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géopolitique - Page 713

  • Vide du Politique/Politique du Vide/Révolution : Le retour du politique : du chaos à la révolution européenne.

    La société du vide que dépeignait Yves Barel, en 1984, est bien là. Elle est consécutive au triomphe de la consommation, à la prévalence de l’activité marchande et financière sur toutes les autres formes d’activités humaines. Corrélativement, elle a vidé le politique de sa substance. Cette mutation globale n’est ni un fait du hasard, ni une nécessité historique. Mais, elle est le résultat d’une stratégie de longue haleine inspirée par l’interprétation véhémente de la philosophie libérale (celle que redoutait et condamnait David Hume), et, plus précisément, par une extrapolation du « paradigme smithien » qui convient si bien au monde des affaires, lequel sait l’instrumentaliser avec le plus grand cynisme.

    En effet, il a été emprunté à Adam Smith deux idées qui fondent et légitiment l’argumentaire des hommes politiques occidentaux contemporains. Au-delà de leurs nuances partisanes, qu’elles soient de droite ou de gauche. La première, la plus connue, est que la généralisation de l’économie de marché et de l’échange, qui satisfait à la recherche du gain individuel, est la meilleure façon de développer « la richesse des nations ». La seconde est qu’il existe chez l’homme « un plaisir de sympathie réciproque » (in Théorie des sentiments moraux) tel que l’élévation du produit global, accouplée à l’expansion de la communication universelle, doit lui permettre de sortir de l’animosité latente de la sociabilité politique.

    Erreur

    L’homme mondialisé, sans appartenance identifiée, dépolitisé, sans préférences nationales ou culturelles, est ainsi devenu, en dépit de toutes les réalités qui en contredisent l’existence, l’icône de la pensée occidentale moderne. Au point que l’on voudrait enlever aux Européens leur droit à conserver leurs différences, et interdire qu’ils s’opposent, dès lors et à ce titre, au fait d’être remplacés sur leurs propres terres par des populations venues d’ailleurs.
    L’éviction du politique en Occident
    La fin du politique a été stratégiquement réfléchie au lendemain de la Grande guerre, dont il faut dire, mais la seconde guerre mondiale aussi, combien elle a illustré les effets néfastes et catastrophiques de la part d’irrationnel qui peut habiter l’animal politique qu’est l’homme. Plutôt que dans l’internationalisme du président américain Wilson, c’est dans la conception d’un monde unifié (One World) qui occupe l’esprit de Franklin D. Roosevelt, laquelle lui est inspirée par son conseiller le géographe américain Isahïa Bowman, qu’il faut situer cette réflexion. Ce dernier cultivait l’idée d’un fédéralisme mondial, réalisable le jour où les Etats-Unis parviendraient à débarrasser le monde de ce qu’il jugeait être « la force la plus rétrograde du Vingtième siècle », à savoir l’Etat-nation. Dans les faits, il aura fallu attendre la fin de la Guerre froide, et que les Etats-Unis aient vaincu le communisme après avoir écrasé le nazisme, pour que l’économicisation des sociétés et des relations internationales devienne effective.

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  • Quatre djihadistes de Lunel morts en Syrie

    VIDÉO - Partis depuis plusieurs mois faire la «guerre sainte», ces quatre jeunes d'une même ville de l'Hérault sont morts à la suite de bombardements de l'armée syrienne. La police enquête sur une filière locale de recrutement.

    Lunel, dans l'Hérault, terre de recrutement pour le djihad? L'information, en tout cas, a créé un choc dans cette ville de 25.000 âmes, à 20 kilomètres à l'est de Montpellier: pas moins de quatre jeunes lunellois, âgés de 19 à 30 ans, sont morts, révèle Le Midi Libre , lors d'un bombardement de l'armée syrienne, le week-end dernier, non loin de la frontière avec le Liban.

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  • L'idéologue de poutine - Entretien avec Alexandre Douguine

