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Iran-USA : une pause dans l’escalade
Depuis la Révolution islamique de 1979, l’Iran considère les Anglo-Saxons comme ses pires ennemis. En réponse, Tel-Aviv et Washington n’ont cessé de bruisser de rumeurs de guerre contre Téhéran, jamais suivies d’effet. Vernon Sullivan analyse ici les intérêts et l’idéologie des deux camps dans les contextes régionaux et internationaux. L’élection de cheikh Hasan Rohani pourrait n’être qu’une pause dans l’affrontement.
Si l’on en croit les agences de presse réputées bien informées, les analyses internes des États-uniens sont actuellement très divergentes quant à l’opportunité d’aider Israël dans son projet de refouler l’Iran et le contenir dans ses frontières. Pour les uns, il faut s’y atteler aussitôt que possible et donc poursuivre la guerre syrienne qui n’est que le stade inférieur d’un conflit qu’il est nécessaire d’élargir. Pour d’autres, la guerre comporte des risques trop importants : la destruction du potentiel militaire iranien va entraîner un déséquilibre des forces dans le Golfe au profits des Émirats sunnites, dont la politique ultérieure n’est pas prévisible et qu’il faut envisager de combattre sur le pourtour méditerranéen, dans un délai moins éloigné qu’on ne l’a espéré, à quinze ou vingt ans d’ici. Le lobby pacifiste et temporisateur de Washington s’inquiète principalement des objectifs de certains groupes de pression d’inspiration religieuse, qui se sont montrés souvent bien plus bellicistes que le régime de Téhéran et prêts à soutenir sur certains théâtres des fanatiques qui nuisent franchement aux intérêts de l’Occident.
Cette inquiétude diffuse explique les atermoiements de l’administration démocrate, qui veut inscrire la diplomatie et l’action militaire des États-Unis dans la continuité des politiques poursuivies sur quatre décennies en même temps qu’elle en sent les défauts et s’effraie d’une possible émancipation militaire des puissances financières sunnites. Le débat fait rage dans le microcosme des experts anglo-saxons du monde arabe et l’absence de ligne unique apparaît nettement dans les publications relatives à la poursuite de la guerre globale engagée en 2001. Pour certains, il urge d’accorder à Israël une licence illimitée pour punir tout agresseur et même prévenir toute possibilité d’attaquer. Pour d’autres, il faut aider l’émergence de nouveaux protagonistes et par exemple donner le maximum d’espace aux menées du Qatar, dont les générosités ont pour principal but de gommer les impacts des aides que l’Iran distribue à certains mouvements rebelles au nom d’un islam réunifié – le vœu irréaliste de l’imam Khomeiny.
Des observateurs plus fins démontrent que les visées des émirs du Golfe sont changeantes et pas toujours identiques à celles du royaume saoudien. Que le monde sunnite paraît ainsi plus divisé que l’arc chiite qui, malgré les vieilles rivalités politiques et de profonds désaccords d’obédiences, se conduit ces temps-ci comme une forteresse assiégée. La politique intérieure du régime irakien témoigne ainsi de la volonté de s’opposer à toute reprise en mains par les clans sunnites que les Ottomans avaient choisis et l’Angleterre confortés, et que soutiennent aujourd’hui les princes du Golfe. La récente décision d’interdire la diffusion d’une dizaine de chaînes de télévision appartenant aux grandes familles régnantes sunnites est un symptôme : Al-Jazeera, Al-Sharqiyah, Al-Sharqiyah News, Babylonian, Salah Al-Din, Anwar 2, Al-Tagheer, etc. sont désormais incriminées d’incitation à la haine interconfessionnelle et donc de répandre le ferment de la guerre civile. L’Irak se donne les moyens d’en limiter la réception, les chancelleries occidentales ne sont pas en mesure de s’opposer à cette entorse flagrante à liberté d’information.
