géopolitique - Page 845
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Bernard Lugan - La crise au Mali
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Rachel Corrie, déjà 10 ans
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Pakistan: qu’y a-t-il derrière les affrontements religieux?
immobiliers et politiciens locaux ont fomenté les violences contre les chrétiens pour s’approprier leurs habitations
Les émotions viennent à peine de se calmer au Pakistan, où, le samedi 9 mars 2013, une foule de musulmans enragés avait mis le feu à plus d’une centaine de maisons chrétiennes à Lahore dans l’est du pays. Cette violence s’est déchaînée suite à une accusation de blasphème. Des manifestations de chrétiens, très dures également, s’en sont suivies en guise de riposte puis les polémiques se sont déchaînées notamment sur le rôle de la police et des autorités locales. Tous ces événements se déroulent sur fond d’un pays en crise économique et politique qui se serait bien passé de cette explosion de violences inter-religieuses, derrière lesquelles se dissimulent des intérêts économiques et politiques qui n’ont finalement pas grand chose à voir avec les religions. Dans la semaine du 4 au 9 mars 2013, par exemple, on a enregistré plusieurs attaques sanglantes contre la communauté chiite pakistanaise. D’après certains observateurs, cette “escalade” doit être interprétée en tenant compte de l’accord récent entre le Pakistan (à majorité sunnite) et l’Iran chiite, un accord visant la construction d’un gazoduc unissant les deux pays. Ce projet déplait évidemment aux Etats-Unis et aux autres ennemis de la République Islamique d’Iran dans la région (surtout à l’Arabie saoudite).
D’après les reconstitutions qui ont été faites suite aux débordements récents de Lahore, il y a, à la base de l’assaut perpétré contre le quartier chrétien de “Joseph Colony”, une banale rixe entre deux poivrots notoires. Le soir du 5 mars dernier, le chrétien Sawan Masih, âgé de 28 ans, qui travaille dans le secteur hospitalier, et son ami coiffeur, le musulman Shahid Imran, auraient eu une altercation dans le salon de ce dernier. Gros mots et insultes s’ensuivirent qui ont finalement débouché dans le domaine religieux. A la suite de quoi, le coiffeur a dénoncé son ami à la police, l’accusant de “blasphème”; les policiers ont en conséquence arrêté Sawan Masih (ou plutôt l’ont pris “en garde à vue”).
Aussitôt, le bruit se répand qu’un chrétien “a insulté le prophète Mohamet” et la communauté musulmane de la ville très peuplée de Lahore entre en ébullition. Samedi 9, une foule de quelque trois mille personnes se rue sur le quartier de “Joseph Colony”, auparavant évacué par la police qui, officiellement, craignait des désordres, et met le feu à une centaine d’habitations (d’autres sources parlent d’au moins 150 maisons détruites). Le lendemain, les chrétiens descendent à leur tour dans la rue, bloquent un carrefous important et affrontent la police à coup de pierres, de matraques et de grenades lacrymogènes. D’autres manifestations de protestation éclatent à Multan, toujours dans la province du Penjab, ainsi que dans la ville portuaire de Karachi, la plus grande ville du Pakistan.
Lundi 11 mars, les violences s’estompent mais font place aux polémiques. Les écoles chrétiennes du Penjab sont fermées, de même que celles de la province du Sindh, dans le Sud-Est, où se trouve Karachi. Entretemps, le comportement de la police de Lahore est dans le collimateur de la Cour Suprême pakistanaise. Après avoir décidé de s’occuper des causes de la violence survenue dans le quartier de “Joseph Colony” et après avoir pris acte d’un rapport des autorités provinciales du Penjab sur les incidents survenus, les juges ont accusé la police “d’y avoir assisté silencieusement” et de n’avoir rien fait pour prévenir les actes de vandalisme car “ils ont ordonné l’évacuation des familles le jour précédent”.
Selon l’ONG “Asian Human Rights Commission” (AHRC), c’est le projet d’un lobby immobilier qui se profile derrière les attaques du samedi 9 mars. Ce projet vise à mettre la main sur les propriétés des chrétiens avec la complicité des autorités locales. “Il y avait déjà quelques années que la mafia de l’immobilier convoitait le quartier de ‘Joseph Colony’ avec l’intention de le transformer en un grand espace commercial”, accuse un communiqué de l’AHRC, dont le siège se trouve à Hong Kong et qui s’occupe des droits des minorités religieuses en Asie. L’AHRC dénonce en outre un autre fait : dans la foule qui incendiait les maisons “se trouvaient quelques membres de l’assemblée législative locale et même un député national”. Tous appartiennent au parti de la “Ligue Musulmane du Pakistan-Nawaz” (Pml-N), qui se trouve dans l’opposition au Parlement national mais détient le pouvoir au Penjab.
Ferdinando CALDA. http://euro-synergies.hautetfort.com/
(article paru sur le site du quotidien romain “Rinascita”, 13 mars 2013, http://www.rinascita.eu/ ).
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Le fondamentalisme en Iran, création anglo-américaine
Les naïfs imaginent sans doute que l'identité iranienne correspond au fondamentalisme islamique qui y règne depuis 1979. Rien n'est plus faux. L'identité iranienne est une identité impériale, indo-européenne et perse. En effet, tous les historiens de l'Iran s'accordent à dire que, dès les dynasties bouyides et samanides (du 9e au 11e siècle), l'islamisation a dû composer avec de multiples recours au passé impérial irano-perse. L'identité iranienne se situe entièrement dans l'œuvre du poète Ferdowsi et du philosophe mystique Sohrawardi. Il faudra la catastrophe des invasions mongoles d'un Tamerlan pour réduire cette merveilleuse synthèse civilisationnelle à néant, pour précipiter l'Iran dans le déclin, du moins jusqu'à l'avènement des Séfévides. Les iranologues contemporains se divisent quant à savoir si la reprise en main de l'impérialité perse par les Séfévides a été ou non un bienfait pour l'Iran : les uns affirment que cet avènement dégage l'Iran de la cangue islamique sunnite, de la double emprise arabe et ottomane ; les autres disent qu'en privilégiant le chiisme, en en faisant une religion d'Etat, les Séfévides ont réduit à la marginalité le zoroastrisme, expression identitaire iranienne plurimillénaire qui avait survécu vaille que vaille sous l'islam pré-séfévide. Trancher dans cette querelle d'historiens n'est pas notre propos ici, mais d'examiner comment le fondamentalisme de l'ayatollah Khomeiny s'est imposé dans un État impérial qui entendait s'inscrire dans d'autres traditions, dans des traditions de plus grande profondeur temporelle.
EVALUATION POSITIVE DU RÔLE DES SÉFÉVIDES EN EUROPE
L'avènement des Séfévides est généralement vu d'un bon œil dans l'historiographie traditionnelle européenne, pour plusieurs raisons :
- L'empereur séfévide ayant épousé une princesse byzantine de Trébizonde va dès lors tenter de venger Byzance contre les Ottomans sunnites, qui reprennent à leur compte le vaste territoire où s'était préalablement exercée la souveraineté romaine/byzantine. De cette manière, le conflit séculaire entre la Romania orientale et les empires perses reprenait mais sous d'autres signes.
- L'empereur séfévide se pose ainsi comme le principal ennemi à l'est de l'empire ottoman qui assiège l'Europe sur le Danube et en Méditerranée. Il est l'allié de revers de Charles Quint. L'œuvre politique des Séfévides et leur action militaire ont donc contribué à alléger la pression ottomane en Europe. En 1529, le sultan doit lever le siège de Vienne parce que les Perses attaquent à l'est. Cette guerre se soldera par une défaite perse et par l'émergence d'une frontière qui existe toujours aujourd'hui : en effet, la frontière entre l'Irak (à l'époque conquête récente de Soliman le Magnifique) et l'Iran, d'une part, entre la Turquie et l'Iran, d'autre part, demeure quasiment celle qui a résulté de cette guerre perso-ottomane du 16e siècle. Elle sanctionne également la division des peuples kurde, azéri et arménien, partagés entre les deux empires.
Les empereurs séfévides vont donc privilégier le chiisme, en faire l'islam de leur empire, contre les sunnites, accusés de collusion avec les Ottomans, et contre les zoroastriens, dont le nombre se réduira au minimum dans l'empire perse. Une bonne partie d'entre ceux-ci va émigrer vers l'Inde, où ils constituent toujours la minorité des Parsi. Les Séfévides s'opposeront aussi aux fraternités soufies. En ce sens, les Séfévides commettent une série d'entorses à l'identité iranienne, car les synthèses lumineuses qui voyaient le jour dans l'Iran d'avant Tamerlan et s'y succédaient par transition plus ou moins douce étaient bien plus fécondes que le sera le futur chiisme d’État des Séfévides. Les historiens critiques à l'endroit du chiisme d’État, imposé par les Séfévides, accusent ceux-ci d'avoir utilisé deux instruments non iraniens pour faire triompher leur cause : les Qizilbakh turkmènes et les théologiens chiites arabes, deux forces religieuses qui ne puisaient pas dans le vieux fonds iranien/persan. Le chiisme restera religion d’État jusqu'aux Pahlevi.
Khomeiny s'inscrit dans cette tradition tout en rompant aussi avec elle, comme nous allons le voir.