    Né en 1962 à Moscou, le philosophe et géopoliticien Alexandre Douguine a repris à son compte une théorie créée par des émigrés russes dans les années 1920 : l'eurasisme. Selon cette vision du monde, l'Union soviétique n'était qu'un nouvel avatar de l'Empire russe - un espace dont l'étendue et la multi-ethnicité nécessitaient un État centralisé fort, une assimilation forcée des populations frontalières « dangereuses » et une répression constante de toute forme de démocratie, d'autogestion ou de revendication de libertés individuelles. Pour les eurasistes, la Russie représente une civilisation unique dotée de sa propre mission historique : créer un nouveau centre de puissance et de culture qui éclairera le reste du monde - et cela, d'autant plus que l'Occident est voué à la décadence.
    Dès l'éclatement de l'URSS, Douguine devient le chantre d'une révolution conservatrice ; la Russie, explique-t-il, doit reprendre le contrôle des anciennes républiques soviétiques et, plus globalement, se placer à la tête d'une « civilisation terrestre » fondée sur l'étatisme, l'idéalisme et le principe de la suprématie du bien commun. Cette civilisation se confrontera nécessairement à la « civilisation maritime », incarnée en premier lieu par les États-Unis et fondée sur l'individualisme, le commerce et le matérialisme.
    Dans les années 1990, Douguine n'est qu'un penseur marginal qui prône sans grand succès une synthèse du socialisme et d'une idéologie d'extrême droite ouvertement fascisante. Mais au cours de la décennie suivante (une période marquée par les mandats successifs de Vladimir Poutine qui s'installe au Kremlin en 2000), son influence s'accroît nettement. Ses idées séduisent une part toujours croissante de la société russe et sont particulièrement populaires parmi les militaires. Ses livres, dont certains sont publiés en France, deviennent des bestsellers dans sa patrie.
    Allié aux cercles russes les plus réactionnaires, Douguine crée un « Mouvement eurasien international » qui réunit des chercheurs, des politiques, des parlementaires et des journalistes de plusieurs pays unis par la haine du libéralisme et des États-Unis. Ce mouvement joue un rôle important dans la collusion que l'on observe entre les partis d'extrême droite européens et le pouvoir russe. En France, Douguine est étroitement lié à des personnalités de la droite radicale comme Alain Soral (qui a préfacé son dernier livre) et Alain de Benoist. Douguine se fait le chantre d'un futur « État eurasien » qui doit comprendre tous les États post-soviétiques ainsi que les pays de l'Europe de l'Est et exercer un « protectorat » sur l'ensemble du continent européen. À l'est, cet État devrait, considère-t-il, envisager l'annexion de la Mandchourie, de la Mongolie et du Tibet.
    La popularité de Douguine, fréquemment invité à la télévision russe, ne serait sans doute pas possible si le Kremlin n'approuvait pas ses thèses, au moins de façon tacite. Plus Vladimir Poutine impose un mode de gouvernement autoritaire, plus Douguine est en cour. Depuis plusieurs années, le philosophe est régulièrement en contact avec un conservateur russe très influent, Sergueï Glaziev (1), qui est actuellement le conseiller du président Poutine pour l'intégration eurasienne.
    Alexandre Douguine approuve de tout coeur l'annexion de la Crimée mais estime que la Russie ne devrait pas s'arrêter en si bon chemin : il exhorte le président Poutine à occuper l'est et le sud de l'Ukraine. Le penseur, très prolifique, offre en outre des fondements « théoriques » à la position ultra-conservatrice du président russe sur des sujets tels que la limitation des libertés, l'interprétation « traditionnelle » de la famille, l'intolérance à l'égard de l'homosexualité et le soutien inconditionnel envers une Église orthodoxe russe qu'il voit comme un élément central de la renaissance de la Russie en tant que grande puissance.
    Au cours des vingt dernières années, l'idéologie de Douguine a influencé une génération entière de conservateurs et d'activistes radicaux qui, à leur tour, militent pour que les grands principes de l'eurasisme soient officiellement adoptés par l'État. C'est à Douguine, ami proche du président kazakhstanais Noursoultan Nazarbaev, que l'on doit l'idée même de la création de l'Union eurasienne - une organisation supranationale qui est désormais le grand cheval de bataille de Vladimir Poutine. Les théories de Douguine prétendent aujourd'hui au rôle d'idéologie principale du pays. D'où l'intérêt que représente cet entretien exceptionnel.
    G. A.
    Galia Ackerman - Vous êtes l'idéologue de l'eurasisme. Comment résumer ce concept ?
    Alexandre Douguine - L'eurasisme est une continuation de la pensée slavophile qui exalte l'originalité de la civilisation russe. C'est une vision du monde qui se base sur la multipolarité. Nous rejetons l'universalisme du modèle occidental, protestons contre le racisme culturel européen et affirmons la pluralité des civilisations et des cultures. Pour nous, les droits de l'homme, la démocratie libérale, le libéralisme économique et le capitalisme sont seulement des valeurs occidentales ; en aucun cas des valeurs universelles.
    G. A. - Mais si ces valeurs sont « occidentales », ne devraient-elles pas être aussi celles de la Russie ? Après tout, une grande partie du territoire russe se trouve en Europe et la culture russe est étroitement liée à la culture du Vieux Continent...
    A. D. - L'identité russe n'est ni une identité occidentale ni une identité européenne. Nous, les Russes, sommes à moitié européens et à moitié asiatiques. Nous avons donc notre identité propre, qui ne se résume à aucun de ces deux ensembles. D'ailleurs, l'un des objectifs de l'eurasisme consiste à valoriser l'apport de l'Asie à notre culture et à notre mentalité.
    G. A. - Vous avez longtemps été un marginal dans le milieu intellectuel et politique russe ; aujourd'hui, on a l'impression que vous êtes devenu l'un des principaux inspirateurs de Vladimir Poutine...
    A. D. - Je n'ai jamais été un marginal : je me suis toujours trouvé au centre de la conscience historique russe. C'est le Politburo soviétique puis le gouvernement de Boris Eltsine qui étaient à côté de la plaque, si vous me permettez l'expression. Dans les années 1990, une petite minorité de politiciens partisans de l'Occident a usurpé le pouvoir et imposé au peuple des valeurs et des décisions qui lui étaient étrangères. Mais avec l'arrivée de Vladimir Poutine au Kremlin, j'occupe désormais la place qui me revient de droit : j'ai été accepté par l'élite politique en tant que penseur qui exprime l'identité profonde de mon peuple. Les idées que je développe depuis trente ans sont à présent partagées par une partie importante de la société russe et se trouvent à l'origine de la création par Vladimir Poutine de l'Union eurasienne.
    G. A. - Dans quelle mesure l'Union eurasienne s'inspire-t-elle de vos idées ?
    A. D. - Il ne s'agit pas encore d'une réalisation complète de la philosophie eurasienne. Mais Poutine va dans la bonne direction. Il se débarrasse de plus en plus du libéralisme et de l'influence américaine. Bien sûr, il conserve certaines idées libérales mais son libéralisme économique est soumis aux intérêts nationaux. C'est fondamental. Si l'on considère que les lois du marché libre sont au-dessus de l'État, c'est une chose ; mais si l'on pense que c'est l'État qui prime, c'en est une tout autre ! Or pour Poutine, et je m'en félicite, le libéralisme est une valeur secondaire. L'affaire Khodorkovski l'a bien montré : si les activités économiques d'un individu entrent en conflit avec les intérêts nationaux, ce personnage doit être châtié par l'État.
    Poutine agit avant tout au nom de la logique pragmatique - mais cette logique correspond à la logique historique de la spécificité de la civilisation eurasienne. Il a déjà affirmé la nécessité stratégique de restaurer l'espace post-soviétique ; dans le futur, il sera obligé d'accepter graduellement les autres aspects de la philosophie politique eurasienne. Je suis tout à fait optimiste à cet égard.
    Bien entendu, l'Occident sera contre cette Union eurasienne. Les atlantistes et les eurocentristes verront toujours la Russie comme un pays barbare et ennemi, et l'Union eurasienne comme une organisation absolument inacceptable. Pour une raison simple : ces gens-là ont une vision raciste du monde.
    G. A. - Quel est le modèle économique et social que vous prônez ?
    A. D. - Le sociologue français Louis Dumont affirme qu'il existe deux approches permettant de comprendre la société : l'approche individualiste qui se trouve à la base du libéralisme économique (et des crises que nous vivons) ; et l'approche holiste qui considère l'économie non comme une somme d'actions individuelles mais comme une entité globale qu'on ne peut atomiser sans la détruire. Je suis partisan du holisme. Le socialisme est une forme imparfaite du holisme car il n'inclut pas de dimension religieuse et nationale. L'idée eurasienne, c'est de créer un système économique entièrement basé sur le holisme civilisationnel.
    G. A. - Pouvez-vous préciser ?
    A. D. - Je vais prendre un exemple : l'économie islamique. Dans cette économie, le prêt bancaire, à savoir l'usure, est interdit. En se basant sur les préceptes de la religion musulmane, on arrive à créer une économie qui possède certaines dimensions du marché, mais qui est soumise à la logique religieuse et qui exclut, de ce fait, les opérations financières purement capitalistes.
    Notre holisme est, bien sûr, différent du holisme musulman, hindou ou chinois. Ainsi, dans la Chine actuelle, le libéralisme économique et le totalitarisme politique se rejoignent et s'unissent autour du concept de la civilisation raciale chinoise. Le miracle chinois possède sa propre logique économique qui utilise certains aspects du libéralisme, du socialisme, du communisme... mais, fondamentalement, il repose sur l'idée de la race chinoise.
    De la même façon, il nous incombe d'élaborer et d'instaurer une économie eurasienne non libérale qui ne s'appuiera pas sur l'individualisme mais sur un « tout » eurasien. Ce sera une sorte de socialisme eurasien adogmatique et atypique, non soviétique, non marxiste, où les différentes ethnies et cultures qui coexistent dans les territoires de l'Eurasie pourront créer leurs propres modes de gestion allant dans le sens du holisme, dans le sens du tout. Pourquoi ce socialisme sera-t-il non marxiste ? Parce que le marxisme se base lui aussi sur le racisme. Il considère, en effet, que l'expérience économique occidentale, c'est-à-dire la création de la société capitaliste, constitue un destin universel, un stade par lequel doivent passer tous les peuples du monde. Nous réfutons cette idée.
    Le socialisme eurasien est un socialisme identitaire qui crée ses pratiques économiques sur la base des valeurs culturelles historiques des peuples. Ceux-ci doivent avoir la liberté de créer, d'imaginer leurs propres visions économiques. Le marché n'est pas un destin pour nous. Je veux me faire bien comprendre : le libre marché peut être un élément de l'économie. Je ne suis pas contre le marchand en tant que tel ; je suis contre la société marchande qui est au coeur du projet capitaliste.
    G. A. - L'eurasisme serait-il proche des idées de Soljenitsyne ?
    A. D. - Je crois que nous pouvons nous inspirer de certaines de ses idées. Je pense, en particulier, à ses idées concernant la reconstruction de la Russie, à commencer par la restauration de l'économie paysanne traditionnelle. Nous avons une attitude globalement positive à l'égard de son oeuvre : indéniablement, Soljenitsyne était patriote et russophile. Nous lui reprochons cependant d'avoir trop critiqué le système soviétique, ce qui a aidé les ennemis de l'URSS à détruire notre pays. Ce fut sa grande erreur.
    G. A. - Vous avez mentionné Mikhaïl Khodorkovski. En quoi était-il dangereux pour Poutine ?
    A. D. - Khodorkovski fut envoyé en prison parce que ses décisions économiques allaient à l'encontre des intérêts nationaux. Il ne voulait pas accepter les limites et les règles instaurées par Poutine. Je connais personnellement Khodorkovski : je l'ai rencontré avant son arrestation et nous avons discuté de l'avenir de la Russie. Il était adepte de la mondialisation. Dans la pratique, ce processus impliquait une perte de souveraineté pour la Russie. Cela ne le gênait pas : il était tout à fait prêt à transmettre le contrôle des ressources naturelles russes aux Américains. En outre, il finançait des partis politiques, y compris certaines formations présentes au Parlement ! Il avait ainsi la possibilité de peser sur le cours des choses. Pour Poutine, Khodorkovski représentait donc un danger à la fois stratégique, géopolitique, économique et politique. Non parce qu'il était riche, mais parce qu'il était un traître à la souveraineté nationale. Il s'appuyait sur l'élite économique et politique héritée de l'époque de Boris Eltsine et cherchait à faire basculer dans ce camp Vladimir Poutine - qui, lui, avait une vision politique basée sur la souveraineté.
    Quant aux autres oligarques, s'ils ne sont pas encore en prison et peuvent librement vaquer à leurs activités économiques, c'est parce qu'ils sont loyaux et acceptent les règles du jeu proposées par Poutine : les intérêts de l'État priment les intérêts privés. Mais s'ils veulent entrer en politique et jouer un jeu libéral qui sera jugé dangereux par Poutine, ils connaîtront à leur tour le destin de Khodorkovski.
