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tradition - Page 172

  • LES CONCEPTS DE « COMBAT » ET DE « LUTTE » PAR JULIEN FREUND

    Les guerres modernes et tout particulièrement les guerres révolutionnaires ont redonné de l’importance à la lutte des non-combattants, non seulement avec l’apparition des partisans, mais aussi avec le déploiement de la propagande, les sanctions prises contre la population civile, les camps d’internement ou de concentration, les appels à la violence, etc. Cette constatation nous apporte une première précision pour la compréhension de la lutte, en ce sens qu’elle nous invite à faire une distinction entre lutte et combat. Quand on parle de l’intervention des non-combattants, on entend par là que des hommes non régulièrement prévus pour la lutte entrent en jeu. Encore que ces situations soient plus fréquentes dans les temps modernes, elles ne leur sont pas propres, car on observe aussi l’intervention de non-combattants dans les conflits de l’histoire passée, depuis que nous la connaissons (bandes, jacqueries, etc.). Qu’est-ce que le combat ? Il est une espèce de lutte, qui se déroule selon des conventions acceptées de part et d’autre, c’est-à-dire, une lutte organisée, disciplinée et régulière n’engageant que des hommes désignés pour y participer et n’utilisant que des moyens déterminés. Le combat est la forme la plus rationnelle de la lutte. Seule l’issue du  combat est incertaine, non les moyens et les forces en présence, ce qui n’empêche nullement le recours aux ruses et aux stratagèmes.

    Etant données les monstruosités, la barbarie et les atrocités actuelles auxquelles donnent lieu les manifestations de la guerre menée avec violence la plus folle, les hommes ont de tout temps essayé de donner aux conflits armés la forme du combat. Le premier pas dans cette voie a consisté dans la formation d’armées régulières, avec des cadres permanents et placés sous l’autorité directe et unique du gouvernement établi. Ce fut ensuite la création d’un droit spécial ou code militaire, sur le plan interne et externe. Les conférences de La Haye et les conventions de Genève ne sont que des exemples récents de la volonté de régler sur le plan international les actes d’hostilité. Certes les deux dernières guerres mondiales ainsi que le concept de guerre totale utilisant de moyens techniques que l’on ne pouvait prévoir au début du siècle, mais aussi la notion de guerre révolutionnaire, ont presque réduit à néant les efforts laborieux des juristes. La situation contemporaine ne saurait cependant nous faire oublier qu’au Moyen Age la féodalité avait réussi à élaborer une espèce de code plus ou moins tacite de la guerre, qu’à la suite des effroyables guerres de religion le XVIe, le XVIIe et le XVIIIe siècle avaient également réussi à réglementer les hostilités et que ce furent les guerres révolutionnaires qui modifièrent l’état d’esprit. Là aussi il faut reconnaître que cette réglementation fut l’œuvre de la rationalisation de l’Etat naissant, car dans la mesure où il s’attribuait le monopole de la violence légitime, il devait également se réserver le monopole des armes, par la suppression des mercenaires, la formation d’une armée nationale et la constitution d’une fonction militaire, à côté de la fonction administrative et autres. L’une des caractéristiques de ce que l’on appelle le ius publicum europaeum consistait justement dans l’humanisation de la guerre par la transformation de la lutte armée en combats réguliers menés par les armées reconnues des divers Etats. Il est à regretter que l’exaltation révolutionnaire de certains socialistes traite avec tant de dédain cette forme de réglementation et la rejette comme démodée ou anachronique alors qu’elle est plus décisive dans l’établissement de la paix que toutes les motions, programmes et déclarations solennelles. En effet, le véritable problème et peut-être moins de supprimer toute guerre que d’essayer de la réglementer en déterminant qui doit la mener : les combattants ou bien aussi les non-combattants ? Plus exactement, la prétendue démocratisation de la lutte au sens où elle devient l’affaire des masses a pour conséquence la démesure. Qu’est-ce qui importe le plus à l’homme : désirer le plus ou obtenir réellement quelque chose ? Il est en outre à remarquer qu’une civilisation qui parvient à transformer la guerre en combats réguliers tend presque naturellement à l’institution d’une caste militaire ou guerrière, ce système n’étant pas toujours aussi condamnable qu’on le dit généralement de nos jours, si l’on veut bien prêter attention aux observations que nous venons de faire.

    La guerre-combat s’est transformée de nos jours en guerre-lutte sous l’action de causes diverses. Nous avons déjà mentionné l’influence de l’idéologie révolutionnaire et du concept de totalité. A cela il faut ajouter qu’un conflit ne peut garder la forme du combat qu’à la condition que le nombre des participants restent médiocre, c’est-à-dire que les forces restent limitées. Dès que la guerre devient générale ou mondiale et qu’elle met immédiatement en jeu l’existence d’un très grand nombre de pays, elle tend à devenir une lutte féroce et impitoyable, selon la loi caractéristique du phénomène de masse.  Les conventions juridiques et morales (au sens d’une régulation par les mœurs) perdent leur validité pratique pour céder la place à l’état de nature sous la forme d’une mobilisation de toutes les ressources matérielles et spirituelles mises au service de la violence. Max Weber a eu raison de montrer que la responsabilité de cette transformation est imputable aux deux camps (de la première guerre mondiale) et même spécialement à celui des alliés (1). D’un autre côté un conflit ne garde le caractère du combat qu’à la condition de ne pas se prolonger trop longtemps, sinon intervient l’ascension aux extrêmes décrite par Clausewitz. Alors la guerre nourrit la guerre, les objectifs politiques se déplacent, parfois se contredisent et suscitent des tensions successives toujours plus violentes dont le dénouement devient incompatible avec la législation internationale. Les difficultés et les tensions s’accroissent non seulement à cause de la durée, mais aussi par suite de l’extension du conflit dans l’espace. Alors que le combat exige un théâtre d’opérations délimité, une zone localisée, la lutte ne connait ni limites ni frontières ni interdictions. Enfin le passage du combat à la lutte vient aussi de l’indétermination des fins politiques. En vertu même de la réglementation, le combat se fixe des objectifs précis ; au contraire, les guerres modernes, à cause de leur aspect plus ou moins révolutionnaire, se donnent des buts tellement abstraits et lointains voire inaccessibles qu’elles ne peuvent que se transformer en une lutte qui, par essence, est une rivalité aux moyens diffus, aux objectifs souvent vagues et aux contours indéterminés (2). Finalement, la lutte se dégrade parfois en simple jouissance, en plaisir d’exercer la violence pour la violence, elle devient fin en soi. Le combat obéit à la loi de la force, la lutte à celle de la puissance.

