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tradition - Page 174

  • Un papa et une maman, c'est "polémique"

    Lu sur Le Courrier de l'Ouest :

    "Le parking de Géant Casino à Chauray compte depuis quelque temps déjà quatre places de stationnement pour familles avec jeunes enfants. Certains ont cru que le symbole sur fond rose les signalant serait celui, tout craché, de la Manif pour tous.

    Et s'en émeuvent via Twitter. Exemple avec ce commentaire : « L'homophobie se niche partout désormais ». C'est aller vite en besogne.

    Les responsables de la grande surface invitent à ne pas faire d'amalgame : « Cette signalétique est classique et visible ailleurs. On n'a eu qu'un seul cas d'un homme venu protester, évoquant la Manif pour tous, mais il voulait faire l'intéressant », précise-t-on à Géant."

    C

    Michel Janva

  • Un pays c'est aussi une identité

    Mathieu Bock-Côté, sociologue chargé de cours à HEC Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal ainsi qu'à la radio de Radio-Canada, réagit dans Le Figaroà la polémique sur les églises :

    "[...] On a hurlé au populisme, il y a quelques années, quand les Suisses ont voté en faveur de l'interdiction de nouveaux minarets dans leur pays. On a voulu y voir le symptôme d'une crispation identitaire ou, pire encore, d'une poussée xénophobe et islamophobe rappelant, comme il se doit, «les heures les plus sombres de l'histoire». Le refrain est connu. Le référendum suisse exprimait pourtant autre chose: un pays n'est pas qu'une entité administratrice et juridique seulement définie par son adhésion aux droits de l'homme. Un pays,c'est aussi des paysages, une physionomie culturelle, une mémoire inscrite dans mille lieux. Une identité, pour le dire ainsi.

    Il est légitime de vouloir conserver l'héritage historique d'un pays, de rappeler son droit à la continuité. La votation suisse annonçait un réinvestissement existentiel du politique. L'État n'a pas seulement pour vocation d'administrer tranquillement, de manière gestionnaire, une société à la petite semaine. Dans les périodes de crise, quand l'histoire redevient houleuse, et c'est certainement le cas aujourd'hui,la puissance publique doit se porter à la défense des fondements de son pays, de sa part sacrée, qui ne saurait être altérée sans qu'il ne soit mortellement blessé. On pourrait dire qu'en renouant avec sa part chrétienne, la France assume une part refoulée de son identité civilisationnelle.

    La question n'est pas seulement politique. Une France qui se couperait de son héritage chrétien se condamnerait probablement à l'assèchement spirituel. Qu'on le veuille ou non, c'est essentiellement à travers la médiation du catholicisme que la France s'est interrogée, au fil des siècles, sur les questions éternelles. Le catholicisme, à travers son héritage architectural et culturel, connecte la France à la part la plus intime et charnelle de son identité. On voudrait aujourd'hui disqualifier moralement ce désir d'enracinement. Mais le patriotisme n'est pas une forme de maladie mentale."

    Michel Janva

  • L'urbanisme, du sacré au post-moderne

    La ville, espace du sacré et du politique a connu, par la mise en circulation de la raison dans la rue, une involution réductrice à la juxtaposition d’œuvres d’art. Celles-ci obéissent à une morale artistique nouvelle qui est celle de la nouvelle classe dominante : la bourgeoisie.

    L’architecture et l’urbanisme se sont ainsi retournés contre la ville. Le mouvement moderne constitue le point culminant de ce retournement dans sa formulation esthétique. Mais son dépassement constitue-t-il pour autant une réconciliation avec la ville ?

    Tous les peuples qui ont cherché à jouer un rôle dans l’histoire ont construit des villes. Spengler notait : « … toutes les grandes cultures sont des cultures citadines. (…) L’histoire universelle est l’histoire des cités » (Le déclin de l’Occident). Dès l’origine, la construction des villes a été profondément dépendante de l’état des rapports sociaux. Leur conception est le reflet d’un regard spécifique de la communauté sur elle-même. La ville est un miroir des rapports entretenus par les hommes entre eux. Mais la ville n’est pas qu’une superstructure de rapports sociaux. Les conceptions qui ont présidé à la naissance de chaque cité retentissent dans le futur longtemps et ne sont pas un simple socle passif de mouvements historiques. Aussi les conceptions en matière d’art et de bâtir les villes sont-elles tout autre chose que l’addition de recettes techniques.

    Le mot urbanisme vient du latin urbs (ville) ; il a été créé par l’architecte espagnol Cerda en 1867. Les nécessaires qualités d’utilisabilité — mais non de stricte “utilité” — de l’art de bâtir en font une activité technique, qui fait appel aux savoir-faire existants et pousse à leurs développements : construction des enceintes et remparts, recherche des moyens de transports les mieux adaptés… Sous cet angle technique, c’est donc l’art de résoudre des problèmes techniques de construction et d’utilisation de l’espace. Mais de même que l’essence de l’économie ne peut être ramenée au problème de la rareté — celle des biens ou celle du travail — l’essence de l’urbanisme ne se résume pas à la gestion de l’espace.

    Aménager et imaginer

    Quand José Ortega y Gasset affirme au début du siècle : « Trouver de la place devient le problème de tous les instants » (La révolte des masses), son propos illustre la transformation des hommes en masses qui est le fait des États modernes. La question de la place existe par rapport à certaines contraintes d’efficacité (rapidité de communication, création de pôles d’attractions), qui sont le fait de pouvoirs politiques projetant leurs peuples dans un monde de lutte permanente.

