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tradition - Page 171

  • La défense de la vie par la Ligue du Sud au Département de Vaucluse

    Yann Bompard et la Ligue du Sud défendent la vie au Conseil Départemental de Vaucluse :

    L"Lors de la séance du 2 octobre, le groupe de la Ligue du Sud au département s’est élevé contre 4 sujets primordiaux pour notre territoire.

    Tout d’abord, il a été question de la convention liant le département avec l’association carpentrassienne AMADO. Cette association a perçue 55 000 € du département. Et une disposition de la convention nous a scandalisés. Pour mémoire :

    « AMADO proposera obligatoirement une rencontre de la conseillère du centre de Planification et d’Education Familiale (CPEF) cnventionné à Carpentras par le Conseil Général, aux femmes enceintes accueillies avant la fin du délai de recours à l’IVG ». Pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que l’on incitera ces femmes, en situation de détresse, à recourir à l’avortement. Nous regrettons d’avoir été le seul groupe politique à voter contre. Tous les autres groupes ont voté pour.

    Nous avons également voté contre une subvention à hauteur de 30 000 euros à l’association AIDES en nous appuyant sur un rapport interne de l’association qui expliquait notamment sa gestion catastrophique  Ce rapport précisait que: « la situation actuelle est la conséquence d’une succession d’erreurs de pilotage qui fait peser un discrédit immense sur la direction et la présidence, grevant tant leur capacité à surmonter la crise actuelle qu’à assurer la survie de l’association dans le futur. »

    Au passage le budget de AIDES oscille entre 30 et 40 millions d’euros par an dont la moitié de financements publics, et ils achètent des espaces publicitaires sur la chaîne pornographique « Dorcel TV ». L’argent des vauclusiens irait mieux à l’aide à la recherche plutôt qu’au fonctionnement d’associations à la gestion contestée et contestable et aux ambitions douteuses.

    Ici encore, nous regrettons d’avoir été le seul groupe à voter contre cette subvention. [...]"

    Michel Janva

  • Nous entrons dans un temps où les paroles doivent être authentifiées par des actes (Dominique Venner)

    Les manifestants du 26 mai auront raison de crier leur impatience et leur colère. Une loi infâme, une fois votée, peut toujours être abrogée. 

    Je viens d’écouter un blogueur algérien : « De tout façon, disait-il, dans quinze ans les islamistes seront au pouvoir en France et il supprimeront cette loi ». Non pour nous faire plaisir, on s’en doute, mais parce qu’elle est contraire à la charia (loi islamique). 

    C’est bien le seul point commun, superficiellement, entre la tradition européenne (qui respecte la femme) et l’islam (qui ne la respecte pas). Mais l’affirmation péremptoire de cet Algérien fait froid dans le dos. Ses conséquences serraient autrement géantes et catastrophiques que la détestable loi Taubira. 

    Il faut bien voir qu’une France tombée au pouvoir des islamistes fait partie des probabilités. Depuis 40 ans, les politiciens et gouvernements de tous les partis (sauf le FN), ainsi que le patronat et l’Église, y ont travaillé activement, en accélérant par tous les moyens l’immigration afro-maghrébine. 

    Depuis longtemps, de grands écrivains ont sonné l’alarme, à commencer par Jean Raspail dans son prophétique Camp des Saints (Robert Laffont), dont la nouvelle édition connait des tirages record. 

    Les manifestants du 26 mai ne peuvent ignorer cette réalité. Leur combat ne peut se limiter au refus du mariage gay. Le « grand remplacement » de population de la France et de l’Europe, dénoncé par l’écrivain Renaud Camus, est un péril autrement catastrophique pour l’avenir. 

    Il ne suffira pas d’organiser de gentilles manifestations de rue pour l’empêcher. C’est à une véritable « réforme intellectuelle et morale », comme disait Renan, qu’il faudrait d’abord procéder. Elle devrait permettre une reconquête de la mémoire identitaire française et européenne, dont le besoin n’est pas encore nettement perçu. 

    Il faudra certainement des gestes nouveaux, spectaculaires et symboliques pour ébranler les somnolences, secouer les consciences anesthésiées et réveiller la mémoire de nos origines. Nous entrons dans un temps où les paroles doivent être authentifiées par des actes. 

    Il faudrait nous souvenir aussi, comme l’a génialement formulé Heidegger (Être et Temps) que l’essence de l’homme est dans son existence et non dans un « autre monde ». C’est ici et maintenant que se joue notre destin jusqu’à la dernière seconde. Et cette seconde ultime a autant d’importance que le reste d’une vie. C’est pourquoi il faut être soi-même jusqu’au dernier instant. C’est en décidant soi-même, en voulant vraiment son destin que l’on est vainqueur du néant. Et il n’y a pas d’échappatoire à cette exigence puisque nous n’avons que cette vie dans laquelle il nous appartient d’être entièrement nous-mêmes ou de n’être rien.

    Dominique Venner

    http://www.oragesdacier.info/

  • Léon Daudet : Le passé ressuscité

    Les Souvenirs littéraires de Léon Daudet viennent d'être réédités dans la collection des Cahiers rouges. Une anthologie consacrée au journalisme et à la littérature, mais qui recèle aussi des souvenirs médicaux et politiques.

    Les éditions Grasset viennent de rééditer les Souvenirs littéraires de Léon Daudet autrefois publiés dans Le Livre de poche, un choix de textes opéré par Kléber Haedens dans les neuf volumes de souvenirs de l'écrivain, du polémiste, du directeur de L'Action Française. Choisis avec goût, habileté et discernement, les textes de cette anthologie donnent une bonne idée du talent et du caractère de Daudet. On y trouve des pages se rapportant au journalisme et à la littérature, d'où le titre, mais aussi des souvenirs médicaux et politiques.

    De Hugo à Dreyfus

    Fantômes et Vivants couvre la période qui va de 1880 à 1890. Il faut lire la description des funérailles de Victor Hugo, montagne de vanité dérisoire comme toutes les cérémonies mortuaires dénuées de dimension spirituelle. Daudet, en un mot, écrase le Panthéon : « C'est ici la chambre de débarras de l'immortalité républicaine et révolutionnaire. »

    Devant la douleur évoque les études médicales que Daudet mènera presque à leur terme, et la maladie qui emporta son père. Nous voyons Potain, grand professeur dont la fréquentation quotidienne de la misère humaine n'avait pas émoussé la sensibilité : le voici qui glisse un billet dans la poche d'un convalescent nécessiteux ou qui continue de soigner de ses propres mains un patient dont l'anévrisme va éclater : « Et voici le maître qui serre avec amour, contre son épaule trempée de sang, la pauvre tête épouvantée et oscillante, lui fait ainsi franchir le grand passage. »

    L'Entre-deux-guerres va de 1890 à 1904 ; Daudet y parle du Figaro, de Barrès, de la Revue des deux Mondes, institution bien pensante s'il en fut. Nous pouvons y admirer le magnifique portrait d'un libéral, de l'éternel libéral, le duc d'Haussonville : « La démocratie lui semble un flot irrésistible et il s'y baigne en souriant, avec un caleçon d'ancien régime. Il me représente le conservateur type, qui croit que le révolutionnaire a raison, qui porte en épingle de cravate une fidélité de bon ton et meurt du désir d'un portefeuille dans un cabinet radical. »

    Dans Salons et Journaux nous pénétrons chez la merveilleuse comtesse de Loynes qui réunit, autour de Jules Lemaître, une brillante société d'écrivains, d'artistes et de journalistes. Après avoir inspiré en grande partie la fondation de la Ligue de la Patrie française, Mme de Loynes participera au lancement de l'AF par un don de 100 000 francs-or. Au temps de Judas nous transporte dans l'affaire Dreyfus, dans les luttes de la Ligue de la Patrie française, dans l'affaire Syveton, député nationaliste qui avait giflé publiquement le général André, ministre de la Guerre, responsable de l'ignoble affaire des fiches, en lien, semble-t-il, avec la franc-maçonnerie qui voulait freiner la carrière des officiers suspects d'être réactionnaires. Syveton fut "suicidé" la veille de son procès.

    De Paris à Bruxelles

    Vers le roi parle de l'académie Goncourt et de l'Action française. Il trace un portrait saisissant de Maurras, physique, moral et intellectuel à la fois : « Le bruit s'est répandu que derrière les politiciens, et au-dessus d'eux, il y avait, en France, un grand politique, mais entêté – croyait-on alors – dans une conception surannée du pouvoir royal, jugée irréalisable. Or ceux qui se mettaient à l'école de Maurras commençaient par goûter la joie incomparable de comprendre... Or, personne n'a le droit, quand il a une fois entrevu la vérité, religieuse ou politique, de s'y soustraire, sous le fallacieux prétexte qu'il est difficile de l'obtenir. »

    La Pluie de sang consacrée à la Grande Guerre, nous montre Daudet déposant devant la Haute Cour de Justice et contribuant à mettre hors d'état de nuire ceux qui voulaient livrer la France à Guillaume II sous le prétexte mensonger du pacifisme. Député de Paris, publié en 1933, évoque les années parlementaires de Léon Daudet. Nous nous permettons de renvoyer le lecteur à notre article consacré à ce livre, paru dans L'AF 2000 le 1er octobre 2009. Il s'agit du plus bel antidote aux tentations du parlementarisme.