    G. A. - Approuvez-vous la politique sociale de Vladimir Poutine ? Il y a quand même beaucoup de pauvres dans cette Russie riche...
    A. D. - La justice sociale n'est pas le point fort de Poutine, je le reconnais. En revanche, il satisfait à certaines attentes de la majorité patriotique. Étant lui-même patriote, il comprend intuitivement ce que veut le peuple. Il a changé le climat culturel de la Russie. Au niveau de l'information, par exemple. Aujourd'hui, la norme est de respecter notre pays, notre Histoire et notre identité. C'est l'inverse du discours médiatique en vigueur à l'époque de Boris Eltsine.
    Mais je ne cherche pas à éluder votre question : c'est vrai, Poutine n'a rien fait pour améliorer la situation des pauvres. Il faut le critiquer pour l'absence de justice sociale et pour avoir privilégié les oligarques - à condition, je l'ai dit, qu'ils jouent selon les règles qu'il a instaurées. Ne croyez pas que nous sommes des poutiniens inconditionnels. Il reste que, globalement, nous soutenons Poutine parce qu'il va dans la bonne direction. Il est le meilleur parmi toute l'élite politique et économique de notre pays. Et si on le compare aux autres leaders ou chefs d'État d'Europe ou d'Asie, il est également le meilleur.
    G. A. - Comment expliquez-vous la montée de l'opposition à la veille des élections législatives et présidentielles, fin 2011 et début 2012, puis le rapide affaiblissement de ce mouvement ?
    A. D. - Pour répondre à cette question, il faut analyser l'équilibre des forces dans la politique et dans la société russes. En 2008, Poutine a nommé à la présidence Dmitri Medvedev, un homme souvent présenté comme un « modéré » et un « libéral ». Les libéraux occidentalistes ont interprété cette annonce comme le signe que le pays allait revenir à l'époque de Boris Eltsine ou de Mikhaïl Gorbatchev. Par exemple, le « redémarrage » de la relation avec les États-Unis proclamé par Medvedev et le président américain Barack Obama rappelait la politique conduite en son temps par Gorbatchev. Aujourd'hui, on comprend que tout cela n'était qu'un faux-semblant décidé par Poutine. Medvedev n'était qu'un masque avenant, rien d'autre. Nos libéraux et même l'Occident ont cru qu'il y aurait en 2012 un second mandat de Medvedev, et que ce second mandat entérinerait le recommencement de la perestroïka et, à terme, la destruction de la Russie. Ils sont donc restés calmes. Et lorsque Poutine a déclaré, fin 2011, qu'il revenait au Kremlin, ce fut pour eux un véritable choc. Les élites libérales ont compris qu'on les avait délibérément trompées et elles se sont indignées. D'où les protestations que vous évoquez.
    Mais ces manifestations n'ont rien changé au cours des événements. Poutine a repris sa place et les contestataires ont constaté qu'il était impossible de changer quoi que ce soit de façon pacifique. Or, chez nous, il n'y a pas de prémices à une révolution populaire, tout simplement parce que la population est totalement anti-libérale. Les thèses des libéraux sont partagées par certains secteurs de l'élite, surtout économique... et c'est tout. Il s'agit d'une minorité absolue qui n'a pas la capacité de provoquer une révolution. Les foules réunies à Moscou lors de l'hiver 2011-2012 étaient essentiellement composées de représentants de l'élite économique. Dans les autres villes, il n'y avait rien de semblable : ces élites habitent Moscou et, à un degré bien moindre, Saint-Pétersbourg. Cette tentative de révolte des élites a fait long feu. On sait désormais que Poutine est là pour longtemps. Après son troisième mandat présidentiel, qui est en cours, il en effectuera un quatrième ; puis il choisira un héritier qui maintiendra le même cap. On peut dire que Poutine, c'est pour toujours ! Et l'idéologie eurasienne aussi. Par conséquent, il serait plus réaliste de la part de l'Occident de s'y adapter : la Russie est bel et bien de retour, il faut s'y faire.
    G. A. - Que pouvez-vous dire de la civilisation européenne ? Est-elle compatible avec l'eurasisme ?
    A. D. - En Europe, il y a trop de liberté pour les libéraux et pour les pervers, et trop peu de liberté pour le peuple. La démocratie libérale en Europe devient de plus en plus élitiste et anti-démocratique. De mon point de vue, il s'agit d'une forme nouvelle de totalitarisme - un totalitarisme libéral orienté contre la majorité, contre les peuples européens.
    Je ne crois pas que l'Europe fasse partie de la civilisation eurasiatique, et je ne crois pas non plus que la Russie fasse partie de la civilisation européenne. L'idée selon laquelle il faudrait exporter les valeurs européennes vers la Russie est une forme de colonisation spirituelle. C'est une idée impérialiste. À cet égard, il faudrait rendre aux Européens la monnaie de leur pièce. Ils essaient de nous imposer des valeurs européennes ? Imposons-leur les valeurs russes ! Pour contrer l'impérialisme européen, mettons en oeuvre l'impérialisme eurasien ! Les Européens s'en indigneront probablement ; ils comprendront alors ce que nous ressentons lorsqu'on nous impose des valeurs qui ne sont pas les nôtres.
    G. A. - Comment la Russie pourrait-elle imposer ses valeurs à l'Europe ?
    A. D. - On peut envisager la création d'un lobby eurasien qui constituerait en Europe des réseaux aussi puissants que ceux dont les élites pro-européennes disposent encore en Russie. La meilleure manière de contrecarrer l'attaque intellectuelle à laquelle l'Europe se livre contre la Russie, c'est d'organiser une contre-attaque symétrique de la Russie contre l'Europe.
    Entendons-nous bien : je ne crois pas que la Russie doive être hostile envers l'Europe. Mais l'attitude européenne actuelle à notre égard relève de l'agression ; et, quand on est agressé, on doit se défendre. Si nous lançons cette contre-attaque que j'appelle de mes voeux, qui dit que l'Europe ne finira pas par suivre la voie de la Russie ? Notre modèle n'est-il pas séduisant ? Nous pourrions proposer à l'Europe d'entrer dans le champ de force de l'orthodoxie, de la civilisation russe, de Dostoïevski, du romantisme russe, de nos valeurs traditionnelles holistes ! Bon nombre d'Européens, bien plus qu'on ne le pense, accepteraient de vivre sous le protectorat de la Russie, selon le modèle proposé par Friedrich Nietzsche qui voulait que l'Europe soit placée sous le protectorat de l'Allemagne de la même façon que la Grèce s'est trouvée, des siècles durant, sous protectorat romain...
    En tout état de cause, si une alliance réelle finit par naître entre la Russie et l'Europe, il faudra que ce soit une alliance entre deux égaux. Non un subterfuge par lequel l'Europe chercherait à « moderniser » ou à « occidentaliser » les Russes. Nous sommes l'autre Europe, nous sommes l'autre civilisation chrétienne, non un espace périphérique, insignifiant et peu civilisé. Au lieu d'une grande Europe de l'Atlantique à l'Oural, je propose une Eurasie s'étendant de Vladivostok jusqu'à Dublin et Lisbonne !
    G. A. - La religion orthodoxe doit-elle devenir la religion officielle de l'État en Russie ?
    A. D. - Le poids de l'Église orthodoxe est en train de croître. Mais je ne crois pas qu'il faille définir son rôle en termes juridiques.
    G. A. - Ne souhaitez-vous pas que l'orthodoxie joue un rôle de premier plan dans le pays ?
    A. D. - Si, justement. Et c'est pour cette raison que je ne veux pas qu'elle soit proclamée « religion d'État » ! Je m'explique.
    De la fin du XVIIe siècle jusqu'à la fin du communisme - bien que son statut ait radicalement changé après 1917 -, l'Église orthodoxe russe a toujours été soumise à l'État : d'abord à l'État absolutiste de Pierre le Grand et de ses successeurs, puis à l'État soviétique athée (2). J'estime que l'Église doit être indépendante et elle ne pourrait pas l'être si l'État décidait de refaire de l'orthodoxie la foi officielle. L'Église doit se revivifier et retrouver ses racines pour revenir au modèle byzantin, c'est-à-dire à la symphonie des pouvoirs, à une sorte de synergie entre le patriarche et le tsar ou le chef de l'État. Le patriarche Kirill (3) a explicitement déclaré que c'était son idéal.
    G. A. - Quelle place pour l'islam en Russie ?
    A. D. - Le pouvoir politique russe s'entend parfaitement avec l'islam traditionnel de Russie et de l'espace eurasiatique. Nous avons des problèmes avec l'islam radical - un islam importé qui, jusqu'à récemment, n'existait pas au sein des populations musulmanes de ces contrées. Notre modèle traditionnel est celui d'une coexistence pacifique entre l'orthodoxie et l'islam, basée sur la compréhension mutuelle. Il est vrai que la notion de sacré n'est pas la même dans la vision chrétienne orthodoxe et dans la religion musulmane ; mais la différence qui existe entre le sacré chrétien et le sacré musulman est bien moindre que la différence entre la conscience religieuse et la conscience séculière. Par exemple, orthodoxes et musulmans partagent la même attitude à l'égard de toute atteinte aux lieux saints quels qu'ils soient. C'est pourquoi des représentants du clergé islamique ont pris part aux manifestations contre les Pussy Riot. Autre exemple : le groupe des Femen attaque à la fois le christianisme et l'islam. Dès lors, ceux qui croient en Dieu se retrouvent dans le même camp. Et quand notre foi en Dieu est brutalement agressée, nous devenons solidaires les uns des autres. Ma conviction, c'est que les chrétiens, les musulmans et les adeptes des autres religions traditionnelles doivent former un front commun contre le sécularisme qui nous attaque. Défensif aujourd'hui, ce front peut devenir offensif demain. Dans le monde moderne ou postmoderne, le facteur religieux devient de plus en plus important. On est en passe d'assister à ce que le sociologue et théologien américain Peter Berger appelle la « désécularisation ». Et dans cette nouvelle phase, les croyants réunis au sein du front commun s'aideront mutuellement pour restaurer le sens du sacré dans tous les domaines de la vie.
    G. A. - Êtes-vous opposé à l'influence de l'Église catholique sur les Russes ?
    A. D. - Aujourd'hui il n'existe aucun conflit entre l'Église catholique et l'Église orthodoxe. Les relations entre ces deux institutions ont parfois été houleuses, mais ces confrontations appartiennent au passé. Par exemple, le pape Jean-Paul II avait souhaité évangéliser l'espace post-soviétique, ce que les orthodoxes n'ont pas apprécié. De la même façon, nous autres orthodoxes n'avons rien contre nos populations protestantes. Le vrai problème, c'est l'activité des sectes évangéliques pseudo-chrétiennes (4) qui influencent des gens âgés, faibles, désorientés, en professant des idées bizarres voire extrémistes. En somme, le mouvement eurasien a des contacts réguliers avec les juifs, les musulmans, les bouddhistes et les protestants. Il est vrai que nous n'avons pas beaucoup de contacts avec les catholiques en Russie ; mais j'ai d'excellentes relations avec les catholiques de France et d'autres pays européens.
    G. A. - Parlez-moi du lobby eurasien en Europe occidentale. Qui le compose ?
    A. D. - Des amoureux de la Russie, bien sûr, mais aussi des personnes qui, tout en étant indifférentes envers la Russie et réservées vis-à-vis de Poutine, rejettent l'hégémonie américaine, le libéralisme totalitaire et le diktat des minorités que l'on observe dans les sociétés européennes. C'est cet ennemi commun qui nous unit, bien plus que la sympathie mutuelle.
    Ce qui est sûr, c'est que dans certains cercles de gauche comme de droite, on préfère largement Poutine aux dirigeants des pays européens : sa lutte contre le sécularisme, contre le lobby libéral, contre la globalisation, contre la domination américaine, épouse les combats de ces deux camps. Ainsi, la gauche anti-libérale, par exemple Syriza, le premier parti de Grèce aux récentes élections européennes, est très proche de nos idées. À droite, je n'ai pas besoin de vous rappeler qu'il y a eu il y a peu, en France, des millions de manifestants contre le mariage gay. Ces gens sont, pour la plupart, favorables à Poutine. Ils représentent la vraie France, et leur nombre montre bien que l'élite ultra-libérale et pro-américaine est très minoritaire. Cette élite, en France comme dans les autres pays d'Europe, partage les vues de l'élite économique russe : en Europe comme en Russie, les élites sont anti-Poutine, antisocialistes, antisoviétiques, antinationalistes. En revanche, elles sont favorables à la création d'un gouvernement mondial, de même qu'elles sont favorables au mariage gay...
    Le peuple de l'Europe, qui constitue aujourd'hui une majorité encore trop silencieuse, forme la base des réseaux eurasiens. Comme je viens de le dire, ces gens ne se préoccupent pas de défendre les intérêts nationaux de la Russie, c'est secondaire. En revanche, ils sont déterminés à protéger leurs traditions et leurs racines, qui recouvrent les principes de la justice sociale, contre la dictature des élites. En France, afin de discréditer les politiques qui expriment ces idées, on les taxe de populistes. Mais le populisme, c'est une politique démocratique qui va dans le sens des demandes du peuple ! Et pourtant, le « populisme » est désormais un crime dans les « démocraties » européennes : être accusé de populisme revient à être accusé de racisme, de fascisme ou de totalitarisme. C'est le monde à l'envers !
