Rééditions de mémoires, d’études, de romans introuvables, nouveautés romanesques : la Vendée, la chouannerie et leurs avatars sous l’Empire conservent un public de passionnés.
Un document essentiel
L’implication de la noblesse dans le conflit vendéen eut pour l’historiographie l’avantage de susciter, dès 1796, la publication de nombreux Mémoires traitant des événements tels qu’avaient pu les vivre des témoins proches des généraux ou membres de l’état-major royaliste. La chouannerie, mouvement à l’encadrement rural et populaire, du moins dans sa première phase, n’a pour ainsi dire rien laissé de comparable, soit qu’une mort prématurée n’eût pas donné loisir aux protagonistes de s’exprimer, soit que leur analphabétisme les en eût empêchés.
Les souvenirs de Pontbriand ou de Tercier, à plus forte raison le long plaidoyer pro domo du comte de Puisaye, ne rendent compte, imparfaitement, que de telle ou telle phase des soulèvements et n’expriment pas le sentiment et les motivations des hommes qui firent et qui furent la chouannerie. À l’exception, notable et prestigieuse, de Michel Moulin, dit Michelot, fils dun taillandier de Saint-Jean des Bois, dans l’Orne, qui fut le premier à prendre les armes en Normandie dès 1793 et ne les rendit qu’à la Restauration, au terme d’extravagantes péripéties dont il se tira vivant.
Les Mémoires de Moulin représentent, pour tous ceux qui s’intéressent à la chouannerie, un document de première main, essentiel, et qu’il était impossible, hélas, de consulter, sinon en quelques bibliothèques. Quant aux rares exemplaires disponibles chez les libraires d’anciens, leur prix les rendait inaccessibles. Un éditeur de province a eu lidée de les rééditer dans l’édition de 1893, la seule que l’on puisse regarder comme complète, fiable et définitive. Ce texte, touchant, honnête, précis, est un exceptionnel écho de la guerre des bocages de l’Ouest ; tout royaliste devrait le posséder.
Chouannerie bretonne
L’abbé François Cadic appartenait à une famille paysanne du Morbihan, viscéralement catholique, qui avait chouanné avec Cadoudal et n’avait jamais jugé utile de s’en repentir. Élevé dans le culte des aïeux levés pour Dieu et pour le Roi, le jeune prêtre, diplômé d’histoire, consacra, il y a un siècle, ses loisirs à collecter tous les documents, souvenirs locaux, traditions orales qui demeuraient et pouvaient permettre d’éclairer avec clarté, précision et piété filiale, la lutte de la Bretagne contre la Révolution.
Ce travail colossal parut dans La Paroisse bretonne, journal des Bretons de Paris, de 1908 à 1918. Le but du recteur historien était, à terme, de réunir cette masse d’articles et de faire éditer cette Histoire populaire de la chouannerie, titre qui résumait ses préoccupations : instruire, transmettre, édifier. Le livre ne vit pas le jour, peut-être parce que sa taille effrayait les éditeurs, plus sûrement parce que le bon prêtre avait trop franchement annoncé la couleur et dénoncé avec trop de véhémence de grands ancêtres en lesquels, reprenant la thèse dAugustin Barruel, il voyait des pions entre les mains de la maçonnerie. La cause semblait désespérée, et les neveux, puis les petits-neveux de l’abbé Cadic, ne parvinrent pas, après sa mort, à exaucer ses vœus de publication.
Il faut d’autant plus saluer les éditions Terre de Brume d’avoir pris le pari, et le risque, de publier, en deux tomes de six cents pages à l’impression serrée, ce magnifique travail de recherche et d’érudition d’une scrupuleuse probité. Sans doute a-t-il été jugé utile de précéder le livre d’une préface adoucissant, en les resituant dans le climat de la séparation de l’Église et de l’État, donc en le faisant passer sur le compte des passions et de murs démodées, les indignations de l’abbé Cadic, mais peu importe, puisque est enfin disponible cette grande fresque inspirée et documentée de la chouannerie bretonne, telle que la ressentaient, loin des analyses en vogue, les petits-fils de ceux qui l’avaient vécue.
Ultime trilogie
Entre 1857 et 1870, année de son décès, Alexandre Dumas, ruiné par son goût du faste et des entreprises de presse inconsidérées mais répétées, se voit obligé, après une éclipse, de renouer avec le métier de romancier. En sortira, s’étalant sur ces treize années, une ultime trilogie historique, complément naturel de son projet décrire « le drame de la France », qui court de 1793 à 1805, et serait certainement allée plus loin si la mort n’avait interrompu avant le point final le troisième volume, Le chevalier de Sainte-Hermine.
