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géopolitique - Page 843

  • François Hollande et la guerre : Honni soit qui Mali pense !

        Quand un grand ponte de l’establishment doit descendre dans l’arène se colleter avec ses acolytes c’est qu’il y a de l’eau dans l’essence, dit-on par ici. Le citoyen Dominique de Villepin, ex-commis de la ploutocratie de Paris, particulièrement guerrière ces temps-ci, a publiquement pris parti contre l’aventure militaire française au Mali. L’ex-ministre Dominique de Villepin, héritier de l’ère Raffarin, rentier de l’ère Chirac et prostré de l’ère Sarkozy, s’est commis d’un écrit plein de finesse et d’hypocrisie. Son propos, tout de fil blanc cousu, va comme suit: Ne refaites pas les erreurs du passé et apprenez de vos billevesées, bande de demeurés –… Non, la guerre ce n’est pas la France déclame-t-il.
        Tout cela coule de source ma foi. L’impérialisme français arrogant, revanchard et pédant, après avoir été complice dans la destruction de la Serbie, du Kosovo, de l’Afghanistan, de Djibouti, de la Côte d’Ivoire, de la Libye, de la Syrie, de la Somalie, s’attaque aujourd’hui au Mali… pensant probablement que, la proie étant plus démunie, le chacal (ou le Rafale!) en aura vite fini.
        Dominique sait d’expérience l’engrenage de la dépendance à la souffrance (des peuples néo-colonisés) et il le dit d’un air déconfit : « Tirons les leçons de la décennie des guerres perdues, en Afghanistan, en Irak, en Libye. Jamais ces guerres n’ont bâti un État solide et démocratique. Au contraire, elles favorisent les séparatismes, les États faillis, la loi d’airain des milices armées. Jamais ces guerres n’ont permis de venir à bout de terroristes essaimant dans la région. Au contraire, elles légitiment les plus radicaux. Jamais ces guerres n’ont permis la paix régionale. Au contraire, l’intervention occidentale permet à chacun de se défausser de ses responsabilités. Pire encore, ces guerres sont un engrenage. Chacune crée les conditions de la suivante. Elles sont les batailles d’une seule et même guerre qui fait tache d’huile, de l’Irak vers la Libye et la Syrie, de la Libye vers le Mali en inondant le Sahara d’armes de contrebande. Il faut en finir.» (1).
        Que de sagesse ! Notez que monsieur de Villepin ne dit pas que les impérialistes français devraient s’abstenir de s’immiscer dans les affaires intérieures de leurs néo-colonies d’Afrique; en effet, ce n’est pas ce que l’ex-candidat à la candidature suprême préconise. Il dit simplement que l’espionnage, le magouillage, la manipulation des pions dans la région, quelques strapontins et quelques valises diplomatiques bien garnies sont plus payantes que force ni que rage.
        La recette militaire a été essayée sans succès, elle n’a donné que révoltés enragés, destruction des infrastructures, famine chez les futurs esclaves salariés à bientôt exploiter, moins d’affaires, moins de ressources minières à exproprier  et moins de marchés à s’emparer. Pourquoi ne pas tenter la solution toute de diplomatie emberlificotée ?
    Lisez plutôt : «Il faut aussi une dynamique régionale, en mobilisant l’acteur central qu’est l’Algérie et la CEDEAO en faveur d’un plan de stabilisation du Sahel. Il faut enfin une dynamique politique pour négocier en isolant les islamistes en ralliant les Touaregs à une solution raisonnable. (…) Telle est la responsabilité de la France devant l’histoire.» (2). Autrement dit, faire faire la guerre de la «mère patrie» par les soldats des néo-colonies. Africains contre africains pour le bien des métropolitains.
        Les pontifes français sont prompts à charger leur nation des missions du trublion que personne pourtant ne souhaite leur voir assumer. Bien entendu quelques «mécréants» diront que les intérêts de la France au Mali sont plus immédiats, plus sonnants et trébuchants et plus pressants que le ponte ne veut bien l’avouer. Ces éternels palabres africains où le maître doit à la fin, de toute façon, donner de la cravache et du goupillon, ne garantissent nullement que les pillards pourront conclure leur larcin.
         « L’intervention française, baptisée « Opération Serval », du nom d’un félin africain, a été décidée après que les islamistes d’Ansar Edine eurent pris plusieurs positions dans le sud du pays, notamment la région de Komma, et menacé de prendre la capitale Bamako, et donc d’avoir un contrôle total du pays (ce qui aurait placé cette organisation – qui est sous le contrôle dont on ne sait qui dans la région – en position de force pour les négociations de la cession du butin de radiation. NDLR). »
        « Une situation qui posait un problème à la France, non pas pour les raisons «humanitaire» si chères à Bernard Kouchner et autres BHL de ce monde, mais plus vraisemblablement parce que la société Areva, groupe industriel français spécialisé dans les métiers du nucléaire, en particulier l’extraction de minerai d’uranium, bataille depuis plusieurs années pour obtenir l’exploitation de quelques 5,000 tonnes de minerai qui se trouvent à Faléa, une commune de 21 villages et 17,000 habitants, située dans une région isolée à 350 kilomètres de Bamako, capitale du Mali. » (3).
        Ah si tous ces politiciens, ces militaires et ces terroristes-djihadistes à leur solde – le problème avec les mercenaires djihadistes c’est qu’ils se vendent au plus offrant et que comme les soldats ils sont sans foi ni loi – seule l’odeur de l’argent les fait changer de camp; si tous ces gens avaient entendu le chaman du Nord Mali que nous avons interviewé récemment : « Mes frères, déclara le sorcier malien, croyez-vous que le nouveau Président puissant, ce monsieur Hollande de France, tirera leçon des massacres afghan et irakien et syrien et libyen ? Aucunement, et nous les attendons bientôt avec leurs armées et leur équipement de mort, venir engraisser les ploutocrates obséquieux qui tiennent lieu de Président-polichinelle à Bamako notre capitale, entouré de son armée de pacotille en guenille, toujours prête à faire feu sur les paysans maliens, à violer les femmes et à recruter leurs enfants-soldats. »
        Et le vieux marabout de conclure assis dans sa case de l’Azawad envahi : « Que tous ces preux demeurent chez eux parmi les leurs en pleurs et qu’ils laissent le malien palabrer avec le malien, le noir discuter avec le blanc, le Touareg avec le Bambara, le Bobo et le Dogon. Qu’ils laissent le chrétien africain négocier avec le musulman africain et qu’ils nous laissent en paix. Tous ces étrangers ont assez saccagé nos contrées pour ne pas insister et blesser davantage notre fierté. Dites au Président à Paris, fils de colonialistes proscrits, ce monsieur Hollande «socialiste», de ne plus s’en faire : nous Maliens nous saurons régler cette affaire sans détruire la terre-mère qui nous appartient. » (4).

    La France hors du Mali !
    L’Afrique aux Africains !

    Robert Bibeau http://www.esprit-europeen.fr

    Source : http://www.mecanopolis.org/

    Notes :
    (1) Non, la guerre, ce n’est pas la France. 12.01.2013. http://www.lejdd.fr/International/Afrique/Actualite/Villepin-Non-la-guerre-ce-n-est-pas-la-France-585627
    (2) Non, la guerre ce n’est pas la France. 12.01.2013. http://www.lejdd.fr/International/Afrique/Actualite/Villepin-Non-la-guerre-ce-n-est-pas-la-France-585627
    (3) Spencer Delane. L’intervention militaire française au Mali. Mécanopolis. 13.01.2013. http://www.mecanopolis.org/?p=26739
    (4) Légende du nouvel an au Mali 5.01.2013. http://www.partisadi.net/2013/01/legende-du-nouvel-an-au-mali/

  • L’impérialisme américain face à la sagesse chinoise

    « Si nous voyons que l’Allemagne est en train de gagner, nous devons aider la Russie. Si nous voyons que la Russie est en train de gagner nous devons aider l’Allemagne. Dans les deux cas nous devons les laisser se tuer le plus possible » disait Truman au New York Times, un mois après l’opération « Barbarossa » lancée par l’Allemagne contre l’Union Soviétique. C’est l’attitude constante américaine contraire aux normes de la morale.

    Avant la guerre de sécession, les États-Unis se sont repliés sur eux-mêmes pour construire et se reconstruire. Leur première intervention extérieure était une ingérence dans les affaires du Mexique en 1865 pour dissuader la France et l’Achat de l’Alaska à la Russie.

    Depuis, les États-Unis mènent une politique impérialiste, parfois de façon douce, parfois de façon arrogante et brutale, dont l’objectif est d’exercer une influence dans les domaines politiques, militaires, économiques et culturels à l’échelle mondiale. Elle est fondée d’abord sur la doctrine Monroe (1), « l’Amérique (du Sud et du Nord) aux Américains », et Roosevelt (2) qui s’arroge le droit d’intervenir partout pour défendre les intérêts de son pays. Ces doctrines s’appuient sur le dollar qui ouvre la voie à l’intervention économique,en favorisant les investissements des capitaux américains sous la pression diplomatique.

    Après la deuxième guerre mondiale, l’Union Soviétique communiste est devenu trop menaçante pour les intérêts américains en Europe et dans le monde, dit en voie de développement.

    Aux États-Unis, un débat eut lieu pour endiguer le régime communiste. L’usage de la force fut écartée au profit d’une stratégie qui consistait à l’encerclement de l’URSS par l’OTAN à l’ouest, le Pacte de Bagdad au Moyen-Orient, l’Organisation du Traité de l’Asie au Sud-est (3). La course aux armements (projet de la guerre des étoiles) fut relancée dans les années 1980 et les relais (médias, organisations), pour dénoncer les atteintes aux droits de l’homme, réactivés. Le résultat est l’effondrement de l’URSS 10 ans plus tard.

    1- STRATÉGIE POUR CONTRER LE DÉFI CHINOIS

    Deux décennies après la chute de l’Union Soviétique, la suprématie américaine est remise en cause par la montée en puissance de la Chine tant au plan économique que militaire en Asie-Pacifique. Pour faire face à ce défi chinois, Barack Obama développa une stratégie géopolitique globale. Si la stratégie américaine contre l’URSS était connue, celle réservée à la Chine n’est pas aussi détaillée. Toutefois, selon le décryptage des déclarations des officiels Américains, les relations que les États-Unis consolident avec les pays de l’Extrême –orient et le déploiement des troupes américaines, nous pouvons supposer que cette stratégie est repose sur :

    Le contrôle des besoins énergétiques de l’adversaire

    La croissance forte de la Chine qui ne dispose pas de ses propres ressources en énergie suffisantes pour son développement, nécessite une grande consommation d’énergie. Elle doit donc importer de plus en plus accroissant sa dépendance de l’extérieur essentiellement du Moyen-Orient dont elle importe 60% de leur production et pourrait atteindre 90% en 2015. Pour empêcher tout éventuel rapprochement de ce pays à ses fournisseurs du Moyen-Orient, les États-Unis mènent une politique qui renforce sa mainmise sur les principaux fournisseurs de la Chine qui sont l’Arabie Saoudite, le Koweït, l’Irak et l’Iran.

    Dans la perspective de rendre difficile l’accès à une source d’approvisionnement alternative au Golfe-Persique, les États-Unis envahissent l’Afghanistan coupant ainsi la route qui mène de la Chine à la mer Caspienne et cherchent à pousser la Russie à s’orienter vers l’Europe plutôt que vers l’Asie. Ils cherchent ardemment à faire passer l’Irak et l’Iran sous leur emprise mettant la Chine en difficulté pour alimenter son industrie en pétrole. Leur hégémonie dans la région passera-t-elle par résurrection due pacte de Bagdad en lui ajoutant les micros États issus de l’éclatement de la Syrie et du Liban en États communautaires.

    La rupture des relations russo-chinoises ou la dislocation du groupe de Shanghai

    Pour briser l’influence américaine dans le continent asiatique une organisation intergouvernementale régionale asiatique menée par l’alliance sino-russe est née. Connue sous l’appellation du Groupe de Shanghai (4).

    Les États-Unis pensent que l’affaiblissement ou la dislocation de ce Groupe accroît l’encerclement de la chine. Pour ce faire et sous le prétexte fallacieux faire front avec l’OTAN contre l’islamisme montant dans la région, ils cherchent par tous les moyens à faire basculer la Russie vers l’Europe tout en espérant une entente sur le partage des hydrocarbures avec ce pays. La Russie devrait faire un choix stratégique rejoindre l’atlanti-europe ou consolider ses relations avec la Chine en renforçant notamment le Groupe Shanghai en vue de lui donner la capacité de faire face à l’OTAN. Au vu de la situation géopolitique qui prévaut il semble que la Russie se rapproche encore plus de la Chine. Leur position vis-à-vis de la crise syrienne le confirme.

    L’Inde constituerait un allié notoire pour cette politique d’encerclement de la Chine et, pour cette raison que les États-Unis développent des relations notamment dans le domaine militaire comme le fait aussi Israël avec ce pays. Il constituera un substitut au Pakistan qui n’a pas encore tranché sur son éventuelle adhésion à cette conception américaine

    La mise en place par un réseau d’alliances

    En Extrême – Orient, les États –Unis comptent sur la Corée du Sud et du Japon considérés comme bases avancée américaines. La Corée du Nord , dont l’arsenal militaire est intéressant, doit être « récupérée » et annexée à la Corée du Sud

    La présence géostratégique américaine repose sur des régions sécuritaires dites « pivot », d’une part le canal de Panama qui relie l’Atlantique au Pacifique, deuxièmement les installations militaires maritimes de San Diégo à Hawaï jusqu’à Guam et de Guam au Japon et à la Corée du sud et enfin la ligne maritime de Bornéo à Singapour Ce système sécuritaire a deux têtes de pont, le Japon et Taïwan et surveille les 6000 navires qui sillonnent l’océan indien transportant le pétrole vers la Chine.

    Neutraliser sa capacité de menace nucléaire

    Rompant avec « l’équilibre de la terreur », les États-Unis se dotent d’un bouclier intercepteur de missiles atomiques lancés sur le territoire des USA. Avec ce bouclier, les USA croient bien pouvoir déclencher une attaque contre un pays nucléaire sans craindre une riposte sérieuse.

    Dans cette optique, ils installent des systèmes d’interception des missiles balistiques et des missiles de croisière chinois en Asie et au Moyen-Orient. Quatre systèmes antimissiles Patriot sont déployés au Japon, en Corée du Sud, à Taïwan et aux Émirats Arabes Unis. Pour augmenter l’efficacité de ces systèmes, ils projettent d’installer un nouveau radar de signes avant – coureurs aux Philippines en plus de celui se trouvant au Japon. Les navires de guerre capable de porter les missiles antimissiles passeront de 26 à 38 d’ici 2018 dont la moitié sera déployée en Asie et au Pacifique

    Instrumentalisation des conflits ethniques et des droits de l’homme

    La Chine, avec ses 56 ethnies, est une diversité de croyances culturelle et d’influence spirituelle. Cette diversité peut s’avérer dangereuse pour elle ou tout autre pays similaire si la liberté d’expression et de religion n’est pas respectée. Les Tibétains et les Ouighours et les Mongols de la Mongolie-intérieure sont les minorités qui affichent le plus des revendications indépendantistes. Les États-Unis trouvent dans la géographie chinoise les éléments suffisants pour favoriser des soulèvements

    a) – Le Tibet revendique son autonomie. Le soulèvement du Tibet en 1959, à travers des preuves confirmées, n’était pas du tout complètement spontané selon ses partisans mais bien l’œuvre soit de la CIA soit des chefs Khampa (5) voire les deux. A. Tom Grunfeld (6) l’a annoncé dans une conférence en 2000 lors d’un congrès mondial de l’Association internationale de sciences politiques. La fuite du Dalaï Lama en 1994 est organisée pour l’utiliser contre le gouvernement chinois.

    b) – Les Ouighours revendiquent leur musulmanité. Les Ouighours sont un musulman turcophone qui représente plus de 45% de la population de la province de Xinjiang. Pour Pékin, le Xinjiang est parmi les priorités stratégiques pour des raisons économiques (la présence d’importants gisements de matières premières) et géopolitique, la région a 5 000 km de frontières avec huit pays dont l’Inde, le Pakistan, le Kazakhstan et le Kirghizstan.

    Ils demandent que soit respectée leur spécificité culturelle et religieuse surtout pendant le Ramadan et les fêtes religieuses d’une part et de mettre fin à la politique d’assimilation menée par Pékin qui favorise l’installation des Hans ethnie non musulmane dans la province. Leur soulèvement est pour des raisons identitaires.

    La révolte de février 1975 et 2001 a fait 167 et celle de 2001 a été sévèrement réprimes par les autorités chinoises révoltes en considérant le soulèvement de la province comme actes terroristes. De 2001 à nos jours des émeutes éclatent donnant des affrontements entre les musulmans et les Hans. Les Américains notamment sont accusés d’être les manipulateurs de ces manifestations.

    c) – Les Mongols de la Mongolie-intérieure. Ils se sentent menacés dans leur culture par la migration des Hans sur leurs terres. L’exportation minière intensive détruit leur cadre et leur mode de vie pour lesquels la colère gronde.

    Ils ont intégré dans leur stratégie de déstabilisation l’élément internet persuadés que les moyens de communication ont un rôle prépondérant dans la direction des événements dans le sens souhaité tout en suivants en temps réel les événements. Aussi, est- il devenu impératif de repenser le cyberespace en cyber-sécurité. (Stratégie internationale pour le cyberespace).

    2- OBAMA VANTE L’IMPÉRIALISME AMÉRICAIN DU XIXème SIÈCLE

    En annonçant sa nouvelle stratégie globale en Extrême-Orient le président Américain donne l’impression de faire retourner les États-Unis au 18e siècle où le concept impérialisme prenait tout son sens dans ce pays. L’historien américain, John Gerassi, dans un article des temps modernes de septembre 1967, affirme « la politique étrangère des USA a été toujours dominatrice et impérialiste depuis 1823 ». Une tradition politique américaine pour cette région du globe. En effet, depuis ce siècle, l’Extrême-Orient constituait déjà un espace pour les États-Unis où leur suprématie ne doit pas être discutée.

    Aussi bien les politiques, les académiciens que les religieux encourageaient l’expansion de leur pays parfois au détriment des valeurs morales voyaient dans zone pacifique et extrême–orient une importance décisive.

    Le Secrétaire d’État Steward en 1852 disait « l’Océan pacifique, ses rivages, ses iles et la vaste région au-delà, deviendront le principale théâtre des événements dans le grand futur monde », et John Hay, secrétaire d’État en 1860 : « (…) Qui comprend la Chine tient la clé de la politique internationale des 500 ans à venir ».

    Selon John Fiske, philosophe et historien, professeur à Harvard la politique américaine est fondée sur le principe de « la race anglaise dont les deux branches ont la mission de fonder à travers la plus grande partie du monde plus élevée et un ordre politique plus durable qu’aucun autre dans le monde » Le Pasteur Josiah Strong dans son livre « our contry » annonce que la race anglo-saxonne est élue par Dieu pour civiliser le monde et que les USA ont une responsabilité essentielle »

    Les doctrinaires américains justifient leur politique impérialiste par :

    La nécessité de trouver des débouchés. Ils prétendent que les usines américaines produisent plus que le peuple utilise. Le sol américain produit plus qu’il ne peut consommer. La destinée nous a tracé notre politique : le commerce mondial doit être et sera à nôtre.

    La supériorité de la race anglo-saxonne. Ils croient que Dieu a chargé la race anglo-saxonne de gouverner les peuples séniles et barbares et diriger la régénération du monde.

    Nature religieuse. Les colons ayant quitté l’Europe, vont s’installer dans le nouveau monde car ils ne pouvaient plus exercer leur culte. Dans le nouveau monde , ils vont s’atteler à l’établissent du royaume de Dieu sur terre. L’élément religieux est omniprésent dans la politique américaine, la devise de ce pays est « In god we trust » (en Dieu nous croyons). Le président Wilson ne prêchait-il pas une croisade contre l’Europe ? Pour eux, seules leurs valeurs sont universelles, et il faut les répandre dans le monde ; Tocqueville considérait ces valeurs comme étant la démocratie.

    3- LA CHINE SE PRÉPARE A LA CONFRONTATION

    Une guerre aura lieu probablement dans le Pacifique, mais quel en sera le motif ? Sur quel litige éclatera-t-elle ? On ne peut donner de réponse.