    Mon diagnostic est sans appel : il y a aujourd'hui en Europe une dictature des élites. L'Europe se trouve sous occupation atlantiste. Heureusement, il y a la Russie, un véritable poumon extérieur qui donne de l'oxygène à la révolution démocratique européenne contre cette dictature des élites.
    G. A. - Pourquoi l'homosexualité occupe-t-elle tellement les esprits en Russie ? Pourquoi faut-il la combattre ?
    A. D. - Ce n'est pas la Russie qui est obsédée par le mariage gay et l'homosexualité. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir qu'en France, et dans toute l'Europe, le mariage gay et, plus largement, les questions relatives au genre se trouvent au coeur de toutes les discussions. Il s'agit d'une étape du développement de l'idéologie libérale. Comme chacun sait, le concept central de cette idéologie est l'individu. Et cet individu doit être privé de ses liens collectifs car ils sont censés l'entraver. Telle est l'essence du libéralisme : libérer l'individu de toute forme d'identification collective. Pour cette raison, le libéralisme a lutté contre le fascisme en tant que forme d'identité collective nationale basée sur la race, de même que contre le socialisme en tant que forme d'identité collective basée sur la classe sociale. Mais une fois que les communistes et les fascistes ont été vaincus, on s'est retrouvé dans un monde libéral. Que faire maintenant ?
    Les libéraux ont découvert qu'il restait quand même une forme d'appartenance collective : le genre. Parce que être homme ou femme relève en quelque sorte d'une identité collective : on ne peut pas être homme individuellement ou femme individuellement. Affirmer son genre suppose toujours qu'il y a d'autres femmes et d'autres hommes. Par conséquent, on n'est pas libre dans la mesure où il reste encore une identité collective : l'identité sexuelle. Il faut donc se débarrasser de cette identité collective - par définition oppressante - au nom d'une identité qui serait purement individuelle. Telle est la logique du libéralisme.
    G. A. - Si je vous suis bien, la lutte contre les droits des gays s'inscrit dans la lutte contre le libéralisme...
    A. D. - Précisément. En protestant contre le mariage gay, on proteste contre l'essence du libéralisme. En Europe, on a perdu la bataille ; mais en Russie, on tient bon.
    G. A. - Vous dites que l'élimination du genre est l'objectif le plus récent du libéralisme. Mais est-ce le dernier ?
    A. D. - Non. Comme je vous l'ai dit, après avoir détruit les formes d'identité collective qu'étaient le fascisme et le socialisme, les libéraux s'en sont pris au genre. Mais pourquoi s'arrêteraient-ils là ? Demain, ils découvriront que l'appartenance même à l'espèce humaine est aussi une appartenance à une identité collective ! On procédera donc à des expérimentations génétiques afin de créer d'autres espèces ! Car dans la vision libérale du monde, c'est uniquement l'individu qui compte et non l'appartenance à telle ou telle espèce. La liberté de l'individu demandera un dépassement de l'humanité, une déshumanisation qui a déjà commencé, selon Ortega y Gasset (5). On rompra avec la nature humaine, considérée comme une abstraction totalitaire imposée par des ecclésiastiques qui ont formé l'idée de l'homme à partir de l'idée de Dieu. Les postmodernistes l'affirment déjà. Aujourd'hui, c'est le mariage gay ; demain, c'est le mariage des cyborgs (6) ; et après-demain, c'est la fin de l'homme.
    Il faut arrêter cette dérive. La société russe comme la société française luttent, ensemble, contre l'essence du libéralisme, contre l'idée que l'individu constitue la valeur absolue et ultime. Ce n'est pas quelque chose de secondaire qui se trouve au centre des batailles pour ou contre le mariage gay : c'est le destin de l'humanité qui est en jeu. Les sociétés conservatrices traditionnelles comprennent la menace mieux que les autres. C'est vraiment la ligne centrale de la lutte idéologique actuelle.
    C'est pour cette raison que Poutine est toujours agressé pendant ses voyages internationaux par des groupes qui se réclament des Femen, de Pussy Riot, des partisans russes du mariage gay, et j'en passe.
    G. A. - Pouvez-vous nous parler de l'évolution de Poutine ? Est-ce le même personnage qu'au temps de son premier mandat ?
    A. D. - Poutine est resté le même, mais la situation a changé. Avant 2008, il avait les mains liées car il ne pouvait pas effectuer plus de deux mandats consécutifs. Aujourd'hui, il sait qu'il est au pouvoir jusqu'en 2024. Il peut exprimer librement ses visions, ses projets, ses conceptions. Et comme il prend de l'âge, il se voit obligé d'accomplir sa mission historique dans un délai défini et limité. Il va agir plus vite et plus librement que dans le passé. On le constate déjà avec le rattachement de la Crimée à la Russie.
    G. A. - Je voudrais revenir à la question de la justice sociale. Qu'est-ce qui empêche Poutine d'avoir une orientation plus « sociale » ?
    A. D. - La justice sociale est une option politique qui relève d'une sensibilité de gauche. Or Poutine n'est pas de gauche. Il ne croit pas que la justice sociale prime tout. Mais je n'exclus pas qu'il puisse évoluer dans ce sens. Reste que, pour lui « forcer la main », il faut une autre gauche que celle que nous avons aujourd'hui en Russie - une gauche soviétique marxisante, discréditée, représentée par ce personnage totalement caricatural et incapable qu'est Guennadi Ziouganov et par son parti communiste complètement dépassé. Il nous incombera, à nous autres partisans de l'eurasisme, de créer un nouveau projet de justice sociale, un nouveau socialisme.
    Il faut imaginer la justice sociale en Russie en rupture avec l'expérience soviétique. Ou bien il faut repenser radicalement cette expérience. Il faut réinventer une justice sociale adaptée aux conditions actuelles de la Russie et présenter ce projet à Poutine.
    G. A. - Quelle est l'attitude des eurasiens vis-à-vis de la Chine ? Fait-elle partie du projet eurasien ?
    A. D. - La Chine représente une civilisation tout à fait particulière qui n'a pratiquement rien en commun avec la Russie. En même temps, la Chine, comme la Russie, est adepte d'un monde multipolaire. Et dans un monde multipolaire, on peut envisager l'existence d'un pôle chinois et d'un pôle eurasien. Quelles seront les relations entre ces deux pôles ? L'avenir le dira. Ce qui est sûr, c'est qu'ils ne seront pas nécessairement en conflit, de même qu'ils ne concluront pas nécessairement une alliance stratégique. Entre le monde occidental, l'Eurasie et la Chine, il y aura une sorte d'équilibre qui dépendra des circonstances.
    Je constate, en tout cas, que si la Chine est en aussi bonne position aujourd'hui, c'est parce qu'elle a réussi à adapter les principes politiques socialistes et les principes économiques libéraux aux intérêts de la race chinoise. On peut dire que c'est une sorte de fascisme ou de national-socialisme couronné de succès !
    G. A. - La Russie et l'Eurasie devraient-elles s'en inspirer ?
    A. D. - Pas vraiment. Je crois que nous devons construire quelque chose de complètement nouveau, au-delà du libéralisme, du communisme et du fascisme - alors que la Chine, elle, a bâti son modèle actuel en fusionnant ces trois idéologies.
    G. A. - La Chine est un géant démographique et économique frontalier de la Russie. N'est-ce pas inquiétant ?
    A. D. - En tant que puissance eurasiatique médiane, la Russie doit répondre à deux défis : le défi atlantiste et le défi chinois. Aujourd'hui, même si la fin de l'hégémonie américaine est proche, l'urgence est d'abord de relever le défi atlantiste. Et si nous remportons cette victoire, nous siégerons demain aux côtés de la Chine au sein du « club multipolaire ». C'est alors que le défi chinois prendra toute son importance. Quant à l'Europe, une fois qu'elle se sera libérée de l'emprise américaine, elle nous causera beaucoup moins de problèmes que la Chine. Je pense même que cette Europe continentale, non atlantiste, sera pour la Russie un allié plus sûr que la Chine.
    G. A. - La position de la Russie sur la Syrie a bloqué toute possibilité de régler ce conflit. Quelle importance la Syrie revêt-elle pour Poutine ?
    A. D. - Poutine voit la Syrie de la même façon qu'il voit la Tchétchénie : c'est une zone de contrôle stratégique russe, comme l'Ossétie du Sud ou l'Abkhazie. L'Occident, les États-Unis, Israël, l'Arabie saoudite ou le Qatar soutiennent des wahhabites qui s'attaquent à Bachar el-Assad : Poutine interprète cette drôle d'alliance comme la continuation de la guerre de Tchétchénie qui a opposé les wahhabites aux Russes.
    G. A. - Il convient donc de percevoir le conflit syrien dans un cadre plus vaste ?
    A. D. - Bien entendu. C'est un nouvel épisode de la guerre qui oppose le camp multipolaire - la Russie, la Chine, l'Iran, la Syrie, bref les pays de l'espace eurasien - à l'impérialisme américain et à ses alliés - l'Europe occidentale, vassale de Washington, et les impérialismes saoudien, qatari mais aussi israélien. La Syrie, c'est une ligne de démarcation entre les atlantistes et les eurasiens, une ligne de guerre entre la multipolarité et le monde unipolaire. Nous considérons l'Iran comme un allié stratégique qui rejette la domination américaine. La Russie, la Syrie et l'Iran défendent ensemble la multipolarité. Car après Bachar el-Assad, ce sera au tour de l'Iran d'être la cible des atlantistes ; et après, ce sera au tour du Caucase du Nord où oeuvrent les mêmes forces qui luttent aujourd'hui contre Assad. C'est pour toutes ces raisons que Poutine perçoit la Syrie comme un territoire qui, en quelque sorte, constitue une extension du territoire national russe.
    G. A. - J'ai laissé pour la fin la question sur la situation en Ukraine. Quelle analyse faites-vous des événements de ces derniers mois dans ce pays ?
    A. D. - Il s'agit, là encore, d'une confrontation entre les États-Unis et la Russie. Pour résumer, les États-Unis font pression sur la Russie dans une zone où se trouvent ses intérêts vitaux, et la Russie résiste. Au fond, le soutien que Washington offre à la junte de Kiev, c'est une agression de plus contre la Russie.
    Cependant, Washington et Moscou n'accordent pas la même importance à cet affrontement-là. Pour les États-Unis, le sort de l'Ukraine est une question secondaire. En revanche, la Russie ne peut absolument pas se permettre de céder, avant tout pour des raisons sécuritaires. Imaginez que l'Otan fasse main basse sur la Crimée et sur le Sud-Est ukrainien et y installe des bases. Laisser se produire un tel scénario équivaudrait, pour la Russie, à un suicide stratégique. La vérité, c'est que même si l'Otan n'installait des bases qu'en Ukraine occidentale, la sécurité du territoire russe serait tout de même ébranlée. C'est pourquoi Poutine et Lavrov ont opté pour la ligne la plus « douce » dans leur confrontation avec l'Occident. La fédéralisation qu'ils ont proposée offrait à Kiev une chance de préserver le contrôle de l'intégralité du territoire ukrainien - à l'exception de la Crimée, bien entendu. La junte de Kiev n'a pas saisi cette chance.
    G. A. - Vous parlez de la confrontation que se livrent les États-Unis et la Russie autour de l'Ukraine. Quelle vision avez-vous de l'Ukraine elle-même ?
    A. D. - C'est simple : une moitié de l'Ukraine souhaite l'union avec la Russie ; et l'autre moitié, l'union avec l'Occident. On a d'abord vu la rébellion de l'Ouest ukrainien contre l'Est russe, qui s'est soldée par la victoire de l'Ouest et l'instauration d'une junte illégitime à Kiev. Mais le peuple du Sud-Est a pris son destin en main. Ce fut la deuxième partie de la révolution ukrainienne, son « printemps russe ». Aujourd'hui, le Sud-Est est le symbole de la révolte tandis que Kiev et la partie occidentale de l'Ukraine incarnent la réaction. De toute façon, il n'existe pas d'Ukraine unie. En vingt-trois ans d'indépendance, cette unité ne s'est jamais formée. Il est évident que, malgré la position modérée de Moscou, la révolution russe qui se déroule actuellement dans le Sud-Est a pour objectif ultime le rattachement de cette moitié de l'Ukraine à la Russie. Les néo-nazis ukrainiens nous lancent un défi. Or la Russie s'est déjà déclarée garante de la sécurité de la population russe du sud et de l'est de l'Ukraine. Poutine est obligé d'intervenir militairement. Il n'a pas le choix.
    G. A. - Cette intervention militaire que vous appelez de vos voeux doit-elle se limiter à l'Ukraine orientale ?
    A. D. - Certainement pas. La Renaissance russe ne peut s'arrêter qu'avec la prise de Kiev. Et encore... Une fois Kiev prise, la question se posera : faut-il s'arrêter ou bien continuer la marche vers l'Ouest ? Une décision trop modérée pourrait transformer la victoire russe en défaite... Mais chaque chose en son temps. Aujourd'hui, il convient déjà de mettre fin aux exactions de la junte de Kiev en Ukraine orientale. À l'instar de Caton l'Ancien qui répétait de façon obsessionnelle son Delenda Carthago est, malgré les rires de l'assistance, je suis prêt à répéter, inlassablement : « Poutine, il est temps de faire entrer nos troupes en Ukraine ! » Ceux qui défient le peuple russe doivent être écrasés.