    Un grand mémorialiste

    Vingt-neuf mois d'exil, enfin, nous montre la famille Daudet réfugiée en Belgique parce que Léon avait été condamné pour « crime de paternité » à la suite du louche assassinat de son fils Philippe. Tout  le monde connaît l'évasion rocambolesque de la Santé. Finalement, en 1929, une partie de la presse française et la majorité de la presse francophone, belge et suisse, s'exprima en faveur de Daudet – tel était le rayonnement de l'écrivain et de l'Action française – et une amnistie lui permit de rentrer en France, chez lui.

    Ces souvenirs sont extraordinaires.

    Léon Daudet possède, outre son talent de polémiste, un don d'évocation du passé qui le place au premier rang des mémorialistes. Avec ce visionnaire, grand artiste et homme de coeur, nous entrons dans une véritable résurrection du passé. Que ceux qui ne possèdent pas les oeuvres de Daudet dans leur bibliothèque se hâtent d'acquérir ce volume : leur culture d'AF s'enrichira, et leur culture tout court, littéraire, politique, et humaine.

    Gérard Baudin L’ACTION FRANÇAISE 2000  du 3 au 16 décembre 2009

     

    * Éditions Grasset, Les cahiers rouges, 570 pages, 13,80 euros.

  • « Il ne faudrait jamais qu’une femme refuse d’accueillir un tout petit »

    Aleteia relate le témoignage d'une femme de 41 ans, qui a participé activement au lancement des Veillées pour la vie dans sa paroisse et est membre de SOS IVG.

    "Mariée très jeune alors qu’elle n’a que 21 ans, la jeune femme met au monde un premier enfant, et tombe rapidement à nouveau enceinte. « J’ai vécu un creux », explique-t-elle. Avec son mari, elle est sur le point de déménager, leurs études à tous les deux n’étaient pas terminées, etc. La toute jeune maman se demande comment elle va pouvoir s’occuper d’un enfant de plus ! Elle se souvient qu’elle refusait, malgré elle, ce nouveau bébé imprévu. « Quand on ne veut pas un bébé, le corps ne grossit pas. J’étais en plein déni de grossesse », confie-t-elle. Confrontée à cette période angoissante, elle comprend les jeunes femmes qui choisissent l’IVG. « L’avortement, on baigne dedans ! C’est devenu complètement normalisé. »

    Aucun recul sur l’avortement

    Elle souligne : « À cette époque, c’est-à-dire il y a moins de 20 ans, on ne parlait pas des conséquences que pouvaient avoir un avortement sur les mères ». Pourtant, elle n’envisage pas elle-même d’avorter et lorsque son enfant naît, une jolie petite fille en pleine forme, elle oublie toutes ses angoisses : « Il ne faudrait jamais qu’une femme refuse d’accueillir un tout petit ».

    Accompagnement de mamans en détresse

    Grâce à l’association SOS IVG, elle a été mise en contact avec une future maman qui avait été convaincue par son entourage d’avorter, mais qui ne parvenait pas à se faire à cette idée. Elle se souvient : « Nous avons parlé, j’ai partagé mon expérience. Au fur et à mesure de la conversation, j’ai découvert qu’elle avait en fait très envie d’avoir ce bébé ! J’ai participé à mon petit niveau à cette naissance… Et peut-être, espérons-le, à d’autres, grâce aux prières que nous organisons, avec les Veillées pour la Vie. Il y a des choses cachées, que nous ne pouvons pas connaître ».

    Les Veillées pour la vie

    Ces « Veillées pour la vie » sont des réunions de prières organisées « pour toutes vie humaine naissante ». Elles rassemblent des chrétiens autour de la prière pour la vie de Jean-Paul II, extraite de l’Encyclique « Evangelium Vitae » de Jean-Paul II (1995)."

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    Michel Janva

    http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/web.html

  • Vintur, le dieu lumineux des montagnes provençales

    Ex: http://tpprovence.wordpress.com/

    Le nom Vintur, présent uniquement en Provence, apparaît sur trois inscriptions votives datant du IIe siècle. La première a été découverte au XVIIIe siècle, à Mirabel-aux-Baronnies, dans la Drôme, sur le site de Notre-Dame de Beaulieu, par Esprit Calvet. Elle indique VENTVRI/CADIENSES/VSLM (1). La deuxième a été relevée à Apt, dans le Vaucluse, en 1700, par Joseph-François de Rémerville, qui nota : VENTVRI/VSLM/M.VIBIVUS (2). La troisième enfin, fut exhumée, également dans le Vaucluse, lors de fouilles effectuées en 1993 à la Chapelle Saint-Véran, près de Goult : seul VINTVRI restait encore lisible sur un fragment (3). Une question se pose alors : qui était ce mystérieux Vintur, honoré par ces inscriptions ?

    Apollon, le Bélénos gaulois

    L’on peut lire dans La Provence antique de J.P. Clébert : « Il y a aussi des dieux des sommets comme le fameux Ventur, dieu du vent, qui a donné son nom au mont Ventoux, et à celui de la Sainte Victoire (Vencturus) et probablement dieu Mistral » (4). De même, Patrice Arcelin, dans un article du magazine Dossier Archeologia sur les « Croyances et les idées religieuses en Gaule méridionale », précise à propos des divinités associées aux montagnes : « Les sommets ont également été l’objet de dévotion. On connaît plusieurs noms de divinités qui leur sont liés : le dieu Vintur, d’après une dédicace de Mirabel (Drôme) pour le mont Ventoux : le même nom se retrouve à Buoux dans le Luberon » (5).

    Comme souvent, le recours à l’étymologie permet d’éclaircir la question. C’est ainsi que Claude Sterckx explique : « Le théonyme Vintur(os) a été très peu étudié jusqu’à présent. L’alternance Vint/Vind apparaît bien attestée par la série de théonymes certainement apparentés : Vindios/Vintios-Vindonnod/Vintoros. Ils semblent tous basés sur l’adjectif gaulois Vindos : “ blanc, brillant, clair “ ». Interrogé par nos soins, Jean Haudry nous a précisé : « La présence de formes en vind- à côté des formes en vint- me semble favoriser le rattachement à l’adjectif vindos « blanc », mais le flottement entre t et d est surprenant: les diverses formes qui se attachent à vindos ont toujours nd. D’autre part, jene connais pas de formes en -ur- à côté de formes en -o-. L’étymologie de vindos est incertaine : le rattachement habituel à *weyd- « savoir », « trouver » n’est pas très bon pour le sens, le rattachement à *sweyd- « briller » serait préférable de ce point de vue, mais le *s de cette racine n’est pas un *s- mobile ».

    Pour sa part, Claude Sterckx conclut : « Vintur(os) serait donc à comprendre comme “le petit blanc“, “le petit lumineux“, et donc comme une épiclèse vraisemblablement de l’Apollon gaulois dont les autres désignations (Bélénos, Vindios, Albius) ont exactement le même sens (sans la finale hypocoristique) ». Avis partagé par tous ceux qui se sont penchés sur le cas Vintur.

    Le théonyme celtique Bélénos est attesté dans l’ensemble du monde celtique continental, puisque des inscriptions ont été retrouvées en Gaule cisalpine et transalpine, en Illyrie et en Norique. Mais c’est dans le sud de la Gaule, en Provence, que son culte était prééminent. Dans son ouvrage de référence La Religion des Celtes, de Vries indique qu’il était à l’honneur surtout chez les Salyens, des Celto-ligures installés précisément en Provence. Le fait que Bélénos soit, selon l’interprétation romaine, le nom de l’Apollon gaulois, divinité « solaire », a fait comprendre cet appellatif comme « le lumineux, le brillant ». Ainsi, selon de Vries, « l’Apollon gaulois a, lui aussi, d’étroits rapports avec le soleil ; son surnom de Belenus suffirait à l’indiquer » (6). On étymologise ensuite par des racines indo-européennes imaginaires, *gwel-« briller ». En réalité, comme le démontre Xavier Delamarre dans son Dictionnaire de la langue gauloise, le théonyme Belenos vient tout simplement de *belo, *bello, « fort, puissant » (7).

    Bélénos n’en est pas moins un dieu lumineux, dont les principales fonctions étaient la médecine et les arts. Il était honoré lors de la fête de Beltaine, qui marquait une rupture dans l’année, le passage de la saison sombre à la saison claire, lumineuse. Parmi ses surnoms plus spécifiquement gaulois, l’on remarque « Iovancocarus » (Juvent- : jeunesse), dieu rayonnant de jeunesse.