États-uniens et Européens sont toujours plus confrontés à ce genre de déconvenues, qui motivent une sorte de repli psychologique sur Israël, seule alliée régionale aux idéaux d’inspiration occidentale. C’est ce qui explique le retour en grâce du régime belliqueux de Netanyahou. Désormais, bien que ce choix ne plaise pas aux Démocrates et à la majeure partie de leur électorat, le Pentagone va s’accommoder de débours importants, et tant pis pour les économies budgétaires ! Le ministère US de la Défense est invité à réfléchir aux modalités d’un rabais de dix milliards de dollars sur la vente de matériel de précision à Israël, l’Arabie saoudite et les Émirats Arabes Unis. Selon le New York Times, il s’agit de renforcer la ligne de défense contre le potentiel d’agression iranien. Mais le même journal constate que le rabais permet d’abord d’offrir à Israël un Boeing KC-135 Stratotanker pour le ravitaillement en vol de chasseurs bombardiers, des radars Osprey V-22 dont aucun pays de l’OTAN ne dispose à part les USA, et 26 chasseurs F-16. Ces matériels cumulés font d’Israël, de l’aveu même des officiels états-uniens, un agresseur potentiel de l’Iran.
Dans le même temps, le nouveau ministre US de la Défense s’affirme pour la première fois, le 2 mai, en accord avec son homologue britannique sur la nécessité de fournir enfin des lots d’armes létales aux rebelles de l’Armée syrienne libre. On a donc compris que commençait une phase nouvelle du conflit proche-oriental, dont l’objectif ultime est la chute du régime iranien. Il s’agirait d’accélérer la conclusion du conflit syrien pour entrer dans la dernière phase de l’entreprise conduite depuis 2002. Pourquoi faut-il presser le pas ? pour une raison immédiate : l’Iran n’est pas encore en mesure de porter des coups majeurs. Pour une raison plus lointaine : il ne reste que dix ans pour
priver la Chine de cet allié potentiel encombrant et
précipiter le repli de la Russie vers le nord.
Selon l’institut CSIS, la ligne rouge peut être franchie par l’Iran si des fusées de type S-300, dont la Russie lui avait refusé la vente, sont fabriquées et lancées par l’Iran lui-même. Car ce sont les seuls projectiles en mesure d’atteindre Israël. Le même institut états-unien suppose qu’Israël a de son coté réussi à augmenter la portée de ses propres fusées et se trouve pour la première fois en mesure de frapper l’Iran avec des charges à hydrogène qui causeraient des centaines de milliers de victimes.La guerre devenait pour certains une question de semaines. Le couronnement de tous les efforts entrepris depuis 2001 interviendrait vers la fin de l’été 2013. Certains des cercles religieux conservateurs de Téhéran l’ont compris, de même que les Iraniens fortunés et modernes que les gesticulations du populiste Ahmadinejad tenaient un peu en lisière. Un danger bien réel, concrétisé désormais par le plan de modernisation de l’armée israélienne et la livraison d’armes US modernes pour un montant de 10 milliards de dollars, a motivé la subite volte-face du Guide de la révolution islamique Ali Khamenei en faveur d’un conservatisme moins offensif. Khamenei a compris qu’il fallait tout faire pour éviter l’affrontement et que le meilleur moyen serait de proposer un nouveau partage régional. En ce sens, Rouhani est l’homme providentiel car son programme permet deux choses :
tenter l’ajournement du programme états-unien de reconquête et
mobiliser la société en redonnant aux classes dominantes et moyennes l’espoir d’une sortie du marasme économique.
Le message de Khamenei a été clair durant la campagne : « Je souhaite que tous les Iraniens aillent voter, ceux qui veulent sauver notre système autant que ceux qui n’en veulent plus, car les uns et les autres doivent garder confiance en l’institution de la République islamique elle-même ». Entendue comme le rejet des manipulations de 2009 et donc le désaveu public des choix d’Ahmadinejad, cette phrase a fait voter des millions d’abstentionnistes potentiels en faveur d’un homme qui aura pour objectif la consolidation des acquis par la négociation.Soudain, les conditions imposent aux Occidentaux de mesurer plus précisément de quelle manière et à quel prix on parviendra à faire plier l’Iran : d’un coté, l’embargo est un succès, la catastrophe monétaire interne et la baisse de l’approvisionnement en denrées de base ont été des facteurs déterminants de la défaite électorale des intransigeants. Mais en même temps, cet embargo n’arrange aucun des voisins de l’Iran. L’Irak le contourne sans cesse, la Turquie par à-coups et en cachette, l’Inde ne renonce pas à un certain volume d’échanges non monétaires, le Pakistan rejoint ce club en mettant en service un pipeline. Par ailleurs, l’endiguement n’est pas une vraie réussite car Téhéran consolide une influence réelle sur l’Irak, l’Arménie et des populations chiites autrefois très peu perméables à son discours — au Yémen, en Afghanistan et Syrie —. L’Axe du mal a donc tendance à s’étendre. La généralisation des guerres lui offre de préciser un discours de plus en plus clairement dirigé contre l’Arabie Saoudite, pays et régime que la propagande iranienne assimile désormais aux assassins des Imams martyrs.