    Notes :  Cet entretien a été conduit par Galia Ackerman. Journaliste et essayiste. Spécialiste du monde russe et post-soviétique, Auteur, entre autres publications, de : Tchernobyl. Retour sur un désastre, Folio Gallimard, 2007 ; Le Roman du Juif universel (avec André Glucksmann et Elena Bonner), Éditions du Rocher, 2011.

    Source : politiqueinternationale.com :: lien

    http://www.voxnr.com/cc/dt_autres/EuEupuyVVlPBRAHhyb.shtml

  • Tuer les méchants et sales Français.. Tel est le mot d'ordre de l'État islamique

    Lundi 22 septembre, le groupe terroriste « État islamique »(1) a lancé un appel en plusieurs langues à ses partisans à tuer des citoyens, en particulier des Américains et des Français, ressortissants des pays formant la coalition internationale mise en place pour combattre le djihadisme en Irak.

    Cet appel (un long message audio de près de 42 minutes) survient au lendemain des frappes aériennes menées par la France et les États-Unis contre les forces du groupe terroriste dans le nord de l'Irak.

    « La meilleure chose que vous puissiez faire est de vous efforcer de tuer tout infidèle, qu 'il soit Français, Américain ou d'un de leurs pays alliés », déclare le porte-parole du groupe, un certain Abou Mohamed al Adnani, dans un message adressé aux musulmans du monde entier.

    Au-delà de l'appel au meurtre, le message donne des détails très précis pour y arriver car tous les moyens sont bons pour mettre à mort un « mécréant » : « Si vous ne pouvez pas trouver d'engin explosif ou de munitions, alors isolez l'Américain infidèle, le Français infidèle, ou n'importe lequel de ses alliés. Écrasez-lui la tête à coups de pierres, tuez-le avec un couteau, renversez-le avec votre voiture, jetez-le dans le vide, étouffez-le ou empoisonnez-le. »

    À défaut de tuer...

    Pour ceux qui ne seraient pas capables de tels gestes, l'Etat islamique a d'autres idées. « Si vous êtes incapable de le faire [tuer], alors brûlez sa maison, sa voiture, ou son entreprise, ou détruisez ses cultures. Si vous êtes incapable de le faire, alors crachez-lui au visage. » Si les destinataires de ce message refusent de suivre cette voie, l'Etat islamique leur conteste le droit de se prétendre bons musulmans : « Si vous refusez de le faire alors que vos frères sont bombardés et tués, (...) alors interrogez-vous sur votre religion. »

    Le message affirme par ailleurs que l'intervention militaire conduite par les États-Unis sera « l'ultime campagne des croisés ». « Elle sera détruite et mise en échec, comme l'ont été toutes vos précédentes campagnes », poursuit Adnani. « Nous conquerrons votre Rome, nous briserons vos croix et nous réduirons vos femmes en esclavage. »

    Vigilance accrue

    Selon le site du Figaro, le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, a demandé aux préfets dès vendredi dernier, « d'élever le niveau de vigilance des forces de sécurité intérieure, notamment vis-à-vis des édifices sensibles ».

    Fustigeant l'« appel au meurtre », dans une déclaration solennelle place Beauvau à Paris, notre bon ministre a martelé, à plusieurs reprises : « La France n'a pas peur. » Ce « n'est pas la première fois qu'elle est menacée par des terroristes (...) la France n'a pas peur car elle sait pouvoir compter » sur la « solidarité de tous les citoyens de France » et la « vigilance » des forces de l'ordre qui sont la « meilleure réponse ». Les enfants de Bernard Cazeneuve et de l'élite rose prennent-ils le métro ? En fait, la France qui se lève tôt a de bonnes raisons de craindre d'être victime d'attentats dans la rue ou dans les transports en commun...

    Les Français ont aussi raison d'avoir peur de la bêtise de ce ministre : bloquer les djihadistes en France et les laisser revenir alors que c'est exactement le contraire qu'il faut faire !

    « L'Amérique descendra au sol »

    S'adressant à Barack Obama, le message raille la décision du président américain de ne mener que des frappes aériennes et de ne pas envoyer de troupes au contact au sol. L'Amérique et ses alliés sont-ils encore capables de se battre sur le terrain ? Obama est prévenu : « L'Amérique descendra au sol et y sera conduit à sa tombe et à la destruction. »

    L'enlèvement dimanche d'un touriste françaisdans l'est de l'Algérie par le groupe djihadistealgérien Jund al-Khilafa (« les soldats duCalifat ») est la première mise à exécution desmenaces de l'État islamique. Le Quai d'Orsayinvite les Français « à la plus grande prudence »partout dans le monde.

    Henri Malfilatre monde & vie  1 octobre 2014

    I. Par « respect pour l'Islam », le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a appelé à ne pas utiliser l'expression « État islamique » (El) pour désigner le groupe djihadiste qui a pris possession d'une partie de l'Irak et de la Syrie...

  • Tuerie d'Ottawa : des convertis à l'islam

    Lu sur l'Observatoire de l'islamisation :

    "Michael Zehaf-Bibeau est un Montréalais né au Canada en 1982. Né Michael Joseph Hall, converti à l'islam, il était connu des autorités, son passeport ayant été saisi avant l'attentat.

    Martin Couture-Rouleau  Québécois converti à l'islam depuis avril 2013, qui a percuté deux militaires (un est mort) mardi dans le stationnement d'un édifice de la défense militaire à St-Jean sur Richelieu avec sa voiture, était lui aussi interdit de sortie de territoire, et n’a pu rejoindre l’Etat islamique comme son camarade Zehaf-Bibeau.

    Ils ont donc déclenché à un jour près avec d’autres djihadistes non encore identifiés, des attaques contre les intérêts canadiens. Les deux djihadistes suivaient le même compte Twitter, celui de @Islamic Media qui a le premier révélé l’identité de Zehaf-Bibeau.

    Couture-Rouleau était dans la mire des autorités fédérales, et ses comptes Facebook et Twitter indiquent qu'il était un partisan de l'État islamique…Bizarrement, les médias français ont été très discret sur l'attaque de mardi contre les militaires à St-Jean sur Richelieu.

    Les deux fous d’Allah sont  connus  : Zehaf-Bibeau a été condamné pour des vols et Couture-Rouleau était suivi depuis sa radicalisation islamique.

    Le journal La Presse a publié un article citant le président de la mosquée al-Imane de St-Jean sur Richelieu (un dénommé Abdel Hamid Bekkari) disant que Rouleau venait «à peu près» trois fois par semaine à cette mosquée.

    Rappel: le porte-parole de l'État islamique, le cheikh Al-Adnani, a émis en septembre une fatwa ordonnant aux musulmans du Canada d'y massacrer les incroyants: «Si tu peux tuer un mécréant canadien, alors tue-le par n’importe quel moyen»."

    Michel Janva

  • Moyen-Orient : au lieu d'encourager l'émigration des chrétiens, il faut assurer leur sécurité

    Au lendemain du synode sur la famille, 86 cardinaux et patriarches étaient réunis en consistoire autour du pape François, le 20 octobre, pour échanger sur la situation du Moyen-Orient. Le cardinal secrétaire d’État Mgr Pietro Parolin y a présenté un compte-rendu de la réunion des nonces apostoliques au Moyen-Orient qui avait eu lieu au début du mois (2-4 octobre).

    Mgr Parolin a fait état d’une situation « inacceptable », induite notamment par les extrémistes de ‘l’État islamique’ en Irak et en Syrie,

    « qui ont contraint des centaines de milliers de personnes à fuir de leurs maisons et à chercher refuge ailleurs dans des conditions de précarité, soumises à des souffrances physiques et morales ».

    Ces conflits régionaux « constituent l’une des plus sérieuses menaces à la stabilité internationale ». Pour le Saint-Siège, « une solution politique, juste et durable, au conflit israélo-palestinien » contribuerait à « la paix et la stabilité de la région ».

    Les participants ont aussi évoqué le rôle de l’Iran dans la résolution de la crise syrienne et irakienne, ainsi que la situation du Liban, qui ressent lourdement ces conflits, en accueillant un million et demi de réfugiés.

    Dans ce contexte, la communauté internationale « doit garantir le droit des réfugiés à retourner et à vivre dans la dignité et la sécurité dans leur pays et leur environnement ». Elle est appelée à « prévenir de nouveaux génocides », à « assister les réfugiés » en impliquant les États de la région, et à oeuvrer pour « faire déposer les armes » et « dialoguer ».

    « Il ne s’agit pas de protéger l’une ou l’autre communauté religieuse ou l’un ou l’autre groupe ethnique, mais de porter secours à des personnes qui font partie de l’unique famille humaine et dont les droits fondamentaux sont systématiquement violés ».

    Quant au choix des moyens, s’il est « licite d’arrêter l’agresseur injuste », cela doit se faire « dans le respect du droit international ». Et « la résolution du problème ne peut être confiée à la seule force militaire ».

    La communauté internationale est appelée à « affronter les causes du conflit », entre autres

    « l’idéologie fondamentaliste et l’encouragement au terrorisme nourri par la politique, le commerce illégal de pétrole, la fourniture d’armes et de technologie, le trafic d’armes ».

    « Nous ne pouvons nous résigner à penser le Moyen-Orient sans les chrétiens, qui jouent un rôle fondamental comme artisans de paix, de réconciliation et de développement. »

    Au lieu d’encourager l’émigration en accordant des visas aux chrétiens persécutés, l’Église invite à les aider à « trouver des conditions de vie, de sécurité, de travail, d’avenir dans la région ».

    Enfin, l’Église tente de faire mûrir les consciences sur un « problème de fond » représenté par « le nœud inextricable entre religion et politique, c’est-à-dire le manque de séparation entre religion et État, entre domaine religieux et domaine civil » au Moyen-Orient, « ce qui rend difficile la vie des minorités non musulmanes ».

    Le cardinal a conclu en exhortant les chrétiens à

    « ne pas oublier que tout dépend de Dieu et de sa grâce, mais à agir comme si tout dépendait de nous, de notre prière et de notre solidarité ».

    Michel Janva

    http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/web.html

  • Guillaume Faye et la “Convergence des catastrophes”

    Dans l’introduction à l’une des versions italiennes du premier livre de Guillaume Faye, Le système à tuer les peuples, j’avais tenté de brosser succinctement son itinéraire politique, depuis ses années d’étudiant à l’IEP et à la Sorbonne. J’avais rappelé l’influence d’un Julien Freund, des thèses de Pareto, de Bertrand de Jouvenel sur ce jeune étudiant dont la vocation allait être de mener un combat métapolitique, via le Cercle Spenglerd’abord, via le GRECE (Groupe de Recherche et d’Études sur la Civilisation Européenne) ensuite. J’avais insisté aussi sur son interprétation de Nietzsche, où, comme Alexis Philonenko, il pariait sur un rire sonore et somme toute rabelaisien, un rire déconstructeur et reconstructeur tout à la fois, sur la moquerie qui dissout les certitudes des médiocres et des conformistes. Je ne vais pas répéter aujourd’hui tout cet exposé, qu’on peut lire sur internet, mais je me concentrerai surtout sur une notion omniprésente dans les travaux de Faye, la notion cardinale de “politique”, oui, sur cette “notion du politique”, si chère au Professeur Julien Freund. L’espace du politique, et non pas de la politique (politicienne), est l’espace des enjeux réels, ceux qui décident de la vie ou de la survie d’une entité politique. Cette vie et cette survie postulent en permanence une bonne gestion, un bon "nomos de l’oikos" — pour reprendre la terminologie grecque de Carl Schmitt — une pensée permanente du long terme et non pas une focalisation sur le seul court terme, l’immédiat sans profondeur temporelle et le présentisme répétitif dépourvu de toute prospective.

