Figure majeure de la dissidence enracinée, Jean-Yves Le Gallou a participé depuis plus de 40 ans à de nombreuses initiatives tant sur le terrain électoral que sur celui du combat culturel. Il se consacre désormais à ce dernier, dans une perspective gramsciste assumée. La fondation Polémia, dont il est le président en est une belle illustration. Troisème et dernier volet : Dominique Venner
Jean-Yves Le Gallou, vous avez bien connu Dominique Venner et vous avez fait partie du “dernier carré” qu’il a souhaité réunir quelques heures avant son “sacrifice héroïque”, pouvez-vous revenir sur les circonstances de votre rencontre et sur ce que fut votre amitié ?
Mon amitié avec Dominique Venner est étrange. Je ne l’ai vu régulièrement qu’au cours des cinq à dix dernières années de sa vie. Et je n’ai pas comme lui ni la passion des armes, ni celle de la chasse, même si je les comprends. Nos goûts, nos parcours sont très différents. Même si nous partagions l’amour de la nature et la communion avec l’univers, lui par la chasse, moi par la montagne.
Mais j’ai une grande admiration pour l’écrivain, pour l’historien méditatif : « Histoire et tradition des Européens », « Le Siècle de 1914 », « Le Choc de l’histoire » sont pour moi de très grands livres. Dominique Venner connaissait mon opinion sur son œuvre, et sans doute croyait-il qu’avec d’autres je serais en mesure de contribuer au rayonnement de sa vision du monde.
Nous essaierons d’honorer sa confiance et alors que les humanités ont disparu des programmes scolaires nous allons agir pour mieux faire connaître la longue mémoire européenne. Car la transmission de la longue mémoire européenne était de loin la préoccupation principale de Dominique Venner. Pour cela, nous créerons un Institut de la longue mémoire et nous accomplirons un acte de fondation au sommet du mont Olympe, le jour du solstice d’été 2014.
Militant aguerri puis historien méditatif, expert des armes à feu et chasseur passionné, grand connaisseur des mythes fondateurs de l’européanité et lui-même “éveilleur de peuple”, parmi les nombreuses facettes de sa personnalité et de son parcours, laquelle vous a le plus fortement marqué ?
Incontestablement celle de l’éveilleur de peuple. Qui a mis sa peau au bout de ses idées. Dominique Venner a réussi à mourir en guerrier dans une période de paix et à un âge où on meurt généralement dans son lit.
Dominique Venner avait publié il y a quelques années une biographie sur Ernst Jünger, dans laquelle il rendait ainsi hommage à l’un de ses « maîtres ». N’y a-t-il pas de nombreux rapprochements à faire entre le sage de Wilflingen et lui ?
Assurément. Il y a au moins quatre grands points communs : tous deux ont connu la guerre et l’ont pratiqué dans sa version héroïque. Tous deux étaient des hommes libres, c’est-à-dire des rebelles. Tous deux communiaient avec la nature et ont su exprimer ce sentiment par leur talent d’écrivain. Tous deux avaient de la tenue, une grande tenue, une très grande tenue.
Penchons-nous, si vous le voulez bien sur l’itinéraire de Dominique Venner. Jeune volontaire de 18 ans impliqué dans la guerre d’Algérie, il poursuivra ensuite son engagement, « par d’autres voies », ce qui le conduira en prison. De cette expérience a jailli un texte fondateur : Pour une critique positive. Qu’est-ce que ce texte porte de si particulier ? En quoi justement fut-il fondateur ?
Au lieu de ratiociner sur la perte des colonies perdues et de devenir à trente ans un jeune vieux, il discerne dans ce texte fondateur les problèmes à venir : le risque de la submersion raciale et de la dégénérescence civilisationnelle. Bref l’invasion et la perte des repères. Nous y sommes.
Quarante ans plus tard il mourra en jeune homme. En portant un message apte à être entendu par les jeunes générations. J’emprunte la formule au poète Jacques Fulaine : « quand l’esprit se souvient, la race se maintient ». Il est primordial de comprendre, excusez-moi de me répéter, que pour Dominique Venner l’essentiel, c’est bien la transmission de la longue mémoire.
Peu après ses trente ans, Dominique Venner s’est retiré définitivement des luttes politiques pour se tourner vers l’histoire. Se définissant comme un historien méditatif, il n’en demeure pas moins un historien qui a vécu les soubresauts de l’Histoire et qui en a écrit – à sa mesure – quelques lignes. Que retiendrez-vous particulièrement de son œuvre historique ?
