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géopolitique - Page 851

  • Aymeric Chauprade : les grandes tendances géopolitiques du moment, la place de la France (2/2)

    Seconde partie - Aymeric Chauprade revient sur les grandes tendances géopolitiques du moment et se penche sur la place de la France dans le monde. Entretien réalisé avec Xavier Moreau pour Realpolitik, le 13 février 2013.

    Dans cette partie Chauprade parle en particulier de la situation en  Syrie. Il met en évidence l’incohérence de la position du gouvernement français entre son action au Mali et sa position en Syrie face au djihadisme. Pour Chauprade l’action de la France au Mali est conforme à ses intérêts géostratégiques, en Syrie au contraire elle est opposée à ses intérêts.

    La première partie est ici.

    À propos de l’auteur
    Aymeric Chauprade. Professeur de géopolitique et Directeur de la Revue Française de géopolitique et du site www.realpolitik.tv est l’auteur de l’ouvrage de référence « Géopolitique, constantes et changements dans l’histoire » éd. Ellipses.

    Source : Realpolitik.tv – 28 février 2013


    Aymeric Chauprade : les grandes tendances... par realpolitiktv

    http://fr.novopress.info

  • Mezri Haddad : « la révolution du jasmin était une manipulation du Qatar et des Etats-Unis »

    http://mediabenews.wordpress.com/

    Interviewé par le quotidien algérien La Nouvelle République, Mezri Haddad revient sur les causes de la révolution du jasmin et dévoile les objectifs stratégiques et géopolitiques du printemps arabe. Pour le philosophe tunisien, ce printemps n’est que la mise en oeuvre du « Grand Moyen-Orient » conçu par les néoconservateurs pour domestiquer l’islamisme en vue de perpétuer l’hégémonie américaine. « Le triomphe de l’islamisme en tant qu’idéologie provoquera la déchéance de l’Islam en tant que religion », prévient M.Haddad. Voici la reproduction de cette interview réalisée par Chérif Abdedaïm et publiée à la Une de la Nouvelle République du 12 février 2013.

    Vous êtes de ceux qui considèrent que la « révolution tunisienne » n’est en fait qu’une  imposture qui ne relève pas seulement du ressort des islamistes. Quels sont d’après-vous les responsables de cette déstabilisation de la Tunisie et pourquoi ?

    Les responsables de cette déstabilisation c’est d’abord un régime qui n’a pas été capable d’amorcer, en temps opportun, un véritable processus démocratique et qui a laissé se propager le clientélisme et la corruption. C’est aussi une opposition qui a manqué de patriotisme en se mettant au service d’agendas étrangers. Oui, j’ai considéré dès le départ que la « révolution du jasmin » était un conte de fées pour adolescents. Il s’agissait plutôt d’une révolte sociale que des traitres locaux et des services étrangers ont déguisé en révolution politique. Cette révolte sociale est semblable à celle de janvier 1978, à celle de janvier 1984 et à celle d’octobre 1988 en Algérie. Elles exprimaient toutes des revendications sociales et salariales parfaitement légitimes. Ce qui s’est passé en janvier 2011 est donc une colère sociale qu’une poignée de cyber-collabos ont transformé en soulèvement politique, selon un plan que les services américains ont mis en œuvre dès 2007. Volontairement ou inconsciemment, plusieurs jeunes tunisiens et arabes d’ailleurs ont été embrigadé par l’organisation OTPOR, par l’Open Society Institute du vénérable George Soros, et par la Freedom House, qui a été dirigé par l’ancien directeur de la CIA, James Woolsey, et qui compte parmi ses membres le théoricien du choc des civilisations, Samuel Huntington, ainsi que Donald Rumsfeld et Paul Wolfowitz, qui ont commis des crimes contre l’Humanité en Irak. C’est par la magie du Web, d’internet et de facebook qu’un simple fait divers –l’immolation par le feu d’un jeune alcoolique- s’est mu en « révolution du jasmin » pour se transmuer en « printemps arabe ».

    Au même titre que dans beaucoup de pays arabes et même européens, la Tunisie a connu son malaise social, mal vie, chômage, etc, qui sembleraient être à l’origine du soulèvement du peuple tunisien. Toutefois, quand on  constate qu’avec la nouvelle configuration du paysage politique tunisien  cette situation sociale s’est au contraire aggravée ; qu’aurait-il fallu faire pour redresser cette situation ?

    Le malaise social était bien réel mais on en a exagéré l’ampleur. Contrairement à tout ce qui a été dit par propagande, par ignorance ou par suivisme, ce n’était pas du tout une révolte de la pauvreté et de la misère économique mais de la prospérité et de la croissance mal répartie entre les strates sociales et les régions géographiques. L’économie de la Tunisie se portait nettement mieux que les économies dopées de l’Espagne, de l’Italie, du Portugal et de la Grèce, un Etat en faillite malgré trois plans de sauvetage à coup de millions d’euros. L’Etat tunisien n’était pas en faillite, bien au contraire. C’est maintenant qu’il est en faillite, avec un endettement qui s’est multiplié par sept, une croissance en berne et plus d’un million de chômeurs, alors qu’il était à 400000 en janvier 2011. En moins de deux ans, la Tunisie a perdu les acquis de 50 ans de dur labeur.

    Si vous aviez à comparer l’époque Bourguiba, celle de Ben Ali, et la gouvernance actuelle,  quelle serait  d’après-vous celle qui répond le mieux aux aspirations du peuple tunisien ?

    Celle de Bourguiba, incontestablement. C’était l’époque où le géni d’un homme se confondait avec l’esprit d’une nation. Je préfère employer ce concept de nation plutôt que le mot peuple dont tout le monde se gargarise depuis janvier 2011. Bourguiba, qui reste pour moi un exemple inégalable, n’était pas un démocrate mais un despote éclairé. Sa priorité n’était pas la démocratie, mais la construction d’un Etat moderne, le raffermissement d’une nation, l’affranchissement des esprits par l’éducation et l’émancipation de la femme par jacobinisme. Ben Ali n’a ni la dimension charismatique de Bourguiba, ni sa puissance intellectuelle. C’est un président pragmatique que le hasard et la nécessité ont placé à la tête de la Tunisie. Il avait deux priorités : le redressement économique du pays et la neutralisation des islamistes. Quoique l’on dise aujourd’hui, dans ces deux objectifs, il a remarquablement réussi. Sa faute majeure dont la Tunisie n’a pas fini de payer le prix, c’est qu’il n’a pas profité de ses deux atouts pour instaurer une véritable démocratie. Enivré par le pouvoir, mal conseillé, se sentant invulnérable, il n’a pas su répondre aux aspirations démocratiques d’une société à plus de 60% jeune et éduquée. Quant à la gouvernance actuelle, elle cumule l’incompétence et la suffisance. Mais plus grave encore que l’incompétence, ce gouvernement dit de la troïka n’a aucun sens du patriotisme, puisque les uns subissent les injonctions de Washington, les autres sont sous l’influence de l’ancienne puissance coloniale, et les troisièmes sont aux ordres du Qatar.

    On accuse justement le Qatar de jouer un rôle déstabilisateur dans les pays arabes ; êtes-vous de cet avis ? Si oui, dans quel intérêt cet émirat joue-t-il ce rôle ?

    Non seulement je suis de cet avis, mais j’ai été l’un des rares, sinon le premier à dénoncer le rôle moteur que cet émirat féodal et esclavagiste a joué dans ce fameux « printemps arabe ». Je l’avais analytiquement démontré dans mon livre « La face cachée de la révolution tunisienne », dès 2011. Le rôle de cette oligarchie mafieuse a été, en effet, déterminant. Par la propagande et l’intoxication d’Al-Jazeera, par l’activisme diplomatique, par la corruption financière des instances décisionnelles occidentales, et par le recrutement de mercenaires chargés de semer la panique et la terreur au sein de la société. Il existe des preuves matérielles selon lesquelles les premières victimes dans les rangs des manifestants ont été abattues par des snippers d’Europe de l’Est payés par les services qataris. Ce fut le cas en Tunisie mais aussi en Egypte. Dans quel intérêt le Qatar a-t-il joué ce rôle ? Primo par sous-traitance de la géopolitique israélo-américaine. Secundo par ambition énergétique. Tertio par messianisme islamo-wahhabite.

    La France et les Etats-Unis, semblent également impliqués dans la déstabilisation de la Tunisie, à l’instar de l’Egypte, la Libye et maintenant la Syrie et bientôt le Sahel. Dans ces différents cas, ils semblent  se « réconcilier » avec les mouvements islamistes qu’ils combattaient depuis le 9/11 au nom de la lutte anti-terroriste. Comment peut-on interpréter cette nouvelle  « alliance »?

    Pour ce qui est des anglo-saxons, cette alliance n’est pas nouvelle mais très ancienne. Elle remonte à la fameuse grande révolte arabe sous le commandement de Lawrence d’Arabie, puis à la naissance des Frères musulmans en 1928, une secte qui est le produit du géni politique anglais pour marginaliser le nationalisme arabe en guerre contre le colonialisme. L’âge d’or de l’alliance islamo-impérialiste a été en Afghanistan et contre l’URSS. Les événements du 11 septembre 2001 ont sans doute marqué un tournant. L’esclave s’est retourné contre son maître. L’administration Bush a trouvé dans cet événement l’occasion d’envahir l’Irak et croyait pouvoir éradiquer rapidement le terrorisme islamiste en Afghanistan. Mais parallèlement, dans le cadre du « Grand Moyen-Orient », les néoconservateurs renouaient avec tous les mouvements islamistes qui ont fait allégeance au gendarme du monde. Le nouveau deal : on lâche les dictatures qui vous ont persécuté, on vous aide même à prendre le pouvoir, mais en échange, vous gardez bien nos intérêts, vous ne franchissez pas la ligne rouge par rapport à Israël et vous contribuez au maintien de l’omnipuissance américaine contre la Russie, la Chine, l’Inde et les autres puissances émergentes. Comme je l’avais dit dans une interview il y a plus d’une année, « A vous la charia, à nous le pétrole. Chacun sa religion ! ». C’est ainsi que je résume le sens ultime du « printemps arabe ».  

    Vous dites également, dans l’un de vos articles que « C’est l’impatience et l’insolence d’un Rached Ghannouchi  galvanisé par le soutien américain, la crise algérienne et le bras de fer entre le FLN et le FIS qui ont changé la donne en Tunisie. » Pouvez-vous  nous éclairer à ce sujet ?

    Il me semble que je parlais des rapports entre Ben Ali et Ennahda entre 1987 et 1991. Il faut d’abord rappeler que deux Etats ont joué un rôle important dans l’arrivée au pouvoir de Ben Ali : l’Italie et l’Algérie. La France avait un autre successeur à Bourguiba et les Américains jouaient déjà la carte islamiste. Ben Ali a été reconnu par les Etats-Unis à la seule condition qu’il partage le pouvoir avec leurs protégés islamistes. C’est ainsi qu’il les a libéré de prison, qu’il a reçu à Carthage Ghannouchi, que les islamistes ont été autorisé à participer aux élections de 1989 avec des listes indépendantes, qu’ils ont signé le Pacte national…Le point de discorde a été la légalisation d’Ennahda. Bien installé au pouvoir, Ben Ali voulait gagner encore du temps avant de faire cette dernière concession. Excédés, confortés par l’allié anglo-américain, les islamistes ont retrouvé leurs vieux reflexes : manifestations, agitations à l’université, complots contre la sécurité de l’Etat et tentatives d’assassiner Ben Ali. Celui-ci a trouvé dans le début de la crise algérienne l’occasion de mettre hors d’état de nuire les islamistes.