    Le bon “nomos” est celui qui assure donc la survie d’une communauté politique, d’un État ou d’un empire, qui, par la clairvoyance et la prévoyance quotidiennes qu’il implique, génère une large plus-value, en tous domaines, qui conduit à la puissance, au bon sens du terme. La puissance n’est rien d’autre qu’un solide capital de ressources matérielles et immatérielles, accumulées en prévision de coups durs, de ressacs ou de catastrophes. C’est le projet essentiel de Clausewitz, dont on fait un peu trop rapidement un belliciste à tous crins. Clausewitz insiste surtout sur l’accumulation de ressources qui rendront la guerre inutile, parce que l’ennemi n’osera pas affronter une politie bien charpentée, ou qui, si elle se déclenche quand même, fera de mon entité politique un morceau dur ou impossible à avaler, à mettre hors jeu. Ce n’est rien d’autre qu’une application du vieil adage romain :Si vis pacem, para bellum.

    L’œuvre immortelle de Carl Schmitt et de Julien Freund

    D’où nous vient cette notion du “politique” ? Elle nous vient d’abord de Carl Schmitt. Pour qui elle s’articule autour de deux vérités observés au fil de l’histoire :

    • 1) Le politique est porté par une personne de chair et de sang, qui décide en toute responsabilité (Weber). Le modèle de Schmitt, catholique rhénan, est l’institution papale, qui décide souverainement et en ultime instance, sans avoir de comptes à rendre à des organismes partiels et partisans, séditieux et centrifuges, mus par des affects et des intérêts particuliers et non généraux.

    • 2) La sphère du politique est solide si le principe énoncé au XVIIe siècle par Thomas Hobbes est honoré : Auctoritas non veritas facit legem (C’est l’autorité et non la vérité qui fait la loi/la norme). Nous pourrions, au seuil de ce XXIesiècle, qui s’annonce comme un siècle de catastrophes, tout comme le XXe, étendre cette réflexion de Hobbes et dire :Auctoritas non lex facit imperium, soit "C’est l’autorité et non la loi/la norme qui fait l’empire". Schmitt voulait dénoncer, en rappelant la science politique de Hobbes, le danger qu’il y a à gouverner les états selon des normes abstraites, des principes irréels et paralysants, parfois vecteurs de dissensions calamiteuses pouvant conduire à la guerre civile. Quelques décennies d’une telle gouvernance et les "nœuds gordiens" s’accumulent et figent dangereusement les polities qui s’en sont délectée. Il faut donc des autorités (personnelles ou collégiales) qui parviennent à dénouer ou à trancher ces "nœuds gordiens".

    Cette notion du politique nous vient ensuite du professeur strasbourgeois Julien Freund, qui était, il est vrai, l’un des meilleurs disciples de Carl Schmitt. Il a repris à son compte cette notion, l’a appliquée dans un contexte fort différent de celui de l’Allemagne de Weimar ou du nazisme, soit celui de la France gaullienne et post-gaullienne, également produit de la pensée de Carl Schmitt. En effet, il convient de rappeler ici que René Capitant, auteur de la constitution présidentialiste de la Ve République, est le premier et fidèle disciple français de Schmitt. Le Président de la VeRépublique est effectivement une "auctoritas", au sens de Hobbes et de Schmitt, qui tire sa légitimité du suffrage direct de l’ensemble de la population. Il doit être un homme charismatique de chair et de sang, que tous estiment apte à prendre les bonnes décisions au bon moment. Julien Freund, disciple de Schmitt et de Capitant, a coulé ses réflexions sur cette notion cardinale du politique dans un petit ouvrage qu’on nous faisait encore lire aux Facultés Universitaires Saint-Louis à Bruxelles il y a une trentaine d’années : Qu’est-ce que le politique ? (Seuil, 1968). Cet ouvrage n’a pas pris une ride. Il reste une lecture obligatoire pour qui veut encore, dans l’espace politique, penser clair et droit en notre période de turbulences, de déliquescences et de déclin.

    René Thom et la théorie des catastrophes

    Comment cette notion du politique s’articule-t-elle autour de la thématique qui nous préoccupe aujourd’hui, soit la "convergences des catastrophes" ? Faye est le benjamin d’une chaine qui relie Clausewitz à Schmitt, Schmitt à Capitant, Capitant à Freund et Freund à lui-même et ses amis. Ses aînés nous ont quittés : ils ne vivent donc pas l’ère que nous vivons aujourd’hui. D’autres questions cruciales se posent, notamment celle-ci, à laquelle répond l’ouvrage de Guillaume Corvus : « Le système (à tuer les peuples) est-il capable de faire face à une catastrophe de grande ampleur, à plusieurs catastrophes simultanées ou consécutives dans un laps de temps bref, ou, pire à une convergences de plusieurs catastrophes simultanées ? ». Au corpus doctrinal de Schmitt et Freund, Corvus ajoute celui du mathématicien et philosophe français René Thom, qui constate que tout système complexe est par essence fragile et même d’autant plus fragile que sa complexité est grande. Corvus exploite l’œuvre de Thom, dans la mesure où il rappelle qu’un événement anodin peut créer, le cas échéant, des réactions en chaîne qui conduisent à la catastrophe par implosion ou par explosion. On connait ce modèle posé maintes fois par certains climatologues, observateurs de catastrophes naturelles : le battement d’aile d’un papillon à Hawaï peut provoquer un tsunami au Japon ou aux Philippines. Les théories de Thom trouvent surtout une application pratique pour observer et prévenir les effondrements boursiers : en effet, de petites variations peuvent déboucher sur une crise ou un krach de grande ampleur.

    Corvus soulève donc la question sur le plan de la gestion des États voire du village-monde à l’heure de la globalisation : l’exemple de l’ouragan qui a provoqué fin août les inondations de la Nouvelle-Orléans prouve d’ores et déjà que le système américain ne peut gérer, de manière optimale, deux situations d’urgence à la fois : la guerre en Irak, qui mobilise fonds et énergies, et les inondations à l’embouchure du Mississippi (dont la domestication du bassin a été le projet premier de Franklin Delano Roosevelt, pour lequel il a mobilisé toutes les énergies de l’Amérique à l’"ère des directeurs" — ces termes sont de James Burnham — et pour lequel il a déclenché les deux guerres mondiales afin de glaner les fonds suffisants, après élimination de ses concurrents commerciaux allemands et japonais, et de réaliser son objectif : celui d’organiser d’Est en Ouest le territoire encore hétéroclite des États-Unis). La catastrophe naturelle qui a frappé la Nouvelle-Orléans est, en ce sens, l’indice d’un ressac américain en Amérique du Nord même et, plus encore, la preuve d’une fragilité extrême des systèmes hyper-complexes quand ils sont soumis à des sollicitations multiples et simultanées. Nous allons voir que ce débat est bien présent aujourd’hui aux États-Unis.

    Qu’adviendrait-il d’une France frappée au même moment par quatre ou cinq catastrophes ?

    En France, en novembre 2005, les émeutes des banlieues ont démontré que le système-France pouvait gérer dans des délais convenables des émeutes dans une seule ville, mais non dans plusieurs villes à la fois. La France est donc fragile sur ce plan. Il suffit, pour lui faire une guerre indirecte, selon les nouvelles stratégies élaborées dans les états-majors américains, de provoquer des troubles dans quelques villes simultanément. L’objectif d’une telle opération pourrait être de paralyser le pays pendant un certain temps, de lui faire perdre quelques milliards d’euros dans la gestion de ces émeutes, milliards qui ne pourront plus être utilisés pour les projets spatiaux concurrents et européens, pour la modernisation de son armée et de son industrie militaire (la construction d’un porte-avions par ex.). Imaginons alors une France frappée simultanément par une épidémie de grippe (aviaire ou non) qui mobiliserait outrancièrement ses infrastructures hospitalières, par quelques explosions de banlieues comme en novembre 2005 qui mobiliserait toutes ses forces de police, par des tornades sur sa côte atlantique comme il y a quelques années et par une crise politique soudaine due au décès inopiné d’un grand personnage politique. Inutile d’épiloguer davantage : la France, dans sa configuration actuelle, est incapable de faire face, de manière cohérente et efficace, à une telle convergence de catastrophes.

    L’histoire prouve également que l’Europe du XIVe siècle a subi justement une convergence de catastrophes semblable. La peste l’a ravagée et fait perdre un tiers de ses habitants de l’époque. Cette épidémie a été suivie d’une crise socio-religieuse endémique, avec révoltes et jacqueries successives en plusieurs points du continent. À cet effondrement démographique et social, s’est ajoutée l’invasion ottomane, partie du petit territoire contrôlé par le chef turc Othman, en face de Byzance, sur la rive orientale de la Mer de Marmara. Il a fallu un siècle — et peut-être davantage — pour que l’Europe s’en remette (et mal). Plus d’un siècle après la grande peste de 1348, l’Europe perd encore Constantinople en 1453, après avoir perdu la bataille de Varna en 1444. En 1477, les hordes ottomanes ravagent l’arrière-pays de Venise. Il faudra encore deux siècles pour arrêter la progression ottomane, après le siège raté de Vienne en 1683, et presque deux siècles supplémentaires pour voir le dernier soldat turc quitter l’Europe. L’Europe risque bel et bien de connaître une "période de troubles", comme la Russie après Ivan le Terrible, de longueur imprévisible, aux effets dévastateurs tout aussi imprévisibles, avant l’arrivée d’un nouvel "empereur", avant le retour du politique.

    "Guerre longue" et "longue catastrophe" : le débat anglo-saxon

    Replaçons maintenant la parution de La convergence des catastrophes de Guillaume Corvus dans le contexte général de la pensée stratégique actuelle, surtout celle qui anime les débats dans le monde anglo-saxon. Premier ouvrage intéressant à mentionner dans cette introduction est celui de Philip Bobbitt, The Shield of Achilles : War, Peace and the Course of History (Penguin, Harmondsworth, 2002-2003) où l’auteur explicite surtout la notion de "guerre longue". Pour lui, elle s’étend de 1914 à la première offensive américaine contre l’Irak en 1990-91. L’actualité nous montre qu’il a trop limité son champ d’observation et d’investigation : la seconde attaque américaine contre l’Irak en 2003 montre que la première offensive n’était qu’une étape ; ensuite, l’invasion de l’Afghanistan avait démontré, deux ans auparavant, que la "guerre longue" n’était pas limitée aux deux guerres mondiales et à la guerre froide, mais englobait aussi des conflits antérieurs comme les guerres anglo-russes par tribus afghanes interposées de 1839-1842, la guerre de Crimée, etc. Finalement, la notion de "guerre longue" finit par nous faire découvrir qu’aucune guerre ne se termine définitivement et que tous les conflits actuels sont in fine tributaires de guerres anciennes, remontant même à la protohistoire (Jared Diamonds, aux États-Unis, l’évoque dans ses travaux, citant notamment que la colonisation indonésienne des la Papouasie occidentale et la continuation d’une invasion austronésienne proto-historique ; ce type de continuité ne s’observa pas seulement dans l’espace austral-asiatique).