    Avant d’être l’art d’aménager, l’urbanisme est l’art d’imaginer. La façon de poser des problèmes n’est pas neutre et définit précisément une culture. L’urbanisme est une production culturelle et c’est pour cela qu’au-delà de la gestion de l’espace, ce qui domine son histoire est le rapport entre des formes et un être collectif différent suivant les espaces et les époques. C’est à cette lumière que prennent leur sens les irrationalités apparentes des villes tenant compte, notamment, de la place des dieux et du pouvoir politique et qui, dans leur variété, témoignent de rapports au monde multiples.

    Le synœcisme athénien

    [Ci-contre : L'Acropole d'Athènes (ill. par Christian Verdun). Exemple de ce que le langage de l'architecture appelle le « synoecisme athénien ». L'ordre qui se manifeste dans la cité grecque est dû, écrit Gaston Bardet, « non à un tracé régulier, mais à la localisation précise de chaque organe là où il doit remplir sa fonction propre ». La Cité grecque fédère de la sorte de petits groupes architecturaux autonomes. Et l'Acropole, au sommet, au point culminant de la ville, dépasse et unit tout à la fois cette fédération, au départ hétérogène]

    Le cas de la cité grecque antique est caractéristique. L’ordre qui s’y manifeste est dû, selon Gaston Bardet, « non à un tracé régulier, mais à la localisation précise de chaque organe là où il doit remplir sa fonction propre. (…) Par la séparation des monuments, par leur balancement, par leur présentation non dans l’axe mais sur les angles — qui traduit le pluralisme originel existant au sein de la cité grecque — Athènes magnifie le synœcisme, autrement dit la fédération de petits groupes autonomes. Enfin, par son Acropole, elle tend à dépasser cette communauté fédérale et prépare le sommet suivant : celui de la communion médiévale » (L’urbanisme, PUF, 1945). En clair, l’urbanisme traduit la structure mentale des peuples. En ce sens, et très logiquement, la méditation sur la meilleure forme urbaine n’est donc pas présente dès le départ dans la pensée grecque. Plusieurs tendances différentes s’affirment au cours des siècles : plan orthogonal de l’architecte et philosophe Hippodamos de Milet, avec la division de la ville en îlots (insulae) dont la taille est différente suivant les quartiers, recherche du monumental et des perspectives (Pergame), avec un plan non orthogonal mais dicté par le relief, développement diffus d’Athènes aux rues tortueuses et aux limites floues. Le flou de ces limites s’explique : la cité grecque est le reflet d’une conception de la citoyenneté non obligatoirement liée à la ville. La cité (polis) est une communauté de citoyens dont l’habitat est dispersé. C’est un concept politique — non un espace bâti —, et la création de villes ne donnera jamais aux citadins plus de droits qu’aux ruraux.

    La ville romaine : un projet politique et religieux

    Plus encore que la cité grecque la ville romaine exprime un projet indissociablement politique et religieux. Il s’analyse notamment dans une institution comme le pomerium (ou pomœrium) qui était l’espace libre aménagé autour de l’enceinte de Rome, dans lequel il était interdit d’habiter et de cultiver. À l’intérieur de l’enceinte de la ville, dont les limites furent plusieurs fois reculées, des règles très précises limitaient le pouvoir des consuls.

    « Un général victorieux — écrit Pierre Grimal — au retour de sa campagne, se voit interdire de franchir la limite pomeriale aussi longtemps qu’il désire demeurer imperator, en attendant, par ex., que le Sénat consente à lui décerner les honneurs du triomphe. Si, même par mégarde, il posait un pied à l’intérieur du pomerium, il perdrait sa qualité et ne pourrait plus aspirer à triompher » (Les villes romaines, PUF, 1971). Ainsi, l’espace de la ville a une forte signification politique et spirituelle. Elle n’est pas seulement manifeste dans la capitale de l’Empire.

    Dans le plan-type des villes romaines sont conjuguées à la fois des exigences techniques de reproductibilité — le plan est conçu pour être utilisable par de simple soldats en campagne — et des constituants qui relèvent non d’une intention pratique, mais religieuse. C’est le cas de l’axe est-ouest (decumanus) coupant l’axe nord-sud (cardo). Pour J.J. Wunenburger, « le plan en croix représente analogiquement le carrefour des orientations cosmiques » (Le sacré, PUF, 1981). Tout particulièrement dans les marges occidentales de l’empire, ce plan est un instrument de romanisation, ou, si l’on en croit les propos prêtés au rebelle breton Galcacus par Tacite, d’« accoutumance à l’esclavage ». La ville romaine n’est en effet pas une simple agglomération d’hommes. Le sol de la ville est consacré aux dieux. Et sur ce sol, fontaines, sanctuaires, lieux de réunion permettent l’éclosion d’une socialité qui font de ces colonies, comme le dit Grimal, « une image de Rome ».