    En extrapolant l’impact de ces « révolutions » déstabilisatrices, on constate également, qu’un autre bras de fer se déroule en catimini entre les Etats-Unis ( y compris leur alliés Occidentaux) et les pays du BRICS. D’après-vous, quelles pourraient être  les conséquences de cette nouvelle donne ?

    Ce n’est pas une extrapolation mais une expression essentielle du « printemps arabe ». Je dirai même que le premier sens géopolitique et géostratégique de ce « printemps arabe » est de saborder par anticipation tout rapprochement entre le monde arabo-islamique et les puissances du BRICS, principalement la Russie et la Chine. Il faut relire Bernard Lewis et Samuel Huntington pour une meilleure intelligibilité du « printemps arabe », à l’aune du projet de Grand Moyen-Orient. Dans le « Choc des civilisations », Huntington –qui a d’ailleurs commencé sa carrière universitaire en tant que spécialiste de la Tunisie !- parle clairement de « l’alliance islamo-confucéenne » qu’il faut empêcher par tous les moyens. La carte islamiste, comme la carte du bouddhisme tibétain, pourrait d’ailleurs tout à fait servir à l’implosion de la Chine, qui compte une trentaine de millions de musulmans. Idem pour l’Inde, autre puissance émergente, qui compte 130 millions de musulmans et que les Anglais avaient déjà affaibli par la création artificielle et sur une base confessionnelle du Pakistan en 1947, au grand désespoir de Gandhi. En termes géopolitiques, les Américains cherchent à constituer en Méditerranée un Arc sunnite, la fameuse « ceinture verte », qui partirait du Maroc jusqu’en Turquie, en passant par l’Algérie, la Tunisie, la Libye, l’Egypte, le Liban, la Syrie et le futur Etat jordano-palestinen ! Avec le Pakistan, l’Afghanistan, l’Arabie Saoudite et les pétromonarchies, l’Iran chiite sera isolé, le pétrole sera bien gardé et a foi des musulmans, bien conservée ! Mais il y a aussi un Arc chiite en prévision. C’est que les Etats-Unis ne cherchent pas tant à détruire l’Iran qu’à aseptiser son chiisme, le désamianter plus exactement. Le chiisme aura forcément un rôle à jouer, ne serait-ce que pour que la puissance de l’islamisme sunnite ne dépasse jamais le seuil de tolérance américaine.

    On accuse également les instigateurs de cette déstabilisation du monde arabe de convoiter les ressources naturelles de ces pays au moment où la crise économique bat son plein en Europe et aux Etats-Unis. Dans ce cas, pourquoi alors s’être attaqué à la Tunisie qui ne dispose pas de pétrole ou d’autres ressources minières importantes ?

    C’est le principal argument que les idiots utiles de la pseudo-révolution tunisienne ont utilisé pour répondre à ceux qui ont analysé cette « révolution » dans ses implications géopolitiques, en accusant d’ailleurs ces analyses de théories du complot. La Tunisie n’a pas été visée parce qu’elle regorge de pétrole mais parce qu’elle répondait au critère du parfait laboratoire. Elle devait servir de mèche à la poudrière arabe. C’était le pays socialement, économiquement et politiquement le mieux prédisposé à une telle crise. Pendant des années, on avait présenté le régime tunisien comme la plus grande dictature policière du monde arabe. Les événements de janvier 2011 ont démontré qu’il était le régime le plus vulnérable et même le plus libéral. Quant à l’appropriation des ressources naturelles par les colonialistes new look, cela ne fait pas le moindre doute. La Libye n’est plus maitresse de son gaz, de son pétrole et même de ses nappes phréatiques. Exactement comme l’Irak, depuis 2003.

    Récemment les islamistes viennent de passer à une nouvelle étape  celle des assassinats ; celui du militant Chokri Belaïd, après ceux de Lotfi Nakhd, de Nidaa Tounès, il y a quelques mois ; de quoi  cela pourrait-il présager ?

    C’est le présage d’une série d’attentats ciblant les politiques, les intellectuels, les journalistes, mais aussi d’un cycle de violence que la Tunisie n’a jamais connu auparavant. C’est la conséquence de deux ans de laxisme et de décisions irresponsables. Dès le 14 janvier 2011, au nom de la « révolution du jasmin », des terroristes ont été libéré, d’autres sont revenus des quatre coins du monde, des centaines de criminels qui n’ont rien à voir avec la politique ou l’islamisme ont été amnistiés par le président provisoire. Tous ces individus dangereux se promènent librement dans le pays. Il y a aussi les criminels qui sont partis faire le jihad en Syrie et qui vont revenir chez eux. Le rétablissement de l’ordre et de la paix civile vont être la tâche la plus difficile.

    Enfin, à quelles conséquences pourrait-on s’attendre avec cette montée de l’islamisme radical ? Et qui en serait (ent)  le(s) véritable(s) bénéficiaire(s) ?

    Première conséquence, la banalisation du choc des civilisations et la fracture entre Orient et Occident. Avec ce « désordre créatif » comme disent les architectes du « printemps arabe », les pays déstabilisés ne se relèveront pas avant une quinzaine d’années. Ils vont connaître l’anarchie, l’insécurité, l’instabilité politique et le marasme économique. Mais le plus grave à mon avis, c’est la régression sociale, éducative et culturelle que connaissent déjà ces pays et qui va connaitre une amplification dans les années qui viennent. C’est l’ère de la sacralisation du bigotisme et de l’ignorance, l’époque du repli identitaire. Mon combat contre l’idéologie islamiste n’a jamais été celui d’un marxiste, d’un freudien ou d’un laïciste. C’est parce que je me sens profondément musulman que je suis radicalement anti-islamiste. Le pire ennemi de l’islam, c’est l’islamisme. Faire de la religion de Mouhammad un enjeu politique et géopolitique entre les mains des puissances occidentales, c’est un crime impardonnable. Réduire le Coran à un manuel politique, c’est trahir l’esprit de l’islam et poignarder la transcendance de Dieu. Dès 1937, Abbas Mahmoud Al-Akkâd disait que « les groupes religieux qui recourent à la religion pour atteindre des objectifs politiques sont des agents payés qui se cachent derrière l’islam pour abattre cette religion, car la réussite de leur cause finit par la perte de l’islam ». Je considère, en effet, que le triomphe de l’islamisme en tant qu’idéologie provoquera la déchéance de l’Islam en tant que religion. En faisant du saint Coran un manuel de subversion, en réduisant la Sunna aux miasmes de la scolastique médiévale qui offense la haute spiritualité de l’Islam et la supériorité de la philosophie islamique, en faisant de l’islam un enjeu de politique internationale, en transformant cette religion en instrument de chantage , de pression ou de négociation entre les mains des « mécréants » occidentaux comme ils disent, en l‘impliquant dans des actions terroristes aussi abjectes qu’étrangères à ses valeurs intrinsèquement humanistes, ces marchands de l’islam, ces imposteurs de Dieu, ont déjà beaucoup porté atteinte à l’Islam. Vous pourriez donc facilement deviner à qui profite cette subversion de l’Islam et cette image si injuste que l’on donne des musulmans.
    Tunisie-Secret.com

    Interviewé par Chérif Abdedaïm
    La Nouvelle République

    http://euro-synergies.hautetfort.com/

  • Mali : la facture explose, la résistance jihadiste se durcit

    Pour financer les opérations militaires, 950 millions de dollars sont nécessaires, estime le ministre ivoirien des Affaires étrangères, le double de ce qui était prévu fin janvier. Sur le terrain, l’arsenal dont dispose les jihadistes inquiète de plus en plus.

    La guerre au Mali coûtera plus cher que prévu, le double plus précisément. En clair, aujourd’hui ce sont 950 millions de dollars de dollars (715 millions d’euros euros) qui sont nécessaires pour financer les opérations militaires et renforcer les effectifs africains, soit plus du double des fonds de l’enveloppe promis de 455 millions de dollars (338 millions d’euros) promise à la force africaine dans ce pays (Misma) fin janvier par la communauté internationale ( voir la vidéo des Echos TV ), a affirmé lundi Charles Koffi Diby, le ministre ivoirien des Affaires étrangères.

    La Misma prévoit de déployer à terme 6.000 hommes, au lieu des 3.300 annoncés au départ, auxquels s’ajoutent les 2.000 soldats tchadiens promis par N’Djamena, qui ne font pas partie de la Misma mais travaillent en coordination avec elle.  Il est « primordial » que la Misma, qui doit à terme « assurer le remplacement progressif » des forces françaises, « puisse disposer de toutes les ressources nécessaires », a souligné le ministre ivoirien. Selon lui, il est également prioritaire de « protéger les populations touareg contre toutes formes d’exactions ».

    Risque de guerre asymétrique

    Face au risque d’une « guerre asymétrique » menée par les jihadistes, le renforcement des troupes africaines, fixé à terme à 8.000 hommes, « s’impose comme une priorité », portant « l‘estimation financière globale à 950 millions de dollars », a déclaré le ministre à l’ouverture d’une réunion de ministres de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) à Abidjan. Une priorité d’autant plus urgente que, sur le terrain, les force maliennes et françaises vont de surprise en surprise  : obus de char, lance-roquettes multiples, fusils de précision, M16… dans la région de Gao (nord), l’armée malienne doit faire face à un ennemi aussi bien, sinon mieux équipé qu’elle. La principale menace restant, selon les militaires français, les engins explosifs artisanaux. Alignés sur la base 1 de l’aéroport de Gao, aux côtés de fusils d’assaut américains M16, de fusils de précision de fabrication tchèque, et autres roquettes russes ou chinoises, des explosifs et des détonateurs mais aussi des uniformes de différents corps de l’armée malienne.

    Pour le colonel-major Didier Dacko, commandant opérationnel de la zone, « l’impression qu’on a, c’est qu’eux et nous (armée malienne) avons quasiment les mêmes armes, sauf la troisième dimension, l’aviation, qu’ils n’ont pas ». « Ils ont aussi des engins blindés, mais on s’est rendu compte qu’ils ne savaient pas les utiliser ou les réparer », relève-t-il. « Ca nous donne une idée d’une armée, en fait des organisations qui ont les capacités d’une armée, la capacité de destruction d’une armée », a déclaré pour sa part le colonel Laurent Mariko, commandant de la zone de Gao, lors d’une présentation dimanche à la presse d’armements saisis depuis le 26 janvier, date de la reprise de la principale ville du nord du Mali aux islamistes armés qui l’occupaient depuis dix mois.

    Ces armes, récupérées par les forces spéciales maliennes, l’armée française ou encore par des groupes de « jeunes patriotes », proviennent de « stocks de l’armée malienne -il y a eu des défections massives avec des capacités militaires-, mais aussi de la gendarmerie sénégalaise ou d’autres pays limitrophes », a indiqué le colonel Mariko. Au milieu du stock d’armes, un panier de roquettes de fabrication russe, à monter sur hélicoptère, mais aussi des autocollants du drapeau des Emirats arabes unis, présentés par erreur à la presse comme « libyens ».

    La crainte des « IED »

    Les forces françaises s’inquiètent en particulier de la découverte d’IED (Improvised Explosive Device), qui étaient déjà leur cauchemar en Afghanistan. « Ce qui nous inquiète le plus ce sont les moyens artisanaux mis en oeuvre, avec les roquettes, notamment de 122 », déclare le colonel Denis Mistral. Selon lui, « les groupes armés jihadistes arrivent à mettre en place des systèmes télécommandés avec des téléphones et ils le font pour faire peser une menace permanente sur la ville de Gao ».