    En Irlande, Bélénos s’appelait Oengus, le Mac-Oc, c’est à dire le « dieu jeune », décrit dans les récits médiévaux comme « un jeune guerrier monté sur un cheval blanc ». Le Mac-Oc irlandais se nomme Madon au Pays de Galles : les contes gallois insistent sur son caractère solaire, car il est décrit comme « un jeune guerrier monté sur un cheval blanc ». On peut aussi assimiler Bélénos au dieu médecin de la mythologie irlandaise, Diancecht.

    Il faut aussi rapprocher Bélénos du dieu germanique Balder (vieil islandais Baldr), dieu de la jeunesse décrit dans l’Edda de Snorri Sturlusson, comme « si beau d’apparence et si clair qu’il en est lumineux ». Joseph Chérade Montbron soulignait, dès le XIXe siècle : « Il est probable que ce Balder est le même que le Belen ou Belenos qu’adoraient les Gaulois. Selon Rudbek, l’étymologie de Balder ou Belenos vient de Bella, se bien porter (…) De là Bol, Bold, Baal et Baldur, puissant, sain » (8). On retrouve là l’étymologie donnée par Xavier Delamarre.

    En outre, Bélénos est assimilé à l’Apollon du panthéon classique gréco-romain, dieu du chant, de la musique et de la poésie, mais aussi des purifications et de la guérison. Revenant chaque année au printemps du pays des hyperboréens, situé à l’extrême nord, il était le dieu de la lumière. Sa fonction éminemment solaire est confirmée par ses surnoms : « le blond », « le dieu aux cheveux d’or », « Phoibos », c’est à dire « le brillant », dont les Romains firent Phébus. A en croire l’hymne homérique, Apollon « a l’apparence d’un astre qui luit en plein jour. Des feux sans nombre jaillissent de sa personne, l’éclat en va jusqu’au ciel ». Dieu guérisseur, il était nommé, en Grèce, « Apotropaïos », « celui qui éloigne les maladies » ; à Rome, un premier temple lui fut érigé à la suite d’une épidémie, en 443 av JC et y port le nom d’Apollo Medicus (9). Dans son interprétation romaine du panthéon gaulois, César qualifiait ainsi Bélénos : « Apolinem morbos depellerre », soit « ils croient qu’Apollon chasse les maladies » (10).

    Sous le nom de Vintur, qui n’est qu’une épiclèse, c’est à dire une épithète par laquelle nos ancêtres désignaient le dieu dont le nom devait rester occulté, se cache donc le Bélénos gaulois, le Diancecht des Irlandais, l’Apollon des Grecs, l’Apollo Medicus des Romains.

    Le Mont-Ventoux

    J. Whatmough, dans The dialects of Ancient Gaul, suggère un apparentement entre le nom de Vintur et celui du Mont-Ventoux (11). Il est vrai qu’en Occitan provençal, Mont-Ventoux se dit Mont Ventor selon la norme classique ou Mount Ventour selon la norme mistralienne.

    Dès 1904, dans les Annales de la société d’Etudes Provençales, C.M. Clerc écrivait : « Le vrai nom du Mont Ventoux, sur les cartes du XVIIIe s est, non pas Ventoux, mais Ventour. Ce nom dérive indubitablement du nom d’une divinité, Venturius, à laquelle sont dédiées deux inscriptions romaines tracées, l’une à Mirabel, près de Vaison, l’autre à Buoux, au nord du Luberon. Il n’est pas impossible que cette divinité ait été non seulement celle du Ventoux, mais la divinité générale des montagnes de toute la région provençale, divinité d’origine celte ou plutôt ligure. Ce nom dérive, sans doute d’une racine analogue au latin Ventus ».

    Si le Ventoux doit bien son appellation à Vintur, celui-ci est nullement le dieu du vent ou du Mistral, ni un dieu local. En effet, il n’existe pas de divinités topiques dans la religion gauloise. Les Gaulois ne divinisaient pas leurs forêts, leurs fleuves ou leurs montagnes. Si le nom de Sequona est associé à la Seine, Matrona à la Marne ou Vosegos aux Vosges, c’est uniquement que ces lieux étaient consacrés à ces divinités et portaient leur nom…

    Le sommet du Mont-Ventoux, enneigé tout au long de l’hiver, et recouvert de pierres blanches le reste de l’année, a été consacré à Vintur, le dieu solaire, « le blanc », « le brillant », « le lumineux », en raison de sa blancheur persistance. Quant à la célèbre source du Groseau, au pied du Ventoux, elle a été considérée comme salutaire car protégée par le dieu guérisseur Vintur.

    La Sainte-Victoire

    De nombreux érudits ont rapproché la toponymie du Mont-Ventoux avec celle d’un autre géant de Provence, tout aussi fameux : la Sainte-Victoire.

    Passons rapidement sur la légende qui rattache l’appellation de la montagne à la victoire de Marius sur les Teutons, en 102 av JC. Elle remonte au XIXe s, et fut forgée de toutes pièces par quelques écrivains et journalistes locaux. Walter Scott, qui situe à la Sainte-Victoire un chapitre de son roman Charles Le Téméraire ou Anne de Geierstein, écrit en 1829, donne l’explication (?) suivante : « Le nom de la Montagne, écrit-il, avait été donné par suite d’une grande victoire qu’un général romain nommé Caio Mario avait remporté sur deux grandes armées de Sarrasins portant des noms ultramontains, probablement les Teutons et les Cimbres. En reconnaissance de cette victoire Caio Mario fit vœu de bâtir un monastère sur cette montagne et de le dédier à la Vierge Marie, en l’honneur de laquelle il avait été baptisé ». Défense de rire !

    Pour redevenir sérieux, notons que le nom de Sainte-Victoire est inconnu dans les documents avant le XVIIe s.  Le terme de « Victoire » est mentionné pour la première fois en 1653, quand un bourgeois d’Aix-en-Provence, Honoré Lambert, fait le vœu, au cours d’une grave maladie, de restaurer la chapelle et l’ermitage situés au sommet de la montagne, sous le nom de « Notre-dame de la Victoire », et de s’y retirer pour se consacrer à une vie de prière et de contemplation. On ne sait pas si, avec un tel nom, il s’agit de commémorer la victoire de Louis XIII sur les Protestants, ou la bataille victorieuse de Lépante contre les Turcs, même si la première hypothèse semble la plus plausible.

    Dans la période précédente, le nom de la montagne est « Venture » ou, sous une forme chrétienne, « Sainte-Venture » ou « Sainte-Adventure », cette appellation figurant encore sur des cartes du début du XVIIIe s, et il n’est question dans les textes que d’un chemin menant à Sainte Adventure (Itinere sancte Adventuro) en 1390, ou à Sainte-Venturie (Sancte Venturie) en 1345.

    D’où l’hypothèse émise par Camille Jullian, en 1899, dans les colonnes de la Revue d’Etudes Anciennes : « Sainte-Victoire vient d’un mot celtique, ou ligure, comme Venturi, Venturius ou quelque chose d’approchant. Le nom même de la montagne n’a jamais été Victoria. Lorsqu’on trouve son nom sous sa vraie forme locale et provençale, elle s’appelle Venturi, du latinVentur et Venturius comme le vrai nom et le nom primitif de Sainte-Victoire. Venturi, Ventoux, c’est tout un. Et dans le passé la distance entre ces deux mots diminue encore. Le Ventoux s’appelle dans les chartes Venturius, et à l’époque romaine,Vintur. Sainte-Victoire et le Ventoux ont donc porté, à l’origine, le même nom celtique ou ligure, nom fort approprié à des sommets d’où semblent partir nuages et vent ». Comme Camille jullian, Charles Rostaing et de nombreux érudits n’ont eu de cesse de rapprocher la toponymie de la montagne Sainte-Victoire de celle d’un autre sommet tout aussi célèbre : le Mont-Ventoux.

    Par ailleurs, l’on retrouve en Provence d’autres toponymes dérivant du théonyme gaulois Vintur. Charles Rostaing cite l’exemple du village de Venterol, dans les Alpes de Haute Provence, dont le nom dérive, selon lui, du dieu gaulois. Hypothèse confirmée par le site de construction de l’ancien village : un piton à 1185 mètres d’altitude (12).

    Jean-François Delfini, Grande Provence, hiver 2010, n°2.

    NOTES

    (1)  CIL 12, 1341.

    (2)  CIL 12, 1104.

    (3)  ILN 04, 143.

    (4)  J.P. Clébert, La Provence antique, II, Robert Laffont, 1966.

    (5)  Dossier Archeologia, juin 1979, n°35.

    (6)  De Vries, La Religion des Celtes, Payot, 1962, 45.

    (7)  X. Delamarre, Dictionnaire de la langue gauloise, Errance, 2001, p. 62.

