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tradition - Page 172

  • Spengler par Roger Hervé

    Le 8 mai 1936, mourait à Munich l’un des hommes qui ont le plus fait, dans la crise profonde de la défaite allemande, pour maintenir intact le moral de son pays et rendre possible un redressement : celui que nous voyons se développer sous nos yeux. Cet homme est en outre un cerveau de premier ordre, un de ces savants gigantesques — comme il en apparaît quelques-uns au cours de l’histoire de l’Europe, depuis Roger Bacon jusqu’à Vinci, Descartes, Newton, … — sorte de Titan spirituel, sur les découvertes duquel repose, avouée ou non, une grande partie de l’orientation de la pensée contemporaine.

    Ce philosophe — puisque les travaux historiques d’Oswald Spengler sont en quelque sorte “enveloppés” dans une philosophie — a été cependant assez peu remarqué en France, dans la période qui a suivi immédiatement la Première Guerre mondiale (1). En Allemagne, son Déclin de l’Occident (Untergang des Abendlandes) a connu un succès sans précédent pour un ouvrage aussi sévère, puisqu’il dépasse aujourd’hui le 110e mille — succès d’actualité, mais également succès de profondeur. Le livre venait “à son heure”, au moment où la défaite semblait contredire les aspirations de la grande majorité des Allemands et les livrer au désespoir ; il leur démontrait, par l’alliance d’une immense érudition et d’une pensée rigoureuse, l’inanité de la philosophie du progrès généralement admise et les voies qu’ils devaient adopter désormais, s’ils voulaient se relever.

    Aujourd’hui, les idées de Spengler ont disparu au second plan, dépassées qu’elles sont par la poussée plus apparente des sentiments de race, des mystiques de l’ordre, voire même de la pure apologie de la force. Elles n’en subsistent pas moins dans le domaine intellectuel — face à l’expansion véritablement angoissante du raisonnement matérialiste dans la masse des peuples blancs — comme l’expression profonde et authentique de tous les jeunes mouvements révolutionnaires, de ceux qui ne veulent pas subir la “mécanisation” envahissante, et qui ne la subiront pas. Il serait temps qu’en France, et particulièrement en Bretagne, cet ensemble de découvertes de l’ordre psychologique soit pris à sa juste valeur, que l’âme celtique soit mise désormais, et maintenue irrémédiablement, en face d’un système qui lui est si intimement apparenté et qui, convenablement appliqué, peut faire jaillir son renouveau.

    Oswald Spengler est né en 1880, dans la petite ville de Blankenburg-en-Harz. De confession luthérienne, comme un grand nombre de ses compatriotes, il fit des études littéraires et scientifiques très complètes aux grandes Universités de Halle, Munich, Berlin, et il fut reçu docteur en philosophie en 1904 avec une thèse sur l’ancien penseur grec Héraclite d’Éphèse. Il nous raconte lui-même, dans l’Introduction de son grand ouvrage (paragr. 16), comment il fut amené, dans les années qui précédèrent la guerre de 1914, à concevoir toute l’étendue de son système de l’histoire (2). Les approches d’un grand conflit européen ne lui ont pas échappé ; cette marche fatale des événements l’inquiète : « En 1911, étudiant certains événements politiques du temps présent, et les conséquences qu’on en pouvait tirer pour l’avenir, je m’étais proposé de rassembler quelques éléments tirés d’un horizon plus large ». En historien, il tente de comprendre sans parti-pris, de s’expliquer les tendances actuelles à l’aide de son expérience des faits anciens : « Au cours de ce travail, d’abord restreint, la conviction s’était faite en moi que, pour comprendre réellement notre époque, il fallait une documentation beaucoup plus vaste. […] Je vis clairement qu’un problème politique ne pouvait pas se comprendre par la politique même et que des éléments essentiels, qui y jouent un rôle très profond, ne se manifestent souvent d’une manière concrète que dans le domaine de l’art, souvent même uniquement dans la forme des idées. […] Ainsi, le thème primitif prit des proportions considérables ».

    L’histoire de l’Europe lui apparaît dès lors sous un jour tout nouveau : « Je compris qu’un fragment d’histoire ne pouvait être réellement éclairci avant que le mystère de l’histoire universelle en général ne fût lui-même tiré au clair. […] Je vis le présent (la guerre mondiale imminente) sous un jour tout différent. Ce n’était plus une figure exceptionnelle, qui n’a lieu qu’une fois, mais le type d’un tournant de l’histoire qui avait depuis des siècles sa place prédéterminée ». Un système s’est fait en son esprit, qui ne lui laisse plus de doutes sur la marche générale de l’histoire — et point seulement celle de notre civilisation européenne : « Plus de doute : l’identité d’abord bizarre, puis évidente, entre la perspective de la peinture à l’huile, l’imprimerie, le système de crédit, les armes à feu, la musique contrapuntique et, d’autre part, la statue nue, la polis, la monnaie grecque d’argent, en tant qu’expressions diverses d’un seul et même principe psychique ». Chaque civilisation suit un cours qui lui est propre, avec une rigueur entière et véritablement impressionnante. Du même coup, il a saisi le sens profond de l’inquiétude de l’homme moderne et il en ressent comme une assurance, délivré qu’il est de ses manifestations multiples et contradictoires :

    « Une foule de questions et de réponses très passionnées, paraissant aujourd’hui dans des milliers de livres et de brochures, mais éparpillées, isolées, ne dépassant pas l’horizon d’une spécialité, et qui par conséquent enthousiasment, oppressent, embrouillent, mais sans libérer, marquent cette grande crise. […] Citons la décadence de l’art, le doute croissant sur la valeur de la science ; les problèmes ardus nés de la victoire de la ville mondiale sur la campagne : dénatalité, exode rural, rang social du prolétariat en fluctuation ; la crise du matérialisme, du socialisme, du parlementarisme, l’attitude de l’individu envers l’État ; le problème de la propriété et celui du mariage, qui en dépend. […] Chacun y avait deviné quelque chose, personne n’a trouvé, de son point de vue étroit, la solution unique générale qui planait dans l’air depuis Nietzsche. […] La solution se présenta nettement à mes yeux, en traits gigantesques, avec une entière nécessité intérieure, reposant sur un principe unique qui restait à trouver, qui m’avait hanté et passionné depuis ma jeunesse et qui m’affligeait, parce que j’en sentais l’existence sans pouvoir l’embrasser. C’est ainsi que naquit, d’une occasion quelque peu fortuite, ce livre… Le thème restreint est donc une analyse du déclin de la culture européenne d’Occident, répandue aujourd’hui sur toute la surface du globe ».

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  • Libre Journal de l'Espérance - 6 septembre 2015 (1ère partie)

  • Julius Evola : « Psychanalyse de la contestation »

    Un des signes de l’affaiblissement de la culture actuelle est l’attention qu’on accorde à ce qu’on appelle le mouvement contestataire en général, et, en particulier, comme ne soit pas important, au contraire : mais il ne l’est que factuellement, comme signe des temps, et c’est uniquement en ces termes qu’il devrait être envisagé.