    « On cherche ces systèmes-là en permanence de manière à les détruire. On en a encore trouvé la nuit dernière. C’est une des choses difficiles à gérer », ajoute-t-il, soulignant qu’« il faut innover en permanence, de jour et de nuit, pour surprendre l’ennemi ». Selon des sources militaires maliennes et françaises, plusieurs des éléments islamistes infiltrés jeudi au centre de Gao étaient porteurs de ceintures d’explosifs. Un IED avait été installé précisément à l’entrée des jardins de la mairie, mais les démineurs français ont découvert que son artificier n’avait pas eu le temps de l’activer.

    Lire la suite de l’article dans Les Echos

    http://fortune.fdesouche.com

  • Les Chinois dans la pierre

     

     

     

     
    SAFE est le nom de l'institution chinoise d'administration des réserves de change de l'Empire du Milieu (3310 milliards de dollars). Royal-Artillerie a présenté ce léviathan financier dans un billet resté fameux, Picsou l'a rêvé, Ts'ai-chen l'a fait, paru aussi dans l'AF2000 le 20 janvier 2011. C'est à Londres qu'on reparle du monstre.

    1 Angel Square
    La SAFE avait garé 2,5 milliards de dollars en 2008 chez un fonds collectif d'investissement américain, Texas Pacific Group (ce fonds détient 42% de notre TDF) qui avait lui-même misé sur la Washington Mutual Investment Holding Corp. de Seattle (WIMH). Cette banque multi-marchés, un des plus gros acteurs des Etats Unis, a fondu les plombs le 25 septembre 2008 dans l'ouragan de feu des subprimes et SAFE n'a jamais rien dit de la lourde perte encourue. Mais n'en a pensé pas moins. Choisir une grosse institution - too big to fail - était décidément une connerie malgré les cours dispensés à l'université. TPG est le seul échec connu de la politique d'investissement de la SAFE, mais il y en eut probablement d'autres. C'est ce qui a redirigé ses crânes d'oeuf vers le placement de père de famille, un vieux truc chinois finalement. C'est Londres (et l'Angleterre) la première cible, la mauvaise santé de l'économie britannique ne perturbant pas les analystes de Pékin ou Singapour. Ils visent simplement l'immobilier et les infrastructures... comme le ferait le Qatar ! Le Qatar certes, mais tous les fonds souverains d'aujourd'hui, Norvège, Azerbaïdjan, Malaisie, Brunei..., échaudés par la créativité financière que seuls les créateurs arrivent à comprendre.

    Le bras investisseur chinois en vue est le fonds singapourien Gingko Tree Investment Ltd immatriculé à Londres (comme par hasard) et détenu à 100% par la SAFE qui a décidé de sauter par dessus la cascade d'acteurs spécialisés, fonds investisseurs classiques et banques, pour mettre ses sous directement sur la cible ultime. Selon Dealogic, il est sorti du bois l'an dernier. En janvier il a racheté à la Barclays pour 550 millions de livres 40% de la United Pulp & Paper Company Ltd. qui travaille dans l'écologie du recyclage et traitement de déchets, l'énergie de récupération. Gingko a placé immédiatement deux administrateurs au conseil. Gingko avait pris en juillet 10% dans le consortium qui a racheté le réseau d'eau Veolia Water Central pour 1236M£. Il a ramassé aussi un immeuble de bureau à Manchester (49% de One Angel Square) en décembre, après avoir payé en mai 438M$ pour l'immeuble de bureaux Drapers Gardens de Londres, selon Real Capital Analytics (NYC). Ce ne sont que des exemples émergés.

    Winchester House
    Excédés par les faibles taux d'intérêt des bonds du trésor et le yoyo spéculatif des actions en bourse déconnecté des réalités, la SAFE gare les avoirs de l'empire dans la pierre, ce qui est une innovation, mais oblige à désinvestir du papier. Jusque là, le défaut de confiance dans les entreprises qu'elles ne dirigent pas obligeait les autorités chinoises à se garder "liquides" le plus possible, quitte à jouer sur les changes. Mais la montagne de bons amassés les étouffe. Ils auront mis deux décennies au moins à comprendre du haut de leur incommensurable orgueil qu'ils ont acheté de la m... La Washington Mutual leur a ouvert les yeux.
    De son côté, la CIC, fonds souverain chinois China Investment Corp. qui gère 410 milliards de dollars d'actifs, a racheté la prestigieuse Winchester House pour 401M$, pour la louer à la Deutsche Bank qui en a fait son siège anglais. La CIC a aussi des parts dans l'aéroport d'Heathrow et dans le réseau d'eau Thames Water. C'est clair !

    Sont-ils au courant que nous avons des usines super-productives et que personne n'y met un kopek ! C'est vrai qu'un syndicat communiste dans l'affaire est rédhibitoire pour un Chinois responsable, même si M. Mélenchon est un "ami utile" !
  • Aymeric Chauprade : les grandes tendances géopolitiques du moment, la place de la France (1/2)

    Première partie. Aymeric Chauprade revient sur les grandes tendances géopolitiques du moment et se penche sur la place de la France dans le monde. Entretien réalisé avec Xavier Moreau pour Realpolitik, le 13 février 2013.


    Aymeric Chauprade : les grandes tendances... par realpolitiktv

    http://www.actionfrancaise.net

  • Obama et Poutine vont-ils se partager le Proche-Orient ?

    Dans un article publié le 26 janvier dernier en Russie, Thierry Meyssan expose le nouveau plan de partage du Proche-Orient sur lequel travaillent la Maison-Blanche et le Kremlin. L’auteur y révèle les principales données de la négociation en cours sans préjuger d’un accord définitif, ni de sa mise en œuvre. L’intérêt de l’article est qu’il permet de comprendre les positions ambigües de Washington qui pousse ses alliés dans une impasse de manière à pouvoir leur imposer prochainement une nouvelle donne dont ils seront exclus.

    Le président Obama s’apprête à changer complétement de stratégie internationale, malgré l’opposition que son projet a suscité dans sa propre administration.

    Le constat est simple. Les États-Unis sont en passe de devenir indépendants au plan énergétique grâce à l’exploitation rapide des gaz de schistes et du pétrole des sables bitumineux. Par conséquent la doctrine Carter (1980) selon laquelle la sécurisation de l’accès au pétrole du Golfe est un impératif de sécurité nationale est morte. De même d’ailleurs que l’Accord du Quincy (1945) selon lequel Washington s’engage à protéger la dynastie des Séoud si ceux-ci leur garantissent l’accès au pétrole de la péninsule arabique. Le temps est venu d’un retrait massif qui permettra de transférer les GI’s vers l’Extrême-Orient afin de contenir l’influence chinoise.

    D’autre part, tout doit être fait pour empêcher une alliance militaire sino-russe. Il convient donc d’offrir des débouchés à la Russie qui la détournent de l’Extrême-Orient.

    Enfin, Washington étouffe de sa relation trop étroite avec Israël. Celle-ci est extrêmement onéreuse, injustifiable au plan international, et dresse contre les États-Unis l’ensemble des populations musulmanes. En outre, il convient de sanctionner clairement Tel-Aviv qui s’est ingéré de manière ahurissante dans la campagne électorale présidentielle US, qui plus est en misant contre le candidat qui a gagné.

    C’est trois éléments ont conduit Barack Obama et ses conseillers à proposer un pacte à Vladimir Poutine : Washington, qui reconnaît implicitement avoir échoué en Syrie, est prêt à laisser la Russie s’installer au Proche-Orient sans contrepartie, et a partager avec elle le contrôle de cette région.

    C’est dans cet état d’esprit qu’a été rédigé par Kofi Annan le Communiqué de Genève du 30 juin 2012. À l’époque, il s’agissait juste de trouver une issue à la question syrienne. Mais cet accord a été immédiatement saboté par des éléments internes de l’administration Obama. Ils ont laissé fuiter à la presse européenne divers éléments sur la guerre secrète en Syrie, y compris l’existence d’un Presidential Executive Order enjoignant la CIA de déployer ses hommes et des mercenaires sur le terrain. Pris en tenaille, Kofi Annan avait démissionné de ses fonctions de médiateur. De son côté, la Maison-Blanche avait fait profil bas pour ne pas exposer ses divisions en pleine campagne pour la réélection de Barack Obama.

    Dans l’ombre trois groupes s’opposaient au communiqué de Genève :

    • Les agents impliqués dans la guerre secrète

    • Les unités militaires chargées de contrer la Russie

    • Les relais d’Israël

    Au lendemain de son élection, Barack Obama a débuté la grande purge. La première victime fut le général David Petraeus, concepteur de la guerre secrète en Syrie. Tombé dans un piège sexuel tendu par une agente du Renseignement militaire, le directeur de la CIA fut contraint à la démission. Puis, une douzaine de hauts gradés furent mis sous enquête pour corruption. Parmi eux, le suprême commandeur de l’OTAN (amiral James G. Stravidis) et son successeur désigné (le général John R. Allen), ainsi que le commandant de la Missile Défense Agency —c’est-à-dire du « Bouclier anti-missiles »— ¬(général Patrick J. O’Reilly). Enfin, Susan Rice et Hillary Clinton faisaient l’objet de vives attaques pour avoir caché au Congrès des éléments sur la mort de l’ambassadeur Chris Stevens, assassiné à Benghazi par un groupe islamiste probablement commandité par le Mossad.

    Ses différentes oppositions internes étant pulvérisées ou paralysées, Barack Obama a annoncé un renouvellement en profondeur de son équipe. D’abord, John Kerry au département d’État. L’homme est partisan déclaré d’une collaboration avec Moscou sur les sujets d’intérêt commun. Il est aussi un ami personnel de Bachar el-Assad. Puis, Chuck Hagel au département de la Défense. C’est un des piliers de l’OTAN, mais un réaliste. Il a toujours dénoncé la mégalomanie des néo-conservateurs et leur rêve d’impérialisme global. C’est un nostalgique de la Guerre froide, ce temps béni où Washington et Moscou se partageaient le monde à moindre frais. Avec son ami Kerry, Hagel avait organisé en 2008 une tentative de négociation pour la restitution par Israël du plateau du Golan à la Syrie. Enfin John Brennan à la CIA. Ce tueur de sang-froid est convaincu que la première faiblesse des États-Unis, c’est d’avoir créé et développé le jihadisme international. Son obsession est d’éliminer le salafisme et l’Arabie saoudite, ce qui en définitive soulagerait la Russie au Nord-Caucasse.

    Simultanément, la Maison-Blanche a poursuivi ses tractations avec le Kremlin. Ce qui devait être une simple solution pour la Syrie est devenu un projet bien plus vaste de réorganisation et de partage du Proche-Orient.

    On se souvient qu’en 1916, à l’issue de 8 mois de négociations, le Royaume-Uni et la France se partagèrent en secret le Proche-Orient (Accords Sykes-Picot). Le contenu de ces accords avait été révélé au monde par les Bolcheviks dès leur arrivée au pouvoir. Il s’est poursuivi durant près d’un siècle. Ce que l’administration Obama envisage, c’est un remodelage du Proche-Orient pour le XXIe siècle, sous l’égide des USA et de la Russie.

    Aux États-Unis, bien qu’Obama se succède à lui-même, il ne peut dans la période actuelle qu’expédier les affaires courantes. Il ne reprendra ses attributions complètes que lors de sa prestation de serment, le 21 janvier. Dans les jours qui suivront, le Sénat auditionnera Hillary Clinton sur le mystère de l’assassinat de l’ambassadeur en Libye (23 janvier), puis il auditionnera John Kerry pour confirmer sa nomination (24 janvier). Immédiatement après, les 5 membres permanents du Conseil de sécurité se réuniront à New York pour examiner les propositions Lavrov-Burns sur la Syrie.