    (8)  J. Chérade Montbron, Les Scandinaves : poëme, Maradan, 1801, p. 522.

    (9) Tite-Live, IV, 25.3 ; XL, 51.6.

    (10) Jules César, De bello gallico, 6,7.2.

    (11)  J. Whatmough, The dialects of Ancient Gaul, Cambridge, 1970, p. 117.

    (12)  C. Rostaing, Essai sur la toponymie de la Provence (depuis les origines jusqu’aux invasions barbares), Laffitte reprints, Marseille, 1973, p. 295.

    http://www.grandeprovence.fr/

    http://vouloir.hautetfort.com/archives/category/tradition/index-6.html

  • Les Mercredis de la Légitimité : Testaments des rois français, l’art de transmettre le pouvoir

    Vexilla Galliae et le Centre d'Etudes Historiques sont heureux de vous convier à la conférence du

    Mercredi 21 octobre 2015 à 19h00

    Placée sous le haut patronage de Monseigneur le prince Louis, duc d'Anjou

    «Testaments des rois français,

    L’art de transmettre le pouvoir »

    avec

    le docteur Michel Ferlet

    ____________________________________________

    Rendez-vous :  

    Maison des ingénieurs ETP - 15, Rue Cortambert - 75016 Paris

    Métro : ligne 6 ou 9 Trocadéro ou Rue de la pompe

    RER : Boulainvilliers

    Bus: 63, 32, 22

    Voiture : Parking possible au 78 rue de Passy – 75116 Paris

  • L'identité française : un condensé de l'identité européenne

    L’identité française ne se sépare pas de l’identité européenne.
    Dire cela n’a rien à voir avec une quelconque perspective supranationale, au contraire.
    L’Europe est entrée dans l’histoire avec les cités grecques. C’est leur amour passionné de la liberté qui s’est exprimé à Marathon, aux Thermopyles, à Salamine, à Platées, contre ce que les marxistes devaient appeler plus tard le « despotisme oriental ».
    Même refus d’une monarchie orientale avec la victoire, plus ambiguë, d’Octave à Actium, contre Antoine et Cléopâtre.
    Tout en sauvant  la façade républicaine, Octave, devenu Auguste, n’en imposa pas moins à Rome un modèle impérial, au mépris de la tradition romaine et de l’esprit de liberté des peuples moins avancés, Celtes, Ibères ou Germains. Mais au bout de quelques siècles, l’Europe, sous le choc des barbares,  revint, avec  la bénédiction de l’Eglise, à un nouveau type de morcellement. Cette Europe où, depuis l’Edit de Caracalla (312), tous les hommes libres sont citoyens, ne supporte plus les pouvoirs trop lointains. En se partageant l’Empire, Les Francs en Gaule, les Wisigoths en Espagne, les Ostrogoths en Italie, les Angles et les Saxons en Angleterre, les Suèves au Portugal esquissent la carte politique de l’Europe actuelle : des entités politiques de taille moyenne, sous-dimensionnées par rapport aux grands empires byzantin ou arabe mais où le pouvoir semble plus à portée du grand nombre, jusqu’à  l’émiettement féodal.
    Les tentatives de reconstituer un grand bloc européen de type impérial sur le modèle romain ne manquèrent pas : Charlemagne, le Saint Empire romain germanique, les Habsbourg, jusqu’à Napoléon et Hitler, mais elles firent les unes après les autres long feu. Il est significatif qu’au XXe siècle les totalitarismes s’emparèrent des deux nations qui s’étaient vu un moment héritières de Rome, l’Allemagne des Kaiser, la Russie des Czars (deux déformations de César). Mais ils n’ont eu, eux aussi, qu’un temps.
    Cette histoire tourmentée fait-elle, autant qu’on le dit, de l’ Europe une terre de brassage ethnique ?  Elle le fut sans doute au premier millénaire, par l’esclavage d’abord, par les invasions ensuite. Très peu depuis l’an Mil. Au temps des invasions, les nouveaux venus tentaient de s’imposer par le fer et par le feu. Mais ils ne gagnaient pas vraiment :  soit qu’ils fussent défaits sur les champs de bataille (les Huns, les Hongrois, les Turcs), soit qu’ils se soient assimilés à la civilisation des premiers occupants : destin de la plupart des peuples germains du  Ier millénaire. Les Arabes, seuls,  imposèrent leur civilisation en Espagne, mais ils en furent finalement rejetés, comme les Turcs devaient l’être des Balkans.
    Et la France dans cette histoire, dira-t-on ?  A un degré suréminent, elle porte cette vocation européenne de liberté, elle en est l’emblème. Emblématique déjà par sa position : le seul qui soit à la fois sur la Mer du Nord, l’Atlantique et la Méditerranée, maritime et continental (au sens de MacKinder), latin et franc, catholique mais teinté de protestantisme, chrétien mais inspirateur des Lumières, notre pays est à lui seul un condensé de l’Europe. Comme jadis les cités grecques, il incarna tout au long de l’histoire – sauf l’exception napoléonienne –  la résistance à la tentation impériale paneuropéenne : contre le Saint Empire, contre les Habsbourg, contre le Reich bismarkien. Redécouvrant à la fin du XVIIIe siècle les valeurs de la démocratie grecque, les Français, comme les Grecs jadis, sont bien les Européens par excellence. Ils sont un peu à l’Europe, ce que l’Europe est au monde. Leur identité, c’est d’abord cela.
    Tout cela appartient –il au passé ?
    Loin de nous l’idée d’oublier ce que la chute du rideau de fer doit à des acteurs non-européens,  Américains bien sûr mais aussi Afghans. Reste que cet événement résulta aussi du combat de grands  Européens ; Jean Paul II,  Walesa et d’autres et doit être considéré comme une grande victoire de la civilisation européenne. En refusant avec plus de détermination que d’autres l’ultime menace soviétique qu’exprimait la prolifération des euromissiles, notre pays réagit alors en conformité avec son sens séculaire de la liberté.
    Comment dès lors s’étonner que la France doute de son identité dès lors que de nouvelles menaces  semblent, à tort ou à raison, lui rappeler ce que, tout au long de l’histoire, elle a, comme les autres  Européens, rejeté ?
    Toujours ouverte aux autres cultures, y compris arabe, comment  se résignerait-elle  à ce que l’Europe appartienne jamais à l’oumma, ainsi que l’envisagent certains islamistes ?
    Comment pourrait-elle accepter que certains faucons américains, tel Zbigniew Brzezinski, prônent  la mise en tutelle de l’Europe au sein d’un nouvel ordre impérial ? Comment ne serait-elle pas inquiète, elle qui, presque tout au long de son histoire, a combattu les empires, d’entendre Barroso dire : « parfois j'aime comparer l'Union Européenne en tant que création, à l'organisation des empires », même s’il ajoute qu’il s’agira du « premier empire non impérial » (1). De quelque manière que cela soit dit, il n’est en tous les cas pas dans la vocation de la construction européenne de substituer à la variété colorée de ses personnalités nationales, la grisaille d’un soft power bureaucratique.
    Loin de se replier sur elle-même, la France, en se souciant de son identité, ne fait que défendre, comme elle l’a toujours fait, l’identité de l’Europe.
    Roland Hureaux
    Haut fonctionnaire, essayiste
    30/12/2009
    www.magistro.fr/content/view/420/80/ 
    (1) Conférence de presse à Strasbourg, 10 juillet 2007

    http://archives.polemia.com/article.php?id=2627

  • Le 600 LMPT déployé à Helsinki

    Le "600" de La Manif Pour Tous a été déployé deux fois ce week end à Helsinki pour encourager l'initiative citoyenne en vue de la réouverture du débat sur la loi dénaturant le mariage. De fait, la pétition approche la date finale et l'association Aito Avioliitto ("le mariage véritable"), partenaire de La Manif Pour Tous, espère atteindre les 100 000 (le minimum requis est de 50 000 pour réexaminer la loi). 97000 signatures ont été collectées sans relai médiatique, avec le dévouement de bénévoles. La loi dénaturant le mariage a été signée en mars 2015 mais elle ne sera en vigueur qu'en mars 2017. Ou pas.

    Helsinki_Cathedral_Lutheran_photo_by_aito_avioliitto_and_Pentti_Tuovinen kopio

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    Michel Janva

    http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/web.html

  • « Deux individus contre l'histoire. Pierre Drieu la Rochelle, Ernst Jünger » de Julien Hervier

    L’auteur et le livre

    Ce livre est la réédition revue, corrigée et augmentée d’une postface, d’un texte publié pour la première fois en 1978 et qui était lui-même la version allégée d’une thèse d’État soutenue en Sorbonne. Professeur honoraire de l’université de Poitiers, Julien Hervier est le principal traducteur de Jünger et a dirigé l’édition des Journaux de guerre dans la Pléiade, il a également traduit des ouvrages de Nietzsche, Heidegger et Hermann Hesse, et a édité de nombreux textes de Drieu, notamment son Journal 1939-1945.