    Le « virus » des courants en question est une réaction violente contre les aspects négatifs du monde actuel ; mais ce qui est encore plus caractéristique, c’est qu’il ne s’agit dans tout cela que de manifestations instinctives désordonnées et anarchisantes, qu’on ne justifie en aucune manière en indiquant ce au nom de quoi on nie et on conteste. Même s’il n’était pas évident qu’elle obéit à des influences marxistes ou communistes, le fond « existentiel » de cette jeunesse contestataire n’en serait pas moins suspect.

    Un de ses dirigeants, Cohn-Bendit, a déclaré que ce pour quoi il lutte, c’est l’avènement d’un « homme-nouveau » : mais on a oublié de dire ce qu’est cet « homme-nouveau », et, si jamais il devait avoir pour modèle l’immense majorité des contestataires actuels dans leur individualité, leur comportement et leurs choix électifs, il n’y aurait qu’à dire : non merci, on s’en passera.

    En raison de l’absence d’une vraie contrepartie et la prédominance d’un fond irrationnel, on peut dire, sans être malveillant, que le mouvement contestataire mériterait une étude existentielle et psychanalytique plus qu’une analyse culturelle. Il nous semblait que c’était là le cadre que s’était tracé M. Moreno, dans une brochure récemment publié aux Éditions RAI sous le titre de Psychodynamique de la contestation, puisque cet auteur est un spécialiste dans le domaine des recherches psychologiques modernes.

    Mais, à la lecture, il apparaît qu’il manque au fond à ces recherches les principes nécessaires pour parvenir à des résultats sérieux et plausibles.

    Quand, dans cette étude de Moreno, comme caractéristiques principales du mouvement contestataire contemporain, on indique l’anti-autoritarisme et, en conséquence, la défense de l’instinct contre toute forme de « répression » (particulièrement dans le domaine sexuel), puis l’anarchisme, on ne va pas au-delà de ses aspects les plus évidents et tapageurs ; on ne touche pas encore le domaine des impulsions profondes et inconscientes dont s’occupe la psychanalyse. On n’entre dans ce domaine que lorsque, après avoir défini comme « patriarcal » (en se référent à l’exercice correspondant d’une autorité) le type de système qu’on conteste, on fait intervenir le fameux complexe d’Œdipe.

    Pour la psychanalyse freudienne, et, comme on le sait, c’est un de ses dogmes, chacun de nous souffrirait de ce complexe, conçu comme un sombre héritage ancestral revivifié par certaines expériences infantiles présumées ; la révolte qu’il comporte contre le père va jusqu’à la volonté de le supprimer. L’explosion collective de ce complexe latent serait une des racines souterraines de la contestation actuelle.

    Tout ceci n’est guère convaincant. Il faudrait d’abord démontrer que le « système » actuel est marqué par l’idée du « père » et de son autorité. Or, tout au plus, cela pouvait être le cas en partie, pour l’Europe jusqu’à la première guerre mondiale, mais, dans le monde actuel, ce qui règne, c’est la démocratie, le socialisme, l’égalitarisme, le socialitarisme, et ainsi de suite, qui ont tous le signe contraire, car, comme quelqu’un l’a affirmé à juste titre, toutes ces formes politico-sociales ont un caractère « féminin » et « maternel ». Ce qui, en revanche, a le signe masculin et paternel, c’est cet État monarchique, aristocratique et hiérarchique dont il est actuellement difficile de trouver encore quelques traces. Mais, pour réfuter et expliquer tout à la fois la thèse œdipienne, on peut se référer avant tout à la théorie psychanalytique, car elle reconnait l’« ambivalence » du complexe d’Œdipe : celui qui en est atteint déteste le père tout en l’admirant et en l’enviant ; il veut l’éliminer seulement pour prendre sa place et jouir de ses privilèges.

    Or, ce qui est remarquable, c’est que cet aspect est absent de l’arrière-plan de la « contestation ». Le « père » n’est nullement « admiré » et « envié ». On ne veut pas prendre sa place. Toute forme d’autorité fait voir rouge à la nouvelle génération. C’est donc là que ressort l’autre caractéristique, celle que nous avons déjà signalée, l’aspect purement, hystériquement anarchique, auquel, au fond tout le reste sert ici de prétexte.

    Ceci témoigne, du point de vue humain général, d’un phénomène régressif. Il conviendrait d’avoir une bonne fois pour toutes les idées claires sur cette « répression » tant critiquée. Platon a dit qu’il vaut mieux que celui qui ne dispose pas en lui d’un principe souverain l’ait au moins en dehors de lui.

    Tout ordre normal comporte certaines limitations, qui ne visent pas tant à contraindre qu’à soutenir celui qui n’est pas capable de se donner une loi, une forme, une discipline. Naturellement, un système peut entrer en crise et se scléroser ; ces limitations peuvent alors prendre un aspect étroit, simplement « répressif », pour tenter de contenir encore, dans une certaine mesure, le désordre et la dissolution.

    Mais, dans ce cas, pour passer à la « contestation », il faudrait se justifier, c’est-à-dire montrer qu’il ne s’agit pas là d’une simple aversion pour toute discipline intérieure, mais bien de l’élan vers une vie plus authentique. Mais, actuellement, on est loin de pouvoir constater quelque chose de semblable.

    Il est à constater au contraire que les individus s’identifient à la partie instinctive, irrationnelle et informe de l’être humain (à son « sous-sol »), partie qui, dans tout type humain supérieur, n’est pas « refoulé » de manière étroite, mais tenue à une certaine distance et freinée. Les liens du mouvement contestataire avec la soit-disant révolution sexuelle dans ses aspects les plus troubles et hybrides, la connivence avec des « petits chefs », des drogués et d’autres individus du même genre, sont significatifs, tout comme le spectacle qu’offrent certains secteurs dans lesquels un système « répressif » est de plus en plus supplanté par le système « permissif ».

    Que fait-on de ce nouvel espace, de cette nouvelle liberté ? Il y a de plus en plus de symptômes qui montrent que toute la « révolte » est conditionnée par le bas, contrairement à cette révolte, au fond aristocratique, qui pouvait encore caractériser certains individus de la génération précédente, à commencer par Nietzsche, par le meilleur Nietzsche. Ce sont justement certaines phrases de Nietzsche (auteur qui n’est jamais mentionné par les contestataires actuels, qui se sont entichés de Marcuse et compagnie, parce qu’ils sentent instinctivement que sa révolte, beaucoup plus vaste, est de nature différente, aristocratique) qu’il convient de citer ici.

    Zarathoustra dit : « Tu te dis libre ? Je veux connaître ta pensée maîtresse, mais non pas apprendre que tu as échappé à un joug. Es-tu quelqu’un qui avait le droit de s’échapper d’un joug ? Il en est qui perdent leur dernière valeur en rejetant leur sujétion. Libre de quoi ? Qu’importe à Zarathoustra ? Mais ton œil clair doit m’annoncer : libre pour quoi ?« 

    Et Zarathoustra d’avertir que le solitaire qui n’a aucune loi au-dessus de lui, qui n’a que sa liberté informe, court à sa perte.