LES MOLLAHS, CLERGÉ CHIITE
La principale caractéristique du chiisme perse est la présence d'un clergé, celui des mollahs. Le jargon médiatique a parlé, depuis l'avènement de Khomeiny, de "mollahcratie". La présence de ce clergé fait de l'empire perse séfévide et post-séfévide un Etat fort différent de l'empire ottoman sunnite, qui est, lui, dépourvu de clergé organisé. En ce sens, on a parfois qualifié l'empire séfévide de "césaropapiste". Le système est en tout cas dual, comme à Byzance et en Occident au temps des Othoniens dans le Saint Empire, avant la querelle des Investitures. L'empire perse séfévide présente donc deux sphères autonomes, celle du "politique", apanage du Shah, et celle de la religion, apanage du clergé chiite. La sphère de la religion reçoit tour à tour deux interprétations :
- celle des Akhbaris, mystiques, qui fondent la légitimité religieuse sur le charisme du mollah ou de l’imam ;
- celle des Ouzoulis, interprètes plus rationnels du droit qui demandent simplement de se soumettre au jugement de l'homme cultivé, du clerc, sans déployer d’incantations "mystiques".
Le chiisme d’État encourage également les pèlerinages, non pas vers La Mecque, comme dans la tradition sunnite arabe et ottomane, mais vers le tombeau des Imams, des grands hommes ou des poètes, tradition qui s'est perpétuée jusqu'à nos jours. Les wahhabites saoudiens perçoivent dans cette pratique chiite et persane des pèlerinages une hérésie inacceptable.
Le chiisme d’État repose sur un messianisme particulier : celui qui attend le Mahdi, le retour de l’imam caché. Cette attente messianique postule, pour le croyant, d'agir toujours pour cet Imam caché. Dans l'histoire perse, depuis l'avènement des Séfévides, le messianisme a adopté une attitude essentiellement quiétiste : le croyant devait attendre la fin des temps pour agir réellement, dans la concrétude mondaine, sous la direction mystique et avisée du Mahdi. Khomeiny va bousculer cette tradition : il va vouloir combattre tout de suite afin de créer un Etat chiite-islamique pur pour pouvoir saluer l'avènement du Mahdi, pour être présent et en armes tors de son arrivée.
AVANT KHOMEINY : LE QUIÉTISME
Quelle fut l'attitude face au Shah avant Khomeiny ? Le quiétisme religieux de l'ère séfévide percevait le Shah comme une personne sacrée, comme l'ombre de Dieu sur la Terre. Seul prélude à l'attitude hostile d'un souverain iranien au clergé des mollahs, attitude qui caractérisera ultérieurement le règne des deux Shahs Pahlevi : le puissant Nadir Shah, au XVIIIe siècle, s'opposera à la hiérocratie chiite en lui coupant les vivres. Avec les Shahs de la nouvelle dynastie Qadjar, on assiste à une réconciliation avec le clergé mais sous l'influence accentuée des Ouzoulis. Shahs Qadjar et Ouzoulis jettent les bases d'un nouveau partage du pouvoir. Les Ouzoulis récupèrent les dotations au clergé, auparavant ôtées par Nadir Shah, et raffermissent du même coup leurs positions dans les domaines de la justice et de la conciliation juridique. Les effets de cette nouvelle donne politico-religieuse font que le Shah se voit petit à petit dépouillé de ses attributs "divins". La position du Shah est désacralisée mais non pour autant délégitimée. Le Shah et le clergé chiite demeurent donc tous deux des représentants de l'Imam caché. Le Shah doit assurer dans la concrétude politique et quotidienne l'ordre réclamé par la religion, notamment il doit garantir dans le pays le règne de la justice (sociale). Les clercs, dans ce partage des tâches, détiennent le savoir religieux et le leadership spirituel, posé comme intangible et incontestable. Les clercs disent la justice et deviennent les protecteurs du peuple contre les abus des propriétaires terriens, des gendarmes et de l’État. On percevra en Europe catholique des attitudes similaires : en Irlande contre le pouvoir britannique, en Flandre contre les institutions de l’État belge (notamment dans les rangs du bas clergé rural), en Croatie contre le pouvoir royal serbe, en France rurale contre les inventaires de la première décennie du XXe siècle, etc.
Deux événements vont bouleverser les équilibres de la société iranienne à la fin du XIXe siècle : la régie des tabacs, entreprise lucrative, devient un monopole anglais et prive du coup l’État perse d'une formidable source de revenu. De plus, cette disposition installe une forme de semi-colonialisme dans la plus ancienne aire impériale de l'histoire des peuples de souche indo-européenne. Second événement : l'établissement d'une constitution, calquée sur la loi fondamentale belge, en 1906-1907. En 1906, les clercs refusent cette constitution parce qu'elle est un élément étranger et ne correspond en rien aux traditions chiites. En 1907, le clergé fait volte-face et l'accepte parce que cette constitution, finalement, contient bon nombre de clauses qui le favorisent. Malgré cette acceptation initiale, les réactions ne tardent pas : le Shaykh Fazlullah Nouri proclame que la constitution et le parlementarisme sont contraires à l'esprit de l'islam et réduisent finalement le pouvoir du clergé chiite organisé (on peut tracer un parallèle avec les réactions diverses des catholiques belges : depuis les ultramontains, engagés socialement, jusqu'aux daensistes soucieux de la condition ouvrière, aux étudiants louvanistes de l'ACJB, à bon nombre d'éléments du mouvement flamand catholique et aux rexistes d'avant-guerre, ils auront, face à cette constitution et au parlementarisme, des réactions similaires).
CRITIQUE DE LA CONSTITUTION À LA BELGE, PROPOSÉE PAR LES BRITANNIQUES ET LEURS ALLIÉS
Quels arguments avance le Shaykh Fazlullah Nouri ? Le Parlement, qui est légiférant, implique, dit-il, un système où c'est la majorité qui décide en fin de compte. Or une telle majorité met tout le monde sur un pied d'égalité (chrétiens, arméniens, juifs, zoroastriens, forces para-maçonniques, etc.), y compris, au-delà de tous clivages religieux, les "ignorants". De telles majorités, composées d'éléments disparates et inégaux, bat en brèche les prérogatives du clergé, représentant de l'Imam caché. Fazlullah Nouri reproche aussi au constitutionnalisme de mouture belge, que les Anglais imposent indirectement à la Perse des derniers Qadjar, de fixer d'avance et pour l'éternité des droits et des devoirs, sans qu'il ne soit plus possible de les adapter au gré des circonstances réelles de la société ou des conjonctures politiques (on retrouve ce reproche chez Max Weber et Cari Schmitt, critique particulièrement pertinent de la "nomocratie", vecteur d'immobilisme ou d'intransigeance abstraite). Dans le contexte d'un Iran devenu monarchie constitutionnelle à la belge, le clergé devient une institution parmi d'autres, ruinant du même coup la dualité traditionnelle héritée des empereurs séfévides et reposant sur la personne du Shah et sur le clergé. L'avènement de la constitution et du parlementarisme entraîne l'émergence d'une administration moderne, qui empiète automatiquement sur les prérogatives traditionnelles du clergé. Les critiques du Shaykh Nouri ressemblent, mutatis mutandis, à celle d'un Max Weber : si les fonctionnaires sont bons, intègres, formés à bonne école et recrutés par examens, ils constitueront un bienfait pour l’État. Au contraire, si les fonctionnaires sont nommés au pro rata des voix accordées à des pochards, des politiciens de café du commerce, des corrompus véreux, des prostituées recyclées, des déments narcissiques ou des imbéciles finis, le fonctionnariat, devenu ainsi pléthorique, sera rapidement une calamité, comme on le constate dans bon nombre de pays européens, Belgique en tête.
Le système constitutionnaliste perse survivra à peine à la première guerre mondiale. Reza Khan, devenu Reza Shah en 1926, s'opposera tant aux corrompus du parlementarisme qu'au clergé ; dans son opposition à la religion islamique, on peut voir une imitation de son homologue turc Mustafa Kemal Atatürk. L'attitude que les deux Shahs Pahlevi imposent au clergé est celle du quiétisme. Le fils, Reza Shah, qui monte sur le trône en 1941, organise, avec l'ayatollah Boruyerdi, la conférence de Qom en 1949, où le clergé promet de ne pas s'immiscer dans les affaires politiques de l'empire. Tout clerc qui désobéirait à l'esprit de la conférence de Qom se verrait immédiatement exclu de la classe des clercs.
L'IRAN PENDANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE ET L'OPTION PRO-AMÉRICAINE
Comment, dans un tel contexte, va naître le fondamentalisme chiite de Khomeiny ? D'abord un rappel historique : Britanniques et Soviétiques violent la neutralité iranienne en 1941. Le pays est occupé, divisé en deux zones, avec les Soviétiques au nord et les Britanniques au sud. Reza Shah est éliminé, envoyé en exil aux Seychelles puis en Afrique du Sud, où on le laisse mourir d'un cancer non soigné. Son fils Mohammed Reza Pahlavi est intronisé empereur à la place de son père. Les Américains envoient des équipes d'ingénieurs civils pour réorganiser les chemins de fer iraniens et parfaire une logistique qui mène du golfe Persique à la Caspienne et de la Caspienne à la Volga pour alimenter en matériels américains l'armée soviétique aux abois depuis ses revers de 1941 et de l'été 1942. La logistique transiranienne, organisée par les Américains, permettra de bloquer l'avance allemande en direction du Caucase méridional et des puits de pétrole azerbaïdjanais et en direction de Stalingrad, Astrakhan et la Caspienne. Mohammed Reza Shah va parier sur les Américains. Pourquoi ? Quel est son raisonnement en 1944-45 ? Les Américains ne sont pas des occupants militaires, contrairement aux Soviétiques et aux Britanniques. Ils n'ont pas de frontières communes avec l'Iran. Le jeune Shah craint surtout une annexion des provinces azerbaïdjanaises de l'Iran par l'Azerbaïdjan soviétique. Il croit aussi que les troupes soviétiques refuseront d'évacuer les rives caspiennes de l'Iran. Ensuite, il a peur de voir les Britanniques absorber le Baloutchistan iranien, de le joindre à la province du même nom dans le Pakistan actuel, qui faisait partie, à l'époque, des possessions indiennes de la Couronne britannique.