    Si l’on limite le champ d’observation aux guerres pour le pétrole, qui font rage plus que jamais aujourd’hui, la période étudiée par Bobbitt ne l’englobe pas tout à fait : en effet, les premières troupes britanniques débarquent à Koweït dès 1910 ; il conviendrait donc d’explorer plus attentivement le contexte international, immédiatement avant la Première Guerre mondiale. Comme l’actualité de ce mois de janvier 2006 le prouve : ce conflit pour le pétrole du Croissant Fertile n’est pas terminé. Anton Zischka, qui vivra centenaire, sera actif jusqu’au bout et fut l’une des sources d’inspiration majeures de Jean Thiriart, avait commencé sa très longue carrière d’écrivain journaliste en 1925, quand il avait 25 ans, en publiant un ouvrage, traduit en français chez Payot, sur La guerre du pétrole, une guerre qui se déroule sur plusieurs continents, car Zischka n’oubliait pas la Guerre du Chaco en Amérique du Sud (les tintinophiles se rappelleront de L’oreille cassée, où la guerre entre le San Theodoros fictif et son voisin, tout aussi fictif, est provoquée par le désir de pétroliers américains de s’emparer des nappes pétrolifères).

    Aujourd’hui, à la suite du constat d’une "longue guerre", posé par Bobbitt et, avant lui, par Zischka, l’auteur américain James Howard Kunstler, dans La fin du pétrole : Le vrai défi du XXIe siècle (Plon, 2005) reprend et réactualise une autre thématique, qui avait été chère à Zischka, celle du défi scientifique et énergétique que lancera immanquablement la raréfaction du pétrole dans les toutes prochaines décennies. Pour Zischka, les appareils scientifiques privés et étatiques auraient dû depuis longtemps se mobiliser pour répondre aux monopoles de tous ordres. Les savants, pour Zischka, devaient se mobiliser pour donner à leurs patries, à leurs aires civilisationnelles (Zischka est un européiste et non un nationaliste étroit), les outils nécessaires à assurer leurs autonomies technologique, alimentaire, énergétique, etc. C’est là une autre réponse à la question de Clausewitz et à la nécessité d’une bonne gestion du patrimoine naturel et culturel des peuples. Faye n’a jamais hésité à plaider pour la diversification énergétique ou pour une réhabilitation du nucléaire. Pour lui comme pour d’autres, bon nombre d’écologistes sont des agents des pétroliers US, qui entendent garder les états inclus dans l’américanosphère sous leur coupe exclusive. L’argument ne manque nullement de pertinence, d’autant plus que le pétrole est souvent plus polluant que le nucléaire. Pour Corvus, l’une des catastrophes majeures qui risque bel et bien de nous frapper bientôt, est une crise pétrolière d’une envergure inédite.

    La fin du modèle urbanistique américain

    Les arguments de Corvus, nous les retrouvons chez Kunstler [cf. Too much magic, L’Amérique désenchantée, 2014], preuve une nouvelle fois que ce livre sur la convergence des catastrophes n’a rien de marginal comme tentent de le faire accroire certains "aggiornamentés" du canal historique de la vieille "nouvelle droite" (un petit coup de patte en passant, pour tenter de remettre les pendules à l’heure, même chez certains cas désespérés… ou pour réveiller les naïfs qui croient encore — ou seraient tentés de croire — à ces stratégies louvoyantes et infructueuses…). Kunstler prévoit après la "longue guerre", théorisée par Bobbitt, ou après la longue guerre du pétrole, décrite dans ses premiers balbutiements par Zischka, une "longue catastrophe". Notamment, il décrit, de manière fort imagée, en prévoyant des situations concrètes possibles, l’effondrement de l’urbanisme à l’américaine. Ces villes trop étendues ne survivraient pas en cas de disparition des approvisionnements de pétrole et, partant, de l’automobile individuelle. 80% des bâtiments modernes, explique Kunstler, ne peuvent survivre plus de vingt ans en bon état de fonctionnement. Les toitures planes sont recouvertes de revêtements éphémères à base de pétrole, qu’il faut sans cesse renouveler. Il est en outre impossible de chauffer et d’entretenir des super-marchés sans une abondance de pétrole. La disparition rapide ou graduelle du pétrole postule un réaménagement complet des villes, pour lequel rien n’a jamais été prévu, vu le mythe dominant du progrès éternel qui interdit de penser un ressac, un recul ou un effondrement. Les villes ne pourront plus être horizontales comme le veut l’urbanisme américain actuel. Elle devront à nouveau se verticaliser, mais avec des immeubles qui ne dépasseront jamais sept étages. Il faudra revenir à la maçonnerie traditionnelle et au bois de charpente. On imagine quels bouleversements cruels ce réaménagement apportera à des millions d’individus, qui risquent même de ne pas survivre à cette rude épreuve, comme le craint Corvus. Kunstler, comme Corvus, prévoit également l’effondrement de l’école obligatoire pour tous : l’école ne sera plus "pléthorique" comme elle l’est aujourd’hui, mais s’adressera à un nombre limité de jeunes, ce qui conduira à une amélioration de sa qualité, seul point positif dans la catastrophe imminente qui va nous frapper.

    La "quatrième guerre mondiale" de Thierry Wolton

     Pour ce qui concerne le défi islamique, que Faye a commenté dans le sens que vous savez, ce qui lui a valu quelques ennuis, un autre auteur, Thierry Wolton, bcbg, considéré comme "politiquement correct", tire à son tour la sonnette d’alarme, mais en prenant des options pro-américaines à nos yeux inutiles et, pire, dépourvues de pertinence. Dans l’ouvrage de Wolton, intitulé La Quatrième Guerre mondiale (Grasset, 2005), l’auteur évoque l’atout premier du monde islamique, son "youth bulge", sa "réserve démographique". Ce trop-plein d’hommes jeunes et désœuvrés, mal formés, prompts à adopter les pires poncifs religieux, est une réserve de soldats ou de kamikazes. Mais qui profiteront à qui ? Aucune puissance islamique autonome n’existe vraiment. Les inimitiés traversent le monde musulman. Aucun État musulman ne peut à terme servir de fédérateur à une umma offensive, malgré les rodomontades et les vociférations. Seuls les États-Unis sont en mesure de se servir de cette masse démographique disponible pour avancer leurs pions dans cet espace qui va de l’Égypte à l’Inde et de l’Océan Indien à la limite de la taïga sibérienne. Certes, l’opération de fédérer cette masse territoriale et démographique sera ardue, connaîtra des ressacs, mais les États-Unis auront toujours, quelque part, dans ce vaste "Grand Moyen Orient", les dizaines de milliers de soldats disponibles à armer pour des opérations dans le sens de leurs intérêts, au détriment de la Russie, de l’Europe, de la Chine ou de l’Inde. Avec la Turquie, jadis fournisseur principal de piétaille potentielle pour l’OTAN ou l’éphémère Pacte de Bagdad du temps de la Guerre froide dans les années 50, branle dans le manche actuellement. Les romans d’un jeune écrivain, Burak Turna, fascinent le public turc. Ils évoquent une guerre turque contre les États-Unis et contre l’UE (la pauvre…), suivie d’une alliance russo-turque qui écrasera les armées de l’UE et plantera le drapeau de cette alliance sur les grands édifices de Vienne, Berlin et Bruxelles. Ce remaniement est intéressant à observer : le puissant mouvement des loups gris, hostiles à l’adhésion turque à l’UE et en ce sens intéressant à suivre, semble opter pour les visions de Turna.

    Dans ce contexte, mais sans mentionner Turna, Wolton montre que la présence factuelle du "youth bulge" conduit à la possibilité d’une "guerre perpétuelle", donc "longue", conforme à la notion de "jihad". Nouvelle indice, après Bobbitt et Kunstler, que le pessimisme est tendance aujourd’hui, chez qui veut encore penser. La "guerre perpétuelle" n’est pas un problème en soi, nous l’affrontons depuis que les successeurs du Prophète Mohamet sont sortis de la péninsule arabique pour affronter les armées moribondes des empires byzantins et perses. Mais pour y faire face, il faut une autre idéologie, un autre mode de pensée, celui que l’essayiste et historien américain Robert Kaplan suggère à Washington de nos jours : une éthique païenne de la guerre, qu’il ne tire pas d’une sorte de new age à la sauce Tolkien, mais notamment d’une lecture attentive de l’historien grec antique Thucydide, premier observateur d’une "guerre longue" dans l’archipel hellénique et ses alentours. Kaplan nous exhorte également à relire Machiavel et Churchill. Pour Schmitt hier, comme pour Kaplan aujourd’hui, les discours normatifs et moralisants, figés et soustraits aux effervescences du réel, camouflent des intérêts bornés ou des affaiblissements qu’il faut soigner, guérir, de toute urgence.

    L’infanticide différé

    Revenons à la notion de "youth bulge", condition démographique pour mener des guerres longues. Utiliser le sang des jeunes hommes apparait abominable, les sacrifier sur l’autel du dieu Mars semble une horreur sans nom à nos contemporains bercés par les illusions irénistes qu’on leur a serinées depuis deux ou trois décennies. En Europe, le sacrifice des jeunes générations masculines a été une pratique courante jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ne nous voilons pas la face. Nous n’avons pas été plus "moraux" que les excités islamiques d’aujourd’hui et que ceux qui veulent profiter de leur fougue. La bataille de Waterloo, à 15 kilomètres d’ici, est une bataille d’adolescents fort jeunes, où l’on avait notamment fourré dans les uniformes d’une "Landwehr du Lünebourg" tous les pensionnaires des orphelinats du Hanovre, à partir de douze ans. La lecture des ouvrages remarquables du démographe français Gaston Bouthoul, autre maître à penser de Faye, nous renseigne sur la pratique romaine de l’"infanticide différé". Rome, en armant ces légions, supprimait son excédent de garçons, non pas en les exposant sur les marges d’un temple ou en les abandonnant sur une colline, mais en différant dans le temps cette pratique courante dans les sociétés proto-historiques et antiques. Le jeune homme avait le droit à une enfance, à être nourri avant l’âge adulte, à condition de devenir plus tard soldat de 17 à 37 ans. Les survivants se mariaient et s’installaient sur les terres conquises par leurs camarades morts. L’empire ottoman reprendra cette pratique en armant le trop-plein démographique des peuples turcs d’Asie centrale et les garçons des territoires conquis dans les Balkans (les janissaires). La raison économique de cette pratique est la conquête de terres, l’élargissement de l’ager romanus et l’élimination des bouches inutiles. Le ressac démographique de l’Europe, où l’avortement remboursé a remplacé l’infanticide différé de Bouthoul, rend cette pratique impossible, mais au détriment de l’expansion territoriale. Le "youth bulge" islamique servira un nouveau janissariat turc, si les vœux de Turna s’exaucent, la jihad saoudienne ou un janissariat inversé au service de l’Amérique.