    Quand on veut déterminer l’origine de la force motrice et de la « psychodynamique » du mouvement contestataire, on voit donc qu’elle est bien située dans cette zone obscure de l’être humain au fond subpersonnelle et infra-intellectuelle, élémentaire, sur laquelle la psychanalyse a concentré l’attention ; ce sont des manifestations régressives et explosives de ces couches, analogues aux nombreuses fissures d’un monde en crise. Reconnaître les aspects contestables et méprisables de ce monde n’y change rien. Quand un mouvement révolutionnaire manque de valeurs authentique restauratrices et n’est pas porté par un type humain représentant une légitimité supérieure, il faut s’attendre à passer un stade encore plus critique et destructif que celui dont on est parti.

    Puisque les présentes notes s’inspirent de la brochure de Moreno, nous ferons remarquer, pour finir, que ce professeur de psychiatrie, après avoir mentionné l’interprétation œdipienne purement freudienne de l’arrière-plan inconscient de la contestation, la critique et la rejette partiellement, et considère qu’on devrait plutôt faire appel à une théorie de C. G. Jung. Comme on le sait, la conception de Jung est quelque peu différente de celle de Freud. Il a repris de Platon le concept d' »archétype » et l’a transposé du plan métaphysique sur celui de l' »inconscient collectif ». Dans l’inconscient collectif vivraient encore à l’état latent, dans les profondeurs de l’individu, certaines structures dynamiques, les « archétypes », qui pourraient réapparaître dans certaines conditions critiques, individuelles ou collectives, transportant les personnes. Il y aurait plusieurs archétype de ce genre, liés à certaines « figures » symboliques. L’un d’eux serait le puer aeternus, incarnation de l’aspect préconscient et originel de l’âme collective qui, comme l’enfant, est« devenir en puissance », et, par conséquent, principe de renouvellement, de revitalisation de tout ce qu’un individu ou une culture a rejeté ou refoulé.

    Or, à la lumière de la psychanalyse, selon Moreno, le mouvement contestataire témoignerait de l’irrésistible émergence de cet archétype, du puer aeternus, dans la nouvelle génération, qui ne se reconnait plus dans les symboles surannés que lui impose le « système ». Somme toute, son jugement final est positif.

    Pour suivre Moreno dans cette construction tirée par les cheveux, il faudrait d’abord que nous prenions au sérieux la « mythologie » de Jung, que nous rejetons au contraire tout autant que celle de Freud, pour des raisons que nous avons eu l’occasion d’exposer ailleurs. Au fond, cette lubie du puer aeternus ne nous semble pas très différente de la fétichisation de la jeunesse, autre phénomène régressif contemporain : le jeune, voix de l’avenir, détenteur de valeurs nouvelles et authentiques, à qui on devrait tout permettre, et de qui on devrait apprendre, au lieu de l’éduquer et de le former.

    D’autre part, une fétichisation de l’enfant lui-même était déjà partie des anticipations anti-autoritaires de la pédagogie de Montessori et d’autres, et elle s’est poursuivie avec la découverte de l’enfant « créateur », « artiste », et ainsi de suite. Avec Jung, le puer est passé au rang d’archétype, et, comme on l’a vu par l’interprétation de Moreno, au rang d’archétype révolutionnaire positif.

    L’image au fond sympathique que Freud avait brossée de l’enfant, en le présentant au contraire comme un « pervers polymorphe », a donc été invertie. Pour notre part, nous sommes prêt à accepter qu’il y ait un puer aeternus en acte dans le subconscient des contestataires (selon les vues de Moreno), mais seulement en prenant l’enfant comme tel, démythifié, et, donc, en nous référant à un état de nature ou à un infantilisme fort ennuyeux.

    Puer aeternus ou non, il conviendrait donc de l’envoyer au lit, tout virulent et tyrannique qu’il soit, si nous ne vivions pas dans un monde défaitiste.

    Julius Evola

    Phénoménologie de la subversion, 1984

    Troisième partie : La soit-disant contestation globale,

    Chap. II : Psychologie de la « contestation »

    Édition de l’Homme Libre, 2004, p. 129-135.

    SourceFront de la Contre-Subversion

    http://la-dissidence.org/2015/09/02/julius-evola-psychanalyse-de-la-contestation/

  • « C’est la politique qui a réactivé ma foi. »

    Lu dans Minute :

    F"Du haut de ses 25 ans, Marion Maréchal a asséné une sacrée leçon. Tranquillement. Avec la force sereine de sa foi chrétienne. Le moment le plus émouvant, parce que le plus personnel, est quand elle a confié que c’était la politique qui avait réactivé sa foi. Elle l’a dit comme ça : « C’est la politique qui a réactivé ma foi. » Parce qu’en politique, on oeuvre pour le bien commun – ou alors on oeuvre pour sa carrière mais là, on n’a rien à y faire. Et quand on est à l’écoute les autres, avec bienveillance – c’est Hervé Mariton qui a insisté sur ce mot –, on comprend que la politique est « une manière concrète de sa battre pour sa foi ».

    Des interventions de Marion Maréchal à l’université d’été du diocèse de Fréjus-Toulon, l’appel lancé par Marion Maréchal aux catholiques à s’engager en politique restera comme un temps fort de sa jeune carrière politique. Elle n’a pas éludé le questionnement que cela pose (« Est-ce que s’engager, c’est renoncer ? ») mais elle y a apporté toutes les réponses qu’un catholique peut attendre. L’engagement en politique peut-il éloigner de la foi ? Oui, si l’on oublie le bien commun et que l’on devient son propre objet.

    Mais l’assistance est restée muette, admirative ou stupéfaite, quand elle a témoigné que pour elle, au contraire, son entrée en politique l’avait rapprochée de la foi : « Pour moi, cela a été un vrai basculement. » Comme si, en s’engageant en politique, elle était devenue véritablement la chrétienne qu’elle n’était pas encore. Et tant qu’elle en était aux confessions, l’élue du Vaucluse a expliqué avec tout autant de sérénité qu’elle avait « choisi » le FN, surprenant aveu pour une Le Pen dont on imagine que si elle veut entrer en politique, elle suit le chemin familial. Et pourquoi le FN ? Parce c’est au Front national qu’elle a trouvé « la cohérence la plus manifeste entre la raison de la foi et la raison politique ».

    Marion Maréchal a aussi lancé, au nom de la « contre-génération 68 » à laquelle elle dit appartenir de façon « totalement décomplexée » : « Nous voulons des principes. Nous voulons des valeurs. Nous voulons des maîtres à suivre. Nous voulons aussi un Dieu. » Impressionnante."

