Olivier Roy a admirablement analysé dans ses travaux. Dans L’Islam mondialisé, il montre ainsi en quoi le nouvel islam est un islam déraciné pour déracinés, et en quoi la réislamisation est « partie prenante d’un processus d’acculturation, c’est-à-dire d’effacement des cultures d’origines au profit d’une forme d’occidentalisation ».
    Dès lors, il apparaît clairement que le prétendu « choc des civilisations » procède d’une analyse incorrecte de la situation. Il n’y a pas de choc des civilisations, car il n’est plus de civilisations qui pourraient s’entrechoquer ; toutes les civilisations ont disparu au profit d’une « culture » mondialisée et uniformisée, dont les divers éléments ne se distinguent guère plus que par de légères et inoffensives différences de colorations. Ce à quoi on assiste est donc plutôt un choc des non-civilisations, un choc de déracinés.
    [Cet article est une version modifiée d’un texte paru initialement sur le blog de l’EPHES.]

  • Mortel vendredi 13 : qui sème le vent récolte la tempête

    Ou bien le Golem(1) takfiriste(2), l'État islamique, créé et nourri par les occidentalistes, est devenu fou et se trouve définitivement hors de contrôle, ou bien les actes de guerre sournoise qui frappent et ensanglantent les pays du front de la contre-terreur - Syrie et Liban - ressortent d'un plan global. Stratégie de la tension dont il serait urgent d'identifier les commanditaires ultimes, des hommes et des pouvoirs bien entendu inconnus et totalement invisibles aux yeux de l'opinion publique.

    D'un point de vue trivialement quantitatif, en seulement deux semaines d'attaques terroristes, ce sont au bas mot 420 morts(3) et des milliers de blessés que l'État islamique en Irak et au Levant, Daech, s'est plu à revendiquer. Bilan qui remet en perspective la nuit du Vendredi 13 à Paris en la replaçant dans une plus large réalité compassionnelle et géostratégique. Une dimension qu'il convient urgemment de ne pas négliger si l'on veut comprendre les tenants et aboutissants de l'actuelle situation de crise panique. Sinaï, Lattaquié, Beyrouth, Paris, des actes terroristes récents auxquels il faut ajouter les 102 morts d'Ankara le 10 octobre, où, comme à Paris, il conviendra de ne pas ignorer de persistantes zones d'ombre. En effet s'il est à peu près assuré que dans la capitale anatolienne l'État islamique a bien été le bras armé d'un indéniable acte de guerre, dans ce cas précis, spécialistes et grande presse élitiste ont avec insistance pointé du doigt l'État profond, autrement dit des strates occultes du pouvoir turc. Ceci pour souligner que derrière les versions officielles et les certitudes premières se cachent éventuellement des réalités stratégiques d'une puissante et obscure complexité.

    Comme toujours des faits troublants

    Il est trop tôt et il serait malvenu au moment où le deuil frappe tant de Français de procéder à une analyse méthodique de tous les éléments troublants qui s'accumulent au fil des heures et viennent de facto fragiliser des conclusions faciles tirées à la hâte. Déjà nombre de détails attirent l'attention comme par exemple cet étrange passeport syrien découvert très vite et très opportunément. Cela rappelle la carte d'identité de l'un des frères Kouachi curieusement abandonnée le 7 janvier dernier, après la tuerie de la rue Nicolas-Appert, sur le siège arrière d'un véhicule volé. Ce qui renvoie encore, et furieusement, au passeport volant retrouvé le 11 septembre 2001 au milieu de flaques d'acier en fusion dans les décombres des Tours jumelles de Manhattan. Des Tours qui avaient changé de propriétaire peu avant les attentats, à l'instar du magasin Hyper Cacher de la porte de Vincennes et du Bataclan, dernier en date. Des faits anodins pris isolément mais dont la répétition finit par laisser perplexe. D'autres dérangeantes similitudes entre différents épisodes terroristes existent, celles-ci ne manqueront pas d'être bientôt soulignées par des dissidences intellectuelles non astreintes au devoir de réserve.

    En tout état de cause les attentats de Paris sont l'aboutissement d'une terrible série qui a auparavant tué 142 personnes au Yémen, le vendredi 20 mars, jour de la prière mahométane, au cours d'une vague d'attentats revendiqués par l'ÉI contre des mosquées chiites. Puis, le 18 juillet en Irak au nord de Bagdad, un attentat, également revendiqué par Daech, faisait 90 victimes.