    Comme le souligne lui-même l’auteur dans sa postface, le contenu de son livre serait bien différent s’il devait l’écrire aujourd’hui, notamment en ce qui concerne Jünger dont l’œuvre a pris une autre ampleur, en particulier avec les cinq volumes du journal de vieillesse Soixante-dix s’efface, jusqu’à sa mort en 1998. Quant à Drieu, il faudrait « insister sur la dimension religieuse de [son] univers » plutôt que de « le réduire à son image de grand séducteur et d’essayiste politique ». Durant les quelque trente ans qui se sont écoulés entre l’édition princeps de cet ouvrage et la présente réédition, le contexte idéologico-politique a profondément changé et ce texte doit donc être lu sans jamais perdre de vue le moment où il fut écrit.

    Deux écrivains individualistes et aristocratique : quatre grands thèmes

    En 1978 donc, J. Hervier (JH) se propose d’étudier deux écrivains « d’esprit individualiste et aristocratique » qui ont accordé dans leur œuvre « une large place aux problèmes de la philosophie de l’histoire » qu’ils ont « transcrits en termes romanesques ». Son livre se décline selon quatre grands thèmes (la Guerre, la Politique, l’Individu et l’Histoire, la Religion), abordés sous différents aspects pour chacun des deux auteurs. 

      • La Guerre - Pour Jünger comme pour Drieu, la guerre est perçue comme une « loi naturelle », et la Première Guerre mondiale est « l’expérience fondamentale de leur jeunesse ». Rappelons seulement quelques titres. Pour le premier : Orages d’acier (1920), La guerre notre mère (1922), Le boqueteau 125 (1925), les journaux de guerre de 1939 à 1948… et cette sentence : « Le combat est toujours quelque chose de saint, un jugement divin entre deux idées ». Pour le second, les poèmesInterrogation (1917) et Fond de cantine (1920), et surtout le roman La comédie de Charleroi (1934). Pour Drieu, les hommes « ne sont nés que pour la guerre » 
    Jünger considère également la guerre comme « technique » et écrit à cet égard : « La machine représente l’intelligence d’un peuple coulée en acier », tandis que Drieu juge que « la guerre moderne est une révolte maléfique de la matière asservie par l’homme ». 
    Le livre de Jünger La guerre notre mère illustre parfaitement l’idéologie nationaliste qui régnait alors dans l’Allemagne meurtrie par la défaite, avec son exaltation du sacrifice suprême : mourir pour la patrie. Si, à cette époque, Drieu est sensible à cette idée de sacrifice patriotique, avec la Seconde Guerre mondiale il évoluera du nationalisme au pacifisme.

      • La politique - En matière de politique, les nationalistes que sont initialement Jünger et Drieu estimeront rapidement que le nationalisme est dépassé et qu’il doit évoluer, pour l’un vers l’État universel et pour l’autre vers une Europe unie. Tous deux cependant appellent à une révolution, « conservatrice » pour Jünger et « fasciste » pour Drieu. On connaît les engagements de ces deux intellectuels, mot que Drieu définit ainsi : « Un véritable intellectuel est toujours un partisan, mais toujours un partisan exilé : toujours un homme de foi, mais toujours un hérétique ». Pour l’auteur de Gilles, l’engagement est nécessaire, mais « difficile » et « ambigu ». Pour Jünger, l’engagement est paradoxal : « Ma façon de participer à l’histoire contemporaine, telle que je l’observe en moi, observe-t-il, est celle d’un homme qui se sait engagé malgré lui, moins dans une guerre mondiale que dans une guerre civile à l’échelle mondiale. Je suis par conséquent lié à des conflits tout autres que ceux des États nationaux en lutte ». Une chose est sûre, ces deux intellectuels sont des « spectateurs engagés », mais Jünger « préfère finalement refuser l’engagement – même si un remords latent lui suggère que, malgré tout, en s’établissant dans le supratemporel, il peut réagir sur son environnement politique » (JH), tandis que l’engagement de Drieu « est placé sous le signe du déchirement et de la mauvaise conscience ».

      • L’individu et l’histoire - L’individualisme est une caractéristique essentielle de la personnalité de Drieu (« Je ne peux concevoir la vie que sous une forme individuelle » avoue-t-il en 1921), comme de celle de Jünger pour qui c’est dans l’individu « que siège le véritable tribunal de ce monde ». Mais leur individualisme est à la fois semblable et différent. Le premier, « individualiste forcené » par tempérament et formation, « condamne historiquement l’individualisme comme une survivance du passé, tout en étant incapable d’y échapper dans ses réactions psychologiques personnelles » (JH), le second, individualiste exacerbé également, prononce la même condamnation historique, mais dépasse la contradiction en affirmant, par-delà le constat de la décadence de l’individualisme bourgeois, « la nécessité d’une affirmation individuelle qui fait de chacun le dernier témoin de la liberté » (id.). Devant l’Histoire, Jünger et Drieu ont des attitudes parfois proches et parfois opposées. Jünger la conçoit, à l’instar de Spengler, comme essentiellement cyclique : les civilisations naissent, se développent, déclinent et disparaissent. De fait, il s’oppose aux conceptions de l’Histoire héritées des Lumières comme à celles issues du marxisme. Il envisage cependant « une disparition probable de l’homme historique ». (JH). 
    Drieu est fortement marqué par l’idée de décadence, son « pessimisme hyperbolique et métaphysique » dépasse le « déclinisme » de Spengler, mais, pour lui, il existe un « courant rapide » qui entraîne tout le monde « dans le même sens » et que « rien ne peut arrêter ». Il se rapproche donc, d’une certaine manière de la conception marxiste du « sens de l’histoire », mais va jusqu’à dire que l’Histoire, c’est ce « qu’on appelle aujourd’hui la Providence ou Dieu ». 
    Dans leurs « utopies romanesques », Jünger (Sur les falaises de marbre, Heliopolis) et Drieu (Beloukia, L’homme à cheval) procèdent de manière radicalement différente : le premier « part de l’histoire présente pour aboutir à l’univers intemporel de l’utopie », tandis que le second « part de l’histoire passée pour aboutir à l’histoire présente » (JH). Tous deux sont déçus par le présent, mais alors que Jünger « lui substitue un monde mythique », Drieu « l’invente dans le passé ». 
    Face au « problème de la technique », Jünger et Drieu estiment tous deux que celle-ci a détruit l’ancienne civilisation sans lui avoir jamais trouvé de substitut. La solution, selon eux, ne réside pas dans un simple retour en arrière, mais dans la création de quelque chose qu’on n’appellera plus « civilisation » et qui relèvera de « la philosophie, de l’exercice de la connaissance, du culte de la sagesse » (Drieu)