    La confrontation avec la notion de combat nous fournit ainsi suffisamment d’indications pour l’élucidation de celle de la lutte. Elle est la forme irrationnelle et indéterminée des conflits, parfois désordonnée, déchaînée et confuse, parfois aussi, on le voit chez Lénine, ordonnée selon les normes d’un savoir-faire prestigieux qui, cependant, ne reconnaît aucune limite. Ce qui est capital, c’est que les règles ne lui sont pas imposées de l’extérieur, mais elle les fixe elle-même, à son gré, au cours de son déroulement suivant les nécessités et les circonstances. Elle ne reconnaît d’autres frontières que celles qu’elle se donne elle-même. A la limite elle met en jeu tous les moyens possibles, ne reculant ni devant la traîtrise ou la férocité ni devant les conventions, les coutumes ou les interdit sociaux, moraux ou religieux. Au besoin elle fait appel à la violence la plus brutale et surtout préméditée, du moins tant qu’elle ne rencontre pas de résistance efficace, et, pour briser les obstacles, elle n’hésite pas à utiliser toutes les formes d’oppression, d’appropriation et d’exploitation. S’il le faut elle poussera à la délation et au crime, elle se servira du chantage, de l’escroquerie, de l’abus de confiance, semant partout la méfiance et la suspicion. Tout est possible, tout est permis. Tantôt elle se fait furieuse, ne connaissant ni pardon ni merci, tantôt insidieuse, sournoise et déloyale. Aussi appelons-nous lutte l’ensemble des efforts réciproques qu’entreprennent des adversaires ou des ennemis pour faire triompher leurs intérêts, opinions et volontés respectives en essayant de dominer ou de vaincre l’autre par la destruction ou l’affaiblissement de sa puissance. Elle peut adopter les formes régulières ou conventionnelles du combat ou bien consister en un affrontement qui pousse la violence jusqu’à l’extrême, sans considération des moyens employés et des personnes visées, dans le déchaînement de la puissance la plus folle.

    Julien FREUND L’essence du politique

    1. Max Weber, Le Savant et le Politique, p. 141. Les deux raisons principales ont été d’une part le blocus organisé par les alliés et d’autre part, la guerre sous-marine à outrance des Allemands.
    2. Le passage du combat à la lutte dans les guerres modernes a été très bien décrit par Ch. De VISSCHER : « Les guerres d’autrefois étaient jusqu’à un certain point des entreprises raisonnées, aux buts circonscrit, aux conséquences suffisamment prévisibles. Gardant un certain contrôle des événements, les gouvernants conservaient parfois assez de modération pour ménager jusque chez le vaincu les forces indispensables à l’établissement d’un ordre de paix nouveau. La guerre totale est démesurée ; les hommes en perdent graduellement la maîtrise. Elle n’a plus ni objectif politique certain ni terme prévisible…Son obsession persiste au-delà de la victoire », Théories et réalités en droit international public, p. 364.

    http://theatrum-belli.org/les-concepts-de-combat-et-de-lutte-par-julien-freund/

  • Sur les racines de l'Europe

    Lorsqu’on aborde la question des racines de l’Europe, c’est-à-dire de l’héritage qui a forgé sa culture et sa civilisation, il faut avoir présentes à l’esprit deux entités :

    1°/ l’Occident, de l’Atlantique à la péninsule Balkanique ; 
    2°/ l’immense Empire romain d’Orient, qui allait du sud du Danube jusqu’aux confins du royaume perse, englobant la Grèce, la Macédoine, Constantinople (évidemment), les cinq régions qui forment aujourd’hui l’ouest de la Turquie (Bithynie, Galatie, Cilicie, Cappadoce, Phénicie), le Liban, la Palestine et l’Egypte.

    La question des racines de l’Europe se cristallise donc sur l’histoire culturelle et les relations entre ces deux entités : et c’est là l’objet de l’ouvrage de Sylvain Gouguenhem (1), que nous allons analyser et peut-être commenter et compléter quelque peu.

    Il faut avoir également présente à l’esprit – et les études de Raymond Le Coz nous mettent en garde à ce sujet (2) – la confusion entre « Arabes », ou Arabité, et Islam (3), l’Islam étant une civilisation fondée sur la religion, l’Arabité étant une culture de langue écrite arabe, par des populations, soit chrétiennes arabisées, soit arabes chrétiennes, puis arabes musulmanes ou non, à partir des invasions qui dès avant le milieu du VIIe siècle occupèrent l’Arménie, la Mésopotamie, la Syrie, la Palestine et l’Egypte (4). Mais il faut remonter bien au-delà de cette date pour saisir cet héritage que l’Occident a reçu et remodelé pour en faire la culture et la civilisation européennes. Nous ne referons pas ici les études de Raymond Le Coz, ni celles de Sylvain Gouguenheim, études d’ailleurs convergentes mais vues seulement sur des terrains différents. Force est cependant d’exposer ici les faits historiques dans leur ordre chronologique.

    L’héritage hellénique et l’Empire romain d’Orient

    Sans doute est-il nécessaire de préciser dès l’abord que l’Empire romain d’Orient, où le christianisme se diffusa principalement à l’intérieur de l’aire de culture hellénistique (5), vécut toujours dans l’univers philosophique et scientifique légué par les Grecs antiques, un héritage qu’il n’a cessé de cultiver et de diffuser dans toutes les régions occidentales à forte implantation grecque : Sicile, Italie du Sud, Ravenne. C’est dans ces foyers d’intellectuels et de traducteurs qu’il faut chercher les premiers courants de transmission à l’Occident de cette culture, devenue peu à peu chrétienne.