    Celles-ci prévoient la condamnation de toute ingérence extérieure, le déploiement d’observateurs et d’une force de paix des Nations Unies, un appel aux différents protagonistes pour qu’ils forment un gouvernement d’union nationale et planifient des élections. La France devrait s’y opposer sans pour autant menacer d’utiliser son veto contre son suzerain US.

    L’originalité du plan, c’est que la force des Nations Unies serait principalement composée par des soldats de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC). Le président Bachar el-Assad resterait au pouvoir. Il négocierait rapidement une Charte nationale avec des leaders de l’opposition non-armée sélectionnés avec l’approbation de Moscou et Washington, et ferait valider cette charte par référendum sous contrôle des observateurs.

    Ce coup de théâtre a été préparé de longue date par les généraux Hassan Tourekmani (assassiné le 18 juillet 2012) et Nikolay Bordyuzha. Une position commune des ministres des Affaires étrangères de l’OTSC a été conclue le 28 septembre et un Protocole a été signé entre le département onusien de maintien de la paix et l’OTSC. Celle-ci dispose maintenant des mêmes prérogatives que l’OTAN. Des manœuvres communes ONU/OTSC de simulation ont été organisées au Kazakhstan sous le titre « Fraternité inviolable » (8 au 17 octobre). Enfin, un plan de déploiement de « chapkas bleues » a été discuté au sein du Comité militaire de l’ONU (8 décembre).

    Une fois la Syrie stabilisée, une conférence internationale devrait se tenir à Moscou pour une paix globale entre Israël et ses voisins. Les États-Unis considèrent qu’il n’est pas possible de négocier une paix séparée entre Israël et la Syrie, car les Syriens exigent d’abord une solution pour la Palestine au nom de l’arabisme. Mais il n’est pas possible non plus de négocier une paix avec les Palestiniens, car ceux-ci sont extrêmement divisés, à moins que la Syrie ne soit chargée de les contraindre à respecter un accord majoritaire. Par conséquent, toute négociation doit être globale sur le modèle de la conférence de Madrid (1991). Dans cette hypothèse, Israël se retirerait autant que faire se peut sur ses frontières de 1967. Les Territoires palestiniens et la Jordanie fusionneraient pour former l’État palestinien définitif. Son gouvernement serait confié aux Frères musulmans ce qui rendrait la solution acceptable aux yeux des gouvernements arabes actuels. Puis, le plateau du Golan serait restitué aux Syriens en échange de l’abandon du lac de Tibériade, selon le schéma envisagé jadis aux négociations de Shepherdstown (1999). La Syrie deviendrait garante du respect des traités par la partie jordano-palestinienne.

    Comme dans un jeu de domino, on en viendrait alors à la question kurde. L’Irak serait démantelée pour donner naissance à un Kurdistan indépendant et la Turquie serait appelée à devenir un État fédéral accordant une autonomie à sa région kurde.

    Côté US, on souhaiterait prolonger le remodelage jusqu’à sacrifier l’Arabie saoudite devenue inutile. Le pays serait divisé en trois, tandis que certaines provinces seraient rattachées soit à la fédération jordano-palestinienne, soit à l’Irak chiite, conformément à un vieux plan du Pentagone ("Taking Saudi out of Arabia", 10 juillet 2002). Cette option permettrait à Washington de laisser un vaste champ d’influence à Moscou sans avoir à sacrifier une partie de sa propre influence. Le même comportement avait été observé au FMI lorsque Washington a accepté d’augmenter le droit de vote des BRICS. Les États-Unis n’ont rien cédé de leur pouvoir et ont contraint les Européens à renoncer à une partie de leurs votes pour faire de la place aux BRICS.

    Cet accord politico-militaire se double d’un accord économico-énergétique, le véritable enjeu de la guerre contre la Syrie étant pour la plupart des protagonistes la conquête de ses réserves de gaz. De vastes gisements ont en effet été découverts au Sud de la Méditerranée et en Syrie. En positionnant ses troupes dans le pays, Moscou s’assurerait un plus large contrôle sur le marché du gaz dans les années à venir.

    Le cadeau de la nouvelle administration Obama à Vladimir Poutine se double de plusieurs calculs. Non seulement détourner la Russie de l’Extrême-Orient, mais aussi l’utiliser pour neutraliser Israël. Si un million d’Israéliens ont la double nationalité états-unienne, un autre million est russophone. Installées en Syrie, les troupes russes dissuaderaient les Israéliens d’attaquer les Arabes et les Arabes d’attaquer Israël. Par conséquent, les États-Unis ne seraient plus obligés de dépenser des sommes phénoménales pour la sécurité de la colonie juive.

    La nouvelle donne obligerait les États-Unis à reconnaître enfin le rôle régional de l’Iran. Cependant Washington souhaiterait obtenir des garanties que Téhéran se retire d’Amérique latine où il a tissé de nombreux liens, notamment avec le Venezuela. On ignore la réaction iranienne à cet aspect du dispositif, mais Mahmoud Ahmadinejad s’est d’ores et déjà empressé de faire savoir à Barack Obama qu’il ferait tout ce qui est en son possible pour l’aider à prendre ses distances avec Tel-Aviv.

    Ce projet a des perdants. D’abord la France et le Royaume-Uni dont l’influence s’efface. Puis Israël, privé de son influence aux États-Unis et ramené à sa juste proportion de petit État. Enfin L’Irak, démantelé. Et peut-être l’Arabie saoudite qui se débat depuis quelques semaines pour se réconcilier avec les uns et les autres afin d’échapper au sort qui lui est promis. Il a aussi ses gagnants. D’abord Bachar el-Assad, hier traité de criminel contre l’humanité par les Occidentaux, et demain glorifié comme vainqueur des islamistes. Et surtout Vladimir Poutine qui, par sa ténacité tout au long du conflit, parvient à faire sortir la Russie de son « containment », à lui rouvrir la Méditerranée et le Proche-Orient et à faire reconnaître sa prééminence sur le marché du gaz.

    Thierry Meyssan http://www.egaliteetreconciliation.fr

  • Traité de « l’intérêt national » ! Sur le recours à la force (2008)

     

    Réflexions sur les textes de l’amiral Gaucherand, du Général Derenne et de la présidence du Büso, diffusés par M. Henri Fouquereau.

    Claude GAUCHERAND Contre – Amiral (2S), alors le  capitaine de frégate Claude Gaucherand…
    Petit Encart
    Lire :
    http://www.forumpourlafrance.org

     

    Lire :

    La question du recours à la force – du moins pour la France qui ne peut être l’objet que de toutes nos préoccupations – devrait être étudié dans le cadre du monde tel qu’il se présente à nous pour au moins le prochain siècle. Il est, semble-t-il caractérisé par les données suivantes :

    1° D’abord, en dépit de la mondialisation des échanges et des vastes mouvements migratoires, le grand et durable affrontement des peuples producteurs à bas salaires, à ceux dans lesquels le travail est beaucoup plus largement rémunéré. Il s’agit d’un affrontement socio-économique qui ne risque pas d’aboutir à l’épreuve de force militaire, l’existence – partagée – du nucléaire interdisant l’escalade au paroxysme de la violence. En revanche, la production des peuples milliardaires en vies humaines use peu à peu le modèle socio-économique des « anciennement industrialisés » amenuisant leur potentiel industriel et réduisant les niveaux de vie.

    Il en résultera un malaise social, les gouvernements privilégiant alors l’assistance économique afin d’atténuer les rigueurs des restrictions ainsi imposées aux populations hier favorisées.

    2° Ensuite, il faut prendre en considération la quête – forcenée – de ressources en énergies fossiles, cause de rivalités, de querelles, voire de combats menés avec des armes traditionnelles, le recours à l’atome étant exclu. La raréfaction programmée a inversé la complémentarité de jadis entre producteurs et consommateurs, les premiers cherchant  à tirer un profit maximum des richesses de leur sous-sol,  et les seconds passant parfois pour des prédateurs en usant de la force des armes (traditionnelles) pour s’assurer un ravitaillement suffisant.

    Le renchérissement qui accompagne la raréfaction des hydrocarbures crée de nouvelles conditions financières, économiques et sociales qui pèsent sur la politique des Etats.

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    C’est que, cherchant à remplacer la rente pétrolière en voie d’extinction,  les pays producteurs utilisent les vastes ressources que leur procure le renchérissement pour s’industrialiser et pour intervenir dans les économies des « anciennement industrialisés ». D’où l’influence croissante qu’ils y exercent qui pourrait caractériser la « troisième expansion » de l’Islam d’autant que ces « industrialisés » de longue date sont déjà mis à mal par la production à bas prix de la zone Asie-Pacifique et qu’en compensation, ils accueillent à la fois la présence sur leur sol des entreprises et des capitaux des futurs ex-pétroliers. Ce qui détermine une certaine subordination des pays d’accueil et compromet leur indépendance politique.

    « Des investisseurs de plus en plus présents... et  embarrassants »
    Lire : http://www.investir.fr

    3° La quête de l’hydrocarbure n’est pas étrangère à la naissance et à l’extension de l’arme du terrorisme, apparemment seul recours à la coercition pour les peuples non industrialisés face à ceux qui le sont. L’addition aux panoplies militaires de l’arme nucléaire – du moins pour les neuf pays qui la détiennent officiellement – donnait à penser que, désormais il n’existerait plus de commune mesure entre les risques inhérents à un échange nucléaire et l’enjeu d’un différend et qu’ainsi cette arme suprême gendarmerait une large fraction de l’humanité. Force est de constater que le terrorisme contourne le nucléaire
    militarisé, faute de constituer une cible vulnérable aux représailles atomiques, les sources du terrorisme pouvant agir à la fois partout et de nulle part. C’est là une situation nouvelle.

    Carte des Points Chauds dans le monde – 2006 -

     L’armement nucléaire se trouve confiné à une seule mission : décourager une agression décisive visant les œuvres vives de la nation,  tandis que celle-ci est devenue vulnérable aux effets – relativement limités comparativement – du terrorisme. Or, celui-ci individualise les périls mettant à mal tout système de dépense collective, chaque Etat membre de ce système cherchant en sous-main, sinon officiellement, des compromis afin d’écarter le terrorisme de son territoire. Le soutien des musulmans de Bosnie par les Etats-Unis visait aussi à équilibrer les liens de Washington avec Tel Aviv. Même démarche de Paris lors de l’attaque de l’Irak. D’où une politique nationale empreinte de suggestivité.

    4° Sur le recours à la force, il faut, enfin, tenir compte de la politique conduite par les gouvernements français successifs depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette politique vise – plus ou moins confusément – la marche vers la transformation d’une expression géographique, l’Europe, en entité politique. Ce qui implique la fin des souverainetés nationales, les Etats formant cette Europe devenant des divisions administratives gérées fédéralement, à l’instar des Etats-Unis d’Amérique. En effet, il n’existe que deux partis possibles : ou bien l’Etat-nation tel que l’Histoire l’a peu à peu forgé, ou bien l’Etat fédéral.

    Les constructions politiques intermédiaires, telle la confédération, se sont révélées trop faibles pour durer et rivaliser avec les deux autres formes d’Institutions. Révélateur, à cet égard, a été le comportement des jeunes Etats-Unis. En 1781, ils adoptèrent dans le cadre d’une « ligne d’amitiés », un texte constitutionnel intitulé les « Articles de la Confédération » qui prouva ses carences, aboutissant à de nombreux antagonismes « nationaux » aux désordres, faute d’un réel gouvernement central. D’où le recours au fédéralisme pur et dur et à la constitution de 1787 toujours en vigueur outre-atlantique.