    L’enveloppement du centre

    Même après la chute de l’Empire romain, la ville en Occident reste, comme écrit Jean Pierre Muret, « l’ombre de la ville romaine » (La ville comme paysage, C.R.U, 1980). Le plan radioconcentrique est employé concurremment au plan orthogonal. Bastides et villeneuves, c’est-à-dire les villes liées à des opérations de défrichement ont un tracé irrégulier mais obéissant souvent à la formule de l’enveloppement du centre (l’église) par des cercles concentriques de rues bordées de maisons, d’autres rues partant du centre vers la périphérie (cf. revue Monuments Historiques n°158, août-sept. 1988). Mais les tracés orthogonaux sont de plus en plus fréquents à partir du XIIe siècle. Dans ceux-ci, les places sont considérées comme une des cases du quadrillage. De ce fait, « les rues débouchent aux angles et les courants de circulation restent tangentiels aux côtés » (J.L. Harouel, Histoire de l’urbanisme, PUF, 1981). La tendance du Moyen-Âge est ainsi de considérer comme souhaitable le plan orthogonal, même s’il n’est appliqué que dans certaines de ses villes nouvelles.

    Quand le monument devient “cible”

    La Renaissance voit le développement de conceptions qui s’épanouiront pleinement à l’âge classique (XVIIe, XVIIIesiècles). Elle représente une période favorable pour l’éclosion de plans radioconcentriques, tel celui de Palma-Nuova (1593). De tels plans permettent au mieux de mettre en valeur un monument central. Autre cas de figure : l’élaboration de synthèse entre les plans radioconcentriques et orthogonaux, la place centrale devenant par ex. un carré ou un rectangle.

    La perspective devient volontiers monumentale, le monument est une « cible » (G. Bardet) : il doit être visible dans l’axe d’une rue. En conséquence, on n’accède plus aux places par les angles, mais par le milieu de chaque côté. Simultanément, c’est selon des normes strictes de proportion que les façades sont percées de fenêtres. Ces normes tendent d’ailleurs à être imposées à d’autres éléments que les façades, et à être étendues à toutes les constructions quand le pouvoir politique est en mesure de le faire.

    C’est ce que fait Ludovic Le More dans la petite ville lombarde de Vivegano, comme le note Jean-Louis Harouel qui précise : « L’unité de style constitue donc le visage architectural de l’individualisme de la Renaissance » (op. cit.). C’est le retour en force du programme en urbanisme et architecture. Ces programmes sont alimentés par d’importantes réflexions théoriques, comme celles d’Alberti, ou de Thomas More qui pousse à l’extrême la volonté de standardisation (L’Utopie).

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  • Racines de la géopolitique, géopolitique et fascisme, retour de la géopolitique

    ♦ Analyse : Claude Raffestin, Dario Lopreno, Yvan Pasteur, Géopolitique et histoire, Payot, 1995.

    Au cours des années 70, le déclin intellectuel du marxisme et les affrontements internes du monde communiste se sont conjugués pour rendre nécessaire le recours à la géopolitique. À l'évidence, la seule prise en compte des facteurs socio-économiques et idéologiques ne suffisaient à comprendre et interpréter litiges nationalitaires et territoriaux. Les problématiques espace et puissance ne pouvaient plus être ignorées d'où le recours à une géographie comprise comme “science des princes et chefs militaires” (Strabon). Professeur de géographie humaine à l'université de Genève, Claude Raffestin ne l'entend pas ainsi. Avec l'aide de 2 chercheurs en sciences sociales, il se fait fort de prouver que la géopolitique n'est pas une science ni même un savoir scientifique (1). « Production sociale marquée du sceau de l'historicité », la géopolitique ne serait qu'une superstructure idéologique légitimant le nationalisme et l'impérialisme de l'Allemagne du XXe siècle commençant. Pour en arriver à cette affirmation abrupte, C. Raffestin procède à une démonstration en 3 temps.

    Dans une première partie (“Racines de la géopolitique”), il décrit et explique le rôle d'intermédiaire joué par Friedrich Ratzel (1844-1904) entre une géographie allemande marquée par les philosophies de Herder et Hegel — la géographie est l'élément de base de l'histoire des peuples, des nations, de États — et l'œuvre de Rudolf Kjellen (1864-1922), professeur et parlementaire suédois, créateur du néologisme de “géopolitique” en 1916. Héritier de Humboldt et Ritter, F. Ratzel est à l'origine d'une géographie humaine fortement structurée par une vision darwinienne du monde (vision organiciste de l'État, individu géographique ; thème de la lutte de l'espèce-État pour l'espace). S'il n'est pas indifférent aux problèmes de son temps, l'ensemble de son travail est tourné vers la connaissance de la Terre et des connexions entre les sociétés humaines et leur milieu de vie. Cette géographie, que l'on peut qualifier d'académique, n'est donc pas de la géopolitique. C'est avec R. Kjellen que se développe une géographie active, applicable aux rapports de puissance du moment (cf. L'État comme forme de vie, publié en 1916 et traduit l'année suivante en Allemagne) alors même qu'en Grande-Bretagne Halford John Mackinder (1861-1947), en développant et affinant ses thèses exposée dans sa célèbre conférence de 1904, s'inscrit dans la postérité de l'Américain Alfred T. Mahan (1840-1914). La géopolitique naît donc avec la Première Guerre mondiale.