      • La religion - Après la Guerre, la Politique, l’Individu et l’Histoire, la dernière partie du livre est consacrée au rapport à la religion de Jünger et de Drieu, et c’est sans doute, pour le lecteur qui ne connaît pas l’ensemble de l’œuvre de ces deux auteurs, la plus surprenante. Un long chapitre traite de « la pensée religieuse de Drieu ». Celui-ci, vieillissant, délaissant les femmes, rejetant l’action politique, se tourne de plus en plus vers la religion. Il passe de « l’ordre guerrier » de sa jeunesse à « l’ordre sacerdotal », et écrit, aux abords de la cinquantaine, des « romans théologiques ». Il admire dans le catholicisme « un système de pensée complexe » et une religion qui « représente pour la civilisation d’Europe son arche d’alliance, le coffre de voyage à travers le temps où se serre tout le trésor de son expérience etde sa sagesse ». Toutefois, s’il vénère le christianisme sub specie æternitatis, il déteste ce qu’il est devenu, c'est-à-dire une religion « vidée de sa substance », muséifiée, et qui ne représente plus qu’« une secte alanguie », à l’image du déclin général de l’Occident. L’Église n’est plus qu’une institution bourgeoise liée au grand capitalisme. À ce « catholicisme dégénéré » (JH), Drieu oppose le christianisme « viril » du Moyen Âge, celui du « Christ des cathédrales, le grand dieu blanc et viril ». Ce dieu « n’a rien à céder en virilité et en santé aux dieux de l’Olympe et du Walhalla, tout en étant plus riche qu’eux en secrets subtils, qui lui viennent des dieux de l’Asie ». Pour Drieu, il n’y a pas de véritable antagonisme entre le christianisme et le paganisme, mais seulement une façon différente d’interpréter la Nature. À ses yeux, c’est le catholicisme orthodoxe qui a le mieux conservé l’héritage païen.. Mais, au-delà des différentes religions, païennes ou chrétiennes, Drieu croit profondément en une sorte de syncrétisme universel, celui d’« une religion secrète et profonde qui lie toutes les religions entre elles et qui n’en fait qu’une seule expression de l’Homme unique et partout le même ». 
    Pour Jünger comme pour Drieu, la dimension religieuse est fondamentale et « transcende toutes les autres » (JH). Mais, contrairement à Drieu, le mot même de « Dieu » est peu fréquent dans son œuvre, caractérisée pourtant par une vision spiritualiste du monde. De fait, il semble qu’il ait envisagé une « nouvelle théologie », sans lien véritable avec l’idée d’un Dieu personnel, relevant plus sûrement d’une « religion universelle », au sens où il parle d’« État universel ». L’ennemi commun des nouveaux théologiens comme des Églises traditionnelles demeure, en tout état de cause, le « nihilisme athée ». La sympathie générale qu’il éprouve pour toutes les religions relève davantage de sa philosophie de l’histoire que d’un véritable sentiment religieux, mais ne l’empêchera pas, tout au long de la Seconde Guerre mondiale, d’exprimer des préoccupations chrétiennes. Son journal de guerre comprend d’innombrables références à la Bible, dont il loue le « prodigieux pouvoir symbolique », tandis que Sur les falaises de marbre et Heliopolis mettent en scène deux importantes figures de prêtres. « Au temps de la plus forte douleur, écrit-il, le christianisme « peut seul donner vie au temple de l’invisible que tentent de reconstruire les sages et les poètes ». Pour lui, le christianisme est avant tout ce qui, dans notre civilisation, « incarne les valeurs religieuses permanentes de l’humanité » (JH). À ses yeux, le christianisme constitue un humanisme qui prône une haute conception de l’homme. Il n’en accepte pas moins le « Dieu est mort » nietzschéen qui, souligne-t-il, est « la donnée fondamentale de la catastrophe universelle, mais aussi la condition préalable au prodigieux déploiement de puissance de l’homme qui commence ». La mort de Dieu n’est pour lui que la mort des dieux personnels, elle n’est donc pas un obstacle à la dimension religieuse de l’homme. Au mot de Nietzsche, il préfère celui de Léon Bloy, « Dieu se retire », ce qui annonce l’avènement du Troisième Règne, celui de l’Esprit qui succèdera à ceux du Père et du Fils. 
    En matière de religion, Drieu et Jünger sont « étrangement proches et profondément différents » (JH). Tous deux défendent les religions contre le rationalisme tout-puissant, sont convaincus de l’évidence de la mort du Dieu personnel et donc de la nécessité de « reconstruire à partir d’elle une nouvelle forme d’appréhension du divin » (JH).

    Un mélange détonnant

    Ce qui ressort de cette étude comparative de Jünger et Drieu, « c’est le mélange détonnant qui se produit en eux entre un esprit réactionnaire incontestable et une volonté révolutionnaire ». Toutefois si Jünger est plutôt un national-bolchevique et Drieu un révolutionnaire fasciste, face au « bourgeoisisme » tous deux sont des révolutionnaires.

    Julie Hervier a intitulé son travail : « Deux individus contre l’histoire ». Le mot « individu » prend ici tout son sens lorsqu’on comprend, après avoir refermé le livre, que Jünger et Drieu sont fascinés par la singularité de l’individu. Jünger incarne un individualisme métaphysique qui est le contraire de l’individualisme bourgeois que Drieu, dans sa mauvaise conscience, croit représenter. Tous deux aspirent à l’avènement d’une nouvelle aristocratie, mais pour Drieu il s’agit d’une aspiration essentiellement politique, alors que pour Jünger le but c’est la constitution d’une « petite élite spirituelle ». Dans sa postface, l’auteur de cette magistrale et admirable étude justifie a posteriori son titre de 1978 en rappelant et en se réclamant de la formule de Kafka : « Il n’y a de décisif que l’individu qui se bat à contre-courant ».

    Didier Marc , 11/06/2010

    Julien Hervier, Deux individus contre l’Histoire. Pierre Drieu la Rochelle, Ernst Jünger. Eurédit, 2010, 550 p.

    http://archives.polemia.com/article.php?id=2967

  • « Aristote au mont Saint-Michel : Les racines grecques de l'Europe chrétienne » de Sylvain Gouguenheim

    L’ouvrage de Sylvain Gouguenheim, divisé en cinq chapitres, aborde dans l’introduction la question de la situation respective de l’Orient et de l’Occident. Il fait le point sur la survivance de la Grèce dans le vaste empire romain, devenu chrétien byzantin, où les Chrétiens s’étaient divisés en plusieurs Eglises, Nestoriens en Perse de langue syriaque, Jacobites en Syrie de langue syriaque, Melkites en Egypte et Syrie de langue grecque, Coptes en Egypte de langue issue de l’ancien parler pharaonique. Quant au monde oriental, l’hellénisme prit sa source dans l’Antiquité tardive, les auteurs néoplatoniciens plutôt que par la redécouverte du classicisme athénien. Ensuite sont passées en revue les deux opinions courantes, admises de nos jours bien que contradictoires :

    • 1° procédant d’une confusion entre les notions d’« arabe » et de « musulman », la dette grecque de l’Europe envers le monde arabo-musulman aurait repris le savoir grec et, le transmettant à l’Occident, aurait provoqué le réveil culturel de l’Europe ;
    • 2° procédant toujours de la même confusion, les Musulmans de l’époque abbasside (l’«Islam des lumières »), dans leur fébrilité pour la recherche, auraient découvert l’ensemble de la pensée grecque qu’ils auraient traduite en arabe, avant de la transmettre à l’Europe par le truchement de l’Espagne par eux occupée puis libérée. Parallèlement, la Chrétienté médiévale serait demeurée en retard, plongée dans un âge d’obscurantisme.

    Byzance, réservoir du savoir grec

    Or Byzance, la grande oubliée des historiens de l’héritage européen, fut le réservoir du savoir grec, qu’elle diffusa dans toutes ses possessions italiennes comme à Rome où la connaissance de la langue grecque n’avait jamais disparu. 
    Dans un premier chapitre, l’auteur étudie la permanence de la culture grecque, relayée à ses débuts par le Christianisme d’expression grecque (Evangiles et premiers textes). En outre, dès le Ve siècle, Byzance connut une grande vague de traductions du grec en syriaque, opérées par les Chrétiens orientaux, faisant coexister la foi au Christ et la paideia antique, véhiculée ensuite par des auteurs tels que Martianus Capella et Macrobe, comme l’a fort bien démontré A. Vernet, par les traductions et commentaires de Platon, composés par Calcidius (cosmologie) dès les années 400, et d’Aristote, composés par Boèce (logique et musique). La pensée grecque est aussi présente chez les Pères, chez les prélats d’Italie du sud, grands intellectuels, importée aussi par les Grecs syriaques chassés d’Orient par l’iconoclasme byzantin et par la conquête arabe, pour ne parler que des manuscrits apportés d’Orient en Sicile (Strabon, Don Cassius…), comme le démontrent les travaux de J. Irigoin : autant de régions de peuplement et de culture grecque, noyaux de diffusion à travers toute l’Europe. 
    • La conquête musulmane de la Sicile (827) porta un coup dur à ce mouvement : monastères et bibliothèques incendiés ou détruits, habitants déportés en esclavage, dont les rescapés vont en Campanie ou dans le Latium pour y fonder des abbayes (Grotta Ferrata). Les reconquêtes byzantines puis normandes restaureront la tradition hellénique. 
    • A Rome, qui avait connu une forte immigration de Grecs et de Levantins fuyant les persécutions perses et arabes, tous les papes, entre 685 et 752, seront grecs ou syriaques, et fonderont des monastères grecs. Pendant des siècles des artistes byzantins (fondeurs de bronze, mosaïstes) viennent en Italie, appelés par de grands prélats, pour orner cathédrales et abbatiales. En Germanie, la cour de l’empereur Otton II, époux de Théophano, ouvre une période de renaissance de la langue et de la culture grecques. Puis son fils Otton III attirera beaucoup de Grecs venus d’Italie du sud, qui occuperont des sièges importants dans l’Empire et l’Eglise (dont l’un des plus célèbres est Rathier de Vérone), y apportant souvent des textes de mathématique et d’astronomie : parmi eux Siméon l’Achéen, militaire byzantin, qui combattit aux côtés de Guillaume le Libérateur à La Garde-Freinet, libérant ainsi définitivement la Provence de l’invasion musulmane. Les élites du Maghreb, juifs et chrétiens, s’enfuient et se réfugient en Espagne. 
    • En France , les contacts entre Francs et Byzantins s’intensifient avec Pépin le Bref. Les Carolingiens reçoivent des manuscrits d’Aristote et de Denys l’Aréopagite. Leur entourage compte nombre d’hellénistes. Charlemagne lui-même comprenait le grec. Sous Louis le Pieux deux ambassades byzantines (824 et 827) apportent le corpus du Pseudo-Denys, que traduisit l’abbé de Saint-Denis, Hilduin, même si cette traduction passe pour avoir été fort médiocre ; traduction que l’empereur Charles le Chauve devra charger le savant helléniste Jean Scot Erigène, auteur lui-même de poèmes en grec, de réélaborer