L'Iran, en dépit de son occupation, connaît un boom économique pendant la seconde guerre mondiale, assorti d'un exode important de ruraux vers les villes. En 1942, Téhéran est secouée par des émeutes de la faim. Après la guerre, et avec la chute des productions militaires destinées aux Soviétiques et aux Alliés occidentaux, l'Iran doit affronter les problèmes posés par le trop-plein démographique urbain. Il les règle en distribuant à ces foules des grandes villes les dividendes du pétrole. En 1953, le Dr Mossadegh, un nationaliste laïque, entend nationaliser les pétroles, toujours sous contrôle anglais, et rejeter l'inféodation de l'Iran aux États-Unis. Le Shah craint une alliance entre nationalistes et communistes, qui serait appuyée par l'URSS. Mais le clergé et les bazaris, les commerçants du Bazar de Téhéran, ne soutiennent pas le Dr Mossadegh. Celui-ci est renversé par un putsch, soutenu par Washington et Londres, mais les questions soulevées par lui, surtout la nécessité de nationaliser les pétroles et d'acquérir une autonomie énergétique, demeurent depuis lors les questions cruciales de la politique iranienne : elles seront au centre de la polémique contre le Shah ; elles sont au centre de la polémique entre l'américanosphère et Ahmadinedjad aujourd'hui.
LA RÉFORME AGRAIRE
Après le départ de Mossadegh, le Shah prend conscience de la nécessité d'une révolution sociale en Iran, une révolution qu'il voudra "blanche", c'est-à-dire téléguidée d'en haut, depuis l'empyrée du pouvoir impérial. Elle vise trois réformes essentielles : l'organisation d'un système éducatif moderne et performant (y compris pour les filles), détaché du clergé ; le droit de vote pour les femmes ; la réforme agraire. C'est la réforme agraire qui freinera le succès de la « révolution blanche » en raison d'une donnée incontournable : seulement 11 % du sol iranien sont cultivables ; or 22 % de la population active (encore aujourd'hui) sont dans l'agriculture. Avant la révolution blanche, le système était latifundiste, constitué de grandes propriétés terriennes. Chacun, sur son lopin, produit pour sa famille, avec, éventuellement, un petit surplus. Ce système se révèle insuffisant pour nourrir correctement les masses urbaines : il faut importer des céréales américaines, donc consentir à la dépendance alimentaire. Avec la réforme agraire, chaque paysan reçoit son lopin en pleine propriété. Les grands propriétaires sont dédommagés. Mais à chacun de ces paysans devenu propriétaire se pose un problème crucial : comment va-t-il financer l'achat de machines pour mettre en valeur ses nouvelles terres ? Un grand nombre de ces nouveaux petits propriétaires sont donc contraints à l'exode vers les villes, après avoir abandonné leur lopin. Une partie de cette masse est absorbée par l'industrie. Une autre partie reste sur le carreau. Les masses urbaines sont gonflées par ce nouvel afflux de population. Du coup, les dividendes pétroliers ne suffisent plus pour les nourrir.
Le Shah aurait pu sortir de cette impasse en 1973, quand l'OPEP décida d'augmenter le prix du brut pour assurer le financement d'infrastructures dans les pays exportateurs de pétrole. C'est la raison pour laquelle il apporta son soutien à l'OPEP, majoritairement arabe, en dépit de la solidarité inflexible qu'il manifestait à l'égard des États-Unis. Cette option de l'empereur pour une solidarité entre pays producteurs de pétrole va définitivement lui aliéner Washington. Les relations n'étaient déjà plus au beau fixe depuis Kennedy, qui se méfiait du développement de l'armée iranienne, capable de devenir l'instrument d'une puissance régionale indélogeable et incontournable, surtout à proximité des puits de la péninsule arabique et à hauteur du Détroit d'Ormuz.
L'AXE ÉNERGÉTIQUE PARIS/BONN/TÉHÉRAN
Pour le spécialiste suédois de la géopolitique pétrolière William Engdahl, la colère américaine contre le Shah vient de la volonté du monarque 1) de doter son pays d'un programme nucléaire destiné non pas à l'Iran seul mais à tout l'espace circum-iranien, 2) de diversifier la dépendance iranienne vis-à-vis du pétrole et 3) de coopérer avec la France (l'uranium de Tricastin) et avec l'Allemagne (la compagnie KWU est appelée à construire deux réacteurs, avec, en sus, un financement complémentaire de 19 milliards de DM, consenti en 1977 pour la construction d'autres infrastructures). Cette coopération euro-iranienne n'allait pas en sens unique : les Iraniens investissaient en Allemagne (25 % du capital de Krupp) et en France dans les entreprises gérant les technologies du nucléaire. Un Axe énergétique Paris-Bonn-Téhéran se mettait en place : voilà pourquoi il fallait éliminer le Shah, après avoir liquidé, par l'intermédiaire de la Bande à Baader, le président de la Dresdner Bank, Jûrgen Ponto (assassiné le 31 juillet 1977), et le patron des patrons allemand, Hanns-Martin Schleyer, tous deux avocats d'une modification complète du système économique international, après que Nixon eut déclaré la non-convertibilité du dollar en or. Ce double assassinat en Allemagne, faut-il le préciser, suit celui du roi Fayçal d'Arabie, perpétré le 25 mars 1975 ; le monarque séoudien avait tenté de réorganiser l'OPEP, de concert avec le Shah, prouvant par là même que le système que préconisaient les deux hommes n'était pas belligène en dépit de l'hostilité ancestrale entre Arabes sunnites/wahhabites et Perses chiites. Washington, affolée face à la redistribution des cartes qui s'opérait sur la scène internationale, applique, via Kissinger, une politique intransigeante à l'endroit de ses alliés officiels, quasi une politique de collision frontale, prouvant que les « bonnes intentions » affichées par les Américains depuis la fin des années 1940 n'étaient que des leurres ; les alliés, qu'ils fussent d'anciens alliés ou d'anciens vaincus, demeuraient, dans le fond, des concurrents des États-Unis, donc des ennemis à abattre au moment opportun.
LA CIA PARIE SUR KHOMEINY
Pour recréer, au moins artificiellement, la confiance perdue dans les opinions publiques "alliées", pour retoucher ce tableau pessimiste, tissé de conflictualités réelles et résurgentes, en dépit des alliances officielles, il fallait inventer une nouvelle idéologie édulcorante : ce sera l'idéologie des « droits de l'homme », portée par le nouveau président des États-Unis, promu dans les média en 1975 et intronisé en 1976 : Jimmy Carter, ancien cultivateur de cacahuètes en Géorgie. La diplomatie américaine évolue très rapidement dans les années 1960 et 1970 : elle est marquée par le passage de la diplomatie classique de Kissinger au temps de Nixon à une diplomatie modifiée et axée sur la confrontation directe ou indirecte avec les alliés officiels de Washington, puis à la diplomatie cartérienne des « droits de l'homme ». Dans ce contexte bouillonnant et tourbillonnant, la CIA est appelée à agir rapidement, avant que les alliés ne comprennent réellement ce qui arrive. Elle va parier sur les mollahs iraniens parce qu'ils ne suggèrent aucun projet "moderniste", contrairement au Shah (ou au roi Fayçal, en dépit des blocages potentiels de l'idéologie wahhabite). Le calcul des services américains est le suivant : si les mollahs n'ont pas de grands projets de modernisation, les dividendes pétroliers suffiront pour apaiser le pays et ses masses déclassées à la suite de l'échec (relatif) de la réforme agraire. Il n'y aura pas de programme nucléaire, donc aucune coopération future de réelle importance avec les puissances économiques européennes, qui demeureront dès lors inféodées aux États-Unis, sans risquer de faire cavaliers seuls. La CIA va donc créer le personnage de Khomeiny, le choisir comme figure privilégiée du bouleversement appelé à neutraliser l'Iran, à le plonger dans un marasme de longue durée, l'empêchant ainsi de devenir une puissance régionale qui compte.
LE PROGRAMME DE LA "RÉVOLUTION BLANCHE"
Qui est Khomeiny ? Avant toutes choses, il est hostile au quiétisme traditionnel adopté par les chiites depuis l'avènement des Qadjar et la Conférence de Qom de 1949. Ce quiétisme va perdurer sans heurts jusqu'à la mort de l'ayatollah Boruyerdi en 1961. Le quiétisme a été une période faste pour le clergé chiite : son autonomie était garantie par le principe de dualité et ses écoles, comme du reste tout le système scolaire iranien, vont se redresser dans les années 1950. En 1959, quand le Shah annonce qu'il va introduire le vote des femmes et amorcer la réforme agraire, le clergé n'appelle nullement à manifester, alors que les thèmes étaient sensibles, susceptibles de provoquer une vigoureuse contestation de nature religieuse. En 1961, une fois l'ayatollah Boruyerdi disparu, le Shah annonce le programme entier de sa « révolution blanche », que le peuple pourra accepter après référendum, prévu pour le 26 janvier 1963. Ce programme comprenait :
- la réforme agraire ;
- la nationalisation des forêts ;
- la privatisation des entreprises nationales ;
- la participation et l'intéressement des travailleurs (projet calqué sur les projets gaulliens) ;
- la réforme électorale ;
- la création d'un « corps d'alphabétisation ».
Mais simultanément, à l'annonce de cet ambitieux programme de modernisation de l'Iran, le Shah traite les clercs de "parasites", de « réactionnaires noirs » et d'« animaux impurs ». En substance, il déclare : « Nous en avons assez des parasites sociaux et politiques ; j'abhorre la "réaction noire" encore plus que la "destruction rouge". » Ce discours sanctionne la rupture entre le pouvoir royal/impérial et le clergé.