    Ce serait donc à grand tort que l'on espérerait appréhender et expliquer la nuit de sang et de cendre du 13 novembre à Paris en voulant ignorer ces précédents qui, de toute évidence, participent d'une même continuité stratégique dans le cadre d'une politique de la terreur et des chocs intercommunautaires à très large échelle. Stratégie à multiples entrées et objectifs, parfois dissonant entre eux. Entendons ici que si les acteurs sont vraisemblablement tous des psychopathes plus ou moins drogués(4), les donneurs d'ordre, eux, pouvant être divers et poursuivre des buts de guerres divergents. Une donnée d'autant plus présente que l'on garde en mémoire que l'entité ÉI n'est qu'un instrument, un simple outil dans une guerre innommée et rien d'autre.

    La France ambiguë rattrapée par la guerre terroriste

    Hélas, au-delà du chagrin et des larmes, force est de poser quelques questions pénibles. Ainsi pourquoi la France, membre de l'impressionnante Coalition arabo-occidentale en Irak et en Syrie(5) sous commandement américain, destinée en principe à l'annihilation de l'ÉI - dont les premières opérations remontent au 8 août 2014 - mais pour quels résultats ? - a-t-elle attendu jusqu'à aujourd'hui pour lancer des frappes massives sur Raqqa, capitale de l'ÉI ? C'est pourtant - possiblement - dans le poste de commandement détruit par les bombes françaises qu'ont pu être décidées et planifiées les tueries du vendredi 13. Attendait-on que le carnage eût lieu pour sévir ? Et à cette occasion resserrer les liens sociaux coercitifs d'une démocratie qui n'en a plus que le nom depuis déjà un certain temps ?

    Ajoutons que jusqu'à l'entrée dans la danse de l'aviation russe, le 30 septembre, les bombardements cosmétiques de la coalition n'avaient pas le moins du monde freiné l'avancée des troupes djihadistes approvisionnées à l'occasion par certaines erreurs de largages commises par les ravitailleurs de l'US Air force(6). Une progression marquée spectaculairement par la prise de Palmyre le 21 mai, laquelle sera suivie par regorgement public d'un lot de victimes expiatoires parmi lesquelles le conservateur en chef après la destruction de certains des monuments remarquables de la cité antique.

    Rappelons enfin que jusqu'à l'instant présent, Paris a soutenu sans défaillir les factions terroristes supposées modérées. Or comme l'a souligné le président russe, Vladimir Poutine, même "modéré", un terroriste reste un terroriste. Ce qui se vérifie sur le terrain où il appert que les gens de l’Armée syrienne libre se comportent la plupart du temps avec une férocité égale ou supérieure à celle de Daech. En dépit de quoi ceux-ci ont bénéficié dès 2012, au tout début de la crise syrienne, de l'actif soutien matériel, financier, diplomatique des États-Unis, de la France, de l'Allemagne, du Royaume-Uni, d'Israël, de Turquie [Le Figaro du 21 juin 2012]. États et parties belligérantes inavouées qui ont largement recouru aux filières des Frères musulmans, c'est-à-dire des wahhabites eux aussi « modérés »(7). Reste qu'en ce qui concerne les Frères, il s'agit là de bons terroristes, modérés, démocrates en lutte contre un régime que Washington, par le truchement de ses factotums européens, veut abattre coûte que coûte mais qui, volens nolens, constitue depuis près de cinq ans un précieux rempart pour l'Occident contre la guerre terroriste. Barrage que nous avons sapé avec une inconséquence et un cynisme ébouriffant. En témoigne la phrase que prononçait en décembre 2012 le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, en décembre 2012, laquelle restera dans les annales : « Al Nosra fait du bon boulot »(8) !

    Si les citoyens français se rendaient compte que leur gouvernement soutient en Syrie, dans le dessein de renverser un gouvernement légal et légitime, élu et réélu selon des modalités guère moins démocratiques que partout ailleurs au Proche-Orient, notamment en Turquie, d'authentiques bandes d'égorgeurs, tout en prétendant les combattre sur son propre sol, alors certainement la nation s'insurgerait-elle ouvertement contre les pseudo-élites qui ont confisqué le pouvoir grâce aux tricheries institutionnalisées de la partitocratie.