    La seconde partie, “Géopolitique et fascisme”, est construite autour de la personne et l'œuvre de Karl Haushofer (1869-1946). C'est à ce général bavarois qu'il revient de continuer la lignée Ratzel-Kjellen en faisant de la géopolitique une science appliquée et opérationnelle. Après avoir tenté de démonter le travail de réhabilitation de K. Haushofer, Raffestin montre le peu d'impact de ses efforts intellectuels sur le cours des choses (2). La “saisie du monde” qu'il assigne comme but à la géopolitique laisse place à la propagande. D'habiles constructions graphiques “mettent en carte” les ambitions expansionnistes du IIIe Reich et assurent l'endoctrinement des masses. La Zeitschrift für Geopolitik n'en inspire pas moins les géopolitiques franquiste et mussolinienne caractérisées par le décalage entre leur discours, global et impérial, et la réalité des États espagnol et italien.

    La troisième partie, “Le retour de la géopolitique”, porte sur les recompositions de ce discours dans l'après-Deuxième Guerre mondiale. Une partie beaucoup trop courte pour emporter la conviction du lecteur. Le pragmatisme anglo-saxon, dont font preuve Nicholas J. Spykman (1893-1943) et de ses successeurs, — Robert Strausz-Hupé est le seul qui soit cité ! — ne trouve pas grâce aux yeux de Raffestin. Il n'y voit qu'une resucée de la vieille et infâme Geopolitik. Idem pour les publications de l'Institut international de géopolitique, dirigé par Marie-France Garaud, pour les travaux de la revueHérodote, emmenée par Y. Lacoste, ou encore ceux de sa consœur italienne Limes, dirigée par Michel Korinman et Lucio Caracciolo. À ce stade du livre, on ne prouve plus quoi que ce soit, on anathémise ! Raffestin peut conclure : la géopolitique est le “masque” du nationalisme, de l'impérialisme, du racisme. Il en arrive même à renverser ces rapports de déterminant à déterminé puisqu'en visualisant divers litiges territoriaux, « la démarche de la géopolitique serait très proche de celle d'une prophétie autoréalisatrice » (p. 307-308).

    Cet ouvrage a le mérite d'adresser de justes critiques à ce que l'on appellera le géopolitisme : regard olympien négligeant les échelles infra-continentales, affirmations péremptoires, proclamation de lois, volonté de constituer la géopolitique en un savoir global couronnant l'ensemble des connaissances humaines. Scientiste et déterministe, cette géopolitique est datée. Elle a déjà fait place à une géopolitique définie non plus comme science mais comme savoir scientifique (cf. note n°1), prenant en compte les multiples dimensions d'une situation donnée et les différents niveaux d'analyse spatiale attentive aux “géopolitiques d'en bas” (celles des acteurs infra-étatiques). Modeste, cette géopolitique post-moderne est celle d'une planète caractérisée par la densité des interactions (flux massifs et divers), par l'hétérogénéité des acteurs dusystème-Monde (le système interétatique est doublé et contourné par un système transnational : firmes, maffias diverses, églises, sectes groupes terroristes...), et l'ambivalence des rapports entre unités politiques (relations de conflit-coopération, disparition des ennemis et par voie de conséquence des amis désignés). Cette géopolitique est celle d'un système-Monde hyper-complexe, multirisques et chaotique (3). Mais ces renouvellements sont tout simplement ignorés par Raffestin. Parce que son objectif est le suivant : disqualifier à nouveau la géopolitique en pratiquant la reductio ad Hitlerum.

    ► Louis Sorel, Nouvelles de Synergies Européennes n°20, 1996.

    Notes :

    (1) Selon le géopolitologue Y. Lacoste, directeur de la revue Hérodote, la géopolitique n'est pas une science ayant vocation à établir des lois mais un savoir scientifique qui combine des outils de connaissance produits par diverses sciences (sciences de matière, sciences du vivant, sciences humaines) en fonction de préoccupations stratégiques. Sur ces questions épistémologiques, cf. « Les géographes, l'action et le politique », Hérodote n° 33-34, 2°/3° trimestre 1984 (numéro double) ainsi que le Dictionnaire de géopolitique publié sous la direction d'Y. Lacoste chez Flammarion en 1993.

    (2) Cf. la préface de Jean Klein à Karl Haushofer, De la géopolitique, Fayard, 1986. Lire également les pages consacrées par Michel Korinman à K. Haushofer in Quand l'Allemagne pensait le monde, Fayard, 1990.

    (3) Cf. Lucien Poirier, La crise des fondements, Economica/Institut de stratégie comparée, 1994. 

    http://www.archiveseroe.eu/geopolitique-a117541086

  • « Une chimère cornue... »

    Quelle ombre d'analogie peut-il bien y avoir entre la Constitution des États-Unis d'Amérique et le rêve éculé des États-Unis d'Europe déjà préconisés par Victor Hugo ? La question est posée par Maurras.

    L'unité de l'Europe représente une vieille nuée démocratique. Victor Hugo a écrit sur ce sujet des pages d'un grotesque puissant à la mesure de ses dons verbaux qui étaient aussi immenses que son manque de discernement. Après la guerre de 1914-1918, il s'esquissa à la Société des Nations, ancêtre de l'ONU, des projets d'Union européenne auxquels Aristide Briand prêta sa voix qu'on disait de violoncelle. Il adjurait les Européens de fonder des États-Unis. Charles Maurras répondit à Aristide :

    « Quelle ombre d'analogie peut-il bien y avoir entre la Constitution des États-Unis d'Amérique et le rêve éculé des Etats-Unis d'Europe que vient de regonfler ce malfaiteur public ?