L'ENGRENAGE
En 1962, Khomeiny avait déjà tenu quelques discours incendiaires contre le droit de vote des femmes. En janvier 1963, à la veille du référendum qui doit légitimer le programme de la « révolution blanche », il déclare s'opposer à la réforme agraire, alors que le clergé ne l'avait jamais rejetée auparavant. Pourquoi cette nouvelle hostilité ? Parce que cette réforme touche aussi les terres détenues par les fondations religieuses. En mars 1963, les étudiants en théologie manifestent à Qom, à l'instigation de Khomeiny. La répression est dure. Le 3 juin 1963, c'est le jour de l'Achoura, fête de première importance chez les chiites duodécimains ; elle consiste en une procession en souvenir de l'assassinat du troisième Imam Hussain sur ordre du Calife sunnite Yazid, en 680 à Kerbala (Irak actuel). Pour expliquer de manière succincte l'importance à la fois religieuse et politique de l'Achoura, disons que chaque croyant doit promettre, ce jour-là, de « prendre la place d'Hussain, de voler à son secours », contre l'injustice commise par Yazid. Sont des "Yazids" tous ceux qui enfreignent les lois de l'islam et commettent l'injustice. Dans un tel contexte religieux, le Shah était devenu un Yazid. Le 3 juin 1963, donc, jour de l'Achoura, Khomeiny tonne un discours incendiaire qui conduit immédiatement à son arrestation. Celle-ci déclenche des manifestations dans toutes les villes d'Iran, orchestrées par les bazaris. Troubles et répression s'ensuivent, contraignant Khomeiny à prendre en 1964 le chemin de l'exil, d'abord en Turquie, puis en Irak, où il s'installera à Nadjaf, près du tombeau d'Ali. Enfin, à Neauphle-le-Château en France, quand le pouvoir baathiste irakien, laïque et républicain, l'expulse par crainte d'une contagion en Irak même, au sein de la forte minorité chiite du Sud.
LA "RENAISSANCE THÉOLOGIQUE" DE KHOMEINY
À Nadjaf, la pensée de Khomeiny va prendre les contours précis que nous lui connaissons depuis 1978. On parle à son propos d'une « renaissance théologique ». L'ayatollah en exil va briser d'abord la dualité Shah/clergé qui avait caractérisé l'Iran chiite depuis les Séfévides. Il déclare en effet que la monarchie est incompatible avec l'islam ; cela implique que tant que llman ou le Mahdi restent cachés, seuls les clercs ont droit au pouvoir (« velayet-e faqih »). Il réhabilite le culte du martyr, refoulé par le quiétisme dominant avant sa « renaissance théologique » : si l'on meurt en combattant le Shah, désormais totalement délégitimé et ramené à la figure négative d'un Yazid, on acquiert automatiquement le statut de martyr. En résumé, c'est un appel aux suicidaires, dont on va faire des kamikazes dans les champs de mines ou des preneurs de tranchées (pendant la longue guerre Iran/Irak de 1980-88). Sur le plan plus strictement politique, Khomeiny avance pendant son exil irakien deux leitmotive : 1) il faut en finir avec l'immunité dont jouissent tous les citoyens américains actifs sur le territoire iranien - immunité dont ils jouissaient aussi par ailleurs en Grande-Bretagne depuis 1942 et en Allemagne depuis l'occupation de 1945 - ; 2) il fustige l'endettement de l'Iran, argument plus concret que le Shah retiendra comme valable, dans la mesure où tous ses propres efforts pour conduire à l'autarcie énergétique de l'Iran, notamment sur le plan nucléaire, furent simultanément des efforts pour le dégager de l'endettement. Pendant son exil, Khomeiny soulèvera d'autres polémiques, comme, en 1967, contre le train de lois sur la protection de la famille ou, en 1971, contre les dépenses entraînées par les fêtes de Persépolis, destinées à donner un lustre inégalé au principe monarchique achéménide, revendiqué par les deux Shahs de la dynastie Pahlevi. En 1976, Khomeiny s'insurge contre l'introduction du calendrier achéménide, perçue comme une atteinte directe à l'islam, à la liturgie duquel il oppose une autre liturgie, se référant à un passé préislamique, donc relevant de la "jalilliyah", aux yeux des islamistes.
Dans les années 1970, les clercs réussissent à organiser les masses issues de l'exode rural, concentrées dans les grandes villes iraniennes et que, dans les années 1950 et 1960, l'industrie, en phase de croissance rapide, absorbait aisément. À la veille du premier choc pétrolier, consécutif à la guerre du Yom Kippour de 1973, cette absorption du boom démographique iranien n'est plus possible et la rente pétrolière, aussi fabuleuse soit-elle, ne parvient pas à satisfaire les besoins des déclassés. A partir de 1975, la tension monte donc. Mais il faudra attendre deux ans environ pour que le pays explose : le 3 novembre 1977, le fils de Khomeiny meurt dans des circonstances mystérieuses. Aussitôt, des manifestations violentes éclatent à Téhéran, juste avant la période de l'Achoura. Or la tradition chiite veut que s'il y a un mort par violence pendant ce temps sacré, on doit le commémorer par des processions quarante jours plus tard. Ce sera l'enchaînement fatal qui aura raison du pouvoir impérial : les processions tournent à la manifestation ou à l'émeute ; les forces de l'ordre réagissent : il y a des morts. Qu'il faut commémorer quarante jours plus tard, par d'autres processions/manifestations qui seront réprimées tout aussi durement par la police, avec mort d'hommes. Le scénario s'est répété inlassablement.
LA PRESSE FLÉTRIT KHOMEINY, LES ÉTUDIANTS EN THÉOLOGIE MANIFESTENT À QOM
En janvier 1978, la presse officielle publie un article virulent et caustique contre Khomeiny où le dignitaire religieux est campé comme la tête des « réactionnaires noirs alliés aux communistes » ; on l'accuse d'être un étranger, un Pakistanais et non un Iranien de souche, dont les ancêtres, qui s'appelaient Hindi, auraient changé de nom en s'établissant dans la petite ville de Khomein. L'article accuse encore Khomeiny d'être un « espion britannique », de mener une vie de luxe et de luxure, et d'être un « érotomane pathologique » (sous prétexte qu'il avait commenté certains poèmes soufis à connotations érotiques). A la suite de cet article, de nouvelles émeutes éclatent à Qom, menées, une fois de plus, par les étudiants en théologie. Ils réclament le retour de Khomeiny, le rétablissement de la constitution de 1906-1907. Ils n'exigent pas encore l'avènement d'une République islamique. Omission qui laisse subodorer en filigrane, derrière le discours islamiste véhément et apparemment anti-occidental, une volonté américaine, puisque lïdee d'une constitution de type belge, importation britannique, avait déjà suscité le scepticisme de tous les partis perses de l'époque, sauf ceux qui cherchaient délibérément la protection britannique. Les émeutes déclenchées à Qom par les étudiants en théologie enclenchent un nouvel engrenage fatidique.
L'opposition est encore composite début 1978. L'ayatollah Madari veut simplement la constitution sans abolir la monarchie. Le théoricien Ali Shariati se revendique d'un chiisme socialiste, séduisant pour tous les sociaux révolutionnaires du pays qui se disent religieux mais anticléricaux. Il y a ensuite les partisans de Khomeiny qui veulent un retour aux principes purs de l'islam, à la façon des hanbalistes dans le monde sunnite mais en conservant lïdée d'un clergé dominant, propre au chiisme et conforme aux principes de sa propre « renaissance théologique », élaborée lors de son exil irakien. Il y a ensuite la masse des contestataires laïques du pouvoir impérial : les anciens du Front National du Dr Mossadegh et les communistes du Toudeh, flanqués de leurs milices, les « Moudjahid-din du Peuple » (qui deviendront ultérieurement, après leur éviction par les khomeinystes, le noyau dur de la Garde Républicaine de Saddam Hussein, y compris lors de la guerre Iran/Irak). Khomeiny, qui sortira vainqueur du lot, radicalise donc un mouvement, né dans les années 1960 et demeuré jusqu'alors fort modeste, qui poursuivait quatre objectifs principaux :
0 Rejeter définitivement le quiétisme conventionnel des dignitaires du clergé chiite iranien depuis les Shahs de la dynastie Qadjar et la Conférence de Qom (1949), sanctionnée par l'ayatollah Boruyerdi, décédé en 1961. L'abolition du quiétisme implique une repolitisation de l'islam, de renouer avec des principes d'action.
- Réorganiser le clergé, en faire une instance combattante dans l'arène politique iranienne.
- Rationaliser et centraliser les finances du clergé, afin de le doter d'une autonomie permanente au sein de la société iranienne.
- Améliorer la formation du clergé.
Au départ, la volonté d'atteindre ces quatre objectifs ne s'oppose pas nécessairement à la personne du Shah ni à la modernisation de la société.
LE CHUSME SOCIALISTE D'AU SHARIATI
Ali Shariati, théoricien d'une « révolution socialiste chiite », formule une idéologie contestatrice plus "moderne", que l'on peut classer parmi les « messianismes du tiers-monde », comme on les désignait à l'époque où la décolonisation venait de se dérouler à grande échelle sur le globe. Il appelle 1) à rejeter le quiétisme, à l'instar des religieux adeptes de Khomeiny ; 2) réclame le droit à la parole pour les intellectuels non cléricaux qui s'inscrivent dans le cadre du chiisme (il élargit ainsi la notion de clercs et flanque ipso facto le clergé d'une caste militante d'intellectuels et d'écrivains chiites non affectés par le quiétisme et animés par la volonté de faire triompher la justice sur la terre) ; 3) opère une distinction entre le « chiisme des Séfévides » (et des Pahlevi), qu'il catalogue comme "corrompu", et le « chiisme d'Ali », chiisme pur des origines, impliquant tout à la fois un retour au prophète et à l'Imam Ali, tout en réclamant l'avènement permanent de la justice sociale, à l'instar des messies zoroastriens, manichéens ou mazdéens de l'histoire iranienne préislamique. Cette distinction postule une imitation active d'Ali, dans le quotidien politique, dans l'effervescence mondaine.