L’Iran joue à présent la carte d’une réorientation confessionnelle du messianisme révolutionnaire qui peut justifier le projet inavoué d’abandonner les Palestiniens sunnites à des « Frères » plus proches d’une conception de l’islam que les Iraniens ne veulent plus se forcer à partager. Cet abandon revient à relâcher la pression contre Israël. Le débat est ancien au sein du pouvoir iranien. Mir Hossein Moussavi disait en 2009 : « Dépensons notre argent pour nous et pas pour les Arabes ». Même des partisans de la guerre sainte endurcis comme Mohammad Ghalibaf, le maire conservateur de Téhéran, candidat malheureux à la dernière présidentielle, ont dressé durant la campagne un tableau affligeant de la politique palestinienne d’Ahmadinejad. Qalibaf a même estimé que la négation du génocide des Juifs d’Europe avait été une erreur magistrale du régime, nuisible à la cause palestinienne, et qu’aucun politique sérieux ne pouvait continuer à faire du conflit avec Israël une bannière de ralliement. Il serait en effet temps de rappeler que la République islamique n’a jamais introduit de mesures discriminant les juifs dans la vie sociale. Du coté des Pasdarans, garde prétorienne devenue le nœud du pouvoir économique aussi bien que policier, on entretient sans doute les illusions nécessaires à la mobilisation des énergies, sur les moyens de l’armée iranienne, sa capacité à résister à toute intervention étrangère. On veut justifier un train exorbitant de dépenses d’armement par une forte volonté de venir en aide aux chiites libanais comme au régime syrien. Mais de là à croiser le fer pour l’avenir de sunnites en fin de compte toujours prêts à répondre à d’autres appels...
Cette redoutable habileté à négocier des virages politiques très aigus n’est pas nouvelle dans l’histoire iranienne. Prenant la mesure de l’expérience millénaire d’un empire régional décidément roué, l’administration démocrate demande conseil et reçoit des messages opposés de la part de think tanks rivaux : tantôt l’Iran reste le grand déstabilisateur de l’édifice consolidé après 1956 (alliance avec Israël en même temps qu’avec les Saoudiens) et donc il doit être vaincu et démembré, tantôt l’Iran serait en partie un facteur d’équilibre, notamment sur sa frontière orientale parce que son rôle en Afghanistan a été moins négatif qu’on ne l’a craint : il contribue à l’émiettement, nourrit le désordre, mais coopère également avec toutes les parties et ne semble pas vouloir agresser l’OTAN. Enfin, une nouvelle génération de stratèges US se souvient du poids relatif de l’islam non arabe dans le monde, notant l’indifférence des masses musulmanes asiatiques à la question très arabe du statut de la Palestine. Ils se demandent si l’on peut résoudre la question israélo-palestinienne sans faire occuper les territoires arabes par des troupes occidentales garantes d’une évacuation par Tsahal, pour aussitôt démontrer l’absurdité de cette solution : encore une aventure dont le bénéfice est improbable. En clair, se battre pour un monde arabe pacifié et modernisé, vivant en symbiose avec un Israël pacifique ? buts chimériques, coût faramineux ! on ne dispose pas d’alliés suffisamment forts pour faire le travail que les États-Unis ne veulent plus prendre en charge. Les moyens militaires de la Turquie s’avèrent limités, les arabes n’ont pas d’objectifs communs.
Reste l’Iran, un régime solide qui s’attache à placer l’Irak dans son orbite et peut le faire basculer avec lui dans une alliance russo-chinoise. Avant de se désengager de l’ornière proche-orientale, il faut peut-être reprendre le dialogue et faire une offre à l’Iran, afin d’être plus à l’aise pour opérer le redéploiement annoncé vers le Pacifique. Car l’Amérique se demande quel sera son intérêt dans la guerre. Ne peut-elle pas en faire l’économie sans pour autant dévier de son objectif premier qui a toujours été de reprendre pied en Iran ? Que gagnera Israël en favorisant une grande coalition contre l’Iran ? Et si elles obtiennent une victoire décisive, les puissances sunnites consolidées resteront-elles des alliées ? Faut-il s’associer aux alliances que Français et Britanniques mettent en place ? [1] Et si ces alliances semblent solides, le projet ultérieur des petits Émirats n’est-il pas de s’émanciper de la tutelle saoudienne, avec ou sans le soutien des Occidentaux ?