    Les États-Unis de l'histoire sont formés de provinces d'un même peuple parlant une même langue, associées dans la même loi puritaine, toutes tendues à lutter contre un même oppresseur. Cet oppresseur était leur véritable fédérateur. C'est ainsi que le duc d'Autriche fédérait contre lui-même les cantons de la Suisse antique. C'est ainsi que se sont formées toutes les fédérations de l'histoire. Où est le commun oppresseur de l'Europe moderne ? Où est la communauté fondamentale des Européens ? [...]

    L'on rêve d'étroite confédération avec des gens dont on ne comprend pas les idées essentielles, même quand elles sont rendues dans un français approximatif, et l'on doute de l'importance des biens nationaux (certains, nets, positifs, bienfaisants, anciens, sacrés, faiseurs d'ordre et de paix intérieure), et l'on se laisse aller à les défaire ou les relâcher avec une imprudence et une étourderie criminelles. » 1

    Les nations européennes diffèrent par la langue ; bien que leurs castes dirigeantes communient dans l'idéal du Grand Architecte de l'Univers, les peuples possèdent un passé chrétien , mais tantôt catholique, tantôt protestant, tantôt encore "orthodoxe". La France s'est créée en marge de l'empire, rêve germanique. Si l'Allemagne et l'Espagne possèdent de fortes traditions régionales, la République jacobine a brisé les provinces et centralisé à outrance ; sa déconcentration administrative, imposée par le haut, n'est qu'un leurre. Les intérêts des différents pays de l'Union divergent, historiquement et géographiquement. Du Luxembourg à la France, les États se révèlent disparates en taille, population, richesses. Et on veut faire une communauté de tout cela ! La France en mourrait !

    « La doctrine du libre échange nous a diminués pour le moins autant que l'a pu faire la doctrine des nationalités. Le libre échange, tel que nous l'avons pratiqué depuis 1860, nous a rendus malades : aggravé d'une bonne fédération continentale, il nous tuerait. » 2

    La technocratie bruxelloise représente, avec la finance internationale, anonyme et vagabonde,  le seul facteur d'unité. Cet organe étranger, froid, ne saurait qu'imposer une dictature de bureaux rappelant l'administration soviétique. Au-delà d'une longue période de misère, je ne vois pas un tel organisme supranational se terminer, après une pénible agonie, autrement que par des guerres de sécession. « Mais, demandait déjà Maurras dans L'AF du 23 octobre 1925, aurons-nous encore des canons et des munitions ? Nous restera-t-il un seul canonnier ? »

    GÉRARD BAUDIN L’ACTION FRANÇAISE 2000  du 2 au 15 juillet 2009

    1 - L'Action Française, 23 février 1928

     

    2 - L'Action Française, 28 juillet 1929

  • Transmettre les valeurs de la République ? Mais quelles valeurs ?

    Sébastien Pilard, président de Sens commun, et Anne Lorne, déléguée Sens commun pour le Sud-Est et la région Rhône-Alpes et secrétaire nationale des Républicains chargée de la petite enfance, écrivent dans Valeurs Actuelles :

    "Dire qu’il faut transmettre les valeurs de la République, c’est trop faible : il faut transmettre l’amour de la France, expliquait Jean-Pierre Chevènement au Figaro, quelques semaines après les tueries qui ont embrasé la France au mois de janvier. Un message clair qui s’adresse à tous et qui brise le discours ambiant stigmatisant telle ou telle religion.

    De fait,nous restons prisonniers d’une vision désincarnée de la France, où l’adhésion à des principes abstraitsremplace l’attachement qui nous lie à une terre, une histoire, des hommes et un mode de vie.Les valeurs de la République, pour autant que l’on puisse s’accorder sur leur contenu, ne comporteront jamais un degré d’attraction suffisant pour épouser tous les ressorts de la personnalité humaine.Elles s’adressent à la raison et non au coeur, elles dictent une conduite morale mais n’enracinent pas les personnes dans une histoire faite d’aventures, de défaites et de renaissances. Elles ne proposent, enfin, aucune figure de héros qui puisse constituer un modèle à imiter. Pour importantes qu’elles puissent être, les valeurs de la République ne sauraient remplacer la transmission d’un patrimoine culturel et charnel qui nous constitue dans notre identité et nous rassemble dans un même amour partagé.

    C’est pourquoi l’amour de la France constitue le meilleur rempart contre le multiculturalisme qui gangrène la communauté nationale et contre la déculturation qui touche tous les nationaux. Enraciner les gens dans une histoire, c’est les aider à être pleinement ce qu’ils sont et leur permettre de prendre conscience d’une identité qui n’existe souvent que dans les replis inconscients d’une mémoire collective. C’est les élever au-dessus de la société de consommation qui ne concerne que les besoins immédiats de l’homme pour s’adresser à leur âme. C’est passer du registre de l’avoir à celui de l’être, de la froideur des rapports économiques à la chaleur de l’amour patriotique. Amour qui génère une véritable “amitié française”, source du partage et de la fraternité, qui faisait dire à Jaurès : « La patrie est — pour le démuni — son seul bien. » [...]"

    Michel Janva  http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/web.html

  • Recherche de locaux pour La Manif Pour Tous

    LLa Manif Pour Tous cherche à louer des locaux commerciaux ou un appartement de particulier pour y installer son QG à partir du 1er septembre 2015. Installation durable du staff permanent de LMPT (10 personnes) et accueil du public et des volontaires, d'où la localisation au sommet de l'échelle des priorités.