    A Rome, Maastricht, Dublin, Nice, Lisbonne, la France a pris des engagements qui, les uns après les autres, entament la souveraineté des Français sur eux-mêmes, s’en prennent à l’idée de nation, aliènent la notion d’indépendance et, en ce qui nous concerne ici, confiant au supranational la politique étrangère et celle de la sécurité, donc le recours à la force n’étant plus au service des Français, mais de l’entité européenne en gestation. La démarche semble d’autant moins réversible qu’en majorité la population française souscrit à l’idée européenne. Elle adhère à l’effet de taille, impressionnée par les grands Etats, Chine, Inde, Etats-Unis, Russie et souhaite appartenir à une entité politique de quelque quatre cent ou cinq cents millions de citoyens, s’imaginant retenir, en même temps, le privilège de se gouverner, ce qui est contradictoire et même absurde.

    Dans un tel contexte, le recours à la force relèvera du gouvernement fédéral, la France, comme chacun de ses partenaires, fournissant une contribution à un appareil militaire qui n’agirait qu’aux ordres supranationaux éventuellement au service d’intérêts autres que les siens.

    5° La France – et plus généralement l’ensemble des pays membres de l’Union – vont avoir à s’accommoder de deux phénomènes politiques et économiques contradictoires :

    - D’une part, la quasi continuité de la politique des Etats-Unis et de la Russie. A un semestre près, les gouvernements respectifs de ces deux puissances changent, mais pour pratiquer la même politique parce qu’elle est conforme à leur intérêt national. En  somme, ces deux pays hier adversaires forment maintenant un ensemble relativement constant.

    Lire :
    http://blog-elections-americaines-tf1.lci.fr/

    - D’autre part, Chine et Inde portées par un gigantesque potentiel de production vont constituer les puissantes variables du monde de demain et inscrire ainsi l’imprévisible dans la vie internationale.

    Redressée par Vladimir Poutine, la Russie va poursuivre la politique qui a si bien réussi au cours des toutes dernières années. A savoir :

    - Tirer parti, politiquement et financièrement, des richesses énergétiques (gaz naturel et, pour quelques décennies encore, pétrole). Forts consommateurs, Europe à l’ouest, Chine et Inde à l’est forment un marché rémunérateur.

    Lire : http://www.iran-resist.org/article3318

    Du gaz russe pour la Chine

    Lire : http://www.rfi.fr

    - A l’instar des pétroliers arabes cherchant de nouvelles activités pour remplacer la rente pétrolière bientôt défaillante, Moscou, particulièrement riche en ressources  indispensables au développement, le sien et celui des autres, va accroître sa production industrielle et chercher à s’installer dans le gigantesque marché des peuples milliardaires en vies humaine afin de répondre à ses immenses besoins.

    - Accroître encore le potentiel scientifique et technique du pays afin d’être en mesure de fournir des équipements dits « de pointe » que ne conçoivent ni ne produisent les pays moins « avancés ». (A condition que le commerce du gaz ne valorise pas trop le rouble).

    - Augmenter le potentiel militaire du pays pour être en mesure de tenir en respect à la fois l’ouest vacillant et l’est montant vers la puissance, y compris celle que procurent les armes.

    . Pour les pays de l’Union européenne cela signifie qu’ils se trouvent au centre de la rivalité Est-Ouest, en l’occurrence Etats-Unis et Russie et que celle-ci détient un argument puissant : la fourniture de gaz naturel, avantage qu’est loin d’avoir l’Amérique. Nouvelle servitude pour cette Europe qui devra composer avec son puissant voisin de l’est bien que s’étant rangée dans le camp occidental tel que le conçoivent les Etats-Unis. Cette double dépendance doit accroître encore les charges qui pèsent sur l’Europe et contribuer à réduire encore le niveau de vie de ses habitants réduits au rôle de consommateurs aux faibles ressources, voire de quémandeurs pour avoir progressivement tari sa production.

    . La politique des Etats-Unis vise et visera le même objectif : demeurer aussi longtemps que possible l’unique superpuissance bien que ce privilège soit maintenant – et demain davantage encore – menacé par les peuples milliardaires en vies humaines et aussi quelque peu mis à mal mondialement par les ambitions pétrolières et les guerres qu’elles suscitent. Washington, en effet, persiste à tenir le recours à la force des armes comme le plus solide instrument de sa puissance. Il s’aliène ainsi une large fraction du monde. Quel que soit le futur président  des Etats-Unis, il ne manquera pas de reprendre à son compte les fondamentaux de la nation :
    - Obtenir et conserver la primauté en matière scientifique et technique, conditions du rayonnement économique et de l’afflux des investissements étrangers.
    - Assurer aux Etats-Unis la suprématie militaire que les peuples milliardaires en vies humaines pourraient, un jour, mettre en question.

     

    Avec les rodomontades des Etats-Unis en direction du Venezuela qui ont désormais atteint un sommet, le Pentagone a décidé de réactiver la quatrième flotte de la Navy dans les Caraïbes, l'Amérique Centrale et l'Amérique du Sud.
    http://questionscritiques.free.fr

    - Toujours fonder l’économie nationale sur le libéralisme mondialisé et la faculté d’imprimer autant de monnaie que nécessaire, la masse monétaire étant, sans commune mesure avec les biens qu’elle est censée représenter. Essayer de rétablir le dollar au rang de monnaie mondiale face à l’euro et peut-être un jour au yuan chinois. Pierre Leconte avance même l’hypothèse d’une fusion euro-dollar, créant une monnaie fondée sur le passé et  sur l’économie du monde atlantique en déclin afin de tenir tête à la future monnaie triomphante de la zone Asie-Pacifique : deux mondes, deux monnaies rivales. Celles représentant, en fait l’ensemble des « anciennement industrialisés » d’une part, et les pays à salaires bas, ou modérés, capables  d’une production de masse à relativement bon compte, d’autre part.

    - Outre-Atlantique, justifier ces démarches en se proclamant champion de la démocratie et en laissant entendre que tel est la finalité de la politique des Etats-Unis. La formule présente d’évidents avantages moraux d’abord à l’extérieur, mais surtout en politique intérieure, la population des Etats-Unis croyant fermement à cette mission généreuse. Elle permet, de surcroît, nombre de débordements tenus pour être les conditions du succès final  de la généralisation de l’idéal américain. Ainsi se perpétue le Manifest Destiny.

    A ces constantes de la politique américaine se superpose, maintenant, l’émergence de la Chine et de l’Inde et aussi celle des économies en expansion telle la Russie et le Brésil. Aussi demeure-t-elle en position de combat face à de nouveaux rivaux. Avec l’URSS, les Etats-Unis avaient un puissant adversaire que les armements – partagés – tenaient à distance. Aujourd’hui, c’est avec la production de masse à bon compte que la superpuissance, en contraction , doit rivaliser…. avec la volonté évidente de l’emporter.

    Quelles pourraient être les conséquences, pour l’Union européenne, et particulièrement pour la France, de cette situation nouvelle ?

    - L’épreuve commande à Washington d’agrandir et de renforcer son camp, celui dit de l’Occident, à commencer par l’Europe de l’ouest, allié séculaire. L’alliance atlantique et l’OTAN les bras armés sont, pour cela, de précieux auxiliaires.

    - Le même défi conduit les Etats-Unis à disputer à l’Extrême-Orient ses visées politiques, et surtout économiques sur le continent noir et l’Amérique latine dans le cadre de la « guerre » des matières premières.

    - Enfin, Washington édifie des positions géostratégiques classiques avec l’encerclement politique et militaire du grand adversaire de demain : la Chine. Face à l’URSS, les forces armées de l’OTAN stationnaient, grosso modo sur le méridien de Berlin. Aujourd’hui, face à la Chine et plus généralement aux nouvelles économies de la zone Asie-Pacifique, les forces des Etats-Unis ici encore embryonnaires, se trouvent 5.000 kilomètres plus à l’est, au méridien de Tachkent, c’est-à-dire bien proche des frontières occidentales de la Chine.

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    En force, elles occupent la Corée du sud et les îles méridionales de l’archipel japonais. Washington s’intéresse à la Mongolie, aux musulmans de l’ouest chinois, tandis que la puissante VIIème flotte témoigne de l’hégémonie maritime américaine sur le Pacifique assurent, indirectement, la sécurité du Japon et de Taïwan. Il est donc légitime que Pékin, sans le proclamer officiellement, évoque l’encerclement.

    Zone de responsabilité des flottes américaines en 2007.

    Pour la France – et plus généralement les pays de l’Union embrigadés dans l’OTAN – ces dispositions politico-militaires arrêtées par les Etats-Unis visent à créer un vaste ensemble, militairement  puissant afin de l’emporter dans une future confrontation économique avec les pays producteurs à bas salaires. A la France de rentrer dans le rang. Elle compte,  parce que encore modeste puissance atomique, elle a mené longtemps nombre d’expéditions extérieures…

    Afin d’aider Paris à revenir sur les décisions du général De Gaulle et la politique suivie pendant quarante ans en demeurant dans l’Alliance, mais hors de l’OTAN, Washington présente le nouveau ralliement sous un jour favorable, du moins selon Paris.

    C’est ainsi qu’en février dernier, l’ambassadeur des Etats-Unis auprès de l’Alliance, madame Victoria Nuland a déclaré, à Paris et à Londres que son pays reconnaît que l’Europe doit pouvoir « agir de manière indépendante en conservant son autonomie de décisions ».

     

    Déclaration qui n’égare que les nigauds, car les Etats-Unis détiennent à la fois le monopole du renseignement et celui de la logistique, c’est-à-dire la mise en œuvre du matériel nécessaire au combat, ce matériel lui-même, son transport, son entretien et son renouvellement. Dans ces conditions, parler d’autonomie de décisions est un leurre. Les carences européennes justifient cette tromperie.

    Les habitants des nations européennes, membres de l’Union ont eu le temps, à l’usage, de mesurer les avantages et aussi les méfaits du processus de « construction européenne » auquel, majoritairement, ils ont souscrit. Mais ils ne se sont pas rendu compte des effets désastreux de cette « construction » à la fois en matière de politique étrangère et d’indépendance d’une part, et en ce qui concerne leurs appareils militaires respectifs dépendant désormais de la volonté  politique étrangère à l’Europe, d’autre part.

    C’est la France, plus particulièrement, qui paie le prix élevé en tombant du premier rang des puissances militaires aux dernières places avec les « petites puissances moyennes ». Les nocives Institutions de la Vème République dévoyée ont permis aux pouvoirs successifs de détruire l’appareil national de production d’armement qui, il y a 40 ans encore faisait prime sur le marché mondial et contribuait au prestige de la nation et à son indépendance.

    Mais, voici peu, un sondage général de l’opinion montrait que 6 % des Français s’intéressaient à la politique étrangère de leur pays et 1 % seulement à ses armes. En Vème République le premier objectif du pouvoir – ou des candidats au pouvoir – est de racoler des voix si bien que ces questions ne présentent aucun intérêt électoral. D’où leur saccage par le pouvoir.

    Dans le domaine qui nous occupe ici c’est, en effet, le désastre : gestion chaotique du projet « Galileo » et plus généralement carence européenne en matière d’espace, fiasco d’EADS, perte de contrôle de « l’Airbus » au profit des Allemands, dislocation de la société nationale « Aérospatiale », retard de l’A 400 M de transport destiné à succéder aux « Transall » quinquagénaires perte – complète – du marché des avions de combat au profit des anglo-saxons, tristes pérégrinations du GIAT devenu « Nexter » après la fermeture de nombre des ses usines et la réduction du personnel des trois quarts.