En face, bien qu’il sache parfaitement tenir son rôle de loup garou, l’Iran peut aisément faire figure de partenaire plus fiable sur la durée. Pas plus qu’avec les Turcs, le commerce avec les Iraniens ne réserve de mauvaises surprises. Jusqu’à la toute dernière décennie, l’Iran s’est toujours efforcé de rester dans la sphère commerciale européenne. Coûte que coûte, en dépit des embargos, le volume de son commerce avec l’Union européenne est resté bien supérieur à celui des échanges avec l’Asie. Durant les quinze années qui suivent l’armistice avec l’Irak, les quatre principaux partenaires commerciaux de l’Iran ont été, par ordre d’importance, l’Allemagne, le Japon, l’Italie et la France. L’essentiel des véhicules construits sur place relèvent d’un approvisionnement en pièces détachées importées de l’UE. La maintenance des puits de gaz et pétrole en dépend aussi. Ce n’est qu’en 2009 que la balance penche pour la première fois du coté de l’Asie. Une tendance qui s’accélère très vite pour aboutir en 2012 à une baisse de moitié du volume d’échanges avec l’Europe tandis que les puissances asiatiques prennent toute la place au travers de leurs achats de pétrole brut : Chine, Inde, mais aussi Japon et Corée du Sud. D’une certaine manière, cet embargo imposé par les États-Unis nuit plus aux alliés européens qu’à quiconque. Le blocus est bancaire et donc monétaire, sans effet sur les échanges marchandises particulièrement denses avec les EAU, l’Inde et la Turquie. Quelques transactions ont été faites sur la base de l’étalon or, ce qui met en cause le monopole de fait du pétrodollar et constitue donc presque un acte de guerre contre les États-Unis. Qui plus est, l’Iran exporte désormais des produits autres que les hydrocarbures, des minerais et des pierres de construction – par ex. du marbre maquillé sur les marchés, du bitume... renforçant ses relations commerciales avec de nouveaux émergents islamiques d’Asie comme la Malaisie et même avec le Brésil.
Pour mettre l’Iran à genoux, il faut faire des efforts démesurés, non seulement bloquer les échanges avec la France, l’Italie et l’Allemagne, mais déstabiliser des circuits traditionnels de contrebande : depuis 18 mois, on a invité le Qatar et Dubaï à expulser les hommes d’affaires iraniens qui entretenaient un commerce côtier séculaire, à présent illégal. On les renvoie, mais c’est peine perdue car les Iraniens trouveront pour ce commerce des mandataires indiens ou pakistanais. Les prix monteront, mais les biens continueront de transiter. La société iranienne est mal en point, mais le nerf du nationalisme n’est pas atteint. La croissance démographique des sunnites ne met pas en cause le leadership chiite et les clivages claniques continuent d’empêcher la structuration de partis politiques exprimant les revendications nationales des minorités ethniques. On peut bien jouer les cartes de l’indépendantisme baloutche et de la guerre civile au Kurdistan, on peut inciter l’Azerbaïdjan à une rhétorique guerrière de libération des turcophones, mais les effets de ces jeux se sont avérés très limités. Il serait plus payant de se trouver des alliés au sein des élites persanes.