    Michel Janva

  • De la tradition

    Ex: http://www.dedefensa.org

    La tradition, à toutes les époques, représente la « substantifique moelle » de l’ethos collectif. On parle de la durée historique sur le « long terme », de la « mémoire collective » ou du rôle métahistorique des archétypes qui tiennent le rôle d’agrégateurs des mythes fondateurs de la cité. La cité représente l’ordre consensuel qui cimente les libertés individuelles dans un contexte où toute citoyenneté qui se respecte ne peut agir qu’à travers le consensus civique. La Charte de la cité est comparable à une forme de « pacte républicain » qui ordonnance un « vivre ensemble » qui, autrement, ne serait qu’une chimère en l’espèce. Toutefois, c’est la tradition, comme force dépositaire de la mémoire collective, qui donne sa raison d’être à la vie citoyenne. Privée de tradition, la cité est condamnée à se transformer en univers concentrationnaire.

    La mémoire collective et ses enjeux

    « Si cette volonté, cette injonction d’être moderne, ne cesse de bouleverser les conditions de la vie commune, de faire se succéder les révolutions aux révolutions, sans jamais parvenir à se satisfaire, sans jamais parvenir à un point où nous puissions nous reposer en disant : « voici enfin le terme de notre entreprise », si cette volonté ou cette injonction ne se saisit jamais de son objet, qu’est-ce que cela veut dire ? »

    - Pierre Manent, in « Les Métamorphoses de la cité – Essai sur la dynamique de l’Occident »

    Cette perte des repères de la mémoire collective qui affecte nos sociétés occidentales postmodernes s’apparente, manifestement, à une fuite en avant mortifère. Et, nous l’observons tous les jours, cette fuite semble nous entraîner vers le gouffre abyssal d’une « antimatière historique », pour reprendre une catégorie conceptuelle mise de l’avant par Philippe Grasset. Nous serions entrés, d’après certains historiens, dans l’ère de la postmodernité à la suite de la Seconde Guerre mondiale. C’est donc dire que ceux qui ont le pouvoir d’écrire l’histoire ont décrété la fin de la modernité, c’est-à-dire le délitement de cette « époque des lumières » à l’intérieur de laquelle le « mythe du progrès » jouait un rôle d’agrégation et de consentement essentiel. Mais, vers où sommes-nous donc entraînés ?

    Qu’il nous soit permis de reprendre une intervention d’Éric Basillais, un commentateur particulièrement actif sur le site Dedefensa.org. Ce dernier soulignait, à la suite d’un article intitulé « Vertigo », que « si subversion il y a, elle tient à un habitus Marchand (l'échange, la monnaie,...) dans un premier sens historique; et à une subversion du COSMOS (en CHAOS au final) si l'on songe (et croit) aux Eschatologies de la TRADITION (Hindoue, Germanique, Celtique...) ». À l’instar d’Éric Basillais, nous estimons que la tradition constitue, bel et bien, un processus métahistorique d’agrégation des cultures et des cultes, dans un sens fondateur. Ainsi donc, la TRADITION, peu importe les enjeux idéologiques ou spirituels, est le lit sur lequel prendra forme une nouvelle société, une nouvelle cité.

    C’est par la médiation de la mémoire traditionnelle que s’accompliront la dissolution d’une cité et sa refondation dans un nouvel espace de représentation. La tradition est immémoriale, a-historique, indépendante des lectures orientées de l’histoire humaine et dépositaire d’une mémoire collective qui permet aux générations de se succéder en espérant pouvoir approfondir le legs de leurs géniteurs. La tradition, au sens universel, représente la mémoire de l’humanité, non pas un ensemble de prescriptions se rattachant à une culture en particulier.

    C’est ce qui a poussé Mircea Eliade à professer que les rituels qui se répètent in illo tempore, en dehors de la contemporanéité, à une autre époque, permettent aux archétypes de survivre et d’irriguer la mémoire collective. Une mémoire collective correctement irriguée fera en sorte que les citoyens puissent approfondir leur passage en cette vie, donner un sens à leur existence. Pour paraphraser Eliade, on pourrait souligner que les places sacrées de la cité le deviennent parce qu’une collectivité y a accompli, sur le long terme, « des rites qui répètent symboliquement l’acte de la Création ». La tradition, si l’on approfondit cette vision des choses, est manifestement indépendante de l’« habitus Marchand », pour reprendre l’expression d’Éric Basillais. Voilà pourquoi l’« ordre marchand » tente de « liquéfier » nos sociétés postmodernes, pour que rien ne vienne entraver la libre circulation des commodités. Les commodités sont des valences qui permettent au pouvoir de dominer l’espace et le temps, d’acheter l’ « humaine condition » et de transformer la cité en univers concentrationnaire.

    La TRADITION représente, pour l’imperium, l’ennemi numéro 1 à abattre, vaille que vaille.

    Nous avons pris le parti de lancer un débat herméneutique qui portera sur le rôle de la TRADITION au cœur de la cité humaine. Ce mortier spirituel aura permis aux sociétés de s’ériger sur le mode d’une cité symbolique favorisant l’épanouissement de l’humanité en définitive. Toute société qui se coupe de la tradition est condamnée, à brève échéance, à se muer en univers concentrationnaire, à devenir l’« agora du chaos » [dixit PHP]. Loin de nous l’idée de perpétuer une vision nostalgique, pittoresque, de l’histoire. Il nous importe, a contrario, de partager avec nos lecteurs notre appréhension viscérale du délitement d’une tradition menacée par la vision luciférienne d’un « progrès illimité », véritable deus ex machina au service de la « volonté de puissance » de nos maîtres réels. En espérant qu’un authentique débat puisse naître à la suite de notre analyse.

    Les fondations de la cité

    « La cité, la polis, est la première forme politique. Elle est la condition de production ou la matrice d’une forme de vie nouvelle, la vie politique, la vie dans laquelle les hommes se gouvernent eux-mêmes et savent qu’ils se gouvernent eux-mêmes. Cette forme de vie peut prendre des formes diverses, car il y a différentes manières de se gouverner. »

    - Pierre Manent, in « Les Métamorphoses de la cité – Essai sur la dynamique de l’Occident »

    Nous tenterons, malgré l’étendue du sujet, de cerner l’importance de la tradition comme source immémoriale. La cité grecque représentant l’apex de la médiation (politique) des rapports citoyens, elle nous sert de représentation symbolique d’un stade de gouvernance qui semble indépassable au moment de composer notre analyse. Mais, outre le fait qu’elle permette d’organiser la collectivité, qu’est-ce qui fonde la cité ?

    Pierre Manent, chercheur en sciences sociales, nous rappelle que « les auteurs grecs (Aristote et consorts) n’ignoraient pas l’existence d’autres formes politiques que la cité, s’ils montraient peu d’intérêt pour elles. Ils connaissaient fort bien deux autres formes politiques au moins, à savoir la tribu – ethnos – et l’empire (en particulier l’empire perse qui s’imposa plus d’une fois à leur attention !). On pourrait ajouter une quatrième forme, celle des monarchies tribales… ». La nation, pour sa part, est une structure politique forgée tout au long d’une modernité qui allait tenter de fédérer des ensembles de cités qui, autrement, seraient condamnées à se faire la guerre. Les nations de la postmodernité tiendraient-elles le rôle des antiques cités ? Les nouvelles formes d’unions fédérales devenant le mortier de cette gouvernance mondiale tant abhorrée par ce qu’il est convenu d’appeler la « dissidence ».