    Andrew Marshall, un des principaux conseillers du Pentagone, en réponse à une question sur son avis sur ce qui se passe en Irak, dira « Je ne regarde pas ça de trop près. Je suis occupé à planifier la future guerre avec la Chine d’ici vingt ans sous l’eau ou dans l’espace » (7). Bush Junior affirmait que « la Chine est une rivale et non un partenaire stratégique » (8).

    « La Chine est trop grosse pour que les Américains l’envoient dans la lune. Les chinois sont bien sur terre depuis 5 000 ans et y resteront à jamais » (9) répond Sha Xukang négociateur chinois sur le désarmement. Phrase calculée et diplomatique, mais qui contient des menaces…

    La Chine a parfaitement compris que le Pacifique et l’Extrême–orient sont des espaces vitaux déterminants pour leur prospérité aussi bien pour elle que pour les États-Unis et qu’ils ne peuvent être partagés. Elle se prépare.

    Hausse des dépenses militaires. pour l’année 2011, le gouvernement prévoit un budget de 20 milliards d’euro « les dépense militaires sont 2 à 3 fois plus élevées que les chiffres officiels avoués » (10). La dotation budgétaire passera à plus de 300 milliards de dollars en 2015 et revalorise les soldes des militaires pour les motiver.

    La Chine n’a pas accru ses effectifs des forces terrestres car elle sait que la confrontation ne sera pas frontaliers mais une guerre post- moderne centrée sur la guerre électronique, les missiles, les avions, les sous-marins et les satellites et même une guerre nucléaire.

    Elle muscle sa flotte marine et sous marine, lance des portes avions, et modernise son aviation.

    • Elle améliore ses capacités nucléaires et balistiques, et met en orbite des satellites espions.

    • Elle se prépare à faire face à tout mouvement d’agitation à l’instar de ce qui se passe dans le monde Arabe. Lors de l’Assemblée annuelle du congrès national du peuple de l’année 2011, le gouvernement a annoncé une hausse importante du budget consacré au maintien de l’ordre.

    SERAGHNI LAID http://www.cercledesvolontaires.fr

    Référence :

    1. James Monroe. Sa doctrine, exposée dans une déclaration du 2 décembre 1823, s’articule sur deux principes :

    a) – Les États-Unis s’abstiennent de toute intervention en Europe,
    b) – Les États-Unis ne tolèrent aucune intervention de l’Europe en Amérique.

    2. Théodore Roosevelt né le 27 octobre 1853 a New York, historien, naturaliste, explorateur, écrivain et soldat, il est le 26ème président des États-Unis. Sa doctrine dite « big stik » (gros bâton) est inspirée d’un proverbe africain qui dit « parlez doucement et prenez un gros bâton avec vous, vous irez loin »

    3. Créée à Manilles le 8 septembre 1954, cette organisation comprend les Philippines, la Nouvelle Zélande, du Pakistan, la France, de la Grande Bretagne, l’Australie, la Thaïlande et des États-Unis.

    4. L’organisation de coopération de Shanghai, appelée groupe de Shanghai, créée le 14 et 14 juin 2002, comprend la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Tadjikistan, le Kirghizstan et l’Ouzbékistan. Le Pakistan, l’Inde et l’Iran sont des membres observateurs.

    5. Khampa est un bourg tibétain situé au Nord de la frontière avec l’État indien du Sikkim.

    6. A. Tom Grunfeld est professeur d’histoire à l’université d’État de New York spécialisé dans l’histoire moderne de l’Asie orientale notamment et plus particulièrement de la Chine et du Tibet.

    7. M. Wietzmann, « Le mal de l’Irak aux intellectuels américains ». Le Monde 2, 17 février 2007.

    8. Mondialisation du 24 octobre 2008.

    9. Gerald Fouchet, politologue, écrivain et journaliste : « Vers une nouvelle guerre froide Chine-USA ».

    10. Le Mmonde du 7 mars 2001.

  • Lessive géopolitique… A qui profite la situation coréenne ?…

    Pertinente analyse des experts russes, qui mène à l’éternelle question à 10 Euros: A qui tout cela profite t’il ? Il est clair que la Corée du Nord ne fait rien sans l’aval de la Chine, donc, gigoter de la sorte donne un prétexte au pays du goulag levant de renforcer son dispositif militaire en Asie pour isoler la Chine plus avant. Ceci immanquablement va étirer l’armée de l’empire et la rendre bien plus inefficace sur les théâtres de conflit au Moyen-Orient et en Afrique. D’un autre côté on peut toujours se demander à quel jeu joue vraiment la Chine ? Son rapprochement récent avec la Russie est-il un leurre ? Vu les énormes intérêts économiques en jeu et l’intérêt que porte l’oligarchie à la Chine depuis plus de 40 ans, tout ceci n’est-il pas qu’un leurre ? La Chine jouera t’elle à terme dans le camp de l’empire ? Cette nouvelle monté de mayonnaise façon américano-sino-coréenne est encore un air de pipeau pour faire monter le sentiment d’insécurité de plusieurs crans… Dans quel but ?

    A suivre de près…

    – Résistance 71 –

    La Russie redoute une situation hors de contrôle en Corée du Nord (Lavrov)

    Al Manar, Le 29 Mars 2013

    url de l’article original : http://www.almanar.com.lb/french/adetails.php?eid=104220&cid=19&fromval=1&frid=19&seccatid=33&s1=1

    La Russie a mis en garde vendredi contre des « actions unilatérales » qui risquent de faire « perdre le contrôle de la situation » en Corée du Nord, où le régime prépare ses missiles pour d’éventuelles frappes contre les Etats-Unis.
   
 »Nous pouvons perdre le contrôle de la situation, elle s’engage dans la spirale d’un cercle vicieux », a déclaré le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, au cours d’une conférence de presse.
   
 »Nous sommes préoccupés par le fait que des actions unilatérales, consistant à intensifier les activités militaires, sont entreprises autour de la Corée du Nord parallèlement à la réaction appropriée du Conseil de sécurité de l’ONU et à la réaction collective de la communauté internationale », a-t-il ajouté.

    La Russie appelle tous les pays « à s’abstenir de montrer leur force militaire et à ne pas utiliser la situation actuelle pour atteindre des objectifs géopolitiques dans la région par des moyens militaires », a-t-il encore dit.

    Selon un expert militaire russe interrogé par l’agence de presse Interfax, la Corée du Nord multiplie les « provocations » sans avoir les moyens d’atteindre les Etats-Unis.
   
 »Pour le moment, la Corée de Nord ne dispose pas de lanceur qui pourrait atteindre les Etats-Unis ou leurs bases dans l’océan Pacifique », a déclaré l’expert sous couvert de l’anonymat.
   
 »Les Coréens du Nord sont aussi loin de fabriquer des têtes nucléaires qui pourraient équiper un missile intercontinental balistique », a-t-il ajouté.

    L’expert a estimé que les photos publiées vendredi par les médias nord-coréens semblant témoigner de projets d’attaque des Etats-Unis étaient de « nouveaux épouvantails » agités par Pyongyang.
   
 »Je ne crois pas à la possibilité de telles frappes. Les Nord-Coréens ont eu recours périodiquement à telles menaces, déjà avant Kim Jong-Un », a-t-il souligné.
   
 »Les déclarations de la Corée du Nord, qui relèvent de la provocation, donnent en réalité un très bon prétexte à Washington pour étendre ses capacités de défense anti-missile dans la région Asie-Pacifique », a encore dit l’expert russe.

    http://resistance71.wordpress.com/

  • Afghanistan : l’insurrection qui vient (première partie)

    Le retrait des troupes de l’ISAF [en français, Force internationale d'assistance et de sécurité, FIAS] et ses conséquences telles que le transfert complet des responsabilités en matière de sécurité aux forces afghanes, la situation sécuritaire, politique et sociale du pays, la corruption endémique ainsi qu’une présence sans cesse réaffirmée des Talibans laissent entrevoir un avenir sombre pour l’Afghanistan.

    2014 : l’année de tous les dangers

    Le retrait total des troupes de l’ISAF et plus particulièrement américaines prévu pour 2014 suscite de nombreuses appréhensions, notamment au sein de la population afghane. Contrairement aux souhaits du haut commandement militaire américain en Afghanistan, Barack Obama a privilégié un retrait total (le fameux « zero option ») et rejeté l’idée de maintenir une présence militaire minimale afin de soutenir le gouvernement afghan. Le « zero option » d’Obama a suscité de vives réactions au sein de la classe politique afghane et certains parlementaires comme Naim Lalaï (Kandahar) n’ont pas hésité à déclarer que « Si les Américains retirent leurs troupes sans un plan, la guerre civile des années 1990 se répétera. (…) Cela permettra aux Talibans de l’emporter militairement » [1].

    De nombreux doutes ont été émis sur la capacité des forces afghanes à assumer seules la pacification du pays : ces questions ne concernent pas seulement les compétences opérationnelles de l’armée ou de la police afghane mais aussi le soutien et la légitimité dont elles jouissent au sein d’un pays encore tribal et gangrené par la corruption. Un récent sondage mené par les Nations Unies sur un échantillon de 7000 Afghans a montré que 80% de ceux-ci pensaient que les forces de sécurité afghanes n’étaient pas prêtes à prendre le relais de l’ISAF [2]. Cette enquête du PNUD a montré que seulement 2 Afghans sur 10 pensent que les forces de police locales peuvent assumer leurs fonctions et pour la majorité des sondés la corruption est un problème majeur [3].

    La formation des forces afghanes (3500 000 hommes) s’est accélérée mais un transfert total des responsabilités en matière de sécurité semble être prématuré. Pour de nombreux experts et militaires occidentaux, les forces afghanes ne sont pas encore aptes à assumer leur mission sans un soutien étranger conséquent. Ce sentiment est aussi partagé par différents parlementaires afghans : pour Mirwais Yasini, « Si les forces américaines quittent l’Afghanistan sans entraîner adéquatement les forces de sécurité afghanes, et sans les équiper, ce sera un désastre » [4]. Sentiment partagé par la parlementaire Shukria Barakzaï qui ajoute que pour les Etats-Unis, cela équivaudra à reconnaître leur « défaite » [5]. Conscients que le « zero option » prôné par Obama pourrait s’avérer catastrophique, certains hauts fonctionnaires américains affirment que Washington compterait cependant maintenir une présence militaire de 3000 à 9000 hommes en Afghanistan après 2014 [6].

    Cette éventualité a été confirmée et précisée du début du mois de janvier 2013 par le Général John R. Allen : trois options ont été formulé, chacune ayant une conséquence sur la conduite de la lutte antiterroriste ainsi que l’avenir du pays. La première option consisterait à maintenir 6000 soldats dont la mission serait de mener des opérations spéciales contre les Talibans [7]. Dans le cadre de ce plan l’Armée Nationale Afghane ne recevrait qu’un soutien logistique et une formation limités : cette première option est considérée comme comportant un « haut risque d’échec » [8]. La seconde option propose un déploiement de 10,000 G.I.s et un renforcement de l’entraînement des forces afghanes ; elle est considérée comme comportant un risque moyen d’échec [9]. La dernière option, qui comporterait un risque d’échec faible, prévoit un déploiement de 20,000 soldats américains auquel s’ajouterait un contingent de l’US Army chargé de patrouiller dans des zones précisément délimitées [10]. Comme l’ont rappelé des membres du Ministère de la Défense américain, le succès de leur implication et du conflit ne repose pas uniquement sur des facteurs militaires mais aussi sur la capacité d’un gouvernement corrompu à fournir à la population afghane les services et infrastructures de base dont elle a terriblement besoin [11]. Contrairement aux souhaits du Général John R. Allen, Barack Obama reste pour l’instant déterminé à ne maintenir en Afghanistan qu’un contingent de 3000 à 4000 soldats américains [12]. Pour certains experts comme Nazif Shahrani de l’Université d’Indiana, le nombre de soldats américains qui sera effectivement déployé après 2014 sera proche de l’estimation la plus basse dans la mesure où il sera difficile de faire accepter à l’opinion publique américaine le maintien ou le redéploiement d’une large force armée en Afghanistan [13].

    Hamid Karzaï n’est pas opposé au maintien de forces américaines après 2014 mais des points de discorde existent avec Barack Obama dans la mesure où le président afghan souhaite que les soldats américains soient responsables de leurs actes et ne soient plus couverts par une immunité juridique – ce qui est inacceptable pour les Etats Unis [14]. Les relations afghano-américaines se sont tendues au cours des derniers mois et au cours de sa visite à Washington, en janvier 2013, Hamid Karzaï a réitéré ses demandes en y ajoutant le souhait de voir les forces américaines opérer hors des villes et villages afghans [15]. Ces revendications sont cependant limitées par le fait que Karzaï doit négocier avec Washington la fourniture aux forces afghanes d’armes lourdes, d’engins aériens modernes et d’équipement médical [16]. Dans le même temps le montant de l’aide, des investissements et des dépenses des Etats Unis (120 milliards de Dollars américains en 2011) en Afghanistan pourrait se réduire considérablement à cause du contexte économique américain, du retrait des troupes de l’ISAF et du degré de corruption affectant le pays [17].

    Les Etats-Unis ont décidé de réduire drastiquement leur effectif militaire et civil présent ainsi que l’ensemble de l’aide financière ou les dépenses militaires et civiles affecté à l’Afghanistan: le personnel militaire et civil américain ne devrait plus qu’occuper 5 bases ou infrastructures à la fin de 2014 (contre 90 à la fin 2011) et ces importantes coupes budgétaires pourraient à terme sérieusement affecter leur sécurité [18]. Washington devrait cependant dépenser 150 milliards de Dollars supplémentaires à la fin 2014 [19]. Aucun progrès militaire significatif n’a été réellement enregistré [20] et la stratégie de transition est en fait une stratégie de retraite souvent perçue comme étant floue [21]. Aussi bien le Département d’Etat que USAID n’ont pu, en dépit de leurs efforts, convaincre, démontrer et mesurer concrètement les effets ou les progrès produits par le volet civil du “surge” ainsi que les différents programmes d’aide civile, reconstruction et développement [22].
    Comme le rapportent la Banque Mondiale et des officiels afghans, le gouvernement afghan, “est si dépendant de l’aide extérieure et des dépenses militaires dans le pays que le gouvernement entier et l’effort de guerre pourraient s’effondrer au cours de 2014 et des années qui suivent sans efforts d’aide extérieure effectifs” [23]. Les élections de 2014 sont une échéance cruciale mais peu d’espoirs quant à un changement positif ou un sursaut qualitatif existent: le futur chef de l’Etat afghan “présidera une législature afghane corrompue et divisée dont les pouvoirs sont trop faibles pour être effectifs et une structure politique au sein de laquelle les gouverneurs ainsi que les chefs locaux sont nommés et n’ont pas de réelle légitimité populaire” [24].

    Face à ces contraintes et à l’évolution du contexte politique, Karzaï semble vouloir se montrer indépendant et diversifier ses alliés: le président afghan a ainsi refusé de signer un accord militaire contraignant et de long terme avec les Etats Unis car ce traité était perçu comme une menace sur la souveraineté de l’Afghanistan [25]. Dans cette optique Karzaï souhaite mettre fin à l’immunité couvrant les soldats américains et s’est indigné du fait que des Afghans soient enfermés dans des centres militaires de détention contrôlés par les Etats Unis et ce, sur le territoire afghan [26].

    La Police Nationale Afghane : un pilier fragile

    A l’image d’une grande partie de la classe politique afghane et des administrations d’Etat, la police est affectée par la corruption. Ce phénomène sape sa légitimité et toute confiance de la part de la population. La corruption au sein de la police est le résultat de la conjonction de différents facteurs tels que la pauvreté générale du pays, les bas salaires, un manque de professionnalisme, des problèmes propres à l’organisation et à la structure interne des services de police mais aussi propres au fonctionnement de l’Etat ainsi qu’au népotisme généralisé.
    Alors que l’Armée Nationale Afghane avait éclaté suite à la chute du régime communiste et à la guerre civile des années 1990 – causant ainsi sa disparition en tant qu’organe de l’Etat remplacé par divers groupes armés puis reconstituté quasiment ex-nihilo avec le soutien de l’ISAF – la police afghane n’a jamais disparu [27]. Echappant au contrôle de Kaboul durant de nombreuses années, celle-ci a poursuivi une existence autonome au sein des provinces où certains combattants se sont imposés comme officiers de police et responsables des services de police locaux [28]. Les salaires dans la police restent peu élevés en comparaison des salaires versés par les firmes de sécurité privée et la paie versée aux policiers en service dans les zones dangereuses ou en conflit est peu attractive. Les bakchichs sont vus comme un moyen d’améliorer l’ordinaire (alors qu’ils introduisent de graves brèches dans le dispositif policier et sécuritaire afghan) et certains services comme la police routière ou les garde-frontières sont extrêmement demandés de par leur fort potentiel lucratif.

    Le sentiment de méfiance à l’égard de la police est encore plus fort au sein des populations pachtounes bien que de nombreux membres de cette communauté servent au sein de la Police Nationale Afghane. Représentant 1/4 de la population, les Tadjiks se sont taillés la part du lion au sein des forces de police afghane et sont surreprésentés au sein de l’Académie de Police : en 2003 ils constituaient 90% de l’effectif des étudiants [29]. En juillet 2007, sur 223 sous-officiers promus, 167 étaient Tadjiks et le reste était composé de 37 Pachtounes, 11 Hazaras, 6 Sadats, 1 Ouzbek et 1 Gujar [30]. Sur les 376 officiers promus, 210 étaient Tadjiks, 144 Pachtounes, 15 Hazaras, 3 Ouzbeks, 3 Sadats et 1 Pashaï [31]. Pour des raisons salariales ou sécuritaires de nombreux officiers refusent de servir dans les provinces dangereuses et ce sentiment d’insécurité est particulièrement fort parmi les Tadjiks ou Ouzbeks servant dans le Sud. Dans les provinces méridionales de nombreux chefs de la police ont été recrutés localement et pour certains cela peut poser un problème en terme de loyalisme envers les autorités centrales. Le caractère multiethnique des unités de police ou de l’armée est un moyen de renforcer un sentiment d’unité nationale mais peut aussi poser certains problèmes en termes de fonctionnement : ainsi il peut arriver que des tensions inter-communautaires éclatent entre membres des forces de l’ordre et dégénèrent en fusillades se soldant par des morts. De tels drames peuvent aussi se produire pour des raisons criminelles (trafics, corruption), politiques ou personnelles. A la fin du mois d’octobre 2012, de tels incidents avaient entraîné la mort de trois policiers dans la province de Khost [32] et de trois autres de leurs collègues dans la province de Baghlan [33]. Au cours de la même période, dans la province de Herat, un officier de police avait été assassiné par son épouse à cause de son comportement considéré comme déshonorant (consommation d’alcool et mœurs jugées légères) [34].

    En dépit des efforts fournis, la composition ethnique de la Police Nationale Afghane et le comportement de certains de ses policiers reste une source de mécontentement pour de nombreux Pachtounes. Les véhicules provenant des provinces à majorité pachtoune sont sujets à de fréquents contrôles à l’entrée de Kaboul et ces contrôles sont souvent ressentis de manière discriminatoire. De nombreux Pachtounes se rendant dans la capitale afghane pour affaires, raisons familiales ou médicales se sont fréquemment plaints du racket exercé à leur encontre par des policiers souvent décrits comme Tadjiks ou Ouzbeks [35].

    L’Armée Nationale Afghane : un miroir des relations inter-ethniques

    Les forces armées afghanes qui ont un rôle crucial à jouer dans la pacification du pays sont aussi sujettes aux mêmes problématiques : les Pachtounes, majoritaires au sein de la population afghane, y sont sous-représentés alors que les Tadjiks dominent largement le corps des officiers. En prenant en considération le contexte social, politique et sécuritaire de l’Afghanistan, il n’est pas déraisonnable de penser que « Le changement massif dans la composition ethnique de l’ANA au cours des dernières années (…) [peut] mener à une autre guerre civile, entre les Pachtounes et une coalition anti-pachtoune dirigée par les Tadjiks, similaire à celle qui a suivi la chute du régime soutenu par les Soviétiques en 1992 » [36].