    Enfin, pour couronner cette faillite quasi générale, la tragédie-comédie du 2ème porte-avions tenu un jour pour « indispensable » et le lendemain retardé au prochain mandat présidentiel. L’échec n’est pas seulement français, il est aussi celui de la « construction européenne ».

    Mis à part les rêveurs et, surtout les quelques centaines de milliers de fonctionnaires – ou assimilés – qui vivent confortablement de « l’Europe », les populations et quelques gouvernements ne voient dans cette « construction » que le moyen de profiter de la manne communautaire tout en renonçant à de coûteuses attributions régaliennes confiées aux puissants Etats-Unis. Ils s’accommoderaient d’en former le prolongement sur le vieux continent en s’épargnant toutes les charges de la souveraineté et de l’indépendance. D’où un premier renoncement : la charge de leur sécurité nationale, l’OTAN y pourvoyant. Ce n’est pas exactement ce que recherchent les Etats-Unis visant à ajouter à leurs forces celles, certes modestes, des alliés européens rangés dans le même camp et se préparant à un éventuel combat, si Washington le juge conforme à ses intérêts.

    Dans ce grand renoncement des pays européens à demeurer eux-mêmes, tels que des siècles d’Histoire les ont formés, la France a une grande  part de responsabilité en raison des initiatives qu’elle prit pour transformer, un jour, un continent – expression géographique – en entité politique.

    La principale cause de son déclin précipité réside dans la décision –approuvée par référendum en 1962 – d’élire le président de la République au suffrage universel (comme en 1848 avec les tristes résultats que l’Histoire rapporte). Le bon sens populaire n’est pas en question et il est normal, et même salutaire, que la gestion des affaires de chaque citoyen vise d’abord – et même uniquement – l’immédiat, au maximum le très court terme. Dépendant d’un tel électorat, le pouvoir n’a de cesse que de le courtiser en accédant à ses humeurs moyennes quasi quotidiennement perçues, ou encore d’être en constante démagogie. Or, un pays ne se gouverne pas au jour le jour. Il gouverne pour le peuple mais il n’a pas à être « gouverné » par lui.

    De la tyrannie des sondages…

    C’est le cas en France. Ainsi, le pouvoir est-il en campagne électorale permanente, pour récolter le maximum de suffrage et durer, si bien que ses préoccupations sont celles de la vie quotidienne du citoyen moyen : pouvoir d’achat, déplacements, sécurité des personnes et des biens, emploi, loisirs, sports… Durant toute la durée du mandat la campagne se poursuit, distrayant le citoyen qui y voit une sorte de match entre partis et leurs représentants dont-il s’amuse à compter les coups. Enfin, le pouvoir de l’image télévisée est tel qu’il joue un rôle politique décisif, le faciès des candidats au pouvoir escamotant le vide de la pensée.

    Après quarante ans d’un tel régime, l’idée européenne tenant lieu d’objectif politique, la France entame le nouveau millénaire dans une position intermédiaire. Elle n’est plus un Etat-nation souverain et elle n’est pas encore une simple division administrative d’une Europe-Etat. Et en passe d’être vassale, diplomatiquement et militairement. Aussi, la réduction de son appareil militaire est-elle logique et sa subordination à l’OTAN un facile recours. Ainsi, s’évanouissent les nations et s’effacent les identités nationales. Le monumental l’évoque encore mais il est, au moins partiellement, à vendre, l’entretien du patrimoine n’étant pas payant électoralement s’entend, si bien qu’il n’y a guère de crédits pour l’entretenir. Qu’importe, il s’agit d’en finir avec la France souveraine, indépendante et, par conséquent, d’effacer son passé.

    Depuis la fin des années 60, les dirigeants de ce pays se sont comportés comme s’ils recherchaient le rapetissement de la France afin de l’insérer plus aisément dans un plus vaste ensemble politique, cela afin de plaire à l’électorat.  Les Français, en majorité, souscrivent à « l’effet de taille ». Un aphorisme « l’Union fait la force » tient lieu de politique à long terme. Ils évoquent les Etats-Unis, la Chine, l’Inde, la Russie, sans tenir compte, par exemple, du Canada (30 millions) ou de la Corée du Sud (47 millions) indépendants et souverains. Ainsi, comme les civilisations, les Etats nations meurent. Les Institutions de la Vème République dévoyée ont porté au pays le coup de grâce.

    Pierre M. Gallois mars 2008 - juin 2008 http://www.lesmanantsduroi.com

  • L’eurasisme selon Alexandre Douguine par Claude BOURRINET

     

    Le dernier ouvrage d’Alexandre Douguine, La Quatrième théorie politique, paru aux Éditions Ars Magna, nous livre un état des lieux du monde postmoderne, ainsi que de la Russie poutinienne.

     

    Une synthèse éclairante

     

    La fin du XXe siècle se caractérise par la victoire totale, massive, de la « première théorie politique », le libéralisme, qui a vaincu définitivement les deux autres, le fascisme, en 1945, et le marxisme, en 1989. N’ayant plus d’adversaire capable de soutenir théoriquement et pratiquement la contradiction, et porté par sa logique destructrice, qui le mène à transcender toutes les limites, il tend, à partir de son noyau, les États-Unis d’Amérique, à se répandre sur toute la planète, éradiquant les racines des peuples et leur identité. De fait, il se nie lui-même, en abolissant son substrat idéologique, l’humanisme issu de la Renaissance, dont l’incarnation est l’individu. La postmodernité est en effet, après la fin des grands récits, la gestion des choses de l’économie, et le ravalement de l’homme et du réel au rang d’objet démontable et recomposable. À ce cauchemar, s’oppose le conservatisme, dans le sens que lui donnait en partie la Révolution conservatrice, concept que Douguine approfondit comme incrustation, dans l’ordre humain, de l’éternité, qui s’oppose au mythe du progrès et au « nomadisme de l’asphalte ».

     

    Alexandre Douguine, du point qui est devenu le nôtre après la déréalisation des discours qui fondaient l’Histoire humaine, examine le siècle passé, ses rêves et ses tragédies, pour réévaluer ses expériences, communisme et fascisme, en saisir les ressorts secrets, ainsi que les limites.

     

    Le concept de « civilisation »

     

    En même temps que Fukuyama, avec qui il a eu l’occasion de dialoguer, il analyse les thèses d’Huntington, sur le « choc des civilisations », pour développer une analyse de la notion de « Grand espace », autrement dit d’Empire, théorisée par Carl Schmitt, ce qui permet au lecteur de comprendre ce qu’est une « civilisation », et d’aborder efficacement la question de l’eurasisme. En effet, le libéralisme postmoderne, dans sa course mortifère à l’hégémonie mondiale, dans sa tentative d’imposer la technique et l’économie comme destin, le « Gestell » dont parle Heidegger, c’est-à-dire la « formulation sans fin de nouveaux modèles aliénants et nihilistes », se heurte à des résistances, à des « civilisations » porteuses d’une vision fondamentalement différentes, qui coexistent, et qui proposent chacune une vision singulière, irréductible, une alliance entre une anthropologie, une métaphysique, une langue et une ethnie parfois, des coutumes, des manières de sentir, d’aimer, de haïr qui leur sont propres. Ces noyaux, qui s’opposent au noyau occidental situé aux U.S.A. et en Europe, sont la Chine et le Japon, l’Iran, le Califat, la Russie, l’Amérique latine de langue espagnole ou portugaise, et peut-être l’Europe. L’eurasisme ne cherche pas une alternative au nihilisme postmoderne dans le passé, mais dans la présence synchronique de pôles différenciés, qui constituent autant de variantes d’être au monde, originales et ontologiquement enracinées.

     

    La Russie et nous

     

    Douguine est un acteur engagé dans la Russie post-soviétique. Il nous donne, de première main, des informations sur le rapport des forces, notamment entre une oligarchie en majorité vendue aux Anglo-Saxons et un peuple attaché aux valeurs patriotique. Il nous éclaire sur le débat qui est la source des hésitation de Vladimir Poutine et du pouvoir actuel, entre l’État-nation, qui aurait sa place dans la « communauté internationale » (un piège, selon Douguine), et l’idée d’eurasisme (l’Empire). Rappelons que l’Empire n’a rien à voir avec celui de Napoléon ou le Reich allemand, qui étaient des nationalismes. Il est plutôt une « combinaison des différences en une unité », unité incarnée par des valeurs suprêmes (il n’est pas question de « fusion »). Douguine dresse un bilan de l’histoire récente de la Russie, et arrête son étude en 2008, lors de la réponse cinglante des forces russes à la tentative de la Géorgie de Saakachvili de perpétrer un génocide en Ossétie. La Russie semble surmonter le traumatisme eltsinien, et avancer dans la vie impériale. Sans doute les événements syriens vont-ils dans le même sens.

     

    En revanche, Douguine évoque, pour juger de l’Union européenne et d’un projet hypothétique de pôle civilisationnel, l’axe Paris – Berlin – Moscou, destiné à s’opposer à l’agression américaine en Irak. Depuis, l’élite européenne est passée avec armes et bagages dans le camp atlantiste. L’Europe continentaliste s’est transformée en Europe atlantiste, et se prépare au grand marché qui l’arrimera au noyau dur de l’occidentalisme. L’Occident est le lieu où le soleil se couche. Notre destin a besoin de la Russie, de l’Orient, pour contrebalancer ce crépuscule fatal. À nous d’opter pour le retour aux sources, plutôt que pour la linéarité de la course au néant historique et existentiel.

     

    Claude Bourrinet  http://www.europemaxima.com/

     

    • Alexandre Douguine, La Quatrième théorie politique. La Russie et les idées politiques du XXe siècle, Éditions Ars Magna (B.P. 60 426, 44004 Nantes C.E.D.E.X. 1), 2012, 336 p. Pour recevoir le livre, écrire à l’éditeur, en accompagnant cette demande d’un chèque de 32 € franco.

     

    • D’abord mis en ligne sur Vox N.-R., le 18 décembre 2012.

  • La Russie aux temps postmodernes par Georges FELTIN-TRACOL

    Signalons l’existence de deux excellentes revues :

    — le n° 43 du quadrimestriel Réfléchir & Agir (hiver 2013) vient de paraître :

    http://www.reflechiretagir.com/nouv.html

     

    — le mensuel Salut public (n° 12, février 2013) est dorénavant en accès libre en format pdf. :

    http://troisiemevoie.fr/6768-salut-public-n12-fevrier-2013/

     

    Toujours très bonnes, très libres et très non-conformistes lectures !

    La rédaction d’Europe Maxima.

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    Penseur néo-eurasiste influencé par les œuvres de René Guénon et de Julius Evola, polyglotte émérite à l’insatiable curiosité, Alexandre Douguine incarne pleinement ce que le communiste italien Antonio Gramsci qualifiait d’« intellectuel organique ». L’auteur d’une abondante bibliographie qui va de la géopolitique à l’étude sociologique des musiques contemporaines vient de publier la traduction française de sa Quatrième théorie. Il faut en saluer la parution tant ses écrits demeurent rares et méconnus dans le monde francophone. La sortie de cet essai est un grand événement éditorial !

    Lecteur attentif d’Arthur Moeller van den Bruck, de Claude Lévi-Strauss, de Georges Sorel, Alexandre Douguine s’est aussi inspiré des travaux de Martin Heidegger, Francis Fukuyama, Carl Schmitt, Gilles Deleuze ou Guy Debord.