    Certains anarchistes, pour leur part, professent que la polis génère un état d’enfermement qui brime les droits fondamentaux de ses sujets au profit d’une concentration de pouvoir entre les mains d’une élite prédatrice. Leur vision d’une autogestion fédérée par une constellation de syndicats en interrelation dynamique nous fait penser au monde tribal des anciennes nations amérindiennes. Cette vision idyllique d’un univers tribal « non-concentrationnaire » ne semble pas tenir compte du fait que la guerre ait toujours été une condition naturelle de cet état d’organisation politique primitive.

    La guerre permanente était, aussi, une condition naturelle inhérente au rayonnement de la cité grecque. Toutefois, comme le souligne Pierre Manent, «… le politique ancien est un éducateur inséparablement politique et moral qui s’efforce de susciter dans l’âme des citoyens les dispositions morales « les plus nobles et plus justes » ». Si la cité moderne a pacifié nos ardeurs guerrières, c’est l’appât du gain qui est devenu le modus operandi d’une politique qui revêt toute les apparences d’une médiation entre des intérêts financiers qui menacent la pax republicana. Pour simplifier, on pourrait dire que les philosophes étaient les politiques (politiciens) de l’antiquité, alors que les épiciers (pris dans un sens négatif) sont les politiques de la postmodernité.

    Qu’est-ce qui fonde la cité ? C’est la famille; le récit de l’Iliade est sans équivoque sur la question. Lorsque le troyen Paris enlève la belle Hélène, il provoque la colère des Grecs et, de fil en aiguille, le siège de la ville de Troie se met en place sur la base d’une saga familiale. Ce sont les liens filiaux, en dépit des rançons exigées, qui sont en jeu et non pas une volonté de puissance automotrice. Toutefois, les héros de cette tragédie épique sont emportés par la folie de l’hubris et sont les auteurs de forfaits impardonnables. Un retournement de la destinée fera en sorte qu’Achille (le champion des grecs) finisse par céder aux supplications du roi Priam traversant les lignes ennemies pour réclamer la dépouille de son fils Hector. Il s’agit d’un moment-clef du récit construit par Homère. L’auteur y démontre que c’est en raison du respect de la filiation que les vainqueurs finiront par se montrer cléments.

    On pourrait, facilement, opposer l’idéal de la cité (le rayonnement des familles patriciennes) à celui de l’imperium (le nivellement des citoyens afin qu’ils deviennent des sujets consentants). Que s’est-il passé, en Occident, pour que l’idéal de la cité finisse par imploser sous la pression d’un imperium protéiforme et « multicartes »?

    Dominique Venner, historien français décédé en 2013, déplore, comme tant d’autres, cette perte de mémoire qui afflige nos élites intellectuelles (…) et il ne se gène pas pour pointer du doigt cette « métaphysique de l’illimitée » qui semble avoir fourni à l’imperium ses meilleurs munitions. Venner admire la sagesse antique des stoïciens qui s’appuyait, entre autres, sur le respect des limites qui sont imparties à la nature environnante. Il souligne, à l’intérieur de son dernier essai (*), que « la limite n’est pas seulement la frontière où quelque chose s’arrête. La limite signifie ce par quoi quelque chose se rassemble, manifestant sa plénitude ». Cette notion de borne, ou delimite, recoupe toute la question, combien controversée, des frontières, de l’identité et de la filiation. Dominique Venner rend justice à la contribution du philosophe Martin Heidegger, notamment pour son essai intitulé « Être et Temps », qui a su définir « le monde contemporain par la disparition de la mesure et de la limite ».

    Le rituel de la consommation

    Mais, comment sommes-nous passés d’une civilisation agraire, à l’écoute des rythmes de la nature, à cet espèce de VORTEX du commerce qui désintègre tous nos habitus, nos lieux communs? La mémoire collective se déploie sur le cours d’une histoire longue, elle consiste en une agrégation de rites qui fondent leurs pratiques sur des cités pérennes. Le commerce, a contrario, nécessite une fluidité constante, des flux tendus qui permettent de produire, écouler, échanger, retourner, recycler, détruire et recommencer le cycle de la production-consommation de manière quasi instantanée. Consommer c’est oublier qui nous sommes, puisque la marchandise impose son langage propre au sein de nosagoras qui sont devenues des places marchandes. Le commerce ne constitue pas un problème en soi; c’est son développement sans limites et son instrumentalisation au profil de la sphère financière qui blessent. Guy Debord, nous le répétons, n’aurait pas hésité à affirmer que « c’est la marchandise qui nous consomme » en définitive.

    La consommation demeure le seul rituel toléré par l’ordre marchand. À l’instar de la marchandise qui se déplace, suivant les flux monétaires, nos habitudes de consommation sont instables, elles induisent des rituels qui ne sont fondés que sur des concepts arbitraires. Dans de telles conditions, lacité se dissout et, invariablement, les rapports citoyens se distendent. Curieusement, plusieurs grandes « marques » commerciales se sont glissées, tels des parasites, sous la dépouille de termes empruntés à la mythologie. Ainsi, les chaussures Nike ont été affublées du nom de la déesse grecque de la VICTOIRE (Niké). Idem pour les voitures Mazda, empruntant au dieu perse Ahura Mazdâ la prérogative d’être un « Seigneur de la Sagesse ». Les commodités du monde marchand se sont infiltrées à travers tous les pores de la cité, au point de permettre à la caste aux manettes d’investir nos repères symboliques afin de les récupérer.

    Wall Street représente l’Acropole, ou cité des dieux. Les centres commerciaux tiennent la place detemples de la consommation. Les vendeurs ressemblent, à s’y méprendre, à des prêtres officiant au culte de l’achat compulsif et salutaire. Les marques affichées sur les bannières servent à nommer les divinités tutélaires de la cité marchande. Et, in fine, les logos commerciaux se sont substitués aulogos, c’est-à-dire le discours de la raison des antiques philosophes. Les logos commerciaux nous propulsent en arrière, à l’époque des hiéroglyphes, en s’imposant comme « signes moteurs » de la communication. Il n’y a qu’à observer les nouvelles formes d’écriture tronquée utilisées pour transmettre des message-textes via nos téléphones « intelligents » pour comprendre l’étendu des dommages. De facto, on pourrait parler de « troubles moteurs » de la communication. Ainsi donc, c’est toute la syntaxe des rapports langagiers qui est déconstruite, déstructurée, au gré d’une communication humaine calquée sur celle des échanges marchands.