    Pour les Pachtounes ce poids des Tadjiks est perçu comme un déni de leur rôle historique et autrefois dominant alors que les Tadjiks restent méfiants voire hostiles envers les Pachtounes qu’ils considèrent comme des alliés objectifs des Talibans [37]. Depuis sa création en 2002 l’ANA et plus particulièrement son corps d’officiers est dominé par les Tadjiks mais la composition de la troupe reste plus ou moins équilibrée ou représentative. Les recommandations du Général Karl Eikenberry ainsi que les efforts produits dans ce domaine par l’armée américaine ont permis, selon une étude de la RAND Corporation, d’arriver à recruter en 2008 40% de volontaires pachtounes et moins de 30% de volontaires tadjiks [38]. L’année suivante un rapport de l’Inspecteur Général Spécial pour l’Afghanistan montrait cependant que les effectifs de troupes entraînées comptaient 41% de Tadjiks (environ 25% de la population) pour 30% de Pachtounes [39].

    La forte présence de Tadjiks au sein de l’ANA est notamment due aux problèmes de recrutement dans les zones rurales des provinces pachtounes de Kandahar et du Helmand [40]. Ainsi, dans la province de Zaboul, le nombre de Pachtounes servant au sein des « kandaks » (bataillons) locaux ne s’élevait qu’à environ 5% des effectifs [41]. En dépit d’un accord conclu entre Hamid Karzai et l’armée américaine prévoyant de corriger ce problème de composition ethnique, les cadres de l’ANA et du Ministère de la Défense, placés par le Maréchal Fahim et ayant servi pour la plupart au sein de l’Alliance du Nord, continuent de dominer l’appareil militaire afghan [42]. Malgré la disgrâce de Fahim en 2004, la prééminence des Tadjiks a été sauvegardée par la présence du Général Bismullah Khan à la tête des forces armées et de l’état-major afghan [43].

    En 2008 au moins 70% des kandaks étaient commandés par des Tadjiks et dans la province pachtoune de Zaboul 2 commandants de kandaks sur un total de 6 étaient d’origine pachtoune [44]. Cet état de fait serait le précurseur d’une possible guerre civile : de nombreux Pachtounes refusent de servir au sein de l’ANA et le fait que le Dari soit devenu de facto la langue de l’ANA a accru le sentiment parmi les Pachtounes que cette dernière est une institution étrangère [45]. Les réformes menées afin d’arriver à un certain équilibre ethnique n’ont pas eu nécessairement les effets escomptés : les craintes ou la méfiance des Pachtounes à l’égard de l’ANA ont fait place à celles des Tadjiks, Ouzbeks ou Hazaras. Mohammed Mohaqiq, un des leaders de la communauté hazara, a affirmé que « L’armée est ethniquement structurée d’une manière à ce qu’elle ne puisse pas combattre les Talibans. Il est possible qu’ils [les soldats afghans] se rendent lorsque les Talibans attaqueront » [46].

    Pour certains analystes américains l’ANA est incapable d’empêcher l’éclatement d’une guerre civile et elle ne pourra que l’atténuer [47]. Pour Matthew Hoh, cette guerre civile est proche et ira en s’aggravant à moins que l’accent ne soit mis sur « la réconciliation politique afin « d’intégrer tous les éléments de la société au sein du gouvernement afghan et des forces de sécurité » [48] – une priorité essentielle et pourtant négligée par les précédentes conférences internationales [49]. Hoh se souvient aussi d’un fait marquant dont il avait été le témoin à Zaboul au cours de la fête de l’indépendance nationale : l’ANA semblait être pour les officiers tadjiks leur création et un avatar de l’Alliance du Nord dans la mesure où, au cours des cérémonies officielles regroupant militaires et policiers, des portraits des commandants de l’Alliance du Nord – dont feu Ahmad Shah Massoud – avaient été installés alors qu’aucun portrait de Hamid Karzaï n’était visible [50]. Dans la province de Zaboul, le Major Général Jamaluddin Sayed (Tadjik) de l’ANA a démis de leurs fonctions l’ensemble des policiers pachtounes qu’il soupçonnait d’entretenir des relations avec les Talibans et a demandé à ce que le recrutement de policiers se fasse à l’extérieur de cette province : « Si nous recrutons des membres de la Police Nationale Afghane originaires de la province de Zaboul, ils auront probablement des relations avec les Talibans » [51].

    Quand l’allié se fait ennemi : la recrudescence des actes de félonie

    Si de nombreux afghans sont craintifs quant à l’avenir du pays après 2014, une part tout aussi importante de la population éprouve une lassitude envers les réalités politiques de l’Afghanistan démocratique (corruption, népotisme, abus de pouvoir, etc.) et certains aspects de la présence militaire étrangère (« dommages collatéraux », atteintes aux biens faisant pourtant généralement l’objet de réparations matérielles ou compensations financières, attitude parfois irrespectueuse de certains militaires, etc.). Cette lassitude a pu se transformer en réelle hostilité suite à des événements tels que la profanation de Corans à Bagram en février 2012. S’il est peu aisé de mesurer précisément l’étendue ou l’évolution de cette hostilité et plus particulièrement la possible radicalisation de certaines parties de la population, une nouvelle tendance inquiétante permet de saisir certains aspects de ce phénomène. Marginales par le passé, le nombre d’attaques menées par des membres des forces de sécurité afghanes contre leurs collègues de l’ISAF n’a cessé d’augmenter.

    L’année 2012 a été particulièrement significative. A la fin du mois de janvier 2012 quatre soldats français perdirent la vie suite à un acte de félonie. A la fin du mois de février 2012 deux officiers américains furent abattus dans l’enceinte du Ministère de l’Intérieur à Kaboul par un garde afghan alors que dans le village de Robat (district de Spin Boldak, province de Kandahar) le capitaine Feti Vogli et le caporal Aleksandr Peci furent assassinés par des policiers afghans alors qu’ils se rendaient à l’inauguration d’un dispensaire et de deux écoles [52]. Le meurtre des deux militaires albanais (un autre militaire étranger de l’ISAF fut blessé) mena à l’arrestation de 11 policiers afghans [53].

    Au cours de la même année, une altercation éclatant dans une salle de sport entre militaires américains et afghans fut conclue par une fusillade ; durant le Ramadan des militaires américains furent abattus lors d’un repas par un collègue afghan ; en août 2012 des militaires américains perdirent la vie suite à un incident similaire dans le Helmand [54]. Ce type d’attaques n’a pas épargné les forces de sécurité afghanes: à la fin des mois de mars et décembre 2012 des policiers félons abattirent respectivement 9 puis 17 de leurs collègues, durant leur sommeil, dans les provinces d’Oruzgan et Paktika [55].

    Comme l’explique Matthew Rosenberg, la recrudescence de ce type d’attaques refléterait l’hostilité croissante d’une partie de la population à l’encontre de la présence étrangère en Afghanistan : « De nombreux officiels de haut rang de la Coalition et afghans considèrent qu’après presque 12 ans de guerre, la vision qu’ont les Afghans des étrangers en est venue à refléter celle des Talibans » [56]. Les réalités du nouvel Afghanistan suscitent désormais plus de lassitude et de haine que d’espoir au sein d’une partie de la population. Anonymement, un officier de haut rang de l’ISAF a expliqué qu’un grand pourcentage de ces actes de félonie étaient motivés par une perception du conflit proche de celle des Talibans, à savoir chasser les « infidèles » d’Afghanistan [57].

    A l’origine, ces actes de félonie (appelés « green on blue attacks » ou « insider attacks » en anglais) semblaient être marginaux mais leur fréquence, ce qu’ils reflètent et la publicité qui en découle traduisent une tendance lourde et profonde. La faiblesse de l’appareil d’Etat afghan et la radicalisation d’une partie de la population inscrivent l’avenir du pays dans une perspective sombre et bien éloignée des spéculations les plus optimistes. Le 11 mai 2012, un jeune soldat afghan de 22 ans nommé Mahmoud ouvrait le feu sur des membres des forces américaines sur une base de la province du Kunar (un mort et deux blessés) [58]. Fier de son acte, Mahmoud put fuir et rejoindre un groupe de combattants Talibans qui l’accueillit chaleureusement [59].

    En mai, Mahmoud avait contacté des Talibans et leur avait fait part de son projet d’assassiner des militaires américains lors de leur prochain passage à son checkpoint [60]. Le soldat félon leur avait aussi demandé de l’accueillir en cas de fuite mais ces derniers s’étaient montrés plutôt sceptiquesdans la mesure où, par peur, de nombreux militaires afghans avaient finalement refusé de passer à l’acte [61]. Mahmoud a confié qu’il avait des camarades partageant ses opinions au sein de l’ANA mais a ajouté qu’il a tenu son projet secret afin que celui-ci ne soit pas éventé [62]. Le soldat félon a grandi à Tajikan, un village du Helmand situé dans une zone sous contrôle taliban en dépit des offensives britanniques et américaines [63]. Le Colonel Khudaidad, qui est en charge du centre de recrutement de l’ANA pour le Helmand, a déclaré que Mahmoud avait été recruté il y a environ quatre ans et provenait d’un milieu modeste: travaillant chez un tailleur afin d’aider les sept autres membres de sa famille, il avait vu dans l’armée la chance de recevoir un salaire régulier, d’apprendre à lire et à écrire ainsi que d’avoir de nouvelles perspectives d’avenir [64]. Mahmoud portait rarement une barbe mais a déclaré qu’il avait grandi et été éduqué dans l’idée que les Américains, les Britanniques et les Juifs "sont les ennemis de notre pays et de notre religion“ [65].

    Au début de l’année 2012 Mahmoud avait été envoyé dans le district de Ghaziabad (Kunar) où la population locale, exaspérée par les abus commis par des militaires américains et l’inaptitude des soldats afghans à assurer la sécurité au-delà du périmètre de leurs postes avancés, avait de fortes sympathies pour les insurgés talibans [66]. Influencé par les sentiments de la population de Ghaziabad, le jeune soldat afghan a progressivement acquis la certitude que les Américains avaient causé la mort de trop d’Afghans et avaient insulté le prophète Mahomet à de trop nombreuses occasions [67]. Résolu à venger dans le sang ces affronts, Mahmoud put contacter les Talibans par l’intermédiaire d’un villageois peu disposé à l’aider et qui se contenta de demander aux insurgés de ne pas abattre le soldat félon en cas de fuite réussie [68]. Le jour fatidique, le soldat félon attendit que certains de ses collègues américains déposent leurs gilets pare-balles et leurs armes avant d’ouvrir le feu: surpris, ces derniers se crurent attaqués de l’extérieur et Mahmoud profita de la confusion générale pour s’enfuir [69]. Traité en héros, Mahmoud reçut le titre honorifique de „Ghazi“ de Ghaziabad, des colliers de fleurs et fut acclamé par une foule d’anciens (les „barbes blanches“), de Talibans et d’hommes de différents âges [70].

    La vidéo de propagande de la défection de Mahmoud et son « interview » par un journaliste du Kunar ont eu un impact considérable. Jusqu’à cet événement les membres des forces afghanes qui souhaitaient faire défection pouvaient hésiter de passer à l’acte dans la mesure où ils n’étaient pas sûrs du traitement qui leur serait infligé par les Talibans. Avec la défection de Mahmoud et la diffusion de cette vidéo les Talibans ont clairement invité les membres de l’ANA ou de l’ANP à faire de même et les ont assuré de leur bienveillance. Les Talibans entendent exploiter ce nouveau type d’attaques et les intégrer à une stratégie cohérente : affaiblir l’ANA et l’ANP ainsi que l’Etat afghan, augmenter le sentiment d’insécurité et d’incertitude au sein des forces de la Coalition mais aussi de tous les acteurs de la présence étrangère dans le pays et enfin recruter de nouveaux combattants (qui ont l’avantage d’avoir fait défection avec leur arme ou une partie de leur équipement, d’avoir reçu une formation militaire et surtout de connaître les dispositifs de l’ANA, de l’ANP ou de l’ISAF). Les Talibans ont non seulement pu infiltrer avec succès les forces de sécurité afghanes mais ils peuvent compter désormais sur le ralliement à leur cause de militaires ou de policiers afghans prêts à s’en prendre aux forces étrangères [71].

    Au cours du mois d’août 2012 six G.I.s furent tués par leurs collègues afghans dans le Helmand puis deux attaques similaires coûtèrent la vie à deux soldats américains et dix militaires afghans [72]. Le dimanche 30 septembre 2012 un militaire américain, un “contractor” et trois de leurs collègues afghans furent tués dans le district de Saidabad (province du Wardak) [73]. A l’approche d’un checkpoint tenu par sept militaires afghans, un groupe de soldats américains menant une mission de recherche biométrique fut touché par un tir de mortier et répliqua, tuant 3 soldats de l’ANA et en blessant 3 autres [74]. Les autorités du Wardak et les officiels de l’ISAF ont présenté des versions différentes de cet incident et de ses causes. D’après le seul soldat afghan qui n’a pas été blessé au cours de l’attaque, une dispute aurait éclaté et le félon aurait ouvert le feu sur la patrouille américaine avant que celle-ci ne réplique et qu’un soldat américain ne jette une grenade dans le checkpoint afghan (le témoin s’étant entre temps réfugié derrière un Humvee de l’ANA) [75]. Le porte-parole des autorités provinciales du Wardak, Shahidullah Shahid, a déclaré qu’après avoir reçu un tir de mortier provenant d’insurgés talibans, une patrouille américaine s’est crue attaquée par des soldats de l’ANA et a ouvert le feu sur le checkpoint de ces derniers, menant à une fusillade et à ce drame [76]. Le Ministère de la Défense afghan a sobrement affirmé de son côté que ce dramatique incident était le résultat d’une „incompréhension“ entre militaires américains et afghans [77].

    D’après la version officielle de l’ISAF, des soldats américains ont eu une courte conversation avec leurs collègues afghans avant d’être la cible de tirs blessant mortellement un GI et tuant un „contractor“ civil [78]. Trois soldats de l’ANA furent tués dans la fusillade qui s’en suivit [79]. Le commandant en second des forces de l’ISAF, le Lieutenant-Général Adrian Bradshaw, a confirmé que l’incident se serait produit après une courte discussion entre militaires américains et afghan mais il a aussi ajouté que „Ce qui a été rapporté à l’origine comme étant une suspicion d’acte de félonie est désormais compris comme ayant possiblement impliqué des tirs provenant des insurgés“ [80]. En plus de cet incident, 3 policiers afghans furent tués par des Talibans lors de l’attaque de leur checkpoint dans le Helmand le 30 septembre 2012 [81].

    Ces actes de félonie ne sont plus à considérer comme des actes marginaux et encore moins comme le fait d’individus instables ou isolés : ces actes sont devenus un des phénomènes majeurs de violence les plus typiques de l’année 2012 [82] et ont coûté la vie à 63 soldats de l’ISAF (sur un total de 405 soldats étrangers tués en 2012) [83]. Le quart des soldats britanniques tués dans la province du Helmand ont perdu la vie au cours d’attaques de ce type et les 6 soldats britanniques décédés au cours des six derniers mois ont tous été victimes d’attaques similaires (439 soldats britanniques ont perdu la vie en Afghanistan depuis 2001) [84]. Ces actes de félonie sont en croissance : ils ont coûté la vie à 5 soldats britanniques en 2009 et à 14 autres en 2012 [85]. Une tendance nette s’est dessinée : le taux de mortalité au sein des forces de l’ISAF imputable aux actes de félonie était de 6% en 2011 et en 2012 il a atteint 15% alors qu’il n’était que de 2% au cours des dernières années [86]. Le Pentagone a recensé 45 actes de félonie entre 2007 et la fin 2011 et estime que 75% de ceux-ci se sont produits entre 2010 et 2011 [87]. En 2012 seulement, 47 de ces actes furent recensés alors qu’en 2011 on en avait compté 21 coûtant la vie à 35 soldats [88].

    D’après les officiers de haut rang de l’ISAF, 25% des attaques de ce type peuvent être imputées directement ou indirectement aux Talibans [89]. A Washington on s’inquiète aussi des effets perturbateurs produits par cette nouvelle forme de violence sur le processus de formation des forces de sécurité afghanes et qui est un des éléments clés de la stratégie de retrait des Etats Unis [90]. Ainsi, suite à la recrudescence d’actes de félonie, la formation des nouvelles recrues de la police afghane par des membres des forces spéciales a été suspendue au cours du mois de septembre 2012 [91].

    Après le retrait de l’ensemble des forces combattantes de l’ISAF, les forces afghanes verront leur accès à certaines ressources considérables telles que la force aérienne (reconnaissance, drones, hélicoptères et avions de combat, transport de troupes ou de matériel) ou l’aide médicale se réduire drastiquement [92]. Il n’est pas inutile de préciser que les Talibans disposent d’informateurs au sein des administrations d’Etat, entreprises (comme ce fut le cas en 2008 au sein de la compagnie de télécommunications « Roshan ») et évidemment au sein des organes répressifs afghans : ce dernier élément peut s’avérer être critique dans la mesure où, conjugué aux actes de félonie et les défections de militaires ou de policiers, il pourrait donner naissance à une stratégie visant à saper durablement et profondément l’ANA et l’ANP. Les Talibans ne cessent d’affirmer qu’ils ont infiltré les forces de sécurité afghanes et se sont toujours empressés de revendiquer ces attaques mais ils reconnaissent cependant que dans les faits, ces actes sont majoritairement spontanés et imputables à des soldats ou policiers frustrés par le contexte politique afghan et la présence étrangère [93].

    Ainsi, au début du mois de janvier 2013 un soldat afghan nommé Sheikh (Qasim d’après une vidéo de source talibane) et originaire de Laghman a ouvert le feu sur ses collègues afghans et britanniques sur la base avancée de Hazrat (district de Nahr-e Saraj), dans la province troublée du Helmand [94]. Le soldat félon a pu tuer un soldat britannique du 28ème Régiment du Génie et en blesser 6 autres avant d’être abattu [95]. Ce soldat avait été recruté il y a environ un an et était connu pour son caractère pieux, il dirigeait souvent la prière comme l’ont rapporté certains de ses camarades [96]. Cette attaque (la 73ème de ce type depuis janvier 2008) [97] a été aussitôt revendiquée par les Talibans qui ont précisé que le soldat félon était un militant infiltré [98] mais le gouvernement afghan s’est empressé de démentir cette affirmation: ce drame serait la conséquence d’une dispute entre soldats de l’ANA [99]. La province du Helmand a été le théâtre de 18 attaques similaires au cours des 5 dernières années et au début du mois de juillet 2012, 3 conseillers militaires britanniques et un autre membre de l’ISAF avaient déjà perdu la vie dans le même district de Nahr-e Saraj suite à l’attaque d’un policier afghan félon [100].

    Au cours des trois années précédentes les effectifs des forces armées afghanes ont grossi au point d’attendre 195000 hommes mais le processus de vérification des nouvelles recrues s’est avéré être quasi-inexistant [101]. Conscients de la menace représentée par l’infiltration et les actes de félonies, les forces de la Coalition et le NDS (services afghans de renseignement) ont déclaré intensifier leurs efforts de contre-espionnage en matière de contrôle et de vérification des nouvelles recrues: les soldats afghans revenant de permission devront ainsi être interrogés sur de possibles menaces ou tentatives d’inflitration les ayant visé ou ayant visé leurs familles [102]. Pour Quentin Sommerville, il s’agit « de la reconnaissance du fait que les Talibans contraignent ou obligent les militaires afghans à attaquer les soldats étrangers. Et d’une acceptation sinistre de la part des commandants de l’ISAF que les attaques internes ne peuvent être complètement prévenues » [103]. Les insurgés Talibans peuvent recruter des informateurs et pousser des policiers ou soldats félons à passer à l’acte pour des raisons idéologiques ou plus précisément religieuses, par le biais d’affiliations claniques ou tribales, par la contrainte (menaces de mort sur la personne ou ses proches, enlèvement d’un proche, chantage) ou par la corruption. Ce dernier moyen est facilement utilisable par les Talibans qui disposent d’importantes ressources financières provenant de la production et du trafic d’opium dans leurs bastions du sud : les Talibans peuvent aisément corrompre et recruter un félon en lui versant une somme bien supérieure à sa solde [104].

    Les forces de l’ISAF ont réagi à ces risques en renforçant leurs protocoles de sécurité sur leurs bases avancées et lors des patrouilles : des soldats de la Coalition appelés « anges gardiens » ont désormais la tâche de veiller sur leurs compatriotes et de prévenir tout acte de félonie [105]. Lorsqu’ils sont en opération ou en présence de leurs collègues afghans, les soldats de la Coalition doivent porter un gilet pare-balles et ne doivent jamais quitter leur arme qui doit toujours être chargée [106].

