De Jean-François Chemain dans La Nef :
"La tradition romaine est celle d’une religion civique, au service des intérêts de la Cité. Parce que le christianisme fut la première religion à refuser d’être instrumentalisée par le politique, et de le sacraliser, lui, et lui seul, fut persécuté. Quand l’Empire romain devint chrétien, à partir de la conversion de Constantin, au IVe siècle, le christianisme se mua en religion impériale, seule autorisée à partir de 392. L’empereur se mêle des affaires de la religion chrétienne, n’hésitant pas, par exemple, à intervenir dans les conciles. [...]
Au IVe siècle, l’Empire est devenu chrétien, mais sa partie occidentale n’a pas tardé à s’effondrer. C’est alors que l’Église a pu conquérir une relative liberté et s’affirmer comme autorité spirituelle, mais aussi politique, puisqu’elle s’est trouvée, à partir de 752, à la tête d’un État. Commence une longue période où les héritiers de l’Empire romain, les Byzantins, les Carolingiens, le Saint Empire, ont tenté de la remettre sous leur tutelle. Elle a résisté, ce qui a conduit au Schisme d’Orient, l’empereur byzantin n’admettant pas que « son » Église obéisse à l’évêque de Rome. En Occident, la querelle a porté plusieurs noms : « querelle des Investitures » à la charnière des XIe et XIIe siècles, « lutte du Sacerdoce et de l’Empire » à la fin du XIIe siècle et au début du XIIIe... Les empereurs prétendaient nommer les papes et les évêques. Après la mort de l’empereur Frédéric II, en 1250, l’Empire était très affaibli, mais l’Église a alors vu naître d’autres concurrents : les États nationaux, dont les souverains, à leur tour, rêvent de contrôler « leur » religion. Cela a conduit à des schismes, comme en Angleterre, ou dans les pays protestants, où les considérations politiques n’ont jamais été étrangères à la rupture. En France, avec le gallicanisme, on n’en est pas arrivé là, mais au prix de l’octroi au roi de prérogatives religieuses, comme de nommer les évêques.
La Révolution française a été marquée par un interventionnisme forcené de l’État dans les affaires de l’Église : confiscation de ses biens, interdiction des vœux monastiques, obligation pour le clergé de prêter serment à sa Constitution civile, puis fonctionnarisation du clergé, avec le Concordat de 1801, dans un climat de vexation et de contrainte contre ceux qui refusaient une telle ingérence. Pendant un siècle, en France, l’Église a vécu dans une soumission à l’État du fait de la rémunération du clergé – contrepartie de la renonciation à ses biens confisqués : un prêtre dont les propos déplaisaient au préfet était privé de son traitement, et les écrits du pape ne pouvaient être publiés en France qu’après validation par le Conseil d’État ! Pourtant, dès 1880, la IIIe République commence une guerre sans merci contre l’Église, dans le but avoué de l’éradiquer comme incompatible avec la démocratie. C’est ainsi que le vote de la loi de 1901 sur la liberté d’association a conduit à l’expulsion des congrégations, seules exclues de ce droit. La loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État, qui suspend la rémunération du clergé et nationalise les biens qui appartenaient encore à l’Église, n’était qu’une étape... Seule l’Union sacrée, au cours de la Première Guerre mondiale, a pu mettre fin à cet acharnement, et l’on a pu vivre un XXe siècle apaisé, même si les vieux démons anti-chrétiens ressortent régulièrement, notamment à gauche. [...]
La conception religieuse des Lumières oscille entre l’athéisme au nom de la « raison », et un déisme niant toute révélation, avec un dieu théorique et lointain, « Être Suprême », « Grand Architecte », le tout dans un contexte où l’État, seule autorité rationnelle, serait un rempart contre le fanatisme des religions « positives ». On a là en germe tous les errements, depuis la Révolution française jusqu’à M. Peillon. L’État devrait non seulement contrôler la religion, mais même la produire, si ce n’est être objet de religion. C’est l’essence du totalitarisme.
Combattre ou nier le christianisme, c’est affaiblir la laïcité, écrivez-vous ; pourriez-vous nous expliquer cela ?
La laïcité est une exigence de l’Église, qui refuse de n’être qu’un instrument des États. Ils ne le lui pardonnent pas. On a glissé de la distinction entre les deux ordres, coopération féconde, à leur séparation, dans un contexte d’anticatholicisme d’État. Mais puisque l’Église est la racine de la laïcité, lutter contre elle revient à tuer l’arbre qui, bientôt, ne donnera plus de fruits. [...]"
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