    Le Léviathan de la sphère marchande

    Qu’est-ce qui nous prouve que les fondations de la cité aient été pulvérisées par l’ordre marchand en fin de parcours ? Le fait qu’un ancien cimetière soit converti en centre d’achat, ou qu’une église désaffectée se métamorphose en édifice à condominiums, tout cela nous interpelle. Il n’est pas surprenant, dans un tel contexte, d’assister à la multiplication de profanations qui visent les cimetières, et autres nécropoles (cités des morts), où ont été enterrés nos ancêtres. Ceux et celles qui profanent et souillent les sites sacrées de nos cités dévoyées agissent au profit de l’ordre marchand. Il s’agit de banaliser, de néantiser, tous les lieux de la mémoire collectives qui conservent (pour combien de temps?) une part inviolable de cette tradition immémoriale. Lorsque certaines églises étaient érigées sur les décombres d’anciens sites de rituels païens, il ne s’agissait pas de souiller la mémoire collective en abrogeant la symbolique initiale des lieux. La tradition avait, donc, été respectée dans une certaine mesure. Le Genius loci (Esprit du lieu) n’avait pas été transgressé.

    À l’heure du néolibéralisme, dans un contexte où de puissants intérêts privés investissent les espaces de la cité, tous nos rites immémoriaux sont menacés d’extermination. Enterrer ses morts constitue une pratique universelle qui aura contribué à façonner nos espaces collectifs. De nos jours, par soucis d’économie et au nom de la protection de l’environnement, nous utilisons la crémation (ici, nous ne remettons pas cette pratique en question) afin de faire disparaître toute trace du défunt et l’urne funéraire, posée tel un bibelot sur une console, a définitivement pris la place de la pierre tombale. Les morts n’ont plus droit de cité, ils sont devenus des itinérants, sans domicile fixe, qui, passant d’une main à l’autre, ne peuvent même plus reposer en paix ! Tout doit circuler dans le monde marchand. Même les morts …

    Pierre Manent souligne, dans son essai intitulé « Les métamorphoses de la cité », que la caste des guerriers dans le monde de l’ancienne Grèce constituait le « petit nombre » des citoyens aux commandes de la polis. Outre leurs prérogatives guerrières, les patriciens s’adonnaient, aussi, au commerce qui permettait à la cité de s’épanouir en tissant des liens avec d’autres cités concurrentes. Maîtres du commerce, les patriciens ne possédaient pas de grandes richesses, hormis des propriétés terriennes et des titres se rapportant aux tombeaux des ancêtres. Il ajuste le tir en précisant que « le petit nombre était surtout propriétaire de rites – rites funéraires, rites de mariage –, tandis que le grand nombre n’avait que la nudité de sa nature animale. Le grand nombre était extérieur au genos, ou à l’ordre des « familles », comme plus tard l’étranger (métèque) « proprement dit » sera étranger à la cité ». L’auteur cerne, avec précision, la notion capiton de filiation, dans le sens d’une passation de prérogatives qui n’ont rien à voir avec une quelconque fortune personnelle. Nul de besoin, ici, de discuter (ou de nous disputer) des limites objectives de cette démocratie primitive limitée aux descendants (patriciens) d’une haute lignée. Le point de cette observation portant sur l’importance des rites funéraires dans le cadre d’une transmission de la mémoire collective, sorte de « génome » de la cité.

    Les puissantes guildes marchandes de la Renaissance permettront au grand capital de circuler et de concurrencer le pouvoir tutélaire des patriciens. L’auteur Thomas Hobbes, dans son célèbre traité intitulé « Le Léviathan », oppose le droit naturel à un contrat social qui représenterait les fondations politiques de toute société évoluée. Une société où tout un chacun tire sur la couverture peut se désagréger sous l’effet délétère de la guerre civile et dégénérer en chaos. Rappelons que le termeLéviathan représentait le monstre du chaos primitif dans la mythologie phénicienne. C’est précisément la figure symbolique du chaos qui semble menacer une tradition par laquelle se fondent les « rapports citoyens durables ». Et, c’est la notion moderne de progrès illimité qui conforte toute la politique d’une sphère marchande emportée par un hubris sans vergogne. Pierre Hadot, un spécialiste cité par Dominique Venner, nous prévient que « le « oui » stoïcien est un consentement à la rationalité du monde, l’affirmation dionysiaque de l’existence dont parle Nietzsche est un « oui » donné à l’irrationalité, à la cruauté aveugle de la vie, à la volonté de puissance par-delà le bien et le mal ».

    L’hubris au service d’une volonté de puissance démoniaque

    Nous sommes rendus au terme de notre analyse critique et nous devons conclure, faute de temps et d’énergie. Qu’il nous soit permis de revenir sur cette notion d’« affirmation dionysiaque de l’existence » afin d’expliciter le rôle de la « contre-culture » au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Prétextant une étape inévitable, au cœur d’un fallacieux processus de libération, les activistes à l’œuvre dans les coulisses de Mai 68 ont moussé l’« affirmation dionysiaque de l’existence » dans un contexte où l’« état profond » souhaitait accélérer le cours des choses. « Il est interdit d’interdire » deviendra l’antienne d’une communication au service de la dissolution des repères identitaires qui auraient dû, normalement, guider l’éclosion des forces vives du « baby boom » de l’après-guerre.

    Jim Morrison, chantre emporté par un hubris débridé, déclame vouloir « faire l’amour à sa mère et tuer son père ». Brisant le tabou fondateur de la famille, unité de base de la cité, Morrison inaugure, tel un prophète de malheur, une nouvelle ère. Cette ultime provocation agira comme le « geste fondateur » d’une « rébellion sans cause ». La jeunesse paumée de l’Amérique se mettra à danser en solitaire dans les discothèques, en répétant, pour paraphraser le philosophe Michel Clouscard, la gestuelle d’une rébellion supposément révolutionnaire. Il s’agissait, pour dire vrai, de se mouler aux exigences de la nouvelle « société de consommation » afin d’épouser les gestes d’un automate programmé dans ses moindres affects par les « sorciers » de la « contre-culture ». Et, à coup de drogues de plus en plus dures, il sera possible de rendre amnésique la jeunesse pour qu’elle ne soit plus JAMAIS capable de renouer avec ses racines.

    Patrice-Hans Perrier

    Petite bibliographie

    (*) Un samouraï d’Occident – Le Bréviaire des insoumis, une source de références incontournable achevée en 2013. Écrit par Dominique Venner, 316 pages – ISBN : 978-2-36371-073-4. Édité par Pierre-Guillaume de Roux, 2013.

    (*) Les Métamorphoses de la cité – Essai sur la dynamique de l’Occident, une étude synoptique de l’histoire politique de l’Occident achevée en 2010. Écrit par Pierre Manent, 424 pages – ISBN : 978-2-0812-7092-3. Édité par Flammarion, 2010.

    http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2015/08/21/de-la-tradition.html

  • 15 août : Assomption (et fête nationale française)

    [via Thibaut de Chassey]

    L’Assomption désigne l’élévation aux Cieux de la Sainte Vierge, corps et âme.

    Celle-ci – qui selon la doctrine catholique tient dans l’humanité une place si particulière – quitta ce monde d’une façon extra-ordinaire : son corps étant préservé de la corruption que connaissent les cadavres, tout comme son âme avait été préservée de toute corruption du péché.