    En février 2012 l’Armée américaine a distribué à ses troupes un manuel de 35 pages (« Inside the wire threats – Afghanistan ») devant les préparer à faire face à ces nouveaux risques [107]. De manière saisissante, ce manuel se référait fréquemment au cas de la lutte menée par l’Armée Rouge contre les Moudjahidines et qui à bien des égards semblait refléter les appréhensions et la situation actuelles : « L’Armée afghane était un allié non-fiable. (…) Elle fit face à des constantes défections dès le début, pas seulement d’individus ou d’unités mais aussi de divisions entières qui rejoignirent les Moudjahidines, prenant leur équipement personnel et leurs fusils ainsi que des tanks et des véhicules blindés » [108]. Ledit manuel ajoutait que « Le plan soviétique originel consistant à pousser l’Armée afghane sur le terrain pour combattre les Moudjahidines fut écarté. Les effectifs limités, le manque d’entraînement et les loyautés douteuses de l’Armée afghane rendirent ce projet trop risqué à mettre en œuvre » [109].

    La crainte et la méfiance croissantes des militaires de l’ISAF à l’encontre de leurs collègues afghans a mené à une dégradation de leurs relations (notamment au cours d’opérations conjointes) mais d’un côté comme de l’autre, les officiels de l’ISAF et des forces afghanes s’accordent à dire que les actes de félonie sont le résultat d’un « clash des cultures » [110]. De nombreux soldats afghans seraient outrés par la décadence occidentale et frustrés de recevoir des ordres de militaires étrangers, ce qui en mènerait certains à passer à l’acte et constitue ainsi un vivier de recrutement potentiel pour l’insurrection talibane [111]. De plus, ces sentiments se sont renforcé suite à la profanation des Corans à Bagram et des cadavres de combattants talibans par des militaires américains ainsi qu’aux raids nocturnes ayant causé de nombreux morts civils [112]. Une enquête menée en 2011 par l’Armée américaine a révélé de son côté qu’ « en moyenne, les soldats américains pensent que 50% de l’ANA est composé d’islamistes radicaux » vulnérables à un possible recrutement taliban [113]. Les résultats de cette enquête ont donné lieu à un rapport non classifié intitulé « Une crise de confiance et d’incompatibilité culturelle » (« A crisis of trust and cultural incompatibility ») et citant de nombreux soldats américains dont un affirmant qu’ « Un reporter attaché à mon peloton m’a dit que durant une conversation avec des soldats de l’ANA, ces derniers ont dit que si les Talibans commençaient à gagner la guerre, ils changeraient de camp et rejoindraient les Talibans » [114].

    Ce « choc des cultures » est à l’origine de certains actes de félonie impliquant des soldats ou policiers afghans outrés par le comportement irrespectueux des militaires américains qu’ils côtoient (mépris de la culture et des traditions afghanes, comportement abusif lors de contrôles ou d’opérations, etc.) [115]. Matthew Rosenberg rapporte que „Dans certains cas, le comportement abusif et corrompu des officiers afghans pousse le tueur à s’en prendre aux Américains, qui sont vus comme soutenant les commandants locaux“ [116]. Il arrive aussi qu’un nombre marginal de ces attaques soit dénué de toute raison logique ou motivation rationnelle, comme ce fut le cas lorsqu’une policière afghane tua à la fin du mois de décembre 2012 Joseph Griffin, un „contractor“ américain de DynCorp International travaillant pour le programme de l’OTAN visant à former la police nationale afghane [117].

    A la fin de l’été 2012 le nombre d’opérations conjointes avec les forces afghanes et impliquant des unités inférieures à la taille d’un bataillon (de 400 à 800 soldats) a été réduit (alors que l’ensemble de ces opérations conjointes mobilise principalement des unités américaines inférieures à un bataillon) et celles-ci doivent désormais être approuvées par un général commandant une des six régions militaires du pays [118]. Le Lieutenant-Général Adrian Bradshaw a expliqué que ces nouvelles règles n’étaient pas le fruit de la recrudescence d’actes de félonie mais était une mesure de précaution après le scandale causé par le film américain calomniant le prophète Mahomet sur Youtube [119].

    Gilles-Emmanuel Jacquet

    À propos de l’auteur
    Titulaire d’un Master en Science Politique de l’Université de Genève et d’un Master en Études Européennes de l’Institut Européen de l’Université de Genève, Gilles-Emmanuel Jacquet s’intéresse à l’Histoire et aux Relations Internationales. Ses champs d’intérêt et de spécialisation sont liés aux conflits armés et aux processus de résolution de ces derniers, aux minorités religieuses ou ethnolinguistiques, aux questions de sécurité, de terrorisme et d’extrémisme religieux ou politique. Les zones géographiques concernées par ses recherches sont l’Europe Centrale et Orientale, l’espace post-soviétique ainsi que l’Asie Centrale et le Moyen Orient.

    Source : Realpolitik.tv. 

    Notes
    [1] Hamid Shalizi, « Afghans say total U.S. pullout would trigger disaster, Reuters », 09/01/2013
    [2] « Afghans Feel Police Not Ready for Security Control », Voice of America, 31/01/2012
    [3] Ibid.
    [4] Hamid Shalizi, « Afghans say total U.S. pullout would trigger disaster, Reuters », 09/01/2013
    [5] Ibid.
    [6] Ibid.
    [7] « As Plans for Afghan Exit Are Sketched, Hope Turns to Hatred », At War, 04/01/2013
    [8] Ibid.
    [9] Ibid.
    [10] Ibid.
    [11] Ibid.
    [12] Frederick et Kimberley Kagan, « How to Waste a Decade in Afghanistan », The Wall Street Journal
    [13] « British Soldier Killed in Afghan ‘Insider’ Attack », Voice of America, 08/01/2013
    [14] Ibid.
    [15] Quentin Sommerville, « British soldier killed by Afghan army gunman in Helmand », BBC, 08/01/2013
    [16] Ibid.
    [17] Ibid.
    [18] Anthony Cordesman, « A Mindless Debate over U.S. Troops in Afghanistan », War News Update, 05/01/2013
    [19] Ibid.
    [20] Anthony H. Cordesman, « The War In Afghanistan at the End of 2012: The Uncertain Course of the War and Transition », Center for International and Strategic Studies, 22/01/2013
    [21] Anthony Cordesman, « A Mindless Debate over U.S. Troops in Afghanistan », War News Update, 05/01/2013
    [22] Ibid.
    [23] Ibid.
    [24] Ibid.
    [25] Quentin Sommerville, « British soldier killed by Afghan army gunman in Helmand », BBC, 08/01/2013
    [26] Ibid.
    [27] « Reforming Afghanistan’s police », Asia Report n°138, 30/08/2007, International Crisis Group
    [28] Ibid.
    [29] Ibid.
    [30] Ibid.
    [31] Ibid.
    [32] Sajad, « Clashes among Afghan leaves 3 dead in Khost province » , Khaama, 20/10/2012
    [33] « Clashes among Afghan police leave three dead », The News, 27/10/2012
    [34] Ibid.
    [35] Antonio Giustozzi, Decoding the New Taliban, Insights from the Afghan field, Hurst and Company, 2009
    [36] Gareth Porter, « Tajik Grip on Afghan Army Signals New Ethnic War », Dissident Voice, 30/11/2009
    [37] Ibid.

    [38] Ibid.
    [39] Ibid.
    [40] Ibid.
    [41] Ibid.
    [42] Ibid.
    [43] Ibid.
    [44] Ibid.
    [45] Ibid.
    [46] Rob Taylor et Mirwaïs Harouni, «
    Afghan Hazara leader skeptical of Taliban peace », Reuters, 30/01/2012
    [47] Gareth Porter, « Tajik Grip on Afghan Army Signals New Ethnic War
    », Dissident Voice, 30/11/2009
    [48] Ibid.
    [49] Gilles-Emmanuel Jacquet, « Les conférences internationales sur l’Afghanistan : une décennie d’approche diplomatique erronée ? », Realtpolitik.TV, 27/11/2012
    [50] Gareth Porter, « Tajik Grip on Afghan Army Signals New Ethnic War », Dissident Voice, 30/11/2009
    [51] Ibid.
    [52] « Afghan police suspected of killing Albanian soldier », Telegraph, 21/02/2012 ; Talia Ralph, « Albanian soldier dead after men in Afghan police uniforms open fire on NATO forces », The Global Post, 20/02/2012 et « First two Albanian soldiers killed in Afghanistan », Xinhua, 21/02/2012

    [53] Ibid.
    [54] Gilles-Emmanuel Jacquet, « Les conférences internationales sur l’Afghanistan : une décennie d’approche diplomatique erronée ? », Realtpolitik.TV, 27/11/2012
    [55] « Afghan policeman kills 9 sleeping fellow officers
    », The Telegraph, 30/03/2012 et Rod Nordland, « Betrayed while asleep, 17 Afghan policemen killed », The New York Times, 27/12/2012

    [56] « As Plans for Afghan Exit Are Sketched, Hope Turns to Hatred », At War, 04/01/2013
    [57] Matthew Rosenberg, « An Afghan Soldier’s Journey From Ally to Enemy of America », The New York Times, 04/01/2013
    [58] « As Plans for Afghan Exit Are Sketched, Hope Turns to Hatred », At War, 04/01/2013
    [59] Ibid.
    [60] Matthew Rosenberg, « An Afghan Soldier’s Journey From Ally to Enemy of America », The New York Times, 04/01/2013
    [61] Ibid.
    [62] Ibid.
    [63] Ibid.
    [64] Ibid.
    [65] Ibid.
    [66] Ibid.
    [67] Ibid.
    [68] Ibid.
    [69] Ibid.
    [70] Ibid.
    [71] Ibid.
    [72] Emma Graham-Harrison, « Six US soldiers killed by Afghans », The Guardian, 11/08/2012 et Qadir Seddiqi, « Afghan security forces kill 2 U.S. troops, 10 Afghan soldiers in 2 attacks », CNN, 27/08/2012
    [73] Ron Nordland, « 5 Are Dead After Clash Between U.S. and Afghan Troops », The New York Times, 10/01/2012
    [74] Ibid.
    [75] Ibid.
    [76] Heidi Vogt et Rahim Faiez, « US and Afghan forces clash, leaving 5 dead », Associated Press, 30/09/2012
    [77] Ibid.
    [78] Ibid.
    [79] Ibid.
    [80] Ron Nordland, « 5 Are Dead After Clash Between U.S. and Afghan Troops », The New York Times, 10/01/2012
    [81] Heidi Vogt et Rahim Faiez, « US and Afghan forces clash, leaving 5 dead », Associated Press, 30/09/2012
    [82] « As Plans for Afghan Exit Are Sketched, Hope Turns to Hatred », At War, 04/01/2013
    [83] « British Soldier Killed in Afghan ‘Insider’ Attack », Voice of America, 08/01/2013 ; Mina Hasib, « Individual in Afghan uniform kill NATO soldier in South », Khaama, 08/01/2013 ; Paul Sperry, « Afghan Allies, Now even top officials in the Kabul government vow to kill Americans », The New York Post, 29/12/2012 et Conflict Barometer 2012, Heidelberg Institute for International Research Conflict (HIIK), 2012, p.103
    [84] Quentin Sommerville, « British soldier killed by Afghan army gunman in Helmand », BBC, 08/01/2013
    [85] Ibid.
    [86] Lisa Lundquist, « Afghan soldier kills 1, wounds 6 in latest insider attack », The Long War Journal, 08/01/2013
    [87] « Afghan police suspected of killing Albanian soldier », The Telegraph, 21/02/2012
    [88] Paul Sperry, « Afghan Allies, Now even top officials in the Kabul government vow to kill Americans », The New York Post, 29/12/2012
    [89] Mina Hasib, « Individual in Afghan uniform kill NATO soldier in South », Khaama, 08/01/2013
    [90] « As Plans for Afghan Exit Are Sketched, Hope Turns to Hatred », At War, 04/01/2013
    [91] Ron Nordland, « 5 Are Dead After Clash Between U.S. and Afghan Troops », The New York Times, 10/01/2012
    [92] « As Plans for Afghan Exit Are Sketched, Hope Turns to Hatred », At War, 04/01/2013
    [93] Matthew Rosenberg, « An Afghan Soldier’s Journey From Ally to Enemy of America », The New York Times, 04/01/2013
    [94] Quentin Sommerville, « British soldier killed by Afghan army gunman in Helmand », BBC, 08/01/2013 et Lisa Lundquist, « Afghan soldier kills 1, wounds 6 in latest insider attack », The Long War Journal, 08/01/2013
    [95] Quentin Sommerville, « British soldier killed by Afghan army gunman in Helmand », BBC, 08/01/2013
    [96] Lisa Lundquist, « Afghan soldier kills 1, wounds 6 in latest insider attack », The Long War Journal, 08/01/2013
    [97] Ibid.
    [98] « British Soldier Killed in Afghan ‘Insider’ Attack », Voice of America, 08/01/2013
    [99] Quentin Sommerville, « British soldier killed by Afghan army gunman in Helmand », BBC, 08/01/2013
    [100] Lisa Lundquist, « Afghan soldier kills 1, wounds 6 in latest insider attack », The Long War Journal, 08/01/2013
    [101] Quentin Sommerville, « British soldier killed by Afghan army gunman in Helmand », BBC, 08/01/2013
    [102] Ibid.
    [103] Ibid.
    [104] Stuart Ramsay, « Afghanistan: Green On Blue Attacks Rising », 08/01/2013
    [105] Ibid.
    [106] Ibid. et Ron Nordland, « 5 Are Dead After Clash Between U.S. and Afghan Troops », The New York Times, 10/01/2012
    [107] Paul Sperry, « Afghan Allies, Now even top officials in the Kabul government vow to kill Americans », The New York Post, 29/12/2012
    [109] Ibid.
    [110] Stuart Ramsay, « Afghanistan: Green On Blue Attacks Rising », 08/01/2013
    [111] Ibid.
    [112] Ibid.
    [113] Paul Sperry, « Afghan Allies, Now even top officials in the Kabul government vow to kill Americans », The New York Post, 29/12/2012
    [114] Ibid.
    [115] Matthew Rosenberg, « An Afghan Soldier’s Journey From Ally to Enemy of America », The New York Times, 04/01/2013
    [116] Ibid.
    [117] Ibid. ; Rod Nordland, « Motive Unclear in Killing by Woman in Afghan Force », The New York Times, 25/12/2012 et Alexandra Zavis et Hashmat Baktash, « Georgia man identified as victim of suspected Afghan insider attack », The Los Angeles Times, 24/12/2012
    [118] Ron Nordland, « 5 Are Dead After Clash Between U.S. and Afghan Troops », The New York Times, 10/01/2012
    [119] Ibid.

    http://fr.novopress.info

  • États-Unis-Corée du Nord : rien ne va plus

    09H30-DERNIÈRE MINUTE. La Corée du Nord vient d’annoncer que son armée coupait la ligne téléphonique d'urgence avec son homologue de la Corée du Sud, plusieurs jours après avoir suspendu le "téléphone rouge" entre les deux gouvernements et menacé son rival et son allié américain d'une attaque nucléaire.
    L
    a Corée du Nord menace de frapper les États-Unis. L’ état communiste a en effet placé mardi son armée en ordre de combat et demandé à ses unités spéciales "stratégiques" de se préparer à d'éventuelles frappes contre les États-Unis, une nouvelle menace prise "très au sérieux" par Washington, "prêt à répondre à toute éventualité".
    "Le commandement de l'armée du peuple coréen déclare que toutes les troupes d'artillerie, y compris les unités stratégiques de missiles et les unités d'artillerie à longue portée doivent être placées en alerte prêtes au combat", selon l'agence officielle nord-coréenne KCNA.
     
    Ces unités doivent se tenir prêtes à attaquer "toutes les bases militaires américaines dans la région Asie-Pacifique, y compris sur le continent nord-américain, Hawaï et Guam" ainsi qu'en Corée du Sud, a ajouté le commandement nord-coréen dans un communiqué transmis par KCNA.
    "Nous sommes préoccupés par toute menace brandie par les Coréens du Nord. Nous prenons très au sérieux tout ce qu'ils disent et font", a réagi à Washington le porte-parole du Pentagone, George Little, pour qui les menaces continuelles de Pyongyang "n'aident personne".
    Washington est prêt à défendre son territoire et la Corée du Sud, a-t-il ajouté.
    Pour la Maison Blanche, "la rhétorique belliqueuse et les menaces de la Corée du Nord suivent un modèle destiné à accroître les tensions et à intimider les autres".
    Cette nouvelle bravade "s'inscrit dans ce modèle et nous y répondons de la manière dont nous l'avons toujours fait", a affirmé son porte-parole Jay Carney.
    Malgré le tir réussi d'une fusée le 12 décembre dernier --assimilé par Séoul et ses alliés à un missile balistique--, les experts jugent que Pyongyang est loin de maîtriser la technique requise pour lancer un missile intercontinental, capable de frapper les États-Unis.
    Hawaï et Guam sont également considérés comme hors de portée des missiles de moyenne portée développés par la Corée du Nord, qui pourraient en revanche atteindre les bases américaines au Japon et en Corée du Sud.
    Mais face à la perspective d'une menace future bien réelle, le secrétaire américain à la Défense Chuck Hagel avait annoncé le 15 mars le renforcement de la défense antimissile américaine, par le déploiement d'ici 2017 de 14 intercepteurs supplémentaires en Alaska, en sus des 30 missiles déjà installés sur le territoire des États-Unis.
    Le porte-parole du Pentagone a convenu mardi que cette décision répondait "dans une large mesure aux menaces nord-coréennes croissantes et au développement de leurs programmes balistiques".
    La semaine dernière, Pyongyang avait par ailleurs déjà menacé de s'en prendre aux bases américaines au Japon et à Guam, en riposte aux vols de bombardiers B-52 au-dessus de la Corée du Sud.
    Cela n'a pas empêché l'armée américaine de les poursuivre, puisqu'un nouveau vol de bombardier stratégique au-dessus du Sud a eu lieu lundi, selon M. Little.
    Les tensions sur la péninsule coréenne sont actuellement au plus haut depuis 2010. Un test nucléaire le 12 février, le troisième réalisé par le Nord, a entraîné de nouvelles sanctions de l'ONU et des menaces de représailles de la part de Pyongyang.
    La nouvelle présidente sud-coréenne Park Geun-Hye a de son côté prévenu Pyongyang que "le seul chemin vers la survie" résidait dans l'abandon de ses programmes nucléaire et balistique et a appelé le Nord "au changement", lors d'un discours prononcé à l'occasion du troisième anniversaire du naufrage d'une corvette sud-coréenne, torpillée par Pyongyang, selon Séoul.
    Le torpillage avait causé la mort de 46 marins sud-coréens. Le Nord a toujours nié en être responsable.

    Avec AFP http://www.francepresseinfos.com/

  • La faillite de la reconstruction irakienne

    60 milliards de dollars de subsides avec des résultats jugés “insuffisants”. Panetta critique le retrait voulu par Obama. Une leçon pour l’Afghanistan !

    Les Américains ont envahi l’Irak il y a dix ans et ont consacré 60 milliards de dollars pour la reconstruction du pays et le gros de cette somme colossale est parti en fumée. Stuart Bowen vient de le confirmer; il est le chef de l’agence gouvernementale de vigilance sur la reconstruction de l’Irak. Il vient de présenter son rapport final au Congrès américain. Ce rapport contient aussi une critique acerbe du modus operandi du Président Obama, formulée directement par l’ancien secrétaire d’Etat à la défense, Leon Panetta. Selon cet ancien chef du Pentagone, le retrait total des troupes américaines à la fin de l’année 2011 a réduit considérablement le pouvoir d’influence de Washington sur Bagdad. Panetta critique surtout l’incapacité du gouvernement Obama à trouver un accord avec Bagdad sur la présence militaire permanente des Etats-Unis, en particulier sur l’immunité des soldats américains face aux lois irakiennes.

    Les coûts de la reconstruction, a déclaré Bowen, “ont été beaucoup plus élevés que prévu” et les résultarts obtenus sont “insuffisants, vu les sommes engagées”. En effet, nonobstant le fait que Washington ait déboursé 15 millions par jour, l’Irak demeure encore et toujours un pays pauvre, en grande partie privé d’électricité et d’eau potable. A Bassorah, seconde ville d’Irak, on peut encore voir des égoûts à ciel ouvert. En tout, y compris les frais diplomatiques, militaires et autres, les Etats-Unis ont dépensé près de 767 milliards de dollars depuis l’invasion de l’Irak, selon le “Congressional Budget Office”. Selon les organisations qui contrôlent les dépenses fédérales, les projets encore en cours feront monter la note à quelque 811 milliards!