Il était logique, après avoir l’an passé révélé au public les mille pages retrouvées de cet inédit, de lui offrir les deux volets précédents, difficiles à se procurer, Les compagnons de Jéhu, et Les Blancs et les Bleus. C’est chose faite, dans une version entièrement révisée, annotée, et complète, car les chapitres coupés par la pointilleuse censure de Napoléon III et jamais rétablis y figurent. Les compagnons de Jéhu, écrits en 1857, sont le dernier très grand roman de Dumas. Sur une intrigue historique fragile, qu’il avait empruntée à son ami Nodier, et qui plonge dans la perspicacité les historiens, prêts à dénier toute réalité ou presque à ce groupe royaliste de la vallée du Rhône, Dumas mettait en scène des brigands animés de vertueuses intentions politiques et au comportement chevaleresque, conduits par le séduisant Morgan, qui gênaient fort les ambitions de Bonaparte. En dépit d’un dénouement grandguignolesque qui gâte un peu l’ensemble, il s’agit dun de ces romans qui n’accordent guère de répit au lecteur et que l’on découvrira, dépoussiéré, avec un plaisir intact.
Publiés en 1867, Les Blancs et les Bleus, où l’on retrouve Charles de Sainte-Hermine, alias Morgan, et Roland de Montrevel, son frère ennemi aide de camp de Bonaparte, précèdent, si l’on suit la chronologie du récit, Les compagnons de Jéhu. Structure et procédés y sont très différents. Pas de roman historique ici, mais, de l’avis même de Dumas, de l’histoire romancée. L’intrigue, les personnages, y sont prétexte à raconter la Révolution, le Directoire, Brumaire, à mettre en scène Saint-Just dans sa version la plus romantique, et la moins exacte, Pichegru, les Beauharnais, Cadoudal, son aide de camp Coster de Saint-Victor, et beaucoup d’autres. D’abord déconcerté, le lecteur, cependant, est vite emporté par l’immense talent de conteur de Dumas qui sait rendre, comme personne, une ambiance, une atmosphère, une époque.
Les épées du Roi
Mars 1814 : Napoléon oppose à l’envahisseur, au long de la campagne de France, toute l’étendue de son génie stratégique. En vain. Le pays est las et inquiet, l’Empire a perdu le soutien du peuple. L’idée de Restauration est dans l’air et les mouvements royalistes, si longtemps réduits à une clandestinité dangereuse, sortent de l’ombre, décidés à préparer l’opinion au retour des Bourbons.
Parmi eux, un mystérieux groupuscule, les Épées du Roi, adepte des méthodes fortes. Ne viennent-ils pas de revendiquer l’assassinat d’un officier en charge de la défense parisienne ? Bien connu des autorités impériales pour l’efficace discrétion mise à résoudre de pénibles séries de crimes commis dans le sillage de la Grande Armée, le major Quentin Margont est chargé par Joseph Bonaparte d’infiltrer les Épées du Roi, avec la complicité d’un membre du groupe, joueur invétéré perdu de dettes. Mais, très vite, Margont se pose des questions sur les objectifs de militants aux passés multiples et dont les ambitions ne le sont pas moins. Les cartes ne seraient-elles pas infiniment plus brouillées qu’il y paraît ?
Armand Cabasson publie, avec La mémoire des flammes, la troisième enquête de Margont sur fond de batailles napoléoniennes. Dans sa subtilité, ce volume est sans doute le meilleur de la série.
Violence aveugle
Philippe Potier, entrepreneur protestant d’Uzès, sa fiancée, Germaine, et leurs domestiques ont péri brûlés vifs dans l’incendie criminel d’une maison de campagne le 27 août 1815. Pour la mère du jeune homme, ce drame s’inscrit dans la série des violences perpétrées en Provence et en Languedoc contre les protestants, les républicains, les bonapartistes par de prétendus séides de Louis XVIII. Mme Potier croit même connaître l’instigateur de ce crime : le chevalier Canon de Présant, agent royaliste notoire qui avait, certes, sauvé la vie de son fils mais était follement amoureux de Germaine. Décidée à faire condamner les assassins, Madeleine Potier engage Maître Tonnerre, officier de dragons devenu notaire, à charge pour lui de révéler la vérité et d’obtenir justice. Mais pourquoi la vérité serait-elle d’obligation conforme aux préjugés et aux haines des intéressés ?
Avec Terreur blanche, Gildard Guillaume explore l’un des épisodes les plus passionnément dénoncés de l’époque, qui sert, depuis deux siècles, à contrebalancer les forfaits révolutionnaires. Il le fait avec intelligence, probité, raison, démythifiant les faits pour peindre le tableau d’une société déstabilisée, aux autorités démissionnaires, où la violence aveugle se pare de couleurs politiques. Cette analyse remarquable ne nuit pas à une intrigue menée tambour battant, à des personnages bien campés et à quelques scènes d’anthologie.
Anne Bernet L’Action Française 2000 du 15 juin au 5 juillet 2006
* Michel Moulin : Mémoires, La Découvrance (BP 1, 17540 Bouhet, 365 p.), prix non communiqué.
* Abbé François Cadic : Histoire populaire de la chouannerie, Terre de Brume (74 rue de Paris, 35000 Rennes), deux tomes de 590 p., 25 euros chacun.
* Alexandre Dumas : Les compagnons de Jéhu, Phébus, 660 p., 22 euros ; Les Blancs et les Bleus, Phébus, 740 p., 24 euros.
* Armand Cabasson : La mémoire des flammes, 10-18, 320 p., 7,30 euros.
* Gildard Guillaume : Terreur blanche, Fayard, 410 p., 20 euros.