    Partant du monde byzantin, Raymond Le Coz nous rappelle le rôle fondamental des chrétiens des premiers siècles, véritables passeurs de la culture grecque. Qui étaient-ils ? Ils étaient divisés en plusieurs Eglises : 
    1°/ nestoriens, héritiers depuis le IVe siècle de l’Ecole de Nisibe puis d’Edesse (6), en Perse et Mésopotamie, de langue syriaque ; 
    2°/ jacobites, en Syrie, de langue syriaque ; 
    3°/ melkites, en Egypte, Syrie, Irak, de langue grecque ; 
    4°/ coptes, en Egypte, de langue issue du parler pharaonique.

    Tous étaient des chrétiens, ou le devinrent au cours du VIe siècle, plus tard soumis à l’islam, dont beaucoup furent arabisés. Tous ont œuvré à la transmission du savoir antique pendant les siècles qui ont précédé Mahomet : médecins, scientifiques, philosophes et traducteurs, formés à l’Ecole d’Alexandrie, la « Catéchèse » ou « Didascalée », où l’on enseignait une philosophie toute imprégnée de culture grecque, où étaient formés depuis le VIe siècle des philosophes médecins, astronomes, astrologues, alchimistes, et dont les plus grands noms sont Oribase (IVe s.), médecin de l’empereur Julien « l’Apostat », auteur d’une vaste encyclopédie médicale perpétuant la mémoire de pratiques plus anciennes ; Ammonius (1re moitié du VIe s.), philosophe éminent, commentateur d’Aristote ; Jean Philopon, son disciple, chrétien néoplatonicien, qui utilisait Aristote pour expliquer le christianisme ; Paul d’Egine (625-690), le dernier grand représentant de l’Ecole d’Alexandrie. Avec l’arrivée de l’Islam et la conquête d’Alexandrie (642), l’Ecole de la ville fut fermée, avant d’émigrer à Constantinople, et sa bibliothèque fut incendiée quelques décennies plus tard, peut-être par le huitième calife umayyade Umar II. Nestoriens et jacobites prennent le relais, toujours fondé sur Galien (que les Pères grecs estimaient très proche du christianisme) et sur Hippocrate : l’ensemble formant ce qui fut appelé la Summa Alexandrinorum, comme nous l’enseignera au IXe siècle le savant chrétien Hunyn ibn Ishâq. Et c’est ce corpus qui sera transmis par ces intermédiaires nécessaires aux Arabes nouveaux venus, et utilisé par eux. Ainsi, les premiers califes umayyades installés à Damas feront appel à des médecins locaux grecs, tous issus de l’Ecole d’Alexandrie ; et il ne faut pas oublier qu’ils continueront de former, longtemps encore, la majorité des populations des pays conquis. A Antioche, siège de l’Eglise jacobite, on traduit Aristote, Hippocrate, la Summa Alexandrinorum et les Pères, en langue syriaque, dès le VIe siècle. Puis d’autres traductions suivront en langue arabe.

    VIIIe siècle, l’âge d’or des nestoriens, médecins des califes à Bagdad

    A partir du milieu du VIIIe siècle et de la fondation par Al Mansur (754-775), à Bagdad et non plus à Damas, d’un immense empire, commence l’âge d’or des nestoriens qui deviennent, et jusqu’au XIIIe siècle, les médecins des califes, à Bagdad où ils fondent un hôpital. Ils transmettent aux musulmans le savoir grec antique qu’ils avaient déjà traduit en syriaque depuis au moins le Ve siècle et qu’ils traduisent désormais en arabe, soit directement à partir du grec, soit par l’intermédiaire du syriaque. Tous ces médecins furent toujours de fins lettrés, grammairiens et polygraphes, auteurs d’ouvrages originaux dont certains resteront au programme des universités jusqu’à la fin du Moyen Age. La plus grande figure d’entre eux fut Hunayn ibn Ishaq, déjà cité plus haut (808-873), arabe chrétien, trilingue, philologue, philosophe, historien et médecin, auteur de L’Introduction à la médecine, grand transmetteur de la science grecque, inventeur du lexique médical arabe, qui fut aussi médecin des califes (7). Quant aux jacobites, les plus grands d’entre eux furent Sévère Sebokt (+667), Jacques d’Edesse (+708), auteur d’un Hexaemeron, traité de géographie, de botanique et de zoologie, Stephanos d’Athènes (v.555-v.638), médecin, philosophe et astronome, qui transmit ces textes à Byzance et fut le médecin du roi de Perse, sans oublier l’Iranen Abu Sahal al Masihi (8), chrétien, médecin, logicien, astronome, qui fut le maître d’Avicenne (Ibn Sînâ). Les melkites, qui brillaient déjà dans l’Ecole d’Alexandrie, eurent aussi de grands noms, tels Alexandre de Tralles (525-605), né à Ephèse, le plus grand médecin byzantin du VIe siècle (9), qui vécut entre Byzance et Rome, y exerçant la médecine, son frère, Anthomios, architecte, qui construisit avec Isidore de Milet l’église Sainte-Sophie, Aetius d’Amida (502-575), gynécologue, obstétricien et chirurgien, et Paul d’Egine (625-690), déjà cité, dont l’œuvre fut considérable (10). Tous ces savants traduisaient directement du grec en arabe et furent, dès l’arrivée de la dynastie umayyade (650-750), médecins des califes.

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  • La dentelle du rempart (II)

    Dans cette anthologie de 350 pages, on trouve les points les plus importants de la doctrine de Maurras, non en un exposé sec mais dans une diversité vivante, reflet d'une riche pensée.