    Dans de trop nombreux cas, explique Bowen, les fonctionnaires américains ne se sont pas entretenus avec les autorités irakiennes pour essayer de comprendre comment ils pouvaient rendre service au pays ou pour tenter de savoir dans quels projets il fallait prioritairement investir de l’argent. Le résultat de tout cela, c’est que les Irakiens se sont désintéressés des initiatives américaines, tout en refusant de payer leur part, de terminer les travaux, de mettre en oeuvre les projets au préalable acceptés.

    Le rapport de Bowen s’intitule “Apprendre de l’Irak” et fait référence à la situation en Afghanistan. Là-bas aussi, en douze années de guerre, les Etats-Unis ont dépensé des dizaines de milliards de dollars (90, dit-on) pour des projets dont l’issue est plus que douteuse. Prochainement, le gouvernement de Kaboul devra décider d’octroyer ou non l’immunité aux soldats américains après le retrait total prévu pour 2014.

    Ferdinando CALDA.
    (articule paru sur le site du quotidien romain “Rinascita”, 8 mars 2013; http://www.rinascita.eu/ ).

  • Le dernier « diable » d’Europe

     

    Le samedi 2 février 2013 à Paris, à l’initiative du Mouvement Troisième Voie de Serge Ayoub et du mensuel Salut public d’Hugo Lesimple se tenait une manifestation contre tous les impérialismes. Aux côtés des organisateurs s’étaient associés la N.D.P. (Nouvelle Droite populaire), Synthèse nationale, Le Lys Noir et des délégations amies venues du Québec, de Syrie et de Belgique. Plus de 800 personnes marchèrent derrière une banderole sur laquelle on pouvait lire que « les héros du peuple sont immortels » et au dessus de laquelle figuraient cinq portraits de résistants au « Nouveau désordre financiariste mondial » : le combattant tchetnik serbe Draja Mihailovitch (1893 – 1946), le président syrien Bachar El-Assad, le commandante bolivarien du Venezuela Hugo Chavez, le président russe Vladimir Poutine et le président de la Biélorussie Alexandre Loukachenko.

     

    Guère connu en France, le président Loukachenko fait cependant l’objet d’une tout première biographie parue en français. Écrite par Valeri Karbalevitch, l’ouvrage comme l’indique son titre éloquent et grossier, Le satrape de Biélorussie, est une violente charge contre le chef d’État biélorusse. Il faut dire que l’auteur anime une émission en biélorusse sur Radio Liberty, une radio financée par les États-Unis et la C.I.A., ce qui en fait un stipendié de l’Occident globalitaire (1).

     

    Bien que ce livre soit totalement subjectif et partial, Karbalevitch n’arrive pas à taire les indéniables qualités politiques d’Alexandre Loukachenko. Évoquant la grande animosité du futur président envers la nomenklatura soviétique, l’auteur lui attribue « un sentiment parfaitement sincère (p. 45) ». Il l’estime plus loin « armé d’une volonté de fer (p. 76) » et le définit même comme « un véritable animal politique (p. 131) ».

     

    Valeri Karbalevitch dépeint par conséquent un homme d’État dont la stature se fait maintenant rare en Europe et même dans le monde. « Loukachenko possède indiscutablement du charisme et une importante capacité de persuasion (p. 141) »; il « fait preuve d’une réelle audace politique et personnelle (p. 151) ». « Homme politique chevronné (p. 307) », « brillant orateur et agitateur maîtrisant l’art du discours politique à la perfection, le président biélorusse aime la casquette de tribun (p. 139) ». L’auteur cite un politologue russe, Leonid Radzikhovski, pour qui « Loukachenko est un homme fort et un psychologue intelligent (p. 336) ». On comprend mieux pourquoi il dirige la Biélorussie d’une autorité ferme depuis l’été 1994. Mais le tempérament affirmé du « premier des Biélorusses » s’est accordé aux aspirations populaires de ses compatriotes. Cette connaissance intime des mentalités biélorusses provient d’une grande expérience de la vie.

     

    Avant la politique

     

    Alexandre Loukachenko naît le 30 août 1954 à Kopys d’une mère célibataire, Ekaterina, dont il porte le patronyme. Il grandit à la campagne dans un milieu pauvre. Élève brillant et passionné de hockey sur glace, il suit des études d’histoire à l’Institut pédagogique de Moguilev. En 1975, il décroche le diplôme d’historien avec une mention « Très bien » et effectue ensuite son service militaire chez les gardes-frontières soviétiques. Le jeune sergent Loukachenko y est instructeur politique. Libéré de ses obligations militaires en 1978, il devient professeur d’histoire-géographie, mais l’enseignement l’ennuie vite; il s’inscrit alors à des cours d’économie agricole dès 1979. Il y décroche en 1985 un nouveau diplôme. En 1980 – 1981, il est rappelé sous les drapeaux et sert au sein des fusiliers – motocyclistes avec le grade de lieutenant-chef.

     

    Son biographe et adversaire remarque une instabilité professionnelle certaine. Dès sa prime jeunesse, il développe des traits forts de caractère : « Esprit rétif, sens aigu de la justice, défense des faibles et des offensés (p. 36). »  Sa franchise et la rudesse de ses propos lui valent deux blâmes de la part du Parti communiste dont il est membre ! Son attitude ne l’empêche pas de devenir député du soviet local de Chklov et secrétaire de kolkhoze en 1985. L’année suivante, il est promu directeur du sovkhoze Goradets qui est en déficit. « Le jeune directeur se mit énergiquement au travail. Il commença par mettre de l’ordre, en réinstaurant la discipline et en assurant le bon état de marche des machines (p. 39). » Vivant de manière très modeste avec son épouse et leurs deux jeunes enfants, Alexandre Loukachenko se donne corps et âme à la réussite du sovkhoze. « En deux ans, le produit brut de son exploitation fut multiplié par 2,2. Le sovkhoze cessa d’être déficitaire (p. 40). »

     

    Les autorités locales, puis de la République socialiste soviétique de Biélorussie, commencent à s’intéresser de près à ce directeur agricole aux coups de gueule retentissants. Alexandre Loukachenko est reçu à Minsk, puis à Moscou, au moment où sont lancées les réformes gorbatchéviennes. « Cet homme ambitieux et énergique n’a pas pu se frayer un chemin jusqu’à la haute nomenklatura avant que ne commence la perestroïka gorbatchévienne (p. 38). » En effet, « à l’époque soviétique, pour moult raisons, Loukachenko n’avait pas l’opportunité de faire carrière, mais la perestroïka gorbatchévienne et l’effondrement du système communiste lui permirent un envol vertigineux. Cependant ce directeur de sovkhoze devait posséder un caractère très particulier et des capacités certaines pour se frayer un chemin jusqu’au fauteuil présidentiel (pp. 27 – 28) ».

     

    Le futur responsable biélorusse soutient au départ la politique réformatrice de Mikhaïl Gorbatchev. Puis, « dans cette période de cataclysme social croissant, les traits de caractère qui le désavantageaient dans le passé le portent en avant. Loukachenko devient un homme connu, au-delà même de la nomenklatura du district. Il acquiert l’image d’un homme courageux, qui n’a pas peur de dire la vérité. Il comprend que son temps est enfin venu (p. 41) ».

     

    Les premiers pas électoraux

     

    En 1989, l’Union Soviétique organise ses premières élections semi-libres pour le Soviet suprême (le Parlement soviétique). Alexandre Loukachenko n’hésite pas à affronter Viatcheslav Kebitch, vice-président du Conseil des ministres de Biélorussie et responsable du Gosplan (ministère de la planification). La campagne électorale est rude pour le jeune directeur – candidat qui affronte l’un des principaux apparatchiki du Régime. « Mais la donne politique avait changé. Même dans un coin perdu, il était désormais difficile d’intimider et d’écraser quelqu’un qui n’avait pas peur. Or Loukachenko n’avait pas peur et il se battait avec un art politique consommé, faisant preuve d’une combativité et d’une capacité de travail hors du commun (p. 44). » Si Kebitch remporte l’élection avec 51 % des suffrages, Alexandre Loukachenko obtient quand même 45,7 % des voix ! L’âpre campagne électorale l’a transformé. « Chez cet homme qui possédait de grandes réserves d’énergie, le goût du risque et une volonté de victoire indomptable, s’éveillera un vrai talent d’homme politique (p. 47). »

     

    En 1990 se déroulent des élections libres pour le Soviet suprême de la Biélorussie. Alexandre Loukachenko pose sa candidature dans une circonscription rurale et tient un discours anti-Système radical, car il « incarne un nouveau type d’homme politique, caractéristique de l’époque post-soviétique. Doté d’un flair politique extraordinaire, il a compris plus vite et mieux que les autres qu’en appeler directement au peuple pour obtenir son soutien était la condition sine qua non de toute prise de pouvoir (p. 28) ». Très vite, « les gens allaient aux meetings de Loukachenko comme s’ils allaient admirer une star de cinéma : il avait un don d’orateur peu ordinaire (du moins selon les standards locaux) et savait utiliser des mots simples qui allaient droit au cœur (p. 46) ». Au premier tour du scrutin, il rassemble 45,51 % et est élu député lors du second tour avec 68,21 %.

     

    Membre du Soviet suprême, ce gorbatchévien critique se rapproche de l’opposition nationaliste du Front populaire biélorusse. Il approuve ainsi en mai 1991 la souveraineté biélorusse. Il apporte toutefois son soutien à Gorbatchev lors du coup d’État des 19 – 21 août 1991. Quelques semaines plus tôt, il animait un petit groupe parlementaire « centriste » : « Les communistes de Biélorussie pour la démocratie ». Alexandre Loukachenko défend une évolution de l’U.R.S.S. vers un véritable ensemble fédéral. Sa position est donc médiane entre le conservatisme centralisateur et les séparatismes nationaux. Toutefois, son message passe mal, car « faute de savoir jouer en équipe, il reste un politique solitaire (p. 49) ». Ce qui paraît à ce moment-là comme un inconvénient se révèle vite comme un atout majeur parce que « enfant de la glasnost gorbatchévienne, il comprit, plus tôt et plus rapidement que les autres, la force de l’opinion publique. Il ne perdit donc pas de temps à créer un parti politique, mais utilisa son tempérament véhément pour séduire la population (p. 64) ».

     

    L’effondrement de l’U.R.S.S. et l’accession à l’indépendance de la Biélorussie en décembre 1991 le rapprochent des communistes conservateurs et nostalgiques. Par des discours virulents souvent retransmis à la télévision qui le fait connaître dans tout le pays, il condamne la fin de l’Union Soviétique et l’expansion de la corruption. Ce combat contre la corruption devient son thème favori si bien qu’il accède en juin 1993 à la présidence d’une commission parlementaire spéciale ad hoc, ayant la réputation d’« être un homme honnête et audacieux, qui n’avait pas peur des supérieurs (p. 57) ».

     

    L’éclatante victoire de 1994

     

    Le 15 mars 1994, le Soviet suprême biélorusse adopte une nouvelle constitution largement inspirée de la constitution de la Ve République française puisque Robert Badinter et ses juristes hexagonaux ont apporté leur savoir-faire aux nouveaux États d’Europe centrale et orientale. La Constitution biélorusse accorde de larges pouvoirs au président de la République élu au suffrage universel direct. L’élection est prévue pour le 23 juin 1994 avec, le cas échéant, un second tour, le 10 juillet suivant.

     

    La Biélorussie traverse à ce moment une terrible crise économique. La production chute de 35 % et l’inflation mensuelle est de 40 à 50 %. Premier ministre en exercice et homme fort du pays, Viatcheslav Kebitch fait figure de favori.

     

    Bénéficiaire d’une notoriété nationale, Alexandre Loukachenko annonce sa candidature à la présidence de la République. Or, « au début de sa campagne, Loukachenko ne jouissait d’aucun soutien de l’appareil d’État ni de celui d’aucun parti (p. 70) ». Ses collègues députés sont moqueurs d’autant que pour que sa candidature soit validée, il doit rassembler le parrainage de 100 000 citoyens. Les journalistes pensent qu’il ne les obtiendra pas. Mais ils ignorent que « cet acteur de talent […] sent bien son auditoire. Il dépasse de loin tous les autres politiques pour ce qui est de savoir conquérir un électorat (p. 28) ». « En vingt jours, Loukachenko collecta 177 000 signatures ! (p. 70) ».

     

    Outre Kebitch et lui, quatre autres concurrents briguent la nouvelle fonction présidentielle. Alexandre Loukachenko se distingue de ses adversaires par une campagne radicale et populiste. Il s’élève contre la corruption, la cleptocratie et les thèses néo-libérales. Au cours de la campagne électorale, « les sondages montraient que la majorité de la population était pour une approche égalitaire et se prononçait contre “ le marché ” (p. 73) ». Valeri Karbalevitch ajoute même que « dès le début des réformes, la Biélorussie fut une “ Vendée anti-perestroïkiste ”, l’un des centres de l’opposition à la politique de Gorbatchev (p. 67) ». Le terrain est favorable à l’anti-libéralisme conséquent.

     

    « S’il a tiré profit d’un concours de circonstances extraordinaires en arrivant au bon endroit et au bon moment, notre “ héros ” possède un talent politique inné, il faut bien le reconnaître. Les experts, les hommes politiques et les journalistes qui étudient le phénomène Loukachenko lui prêtent une intuition politique aiguë. Selon eux, il dispose d’un instinct naturel qui lui permet d’aller dans la bonne direction et de percevoir très tôt les menaces potentielles. Pour un leader populiste, il est très important de “ sentir ” son peuple et d’en reproduire les archétypes profonds de l’esprit national et à exprimer la voix intérieure de ses électeurs (p. 132). » Rapidement, en dépit d’un système médiatique aux ordres qui le dénigrent, Alexandre Loukachenko parvient à faire jeu égal avec le Premier ministre dans les intentions de vote. Son discours contestataire attire l’intérêt de l’opinion. « La société étant déçue par les uns et les autres, il espérait s’imposer comme troisième force : “ Ni avec la gauche, ni avec la droite, mais avec le peuple ”, proclamait son tract (p. 74) ».

     

    Au soir du premier tour avec une participation de 78,97 %, le « candidat du peuple » crée la surprise. Alexandre Loukachenko recueille 44,82 % des suffrage et est en tête dans 111 circonscriptions sur 118 ! « La province, et la campagne en particulier, l’avait soutenu avec un enthousiasme particulier. Ces résultats provoquèrent un véritable choc auprès de l’élite gouvernante qui fut incapable de s’en relever (p. 78). » Kebitch se qualifie pour le second tour avec 17,33 %. Quinze jours plus tard, alors que la participation baisse à 70,6 %, Alexandre Loukachenko remporte l’élection par 80,34 % contre Kebitch qui ne récolte que 14,70 %. Le nouveau président est investi le 20 juillet 1994.

     

    Il accède à la présidence dans des circonstances économiques dramatiques : la production nationale se contracte de 32 %, le taux d’inflation est de 53 % et le revenu de la population diminue de 23 %. La victoire du nouveau président exprime un profond mécontentement populaire.  « La “ révolution populaire ” biélorusse avait un caractère à la fois anti-nomenklaturiste et anti-bourgeois : le peuple acclamait celui qui se dressait passionnément contre la nomenklatura et le business (p. 79). » Une demande de « troisième voie » transparaissait auprès des électeurs minés par la crise et l’incurie gouvernementale.

     

    Le nouveau président avait un gigantesque défi à relever : fonder un  État respecté et protecteur du peuple. D’autres auraient tergiversé, puis reculé sous les pressions. Pas Alexandre Loukachenko qui affronta  les difficultés avec une rare détermination.

     

    Une révolution « populiste », anti-libérale et anti-bourgeoise

     

    « Nous devons être les premiers en Europe et dans le monde à créer un État pour le peuple », s’exclame le nouveau président. Depuis 1994, avec patience, la Biélorussie édifie un État digne de ce nom et non point une structure infestée par des groupes financiers anonymes. Il n’en fallait pas plus pour que l’Occident décadent « s’en prend à Loukachenko parce qu’il a démontré le succès économique du modèle nationaliste social, ou de ce qu’il appelle le modèle du  “ marché social ” par opposition au capitalisme libertaire (2) ». C’est d’ailleurs dans cet état d’esprit que « ses premières prises de parole manifestent […] un enthousiasme sincère, un véritable désir d’aider le peuple et de sortir le pays de la crise (p. 83) ». Par conséquent, son anti-libéralisme foncier « s’appuie sur la partie la plus conservatrice et passive de la société : les retraités, les allocataires de minima sociaux, les paysans. des catégories sociales opposées à la démocratie et au marché (p. 264) ». Ainsi, pour le plus grand regret de Karbalevitch, la Biélorussie ne sanctifie-t-elle pas les sacro-saintes lois du marché. En 2007, le président biélorusse déclarait : « Ce n’est pas moi qui vous ai conduits vers ce marché démentiel ! Moi, je le hais de tout mon cœur, de toute mon âme. » Quelques années auparavant, en 2002, il estimait avec raison que « nous partons ici du fait que la mentalité, les traditions et le mode de vie des gens ne peut pas changer en une nuit. Faut-il les changer ? Il n’est pas possible de jeter des gens sans préparation dans l’abîme du marché (3) ». On ne retrouve pas cette sage prévoyance chez les dirigeants russes et ukrainiens qui paupérisent leurs populations dans les années 1990 – 2000. Dès sa campagne de 1994, Alexandre Loukachenko tonnait contre les ravages de la société de marché. « Quand Loukachenko est arrivé au pouvoir, il avait deux options : libéraliser le pays ou obtenir de la Russie ce qu’elle avait toujours donné. Les usines s’étaient arrêtées, la pauvreté augmentait. La libéralisation n’était pas envisageable pour la bonne raison que tout le capital aurait été détenu aux mains des Russes : il a donc opté pour une économie d’État (4). »

     

    L’État biélorusse agit par conséquent en État stratège dans les affaires économiques. Bien entendu, Karbalevitch se scandalise que « c’est l’État qui définit ce dont les personnes ont besoin (p. 267) ». En Occident, ce sont les groupes privées, souvent transnationaux, qui imposent leurs volontés aux citoyens au moyen d’une incroyable propagande publicitaire. Dans sa préface très nuancée, Stéphane Chmelevsky, ambassadeur de France à Minsk de 2002 à 2006, signale une « publicité discrète et maîtrisée (p. 14) » dans les rues des grandes villes. La Biélorussie résiste à l’emprise spectaculaire de la marchandise. Les « casseurs de pub » du métro parisien le rêvaient; le Président Loukachenko l’a fait !

     

    Les autorités biélorusses savent oser quand il s’agit de défendre des entreprises ou des activités nationales majeures. Si les circonstances l’exigent, elles peuvent nationaliser. Arnaud Montebourg, le ministre français du Redressement productif et naguère chantre de la démondialisation, l’a rêvé, Alexandre Loukachenko l’a fait. Montebourg devrait s’en inspirer et aller à Minsk, là où on n’abdique pas la volonté politique… « À rebours de ce qui semblait la logique politique, Loukachenko n’a pas eu peur de passer pour un rétrograde. Il a choisi de conserver l’essentiel des mécanismes et institutions du système soviétique, et prouvé qu’il n’était pas impossible d’arrêter la course du temps et de renverser le mouvement de l’histoire (p. 28). » Le président biélorusse appartient à une tradition politique spécifique, les « étatistes ». Pour lui, « l’État doit être puissant, honnête et dirigé de manière compétente, parce que l’alternative, c’est le contrôle oligarchique et la substitution du droit privé au droit public. L’État se comporte en protecteur de son peuple – ce qui est une idée originale à une époque où les élites occidentales ont systématiquement sapé les intérêts de leur propre peuple, en particulier en matière d’immigration (5) ».

     

    Il est clair qu’en Biélorussie, dit Evgueniï, un Biélorusse de 29 ans, consultant dans une société de conseil et vivant à Moscou depuis 2001, « l’essentiel pour [ses parents] est qu’ils vivent mieux que dans les années 90. La Biélorussie est une Corée du Nord, mais avec des frontières ouvertes. Si quelque chose te déplaît, tu peux facilement en partir (6) ».  Il est facile d’imaginer que la Biélorussie serait un pays-prison. C’est faux ! Un Européen habitué au libre passage des frontières de l’Espace Schengen peut être déstabilisé par l’examen attentif et minutieux de ses documents officiels à la douane. La République de Biélorussie a compris la nécessité de maîtriser et de réguler les admissions étrangères. C’est un bel exemple de « société fermée » qui ne peut qu’agacer la caste libre-échangiste, mondialiste et sans-papiériste (7).