    C’est la principale fête mariale.

    En France, s’ajoute au 15 août le caractère de fête nationale, depuis Louis XIII.

    Voyez ci-dessous, en comparant les origines des deux fêtes, comme on est loin du 14 juillet qui commémore la naissance mythologique de la République dans la haine et dans un bain de sang bien réels….

    En 1637, après vingt-deux ans de mariage, le roi n’avait toujours pas d’héritier et la France était dans une guerre difficile.

    Le souverain prépara un vœu qui consacrerait la France à Notre-Dame de l’Assomption, plaçant la nation sous la protection de la Sainte Vierge ; on disait qu’il y pensait depuis longtemps.

    En novembre 1637, un texte fut enfin soumis au Parlement.
    Puis soudain, la bonne nouvelle tomba : la Reine était enceinte !

    Le vœu fut finalement signé par le Roi le 10 février 1638, comme un remerciement, et instaura les processions du 15 août en hommage à Notre-Dame de l’Assomption.

    Le 5 septembre 1638, naquit le dauphin de France, futur Louis XIV.
    Du fait de sa naissance vue comme quasi-miraculeuse, il reçut le nom significatif de Louis-Dieudonné (« donné par Dieu »).

    Ce vœu fut publié sous la forme d’un édit dont voici le texte intégral :

    Lire la suite

  • De Socrate à Spinoza

    Deux figures de la transmission : Socrate, figure du maître de sagesse dans la relation orale entre deux sujets. Spinoza, figure du philosophe refusant le rapport de maître à disciple, faisant circuler ses écrits dans l'anonymat : celui de l'auteur et celui des lecteurs, dans l'ouverture des interprétations.

     

    La philosophie, en Occident, se donne volontiers pour une activité autonome de la raison, libre à l’égard des autorités et ne rendant de compte qu’à elle-même. Chacun serait seul responsable de sa propre pensée, et non pas héritier d’une tradition ou d’une opinion. Le symbole en est Socrate, tel qu’on le voit dans les premiers dialogues de Platon, refusant le rapport de maître à disciple, n’enseignant pas une doctrine préétablie, et se contentant de vérifier la solidité des opinions de son interlocuteur. L’accord de deux personnes, s’il est fondé en vérité, apparaît alors comme supérieur à l’approbation d’une multitude, si elle ne s’appuie que sur le vraisemblable.

    Cette attitude de libre examen n’exclut cependant pas une certaine structure magistrale, inséparable de l’idée que la philosophie produit de la vérité. À la fin de son dialogue Phèdre, Platon raconte l’histoire de Teuth et Thamous. Le dieu égyptien Teuth (Toth, le fondateur des arts), entre autres découvertes, a inventé l’écriture ; il l’apporte au roi Thamous, en escomptant des félicitations. Le roi le félicite, en effet, pour certaines de ses inventions, le blâme pour d’autres ; mais, à propos de l’écriture, il lui reproche vertement d’avoir fait le contraire de ce qu’il s’était promis : il voulait lutter contre l’oubli, or voilà que les hommes vont perdre leur mémoire parce qu’ils feront confiance aux textes déposés dans des lettres inanimées.

    Et Socrate, qui raconte l’histoire, approuve : un texte écrit est orphelin, c’est un discours sans père que nul ne vient défendre. On ne peut lui demander d’explication supplémentaire comme à un interlocuteur ; il est d’autant plus désarmé qu’il est livré à tout un chacun : « quand une fois pour toutes il a été écrit, chaque discours s’en va rouler de droite et de gauche, indifféremment auprès de ceux qui s’y connaissent et, pareillement, auprès de ceux dont ce n’est point l’affaire et il ne sait pas quels sont ceux auxquels justement il doit ou non s’adresser ».

    Du devin au chef d’école

    La fable ne tient donc que par une certaine idée de la vérité, à savoir que celle-ci, loin de valoir par elle-même, n’a de consistance que sous-tendue par la parole d’un maître. Ni Thamous, ni Socrate n’accusent le discours écrit d’être faux. Il peut être vrai, mais cette vérité est errante : il lui faut quelqu’un pour l’orienter, pour savoir à qui l’enseigner et de qui la préserver. Pour savoir, aussi, comment l’enseigner : car l’enseignement ne consiste pas seulement à la réciter, mais à la défendre et à l’expliquer face aux objections que l’écrit ne peut prévoir. L’auditeur se trouve ainsi placé dans la position du disciple ; le discours doit non seulement lui dire le vrai, mais le lui dire comme il faut, quand il faut. Il n’est donc pas de vérité sans magistère.

    Cette position livre une clef de la structure des dialogues de Platon, ceux qui suivent le Phèdre comme ceux qui le précèdent. Dans les derniers dialogues, Socrate (ou l’étranger d’Athènes qui le remplace) énonce une doctrine : il enseigne ce qu’est le bien, ce qu’il en est du plaisir, comment construire une Cité juste. Dans les premiers dialogues, Socrate, à défaut de dire le vrai, énonce les conditions de l’accord d’où le vrai sortira : c’est lorsque nous serons d’accord, dit-il, que nous admettrons une thèse comme exacte.

    Ainsi Socrate qui n’écrit pas, qui n’enseigne pas, apparaît-il comme le maître de la vérité, moins par ce qu’elle contient que par les conditions dans lesquelles elle s’obtient. Il incarne là une situation caractéristique de la pensée grecque, antérieure même au platonisme. Dès la période homérique, le poète joue un rôle d’énonciateur du vrai, comme aussi le devin et le roi : sa parole n’a pas besoin d’être démontrée ou contestée, la qualité seule de celui qui l’énonce, comme le souligne l’helléniste français Marcel Détienne, suffit à la fonder. La pensée apparaît ainsi comme liée à certains hommes, eux-mêmes liés à des fonctions sociales — l’exercice du pouvoir ou l’administration du sacré.

    Cette structure se développe ensuite sous d’autres formes lorsque la philosophie devient autonome. La nouveauté, de taille il est vrai, tient au fait que les maîtres du vrai n’ont plus d’autre fonction sociale que cette véracité. Alors le philosophe ne tire plus sa garantie d’un devin ou d’un poète ; mais souvent il la tire d’un chef d’école. Pour penser, il faudra se ranger parmi les aristotéliciens, ou les stoïciens, ou les cyniques, ou les sceptiques. Les oppositions des écoles, avec leur succession de chefs, les “scholarques”, leur perpétuelle référence au fondateur, deviennent la caractéristique de la pensée hellénistique, puis de l’héritage romain.

    Cette conception du vrai comme enseignement d’un maître confère certains traits communs à toutes les écoles, même lorsqu’elles divergent dans la doctrine : personnalisation, remémoration, orthodoxie. Le rapport d’apprentissage rejoue la relation de maître à disciple à un autre niveau : ainsi les élèves d’Épictète focalisent sur lui l’idéal du stoïcisme ; chaque maître intermédiaire vient assumer transitoirement la figure du maître fondateur ; il faut reprendre et repenser les arguments. Il faut s’imprégner de la philosophie avant de philosopher. Apprendre semble être le meilleur moyen de découvrir, et imiter une voie sûre pour apprendre.