    Continuons à parler de La Dentelle du rempart. Les textes qui constituent ce florilège furent choisis par Bernard Grasset et René Brécy (1). On peut imaginer ensuite le contrôle rigoureux et bienveillant de Maurras. Mme Tresguenas-Mistral, digne héritière du poète, glana des Pensées variées « piquées » dans l'intervalle des chapitres « comme pour ouvrir les jours d'une dentelle dans l'épaisseur d'un rude appareil ».

    La nation

    La première partie s'intitule La Terre et la Nation : un extrait du Discours préliminaire de l'Enquête sur la Monarchie montre qu'une nation est une société naturelle qui dure. Une page sur Démosthène défendant l'indépendance athénienne face aux abandons de la démocratie définit le sentiment national. Un texte dédié à Jacques Bainville, La France séquanienne et la France provençale, illustre la richesse et la légitime diversité d'une nation.

    La deuxième partie, Les Conflits de l'histoire, expose, par des exemples, les bienfaits de l'hérédité monarchique en France et, en opposition, les calamités que nous devons à la République (un texte emprunté à Quand les Français ne s'aimaient pas).

    L'Avenir nous présente « l'éducation de Monck », le militaire, le haut-fonctionnaire, l'homme politique républicain repenti qui entreprend de restaurer la monarchie. Mais elle ne se restaure pas comme par enchantement et il ne s'agit pas de remplacer le bonnet phrygien par une couronne sans réformes profondes, sans restauration de l'Ordre après avoir nettoyé les écuries d'Augias. Dictateur et Roi constitue un des plus beaux morceaux d'anthologie. La quatrième partie du recueil s'appelle Principes et Pensées : on y trouve des pages sur la notion d'Ordre, sur l'idée de Civilisation. Le Dilemme de Marc Sangnier fournit l'essentiel du chapitre avec l'Ordre romain et l'Ordre catholique qui le reprend et le transfigure.

    Un exemple et des leçons

    Puis viennent les Poèmes civiques, le magnifique hymne à Paris, d'abord, des extraits de l'Ode à la bataille de la Marne où Maurras chante la civilisation française, enfin des extraits du Mystère d'Ulysse, lourds d'un message crypté de philosophie politique. Sixième partie, Libéralisme et libertés, Démocratie et peuple, définissent clairement des notions trop souvent laissées floues.

    Vient ensuite une longue section consacrée à Romantisme et Révolution, d'après le titre d'un livre dont l'édition définitive (2) donne une des clefs de la pensée de Maurras : y sont réunis Trois Idées politiques et L'Avenir de l'Intelligence, magistrale et prophétique analyse de l'abaissement et de l'asservissement des esprits que nous connaissons. On y voit les ravages esthétiques, moraux et sociaux, donc politiques, d'une façon de sentir et de penser née de Rousseau. Maurras y oppose les certitudes de la science politique.

    La huitième partie se nomme La Guerre. Bien que le premier texte s'intitule Récit des temps mérovingiens, il s'agit de la Grande Guerre qui reste d'actualité quoi qu'en disent les étourneaux qui nous gouvernent. La neuvième partie porte le nom de Sépultures : Maurras y rend hommage aux jeunes gens d'Action française tombés pour la patrie, dont Pierre David, « héros juif d'Action française ». À cet hommage aux morts, il oppose le goût romantique de la mort que symbolise Chateaubriand

    Chacun son tour !

    Enfin, dixième et dernière partie, une Confession politique tirée du Signe de Flore : « Bien qu'on l'ait beaucoup dit, je ne suis pas né royaliste. Je ne suis même pas tout à fait un Blanc du Midi, comme Barrès aimait à l'écrire. » À travers de longs tâtonnements, le jeune Maurras vint à la monarchie et n'eut de cesse d'y entraîner ses contemporains. Qu'après lui, par son exemple et ses leçons, nous y entraînions les nôtres !

    Je recommande à tous, et particulièrement aux jeunes gens, la lecture de ce livre. On y trouve en 350 pages les points les plus importants de la doctrine, non en un exposé sec mais dans une diversité vivante, reflet d'une riche pensée. Comme on y voit l'homme, l'artiste et le penseur, les idées politiques ne sont pas coupées des sources vives de la vie intérieure de Charles Maurras.

    Gérard Baudin L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 3 au 16 décembre 2009

    1 - Nous avons parlé de Bernard Grasset dans le précédent article. René Brécy était le pseudonyme d'Eugène Langevin (1878-1956), collaborateur fidèle et talentueux du quotidien d'Action française. Il participa à de nombreux recueils de textes sur Maurras et Bainville. André Marty le cite souvent dans L'Action française racontée par elle-même (Nouvelles Éditions Latines, 1968).

     

    2 - Bibliothèque des OEuvres politiques, 1928.

  • Samedi 19 septembre, marche pour la Vie à Zurich (Suisse)

    L'évêque de Fribourg est annoncé :

    MPLV

    Toutes les infos ici.

    Louise Tudy

  • SCHMITT, PETERSON, BLUMENBERG LE GRAND DEBAT SUR LA « THEOLOGIE POLITIQUE » Alain de BENOIST

     

    On définit habituellement la sécularisation comme le processus d'autonomisation du politique et, plus généralement, de l'ensemble des pratiques sociales par rapport à l'autorité de l'Eglise et à la matrice religieuse qui organisait, ordonnait et patronnait ces pratiques sociales et politiques sous L'Ancien Régime. La sécularisation se développe à partir du XVIIIe siècle, en grande partie sous l'effet de la philosophie des Lumières, qui va elle-même de pair avec l'autonomisation de la classe bourgeoise vis-à-vis de l'aristocratie et l'autonomisation de la sphère économique et marchande vis-à-vis du politique. Le résultat est que la religion perd toute fonction sociale décisive. Elle ne légitime plus le pouvoir politique. Apparaît alors une hétéronomie nouvelle résultant de l'autonomie de l'Etat, puis de la société, par rapport au pouvoir spirituel ou de droit divin. Bernard Bourdin parle très justement de « passage de la primauté de la médiation ecclésiale sur l'ordre politique à la primauté de la médiation de l'Etat sur l'ordre religieux » passage qui signifie que le rapport analogique entre l'ordre terrestre et le gouvernement de Dieu n'existe plus. Les croyants sont toujours là, mais leur croyance est assimilée à une opinion parmi d'autres au sein de la société civile. Les institutions religieuses se retrouvent cantonnées dans la gestion du for intérieur. On assiste, en d'autres termes, à une privatisation de la foi. Parallèlement, l'expansion de la rationalité instrumentale au sein de la société parachève le « désenchantement du monde » (Entzauberung der Welt) évoqué par Max Weber, qu'il faut aussi entendre comme bureaucratisation et mécanicisation progressive du monde.