     

    Anti-libérale et anti-mondialiste (la Biélorussie n’appartient pas par bonheur à l’O.M.C.), la politique économique d’Alexandre Loukachenko présente une remarquable originalité.

     

    Une troisième voie économique ?

     

    Dans la décennie 2000, l’économie étatisée et nationalisée n’a pas heurté les investisseurs étrangers, russes en particulier. Des rapports d’organismes économiques internationaux mentionnent la Biélorussie comme un « Tigre slave » en référence au « Dragon celtique », l’Irlande, et les N.P.I. (nouveaux pays industrialisés) asiatiques des décennies 1970 – 1980 (Corée du Sud, Taïwan, Hong Kong) (8).

     

    L’économie marchande se développe avec des restrictions précises. L’État biélorusse facilite la constitution d’unions corporatives (Fédération des syndicats, Union des femmes…) qu’on aurait pu appeler ailleurs en d’autres temps des « syndicats nationaux ». Ces unions sont les actrices principales d’une économie sociale et solidaire de proximité. « L’État est occupé principalement à mobiliser et à redistribuer les ressources entre les cellules sociales, militaires et productives primitives, appelées clusters (9). » Dans ce contexte holistique dans lequel les intérêts nationaux et du peuple passent en priorité, les forces de l’Argent sont sévèrement contenues. Zélote défenseur de la société libérale de marché totalitaire dans laquelle on crève aisément de faim, Valeri Karbalevitch s’offusque que « Loukachenko veut faire des banques des outils au service de sa politique […]. Par conséquent, les autorités obligent les banques à financer des programmes d’État (construction de logements et d’« agrovilles », etc.) et à soutenir des entreprises non rentables au détriment de leurs intérêts (p. 278) ». Alexandre Loukachenko démontre que la Finance, cet « ennemi sans visage » selon François Hollande, peut être vaincue. Notre Flanby normal devrait lui aussi effectuer un stage semestriel à Minsk… de véritables campagnes de désinformation, et cette biographie en est une preuve supplémentaire, se déroulent en Occident contre la Biélorussie et son chef.

     

    « Sur quoi se fonde le leadership de Loukachenko, s’interroge Matthew Raphael Johnson ? La réponse est : l’idée “ sociale nationaliste et d’un marché social ”. La doctrine officielle biélorusse sur le développement dit ceci :

     

    “ La Biélorussie a choisi de suivre la route du développement évolutif, et rejeté les dispositions du Fonds monétaire international comme thérapie de choc et privatisations à tout va. Après plusieurs années de travail créatif, le modèle biélorusse de développement socio-économique a été mis en place : un modèle qui réunit les avantages de l’économie de marché et une protection sociale efficace. Notre concept de développement a été élaboré en conformité avec la continuité historique et les traditions du peuple. Ce modèle biélorusse a pour but d’améliorer la base économique existante plutôt que de provoquer une cassure révolutionnaire de l’ancien système. Le modèle économique biélorusse comporte les éléments de continuité dans le fonctionnement des institutions d’État partout où il s’est révélé efficace. ”

     

    En d’autres termes, la vision qui est celle de Loukachenko ici, est celle d’une “ troisième voie ” entre le socialisme et le capitalisme. Elle retient ce qui est bon dans l’économie de marché mais maintient l’idée d’un État fort qui s’assure qu’une certaine croissance économique ne bénéficie pas uniquement à quelques personnes bien placées. Ce que marxisme et capitalisme ont en commun ce sont leurs résultats : inégalité totale devant le pouvoir, devant la richesse et devant l’accès. Qu’il s’agisse du parti ou de la classe des oligarques, ces systèmes modernes et matérialistes ne servent guère à autre chose qu’à des transferts massifs de richesse de l’homme qui travaille vers l’oligarque. Que ces oligarques prétendent travailler “ pour le peuple ”, “ pour le parti ” ou “ pour la liberté de l’Amérique ” ne change rien. Le résultat est exactement le même (10). » Pour contrecarrer cette assertion judicieuse, Karbalevitch en vient à recourir aux rapports annuels de la Heritage Foundation et du Wall Street Journal qui sont d’une fiabilité et d’une objectivité plus que douteuse.

     

    La Biélorussie ose appliquer une « économie de mobilisation ». C’est possible parce que les Européens de l’Est conservent encore une attitude pré-moderne, voire non moderne, qui s’apparente à une faculté innée de privilégier le groupe. Quand bien même son étude concerne la Russie, l’ouvrage d’Alexandre P. Prokhorov éclaire notablement certains mécanismes psychiques collectifs des Biélorusses. Il remarque qu’« en Russie, le désir d’enrichissement ne joua pas dans l’activité humaine un rôle aussi efficace que cela doit l’être dans une économie normale de concurrence (11) ». À bien des égards, l’économie biélorusse se conformerait dans les faits à un anti-utilitarisme empirique.

     

    En dépit donc d’une conjoncture mondiale mauvaise (crise profonde en Grèce, en Italie, en Espagne, aux États-Unis et en France), on remarque avec surprise que « les résultats de Loukachenko sont brillants. D’après les statistiques de la Banque mondiale mises à jour en 2010, la Biélorussie a évité la récession/dépression qui enserre l’Occident. Les banques biélorusses, la plupart propriétés de l’État, ont surpassé toutes les banques européennes en 2009. Ces banques propriétés de l’État ont augmenté leur capitalisation de près de 20 % au moment où le contribuable occidental était contraint de renflouer les banques mêmes qui ont condamné le gouvernement de Minsk. De 2001 à 2008, la croissance économique moyenne biélorusse a été de près de 9 %, ce qui équivaut à peu près à celle de la Chine. Tandis que les économies occidentales diminuent en 2010, l’économie biélorusse a augmenté d’environ 6 %, avec une augmentation de 10 % dans la production agricole et de 27 % dans les exportations. Le revenu réel, c’est-à-dire le revenu ajusté à l’inflation et au coût de la vie, a augmenté d’environ 7 % en 2010 (12) ».

     

    Près de deux décennies de présidence Loukachenko ont façonné la vie quotidienne des Biélorusses. En la comparant à celle de leurs « grands frères » russes, les témoignages démentent l’image sulfureuses montée et diffusée par certaines officines subversives. « Nous avons des routes bien meilleures qu’en Russie, déclare Irina, une traductrice du chinois et de l’allemand de 24 ans, à Moscou depuis 2008, le système de santé publique est gratuit – nous n’apportons qu’une boîte de bonbons ou une bouteille de cognac pour que le médecin soit plus attentionné, rien de plus (13) ». Pour Georguiï, 22 ans, un étudiant en Master à l’Institut de droit européen, résident à Moscou depuis 2007, « il y a des différences de mentalité qui sont flagrantes. Les Biélorusses sont plus polis, et plus respectueux des lois : nous avons moins de corruption, moins de violation du code de la route. Minsk est une ville très propre. En ce qui concerne la vie de tous les jours, je dirais que le coût des produits de consommation courante sont à peu près les mêmes. Par contre, à Minsk, on peut louer un appartement pour à peu près 250 dollars. Les restaurants sont de deux voire trois fois moins chers, et les services comme le transport ou Internet sont eux aussi moins coûteux (14) ». Certes, « la Biélorussie a une économie quarante fois moins importante que la Russie. La République s’appuie sur quatre piliers : l’achat d’énergie russe à moindre prix, l’accès ouvert au marché russe, une économie gérée à 82 % par l’État et un marché fermé [vingt-deux restrictions existent sur les produits russes à l’importation, N.D.L.R. du Courrier de la Russie] (15) ».

     

    La forte homogénéité ethnique de la Biélorussie ne joue-t-elle pas aussi un rôle dans le maintien de ce sens commun relevé par ces deux Biélorusses de Moscou ? La Russie est une fédération d’espaces multi-ethniques et pluri-religieux, d’où d’inévitables tensions réglées par l’État, incarnation de la majorité russo-slave. Si la Biélorussie accueille des immigrés chinois et installe dans le Sud des familles venues d’Asie Centrale, la cohésion slave perdure avec 81,2 % de Biélorusses, 11,4 % de Russes, 3,9 % de Polonais et 2,4 % d’Ukrainiens ! Il importe de ne pas négliger ce facteur bien souvent ignoré pour des motifs politiquement corrects.

     

    L’auteur de cette biographie ironise qu’« en Biélorussie, l’agriculture est considérée comme une “ branche stratégique ” et la sécurité alimentaire est la grande priorité du régime. Elle mobilise 12 % du budget de l’État, alors que ce chiffre ne dépasse pas 3 à 4 % dans les pays développés. […] À l’époque postindustrielle de l’information, faire, de cette façon, de l’agriculture la priorité nationale est contraire à la logique du développement mondial (pp. 276 – 277) ». Pourquoi ? En cas de disette ou de famine, le geek mangera-t-il ses clefs U.S.B. ? En pariant au contraire sur l’agriculture, véritable « arme nucléaire verte du XXIe siècle », Alexandre Loukachenko est un visionnaire génial. outre des considérations géostratégiques sur la souveraineté alimentaire et l’auto-suffisance agricole, ce grand intérêt pour l’agriculture explique que « la nourriture chez nous est meilleure, le contrôle de qualité y est extraordinaire, déclare Irina. Ici [à Moscou], les produits laitiers, la viande, les légumes… C’est immangeable ! Ma mère m’envoie toutes les deux semaines un colis par le train avec des produits biélorusses (16) ». Échappant aux industries agro-alimentaires, les Biélorusses n’auraient donc pas la chance de manger du bœuf au cheval en attendant les savoureux légumes aux O.G.M.

     

    Valeri Karbalevitch s’inquiète du « bas niveau de consommation (p. 264) ». Or la consommation n’est jamais la panacée idéale. Elle détruit lentement le tissu social alors que « les Biélorusses sont de meilleurs gens, affirme Evgueniï, les familles sont plus soudées. Ici [à Moscou] tout le monde se fiche de tout le monde, et les liens familiaux sont assez formels (17) ».

     

    Une conception schmittienne de l’État

     

    Il faut se demander si, dans sa jeunesse, le président Loukachenko a lu Le Prince de Machiavel et La psychologie des foules de Gustave Le Bon ainsi que les écrits du plus grand penseur allemand du politique du XXe siècle, Carl Schmitt, tant il paraît évident qu’il en est leur plus brillant praticien. « Le leader biélorusse souligne toujours son lien de sang avec le peuple, persuadé qu’il est le seul homme politique qui comprend les problèmes des gens ordinaires, qui se soucie d’eux et exprime leurs intérêts (p. 149). » On a vu que « dès qu’il a été élu, Loukachenko a promu l’idée d’un État fort, seul capable d’instaurer “ un ordre de fer ” (p. 193) ». Il remplace par exemple les exécutifs locaux élus par « une “ verticale ” de l’exécutif – un système de dépendance directe, par le jeu des nominations – qui renforçait le pouvoir présidentiel (p. 87) ». Son objectif est d’édifier des institutions saines et efficace parce qu’il « a probablement le désir sincère que les fonctionnaires servent les gens (p. 196) ».

     

    Pour cela, dès août 1994, il affronte le Parlement et demande aux citoyens de trancher le contentieux par référendum. Le 14 mars 1995, il soumet à la décision du peuple quatre questions qui sont un triomphe pour lui : 83 % des électeurs approuvent que le russe devienne langue officielle de la Biélorussie, 75 % entérine les nouvelles armoiries (et donc le nouveau drapeau national), 82 % accepte une intégration avec la Russie et 78 % avalise la possibilité par le Président de dissoudre le Soviet suprême. Aigri, Karbalevitch commente « ces résultats, qui démontraient l’immaturité de l’État national biélorusse, vinrent confirmer que la population était nostalgique de l’U.R.S.S. (p. 93) ». Il est toujours plaisant de voir les donneurs de leçons démocrates exprimer leur rage quand le peuple va à l’encontre de leurs désirs pathologiques…

     

    Afin de contourner les blocages institutionnels, le Président Loukachenko organise, le 24 novembre 1996, un nouveau référendum à cinq questions. Une fois encore, le peuple accorde toute sa confiance à son Batka : 70,5 % entérine la nouvelle Constitution; 69,9 % rejette la possibilité de rétablir les exécutifs locaux élus; 65,9 % récuse les financements administratifs; 82,9 % refuse le droit de vente illimité des terres et, enfin, 80,4 % maintient la peine de mort. En 2004, un autre référendum abroge la limitation du nombre de mandats présidentiels. Pour Karbalevitch, « le référendum marqua le seuil du changement de l’idéologie d’État. Ainsi, l’unité slave – autrement dit, le panslavisme – supplanta la renaissance nationale et devint l’idéologie dominante (p. 94) ». La renaissance du panslavisme n’est ni fortuite ni futile. C’est un pilier fondateur de la politique du président Loukachenko qui, le 12 avril 1995, lançait : « On regarde la Biélorussie comme le sauveur de la civilisation slave, et nous devons en effet sauver cette civilisation ! ». Le volontarisme panslaviste commence à avoir une résonance extérieure. Depuis le début de l’année, la Bulgarie connaît de graves troubles politiques. Des manifestations gigantesques ont provoqué la démission du gouvernement de centre-droit, le 20 février 2013. Les manifestants ont des revendications qui « ont jeté un froid au sein de l’intelligentsia bulgare. “ Leur modèle social semble osciller entre la Libye de Kadhafi et la Biélorussie ”, s’énerve Konstantin Pavlov, auteur d’un blogue politique très lu dans le pays (18) ». Verra-t-on bientôt une exportation du modèle biélorusse ? Il faut l’espérer pour l’avenir viril de l’Europe.

     

    En bon larbin de la démocratie illusoire du marché, Karbalevitch juge le référendum comme un procédé non-démocratique et populiste… Il s’élève en outre contre l’usage du vote anticipé. Or ces maîtres, les États-Unis, le pratiquent très largement. Lors de la présidentielle de 2012, Barack Obama vota par anticipation à Chicago fin octobre ! Les conditions de vote aux États-Unis sont bien plus aléatoires qu’en Biélorussie, mais, obsédé par le mirage yankee, l’auteur ne souhaite pas le savoir. À tort, car il apprendrait que John F. Kennedy en 1960 et George W. Bush en 2000 ont gagné à la suite de fraudes monstrueuses orchestrées pour l’un par la maffia et, pour l’autre, par des clans du complexe militaro-industriel. Quant aux bourrages des urnes, ils existent aussi en France à Hénin-Beaumont ou à Marseille.

     

    Prenant prétexte que depuis 1999, les O.N.G. sont strictement surveillées par les autorités biélorusses qui connaissent leur rôle frauduleux et subversif, Karbalevitch décrit une Biélorussie qui serait… totalitaire. Dans la même veine mensongère, l’auteur dénonce et la forte criminalité qui y régnerait et de supposés liens établis entre la pègre et l’État. Ne sait-il pas que de telles relations sont nécessaires afin de contenir dans un périmètre défini les activités illégales ? Ignore-t-il qu’au Japon, les Yakuza sont un élément essentiel de la société civile ?  Où est-il le plus dangereux de se promener le soir, dans une rue de Minsk ou dans les quartiers Nord de Marseille ? D’ailleurs, quand on consulte la page « Conseils aux voyageurs » du ministère français des Affaires étrangères, on lit que « la police est bien assurée à Minsk, comme à Grodno, Brest, Gomel, Moguilev et Vitebsk, il est cependant recommandé, comme partout ailleurs, de ne pas faire étalage d’objets de valeur ou d’argent liquide en public (19). »

     

    Dans la même veine outrancière, l’auteur attaque une justice qui ne serait pas indépendante. Et en France alors ? Avec une mauvaise foi consommée, Karbalevitch accuse Alexandre Loukachenko de rejeter « complètement l’idée d’un pouvoir judiciaire indépendant (p. 209) ». La Biélorussie a plutôt la chance de ne pas pâtir d’un gouvernement irresponsable des juges, cette lubie pour esprits naïfs. Ne se soumettant à aucune décision d’une pseudo-morale droit-de-l’hommesque, elle demeure l’ultime État européen à mépriser les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg et d’appliquer la peine de mort. Sur ce sujet, l’auteur montre son arrogance à l’égard du choix souverain des Biélorusses pour la peine capitale. « Si tous les États européens ont proclamé l’abolition de la peine de mort par un vote parlementaire, évitent ainsi de soumettre au verdict des urnes cette décision au caractère très délicat, Loukachenko choisit pour sa part, en 1996, la voie référendaire et obtient le soutien de la majorité de la population pour le maintien de la peine capitale (pp. 133 – 134). » Où va-t-on si le peuple se met à prendre des décisions à la place de ses élus corrompus et incompétents ? Et puis, qui est le plus démocrate ? Le président Loukachenko ou bien Nicolas Sarközy qui viole le vote référendaire négatif du 29 mai 2005 ou la Cour suprême de Californie qui autorise l’homoconjugalité refusée par référendum ? Le président Loukachenko confirme par sa pratique l’énoncé célèbre de Carl Schmitt : « Est souverain celui qui décide lors d’une situation exceptionnelle (20). »

     

    Un hyper-présidentialisme assumé

     

    Agent d’influence de l’Occident et des États-Unis à Minsk, Valeri Karbalevitch voue un culte pour l’abject régime présidentiel étatsunien et son ineffable équilibre des pouvoirs qui démontrent maintenant leur grande inefficacité, voire leur perversité constitutionnelle. L’auteur déplore qu’« en Biélorussie, contrairement à ce qui se fait ailleurs de la façon la plus classique, on ne discute pas des mesures importantes de manière collégiale (p. 201) ». Les décisions collectifs prises au 10, Downing Street, à la Maison Blanche ou à l’Élysée sont bien connues des citoyens occidentaux à moins que l’auteur ne se réfère aux groupes d’influence et de pression (Bilderberg, Trilatérale, Fabian Society, Le Siècle…).

     

    Au pays d’Alexandre Loukachenko, le pouvoir « doit être monolithique […]. Et de proposer une conception politique originale : celle d’un “ tronc ” (le pouvoir présidentiel) d’où poussent des “ branches ” (les pouvoirs législatif et judiciaire). ce qui permit aux juristes biélorusses d’ironiser sur le mutant botanique biélorusse… (p. 192) ». À la place de l’auteur et de ces « juristes » de pacotille, plutôt que de ricaner bêtement, ils auraient du rechercher d’autres exemples de cette « mutation botanique ». Le 7 mars 2009, le président équatorien anti-libéral de gauche, Rafael Correa, déclarait que « le président de la République n’est pas seulement le chef du pouvoir exécutif. Il est le chef de tout l’État équatorien. Et l’État équatorien, c’est le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire et le pouvoir électoral ! (21) » Karbalevitch rétorquerait que Correa ne sert pas Washington et qu’il incarne le « satrape de l’Équateur »… « S’il doit être évidemment entendu que l’autorité indivisible de l’État est confiée tout entière au Président par le peuple qui l’a élu, qu’il n’en existe aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire, qui ne soit conférée et maintenue par lui… » proclame non pas Alexandre Loukachenko, mais… Charles de Gaulle en conférence de presse, le 31 janvier 1964. Sans le savoir, le président biélorusse suit les conseils du fondateur de la Ve République française parce qu’au cours de cette intervention, le président, seul détenteur de la légitimité de l’État, est présenté comme l’homme de la nation d’où procède tout autorité réelle.

     

    Contrairement aux voisins fragilisés par des partis politiques fauteurs de divisions, la Biélorussie a écarté les partis sans les abolir ou les interdire. Il n’existe pas de parti loukachenkiste, ni a fortiori de parti unique. Avec une avance de deux décennies sur le mouvement anti-Système de l’Italien « Beppe » Grillo, Alexandre Loukachenko a compris la fin programmée des partis. Il a en revanche saisi l’influence majeure du pouvoir médiatique et s’en est assuré la maîtrise, car « les médias sont l’une des armes les plus puissantes du monde. Ils doivent donc être régulés comme n’importe quelle autre arme. Les élites des médias sont souvent oligarchiques et centralisées, et elles utilisent leur empire pour pouvoir contrôler les autres. Par conséquent, l’information médiatique libre doit être diversifiée et permettre l’exposition de divers points de vue. Ce qui est bien davantage le cas en Russie et en Biélorussie qu’aux États-Unis (22) ». Plutôt que travailler pour le privé, télévisions et radios dépendent du secteur public. En parallèle existe une vivace presse d’opposition qui prépare les esprits à une quelconque révolution colorée. Matthew Raphael Johnson rappelle que « ce n’est pas un hasard si le gros de son opposition américaine provient de l’Université de Harvard, en particulier de la faculté de droit, y compris de Yarik Kryovi, qui à un moment donné a travaillé pour la  Radio Liberty, propriété de Soros, et a fait fonction d’avocat pour la Banque mondiale (23) ». Or c’est à Radio Liberty qu’officie aussi Karbalevitch !!!