    La parole intérieure

    On peut voir là une culture de l’épigone ; mais aussi une pensée de la tradition, et la preuve que la cohérence d’une pensée ne s’identifie pas nécessairement avec une fondation radicalement individuelle. C’est là un schéma que l’on retrouve à d’autres moments de l’histoire de la pensée occidentale : dans les commentaires scolastiques ou, plus tard, dans les écoles cartésiennes, kantiennes, hégéliennes, qui perpétuent un système et le diffusent dans les universités. Les religions du livre vont-elles renoncer à ce schéma ? Elles vont parfois le reconduire et le perpétuer ; elles vont surtout, plus fondamentalement, l’intérioriser.

    Ce que nous enseigne un maître humain, c’est la vérité, mais cette vérité ne peut pénétrer en nous, remarque saint Augustin, que si elle est déjà attendue par la vérité interne, laquelle est la présence de Dieu au fond de notre être. Le refus de l’hétéronomie mène ici à la découverte d’un autre maître, autrement savant et convaincant : « Quand par leurs paroles les maîtres ont expliqué toutes ces sciences qu’ils font profession d’enseigner, même la vertu et la sagesse, ceux qu’on appelle disciples examinent au fond d’eux mêmes si ces propos sont vrais en regardant selon leurs forces cette vérité intérieure » (Saint Augustin, De Magistro, XIV).

    C’est alors qu’ils apprennent, et les louanges qu’ils adressent à leurs maîtres extérieurs vont tout autant à ce maître qu’ils ont en eux. Ici s’instaure une autre pratique de la philosophie : celle qui prend plutôt la forme de la méditation ou de la confession. Au lieu de se tourner, dans sa réflexion, vers celui qui l’a précédé, l’homme s’approche des secrets de son âme : toute une part de la démarche philosophique consiste à écarter l’inessentiel pour cheminer vers l’«âme de l’âme» — là où se découvre la règle cachée de ses pensées et de ses actions. L’âme est le lieu où réside le Maître, qui, à ce déplacement, a gagné en puissance.

    La vérité sans attaches

    Est-il possible de penser le vrai sans se conformer aux paroles d’un maître ? ou sans se donner soi-même comme maître ? C’est ce qu’ont tenté de faire les philosophies du XVIIe siècle, comme le montre en particulier celle de Spinoza. Le soin avec lequel le philosophe hollandais efface son nom de ses œuvres est déjà révélateur. On peut y voir, certes, un souci de prudence : Spinoza, sachant que sa doctrine entre en contradiction avec celle des Églises de son temps, ne veut pas s’attirer de persécution. Le principal livre qu’il publie de son vivant, le Traité théologico-politique, ne comporte pas de nom d’auteur et ses indications de lieu et d’éditeur, pour déjouer les recherches, sont fausses.

    Mais l’intention va plus loin puisque les œuvres posthumes paraissent aussi de façon anonyme (n’y sont imprimées que ses initiales). Quant à la prudence, ce n’est pas un argument : Spinoza, sa correspondance en témoigne, n’a jamais hésité à afficher ses convictions, ni à défendre fermement ses opinions. Cet anonymat répond en fait chez lui, au-delà du circonstanciel ou du psychologique, à une conception théorique : dans la recherche de la gloire, Spinoza voit un refuge de la passion sous sa forme intellectuelle. Dans l’Éthique, il raille ceux qui écrivent des traités sur le mépris de la gloire et n’oublient jamais d’y inscrire leur nom. C’est là une citation de Cicéron. Mais ce qui chez l’orateur et philosophe romain n’était qu’un trait de prédication morale s’insère ici dans une analyse des règles de l’opacité passionnelle : aussi longtemps qu’un homme est possédé par le désir, il est mû par l’attachement à sa propre image, que toutes les autres passions viennent renforcer. Le désir étant l’essence de l’individu, la production de la pensée, chaque fois qu’on la considère dans son origine ou son occasion individuelle, ne peut que revêtir cette forme affective. Seul, pourrait-on dire, le passionnel a un nom singulier ; seul il peut donc assumer la figure du maître.

    Le modèle mathématique

    Dans ces conditions, qu’est-ce qui remplace le maître et permet de se passer de lui ? Le modèle mathématique. L’Éthique, principal ouvrage de Spinoza, indique par son sous-titre qu’elle est exposée « à la façon des géomètres » (more geometrico). Effectivement, elle se présente sous la forme d’une longue suite d’axiomes, de théorèmes et de démonstrations ; mais surtout, plus profondément, elle cherche à enraciner sa rigueur dans un repérage des propriétés des choses qui s’inspire de l’analyse géométrique.

    On pourrait objecter que ce modèle est aussi une sorte de maître. Non, car ce modèle ne contrôle pas ses effets. Il met en jeu une puissance (celle de la démonstration), mais cette puissance est offerte à qui veut s’en servir : il y a quelque chose de public dans le raisonnement mathématique, qui l’arrache à la relation duelle, personnalisée, où se tient le rapport de maître à disciple. Certes, il peut y avoir des professeurs de mathématiques. Mais l’apprentissage ne s’y fait pas sous le couvert de la distinction entre l’ésotérique et l’exotérique : seules les capacités et l’avancement de l’élève décident de ce qu’il comprendra. Les mathématiques, en ce sens, viennent occuper l’exacte position assignée à l’écrit par le Phèdre. Il peut paraître étonnant d’opposer les mathématiques à Platon, qui s’en réclamait aussi. Mais si Spinoza et Platon concordent pour reconnaître leur importance, ils divergent radicalement sur le point d’ancrage de la philosophie à leur égard. Ce qu’en retient Spinoza d’abord, c’est la puissance de décrire les causes sans chercher les fins.

    Cet anonymat fonde, lui aussi, une autre pratique de la philosophie. On le retrouve chez les libertins de l’âge classique et de l’époque des Lumières, où l’on passe souvent de la philosophie anonyme à la philosophie clandestine : textes sans auteur avoué, circulation des textes et des thèmes, collage des écrits. Les manuscrits qui se diffusent aux XVIIe et XVIIIe siècles sont eux aussi, par force, sans nom d’auteur, pour éviter censure et emprisonnement. Mais au-delà de ces raisons, c’est un nouvel éclatement du magistère qu’ils marquent : leur auteur ignore qui les lira, par quels canaux ils circuleront, qui s’en emparera pour en placer des morceaux dans un nouvel écrit, qui en orientera peut-être différemment les conclusions.

    En somme, cette littérature n’est clandestine que parce qu’elle est ouverte. La multiplicité des voies d’accès et de diffusion du vrai exclut la relation spéculaire entre deux sujets — celle de maître à disciple.

    ► Pierre-François Moreau, Le Courrier de l'UNESCO n°9/1992.

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