     

    Qu'elle se rapporte au transfert de la médiation ecclésiale sur l'Etat souverain (Hobbes et Spinoza) ou à la neutralisation de toute médiation hiérarchiquement forte, aussi bien ecclésiologique que politique (John Locke), la sécularisation, terme éminemment polysémique (on notera qu'il apparaît dès 1559 dans la langue française avec un sens péjoratif), apparaît donc avant tout comme une rupture. Mais la question qui se pose est celle de la réalité (ou du degré de réalité) de cette rupture. Si l'on se borne à définir la sécularisation comme retrait de la religion de la sphère dominante et reconstruction des institutions sur une base « rationnelle », la rupture n'est évidemment pas contestable. « Mais si la sécularisation désigne essentiellement un transfert du contenu, des schèmes et des modèles élaborés dans le champ religieux, si la religion continue ainsi d'irriguer les temps modernes à leur insu, le théorème de la sécularisation constitue une mise en question des deux croyances modernes fondamentales. Les temps modernes ne vivraient que d'un contenu légué, hérité, malgré les dénégations et les illusions d'autofondation. Les temps modernes ne seraient pas alors des temps nouveaux, fondés et conscients de leurs fondements, mais ne seraient que le moment où s'effectue un changement de plan, une "mondanisation" du christianisme »2. D'où cette question fondamentale : « Les temps modernes constituent-ils l'époque du retrait de la religion comme secteur dominant et de l'autoaffirmation de l'homme par la seule raison, ou bien la prétention de fonder la pensée et la société sur des fondements neufs n'est-elle qu'une illusion, contredite par le transferts de contenus religieux au centre même des élaborations de la raison moderne ? »3

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  • Succès des Journées Chouannes 2015

    Dimanche 6 septembre 2015, 23h00 : Au fin fond de notre petit Poitou discret, un énorme cri de victoire fait trembler les murs de la préfecture. C’est notre bande d’irréductibles Gaulois qui autour du traditionnel « banquet de la fin » exprime leur joie d’avoir réussi leur mission.


    Journées Chouannes 2015 par CHIRE-DPF

    LES JOURNÉES CHOUANNES 2015 ONT ÉTÉ TOUT SIMPLEMENT UN PUR SUCCÈS !

    Viviane Lambert, Roberto de Mattei, Roger Holeindre, Elise Humbert, Henri Servien, l’abbé Labouche, Olaf, l’abbé Pagès, Etienne Couvert, Francine Bay… Tous ces grands noms se sont succédé pour animer dignement notre rassemblement annuel et la foule de nos amis, de plus en plus nombreuse chaque année, se pressait autour d’eux pour obtenir leur dédicace.

    Nous nous réjouissons, à Chiré, d’observer que le public est toujours présent, fidèle et apôtre, puisque le nombre d’entrée gonfle sans cesse, jusqu’à dépasser les 1200 cette année !

    Si nous devions retenir qu’une chose de ces journées, ce serait : l’ambiance générale, cette ambiance qui est devenue mythique, ambiance de franche amitié réunissant autour de quelques tables éparses des personnes de sensibilité, de pensée, d’horizons différents mais qui se rejoignent toutes dans un amour effectif de la France.

    Et, pour respecter les grandes traditions françaises, tout s’articule autour des deux grands événements notables : le Banquet du samedi soir (350 couverts) et celui du dimanche (450 couverts) ! C’est la troisième année consécutive que Chiré gère l’intendance de la pitance du soldat et l’équipe est fameusement rodée sous les ordres de deux femmes hors du commun qui ne ménagent pas leur peine ! Cuisine et service sont assurés par la maison qui brigue maintenant sa première étoile !

    C’est à vous en premier lieu, conférenciers, auteurs ou journalistes, vous qui consacrez votre vie à la défense de la Vérité, que vont nos plus chaleureux remerciements. Cette journée est la vôtre et sans vous, elle n’aurait aucun sens.

    Et bien sûr nous voulons vous exprimer toute notre gratitude à vous, chers amis lecteurs, fidèles de Chiré, qui nous témoignez votre sympathie toute l’année, qui travaillez activement à la Diffusion de la Pensée Française en lisant vous-même et en répandant autour de vous notre littérature de combat. Ce militantisme est le seul espoir de la France !

    Souhaitons-nous de se retrouver l’an prochain, toujours plus nombreux, pour une éditions spéciale des Journées Chouannes : Les 50 ans de Chiré !

    Notez d’ores et déjà que ces Journées Chouannes (que l’on vous promet légendaires) auront lieu les 3 et 4 septembre 2016.

    De notre envoyé spécial à Chiré

    http://www.lectures-francaises.info/2015/09/11/journees-chouannes-2015/?utm_source=Sarbacane&utm_medium=email&utm_campaign=LF+Bilan+JC+2015

  • Spengler par Roger Hervé

    Le 8 mai 1936, mourait à Munich l’un des hommes qui ont le plus fait, dans la crise profonde de la défaite allemande, pour maintenir intact le moral de son pays et rendre possible un redressement : celui que nous voyons se développer sous nos yeux. Cet homme est en outre un cerveau de premier ordre, un de ces savants gigantesques — comme il en apparaît quelques-uns au cours de l’histoire de l’Europe, depuis Roger Bacon jusqu’à Vinci, Descartes, Newton, … — sorte de Titan spirituel, sur les découvertes duquel repose, avouée ou non, une grande partie de l’orientation de la pensée contemporaine.