    Pragmatique partant d’un constat accablant, le fondateur du Mouvement international eurasien se demande : « Comment faire de la politique quand il n’y a pas de politique ? Il n’existe qu’une seule solution : refuser les théories politiques classiques, tant vaincues que triomphantes, et faire preuve d’imagination, saisir les réalités du nouveau monde global, déchiffrer correctement les défis du monde postmoderne et créer quelque chose de nouveau, au-delà des affrontements politiques des XIXe et XXe siècles (p. 12). » Prenant par conséquent acte de la victoire de la pensée libérale qu’il appelle “ Première théorie ” et des échecs du communisme, « Deuxième théorie », et du « fascisme » (au sens très large du mot), « Troisième théorie », Alexandre Douguine esquisse une « Quatrième théorie politique » « non pas comme un travail ou une saga d’auteur, mais comme la direction d’un large spectre d’idées, d’études, d’analyses, de prévisions et de projets. Tout individu pensant dans cette optique peut y apporter quelque chose de soi (p. 13) ».

    Cela fait très longtemps qu’Alexandre Douguine était en quête d’une nouvelle solution politique. Dès 1994, il en exposait les prémices théoriques dans un entretien passé inaperçu paru dans le n° 119 nouvelle série du magazine Le Crapouillot (mai – juin 1994), intitulé « Créer l’Europe des ethnies (pp. 9 – 13) ». Estimant que « le temps de la gauche anti-capitaliste est définitivement passé (art. cit., p. 9) », Douguine prévoyait l’entrée « dans l’ère de la droite anti-capitaliste – donc nationaliste, identitaire, différencialiste et organiciste (art. cit., p. 9) ». Il ajoutait plus loin que « nous sommes en présence de la naissance de la nouvelle idéologie anti-libérale, qui unira, en son sein, trois tendances politiques collectivistes, à savoir : le nationalisme, le socialisme et la démocratie, en opposition à la tendance libérale qui est essentiellement individualiste (art. cit., p. 12) ».

     

    Contre le libéralisme postmoderne

     

    Une nouvelle vision du monde s’impose, car le début du XXIe siècle marque l’achèvement de l’ère moderne ainsi que l’obsolescence de ses trois grandes théories mobilisatrices au profit d’une fluidité croissante et d’une mutation majeure de la doctrine libérale elle-même. Ce changement s’opère néanmoins dans un monde saturé d’idées libérales qui, du fait de leur réussite même, engendrent un « post-libéralisme » ou un « libéralisme 2.0 », promoteur d’une « société de marché globale (p. 21) ». C’est parce que « le libéralisme, mettant toujours l’accent sur la minimalisation du politique, a décidé, après sa victoire, de supprimer de façon générale la politique (p. 11) » que « le monde global doit être dirigé seulement par les lois économiques et la morale universelle des “ droits de l’homme ”. Toutes les décisions politiques sont remplacées par des techniques (p. 21) ». Ce « post-libéralisme » commence même à modifier la nature humaine. Douguine désigne donc clairement « le libéralisme et ses métamorphoses (p. 37) » postmodernistes (terme à préférer à celui de « post-moderne ») comme l’ennemi principal à abattre. Émanation des Lumières, « l’individualisme est devenu le sujet normatif à l’échelle de toute l’humanité. Apparaît alors le phénomène de la mondialisation, et le modèle de la société post-industrielle commence à se manifester, l’époque du postmoderne commence. Désormais, le sujet individuel n’apparaît plus comme le résultat d’un choix mais comme une certaine donnée générale obligatoire. La personne est libérée de  “ l’appartenance ”, l’idéologie “ des droits de l’homme ” devient communément acceptée (du moins – en théorie) et, dans les faits, obligatoire. L’humanité, composée d’individus, tend naturellement vers l’universalité, devient globale et unifiée. Ainsi naît le projet d’« État mondial » et de “ gouvernement mondial ” (le globalisme) (p. 20) ». Ses méfaits, réels, insidieux et profonds, dévastent tout autant les milieux naturels pollués que les psychismes. Il relève que « la logique du libéralisme mondial et de la mondialisation nous tire vers l’abîme de la dissolution postmoderniste dans la virtualité. Notre jeunesse a déjà un pied dans cet abîme : les codes du globalisme libéral s’introduisent de plus en plus efficacement au niveau de l’inconscient, dans les habitudes, la publicité, le glamour, les technologies, les modèles de réseau. La perte de l’identité, non seulement nationale ou culturelle mais aussi sexuelle et bientôt humaine, est désormais chose commune. Et les défenseurs des droits de l’homme, sans remarquer la tragédie de peuples entiers sacrifiés selon les plans cruels du “ nouvel ordre mondial ”, hurleront demain à la violation des droits des cyborgs ou des clones (p. 54) ». L’égalitarisme prôné par le « libéralisme 2.0 » est l’ultime réductionnisme de l’Occident globalitaire anomique.

    Ce dispositif total, néo-totalitaire, de nivellement général bénéficie d’un redoutable modèle attractif : les États-Unis d’Amérique. Fille de la Modernité et matrice d’un postmodernisme « ultra-moderne », « l’Amérique prétend désormais à une diffusion universelle d’un code unitaire, qui pénètre dans la vie des peuples et des États par des milliers de voies différentes – comme le réseau global – à travers la technologie, l’économie de marché, le modèle politique de la démocratie libérale, les systèmes d’information, les clichés de la culture de masse, l’établissement du contrôle stratégique direct des Américains et de leurs satellites sur les processus géopolitiques (p. 47) ».

     

    Décomposition des droites et des gauches

     

    Contre cette « Hydre de Lerne » postmoderniste, un regard critique sur l’histoire des idées politiques est indispensable afin de concevoir une théorie novatrice. Alexandre Douguine prévient qu’elle « ne peut être une tâche individuelle pas plus que celle d’un petit cercle d’individus. L’effort doit être synodique, collectif. Les représentants d’autres cultures et d’autres peuples (d’Europe, ainsi que d’Asie), qui se rendent compte également de façon aiguë de la tension eschatologique du moment présent (p. 32) ». On y décèle ici la double influence de l’« impersonnalité active » chère à Evola et du sobornost de l’Orthodoxie. Il espère que la Quatrième théorie politique sera « une alternative au post-libéralisme, non pas comme une position par rapport à une autre, mais comme idée opposée à la matière; comme un possible entrant en conflit avec le réel; comme un réel n’existant pas mais attaquant déjà le réel (p. 22) ».

    À cette fin, il devient utile de dresser la généalogie et la taxinomie des idées politiques modernes. L’anti-conformisme de la démarche de Douguine est déjà ancienne puisque cela fait longtemps qu’il propose de comprendre les auteurs de l’ultra-gauche d’un œil révolutionnaire-conservateur et de commenter les penseurs de l’« extrême droite » à l’aune de Marx, de Toni Negri et d’autres théoriciens gauchistes. Tout en reprenant la distinction classique entre la « droite » et la « gauche », Douguine dynamite en réalité cette dichotomie familière en discernant trois idéologies de « gauche » : les « vieilles gauches » avec les marxistes, les sociaux-démocrates et les zélateurs travaillistes d’une pseudo-« troisième voie » du Britannique Giddens, gourou de Tony Blair; les « nouvelles gauches » qui rassemblent sous ce label les néo-gauchistes, les altermondialistes et les postmodernistes genre Negri; et les « nationalistes de gauche », à savoir les tendances nationales-bolcheviques, nationales-communistes et « nationales-gauchistes ». Quant à la « droite » que Douguine préfère nommer « conservatisme » parce que c’« est un “ non ” adressé à ce qui est autour. Et au nom de quoi ? Au nom de ce qui était avant (p. 86) », il distingue :

    — le conservatisme fondamental où l’on retrouve les écoles de la Tradition et les monothéismes dits « intégristes », y compris un certain islamisme;

    — le libéral-conservatisme qui « dit “ oui ” à la tendance principale qui se réalise dans la modernité mais s’efforce de freiner à chaque nouvelle étape de la réalisation de ces tendances (p. 92) »;

    — les forces conservatrices-révolutionnaires qui « ne veulent pas seulement geler le temps à la différence des libéraux-conservateurs ou encore revenir dans le passé (comme les traditionalistes) mais arracher à la structure de ce monde les racines du mal et annihiler le temps en tant que propriété destructrice de la réalité, réalisant le dessein secret, parallèle et insoupçonné de la Divinité elle-même (p. 97) ».

    Douguine analyse finement l’approche contre-révolutionnaire (Maistre, Bonald, etc.) pour qui « le postmoderne avec sa dérision suive son cours, qu’il dissolve les paradigmes déterminés, l’ego, le super-ego, le logos, que le rhizome et les masses schizophréniques ainsi que la conscience morcelée entrent en jeu et que le néant entraîne derrière lui tant le contenu du monde, alors s’ouvriront des portes secrètes et les archétypes ontologiques anciens, éternels, apparaîtront à la surface et de façon terrible mettront fin au jeu (pp. 99 – 100) ».

    Après avoir déterminé idéalement ces tendances politiques, Alexandre Douguine les recherche sur la scène politique russe avec d’inévitables mélanges contextuels. Le Parti communiste de la Fédération de Russie de Guennadi Ziouganov est sans conteste national-communiste alors que le mouvement Rodina (« Patrie ») fut inconsciemment national-gauchiste. Si l’opposition à Vladimir Poutine, malgré Limonov, verse plus ou moins dans le libéralisme et l’occidentalisme, Russie unie défend une conception sociale-conservatrice. Enfin, son eurasisme radical puise à la fois dans la Tradition et dans la Révolution conservatrice. Mais toutes les formations politiques russes communient dans un ardent patriotisme, ce que ne comprennent pas les observateurs occidentaux…

    Il ne fait guère de doute que l’eurasisme constitue, aux yeux d’Alexandre Douguine, le cœur de la Quatrième théorie politique. Discutant des thèses culturalistes du « choc des civilisations » de Samuel Huntington, il dénie à la Russie tout caractère européen. Par sa situation géographique, son histoire et sa spiritualité, « la Russie constitue une civilisation à part entière (p. 167) ». Déjà dans son histoire, « la Russie – Eurasie (civilisation particulière) possédait tant ses propres valeurs distinctes que ses propres intérêts. Ces valeurs se rapportaient à la société traditionnelle avec une importance particulière de la foi orthodoxe et un messianisme russe spécifique (p. 146) ». Et quand il aborde la question de la Russie et de son peuple-noyau, les Russes issus des Slaves orientaux, Alexandre Douguine déclare son amour à son peuple et à sa terre. « Peuple du vent et du feu, de l’odeur du foin et des nuits bleu sombre transpercées par les gouffres des étoiles, un peuple portant Dieu dans ses entrailles, tendre comme le pain et le lait, souple comme un magique et musculeux poisson de rivière lavé par les vagues (p. 302) », les Russes incarnent un peuple tellurique.

     

    Un conservatisme rénové

     

    Via l’eurasisme s’élabore une nouvelle approche du conservatisme, un conservatisme repensé, révolutionnaire et adapté à la phase post-moderne des temps. Alexandre Douguine affirme que « le conservateur aime ce qui est grand et dans l’homme, il aime ce qui est grand et élevé (p. 111) ». Il est logique que « le conservatisme, défendant l’éternité, défend également l’éternité de l’homme, de l’homme en tant que structure douée de signes intangibles et d’une vie inaliénable. L’Homme est un concept conservateur (p. 110) ». La modernité libérale et le postmodernisme post-libéral nient au contraire l’homme singulier pour mieux valoriser un homme abstrait doté de droits fallacieux ou extravagants (voir la dernière lubie lyssenkiste en date avec la pseudo-théorie du genre).