Ce n’était pas un rat de bibliothèque. Il avait agi, il avait risqué sa peau, et il était prêt à recommencer. Il savait que la politique n’a de sens que par les risques qu’on y prend, non seulement pour sa fortune et pour sa carrière, mais aussi pour sa liberté et pour sa vie. D’où la profondeur de son analyse sur « Le Blanc soleil des vaincus » (la guerre de sécession), « Baltikum » (les corps francs,) « Les Blancs et les Rouges, histoire de la guerre civile russe », « l’Histoire critique de la Résistance » et « l’Histoire de la collaboration ». Je n’oublierai pas non plus « le Dictionnaire amoureux de la chasse » dont les premières pages sont un hymne à la nature sauvage.
Dominique Venner ne taisait pas son opposition au christianisme. Quelles étaient les raisons de cette dernière ?
Son attitude vis-à-vis du christianisme n’était pas aussi simple que vous l’indiquez. Il lui arrivait de se recueillir dans des églises et il a choisi de mourir dans le chœur d’un cathédrale, qui, il est vrai, se situait sur un ancien lieu sacré des Gaulois et des Romains. Pour lui, il y avait du pagano-christianisme dans le christianisme. Ce qu’il rejetait, c’était la mauvaise conscience dont il pensait qu’elle était une source du déclin européen.
Il avait salué le discours de Ratisbonne du lumineux pape Benoit XVI sur la raison dans la foi, discours qui s’inscrivait dans la filiation de l’helléno-christianisme. Il aurait été révulsé par les simagrées médiatiques du pape François à Lampedusa, véritable incitation à l’invasion de l’Europe.
N’y a-t-il pas cependant une souche commune à redécouvrir entre un certain paganisme et un catholicisme médiéval dépouillé de son universalisme humanitaire ?
Bien sûr ! Toutefois je crois que le catholicisme européen devra surmonter une double contradiction :
- être universel tout en restant européen dans un monde où l’Europe est en recul et où par conséquent l’universalisme se retourne contre l’Europe ;
- faire face à la concurrence croissante de formes religieuses qui se sont adaptées aux masses sud-américaines ou africaines comme le pentecôtisme ; en étant tenté de les imiter l’Eglise catholique prend le risque de s’éloigner de l’héritage européen.
La religion orthodoxe qui assume sans complexe son enracinement national n’a pas les mêmes difficultés.
Le courant identitaire dans son ensemble considérait Dominique Venner comme l’un de ses maîtres. Quel regard portait-il en retour sur cette jeunesse enracinée qui a, elle aussi, souhaité “réveiller les Européens” du haut du toit de la mosquée de Poitiers ?
Le geste transgressif des Identitaires à Poitiers l’avait réjoui. Il était conscient d’un double fait assez paradoxal : le degré de violence du combat politique a fortement diminué par rapport à l’époque de sa jeunesse ; et dans le même temps la répression policière et judiciaire de simples actes symboliques s’est considérablement accrue.
Dans la dernière année de sa vie le geste des Identitaires à Poitiers et le dynamisme des jeunes du Printemps français l’ont comblé d’espoir.
Dans son dernier texte, il rappelait l’urgence et la proximité de deux combats, souvent menés isolément, celui de la défense de la famille et celui de la lutte contre le Grand remplacement. L’espoir d’une reconquête durable conduite par notre camp ne réside-t-il pas dans cette alliance ?
Bien sûr. Dans la guerre des berceaux, il y deux aspects : les berceaux des autres et les nôtres ! Il ne faut pas seulement ratiociner et se lamenter, il faut aussi transmettre notre sang et notre culture. Au travail !
Enfin, je souhaiterai vous suggérez une citation de Dominique Venner, qui semble résumer l’attitude de toute une vie et laisser en héritage à ses lecteurs une obligation de droiture. « Tout homme qui entreprend de se donner une forme intérieure suivant sa propre norme est un créateur de monde, un veilleur solitaire posté aux frontières de l’espérance et du temps. »
Une autre citation de Dominique Venner me vient à l’esprit : « Je suis du pays de l’arbre et de la forêt, du chêne et du sanglier, de la vigne et des toits pentus, des chansons de geste et des contes de fées, du solstice d’hiver et de la Saint-Jean d’été, des enfants blonds et des regards clairs, de l’action opiniâtre et des rêves fous, des conquêtes et de la sagesse. Je suis du pays où l’on fait ce que l’on doit parce qu’on se doit d’abord à soi-même. Voilà pourquoi je suis un cœur rebelle. Rebelle par fidélité. »
Jean-Yves Le Gallou, merci.
Entretien avec Pierre Saint-Servant