La femme a un rôle primordial à jouer dans ce contexte : elle doit se montrer active sur le plan politique et religieux ; l'idéal qu'elle doit incarner rejette tout à la fois le modèle occidental de la femme émancipée et le modèle de la femme musulmane recluse. Ali Shariati développe là une idéologie contestatrice typiquement chiite et iranienne. Son anti-occidentalisme rejoint sur quelques points celui de Khomeiny ou d'autres militants islamistes (y compris sunnites). Ses sources d'inspiration sont : 1) l'écrivain Jalal Al-e Ahmad (1923-1969) qui avait théorisé la notion de « pays infecté » — par l'Occident s'entend. Via les cercles de Shariati, l'idée d'un « empoisonnement occidental » ou d'une « infection occidentale » se répand dans les esprits ; 2) Shariati s'inspire de l'Antillais Franz Fanon, poète du tiers-monde, très en vogue auprès du FLN et dans les milieux contestataires de la planète dans les années 1960. Fanon déclare qu'il est licite de « tuer les vecteurs de l'infection ». De là, l'idée d'une « violence désinfectante ». Ali Shariati s'inscrit dans le cadre de la gauche planétaire de son époque ; pour lui, l'infection ne vient pas de l'homme lui-même mais de l'extérieur. L'homme est donc bon ; par la grâce de cette bonté, il peut commettre toutes les « violences désinfectantes » imaginables, y compris celles qui pourraient être clairement interprétées comme des crimes purs et simples, et peut donc tuer les « vecteurs d'infection » qu'il juge tels, indépendamment du fait que la personne ainsi visée soit "infectante" ou non, soit un ennemi conscient ou un quidam sans intention de nuire. Toute anthropologie optimiste peut ainsi conduire au carnage universel.
En 1979, après le départ du Shah pour un exil dont il ne reviendra jamais, ces forces composites arrivent toutes au pouvoir mais, au cours de l'année, les partisans de Khomeiny, regroupés autour des Pasdarans de la révolution islamiste, accaparent le pouvoir, contraignent bon nombre d'opposants laïques à prendre la fuite à l'étranger ou les assassinent. Les Américains sont désillusionnés : la disparition d'une masse de manœuvre politique composite les laisse dans le désarroi, masse que des fondations, instituts ou autres instances, issues du « soft power », auraient pu manipuler à loisir car toute pluralité composite ne sert pas le peuple qu'elle est censée gouverner mais sert l'étranger hégémonique qui peut la manœuvrer à son gré, en favorisant tantôt une faction tantôt l'autre et en fomentant crises et troubles civils.
La prise du pouvoir par les Pasdarans de Khomeiny va induire les Américains à parier sur Saddam Hussein, à en faire l'instrument d'une guerre d'usure contre l’Iran (et simultanément contre l’Irak lui-même), qui durera huit longues années, les États-Unis fournissant directement ou indirectement des armes aux deux belligérants. Cette guerre éliminera le trop-plein déjeunes mâles, qui constituait un potentiel révolutionnaire dans les zones urbaines et péri-urbaines d'Iran, ôtant du même coup aux Américains cet instrument dont ils s'étaient servis pour abattre le Shah. Ce « Youth Bulge » ne pourra pas s'utiliser contre Khomeiny et ses successeurs.
D'où l'hostilité permanente contre l’Iran et la volonté, toujours plus actuelle, de l'abattre.
Robert STEUCKERS* Écrits de Paris
* .Extrait d'une conférence prononcée entre autres au « Cercle Proudhon » (Genève, avril 2009) -
Armes chimiques utilisées par les rebelles : la Syrie saisit le conseil de sécurité de l’ONU
DAMAS (NOVOpress via le Bulletin de réinformation ) - Le gouvernement syrien a annoncé hier avoir adressé un courrier au conseil de sécurité de l’ONU pour dénoncer l’usage d’armes chimiques près d’Alep par les rebelles terroristes. Selon les autorités syriennes, cette attaque aurait tué une quinzaine de personnes. La Syrie a accusé le Qatar et la Turquie d’être indirectement responsables de ce massacre en armant et encourageant les rebelles islamistes.
Par ailleurs, la prétendue opposition en exil, réunie à Istanbul, s’est choisi un nouveau chef, l’homme d’affaires syrien Ghassan Hitto, résidant aux Etats‑Unis. Ce soi‑disant chef du gouvernement de transition n’est pas parvenu à rassembler derrière lui toute l’opposition. En dépit du soutien massif du Qatar, de la Turquie et de l’Arabie séoudienne, et celui à peine plus discret des Etats‑Unis, de la France et du Royaume Uni, ce pseudo‑gouvernement ne contrôle aucun territoire en Syrie, même les quelques régions abandonnées par l’armée gouvernementale qui se retrouvent livrées à l’anarchie.
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Deux poids, deux mesures
Le candidat républicain à la Maison Blanche, Mitt Romney, affuté et maîtrisant ses dossiers, a sévèrement surclassé de l’avis général Barack Obama lors du débat télévisé les ayant opposé à Denver le 3 octobre. Pour la première fois, dans un sondage Reuters/Ipsos publié dimanche il devance le président sortant. Le candidat républicain a tenu hier, devant l’Institut militaire de Virginie, son discours de politique étrangère…qui a reçu un accueil mitigé des commentateurs. Au nom d’un think tank mondialiste très influent aux Etats-Unis le Council on Foreign Relations (CFR), James Lindsay a affirmé qu’ «il n’y (avait) absolument rien dans ce discours. Si Romney a une stratégie politique internationale, il ne nous a pas encore montré ce que c’est. » Le CFR a compté dans ses rangs plusieurs personnalités et politiciens de premier plan (douze Ministres des Affaires étrangères dont Madeleine Albright, Colin Powell, Henry Kissinger, un ponte de la CIA comme Allen Dulles) et beaucoup d’entre eux sont aussi membres du groupe Bildelberg et de la Commission Trilatérale.
Ce jugement du Council on Foreign Relations conforte l’idée que les idéologues du Nouvel ordre mondial se satisfont parfaitement de la politique menée par M. Obama.
Autant dire que cet avis compte car il est aussi repris par nombre de médias progressistes des deux côtés de l’Atlantique… même si le CFR n’a pas compté que des « flèches » dans ses rangs. On se souvient ainsi d’un membre de ce groupe de pression, le républicain Gerald Ford, affirmant au futur président démocrate Jimmy Carter, lors d’un débat en 1976, qu’il était faux d’affirmer que l’Europe de l’Est vivait sous le joug de dictatures communistes !
Lundi, Mitt Romney, dans un discours d’une vingtaine de minutes, a évoqué de grands principes , prônant sans surprise une Amérique plus forte, la fermeté face à la Russie et à l’Iran, des relations plus poussées avec Israël pour faire face « aux menaces ».
Il s’est ainsi prononcé en faveur d’un « Etat palestinien démocratique, prospère et vivant aux côtés de l’Etat hébreu, en paix et dans la sécurité ». Pourtant, dans une vidéo, filmée à son insu en mai dernier, il affirmait qu’une solution au conflit était « presque absolument impensable », les Palestiniens « ne (s’intéressant) absolument pas à la paix »…
M. Romney a également renouvelé son souhait de mettre à bas le régime de Bachar-al-Assad en Syrie, à « identifier et organiser les membres de l’opposition qui partagent nos valeurs » (sic), promettant de faire « en sorte qu’ils obtiennent les armes dont ils ont besoin ». M. Romney n’a pas précisé si les 1200 à 1500 combattants étrangers se trouvant en Syrie, selon le centre d’analyse britannique Quilliam Foundation, sont au nombre de ceux-ci…
Invité de l’Association Régionale Nice Côte d’Azur de l’IHEDN, le 27 juin dernier, Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE, rappelait pourtant que le « printemps arabe n’a mis que six mois à se transformer en hiver islamiste (…). Seul le régime syrien résiste à ce mouvement généralisé d’islamisation au prix d’une incompréhension généralisée et de l’opprobre internationale (…) ».
D’autant que « les théocraties pétrolières n’ont eu aucun mal à prendre avec leurs pétrodollars le contrôle de la Ligue Arabe et d’en faire un instrument de pression sur la communauté internationale et l’ONU en faveur des mouvements politiques fondamentalistes qui confortent leur légitimité et les mettent à l’abri de toute forme de contestation démocratique. »
« Le régime syrien poursuivait-il, n’est pas la dictature d’un homme seul, ni même d’une famille(…). Il y a derrière lui 2 millions d’Alaouites encore plus résolus que lui à se battre pour leur survie et plusieurs millions de minoritaires qui ont tout à perdre d’une mainmise islamiste sur le pouvoir, seule évolution politique que l’Occident semble encourager et promouvoir dans la région (…) »
« Il existe en Syrie d’authentiques démocrates libéraux ouverts sur le monde relève M. Chouet, qui s’accommodent mal de l’autoritarisme du régime et qui espéraient de Bachar al-Assad une ouverture politique (…). Ils n’ont pas la parole et sont considérés comme inaudibles par les médias occidentaux car, en majorité, ils ne sont pas de ceux qui réclament le lynchage médiatisé du dictateur comme cela a été fait en Libye. »
« Si vous vous informez sur la Syrie par les médias écrits et audiovisuels, en particulier en France (…) toutes les informations concernant la situation sont sourcées Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) ou plus laconiquement ONG , ce qui revient au même, l’ONG en question étant toujours l »Observatoire syrien des droits de l’homme (…) une dénomination qui sonne bien aux oreilles occidentales dont il est devenu la source d’information privilégiée voire unique (…) ».