    Ce philosophe — puisque les travaux historiques d’Oswald Spengler sont en quelque sorte “enveloppés” dans une philosophie — a été cependant assez peu remarqué en France, dans la période qui a suivi immédiatement la Première Guerre mondiale (1). En Allemagne, son Déclin de l’Occident (Untergang des Abendlandes) a connu un succès sans précédent pour un ouvrage aussi sévère, puisqu’il dépasse aujourd’hui le 110e mille — succès d’actualité, mais également succès de profondeur. Le livre venait “à son heure”, au moment où la défaite semblait contredire les aspirations de la grande majorité des Allemands et les livrer au désespoir ; il leur démontrait, par l’alliance d’une immense érudition et d’une pensée rigoureuse, l’inanité de la philosophie du progrès généralement admise et les voies qu’ils devaient adopter désormais, s’ils voulaient se relever.

    Aujourd’hui, les idées de Spengler ont disparu au second plan, dépassées qu’elles sont par la poussée plus apparente des sentiments de race, des mystiques de l’ordre, voire même de la pure apologie de la force. Elles n’en subsistent pas moins dans le domaine intellectuel — face à l’expansion véritablement angoissante du raisonnement matérialiste dans la masse des peuples blancs — comme l’expression profonde et authentique de tous les jeunes mouvements révolutionnaires, de ceux qui ne veulent pas subir la “mécanisation” envahissante, et qui ne la subiront pas. Il serait temps qu’en France, et particulièrement en Bretagne, cet ensemble de découvertes de l’ordre psychologique soit pris à sa juste valeur, que l’âme celtique soit mise désormais, et maintenue irrémédiablement, en face d’un système qui lui est si intimement apparenté et qui, convenablement appliqué, peut faire jaillir son renouveau.

    Oswald Spengler est né en 1880, dans la petite ville de Blankenburg-en-Harz. De confession luthérienne, comme un grand nombre de ses compatriotes, il fit des études littéraires et scientifiques très complètes aux grandes Universités de Halle, Munich, Berlin, et il fut reçu docteur en philosophie en 1904 avec une thèse sur l’ancien penseur grec Héraclite d’Éphèse. Il nous raconte lui-même, dans l’Introduction de son grand ouvrage (paragr. 16), comment il fut amené, dans les années qui précédèrent la guerre de 1914, à concevoir toute l’étendue de son système de l’histoire (2). Les approches d’un grand conflit européen ne lui ont pas échappé ; cette marche fatale des événements l’inquiète : « En 1911, étudiant certains événements politiques du temps présent, et les conséquences qu’on en pouvait tirer pour l’avenir, je m’étais proposé de rassembler quelques éléments tirés d’un horizon plus large ». En historien, il tente de comprendre sans parti-pris, de s’expliquer les tendances actuelles à l’aide de son expérience des faits anciens : « Au cours de ce travail, d’abord restreint, la conviction s’était faite en moi que, pour comprendre réellement notre époque, il fallait une documentation beaucoup plus vaste. […] Je vis clairement qu’un problème politique ne pouvait pas se comprendre par la politique même et que des éléments essentiels, qui y jouent un rôle très profond, ne se manifestent souvent d’une manière concrète que dans le domaine de l’art, souvent même uniquement dans la forme des idées. […] Ainsi, le thème primitif prit des proportions considérables ».

    L’histoire de l’Europe lui apparaît dès lors sous un jour tout nouveau : « Je compris qu’un fragment d’histoire ne pouvait être réellement éclairci avant que le mystère de l’histoire universelle en général ne fût lui-même tiré au clair. […] Je vis le présent (la guerre mondiale imminente) sous un jour tout différent. Ce n’était plus une figure exceptionnelle, qui n’a lieu qu’une fois, mais le type d’un tournant de l’histoire qui avait depuis des siècles sa place prédéterminée ». Un système s’est fait en son esprit, qui ne lui laisse plus de doutes sur la marche générale de l’histoire — et point seulement celle de notre civilisation européenne : « Plus de doute : l’identité d’abord bizarre, puis évidente, entre la perspective de la peinture à l’huile, l’imprimerie, le système de crédit, les armes à feu, la musique contrapuntique et, d’autre part, la statue nue, la polis, la monnaie grecque d’argent, en tant qu’expressions diverses d’un seul et même principe psychique ». Chaque civilisation suit un cours qui lui est propre, avec une rigueur entière et véritablement impressionnante. Du même coup, il a saisi le sens profond de l’inquiétude de l’homme moderne et il en ressent comme une assurance, délivré qu’il est de ses manifestations multiples et contradictoires :

    « Une foule de questions et de réponses très passionnées, paraissant aujourd’hui dans des milliers de livres et de brochures, mais éparpillées, isolées, ne dépassant pas l’horizon d’une spécialité, et qui par conséquent enthousiasment, oppressent, embrouillent, mais sans libérer, marquent cette grande crise. […] Citons la décadence de l’art, le doute croissant sur la valeur de la science ; les problèmes ardus nés de la victoire de la ville mondiale sur la campagne : dénatalité, exode rural, rang social du prolétariat en fluctuation ; la crise du matérialisme, du socialisme, du parlementarisme, l’attitude de l’individu envers l’État ; le problème de la propriété et celui du mariage, qui en dépend. […] Chacun y avait deviné quelque chose, personne n’a trouvé, de son point de vue étroit, la solution unique générale qui planait dans l’air depuis Nietzsche. […] La solution se présenta nettement à mes yeux, en traits gigantesques, avec une entière nécessité intérieure, reposant sur un principe unique qui restait à trouver, qui m’avait hanté et passionné depuis ma jeunesse et qui m’affligeait, parce que j’en sentais l’existence sans pouvoir l’embrasser. C’est ainsi que naquit, d’une occasion quelque peu fortuite, ce livre… Le thème restreint est donc une analyse du déclin de la culture européenne d’Occident, répandue aujourd’hui sur toute la surface du globe ».