     

    Financée par les États-Unis, l’opposition biélorusse existe, mais demeure minoritaire. « L’organisme T.N.S. Global Research, basé à Londres, a sondé 10 000 Biélorusses à propos de leur président, constate Matthew Raphael Johnson. Le sondage a démontré la solide popularité de Loukachenko qui a obtenu près de 75 % à l’automne 2010. Par conséquent, les accusations selon lesquelles il aurait truqué les élections sont absurdes. Qui plus est, son opposition est fortement divisée, inefficace et profondément sceptique sur sa propre raison d’être (24). » Sans exagérer, on est plus libre en ces temps du politiquement correct à Minsk qu’à Paris, Los Angeles ou Londres. Est-ce en Biélorussie qu’interviennent des policiers dans les établissements scolaires ou que la vidéo-surveillance espionne la sortie des poubelles aux mauvaise heures ? Non, c’est au Texas et au Royaume-Uni (25).

     

    Un parler vrai et libre

     

    « La Biélorussie reste au travers de la gorge des Américains », a lancé une fois le Président Loukachenko qui aime provoquer. Maniant un sens de l’humour au troisième degré incompréhensible pour le Yankee d’adoption qu’est Karbalevitch, « le président biélorusse défie les usages en vigueur de la communauté internationale (p. 344) ». Sa libre parole tord les convenances diplomatiques compassées. « Son style est tout sauf politiquement correct. En Biélorussie, chacun s’est habitué à ce que le président tutoie tout le monde. […] Loukachenko ne modère jamais son expression et dit des choses imprononçables dans une société civilisée. Il profère facilement des grossièretés, comme beaucoup de ses électeurs dans la vie de tous les jours. Dans ce sens, il n’y a pas de différences entre le président et le peuple (p. 135) », assène avec un rare mépris à l’égard des Biélorusses qui votent si mal Karbalevitch. La Biélorussie et son peuple sont pour l’heure exemptés du puritanisme en vogue outre-Atlantique et qui pollue la planète entière.

     

    Le Président Loukachenko ne fait pas dans la langue de bois. Il traite tour à tour la politique de Washington d’« idiotie » et l’entité pseudo-européenne manipulée depuis Bruxelles de « sauvagerie » et de « stupidité ». Quant aux membres de la Commission dite « européenne », ce sont des « imbéciles ». Des propos virils qui tranchent nettement avec les zombies politiciens de l’Ouest.

     

    En avril 2001 à la télévision biélorusse, il s’attaquait à la multinationale de la malbouffe et du conditionnement psychique des enfants : « Ces Mac Donald’s sont comme des nœuds de vipères qui s’installent à nos carrefours ! Il est temps de manger biélorusse. Nous n’avons pas besoin de cette contagion chez nous ! » Il va de soi que le Président assume ses actes (et ses sentences bien senties), ce qui lui vaut d’être interdit de séjour en Occident ainsi que plus de cent trente hauts-fonctionnaires biélorusses. Étrange cette Union européenne qui refuse la venue d’hommes de qualité et accepte le déferlement massif des clandestins… Manque de chance pour cette U.E. néo-puritaine en triste état, le populisme fleurit, y compris en hiver, sur tout le Vieux Continent si bien qu’il serait un jour possible que la Biélorusse et son excellent président prennent la tête d’une Ligue européenne des États populistes avec la Hongrie d’Orban, la Grèce de l’Aube dorée, l’Italie grilliniste… En attendant la concrétisation de cette possibilité, Minsk s’ouvre aux puissances émergentes du Sud.

     

    Une diplomatie révolutionnaire anti-mondialiste

     

    N’adhérant à aucun corset économique mondialiste et libre-échangiste libéral, le gouvernement de Minsk en récuse aussi la version judiciaire en niant l’existence de la Cour pénal internationale et du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. En bon larbin des États-Unis, Karbalevitch lui en fait le reproche. « Sous prétexte que chaque pays a la liberté de choisir sa voie de développement, Loukachenko défend de facto le droit des pays voyous et leurs dirigeants autoritaires à ne pas se conformer aux normes internationales, et à mener leur politique intérieure et étrangère à leur guise (pp. 345 – 346). » On retrouve la rhétorique habituelle des néo-conservateurs occidentalistes et bellicistes. En réalité, les seuls vrais États voyous s’appellent les États-Unis, le Royaume-Uni, Israël, la République hexagonale, l’Allemagne fédérale dégénérée, la Suède, les Pays-Bas, l’Arabie Saoudite et le Qatar.

     

    Au printemps 1999, méprisant un danger certain, Alexandre Loukachenko se rend à Belgrade réconforter le président Slobodan Milosevic agressé par l’organisation terroriste appelée O.T.A.N. « Il faut être capable d’un sang-froid peu ordinaire et être prêt à mettre son avenir en jeu (p. 152). » Il soutient ensuite les martyrs de la liberté des peuples que sont Saddam Hussein et Mouammar Kadhafi. Il contribue à devenir aux côtés de feu Hugo Chavez et du président bolivien Evo Morales « le champion de la résistance à l’Occident (p. 315) ».

     

    Dans cette perspective d’affrontement géopolitique d’ampleur planétaire, cet « orthodoxe athée » souhaitait riposter en mars 1997 au prochain élargissement de l’Alliance Atlantique totalitaire par la formation d’un bloc continental Minsk – Moscou – Pékin. Quelques mois plus tard, il réitéra sa suggestion en s’adressant à la Russie, à la Chine, à l’Inde, à l’Iran et à des États arabes : « C’est ensemble que nous créerons un contrepoids au bloc de l’O.T.A.N. et des États-Unis. C’est nécessaire […] pour sauver la civilisation, sauver la planète. » Face à l’Occident barbare, la Biélorussie d’Alexandre Loukachenko incarne une anti-barbarie conséquente.

     

    Le président de la Biélorussie insiste beaucoup sur la renaissance du panslavisme et d’une Orthodoxie plus politique. « En opposition au catholicisme, il exalte la religion orthodoxe qui sert de base spirituelle à l’unité des Slaves de l’Est (p. 309). » Nonobstant un enclavement préjudiciable, l’absence de toute façade maritime et une taille démographique modeste (une dizaine de millions d’habitants), la Biélorussie ne craint pas grâce à son chef d’État énergique de participer au Grand Jeu des puissances. Elle a aussi su s’adosser à la Russie d’autant qu’auprès des Russes, « le président biélorusse mène sa barque avec brio (p. 311) ».

     

    Minsk – Moscou : des relations tourmentées

     

    L’essai Réflexions à l’Est évoque longuement les différentes tentatives d’Alexandre Loukachenko d’assumer la direction d’un ensemble commun Russie – Biélorussie dans la décennie 1990. L’ouvrage de Karbalevitch, en particulier le chapitre 10 (pp. 295 à 337), en confirme l’analyse et y apporte des détails supplémentaires. En 1994, la victoire du président Loukachenko est bien reçue en Russie. « Son charisme et son populisme y furent accueillis avec enthousiasme, non seulement par le petit peuple, mais aussi par une partie des élites : il fut ovationné par des hauts fonctionnaires et des académiciens (p. 300). » « Dès 1995, il laisse entrevoir qu’il désire ardemment exercer la présidence de l’État uni (p. 299). »

     

    Au chaos intérieur, politique, social et économique, russe et à l’absence de volonté d’Eltsine, « le président biélorusse s’assure une présence quasi permanente dans les médias russes en leur accordant davantage d’entretiens que n’importe quel politique russe. L’ambassade biélorusse à Moscou organise plusieurs voyages de journalistes en Biélorussie (p. 312) ». De 1996 à 2001, Alexandre Loukachenko visite de nombreuses régions de la Fédération, rencontre leurs gouverneurs et « se positionne clairement comme un futur candidat à l’élection présidentielle, qui doit avoir lieu en 2000 (p. 313) ». En 1999, il est même prêt à fusionner son État avec la Russie afin d’obtenir une citoyenneté commune apte à lui ouvrir les portes du Kremlin.

     

    Mais son dessein se heurte à l’entourage familial, maffieux et libéral d’Eltsine. « L’etablishment russe ne voulait pas que le “ frangin slave ” vienne perturber la campagne présidentielle de 2000 : il devenait un candidat sérieux. À Moscou, on craignait que Loukachenko ne casse le système qui s’était mis en place avec Boris Eltsine, pour instaurer un régime de type biélorusse. Malgré ses visées impérialistes, l’élite russe a donc sauvé la souveraineté biélorusse. Quel paradoxe ! (p. 322). » À l’été 1999, cet entourage présidentiel promeut Vladimir Poutine. Son arrivée modifie les relations russo-biélorusses par un net refroidissement. Le nouvel homme fort de la Russie veut soumettre son homologue biélorusse. Sans succès. Au contraire ! Dans le même temps, certains politiciens russes comme cherche à réduire au silence le second. Entre 2001 et 2002, certains politiciens russes tels Boris Nemtsov, de l’Union des forces de droite, un groupuscule libéral et atlantiste, se comportent en Biélorussie comme si c’était une colonie. À l’instar de Nemtsov, ces bradeurs de la civilisation slave sont expulsés manu militari.

     

    En 2006, Moscou cherche encore à inféoder la Biélorussie récalcitrante. En pleine guerre du gaz russo-biélorusse, le président Loukachenko, exaspéré par cette morgue, offre à l’Ukraine alors « Orange » une entente renforcée destinée à contrer un danger russe avéré… Contre les menaces sérieuses d’annexion rampante voulue par Moscou, Minsk en vient à menacer de transformer la Biélorussie, vieille terre de guerre des partisans, en une nouvelle Tchétchénie mille fois pire… À l’été 2010, la chaîne russe N.T.V. diffuse « Le Parrain paternel », un « documentaire » inqualifiable de sottises qui vise à déstabiliser la présidence biélorusse. Sans succès, heureusement…

     

    Depuis 2011 – 2012, on observe un apaisement des tensions russo-biélorusses, car Vladimir Poutine sait pouvoir compter sur l’appui international de la Biélorussie d’autant qu’ils affrontent les mêmes ennemis (financiers véreux, Pussy Riot, FemHaine…). Il est d’ailleurs intéressant d’observer que la directrice de la collection dans laquelle sort ce livre, Galia Ackerman, collaboratrice au Monde, consacre tout un ouvrage aux FemHaine. La guerre culturelle est patente. Que ces  mégères, jeunes et moins jeunes, sachent bien que nous la conduirons sur tous les fronts sans pitié…

     

    Alexandre Loukachenko demeure un recours possible, quoique ténu, pour des Russes déboussolés. En effet, la Russie s’engage malheureusement dans une direction complaisante envers l’Occident en espérant l’amadouer. Marie Jégo rapporte que « face à la déliquescence institutionnelle ambiante, le gouvernement russe, conseillé par Goldman Sachs, ambitionne de faire de Moscou un centre financier international. Les banquiers se frottent les mains à l’idée d’acheter de la dette russe (l’endettement extérieur public est très faible, soit 11 % du P.I.B.) (26) ».

     

    L’actuelle dyarchie russe entre Vladimir Poutine et son Premier ministre, Dmitri Medvedev, un familier des réunions de Davos, ferait l’objet de dissensions internes possibles. Des enquêtes d’opinion révèlent l’impopularité croissante de la politique gouvernementale menée par Medvedev. Plus proche des cénacles occidentalistes, celui-ci qui semble avoir pour modèle historique Catherine II la Grande qui parvint au pouvoir en 1762 après l’élimination de son mari germanophile, le tsar Pierre III, pourrait un jour prendre l’initiative de « normaliser » la Russie (c’est-à-dire de l’assujettir à l’Occident) en écartant son mentor Poutine. Outre les précédents de 1762 et de 1801 qui vit l’assassinat du tsar Paul Ier par des éléments anglophiles, il existe un exemple tunisien désormais ancien. En 1987, le Premier ministre Ben Ali destitua le vieux président Habib Bourguiba pour un motif sanitaire et s’empara de la présidence. Dans ce cas très hypothétique, Alexandre Loukachenko retrouverait peut-être une chance réelle de peser à nouveau sur le destin de la Russie et du bloc eurasien en voie de formation.

     

    L’ouvrage de Valeri Karbalevitch appartient à une collection particulière de l’éditeur, « Les moutons noirs », qui est financée par Pierre Bergé. On comprend mieux maintient le violent réquisitoire contre le président Loukachenko quand on sait l’extrême nuisance de ce milliardaire hexagonal, ancien parrain de Globe et de S.O.S. – Racisme. Les prochains titres ne dénonceront pas ces véritables ennemis des peuples que sont, outre Pierre Bergé lui-même, George Soros, Boris Bérézovski qui vient de disparaître, le groupe de Bilderberg, la Commission Trilatérale ou les entités mondialistes occultes.

     

    En 2010 – 2011, Alain Soral et son mouvement Égalité et Réconciliation organisèrent une campagne réclamant « un Chavez à la française ». Il serait plus approprié d’exiger « un Loukachenko à la française », car l’ouvrage partial de Karbalevitch présente l’unique mérite de montrer un dirigeant européen d’exception. Loin d’être un « mouton noir », Alexandre Loukachenko est un grand renard, le « Renard de Biélorussie » !

     

    Georges Feltin-Tracol http://www.scriptoblog.com/

     

    Notes

     

    1 : Le présent article corrige, modifie et approfondit les précédentes contributions de l’auteur des lignes, en particulier les chapitres 8, 9, 14 et 15 de Réflexions à l’Est, Alexipharmaque, 2012, « Le diable de l’Europe et la troisième voie biélorusse », Salut public, n° 9, octobre 2012, et « La troisième voie biélorusse », conférence donnée au Local 92 à Paris, le 8 novembre 2012, qu’on peut écouter sur le site Troisième Voie et sur YouTube :

     

    http://troisiemevoie.fr/4897-la-troisieme-voie-bielorusse-conference-de-georges-feltin-tracol-au-local/

     

    http://www.youtube.com/watch?v=H4_ieJQJK1o

     

    2 : Matthew Raphael Johnson, « La pensée politique d’Alexandre Loukachenko (Biélorussie) hors de la désinformation », mis en ligne sur Polémia, le 3 novembre 2011, et d’abord paru en anglais sur Occidental Observer, le 27 octobre 2011.

     

    3 : cité par Matthew Raphael Johnson, art. cit.

     

    4 : Andreï Soudaltsev, « Le sacrifice biélorusse face à l’Union douanière », entretien pour Le Courrier de la Russie mis en ligne le 28 octobre 2011.

     

    5 : Matthew Raphael Johnson, art. cit.

     

    6 : « Biélorussie, notre douleur », Le Courrier de la Russie, mis en ligne le 4 avril 2012.

     

    7 : cf. Georges Feltin-Tracol, « Pour une société fermée », dans Orientations rebelles, Éditions d’Héligoland, 2009, pp. 97 – 100.

     

    8 : cf. Laurent Blancy, « Le “ Tigre ” de Minsk », Rivarol, 19 février 2010.

     

    9 : Alexandre P. Prokhorov, Le modèle russe de gouvernance, Cherche-Midi, coll. « Documents », Paris, 2011, p. 99. Un cluster désigne « un groupement autosuffisant composé d’unités homogènes ».

     

    10 : Matthew Raphael Johnson, art. cit.

     

    11 : Alexandre P. Prokhorov, op. cit., pp. 359 – 360.

     

    12 : Matthew Raphael Johnson, art. cit.

     

    13 : « Biélorussie, notre douleur », art. cit. L’accès aux soins est gratuit en Biélorussie, quelque soit le statut du patient (citoyen, résident ou touriste).

     

    14 : Idem.

     

    15 : Andreï Soudaltsev, art. cit.

     

    16 : « Biélorussie, notre douleur », art. cit.

     

    17 : Id.

     

    18 : Alexandre Lévy, « Le suicide d’un activiste électrise la Bulgarie », Le Figaro, 5 mars 2013.

     

    19 : « Conseils aux voyageurs », dernière mise à jour, le 19 octobre 2012 et information toujours valide le 4 mars 2013, cf. http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/conseils-aux-voyageurs/conseils-par-pays/bielorussie-12211/

     

    Les seules consignes de sécurité sont alimentaires du fait des conséquences de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl.

     

    20 : Carl Schmitt, Théologie politique, Gallimard, 1988. On reprend ici la célèbre formule dans la traduction de Julien Freund, « Les lignes de force de la pensée politique de Carl Schmitt », Nouvelle École, n° 44, printemps 1987.

     

    21 : cité par Le Figaro, 16 et 17 février 2013.

     

    22 : Matthew Raphael Johnson, art. cit.

     

    24 : Id.

     

    25 : cf. Chris McGreal, « Au Texas, un bon élève est un élève fliqué », The Gardian, traduit dans Courrier International, 2 – 8 février 2012; Rose Claverie, « Les Britanniques espionnés en sortant leurs poubelles », Le Figaro, 23 août 2012

     

    26 : Marie Jégo, « Lettre de Russie – Roulette russe : faites vos jeux ! », Le Monde, 1er mars 2013.

     

    • Valeri Karbalevitch, Le satrape de Biélorussie. Alexandre Loukachenko, dernier tyran d’Europe, François Bourin Éditeur, coll. « Les moutons noirs », préface de Stéphane Chmelewsky, traduit du russe, adapté et annoté par Galia Ackerman, Paris, 2012, 442 p., 24 €.

  • La crise en Syrie va-t-elle provoquer le retour de la Russie au Moyen-Orient ?

     
    Étranger
    La crise en Syrie va-t-elle provoquer le retour de la Russie au Moyen-Orient ?
    Le conflit en Syrie vient d’entrer dans sa seconde année, et il est bien loin le temps où l’on nous assurait que la chute du régime était imminente (mai 2011), que l’étau se resserrait (octobre 2011), que la fin du régime d’Assad était une question de semaines ou de mois (décembre 2011) ou même était très proche, comme l'avait déclaré la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton en janvier 2012.

    Il semble que l’objectif quasi obsessionnel de vouloir renverser le régime Assad, objectif partagé pour des raisons différentes tant par les nations occidentales que par certaines grandes puissances sunnites (monarchies du Golfe et de Turquie principalement) reste un objectif encore hors de portée pour l’instant. Au contraire, la guerre en Syrie a ces derniers mois baissé en intensité et cela est en partie dû à l’hiver bien sûr mais pas seulement. L'armée syrienne n’a pour l’instant connu aucune défaite nette pendant ce conflit. Parmi les soldats du régime, plusieurs milliers ont été blessés ou tués et certains ont fait défection, mais le gros des troupes est resté en place. De plus, l'armée s’est vue récemment renforcée par la création d’une organisation armée de défense nationale composée de volontaires civils.

    Sur le terrain

    Sur le terrain si l’Etat a vacillé, il ne s’est pas effondré loin de là. L’analyste Fabrice Balanche estime que "le régime abandonne à la rébellion les campagnes qui lui sont hostiles mais a choisi de se maintenir dans les grandes villes comme Alep, Idlep, Der Zor, Racca dont les rebelles n’ont pas réussi à s’emparer" ou encore que: "l'armée est solide, cohérente et hiérarchisée (…) Quant aux forces de l'opposition armée, si elles semblent gagner du terrain au moins dans le nord, leur avancée ne paraît pas pouvoir être décisive avant des mois, voire des années, compte tenu des rapports de force sur le terrain".

    Même analyse pour le premier ministre irakien Nouri al-Maliki qui vient d’annoncerque "le président syrien Bachar al-Assad pourrait résister aux tentatives d’être renversé pendant plus de deux ans", ce que par ailleurs Bachar al-Assad vient de confirmer en rappelant que "l'armée syrienne a à sa disposition des hommes et des armes qui suffiraient à faire la guerre pendant des années pour défendre la Syrie contre les insurgés".