    Contexte géostratégique des attentats de Paris

    Certes les attentats parisiens sont intervenus trois jours après que l'année syrienne, épaulée par le Hezbollah libanais et des Gardiens de la Révolution iranienne, eut le 10 novembre brisé l'encerclement de l'aéroport militaire de Kweires à l'est d'Alep, assiégé depuis avril 2013 par plusieurs factions rebelles. Cette offensive, commencée fin septembre, constitue en fait la première victoire significative de l'armée régulière syrienne. Dans ce contexte, on comprend mieux la rafale d'attentats - Lattaquié, Beyrouth, Paris - qui, au-delà de la vengeance, avaient pour but de divertir et de diviser les forces gouvernementales concentrées sur la bataille d'Alep, dès lors contraintes de quitter le front pour renforcer le dispositif de protection de la capitale et autres centres urbains névralgiques.

    N'oublions pas que Damas est pareillement une ville en état de siège où plusieurs enclaves wahhabites poursuivent la lutte à moins de deux kilomètres du centre et des quartiers d'affaires. Jobar,qui jouxte le quartier chrétien, est le théâtre de combats quotidiens, les takfiristes retranchés dans un labyrinthe de tunnels à couches multiples - de huit à quinze étages courant sous cette partie de la cité - livrent bataille sans répit dans les ruines d'une ville fantôme. Chaque nuit, et souvent le jour, la ville retentit des coups sourds de l'artillerie, dont la fréquence informe de l'intensité des combats. Au demeurant la vie se poursuit et les sept millions d'habitants de Damas continuent à vaquer à leurs activités dans une impressionnante indifférence.

    Cependant si l'on resitue les attentats de Paris, indépendamment des revers de Daech dans la région d'Alep, dans la série plus longue des attaques terroristes perpétrées depuis le début de l'année, l'on voit aisément qu'il ne s'agit pas seulement de desserrer l'étau qui commence à broyer les forces djihadistes. Mais bel et bien d'une guerre d'un nouveau type, conçue et mise en œuvre par des stratèges de la terreur et des planificateurs de haut vol. Car si meurtrir Lattaquié et Beyrouth peut se concevoir dans le contexte régional de la guerre, l'on ne voit pas bien pourquoi il fallait attraire Paris. La réponse ne s'est en effet pas faite attendre et l'unique porte-aéronefs français le Charles De Gaulle, sorti de sa paresseuse torpeur, s'est enfin décidé à appareiller en direction de la Méditerranée orientale. Bref, dans la logique de conquête de l'ÉI, porter le fer et le feu en Europe hors et loin de l'Irak, du Yémen et du front syro-libanais, comporte quelque chose d'irrationnel, d'incohérent. Nous avons là par conséquent une autre zone d'obscurité qu'il convient a minima de signaler. Quel était l'intérêt de frapper Paris ? Question élémentaire, simpliste, mais en vérité essentielle.

    Daech golem occidentaliste

    Outre les soutiens logistiques occidentaux et les livraisons d'armes, qui sont amplement documentés, il faut souligner que les revenus de Daech - l'argent étant le nerf de la guerre - sont principalement assurés par des ventes de pétrole via la Turquie, pilier oriental de l'Otan. C'est donc avec le concours du gouvernement de M. Erdogan que sont rendues possibles les exportations de brut de l'EI. Un commerce lucratif - un million de dollars par jour ! - sans lequel la guerre n'aurait pu se prolonger si longtemps. Ankara et l'Otan ne peuvent évidemment ignorer le transit de ces hydrocarbures à travers le territoire turc, il apparaît ici que l'un des membres éminents de l'Alliance atlantique est conjointement l'un des commanditaires directs de la guerre terroriste. Les pays les plus riches de la planète, le G20 réuni à Antalya, en Turquie, ne viennent-ils pas de révéler que 40 États, et non des moindres, soutiennent financièrement Daech parmi lesquels l'Arabie et la Turquie ?

    Alors peut-être conviendrait-il que les nations accordent leurs violons et instaurent une réelle discipline internationale. Qu'elles renoncent pour un temps aux excès du double, voire du triple langage et réintroduisent un zest de morale en politique. Faute de quoi, malgré le rapprochement sensible des présidents Obama et Poutine, malgré les revirements qui se dessinent relatifs au maintien ou au départ d'el-Assad de la présidence syrienne, il faudra désormais admettre que les attentats de Paris s'inscrivent dans une véritable logique de guerre civile intercommunautaire. Logique alimentée par des vagues migratoires qui sont elles-mêmes autant d'actes de guerre et au sein desquelles se sont glissés quelques milliers de candidats au martyr. Têtes brûlées et têtes fêlées gavées de Captagon qui croient accéder au paradis alors qu'elles ne sont que les soldats sacrifiés de la nouvelle Révolution mondialiste. Celle qui prévoit, selon un haut fonctionnaire des Nations Unies en poste à Beyrouth - information recueillie à la bouche du cheval - le démantèlement programmé de l'Irak, de la Syrie, du Yémen et... de l'Arabie séoudite.