D’autant que la bourgeoisie commerçante iranienne ne peut se faire à l’idée que la situation doive s’éterniser. Dans son ensemble, elle a peu d’appétit pour des produits asiatiques réputés moins durables que les produits européens. Elle tient à garantir un volume d’achats de biens de luxe qui s’écoulent très bien. Les Iraniens payent et ne mettent pas en cause le principe du marché, ils ne se réclament pas d’une économie de rapines. Se croyant moins immoraux que des systèmes politiques plus fermés que le leur, les Iraniens ne parviennent pas à se persuader qu’ils font figures d’ennemis idéologiques des États-Unis. La préférence pour les Saoudiens et le soutien au Pakistan font ricaner ou grincer à Téhéran. On la comprend comme une déclaration de guerre à l’indépendance du pays, un désir de détruire l’État-nation dont la politique ne suit pas l’injonction de libre-échange intégral et de « gouvernance mondiale ». Khamenei fait valoir que cette agressivité US est dans la continuité d’une politique de la canonnière pratiquée en continu par les Russes et les Anglais, de 1828 à 1953, annihilant toute tentative d’instaurer une démocratie parlementaire. Il fait aussi valoir que les ressources gazières seront à très brève échéance plus importantes que les ressources pétrolières et que l’objective de mainmise sur l’Iran s’explique par le fait que ce pays est le troisième détenteur de réserves prouvées... Enfin, et comme d’ailleurs beaucoup d’observateurs du monde arabe, les idéologues iraniens soulignent que le morcellement est un principe d’action que les États-Unis ont toujours privilégié parce que la division est une garantie de leur hégémonie. L’éclatement de l’URSS, de la Yougoslavie, la destruction de l’État irakien sont autant d’exemples ; les conciliabules engagés sur une possible partition de la Syrie en sont la confirmation.
On peut aisément objecter que cette partition n’est pas l’objectif premier des Occidentaux et que l’OTAN n’est jamais, sous toutes les latitudes, favorable qu’en dernière instance à la révision des frontières existantes. Mais cette objection n’est pas reçue dans un pays qui se considère comme le « morceau le plus juteux » de toutes les parts du gâteau moyen-oriental. À intervalles réguliers, la presse iranienne montre des cartes imaginaires d’un Iran dépecé par les Arabes et les Turcs pour le plus grand profit des Anglo-Saxons. Dans cette optique de résistance, l’Iran se présente souvent comme l’un des seuls bastions de résistance à la pénétration destructrice par les lois dissolvantes du marché. Inspiré par Chavez, Ahmadinejad faisait de leur négation un axe majeur de sa politique, justifiant un vaste réseau de prébendes et de redistributions au profit des défavorisés. Mais la réalité de la société de classes contredit totalement ce discours collectiviste, car l’Iran n’est jamais sorti de l’Économie-Monde, il n’a jamais eu de programme autarcique, et la teneur du discours dominant dans les cercles décideurs est exactement inverse : pour les élites locales il est temps de renverser la vapeur, d’embrasser avec ferveur une « Amérique » toujours admirée, temps de voir revenir les exilés qui ont si bien réussi en Californie, de faire avec eux de bonnes affaires, de restaurer la capacité industrielle, d’adopter le modèle turc.
Pour les marchands comme pour beaucoup de dignitaires religieux iraniens, il y a une opportunité à saisir : montrer aux États-uniens qu’ils sont bienvenus, que le peuple iranien est en adoration devant leur modèle de civilisation, et obtenir en retour de cet indéniable amour une marge de manœuvre diplomatique et commerciale dans tout le Proche-Orient, au Pakistan et en Afghanistan. Mais il est peu probable que les Yankees sachent répondre à cette crise d’affects débordants d’Orientaux excessifs, un peu perturbés, visionnaires. Parce qu’ils n’oseront pas franchir le pas, qu’ils ne voudront pas tourner le dos aux Saoudiens, respecter le désir d’hégémonie régionale, ne comprendront pas l’intérêt qu’il y aurait à faire des Iraniens leurs factotums aux marches de la Chine. Cette incapacité vient d’être démontrée vis-à-vis de la Turquie : sa puissance retrouvée a été ébranlée et la personne d’Erdogan vouée aux gémonies. Gageons que Khamenei en tirera argument et que les voix hostiles aux US vont dominer, disant : « Ne cédons sur rien, on ne peut pas leur faire confiance ! » ce qui conduira les faucons de Washington à marteler de plus belle : « Persia delenda est ! »... À moins que le goût de la nouveauté ne l’emporte au Département d’État et que de jeunes ambitieux n’accompagnent quelques enturbannés finauds dans une méditation à laquelle le fondement religieux de leur pensée les invite ensemble. Une excentricité vraiment novatrice qui se baserait sur une réflexion digne de celles des théologiens de l’âge baroque. L’élection d’un pape jésuite suggère que le temps en est venu. Kerry pourrait se souvenir de Bossuet : « Car, Messieurs, vous n’ignorez pas que l’artifice le plus ordinaire de la Sagesse céleste est de cacher ses ouvrages et que le dessein de couvrir ce qu’elle a de plus précieux est ce qui lui fait déployer une si grande variété de conseils profonds. »
[1] « Armement : Paris ouvre une nouvelle ère de coopération avec Abou Dhabi », par Alain Ruello, Les Échos, 23 juillet 2013.