    Critères généraux

    • Budget : 35k€ / an TTC CC
    • Superficie : 120m² minimum
    • Organisation spatiale : une entrée (salle d'accueil), 2 bureaux, un open space, une salle de réunion, une cave.
    • Besoin technique : stockage, contrôle d'accès

    Localisation géographique

    Paris : 1er, 5, 6, 7, 8, 9, 14, 15, 16 et 17ème arrondissements

    Transports : Métro, bus, stationnement à proximité

    Contact : : alberic.dumont@lamanifpourtous.fr

  • Les éditions de Chiré vous proposent - Bonald. La Réaction en action

    Lorsque l'on évoque la pensée contre-révolutionnaire, les noms de Louis de Bonald et de Joseph de Maistre sont immanquablement associés. Le second a cependant suscité une littérature abondante, tandis que le premier demeure injustement mal connu du grand public. Justice que lui rend enfin cet ouvrage.

    Erreur

    Bonald, par la richesse de son système, fut le premier et le plus prestigieux théoricien du traditionalisme et du monarchisme intégral ; mais également un homme politique dont la personnalité et l'action marquèrent les années de la Restauration : maire, député puis Pair de France, il fut à la fois le maître à penser et le chef de file du mouvement ultra.
    Sa pensée est une pensée de combat : intégrale et totalisante, elle ne saurait se résumer à une simple défense de l'Ancien Régime ; vaste, complexe, conquérante, elle impose une vision du monde qui lie intimement le politique et le métaphysique. C'est un véritable monument de l'histoire de la philosophie que nous découvrons donc ici, à contre-courant de son temps, et plus encore du nôtre.

    Erreur

    Fruit de plusieurs années de recherches à l'Université de Paris IV-Sorbonne, l'essai de F. Bertran de Balanda suit des axes inédits d'interprétation et propose au lecteur une approche novatrice de la vie et de l'oeuvre du vicomte, enrichie notamment d'une source nouvelle : les articles que Bonald publia dans la presse de l'époque, qui permettent de croiser de façon passionnante son système philosophique, son action politique et l'actualité de la période.
    L'ensemble est complété par des annexes nombreuses : textes de Bonald, iconographie d'époque, et surtout une bibliographie très exhaustive et commentée. Un ouvrage désormais de référence. 

    Date de parution: 2010-01-01
    Editeur: PROLEGOMENES (EDITIONS)
    ISBN:9782917584200
    Nb de pages: 306
    ouvrage disponible ici

    http://www.voxnr.com/cc/di_antiamerique/EuFZlypZZpYRxDjjfa.shtml

  • La parole capétienne et la crise de l’agriculture française

    Le chef de la Maison royale de France, Monseigneur le comte de Paris, a très souvent exprimé son soutien aux agriculteurs et aux éleveurs Français face aux lobbys financiers et aux dictats insensés de l’union Européenne. 

    Aujourd’hui à l’heure où une nouvelle fois les éleveurs français tentent de sauver ce qui reste de l’élevage français, nous vous invitons à lire ou à relire deux textes publiés par monseigneur le comte de Paris, dans lesquels le prince exprime sa vision de ce que devrait être la politique agricole française et dans lesquels le prince condamnait déjà ce que les éleveurs et les agriculteurs dénoncent aujourd’hui par leurs actions.

    Preuve une fois de plus que la parole capétienne, indépendante des lobbys financiers et de l’obsession électorale de nos élus, serait encore aujourd’hui et même plus que jamais utile à notre démocratie .

    Cliquez sur les liens ci-dessous pour lire ou relire les textes du prince :

    Monseigneur le comte de Paris : " Il serait peut-être temps d’écouter la sagesse paysanne "

    Réflexions de Mgr. le Comte de Paris sur l’Agriculture

    Merci à La Couronne

    http://www.actionfrancaise.net/craf/?La-parole-capetienne-et-la-crise

  • Hannah Arendt : l’âge sombre, le paria et le parvenu

     Recension : Agnes HELLER, « Eine Frau in finsteren Zeiten », in :Studienreihe der Alten Synagoge, Band 5 : Hannah Arendt, “Lebensgeschichteeiner deutschen Jüdin”, Klartext Verlag, Essen, 1995-96, 127 p.

    Dans un volume publié par le centre d’études juives Alte Synagoge, Agnes Heller se penche sur la vision du monde et des hommes qu’a développéeHannah Arendt, au cours de sa longue et mouvementée quête de philosophe. Cette vision évoque tout à la fois un âge sombre (finster) et un âge de Lumière, mais les périodes sombres sont plus fréquentes et plus durables que les périodes de Lumière, qui sont, elles, éphémères, marquées par la fulgurance de l’instant et la force de l’intensité. Les périodes sombres, dont la modernité, sont celles où l’homme ne peut plus agir politiquement, ne peut plus façonner la réalité politique : Hannah Arendt se montre là disciple de Hegel, pour qui le zôon politikon grec était justement l’homme qui s’était hissé au-dessus de la banalité existentielle du vécu pré-urbain pour accéder à l’ère lumineuse des cités antiques. Urbaine et non ruraliste (au contraire de Heidegger), Hannah Arendt conçoit l’oikos primordial (laHeimat ou la glèbe / Die Scholle) comme une zone anté-historique d’obscurité tandis que la ville ou la cité est lumière parce qu’elle permet une action politique, permet le plongeon dans l’histoire. Pour cette raison, le totalitarisme est assombrissement total, car il empêche l’accès des citoyens/des hommes à l’agora de la Cité qui est Lumière. L’action politique, tension des hommes vers la Lumière, exige effort, décision, responsabilité, courage, mais la Lumière dans sa plénitude ne survient qu’au moment furtif mais très intense de la libération, moment toujours imprévisible et éphémère. Agnes Heller signale que la philosophie politique de Hannah Arendt réside tout entière dans son ouvrageVita activa ; Hannah Arendt y perçoit l’histoire, à l’instar d’Alfred Schuler, comme un long processus de dépérissement des forces vitales et d’assombrissement ; Walter Benjamin, à la suite de Schuler qu’il avait entendu quelques fois à Munich, parlait d’un “déclin de l'aura”. Hannah Arendt est très clairement tributaire, ici, et via Benjamin, des Cosmiques de Schwabing (le quartier de la bohème littéraire de Munich de 1885 à 1919), dont l’impulseur le plus original fut sans conteste Alfred Schuler. Agnes Heller ne signale pas cette filiation, mais explicite très bien la démarche de Hannah Arendt.