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  • Libre Journal de l'Espérance - 6 septembre 2015 (1ère partie)

  • Julius Evola : « Psychanalyse de la contestation »

    Un des signes de l’affaiblissement de la culture actuelle est l’attention qu’on accorde à ce qu’on appelle le mouvement contestataire en général, et, en particulier, comme ne soit pas important, au contraire : mais il ne l’est que factuellement, comme signe des temps, et c’est uniquement en ces termes qu’il devrait être envisagé.

    Le « virus » des courants en question est une réaction violente contre les aspects négatifs du monde actuel ; mais ce qui est encore plus caractéristique, c’est qu’il ne s’agit dans tout cela que de manifestations instinctives désordonnées et anarchisantes, qu’on ne justifie en aucune manière en indiquant ce au nom de quoi on nie et on conteste. Même s’il n’était pas évident qu’elle obéit à des influences marxistes ou communistes, le fond « existentiel » de cette jeunesse contestataire n’en serait pas moins suspect.

    Un de ses dirigeants, Cohn-Bendit, a déclaré que ce pour quoi il lutte, c’est l’avènement d’un « homme-nouveau » : mais on a oublié de dire ce qu’est cet « homme-nouveau », et, si jamais il devait avoir pour modèle l’immense majorité des contestataires actuels dans leur individualité, leur comportement et leurs choix électifs, il n’y aurait qu’à dire : non merci, on s’en passera.

    En raison de l’absence d’une vraie contrepartie et la prédominance d’un fond irrationnel, on peut dire, sans être malveillant, que le mouvement contestataire mériterait une étude existentielle et psychanalytique plus qu’une analyse culturelle. Il nous semblait que c’était là le cadre que s’était tracé M. Moreno, dans une brochure récemment publié aux Éditions RAI sous le titre de Psychodynamique de la contestation, puisque cet auteur est un spécialiste dans le domaine des recherches psychologiques modernes.

    Mais, à la lecture, il apparaît qu’il manque au fond à ces recherches les principes nécessaires pour parvenir à des résultats sérieux et plausibles.

    Quand, dans cette étude de Moreno, comme caractéristiques principales du mouvement contestataire contemporain, on indique l’anti-autoritarisme et, en conséquence, la défense de l’instinct contre toute forme de « répression » (particulièrement dans le domaine sexuel), puis l’anarchisme, on ne va pas au-delà de ses aspects les plus évidents et tapageurs ; on ne touche pas encore le domaine des impulsions profondes et inconscientes dont s’occupe la psychanalyse. On n’entre dans ce domaine que lorsque, après avoir défini comme « patriarcal » (en se référent à l’exercice correspondant d’une autorité) le type de système qu’on conteste, on fait intervenir le fameux complexe d’Œdipe.

    Pour la psychanalyse freudienne, et, comme on le sait, c’est un de ses dogmes, chacun de nous souffrirait de ce complexe, conçu comme un sombre héritage ancestral revivifié par certaines expériences infantiles présumées ; la révolte qu’il comporte contre le père va jusqu’à la volonté de le supprimer. L’explosion collective de ce complexe latent serait une des racines souterraines de la contestation actuelle.

    Tout ceci n’est guère convaincant. Il faudrait d’abord démontrer que le « système » actuel est marqué par l’idée du « père » et de son autorité. Or, tout au plus, cela pouvait être le cas en partie, pour l’Europe jusqu’à la première guerre mondiale, mais, dans le monde actuel, ce qui règne, c’est la démocratie, le socialisme, l’égalitarisme, le socialitarisme, et ainsi de suite, qui ont tous le signe contraire, car, comme quelqu’un l’a affirmé à juste titre, toutes ces formes politico-sociales ont un caractère « féminin » et « maternel ». Ce qui, en revanche, a le signe masculin et paternel, c’est cet État monarchique, aristocratique et hiérarchique dont il est actuellement difficile de trouver encore quelques traces. Mais, pour réfuter et expliquer tout à la fois la thèse œdipienne, on peut se référer avant tout à la théorie psychanalytique, car elle reconnait l’« ambivalence » du complexe d’Œdipe : celui qui en est atteint déteste le père tout en l’admirant et en l’enviant ; il veut l’éliminer seulement pour prendre sa place et jouir de ses privilèges.

    Or, ce qui est remarquable, c’est que cet aspect est absent de l’arrière-plan de la « contestation ». Le « père » n’est nullement « admiré » et « envié ». On ne veut pas prendre sa place. Toute forme d’autorité fait voir rouge à la nouvelle génération. C’est donc là que ressort l’autre caractéristique, celle que nous avons déjà signalée, l’aspect purement, hystériquement anarchique, auquel, au fond tout le reste sert ici de prétexte.

    Ceci témoigne, du point de vue humain général, d’un phénomène régressif. Il conviendrait d’avoir une bonne fois pour toutes les idées claires sur cette « répression » tant critiquée. Platon a dit qu’il vaut mieux que celui qui ne dispose pas en lui d’un principe souverain l’ait au moins en dehors de lui.

    Tout ordre normal comporte certaines limitations, qui ne visent pas tant à contraindre qu’à soutenir celui qui n’est pas capable de se donner une loi, une forme, une discipline. Naturellement, un système peut entrer en crise et se scléroser ; ces limitations peuvent alors prendre un aspect étroit, simplement « répressif », pour tenter de contenir encore, dans une certaine mesure, le désordre et la dissolution.

    Mais, dans ce cas, pour passer à la « contestation », il faudrait se justifier, c’est-à-dire montrer qu’il ne s’agit pas là d’une simple aversion pour toute discipline intérieure, mais bien de l’élan vers une vie plus authentique. Mais, actuellement, on est loin de pouvoir constater quelque chose de semblable.