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Jean Ferré et L.-F. Céline
La dernière fois que j’ai vu Jean Ferré, c’était en juin dernier, à la "Fête de la Courtoisie", organisée par la radio du même nom qu’il fonda en 1987 et dont il présidait le comité éditorial.
Comme il était à côté de François Gibault, le biographe de Céline qui dédicaçait ses livres à son stand, nous avons bien entendu évoqué l’auteur du "Voyage au bout de la nuit" que Jean Ferré eut la chance de rencontrer à plusieurs reprises dans les années cinquante.
D’autres que moi évoqueront les mille et une facettes de Jean Ferré : le jeune et talentueux journaliste scientifique, l’amateur d’art spécialiste de Watteau, le défenseur de l’Algérie française, le radio-amateur passionné (dès 1949 !) qui créa, près de quarante ans plus tard, une radio libre, véritable espace de liberté. Radio Courtoisie parvient, comme on sait, à faire cohabiter des personnalités d’opinions diverses et parfois même opposées : gaullistes, nationalistes, libéraux de stricte obédience, monarchistes, etc. C’est le miracle de cette radio et de cette formule originale, créée par Jean Ferré, que sont les "libres journaux", fièrement indépendants les uns des autres.
En guise d’hommage au disparu, je voudrais évoquer, quant à moi, le fondateur de C’est-à-dire, mensuel d’actualité qu’il lança en 1956. Sur le plan formel, il préfigurait ce qu’on appelle aujourd’hui "news magazine" : Le Point, Valeurs actuelles, L’Express, Le Nouvel Obs (ex-France Observateur), etc. A l’époque, les deux derniers cités existaient déjà mais avaient la présentation de quotidiens, format tabloïd. Aucun rapport avec la présentation qu’ils ont adoptée depuis.
Avec son aîné Jean Dauven, Jean Ferré avait réuni des collaborateurs aussi brillants que Pierre-Antoine Cousteau, Jean Lous-teau, Pierre Fontaine, Lucien Rebatet ou Stephen Hecquet. Aussi, quand Céline fit, avec "D’un château l’autre", son grand retour en 1957, c’est peu dire qu’il ne fit pas l’unanimité au sein de la rédaction, certains lui reprochant de présenter sous une forme caricaturale la colonie française exilée à Sigmaringen en 1944. Jean Ferré se souvenait des bagarres homériques entre pro et anti Céline.
Comme le fougueux Albert Paraz faisait partie de l’équipe, c’est lui qui eut finalement gain de cause et, au grand dam de certains, le nouveau livre de Céline reçut un accueil enthousiaste dans le journal. Ainsi, Paraz fit paraître, en juillet 1957, une longue interview de Céline, présentée comme un dialogue téléphonique, qui permit à l’écrivain de répondre à ses détracteurs. Lorsque Paraz quittait le Sud de la France, où une grave tuberculose l’avait exilé, c’était notamment pour tenter d’imposer à Paris la tenue de conférences de rédaction sur Céline ! « A la fin, j’en avais un peu marre », me confiait en souriant Jean Ferré, qui, s’il admirait Céline, ne souhaitait cependant pas qu’on en parlât tout le temps dans sa revue.
Il évoquait volontiers sa première visite à Meudon : « Céline était aux prises avec un intrus, un admirateur qui souhaitait obtenir une dédicace. Visiblement, Céline hésitait. L’autre, bonne bouille éplorée, présentait un vieil exemplaire du "Voyage au bout de la nuit", en insistant. "Il est bien sale", opposait Céline... Le brave homme crut bon d’argumenter : "Je l’ai acheté l’année même de sa publication. Il date de 1932. J’en garde la nostalgie"... Alors Céline écrivit rageusement sur la page poussiéreuse : "Nostalgie, piège à cons"... » Et Jean Ferré concluait ironiquement : « Vous comprendrez que je ne puisse plus entendre parler de nostalgie sans qu’une voix intérieure n’articule les trois mots suivants ».