    Les centres de diffusion de la culture grecque en Europe

    L’exposé sur les centres de diffusion de la culture grecque en Europe dans les siècles postérieurs est trop long et répétitif : les princes normands de Sicile encouragèrent le monachisme grec, et l’on pourrait ajouter que leur chancellerie expédiait leurs actes en quatre langues, grec, latin, arabe, normand. A Rome, le haut clergé parle grec. Le Latran, riche d’une immense bibliothèque, diffuse partout des œuvres grecques. Anastase le bibliothécaire, helléniste réputé, fut ambassadeur à Byzance. De Rome, la langue et la culture grecques se diffusèrent dans les pays anglo-saxons : Bède le Vénérable (+ 735) lisait le grec ; Aldhelm de Canterbury (+709), d’une très haute culture classique, enseigna la langue grecque à saint Boniface. Quant à l’Irlande, grand foyer d’hellénisme, outre Jean Scot, ses savants diffusèrent leur savoir dans toute l’Europe du nord, jusqu’à Milan. Pour l’Espagne, la Catalogne surtout offre des textes d’Aristote et des néoplatoniciens, dans les manuscrits desquels on peut remarquer des alphabets et des essais de plume en grec : ajoutons que le même phénomème s’observe aussi dans nombre de manuscrits conservés en France.

    L’auteur accorde un grand chapitre à la médecine, domaine dans lequel le rôle joué par les savants musulmans a été particulièrement exalté. Raymond Le Coz, dans son ouvrage  Les chrétiens dans la médecine arabe  (Paris, L’Harmattan, 2006) a fait justice de cette opinion. Il souligne lui aussi le rôle primordial des chrétiens du Proche-Orient : Nestoriens, Jacobites, Melkites, Coptes, qui traduisirent les textes grecs bien avant l’arrivée de l’Islam. R. Le Coz insiste sur l’héritage byzantin qui imposa les ouvrages de Galien, la place éminente de l’Ecole d’Alexandrie dont l’une des plus grandes figures est Oribase, auteur d’une encyclopédie en soixante-dix livres, rapportant en outre de nombreux textes de ses prédécesseurs. Cette école, brillant encore avec Ammonius (VI° s.) puis Jean Philipon, fut remplacée au VIIIe siècle par celle de Bagdad où Nestoriens et Jacobites transmettront, par leurs traductions en langue arabe, aux musulmans leurs connaissance du savoir grec. Les Nestoriens seront d’ailleurs les médecins des califes de Bagdad et donneront naissance à la figure du « philosophe médecin, souvent astronome, astrologue ou alchimiste, si caractéristique de tout le moyen-âge, arabe et occidental ». Chez les Latins, dès le VIe siècle et grâce à Cassiodore, on connait les travaux de Soranos, médecin grec d’Ephèse (II° s.), Hippocrate, Galien, Dioscoride et Oribase. Puis ces textes circulent dans les abbayes d’Italie du nord et du sud, où la pratique du grec ne cessa jamais : Salerne, le Mont-Cassin, de si brillante réputation que de hauts personnages du nord de l’Europe viennent s’y faire soigner, avec les œuvres de Garipontus et Petrocellus. Quant au célèbre Constantin l’Africain (+1087), sa biographie nous informe qu’il apprit la médecine à Kairouan ou au Caire : on ne peut donc savoir quelles ont été ses sources, bien que, selon Pierre Diacre, il aurait été aussi formé aux disciplines grecques d’Ethiopie : il traduisait directement du grec ou de l’arabe en latin.

    Le XIIe siècle, renouveau des études à partir de sources antiques

    S’attardant sur la Renaissance carolingienne, l’Académie du Palais de Charlemagne, sur Richer de Reims qui aurait enseigné la médecine grecque, Gouguenheim, suivant un plan chronologique un peu confus, dresse un tableau de la Renaissance du XII° siècle, où le renouveau des études puise à la source de la culture antique : traductions d’œuvres scientifiques d’optique, de mécanique dans toute l’Europe, impulsées par l’Ordre de Cluny et son abbé Pierre le Vénérable. Mais pour tous ces savants, peut-on affirmer qu’ils ont tous travaillé sur des traductions directes et que leurs connaissances sont en totalité indépendantes des travaux arabo-musulmans ? 
    La circulation directe des textes de Byzance en Italie, vers la France et l’Empire mériterait, pour ces époques, d’être mieux connue, mieux étudiée. Quoiqu’il en soit, grâce à la réforme grégorienne, au renouveau du droit, de la philosophie politique, de la pratique rénovée de la dialectique, partout en Europe et en toutes matières, on constate un regain de l’influence et de l’imitation de l’Antique, la pratique et la découverte de textes grecs et latins. L’abbé Suger de Saint-Denis ne faisait-il pas l’admiration de ses moines grecs parcequ’il récitait de mémoire plus de trente vers d’Horace ? On découvre le livre II de la Logique d’Aristote, l’harmonie du monde de Platon à travers l’étude de la nature (Guillaume de Conches, Hugues de Saint-Victor), des œuvres de Cicéron. La mythologie païenne sert de support à la méthode allégorique d’exégèse de l’Ecriture. L’activité de traduction s’intensifie à Tolède, Palerme, Rome, Pise, Venise, en Rhénanie, à Reims, Cluny, au Bec-Hellouin, au Mont-Saint-Michel. Les Antiques sont les géants de Bernard de Chartres. Tous ces faits sont bien connus et ils témoignent d’une ouverture extraordinaire au savoir antique grec et latin, mais ils ne constituent pas une preuve exclusive d’un transfert directe de cette culture d’orient en occident. 
    Dans un deuxième chapitre, l’auteur revient, de façon quelque peu redondante, sur la diffusion du savoir grec par Byzance et la chrétienté d’orient, du VIe au XIIe siècle, rappelant les voies et les hommes qui ont permis la continuité avec le monde occidental depuis l’époque classite que. Le chapitre III est la justification du titre de l’ouvrage : l’Europe a recherché elle-même, et non reçu passivement l’héritage antique, grâce aux moines de ses grandes abbayes qui en firent des traductions directes. L’auteur donne une place centrale à l’abbaye du Mont-Saint-Michel où Jacques de Venise, arrivé au début du XIIe siècle, traduisit du grec en latin de nombreux textes d’Aristote, bien avant les traductions faites à Tolède à partir de textes en arabe. Une antériorité sur laquelle on aurait aimé que l’auteur insistât davantage. Le séjour de Jacques de Venise au Mont-Saint-Michel est contesté par certains historiens. Robert de Torigny, abbé en 1154, témoignera seulement de lui comme traducteur et commentateur vers 1125, mais la présence de ses traductions dans des manuscrits de la bibliothèque d’Avranches n’est sans doute pas due au hasard. La question, au reste, est de peu d’importance : son œuvre demeure et fut largement diffusée, à Chartres, Paris, en Angleterre, à Bologne et à Rome. Jean de Salisbury, dans le Metalogicon, utilise pour la première fois tous les écrits de l’Organon, peut-être dans la traduction de Jean de Venise.

    Arabité et islamisme

    Le chapitre IV est consacré à la nature de la réception des textes grecs par les arabes musulmans. L’opinion commune leur attribue une appropriation totale du savoir grec. Or l’auteur met de nouveau en garde, comme le fait R. Le Coz pour la médecine, contre la confusion entre arabité et islamisme. Le « monde musulman », alors dominant, comportait beaucoup de savants chrétiens, juifs, sabéens, parmi lesquels nombreux étaient des Arabes, arabisés, Persans convertis. Or auparavant les Arabes furent mis en contact dès l’époque ummayyade avec le monde grec et lui furent hostiles. Une grande partie de l’élite byzantine prit la fuite. S’il n’est pas démontré que le calife Umar II a lui-même ordonné l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie, du moins est-ce bien lui qui mit un terme à l’enseignement des sciences dans cette ville, « décision tout à fait conforme à ce que l’on connait du personnage » (R. Le Coz). La destruction de centres de culture aussi célèbres que le Mont Athos, Vatopédi, les raids incessants lancés par les califes en Sicile, au Mont-Cassin, à Rome et jusqu’au nord de la Gaule, aux VIII et IXe siècles, suffisent, dit l’auteur, à « démontrer le peu de goût des peuples musulmans pour la civilisation greco-latine ». Quant à la tradition de la « Maison de Sagesse », qui aurait regroupé des savants de toutes confessions et toutes disciplines, elle repose sur un texte beaucoup plus tardif rapportant la vision d’Aristote qu’aurait eue en songe le calife Al-Mamun, dont la bibliothèque ne fut ouverte, selon le témoignage d’un Musulman, qu’aux spécialistes du coran et de l’astronomie. L’auteur insiste sur les difficultés d’une traduction du grec en arabe : pour la langue, la pensée, dont les musulmans font passer les mots au filtre du coran, le raisonnement, au service exclusif de la foi. Quant à la médecine, R. Le Coz a démontré (dans  Les médecins nestoriens. Les maîtres des Arabes, Paris, L’Harmattan, 2003) que l’Islam n’a rien apporté. En philosophie, la logique aristotélicienne, passée au tamis du néoplatonisme, ne fut appliquée, par le mouvement de laFalsafa, que pour une exégèse rationnelle du Coran.