    Léon Camus. Rivarol du 19 novembre 2015

    1)Le Golem est pour la kabbale juive une créature monstrueuse façonnée dans de la boue de main d'homme, ceci afin de servir et de défendre son créateur. Le Golem échappe évidemment à ses maîtres pour semer la mort et la désolation.

    2)Le Takfirisme est une forme extrémiste de l'Islam. Il s'agit en fait du wahhabisme, religion officielle de l'Arabie dite séoudite et du Qatar, grands alliés de l'hyperclasse mondialiste. Le mot Takfir doit obligatoirement se traduire par anathème, l'excommunication par l'extermination, soit le herem hébraïque. De telle sorte que les takfiri regardent les autres musulmans comme autant d'apostats devant à ce titre être anéantis sans pitié. Voir Les Égarés de Jean-Michel Vermochet, Éditions Sigest 2013 & Petite bibliothèque rivarolienne.

    3)Les tragiques événements de Paris - un bilan provisoire établi à 129 morts au soir du 16 novembre - ne doivent pas escamoter les 224 touristes russes de la catastrophe aérienne du Sinaï, victimes selon toute vraisemblance d'un acte terroriste, par ailleurs revendiqué par Daech. Il faut aussi citer les 22 morts en Syrie, le 10 novembre, à Lattaquié et, deux jours plus tard, 43 victimes à Beyrouth sud dans le fief chiite du Hezbollah.

    4)La consommation d'une amphétamine, le Captagon, qui inhibe la peur et tout sentiment d'empathie à l'égard de l'ennemi désigné. Quand en Tunisie, Sei-feddine Rezgui, le 28 juin 2015, ouvre le feu sur la plage d'un hôtel de Sousse causant la mort de 38 touristes, l'autopsie révèle qu'il est alors sous l'emprise du Captagon. Le Liban était encore en 2011 le principal producteur de cette drogue très prisée des djihadistes combattant en Syrie. Le 26 octobre 2015, le prince de la famille royale séoudienne, Abdel Mohsen ïbn Walid Ibn Abdelaziz, était arrêté à l'aéroport de Beyrouth en possession de deux tonnes de Captagon. Le 4 novembre 2015 c'est au tour de Gadi Eîzenkot, chef d'état major des armées d'Israël, pris en flagrant délit avec également deux tonnes d'amphétamines à Paris-Charles-de-Gaulle. Celles-ci devaient être chargées sur un jet privé à destination de Tel-Aviv. Ces chargements n'étaient sans doute pas dévolus à l'usage personnel de leurs détenteurs... Des faits divers donnant d'intéressantes indications quant aux pourvoyeurs des égorgeurs de Daech, al-Nosra & Cie.

    5)Allemagne, Arabie, Australie, Bahreïn, Belgique, Canada, Danemark, Espagne, Émirats arabes unis, États-Unis, France, Jordanie, Maroc, Pays-Bas, Portugal, Qatar, Royaume-Uni, Turquie.

    6)À Kobané, le 22 octobre 2014, une cargaison d'armes destinée aux combattants kurdes des Unités de protection du peuple [YPG] serait tombée « par erreur » dans les lignes djihadistes. Une erreur apparemment extrêmement fréquente si l'on en croit le porte-parole du Pentagone Hissa Smith, avouant à demi-mot à l'Agence de presse RIA Novosti que l'Él utilise des moyens de défense anti-aérienne et anti-chars de dernière génération d'origine américaine.

    7)Voir à ce sujet Occident et Islam. Sources et genèse messianiques du sionisme de Youssef Hindi, Sigest 2015.

    8)Le Monde du 13 décembre 2012 - La décision des États-Unis de placer Jabhat Al-Nosra, un groupe djihadiste combattant aux côtés des rebelles, sur leur liste des organisations terroristes, a été vivement critiquée. Fabius a de cette manière estimé, mercredi 11 novembre, que « tous les Arabes étaient vent debout » contre la position américaine, « parce que, sur le terrain, ils [Al-Nosra) font un bon boulot ». M. Hollande ne confesse-t-il pas de son côté, dans un livre à paraître du journaliste Xavier Panon, avoir livré en 2012 des armes aux rebelles syriens en violation de l'embargo européen : « Nous avons commencé quand nous avons eu la certitude qu'elles iraient dans des mains sûres. Pour les armes létales, ce sont nos services qui ont procédé aux livraisons » (AFP 6 mai 2015)?