    Il est à constater au contraire que les individus s’identifient à la partie instinctive, irrationnelle et informe de l’être humain (à son « sous-sol »), partie qui, dans tout type humain supérieur, n’est pas « refoulé » de manière étroite, mais tenue à une certaine distance et freinée. Les liens du mouvement contestataire avec la soit-disant révolution sexuelle dans ses aspects les plus troubles et hybrides, la connivence avec des « petits chefs », des drogués et d’autres individus du même genre, sont significatifs, tout comme le spectacle qu’offrent certains secteurs dans lesquels un système « répressif » est de plus en plus supplanté par le système « permissif ».

    Que fait-on de ce nouvel espace, de cette nouvelle liberté ? Il y a de plus en plus de symptômes qui montrent que toute la « révolte » est conditionnée par le bas, contrairement à cette révolte, au fond aristocratique, qui pouvait encore caractériser certains individus de la génération précédente, à commencer par Nietzsche, par le meilleur Nietzsche. Ce sont justement certaines phrases de Nietzsche (auteur qui n’est jamais mentionné par les contestataires actuels, qui se sont entichés de Marcuse et compagnie, parce qu’ils sentent instinctivement que sa révolte, beaucoup plus vaste, est de nature différente, aristocratique) qu’il convient de citer ici.

    Zarathoustra dit : « Tu te dis libre ? Je veux connaître ta pensée maîtresse, mais non pas apprendre que tu as échappé à un joug. Es-tu quelqu’un qui avait le droit de s’échapper d’un joug ? Il en est qui perdent leur dernière valeur en rejetant leur sujétion. Libre de quoi ? Qu’importe à Zarathoustra ? Mais ton œil clair doit m’annoncer : libre pour quoi ?« 

    Et Zarathoustra d’avertir que le solitaire qui n’a aucune loi au-dessus de lui, qui n’a que sa liberté informe, court à sa perte.

    Quand on veut déterminer l’origine de la force motrice et de la « psychodynamique » du mouvement contestataire, on voit donc qu’elle est bien située dans cette zone obscure de l’être humain au fond subpersonnelle et infra-intellectuelle, élémentaire, sur laquelle la psychanalyse a concentré l’attention ; ce sont des manifestations régressives et explosives de ces couches, analogues aux nombreuses fissures d’un monde en crise. Reconnaître les aspects contestables et méprisables de ce monde n’y change rien. Quand un mouvement révolutionnaire manque de valeurs authentique restauratrices et n’est pas porté par un type humain représentant une légitimité supérieure, il faut s’attendre à passer un stade encore plus critique et destructif que celui dont on est parti.

    Puisque les présentes notes s’inspirent de la brochure de Moreno, nous ferons remarquer, pour finir, que ce professeur de psychiatrie, après avoir mentionné l’interprétation œdipienne purement freudienne de l’arrière-plan inconscient de la contestation, la critique et la rejette partiellement, et considère qu’on devrait plutôt faire appel à une théorie de C. G. Jung. Comme on le sait, la conception de Jung est quelque peu différente de celle de Freud. Il a repris de Platon le concept d' »archétype » et l’a transposé du plan métaphysique sur celui de l' »inconscient collectif ». Dans l’inconscient collectif vivraient encore à l’état latent, dans les profondeurs de l’individu, certaines structures dynamiques, les « archétypes », qui pourraient réapparaître dans certaines conditions critiques, individuelles ou collectives, transportant les personnes. Il y aurait plusieurs archétype de ce genre, liés à certaines « figures » symboliques. L’un d’eux serait le puer aeternus, incarnation de l’aspect préconscient et originel de l’âme collective qui, comme l’enfant, est« devenir en puissance », et, par conséquent, principe de renouvellement, de revitalisation de tout ce qu’un individu ou une culture a rejeté ou refoulé.

    Or, à la lumière de la psychanalyse, selon Moreno, le mouvement contestataire témoignerait de l’irrésistible émergence de cet archétype, du puer aeternus, dans la nouvelle génération, qui ne se reconnait plus dans les symboles surannés que lui impose le « système ». Somme toute, son jugement final est positif.

    Pour suivre Moreno dans cette construction tirée par les cheveux, il faudrait d’abord que nous prenions au sérieux la « mythologie » de Jung, que nous rejetons au contraire tout autant que celle de Freud, pour des raisons que nous avons eu l’occasion d’exposer ailleurs. Au fond, cette lubie du puer aeternus ne nous semble pas très différente de la fétichisation de la jeunesse, autre phénomène régressif contemporain : le jeune, voix de l’avenir, détenteur de valeurs nouvelles et authentiques, à qui on devrait tout permettre, et de qui on devrait apprendre, au lieu de l’éduquer et de le former.

    D’autre part, une fétichisation de l’enfant lui-même était déjà partie des anticipations anti-autoritaires de la pédagogie de Montessori et d’autres, et elle s’est poursuivie avec la découverte de l’enfant « créateur », « artiste », et ainsi de suite. Avec Jung, le puer est passé au rang d’archétype, et, comme on l’a vu par l’interprétation de Moreno, au rang d’archétype révolutionnaire positif.

    L’image au fond sympathique que Freud avait brossée de l’enfant, en le présentant au contraire comme un « pervers polymorphe », a donc été invertie. Pour notre part, nous sommes prêt à accepter qu’il y ait un puer aeternus en acte dans le subconscient des contestataires (selon les vues de Moreno), mais seulement en prenant l’enfant comme tel, démythifié, et, donc, en nous référant à un état de nature ou à un infantilisme fort ennuyeux.

    Puer aeternus ou non, il conviendrait donc de l’envoyer au lit, tout virulent et tyrannique qu’il soit, si nous ne vivions pas dans un monde défaitiste.

    Julius Evola

    Phénoménologie de la subversion, 1984

    Troisième partie : La soit-disant contestation globale,

    Chap. II : Psychologie de la « contestation »

    Édition de l’Homme Libre, 2004, p. 129-135.

    SourceFront de la Contre-Subversion

    http://la-dissidence.org/2015/09/02/julius-evola-psychanalyse-de-la-contestation/