    Que faire ?

    L’énoncé de tous ces faits effrayants qui sont ante portas ne doit nullement conduire au pessimisme de l’action. Les réponses que peut encore apporter l’Europe dans un sursaut in extremis (dont elle a souvent été capable : les quelques escouades de paysans visigothiques des Cantabriques qui battent les Maures vainqueurs et arrêtent définitivement leur progression, amorçant par là la reconquista ; les Spartiates des Thermopyles ; les défenseurs de Vienne autour du Comte Starhemberg ; les 135 soldats anglais et gallois de Rorke’s Drift; etc.) sont les suivantes :

    - Face au "youth bulge", se doter une supériorité technologique comme aux temps de la proto-histoire avec la domestication du cheval et l’invention du char tracté ; mais pour renouer avec cette tradition des "maîtres des chevaux", il faut réhabiliter la discipline scolaire, surtout aux niveaux scientifiques et techniques.

    - Se remémorer l’audace stratégique des Européens, mise en exergue par l’historien militaire américain Hanson dansWhy the West always won. Cela implique la connaissance des modèles anciens et modernes de cette audace impavide et la création d’une mythologie guerrière, "quiritaire", basée sur des faits réels comme l’Illiade en était une.

    - Rejeter l’idéologie dominante actuelle, créer un "soft power" européen voire euro-sibérien (Nye), brocarder l’ "émotionalisme" médiatique, combattre l’amnésie historique, mettre un terme à ce qu’a dénoncé Philippe Muray dansFestivus festivus (Fayard, 2005), et, antérieurement, dans Désaccord parfait (Tel / Gal.), soit l’idéologie festive, sous toutes ses formes, dans toute sa nocivité, cette idéologie festive qui domine nos médias, se campe comme l’idéal définitif de l’humanité, se crispe sur ses positions et déchaîne une nouvelle inquisition (dont Faye et Brigitte Bardot ont été les victimes).

    C’est un travail énorme. C’est le travail métapolitique. C’est le travail que nous avons choisi de faire. C’est le travail pour lequel Guillaume Faye, qui va maintenant prendre la parole, a consacré toute sa vie. À vous de reprendre le flambeau. Nous ne serons écrasés par les catastrophes et par nos ennemis que si nous laissons tomber les bras, si nous laissons s’assoupir nos cerveaux.

    ► Robert Steuckers, introduction à la présentation par Guillaume Faye du livre La convergence des catastrophes, signé Guillaume Corvus, Bruxelles, 2006.

    http://www.archiveseroe.eu/faye-a112822410

  • Disparition des vidéos impliquant l’Onu dans le soutien à Daesh

    La journaliste Serena Chéhim avait annoncé monter un reportage incluant des vidéos montrant la responsabilité du Programme alimentaire mondial dans le transport des jihadistes de l’Émirat islamique (Daesh) entre la Turquie et la Syrie.

    Cependant ce reportage ne sera jamais diffusé. La journaliste est décédée après que sa voiture ait été percutée par un poids lourd à la frontière syrienne, son caméraman a été grièvement blessé, et les bandes vidéos ont disparu.

    Serena Chéhim avait la double nationalité, libano-états-unienne. Elle travaillait pour la chaîne d’information iranienne PressTV.

    SourceRéseau Voltaire

    http://www.contre-info.com/disparition-des-videos-impliquant-lonu-dans-le-soutien-a-daesh

  • « Terrorisme » à géométrie variable

    « Une guerre mondiale contre le terrorisme » : c’est le mot d’ordre de la communauté internationale. Depuis treize ans, cette guerre a abouti à une augmentation de la violence dans la région, et au chaos. Cette fois, la campagne rassemble à peu près tous les pays du monde, des Etats-Unis à l’Arabie saoudite, de la France à la Chine, de la Russie à l’Egypte, du Qatar au Maroc. Le seul problème est que personne n’est d’accord sur les objectifs de cette guerre, ni sur ce que recouvre ce mot — « terrorisme ». Je l’ai écrit souvent, dès le début de ce blog en 2006, le « terrorisme » est un concept vide de sens.

    Nous en avons eu ces derniers jours deux confirmations. Le premier au Kurdistan syrien. Les Etats-Unis ont confirmé qu’ils coordonnaient leurs bombardements sur Kobané, la ville attaquée par l’Organisation de l’Etat islamique (OEI), avec les combattants locaux. Comme le confirme Radio France Internationale (RFI), le 17 octobre (« Les Américains rencontrent les Kurdes, tout en ménageant Ankara ») : « La porte-parole du département d’Etat a pour sa part révélé que les Américains avaient eu à Paris leurs premiers contacts directs avec des Syriens kurdes, représentant le Parti de l’union démocratique (PYD), dont une milice combat actuellement les intégristes à Kobané. Le problème est que ce parti se rapproche, à la faveur des récents événements, du Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK, ennemi juré de la Turquie. » Ce que l’article ne dit pas, c’est que le PYD, comme le PKK, est classé par Washington et Bruxelles sur la liste des organisations terroristes. Ainsi donc, l’Occident peut avoir une coordination militaire avec des organisations terroristes. Quant au régime turc, qui ces dernières semaines a changé sa politique à l’égard des Kurdes, il avait lui-même ouvert une négociation avec les « terroristes » du PKK il y a deux ans.

    Autre exemple — en dehors de la région qui nous occupe —, le Nigeria. On a entendu, depuis des mois, parler des exactions de Boko Haram [1], notamment l’enlèvement de jeunes filles, mais aussi des massacres de villageois. Or RFI annonce, le 18 octobre, un cessez-le-feu entre les autorités nigérianes et Boko Haram sous l’égide du Tchad : « Les deux parties ont accepté le principe d’un règlement de leur différend par le dialogue et convenu de poser des actes de bonne volonté. »

    « Selon Ndjamena, poursuit l’article, “la récente libération des otages chinois et camerounais et l’annonce d’un cessez-le-feu constituent la concrétisation de ces engagements”. Les pourparlers, d’après les Tchadiens, ont “prévu également la libération par Boko Haram des jeunes filles enlevées à Chibok et celles de certains partisans de ce groupe détenus dans les prisons nigérianes”. Mais les modalités de ces libérations doivent encore être décidées. » Il serait donc possible de discuter avec cette organisation que les médias occidentaux ont présenté, depuis des mois, comme la quintessence du mal. Bien sûr, nul ne sait si le dialogue aboutira, mais le gouvernement a en tout cas décidé que c’était la voie à suivre.

    Le danger, avec ce terme de « terrorisme, “à dimension variable” », c’est qu’il empêche la réflexion politique et donc toute stratégie efficace [2].

    Quelques mois avant sa disparition en octobre 2004, il y a tout juste dix ans, le philosophe français Jacques Derrida rencontrait l’Allemand Jürgen Habermas pour penser le « concept » du 11-Septembre. Leur dialogue philosophique, retranscrit dans les colonnes du Monde diplomatique, mérite d’être (re)lu aujourd’hui [3] : « La terreur organisée, provoquée, instrumentalisée, en quoi diffère-t-elle de cette peur que toute une tradition, de Hobbes à Schmitt et même à Benjamin, tient pour la condition de l’autorité de la loi et de l’exercice souverain du pouvoir, pour la condition du politique même et de l’Etat ? »

    Alain Gresh

    Notes

    [1] Lire Alain Vicky, « Aux origines de la secte Boko Haram, Le Monde diplomatique, avril 2012.

    [2] Lire Alexis Varende, « Du bon usage du mot “terrorisme” et de quelques autres termes », Orient XXI, 14 octobre 2014.

    [3] Lire « Symptômes du 11-Septembre », par Giovanna Borradori.

    Source

    http://www.voxnr.com/cc/dh_autres/EuEFZAAEZpSyCuYaGh.shtml

  • La "journée" des dupes

    Qui s'intéresse à l'histoire de France et au XVII ème siècle en particulier connait la Journée des Dupes, à l'issue de laquelle la reine Marie de Médicis fut contrainte à l'exil par Louis XIII qui accorda désormais toute sa confiance à Richelieu.

    Je choisis cet exemple pour montrer que les apparences sont parfois trompeuses et que comme dit le proverbe, "tel est pris qui croyait prendre".

    Au Moyen-Orient, les apparences sont les suivantes : Une révolution islamique sanguinaire et rétrograde, dévaste la région et détruit les États constitués sous l'égide occidentale. L'Irak et la Syrie sont des constructions franco-britanniques post-ottomanes.

    Les bons occidentaux : les Américains, les Britanniques, nous et quelques uns de nos bons alliés (les royaumes pétroliers, cette chère Turquie) luttons de toutes nos forces pour éviter d'emprise de ces fous sanguinaires sur la région qui s'étend au sud de la Turquie .

    Ça c'est pour l'image d’Épinal.

    La vérité est toute autre.

     Les Américains poursuivent un plan de réorganisation et de dépeçage de la région. L’État islamique est leur bulldozer. Ils souhaitent leur victoire du moins dans un premier temps et au fond peu leur importe qui tiendra la région. Le plus incapable sera le meilleur.

    Se limiter aux frappes aériennes ponctuelles n'est pas innocent. On sait bien, les dernières guerres l'ont montré, que les frappes aériennes peuvent mettre à genoux un pays industrialisé, structuré, mais qu'elles sont d'un effet très limité contre des gens mobiles et bien armés, sauf à retrouver une densité  du niveau de l'été 44 sur les routes de France, c'est à dire tirer systématiquement sur tout ce qui bouge, char de combat , homme, femme, enfant. On en est loin. Sans intervention terrestre musclée, il ne se passera rien de gênant pour l'EI. 

    L'autre bon allé des américains, l'ineffable Turquie tire, mais sur les résistants, les Kurdes en l’occurrence, qui se trouvent, circonstances obligent, du côté des Occidentaux : les pauvres . A eux on envoie quelques armes pour faire bonne figure, mais rien de nature à bouleverser l'équilibre des forces.

    Les royaumes pétroliers ont tellement soutenus les terroristes musulmans de tout crin qu'on ne voit pas pourquoi cette fois-ci ils iraient embêter leurs alliés idéologiques, sunnites comme eux, aux dépens des Chiites, ennemis éternels ou des kurdes mécréants.

    Les comiques de service, il faut bien dérider l'atmosphère, ceux que les soviétiques nommaient les "idiots utiles" ce sont nous, les Européens et tout particulièrement nous, les Français, toujours bons à courir flamberge au vent contre des moulins à vent sans n'avoir rien compris au scénario.

    Ce qu'il se passe au Moyen-Orient va à l'encontre même de nos intérêts, de nos convictions profondes et par notre intervention sous l'aile américaine, nous donnons notre caution à ce qui se révèlera probablement comme un des grands crimes contre l'humanité de ces cent dernières années.

    Encore une grande victoire du caramel mou qui réside à l’Élysée.