« C’est en fait une émanation de l’Association des Frères musulmans et il est dirigé par des militants islamistes dont certains ont été autrefois condamnés pour activisme violent, en particulier son fondateur et premier Président, Monsieur Ryadh el-Maleh. L’Osdh s’est installé à la fin des années 80 à Londres sous la houlette bienveillante des services anglo-saxons et fonctionne en quasi-totalité sur fonds saoudiens et maintenant qataris. »
« (…) Je suis tout de même surpris poursuit-il, que les médias occidentaux et en particulier français, l’utilisent comme source unique sans jamais chercher à recouper ce qui en émane. »
« Que les monarchies réactionnaires défendent leurs intérêts et que les forces politiques fondamentalistes cherchent à s’emparer d’un pouvoir qu’elles guignent depuis près d’un siècle n’a rien de particulièrement surprenant. Plus étrange apparaît en revanche l’empressement des Occidentaux à favoriser partout les entreprises intégristes encore moins démocratiques que les dictatures auxquelles elles se substituent et à vouer aux gémonies ceux qui leur résistent. »
Et comment ne pas voir en effet, relève Bruno Gollnisch, la partialité de « nos » médias dans leur traitement du conflit syrien. Ce qui ne manque pas de nous rappeler que nous vivons dans une démocratie confisquée, dont les grands canaux d’informations sont soigneusement verrouillés en fonction d’intérêts qui ne sont pas forcément ceux du peuple français et des Européens.
Jamais nous ne verrons sur nos antennes pas exemple ce reportage édifiant diffusé sur la chaîne Russia 24, dans lequel des journalistes russes ont suivi pendant deux mois l’Armée syrienne dans sa lutte contre l’ Armée Syrienne Libre (ASL) et notamment contre les brigades internationales djihadistes Al-Farouk et Ansar al islam.
Même pudeur des médias français quand il s’agit de minorer ou de passer carrément sous silence, la mise hors d’état de nuire d’une centaine de mercenaires wahhabites et autres salafistes à Alep fin septembre (afghans, maghrébins, yéménites, saoudiens, qataris…) ou encore l’attentat terroriste à la voiture piégée, revendiqué par le groupe djihadiste, le Front al-Nosra, qui a fait mercredi au moins 48 morts dans cette même ville.
Bruno Gollnisch dénonce plus globalement ce règne du deux poids deux mesures qui permet notamment au ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius de s’émouvoir hier du développement du radicalisme islamiste dans nos banlieues tout en l’encourageant implicitement ailleurs en soutenant la rébellion en Syrie…
9 octobre 2012 http://www.gollnisch.com
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Le rendez-vous des civilisations (Y. Courbage et E. Todd)
Le propos d’Emmanuel Todd et Youssef Courbage est d’examiner l’islam dans son rapport à la modernité, plus particulièrement sous l’angle démographique. Leur conclusion est que le discours aujourd’hui largement véhiculé par les médias institutionnels correspond à une analyse superficielle, simple habillage d’un propos propagandiste : non, l’islam n’est pas réfractaire à la modernité. Et bien loin d’assister à un « choc des civilisations », nous assistons, selon Todd et Courbage, à leur convergence – le « rendez-vous des civilisations ».
A l’appui de leur thèse, Todd et Courbage font valoir que le nombre d’enfants par femme a fortement décru dans le monde musulman en trente ans : de 6,8 en 1975 à 3,7 en 2005. Fait complémentaire à prendre en compte : on observe une grande amplitude dans la situation actuelle des pays musulmans, de 7,6 enfants par femme au Niger à 1,7 en Azerbaïdjan. L’indice de fécondité de pays comme la Tunisie et l’Iran est égal à celui de la France, tandis que la zone sahélienne, qui n’a pas entamé sa transition démographique, reste « scotchée » sur des taux très élevés.
Ce qu’en déduisent en premier lieu Todd et Courbage, c’est qu’il ne faut pas prendre les prêches natalistes des théologiens wahhabites comme référence des attitudes musulmanes : le monde musulman est divers, et cette diversité ne doit pas être masquée par quelques cas extrêmes, souvent mis en avant dans les médias pour décrire « les musulmans », artificiellement amalgamés dans un tout réputé homogène.
L’analyse que propose Todd et Courbage, au rebours de la vision d’amalgame et d’essentialisme promu par le discours dominant, consiste fondamentalement à décortiquer cette diversité du monde musulman comme la traduction d’une période de transition – transition plus ou moins avancée selon les pays. Et jusque dans sa diversité, cette transition, ajoutent-ils, se déroule selon des modalités finalement comparables à celles expérimentées, avec quelques décennies d’avance, par des pays aujourd’hui entrée en stabilisation, voire en implosion démographique. Il y a eu historiquement, soulignent-ils, une grande hétérogénéité en la matière : l’alphabétisation a toujours provoqué, partout, une baisse des naissances – mais pas partout au même rythme. En Europe du Nord, par exemple, l’alphabétisation a été plus rapide que dans l’Europe latine, mais sa traduction en termes de natalité a été plus lente.
L’analyse des évolutions historiques des pays extérieurs au monde musulman indique que le délai de latence entre alphabétisation et révolution démographique peut avoir deux causes : d’une part le retard relatif de l’alphabétisation féminine, d’autre part l’interaction de l’alphabétisation avec d’autres variables – on observe, par exemple, que les populations minoritaires sur leur habitat, ou menacées d’invasion, ont tendance à « se défendre », dans un réflexe collectif, en différant leur transition démographique.
Le monde musulman expérimente aujourd’hui les mêmes mécanismes que le monde occidental et la Russie, il y a dix à quatre décennies. En ce qui concerne le « cœur » du monde musulman (Maghreb et Moyen-Orient), la plupart des grands pays marquent à peu près 40 ans de retard sur le monde russe, 80 ans sur le monde latin et un siècle sur l’Europe du Nord, tant pour la courbe de l’alphabétisation que pour celle de la natalité : c’est ce qu’on observe en Algérie, au Maroc, en Turquie. Des pays musulmans comme l’Iran, la Tunisie sont légèrement en avance sur ce « cœur ». D’autres sont légèrement en retard, comme l’Egypte ou la Syrie. Bien sûr, les évolutions sont complexes, et un pays légèrement en avance sur l’alphabétisation peut être légèrement en retard dans la stabilisation démographique : exactement comme ce fut, 80 ans plus tôt, le cas en Europe. Mais globalement, l’histoire démographique de l’Occident de la fin du XIX° siècle est reproduite par le « cœur » du monde musulman, aujourd’hui. La « conquête musulmane par les ventres » et le « Califat mondial » redouté par certains ne sont, pour ce qui concerne l’essentiel du monde arabe proprement dit, plus d’actualité.
C’est si l’on s’éloigne de ce « cœur » du monde musulman que l’on peut effectivement trouver des « bombes démographiques » encore à désamorcer. On en trouvera une, très médiatisée, dans la péninsule arabique – mais, si la démographie de la zone wahhabite reste explosive, les effectifs concernés sont en réalité assez faibles : « cœur » spirituel du monde musulman, la péninsule arabique est, sur le plan démographique, une périphérie secondaire.
Plus significatif, on trouvera des « bombes démographiques » surtout dans deux zones significatives démographiquement : le Pakistan et l’Afrique subsaharienne musulmane.
Ici, Todd et Courbage sont plus réservés sur la vitesse à laquelle les transitions démographiques vont se produire. Ils supposent qu’elles finiront par advenir, mais ils admettent que la transition, à peine entamée au mieux, sera beaucoup plus difficile que dans le « cœur » du monde musulman – et ils s’interrogent sur l’existence possible, dans ces zones, d’un « plancher » de natalité, aux environs de 4 enfants par femme.
Pourquoi ce retard ? Pourquoi ces incertitudes ?
Ce qui fait ici barrage à la transition n’est pas l’application de la Charia (laquelle, soit dit en passant, n’est appliquée quasiment nulle part en Dar-el-Islam), mais des donnes largement extérieures à l’islam, parfois solidifiées par lui – au Pakistan, une très forte endogamie ; en Afrique Noire, un très fort retard d’alphabétisation.
L’endogamie n’est pas en soi un obstacle à la transition démographique. Très forte historiquement en Tunisie, elle n’a dans ce pays nullement été un frein au recul de la natalité. Mais au Pakistan, expliquent Todd et Courbage, on a affaire à un cas particulier : une forme de « paranoïa démographique » contre le monde indien, au sein de laquelle l’endogamie fonctionne comme un marqueur identitaire. Dans ce monde-là, le modèle familial endogame est vu comme la clef de voûte d’un système très sécurisant pour les individus, assurant une forte armature sociale et une grande stabilité de la coutume. Ici, Todd et Courbage soulignent qu’il existe donc un véritable phénomène de retard dans la transition démographique, mais que ce retard n’a absolument pas les causes que les « islamophobes » de tous poils mettent généralement en avant : en réalité, le Pakistan, du fait de son système d’endogamie coutumière, est dominé majoritairement par un système faussement patriarcal, où l’autorité des oncles est souvent plus réelle que celle des pères (marqueur immanquable des systèmes matriarcaux). Le patriarcat islamique n’est donc pas la véritable cause du retard de transition de ce pays – au contraire, c’est l’existence d’un système finalement peu patriarcal, de type tribolinéaire, qui explique le retard.
L’autre bombe démographique est l’Afrique Noire. Bien sûr, une première spécificité de l’Afrique Noire est la réalité de la polygamie. Fait exceptionnel dans le reste du monde musulman (moins de 5 % des familles sont concernées), elle est une norme alternative au sud du Sahara (taux de polygamie : environ 35 %). Cependant, Todd et Courbage ne pensent pas que ce soit la cause première de la forte natalité africaine ; la cause principale est selon eux à rechercher dans le retard d’alphabétisation. Ils font remarquer, à ce propos, que toute l’Afrique est caractérisée par une forte natalité, indépendamment du poids de la polygamie et de celui de l’islam : l’Afrique centrale non-musulmane présente des indices de fécondité équivalents à ceux de l’Afrique musulmane. Dans les pays où cohabitent musulmans et chrétiens, il n’y a pas de règle générale : au Nigéria, les musulmans sont plus prolifiques, mais au Tchad, les chrétiens font plus d’enfants qu’eux.