    L'histoire : un long processus d’assombrissement

    L'histoire, depuis les Cités grecques et depuis Rome, est donc un processus continu d’assombrissement. Les cités antiques laissaient à leurs citoyens un vaste espace de liberté pour leur action politique Depuis lors, depuis l’époque d’Eschyle, ce champ n’a cessé de se restreindre. La liberté d’action a fait place au travail (à la production, à la fabrication sérielle d’objets). Notre époque des jobs, des boulots, du salariat infécond est donc une époque d’assombrissement total pour Hannah Arendt. Son pessimisme ne relève pas de l’idéologie des Lumières ni de la tradition messianique. L’histoire n’est pas, chez Hannah Arendt, progrès mais régression unilinéaires et déclin. La plénitude de la Lumière ne reviendra pas, sauf en quelques instants surprises, inattendus. Ces moments lumineux de libération impliquent un “retournement” (Umkehr) et un “retour” bref à cette fusion originelle de l’action et de la pensée, incarnée par le politique, qui ne se déploie qu’en toute clarté et toute luminosité. Mais dans cette succession ininterrompue de périodes sombres, inintéressantes et inauthentiques, triviales, la pensée agit, se prépare aux rares irruptions de lumière, est quasiment le seul travail préparatoire possible qui permettra la réception de la lumière. Seuls ceux qui pensent se rendent compte de cet assombrissement. Ceux qui ne pensent pas participent, renforcent ou accélèrent l’assombrissement et l’acceptent comme fait accompli. Mais toute forme de pensée n’est pas préparation à la réception de la Lumière. Une pensée obnubilée par la vérité toute faite ou recherchant fébrilement à accumuler du savoir participe aussi au processus d'assombrissement. Le totalitarisme repose et sur cette non-pensée et sur cette pensée accumulante et obsessionnellement “véritiste”.

    L’homme ou la femme, pendant un âge sombre, peuvent se profiler sur le plan culturel, comme Rahel Varnhagen, femme de lettres et d’art dans la communauté israélite de Berlin, ou sur le plan historique, comme Benjamin Disraeli, qui a forgé l’empire britannique, écrit Hannah Arendt. Mais, dans un tel contexte de “sombritude”, quel est le sort de l’homme et de la femme dans sa propre communauté juive ? Il ou elle s’assimile. Mais cette assimilation est assimilation à la “sombritude”. Les assimilés en souffrent davantage que les non-assimilés. Dans ce processus d’assimilisation-assombrissement, deux figures idéal-typiques apparaissent dans l’œuvre de Hannah Arendt : le paria(1) et le parvenu, deux pistes proposées à suivre pour le Juif en voie d’assimilation à l’ère sombre. À ce propos, Agnes Heller écrit :

    « Le paria émet d’interminables réflexions et interprète le monde en noir ; il s’isole. Par ailleurs, le parvenu cesse de réfléchir, car il ne pense pas ce qu’il fait ; au lieu de cela, il tente de fusionner avec la masse. La première de ces attitudes est authentique, mais impuissante ; la seconde n’est pas authentique, mais puissante. Mais aucune de ces deux attitudes est féconde ».

    Ni paria ni parvenu

    Dès lors, si on ne veut être ni paria (par ex. dans la bohème littéraire ou artistique) ni parvenu (dans le monde inauthentique des jobs et des boulots), y a-t-il une troisième option ? “Oui”, répond Hannah Arendt. Il faut, dit-elle, construire sa propre personnalité, la façonner dans l’originalité, l’imposer en dépit des conformismes et des routines. Ainsi, Rahel Varnhagen (2) a exprimé sa personnalité en organisant un salon littéraire et artistique très original où se côtoyaient des talents et des individualités exceptionnelles. Pour sa part, Benjamin Disraeli a réalisé une œuvre politique selon les règles d’une mise en scène théâtrale. Enfin, Rosa Luxemburg, dont Hannah Arendt dit ne pas partager les opinions politiques si ce n'est un intérêt pour la démocratie directe, a, elle aussi, représenté une réelle authenticité, car elle est restée fidèle à ses options, a toujours refusé compromissions, corruptions et démissions, ne s’est jamais adaptée aux circonstances, est restée en marge de la “sombritude” routinière, comme sa judéité d’Europe orientale était déjà d’emblée marginale dans les réalités allemandes, y compris dans la diaspora germanisée. L’esthétique de Rahel Varnhagen, le travail politique de Disraeli, la radicalité sans compromission de Rosa Luxemburg, qu’ils aient été succès ou échec, constituent autant de refus de la non-pensée, de la capitulation devant l’assombrissement général du monde, autant de volontés de laisser une trace de soi dans le monde. Hannah Arendt méprisait la recherche du succès à tout prix, tout autant que la capitulation trop rapide devant les combats qu’exige la vie. Ni le geste du paria ni la suffisance du parvenu…