    Pour l'expert Aymeric Chauprade, le pouvoir syrien a aujourd’hui le soutien d’une majorité des habitants du pays, c'est-à-dire l’addition de toutes les minorités et sans doute 30 à 40% des sunnites du pays, ce qui représente au total 60 à 70% de la population syrienne. Cela donne au régime une base légitime très forte bien que de nombreux médias occidentaux continuent à marteler que 80% des habitants du pays seraient opposés au pouvoir en place à Damas. La guerre en Syrie se transforme donc de plus en plus en un affrontement entre les forces conventionnelles (Etat, armée) et une rébellion armée qui a un fort soutien étranger, s’islamise de plus en plus, et dont les aspirations dépassent le cadre syrien. Malgré tout, pour Aymeric Chauprade, le régime syrien est en train de gagner la guerre sur le terrain, mais aussi sur le plan politique.

    Si Assad devait l’emporter, ou tout du moins son régime ne pas s’effondrer militairement, il est évident que celui-ci deviendrait un symbole et un héros au sein du monde musulman, et apparaîtrait comme celui qui aura su déjouer le complot étranger et occidental. Cette victoire renforcerait l’axe chiite (Iran – Syrie – Liban) et affaiblirait symboliquement l’axe sunnite (Turquie, monarchies du golfe) qui aurait ainsi collaboré sans succès avec les pays Occidentaux.

    L’axe Paris-Londres de nouveau ?

    Alors face à cette situation, quelle solution? Il semble que la France et la Grnade-Bretagne aient fait le choix d’une solution militaire, puisque les deux pays se disent prêts à livrer des armes à l’opposition syrienne, en violation de l’embargo européen en vigueur et alors même que l’islamisation de la rébellion semble avoir atteint un point qui inquiète la plupart des pays occidentaux. Pour leur part, les Etats-Unis semblent même se préparer à exécuter des frappes de drones pour liquider les islamistes radicaux en Syrie, ce qui au passage devrait ravir Bachar al-Assad. Paris et Londres sont-elles en train de faire le premier pas vers une intervention militaire indirecte activement encouragée par les émirats du Golfe et la Turquie? On peut aussi naturellement se demander ce qui adviendrait des armes livrées à la rébellion, si elles tombaient dans les mains de djihadistes qui décident de s’en servir ailleurs qu'en Syrie, dans l’avenir, et pourquoi pas contre les intérêts occidentaux, européens ou français, comme par exemple au Mali contre les soldats français.

    La Russie: clef du dossier Syrien ?

    Lorsque l’on évoque cette guerre cruelle à laquelle font face l’Etat et le peuple syrien, les regards se dirigent désormais systématiquement vers la Russie. Le pays soutient lui l’idée d’une solution politique et non militaire, et s’il est souvent présentée comme l’allié indéfectible du régime, et donc comme empêchant la chute du pouvoir syrien, il semble évident que la Russie est aujourd’hui le pion essentiel pour trouver un règlement à la situation.

    Une victoire d’Assad verrait en effet la Russie conforter sa position dans la région, et non comme le prévoient nombre d’analystes sa sortie totale de la géopolitique du Moyen-Orient. Par sa politique qui ne varie pas, la Russie apparaît en effet non seulement comme le protecteur du droit des minorités mais aussi comme le garant d’un droit international bafoué, comme ce fut le cas en Libye récemment.

    Pour Roland Lombardi, "dans le monde arabe, c’est la parole qui engage l’honneur; on y est respecté en fonction de ses amitiés. (...) Quand, devant un Arabe, on laisse tomber ses propres amis, fussent-ils des ennemis de l’Arabe en question, on se déconsidère". De fait, Vladimir Poutine, qui ne prend pas ses conseils auprès de pseudo-philosophes mondains mais plutôt auprès de ses efficaces services de renseignements et aussi, comme on l’a vu, auprès d’éminents spécialistes, sait qu’avec sa politique pragmatique et cohérente dans la région, la Russie signe finalement son grand retour sur la scène internationale et moyen-orientale.

    En définitive, elle pourrait très bien aussi redevenir l’acteur incontournable dans le traitement des problèmes du Moyen-Orient.
    Alexandre Latsa http://www.voxnr.com

  • Groenland: un nouveau marché pour les ressources énergétiques

    Au Groenland, les élections récentes ont été remportées par la sociale-démocrate Aleqa Hammond et elles pourraient fort bien modifier le visage de l’île autonome, sous souveraineté danoise;

    Quelques milliers d’électeurs ont choisi la sociale-démocrate Aleqa Hammond pour diriger le nouveau gouvernement du Groenland, une île de dimensions continentales mais qui n’a que la population d’un gros bourg (plus ou moins 57.000 habitants). L’opposition sociale-démocrate du “Siumut” (ce qui signifie “En Avant!”, comme le journal socialiste italien d’antan, “Avanti”, ou son équivalent allemand “Vorwärts!”) a battu le premier ministre sortant Kuupik Kleist et son parti socialiste “Inuit Ataqatigiit” (“Hommes et Solidarité”). Aleqa Hammond a obtenu 42,8% des voix et Kuupik Kleist, 34,4%. Le parti de Madame Hammond a obtenu quatorze sièges et une majorité relative sur les 31 sièges que compte le Parlement du Groenland. Elle devra former une coalition pour s’assurer une majorité absolue. Elle s’est d’ores et déjà affirmée prête à donner vie à une vaste coalition avec tous ceux qui sont disposés à en faire partie.

    L’intérêt politique et géographique que suscite aujourd’hui le Groenland est en grande partie dû aux changements climatiques en cours. Le dégel du permafrost en zone arctique a ouvert de nouvelles routes de navigation et a rendu plus facile l’accès aux ressources naturelles, que l’on trouve en abondance sur le “continent blanc” au Nord de l’Europe. Les investisseurs se bousculent pour obtenir une licence et exploiter au maximum les réserves de pétrole, de gaz, de minerais comme le fer, l’aluminium et les terres rares. “Il y a là-bas une quantité énormes de ressources de grande valeur qui attendent d’être exploitées”, a observé Jan Fritz Hansen, vice-directeur de l’association qui regroupe les armateurs danois. L’intérêt que portent les sociétés étrangères coïncide avec les aspirations des Groenlandais à devenir complètement indépendants du Danemark mais pour y arriver, ils doivent disposer de suffisamment de fonds propres; alors seulement, ils pourront satisfaire cette volonté fébrile de s’autonomiser par rapport à Copenhague. “Il sera bien intéressant de voir le résultat des élections”, avait souligné Damien Degeorges, un spécialiste du Groenland, fondateur de l’ “Arctic Policy and Economic Forum”, qui ajoutait que le Groenland avait toujours été jusqu’ici sous-évalué dans les projets de développement futur de la région arctique. Jusqu’à présent, une seule mine fonctionne au Groenland mais les autorités viennent d’augmenter considérablement le nombre de licences octroyées pour exploiter des minerais: le nombre de ces licences atteint désormais le chiffre de 150 unités. Il y a une dizaine d’années, les licences octroyées étaient moins de 10! L’exploitation potentielle des ressources pourrait apporter des richesses considérables aux citoyens du Groenland mais aussi leur faire courir des dangers nouveaux, surtout sur les plans écologique et social: pollutions à grande échelle et bouleversements dans l’ordre social pourraient en résulter.

    On prévoit l’exploitation d’une mine de fer près d’Issua, à quelques kilomètres seulement de la capitale, où des milliers de tonnes de ce minerais seraient disponibles pour être envoyées chaque année en Chine. Pour sa part, le géant américain ALCOA cherche depuis plusieurs années à installer un complexe de fusion de l’aluminium à Maniitsoq où des milliers de travailleurs chinois seraient embauchés à des prix nettement inférieur aux salaires locaux.

    Les élections qui viennent de se dérouler au Groenland, province autonome du Danemark, ont donc porté aux affaires le parti social-démocrate de Madame Hammond, favorable à l’exploitation des vastes ressources minérales de l’île, tout comme l’était d’ailleurs son rival politique, le leader socialiste Kleist. Les gisements d’uranium au Groenland, s’ils étaient exploités, pourraient redimensionner le marché mondial de l’énergie nucléaire. L’île, de par sa position géographique, forme également la porte d’accès à l’Arctique où la fonte progressive des glaces permet d’envisager l’ouverture de nouvelles routes de navigation maritime dans cette zone que l’on considère de plus en plus comme économiquement rentable et exploitable. Certains analystes estiment que l’intérêt que porte la Chine au Groenland est de nature plus économique que géopolitique. En effet, les puissances qui ont, au Groenland, des intérêts géostratégiques évidents sont surtout les Etats-Unis, le Canada, l’Union Européenne et les pays d’Europe septentrionale, sans oublier, bien entendu, la Russie. Tous ces Etats se contentent pour l’instant de sonder les fonds marins et de redéfinir le tracé des frontières maritimes dans l’Arctique. Le réchauffement du Groenland a déjà révélé bien des ressources du sous-sol de l’île, notamment les terres rares, c’est-à-dire les métaux utilisés comme ingrédients principaux dans la fabrication de téléphones cellulaires, d’armes et de technologies ultramodernes. C’est aujourd’hui la Chine qui contrôle environ 90% de la production globale de ces terres rares donc l’exploitation des gisements groenlandais pourrait mettre un terme au monopole chinois en ce domaine.

    Les villages de l’île qui jusqu’ici n’ont vécu que de la pêche s’inquiètent bien entendu des changements climatiques, dont l’effet premier est la fonte des glaces. L’uranium dans ce cas pourrait être l’occasion d’acquérir davantage d’indépendance et d’obtenir un travail plus sûr. Tout cela n’est pas sans danger pour la santé et pour l’environnement. Mais il n’y a pas que cela. Le quotidien danois “Politiken” estime que l’exploitation de ces gisements ne fera qu’augmenter le népotisme et la corruption, déjà solidement implantés dans les milieux politiques de l’île. A ce danger, il convient aussi d’évoquer une possible polarisation sociale déstabilisante pour la société groenlandaise: celle qui opposera les centres urbains proches des mines aux villages isolés. Tous ces éléments doivent nous induire à poser des questions quant à l’avenir du Groenland, victime prédestinée des grands consortiums américains et européens sans oublier ceux des pays émergents comme la Chine, la Russie et la Corée du Sud en toute première ligne.

    Andrea PERRONE.
    (article paru sur le site de la revue romaine “Rinascita”, 15 mars 2013, http://www.rinascita.eu/ ).

  • La lutte pour l’Afrique

    Au Mali comme au Soudan, les Etats-Unis tirent les ficelles et veulent chasser les Chinois du continent noir

    Des troupes françaises ont récemment chassé les islamistes des villes du Nord du Mali. Ainsi, le but officiel des opérations militaires est atteint: le gouvernement dans la capitale Bamako devrait retrouver sa pleine souveraineté sur l’ensemble du territoire malien. Mais le deuxième but de guerre n’est pas atteint: assurer pour le long terme les richesses du sol malien pour le bénéfice exclusif de la “communauté des Etats occidentaux”, surtout des Etats-Unis. On oublie trop souvent que le Mali est le troisième producteur d’or d’Afrique et dispose de grandes réserves d’uranium, de cuivre et de bauxite; de plus, les indices se multiplient qui permettent de supposer qu’il y a également des réserves de pétrole sous le sable du désert. On pense que ce pétrole se trouve dans le bassin de Taoudeni dans le Nord du pays; quatre consortiums étrangers —parmi lesquels la “China National Petroleum Corporation” (CNPC), dépendant entièrement de l’Etat chinois— procèdent à des missions d’exploration.

    Les rapports sino-africains

    Déjà en novembre 2011, le premier ministre malien Cisé Mariam Kaïdama Sidibé, alors encore en poste, estimait que l’étude de certaines données sismiques permettait “d’espérer”. Ensuite, cet Etat très pauvre voudrait aussi trouver une vocation de pays de transit pour l’énergie. “Le Mali pourrait offrir une route stratégique de transit pour l’exportation de pétrole et de gaz naturel en provenance de la région du Sud du Sahara en direction du monde occidental, et relier le bassin de Taoudeni au marché européen via l’Algérie”. Pourtant, la Chine pourrait s’interposer et freiner l’élan des Américains et des Européens, surtout si l’on se rappelle que l’Empire du Milieu va chercher en Afrique un tiers de ses besoins énergétiques, ainsi que de grandes quantités de cuivre et de fer.

    En bout de course, force est de constater que les Chinois disposent de quelques avantages par rapport aux Occidentaux: d’une part, ils ne bassinent pas les oreilles des Africains en leur tenant des discours hypocrites sur les “droits de l’homme” et sur la “démocratie”; d’autre part, il est plus aisé, pour les Chinois, qui détiennent des masses considérables de devises, de faire des “emplettes” en Afrique, en se montrant très généreux. La Chine a renoncé aux dettes de plus de trente pays africains et, au printemps de l’année 2006, pour ne citer qu’un seul exemple, le Président Hu Jintao a signé au Nigéria un accord qui permet à une entreprise chinoise d’exploiter à 45% un champ pétrolifère pour une compensation d’environ 1,8 millard d’euro; la Chine s’est ainsi incrustée dans le pays le plus riche en pétrole du continent noir.

    Les objectifs américains sur le long terme

    En tenant compte de cette présence chinoise en Afrique, on peut conclure que le Président français François Hollande n’a donné son feu vert pour l’opération militaire qu’avec l’assentiment des Américains. En effet, les Etats-Unis, comme la France, ancienne puissance coloniale, ont des intérêts stratégiques au Mali, comme l’atteste un rapport publié le 16 août 2012 par le CRS (“Congressional Research Service”), une agence d’études et de recherches du Congrès américain. Dans ce rapport, les auteurs constatent que la crise de longue durée qui affecte le Mali, “défie les objectifs politiques à long terme des Etats-Unis” et donc “l’efficacité des efforts américains déjà présents dans la région”.

    Il s’agit tout simplement des efforts que fournissent depuis quelques temps déjà les Etats-Unis pour asseoir leur hégémonie en Afrique, efforts auxquels nous n’avons pas prêté toute l’attention voulue en Europe. Boris Volkhonski, de “l’Institut Russe pour les Etudes Stratégiques” rappelle que l’ancien Président des Etats-Unis, George W. Bush, avait déjà concentré le gros de ses efforts à établir une domination américaine sur le “plus grand Moyen Orient”, ce qui avait obligé les Américains à “négliger manifestement” d’autres régions comme l’Afrique. Bush avait pourtant, de son propre chef, tenté en 2007 de rendre caduque cette erreur en créant l’AFRICOM, une structure régionale de commandement englobant tout le continent noir à l’exception de l’Egypte.

    Entretemps, l’AFRICOM est devenue le fer de lance des efforts hégémoniques américains en Afrique. Les Etats-Unis tentent de lier à eux leurs partenaires africains en leur envoyant des instructeurs militaires, en fournissant des armes ou en organisant des manoeuvres communes: tout cela se passe dans le cadre officiel de la “lutte contre le terrorisme”. Mais dans le fond, les Etats-Unis ont une toute autre idée derrière la tête, comme l’explique Maximilian C. Forte de l’Université Concordia de Montréal: “Les intérêts chinois sont considérés comme rivaux de ceux de l’Occident aux niveaux de l’accès aux ressources et de l’influence politique. L’AFRICOM et une série d’autres initiatives du gouvernement américain doivent être perçus dans la seule optique de cette rivalité”.

    Même la Commission européenne concluait il y a quelques années dans l’un de ses rapports, que les Etats-Unis déployaient en Afrique “une nouvelle stratégie”, s’orientant sur les directives de la Doctrine Carter. Cette dernière considérait, à la suite de l’entrée des troupes soviétiques en Afghanistan en décembre 1979, que toutes les activités développées par des puissances étrangères dans la zone du Golfe Persique étaient des actions hostiles aux Etats-Unis qui devaient être contrées de manière appropriée. Walter Kansteiner, un ancien sous-secrétaire d’Etat américain, qui avait été naguère un responsable des affaires africaines, justifiait la nécessité d’adapter la Doctrine Carter de la manière suivante: “Le pétrole d’Afrique relève pour nous d’un intérêt national et stratégique croissant et le deviendra toujours davantage”.

    L’exemple du Soudan

    Quand il s’agit d’imposer leurs intérêts stratégiques, les Etats-Unis n’hésitent jamais à s’immiscer dans les affaires intérieures d’autres Etats, comme le démontre le cas du Soudan, où, le 9 juillet 2011, le Sud chrétien et animiste s’est détaché du Nord islamique après une consultation populaire. Washington a soutenu massivement le mouvement sécessionniste du Sud-Soudan, non pas par souci humanitaire mais parce qu’il y avait des raisons stratégiques à ce soutien. En effet, les réserves de pétrole de l’ensemble du Soudan avaient été estimées à quelque cinq milliards de barils (= 159 litres), dont environ 85% se trouvaient dans le Sud aujourd’hui indépendant, grâce à la bienveillance de Washington. Qui plus est, le régime islamiste de Khartoum est depuis de nombreuses années un partenaire important de la Chine qui avait pris la place des Etats-Unis dans l’exploitation de l’or noir. Après que le consortium pétrolier américain Chevron se soit retiré du Soudan dans les années 80 à cause de la guerre civile qui ravageait le pays, la CNPC chinoise avait pris sa place et avait fini par détenir 40% des parts de la société pétrolière soudanaise “Greater Nile Petroleum Operating Company”.

    Khartoum a dû payer le prix fort pour sa coopération avec les Chinois. A ce propos, on trouve ce texte dans le “Washington Post” du 23 décembre 2004: “Les relations sino-soudanaises sont devenues très étroites, ce qui démontre que les liens économiques qu’entretient la Chine dans le monde éveillent des soucis quant aux droits de l’homme et commencent à contrarier les intérêts des Etats-Unis”. En décembre 2005, les instances américaines s’occupant d’aide au développement publiaient un “papier” de teneur stratégique dans lequel on pouvait lire que le Soudan relevait, pour les Etats-Unis, “de la plus haute priorité” vu son importance dans la lutte contre le terrorisme et pour la stabilité régionale. Cette importance, les chiffres sonnants et trébuchants la révèleront aussi.

    Une attention toute particulière

    Pour l’année financière 2009, les Etats-Unis ont versé quelque 420 millions de dollars en “aide humanitaire” au Soudan, avec bien entendu une attention toute particulière pour les provinces du Sud du pays. Il ne s’agissait pas vraiment de distribuer des vivres aux affamés, de construire ou de réparer des infrastructures mais surtout de mettre sur pied un appareil d’Etat. L’USAID, l’instance américaine qui s’occupe du développement à l’échelle mondiale, voyait, dans cette aide au Soudan, “une opportunité extraordinaire de travailler avec de nouvelles unités gouvernementales, pour soutenir avec elles un plan de réformes, qui, s’il réussit, consolidera les intérêts américains en politique étrangère dans la région, en contribuant à y asseoir la stabilité, non seulement en Iran mais dans toute la Corne de l’Afrique”.

    En conséquence de quoi Washington n’a rien omis pour affaiblir le Nord du Soudan et, par ricochet, la Chine. Sur le plan politique, cela s’est traduit par un soutien au “Mouvement de Libération Populaire du Sud-Soudan” (SPLM ou “Sudan People’s Liberation Movement”), la principale force politique dans le Sud du pays. Sur le plan de la propagande, le projet “Enough” a joué un rôle primordial. En théorie, et selon la définition qu’il donne de lui-même, ce projet milite pour “mettre un terme aux génocides et aux crimes contre l’humanité”. Son objectif réel était de créer un état d’esprit favorable à l’accession du Sud-Soudan à l’indépendance dans les médias occidentaux.

    “Enough” est indissolublement lié à deux noms: ceux de George Clooney et de John Pendergast. Clooney est un acteur connu d’Hollywood, dont on a utilisé la renommée pour garantir le succès de shows médiatiques ad hoc, tandis que Pendergast était un expert ès-questions africaines auprès du “Conseil de sécurité nationale” de l’ex-Président américain Bill Clinton; c’est lui qui avait conçu et mené la campagne médiatique et diplomatique contre le Soudan. Ensuite, les liens entre “Enough” et le “think tank” du parti démocrate “Center for American Progress” sont fort étroits. Ce centre, par ailleurs, bénéficie du soutien du spéculateur en bourse, le milliardaire George Soros.

    Dr. Bernhard TOMASCHITZ.
    (article paru dans “DNZ”, Munich, n°8/2013).
    merci R. Steuckers