    Averroès, islamiste pur et dur

    Le parti le plus orthodoxe de l’Islam prit, à partir du IXe siècle, un aspect guerrier, contre la Trinité des chrétiens et le Dieu vengeur des Juifs. Son meilleur représentant est Averroès, médecin et juriste, qui prêcha à Cordoue le djihad contre les chrétiens : pour lui, l’étude de la Falsafa doit obéir aux principes de la chari’a (loi religieuse). De plus, la philosophie doit être interdite aux hommes du commun. Averroès, élitiste, ne fut ni athée ni tolérant. Pour ce qui est de la science politique, jamais l’Islam n’eut recours au système juridique greco-romain. La « Politique » d’Aristote ne fut jamais traduite en arabe : elle leur fut totalement étrangère. L’Islam n’a retenu des Grecs que ce qui leur était utile et ne contrevenait aux lois du Coran : sciences naturelles et médecine, tandis que la théologie chrétienne fut peu à peu pénétrée par la philosophie qui l’amena à évoluer.

    Deux civilisations, deux cultures

    Au dernier chapitre, l’auteur soulève la question de l’ouverture de l’Islam aux autres civilisations. Sauf quelques rares exceptions, ce ne fut, pendant tout le moyen-âge, qu’un long face à face de deux mondes radicalement différents, le plus souvent opposés. Comme nous le rappelle R. Le Coz, les Arabes conquérants ont toujours dédaigné apprendre la langue des pays conquis, puisque leur propre langue était celle de Dieu lui-même, celle de la Révélation. Evoquant la scission en Méditerranée, opérée par l’Islam, entre l’Occident et Byzance, et l’orientation consécutive de l’Europe vers le nord, l’auteur aurait pu invoquer aussi l’origine ethnique des Francs, qui marqua fortement les changements culturels. Pour une étude comparative dans le domaine de la transmission de l’une et l’autre culture, il est évident que l’Islam n’est pas un espace défini, que ces peuples auraient occupé pour s’y fondre, mais une culture fondamentalement religieuse, constituée par conquêtes successives, dans laquelle la politique et le droit (fiqh) dépendent strictement de la religion. En outre, les longs siècles de conflits violents étaient peu compatibles avec des échanges scientifiques. Il est tout aussi indéniable que le Christianisme est né et plonge ses racines dans un univers grec. L’usage de la liturgie grecque à Saint-Jean du Latran comme dans les grandes abbayes de Germanie et de France, de toute antiquité et pas seulement à partir du XIIe siècle, en est une preuve irréfutable. Deux civilisations fondées sur des religions contradictoires à vocation universelle ne pouvaient s’interpénétrer, à moins que l’une s’impose à l’autre, comme ce fut le cas pour l’Egypte et le Maghreb. C’est pourquoi, conclue l’auteur, une culture, stricto sensu, peut à la rigueur se transmettre, non une civilisation.

    En conclusion

    Sylvain Gougenheim rappelle que la quasi-totalité du savoir grec avait été traduite tout d’abord en syriaque, puis du syriaque en arabe par les Chrétiens orientaux, ce que confirme R. Le Coz dans le domaine médical : « comment les Arabes ont-ils pu connaître et assimiler cette science qui leur était étrangère…il a fallu des intermédiaires pour traduire les textes de l’Antiquité et initier les nouveaux venus à des techniques dont ils ignoraient tout. Les intermédiaires nécessaires ont été les chrétiens, héritiers de Byzance, qui vivaient dans le monde soumis à l’Islam et qui avaient été arabisés ». Quant aux occidentaux, outre leur propre tradition de savoir grec, ils bénéficièrent aussi de l’apport de ces chrétiens grecs et syriaques chassés d’orient, de l’Ecole d’Alexandrie, comme le confirment les études de J. Irigoin. Toutes ces données, solidement étayées, autorisent l’auteur à inscrire les racines culturelles de l’Europe dans le savoir grec, le droit romain et la Bible.

    L’annexe 1, qui fait, semble-t-il, couler beaucoup d’encre, est consacré au livre de l’orientaliste Sigrid Hunke, « Le Soleil d’Allah », polémique s’il en est, qui occupe, comme celui de M. Detienne, peu de place dans le débat dans la mesure où cet écrit, faisant écho à une idéologie aujourd’hui en vogue, n’est mû que par des arguments passionnels, voire racistes : il est donc sans intérêt.

    L’héritage grec a été transmis à l’Europe par voie directe

    L’ouvrage de Sylvain Gouguenheim, comme son titre l’indique, s’attache à démontrer que l’héritage grec a été transmis à l’Europe par voie directe, indépendante de la filière arabo-musulmane, tout en reconnaissant à la science musulmane la place qui lui est historiquement et chronologiquement due. Le livre est, avouons-le redondant, prolixe, parfois touffu. Partant de l’opinion commune, la démonstration se perd dans des excursus et des retours en arrière trop longs, des synthèses aussitôt reprises dans le détail, dans lesquels le lecteur a parfois du mal à retrouver le fil conducteur. L’auteur a voulu, de toute évidence, étant donnée la sensibilité du sujet, apporter le maximum de preuves à des faits qui, pour la plupart, sont irréfutables. L’ouvrage présente, il est vrai, un foisonnement cotoyant parfois la confusion. Certaines argumentations en revanche auraient mérité un plus grand développement, par exemple sur la science biblique, les Pères grecs et latins, l’Ecole d’Alexandrie. Cette étude a donc suscité de violentes polémiques, largement relayées par l’historien philosophe allemand Kurt Flasch, signataire d’une pétition la condamnant, mais reconnaissant aussitôt que « depuis 1950 la recherche a établi de façon irréfutable la continuité des traditions platonicienne et aristotélicienne. Augustin était un fin connaisseur du néoplatonisme qu’il ne distinguait pas du platonisme. Donc, le socle grec de la culture européenne et occidentale est incontestable ». Alors, où est le problème, et pourquoi cette polémique ? Elle repose, nous l’avons dit, sur plusieurs malentendus : la confusion entre « arabe » et « musulman », la notion de « racines », qui renvoie essentiellement aux hautes époques, l’absence de distinction nette entre la connaissance d’Aristote et celle de l’ensemble du savoir grec. Les musulmans abbassides promurent en leur temps et à leur tour la tradition grecque dans certaines disciplines, essentiellement scientifiques. Nulle part l’auteur ne nie que l’Islam ait conservé et fait progresser ces disciplines, cependant toujours passées au filtre du Coran, dont l’Occident a ensuite bénéficié. Cet ouvrage est un travail de grande synthèse, on ne peut lui demander d’être, dans tous les domaines, à la fine pointe de la bibliographie, laquelle est d’ailleurs sélective. Il présente, quant à la forme, quelques irrespects concernant les règles éditoriales, fautes vénielles dont nul ne peut prétendre être exempt. Quant au fond, les preuves apportées sont nécessaires et suffisantes. Celle que l’on pourrait y ajouter est fournie par la longue fréquentation des manuscrits médiévaux, et mieux encore, le fichier du contenu des bibliothèques médiévales d’occident, élaboré par A. Vernet tout au long de sa carrière et aujourd’hui déposé à l’Institut de Recherche et d’Histoire des textes : on peut y constater qu’en effet la culture européenne ne doit pas grand’chose à l’Islam.

    Il faut reconnaître à Sylvain Gouguenheim le mérite d’être allé à contre-courant de la position officielle contemporaine, d’avoir fourni aux chercheurs un gros dossier qui décape les idées reçues : une étude vaste, précise et argumentée, qui fait preuve en outre d’un remarquable courage.

    Françoise Houël Gasparri 
    Chartiste, médieviste 
    Auteur de nombreux ouvrages, dont notamment : 
    Crimes et Chatiments en Provence au temps du Roi René , Procédure criminelle au XVe siècle, Paris, éditions Le Léopard d’or, 1989 ; Un crime en Provence au XVe siècle, Paris, Albin Michel, 1991

    Correspondance Polémia – 28/06/2010

    Les intertitres sont de la rédaction.

    Voir : « Le retour à l’identité »

    Sylvain Gouguenheim, Aristote au Mont-Saint-Michel. Les racines grecques de l’Europe chrétienne.Paris, Le Seuil (l’Univers historique), 2008, 285 pages.

    http://archives.polemia.com/article.php?id=2975