    « Pluralisme gnoséologique, [… l’eurasisme est] une forme spécifique de conservatisme, qui se différencie des autres versions de conservatisme proches (à la différence du libéral-conservatisme), par le fait qu’elle trouve une alternative au moderne non pas dans le passé, ou dans un renversement conservateur révolutionnaire exceptionnel, mais dans les sociétés cœxistant avec la civilisation occidentale mais géographiqement et culturellement distinctes d’elle (p. 101). » Fort de ce constat, Douguine se permet de « déconstruire » la démocratie dans sa pratique libérale hypocrite. Il remarque d’abord que « le principe de prise de décisions collectives constitue le fondement de la démocratie (p. 58) » et que « la démocratie constitue la forme d’organisation politique la plus ancienne, la plus archaïque, la plus primitive et, si l’on veut, la plus barbare (p. 57) ». Ne craignant pas de se mettre à dos les belles âmes occidentalocentrées, il assène que « la démocratie ne reconnaît aucunement l’égalité des individus. Elle comporte une limite très stricte qui sépare ceux qui ont le droit de participer à l’extase politique de la décision de ceux qui ne le peuvent pas (p. 58) ». L’octroi du droit de vote aux étrangers va à l’encontre de cette stricte différenciation et favorise plutôt « la tyrannie [qui] remplace la démocratie en tant que forme d’organisation politique plus contemporaine où pour la première fois se manifeste très clairement un individu distinct, dans notre cas le tyran (pp. 59 – 60) ».

    L’émergence d’une nouvelle figure tyrannique résulte de l’occidentalisation du monde. « Puisque modernisation et occidentalisation constituent des synonymes (Occident = moderne), il est impossible de mener une modernisation séparée de l’Occident et de ne pas copier ses valeurs (pp. 127 – 128). » Pis, « la fosse noire et vide de sens du postmoderne réalisé brille au centre de l’Occident global, les États-Unis et les pays de l’Alliance transatlantique (p. 138) ». Or, « pour combler le vide, la Russie a besoin d’une nouvelle idée politique. Le libéralisme ne convient pas, tandis que le communisme et le fascisme sont inacceptables (p. 13) ». Dès lors, « seule une croisade mondiale contre les États-Unis, l’Occident, la mondialisation et leur expression politico-idéologique, le libéralisme, peut constituer une réponse adéquate (p. 55) », d’où l’importance d’une Quatrième théorie politique particulièrement adaptée à la Russie.

    « La lutte contre la métamorphose postmoderniste du libéralisme en postmoderne et un globalisme doit être qualitativement autre, se fonder sur des principes nouveaux et proposer de nouvelles stratégies (p. 22). » C’est le but tactique de l’eurasisme et de la Quatrième théorie politique. Contre le « nomadisme de l’asphalte (p. 258) » célébré par les médiats occidentaux globalitaires ultra-individualistes et ochlocratiques, Alexandre Douguine, en chrétien orthodoxe vieux-croyant conséquent, désigne l’atlantisme, « mal absolu (p. 258) », comme l’hérésie contemporaine contre laquelle le combat doit être implacable. « Pour les eurasistes, le moderne est un phénomène spécifique à l’Occident tandis que les autres cultures doivent démasquer les prétentions à l’université de la civilisation occidentale et construire leur société sur leurs valeurs internes (p. 101). »

     

    De l’empire au grand espace

     

    Guidé par les travaux de Johann Gottfried von Herder, Friedrich Ratzel, Jean Parvulesco et Raymond Abellio, Alexandre Douguine veut que « l’eurasisme se positionne fermement non pas en faveur de l’universalisme, mais en faveur des “ grands espaces ”, non pas en faveur de l’impérialisme, mais pour les “ empires ”, non pas en faveur des intérêts d’un seul pays, mais en faveur des “ droits des peuples ” (p. 207) ». Dans un monde enfin multipolaire, chaque pôle d’influence mondiale s’édifiera autour d’un grand espace géo-culturel particulier.

    Homme de Tradition qui se réfère à l’ethnosociologie, à la géopolitique et à la théologie, Alexandre Douguine se défie des concepts d’État et de nation. Si le premier, malgré sa froideur intrinsèque, reste pour lui nécessaire, le second ne correspond pas à l’esprit des steppes eurasiennes. Mais sa critique ne coïncide pas avec celle des libéraux. En effet, pour un libéral, « la “ nation ” désignait l’ensemble des citoyens de l’État, dans lequel s’incarne le contact des individus qui le peuplent, unis par un territoire de résidence commun, ainsi que par un même niveau de développement de l’activité économique (p. 41) ». Quant à l’État-nation, il « représentait une sorte de “ corporation ” ou d’entreprise, créée selon l’accord mutuel de ses participants et qui peut être théoriquement dissoute pour les mêmes raisons (p. 42) ». Or, répondant aux discours tenus par des « nationaux-souverainistes » russes, Douguine affirme que le destin de la Russie n’est pas de devenir une nation, mais de rester un empire. « Entre l’Empire et le “ grand homme ” (homo maximus), il existe une homologie directe. L’Empire est la société maximale, l’échelle maximale possible de l’Empire. L’Empire incarne la fusion entre le ciel et la terre, la combinaison des différences en une unité, différences qui s’intègrent dans une matrice stratégique commune. L’Empire est la plus haute forme de l’humanité, sa plus haute manifestation. Il n’est rien de plus humain que l’Empire (p. 111). » « L’empire constitue une organisation politique territoriale qui combine à la fois une très forte centralisation stratégique (une verticale du pouvoir unique, un modèle centralisé de commandement des forces armées, la présence d’un code juridique civil commun à tous, un système unique de collecte des impôts, un système unique de communication, etc.) avec une large autonomie des formations sociopolitiques régionales, entrant dans la composition de l’empire (la présence d’éléments de droit ethno-confessionnel au niveau local, une composition plurinationale, un système largement développé d’auto-administration locale, la possibilité de cœxistence de différents modèles de pouvoir locaux, de la démocratie tribale aux principautés centralisées, voire aux royaumes) (pp. 210 – 211). »

    L’idée d’empire est plus que jamais d’actualité dans les faits, car, si l’Union européenne demeure un « empire hésitant (p. 218) », Alexandre Douguine souligne avec raison que les élites étatsuniennes raisonnent, elles, dans ces termes avec le Benevolent empire. Idem chez les islamistes qui rêvent, eux, d’un califat universel et dont « le projet islamique en tant que réponse à la mondialisation américaine coïncide pleinement avec la définition de l’empire. […] Il s’agit d’un projet d’empire mondial alternatif (pp. 217 – 218) ».

    L’empire correspond de nos jours à la notion géopolitique de civilisation. « La mise en évidence de la civilisation en qualité de sujet de la politique mondiale au XXIe siècle permettra de mener une “ globalisation régionale ”, une unification des pays et des peuples qui se rapportent à une seule et même civilisation (p. 187). » En clair, faire des civilisations des « grands espaces ». Théorisé par Carl Schmitt, l’un des plus grands penseurs du XXe siècle, « le “ grand espace ” ne constitue qu’une autre dénomination de ce que nous comprenons sous le terme de civilisation dans son sens géopolitique, spatial et culturel. Un “ grand espace ” se distingue des États-nations existant aujourd’hui précisément en ceci qu’il se construit sur le fondement d’un système de valeurs et d’une parenté historique, ainsi que par le fait qu’il unit plusieurs, voire un grand nombre d’États différents liés par une “ communauté de destin ”. Dans différents grands espaces, le facteur d’intégration peut varier : dans un cas, la religion peut jouer ce rôle, dans un autre, l’origine ethnique, la forme culturelle, le type sociopolitique ou la situation géographique (p. 188) ».

    Arme géopolitique anti-mondialiste par excellence, « le “ grand espace ” découle d’une stratégie anticoloniale et présuppose (d’un point de vue purement théorique) une alliance volontaire de tous les pays du continent s’efforçant d’affirmer collectivement leur indépendance (p. 194) ». Ainsi peut-on soutenir, concernant la politogenèse européenne, que « les continentalistes affirment que les États-Unis et l’Europe ont non seulement des intérêts divergents, mais également des valeurs divergentes (p. 140) » parce qu’avec les grands espaces civilisationnels, « il n’y aura aucun étalon universel, ni matériel, ni spirituel. Chaque civilisation recevra enfin le droit de proclamer librement ce qui constitue pour elle la mesure des choses. Ici, ce sera l’homme, là, la religion, ailleurs, l’éthique, ailleurs enfin, la matière (p. 191) ». Si l’Union européenne paraît dans l’impossibilité de former un grand espace impérial conscient de son destin, Douguine appelle cependant les Européens à ne pas céder au fatalisme et au pessimisme. Certes, « aujourd’hui l’axe Paris – Berlin – Moscou apparaît plus que jamais fantomatique mais […] de ces mêmes fantômes naissent parfois de grands phénomènes (pp. 229 – 230) ». Il souhaite en revanche que la C.E.I. (Communauté des États indépendants) et les autres organisations de coopération comme l’Organisation du traité de sécurité collective (O.T.S.C.), la Communauté économique eurasiatique (C.E.E.), l’Organisation de coopération centre-asiatique (O.C.C.E.) et l’Union de la Russie et du Bélarus jettent les bases solides de « l’empire eurasiste du futur (p. 223) » capable d’affronter l’Occident financiariste et mondialiste.

     

    Dans cette lutte à venir (mais qui a dès à présent commencé avec les actions médiatiques des bandes pétassières des Pussy Riots et des FemHaine ou les attaques anti-russes des cloportes du Congrès étatsunien), la Russie est à l’avant-poste de la bataille. Toutefois, Douguine se désole que « la position du pouvoir russe contemporain envers l’Occident (dans son incarnation actuelle) demeure indéterminée. Le pouvoir a rejeté un occidentalisme direct sans pour autant occuper une position alternative (slavophile, eurasiste). Le pouvoir s’est figé, de même que quelquefois un ordinateur cesse de fonctionner. Ni dans une direction, ni dans l’autre (p. 165) ». Il déplore que les blindés ne se soient pas entrés dans Tbilissi à l’été 2008. Ces atermoiements sont préjudiciables à la Russie qui, en tant que Troisième Rome potentiel, pourrait déjà pratiquer une diplomatie multipolaire, « même si actuellement seuls l’Iran, le Venezuela, la Syrie, la Bolivie, le Nicaragua, la Corée du Nord, la Biélorussie et, avec prudence, la Chine, la défendent (p. 163) ».

     

    Dépassement des idéologies modernes et formulation nouvelle d’un conservatisme traditionnel et impérial, « la Quatrième théorie apparaît donc comme un projet de “ croisade ” contre le postmoderne, la société post-industrielle, le projet libéral réalisé dans la pratique, le globalisme et ses fondements logistiques et technologiques (p. 23) ». C’est une déclaration de guerre qu’il convient d’apprécier ! L’assomption de l’Europe passe bien par la Quatrième théorie politique.

     

    Georges Feltin-Tracol http://www.europemaxima.com/

     

    • Alexandre Douguine, La Quatrième théorie politique. La Russie et les idées politiques du XXIe siècle, avant-propos d’Alain Soral, Ars Magna Éditions, Nantes, 2012, 336 p., (B.P. 60 426, 44004 Nantes C.E.D.E.X. 1). Pour recevoir le livre, écrire à l’éditeur, en accompagnant cette demande d’un chèque de 32 € franco.