    S’élire soi-même

    Agnes Heller écrit :

    « Paria ou parvenu : tels sont les choix pertinents possibles dans la société pour les Juifs émancipés au temps de l’assimilation. Hannah Arendt indique que ces Juifs avaient une troisième option, l’option que Rahel Varnhagen et Disraeli ont prise : s’élire soi-même. Le temps de l’émancipation juive était le temps où a démarré la modernité. Nous vivons aujourd'hui dans une ère moderne (postmoderne), dans une société de masse, dans un monde que Hannah Arendt décrivait comme un monde de détenteurs de jobs ou un monde du labeur. Mais l’assimilation n’est-elle pas devenue une tendance sociale générale ? Après la dissolution des classes, après la tendance inexorable vers l’universalisation de l’ordre social moderne, qui a pris de l’ampleur au cours de ces dernières décennies, n’est-il pas vrai que tous, que chaque personne ou chaque groupe de personnes, doit s’assimiler ? N’y a-t-il pas d’autres choix sociaux pertinents pour les individus que d'être soit paria soit parvenu ? S’insérer dans un monde sans se demander pourquoi ? Pour connaître le succès, pour obtenir des revenus, pour atteindre le bien-être, pour être reconnu comme “modernes” entre les nations et les peuples, la recette n'est-elle pas de prendre l’attitude du parvenu, ce que réclame la modernité aujourd'hui ? Quant à l'attitude qui consiste à refuser l’assimilation, tout en se soûlant de rêves et d’activismes fondamentalistes ou en grognant dans son coin contre la marche de ce monde (moderne) qui ne respecte par nos talents et où nous n’aboutissons à rien, n’est-ce pas l’attitude du paria ? ».

    Nous devons tous nous assimiler…

    Si les Juifs en voie d'assimilation au XIXe siècle ont été confrontés à ce dilemme — vais-je opter pour la voie du paria ou pour la voie du parvenu ? — aujourd'hui tous les hommes, indépendamment de leur ethnie ou de leur religion sont face à la même problématique : se noyer dans le flux de la modernité ou se marginaliser. Hannah Arendt, en proposant les portraits de Rahel Varnhagen, Benjamin Disraeli ou Rosa Luxemburg, opte pour le “Deviens ce que tu es !” de nietzschéenne mémoire [maxime reprise à Pindare]. Les figures, que Hannah Arendt met en exergue, refusent de choisir l’un ou l’autre des modèles que propose (et impose subrepticement) la modernité. Ils choisissent d’être eux-mêmes, ce qui exige d’eux une forte détermination (Entschlossenheit). Ces hommes et ces femmes restent fidèles à leur option première, une option qu’ils ont librement choisie et déterminée. Mais ils ne tournent pas le dos au monde (le paria !) et n’acceptent pas les carrières dites “normales” (le parvenu !). Ils refusent d’appartenir à une école, à un “isme” (comme Hannah Arendt, par ex., ne se fera jamais “féministe”). En indiquant cette voie, Hannah Arendt reconnaît sa dette envers son maître Heidegger, et l’exprime dans sa laudatio, prononcée pour le 80ème anniversaire du philosophe de la Forêt Noire. Heidegger, dit-elle, n’a jamais eu d’école (à sa dévotion) et n'a jamais été le gourou d’un “isme”. Ce dégagement des meilleurs hors de la cangue des ismes permet de maintenir, en jachère ou sous le boisseau, la “Lumière de la liberté”.

    ► Robert Steuckers, Nouvelles de Synergies Européennes n°42, 1999.

    1 : La Tradition cachée : Le juif comme paria, HA, trad. S. Courtine-Denamy, C. Bourgois, 1987 ; rééd. 10/18, 1997.

    2 : Rahel Varnhagen : La vie d'une Juive allemande à l'époque du romantisme, HA, trad. H. Plard, Paris, Tierce, 1986 ; rééd. Presses-Pocket, 1994 (Rahel Varnhagen : The Life of a Jewess, 1958).

    Courte bibliographie :

    • Les Origines du Totalitarisme (1951) suivi de Eichmann à Jérusalem (1963), Gallimard / Quarto, 2002
    • La Crise de la culture (1961), trad. P. Lévy (dir.), Gallimard / Folio, 1989 [recension]
    • Essai sur la révolution (1963), trad. M. Chrestien, Gallimard / Tel, 1985 [recension]
    • Condition de l’homme moderne (1958), trad. G. Fradier, Presses-Pocket, 1988
    • Qu’est-ce que la politique ?, trad. S. Courtine-Denamy, Seuil, 1995
    • La vie de l’esprit, trad. L. Lotringer, PUF, 2005
    • Juger, trad. M. Revault d'Allonnes, Seuil, 2003

    http://www.archiveseroe.eu/arendt-a117920760