Et, concernant l’Afrique Noire, Todd et Courbage de conclure par une sentence ambiguë, qu’il est amusant de reporter ici en toutes lettres : « La forte inertie des mouvements démographiques garantit qu’il surviendra, au cours du XXI° siècle, un déplacement du centre de gravité de l’islam vers le sud. Il n’est pas impossible qu’un jour la problématique fondamentale associée à l’islam ne concerne plus ses rapports avec le nord « chrétien » ou « post-chrétien », mais le basculement de ses équilibres internes. »
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Ni Chavez ni Hessel ne seront béatifiés
Dans l'incertitude que comporte le nouveau pontificat, une chose au moins semble certaine. On sait qu'aucun des deux disparus encensés ces jours-ci à Paris ne sera canonisé demain à Rome, ni Chavez ni Hessel.
Dans l'Hexagone, certains sont allés jusqu'à suggérer la "panthéonisation" de Hessel. Une pétition circule, et sans préjuger de son échec souhaitable, cette impudente initiative devrait à elle seule nous instruire de l'état de déliquescence de l'esprit public.
La glorification du caudillo vénézuélien Chavez, d'autre part, a donné à notre ministre de l'Outremer l'occasion de se faire connaître en Métropole. En même temps, Victorin Lurel ridiculisait un peu plus le gouvernement Ayrault. Le 28 janvier l'intellocratie parisienne avait pris les devant. Un colloque où le parti socialiste trônait en bonne place avait déjà jeté les bases de la reconnaissance du culte "chaviste" dont on peut espérer pourtant qu'il ne durera pas à Caracas.
Premier constat par conséquent : il est aboli le temps où l'on saluait la France comme le lieu "où se cuisait le pain intellectuel de la chrétienté." Le pape Paul VI évoquait encore la formule. Elle remonte à saint Thomas d'Aquin. Mais beaucoup d'eau a coulé depuis sous les ponts de la Seine comme du Tibre.
Sur le terrain de l'évaluation des mérites le grand écart continue de s'accentuer entre la capitale du jacobinisme et ce qui demeure de la civilisation européenne.
Ainsi Stéphane Hessel aura-t-il connu, au soir de sa vie, une sorte de gloire littéraire parisienne et même hexagonale incroyable. Absolument imméritée, elle fut orchestrée autour d'un petit opuscule intitulé "Indignez-vous". D'une étroitesse affligeante, ce texte fut diffusé à des centaines de milliers d'exemplaires. Il s'agit, sur quelques pages d'un véritable bréviaire de l'imbécillité et de l'inquiétante immaturité de nos contemporains. Si la mode qui l'a propulsé devait perdurer en Europe on pourrait y voir le signe que notre continent, nos sociétés gavées et leurs enfants gâtés sont devenus gâteux.
Très probablement pourtant Hessel échappera à toute hypothèse de canonisation par l'Église romaine.
Un obstacle majeur s'opposera bientôt à la perpétuation de ces louanges imméritées. Car en vue de sa canonisation Hessel souffre d'un handicap plus grave encore que le fait d'être soutenu par Éva Joly (1)⇓.. En juillet 2012, en effet, il s'attirait les foudres d'une chronique qu'on peut lire sur le Huffington Post (2)⇓.. Rédigée par Jacques Tarnero elle souligne un certain nombre de zones d'ombres dans les prises de position du grand homme. Outre une surestimation systématique de son propre rôle dans certaines circonstances, quand il prétend par exemple être un des corédacteurs de la Déclaration dite "universelle" des droits de l'Homme, il a osé dans un entretien publié par la Frankfurter Allgemeine Zeitung en janvier 2011, prétendre revoir à la baisse les duretés de l'occupation allemande en France. Plus grave encore il les met en parallèle avec les mesures israéliennes dans les territoires occupés. S'il n'avait été déporté lui-même, si le texte de son entretien n'était surtout consacré à "Comment j'ai survécu à Buchenwald et autres camps", s'il avait été supposé lié à "l'extrême-droite" Hessel aurait certainement passé un sale quart d'heure judiciaire. Heureusement, la polémique peut s'éteindre avec la disparition de l'intéressé.
Sur Chavez, le portrait se résume à ceci : 96 % des exportations du pays sont assurées par le pétrole. La capitale est une des plus dangereuses du monde. La corruption bat tous les records. Le ministre français Lurel a fait scandale en assimilant Chavez à De Gaulle et à Léon Blum. (3)⇓.
Le New York Times aurait laissé entendre que le maître du Venezuela aurait amassé une fortune personnelle de 2 milliards de dollars : nous n'en croyons rien : il semblerait plutôt que tout a été dilapidé ;
Disparu le 5 mars, son successeur par intérim Maduro annonçait le 8 mars qu'il serait embaumé "pour l'éternité (...) comme Lénine, Ho Chi Minh ou Mao Tse-Toung". Le 13 l'opération se révélait techniquement impossible. On respire.
Tout le monde le sait, ou du moins chacun pourrait l'apprendre : tout ce que le caudillo de Caracas a pu distribuer à ses partisans n'est jamais venu que de la rente pétrolière. De celle-ci la Venezuela aurait pu tirer un outil de développement économique national. La démagogie l'a seulement utilisé en vue de son clientélisme politique, des dépenses économiquement stériles pour l'avenir du pays.
Or, puisque tous les médiats même de gauche ont pu repérer l'imposture de cette prétendue politique "sociale", on aurait pu imaginer que les Français se seraient détournés de cette fausse gloire.
Sur un site dérivé du quotidien Le Monde on a pu lire, parmi tant d'autre, cette réaction approuvant la présence d'un Ahmadinejad éploré aux funérailles de son camarade : "L’important est d’être à ces funérailles d’un grand chrétien de gauche qu’est Chavez… la honte c’est notre lâcheté et nos commentaires sur ce grand homme qui a gagné 13 élections sur 14 et que la presse et TV française accuse d’être dictateur…"
"Ce grand chrétien de gauche qu’est Chavez" : voilà quand même qui laisse rêveur.
Fait-il répondre que ce grand homme a gagné presque autant de victoires électorales que Joseph Staline. Mais à l'époque la Constitution soviétique était la plus démocratique du monde. La perfection "bolivarienne" n'est plus de ce monde. Tant pis. Déjà Milton écrivait, dans "Lost paradise" en nostalgique de Cromwell et de l'Utopie "mieux vaut régner en enfer que servir en paradis".
À la samba pour les funérailles de Chavez, Ahmadinejad aurait, dit-on "scandalisé les conservateurs iraniens" en embrassant la mère de Ugo Chavez, attouchement impudique au regard de l'islamisme. (4)⇓.
Pour le successeur désigné de Fidel Castro : il y a en avait pour tous les goûts, tous les dingues de la Planète, ceux de Paris comme ceux de La Havane ou de Téhéran.
Au moment où la messe d'intronisation du Pape François se déroule en présence des hiérarques de l'Église orthodoxe, saluons sincèrement ce beau symbole et remercions d'avance les autorités spirituelles de l'occident de ne pas entrer dans cette danse.
JG Malliarakis http://www.insolent.fr/
Apostilles
- cf. BFM le 27 février à 18h28 . ⇑
- Sous le titre "Stéphane Hessel, l'indigné", elle est datée du 3 juillet sur ce site elle figure aussi sur le site du CRIF en date du 29 juin.⇑
- Certains risqueraient d'ailleurs de se demander un jour si la double comparaison ne mérite pas d'être explorée, horresco referens.⇑
- cf. Blog Le Monde du 11 mars 2013.
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Tea Party : L’Amérique à la reconquête de ses libertés
RENNES (NOVOpress Breizh) – À lire la presse française de ces dernières années, on s’étonne que Barack Obama n’ait pas été réélu avec 99 % des voix tant le président américain cumule les vertus et ses adversaires les défauts. À lire le livre Tea Party : L’Amérique à la reconquête de ses libertés, on comprend surtout que les commentaires usuels relèvent soit de la désinformation, soit de la nullité crasse. D’origines vendéennes et bretonnes, Évelyne Joslain connaît à fond les arcanes des idées politiques américaines et les expose ici avec passion.
Loin de la caricature présentée de ce côté-ci de l’Atlantique – front bas, intégrisme biblique et winchester en pogne – on découvre que le Tea Party est une « nébuleuse » où coexistent féministes conservatrices dégoûtées d’une « gent masculine à l’évidence dépassée par la situation », mâles blancs exaspérés par la discrimination à l’envers, et patriotes identitaires désireux de retrouver les valeurs fondatrices des États-Unis. De nombreuses idées infusent dans la théière du Tea Party : sur le plan intellectuel, le mouvement n’a rien à envier au clan « progressiste ».
Obama occupe une grande place dans ce livre, mais pas l’Obama sanctifié qu’on connaît en France. Évelyne Joslain s’étonne de « l’écart entre le mythe Obama et l’inquiétante personnalité de cet étrange président », élevé à Hawaï par des grands-parents maternels blancs et de gauche. Elle dénonce ses « mauvaises fréquentations » comme Jon Corzine, ancien trader de Goldman Sachs devenu gouverneur démocrate du New Jersey avant de diriger MF Global qui sera l’une des dix plus grosses faillites de l’histoire américaine suite à des spéculations financières malheureuses. Elle a des mots très durs sur le dilettantisme géopolitique d’Obama, son indulgence envers l’islamisme, sa gestion invraisemblable de la guerre d’Afghanistan (où la « guerre contre la terreur » s’accommode d’assassinats « ciblés » en territoire pakistanais) et son immigrationnisme qui, au-delà du simple calcul électoral, pourrait dénoter une haine viscérale de l’Amérique blanche. Impitoyable, elle conclut : « C’est bien aux névroses d’Obama que l’Amérique doit d’avoir vu en trois ans s’exacerber les tensions raciales et se créer des clivages sociaux tandis que s’aggravaient rapidement la politisation et la racialisation de toutes les questions, sans oublier le chaos géopolitique au Moyen-Orient ».
Si les dérives européennes (alliance entre universalisme et financiarisation, entre business et immigration, etc.) ressemblent fort à celles de l’Amérique, la France n’a rien produit d’analogue au Tea Party à ce jour. Ce livre très documenté est donc une exploration utile d’un puissant courant émergent encore très mal connu.
François Kernan http://fr.novopress.info
*** Évelyne Joslain, Tea Party : L’Amérique à la reconquête de ses libertés, éditions Jean Picollec, 298 p., 21 €.
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« Des destinataires pas très recommandables »
« C’est toujours intéressant de jouer des ordures », « (un personnage) passionnant, pas tellement pour lui-même, c’est vraiment une crevure, mais par son époque et le succès invraisemblable de ses écrits infâmes ». Rassurez-vous chers lecteurs, ce jugement de l’acteur versaillais Denis Podalydés ne concerne pas Jean-Paul Sartre qu’il incarna avec le talent qui est le sien dans un téléfilm tourné en 2006, mais le publiciste et pamphlétaire antisémite Edouard Drumont. Le comédien endosse ce rôle ce soir dans un « docu-fiction » qui sera diffusé sur France 2. Le producteur en est le célèbre militant d’extrême gauche Jacques Kirsner (alias Charles Stobnicer dit Berg), ancien membre dirigeant du groupuscule trotskiste Organisation communiste internationaliste (OCI) dans lequel Jean-Luc Mélenchon fit aussi ses premières armes. Pour la petite histoire, c’est ce même Kirsner qui confirma le passé trotskyste et les relations avec l’OCI de Lionel Jospin dans un article publié dans Libération en 1999. Les médias rapportent ce matin que Denis Podalydés et Jacques Kirsner se sont beaucoup battus pour que ce téléfilm soit diffusé à une heure de grande écoute et non pas en seconde partie de soirée comme cela était initialement prévue par la chaîne. Faut-il que ces derniers soient persuadés de l’urgence du message pédagogique qu’il délivre, à défaut de son originalité. Mais un an après les assassinats commis par Merah, ne doutons pas que les jeunes notamment, boycotteront les derniers épisodes de Docteur House pour se précipiter sur France 2. Piqure de rappel pédagogique qui a été faite aussi magistralement par le président israélien Shimon Peres dans l’hémicycle du Parlement européen le 12 mars, dernière étape de sa tournée européenne .
Pour être tout à fait honnête M. Peres est un peu comme chez lui quand il visite les assemblées et les instituions européennes. Javier Solana, ex secrétaire général de l’OTAN (1995–99), ancien Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’Union européenne (1999-2009), en avait fait l’aveu en octobre 2009 en Israël lors de la seconde édition de la conférence organisée sous l’égide de Shimon Peres , Facing Tomorrow . En présence notamment du philosophe Bernard-Henry Lévy, Javier Solana avait déclaré: « Israël permettez-moi de le dire, est un membre de l’Union européenne sans être membre de ses institutions ». M. Solana avait poursuivi en notant qu’Israël est « partie prenante à tous les programmes de l’Union » et en soulignant qu’aucun des États en cours d’adhésion à l’Union n’a de relation aussi étroite avec l’Union qu’Israël, bien que cet État n’ait jamais été officiellement candidat.
Aussi, la semaine dernière, et pour faire bref, M. Peres s’est contenté dans son allocution officielle, la première intervention d’un président israélien devant le Parlement européen depuis 30 ans, de rappeler bien sûr en filigrane la dette imprescriptible des Européens vis-à-vis d’Israël. Il a rejeté aussi toutes les critiques émises concernant la Palestine, la politique de colonisation de la Cisjordanie. Il a enjoint fermement l’Europe à inscrire le Hezbollah pro iranien sur la liste des organisations terroristes. Il a dressé un réquisitoire implacable contre l’Iran : « Téhéran soutient le terrorisme », « Téhéran met en cause l’existence d’Israël », « Téhéran nie l’Holocauste et veut en créer un autre », avant de demander à l’Europe d’empêcher ce pays de se doter, à l’instar de l’Etat hébreu, de l’arme nucléaire et de missiles à longue portée.
Evoquant la Syrie ravagée par le terrorisme, M Peres a affirmé que le Hezbollah aidait sur le terrain le régime de Bachar el-Assad, notamment dans sa lutte contre les djihadistes qui rêvent d’instaurer le califat islamique en Syrie. Il a précisé aussi son souhait de voir se déployer des casques bleus de la Ligue Arabe. Vœu que l’on peut juger irréaliste dans sa capacité à ramener la paix mais qui ne soulève pas l’indignation suscitée par les récentes déclarations de Laurent Fabius. Prenant acte du fait que la Russie, l’Iran livraient des armes au régime syrien, le ministre des Affaires étrangères a annoncé que « la France » - qui fournit déjà une aide non « létale » aux « rebelles » - et le gouvernement britannique allaient demander aux Etats de l’Union européenne la levée de l’embargo sur la livraison des armes aux forces armées dites modérées de l’opposition syrienne. Et qu’en l’absence de feu vert, Paris et Londres passeraient outre d’ici fin mai.
M. Fabius entend par là accélérer la chute du régime syrien par ce qu’il espère être un règlement militaire du conflit, en emboitant le pas au Qatar et à l’Arabie Saoudite qui fournissent déjà les brigades internationales islamistes en armes. Dans les faits, cette précipitation se nourrit de la même inquiétude qui agite François Hollande. Ils ont lu tous deux les rapports qui pointent les rivalités entre factions rebelles et l’emprise croissante des djihadistes dans ce conflit. Aussi, à Bruxelles le 15 mars, M. Hollande, qui redoute l’incapacité de la coalition hétéroclite des anti-Assad a arracher la victoire sur le terrain, a-t-il plaidé en faveur des livraisons d’arme. Au motif que « le plus grand risque, ce serait de ne rien faire, de laisser faire (…). Ce serait le chaos (…). Le plus grand risque, c’est l’inaction. » Le plus grand risque a affirmé jusqu’alors la diplomatie russe, c’est de croire que la situation de la Syrie se réglera uniquement en faisant parler la poudre.
Relevons encore que le comble de la bêtise et/ou de la malhonnêteté a été atteint par la propagande gouvernementale distillée dans les médias, expliquant que les armes qui seront fournies aux milices anti Assad seront « traçables » pour éviter qu’elles ne tombent aux mains des terroristes fondamentalistes.
Sur le site de France TV Info , Jean-Pierre Maulny, spécialiste de l’armement à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) expliquait qu’ « Il faut absolument mettre en place un système de traçabilité ». « Numéroter, avoir un système d’identification indélébile pour chaque arme, et récupérer le matériel après. Comment ? On doit pouvoir désigner un interlocuteur, pour savoir à qui réclamer les armes.Reste que rien ne garantit que l’arme sera rendue. Sur les armes légères, on n’a jamais trouvé de système efficace pour les contrôler, admet le chercheur. Mais pour lui, les choses vont dans le bon sens. Il vaut mieux que les livraisons d’armes soient officielles. Aujourd’hui, le système passe par les Saoudiens et les Qataris, avec des intermédiaires en Turquie. »
« Autre solution, plus perfectionnée qu’un simple traçage, imaginée par les industriels : des systèmes permettant de localiser et neutraliser les armes à distance. Cette technologie serait aujourd’hui répandue sur les armes sophistiquées comme les missiles. Mais cela ne garantit pas une sécurité à 100%. » « Chargé de plaidoyer paix et conflit au CCFD-Terre solidaire, Zobel Behalal signale qu’une arme disponible « une minute entre les mains d’un irresponsable peut faire beaucoup de dégâts ». « Autre innovation, pendant le conflit libyen, des armes à usage unique, avec une durée de vie limitée, auraient été livrées aux rebelles. Mais encore une fois, pour Zobel Behalal, le problème est plus large : A-t-on la garantie que les destinataires sont tous recommandables ? Si oui, que le gouvernement nous communique leurs noms… »
Une fois n’est pas coutume,l’ex ministre de la Défense et député UDI Hervé Morin a fait sien l’avis du FN et de Bruno Gollnisch en parlant de «foutaise » à propos de l’idée d’une « traçabilité »des armes. «Ajouter la guerre à la guerre ne mènera à rien » et ne saurait « fléchir un tant soit peu le régime de Bachar el-Assad ou la position russe ou chinoise ». Les mouvements qui constituent cette résistance at-il ajouté, « sont en grande partie des jihadistes ou des salafistes ». « Qui vous dit que dans six mois, ces mêmes armes ne seront pas retournées contre nous-mêmes ? C’est une attitude de pompier-pyromane, comme si on voulait se donner bonne conscience » a déclaré M. Morin.
Marine Le Pen, Bruno Gollnisch ou encore Marion Maréchal l’ont dit et répété, la France n’a pas à soutenir la rébellion syrienne ; Marion le résumait sur l’antenne de BFM hier matin : « On va aller armer une résistance extrêmement hétérogène dont on sait qu’une grande partie est composée d’islamistes. On va faire tomber un régime qui est, certes, éminemment critiquable, mais qui avait deux mérites.Le premier était de préserver relativement le droit des femmes. Le second était de faire cohabiter pacifiquement des minorités qui demain vont se faire massacrer . »