Il se souvenait aussi des confidences que Céline fit à celui qui, quoique directeur, était le plus jeune de l’équipe rédactionnelle puisque Ferré n’avait même pas trente ans à l’époque. L’auteur du "Voyage" se disait bien davantage intéressé par ce que disaient ses ennemis que par ses défenseurs : « Il est très instructif d’écouter ses ennemis. Je dois beaucoup à la vie de les avoir écoutés. Il faut toujours faire attention à ses ennemis. » A ceux qui se trouvaient naguère dans son "camp", il reconnaissait même du talent mais déplorait qu’ils fussent sectaires, les qualifiant de « résistantialistes à l’envers, obsédés par la politique et se foutant du style ». Albert Paraz, qui n’appartenait certes pas à cette catégorie, mourut peu de temps après la sortie de "D’un château l’autre". Céline saluera son courage et notera que, même à l’article de la mort, il trouvait encore la force de « pourfendre les ministres ». Dans un tout autre contexte, le parallèle peut assurément être établi avec Jean Ferré qui se savait, lui aussi, très malade et remettait à plus tard une indispensable opération chirurgicale pour se consacrer pleinement à cette radio qui était devenue toute sa vie. Ainsi dénonçait-il sans relâche les "officines" qui calomniaient sa radio et il n’avait de cesse de prôner l’union de toutes les droites en authentique patriote qu’il était.
Un homme de caractère, profondément libre et indépendant, défendant avec force ses "patrons d’émission", tel était Jean Ferré. Il fait d’ores et déjà partie de l’histoire de la droite nationale française.
Marc Laudelout http://www.france-courtoise.info
Marc Laudelout est le fondateur et directeur du "Bulletin célinien". Mensuel. 47 euros. BP15 - F59331 Tourcoing cedex.
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PMA : des affaires pour tenter de faire basculer l'opinion
D'Adélaïde Pouchol sur le blog de l'Homme nouveau :
"Le juge aux affaires familiales de Nantes accordait le 27 juillet dernier le droit de visite au père biologique d'un bébé conçu par don de sperme artisanal pour satisfaire le désir d'enfant d'un « couple » de femmes. Cette affaire pourrait bien être le « cas Vincent Humbert » du combat pour la légalisation de la Procréation Médicalement Assistée (PMA), une affaire emblématique qui permette de faire basculer l'opinion lentement mais sûrement… [...]
Magali et Flavie, les deux « mères », avaient fait appel à un donneur de sperme en dehors de tout cadre légal, n'imaginant pas que celui qui n'était pour elles qu'un distributeur de gamètes pourrait se revendiquer père. Le don de gamètes est légal en France, pour répondre aux demandes des couples qui peuvent prétendre à la PMA (couples homme/femme mariés ou vivant ensemble depuis plus de deux ans, pouvant justifier d'une infertilité pathologique et la femme ayant moins de 43 ans) mais il doit être gratuit et anonyme. Hors de ce cadre, puisqu'il s'agissait d'un couple lesbien, le père avait tout loisir de reconnaître l'enfant et de revendiquer un droit de visite. Une situation complexe, un chamboulement pour les deux « mères », bref, de quoi revendiquer un projet de loi qui mette un terme à ce type d'imbroglio.
Comme pour l'avortement, le législateur entend faire d'un état de fait un état de droit. Nous avons démasqué le processus depuis bien longtemps, il n'en demeure pas moins redoutablement efficace.
Comme pour l’avortement, là encore, le problème politique se fait problème de santé publique : des femmes mettaient leur vie en danger pour avorter clandestinement, il fallut donc légaliser l’avortement. Des femmes mettent aujourd’hui leur vie en danger, à cause des risques d’infection, en se faisant inséminer artificiellement, il faudra donc légaliser la PMA pour tous. La PMA propre, encadrée, et bien sûr solidaire puisque les donneurs de gamètes sont des volontaires désintéressés qui font cela par pur altruisme…
Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), sommé d’émettre un avis sur les sujets d’éthique en médecine et biologie, s’est autosaisi de la question de la PMA, quoique le législateur n’ait pas obligation de se soumettre à l’avis dudit Comité… En attendant, la PMA pour tous, qui devait être discutée rapidement après le vote de l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe, a été reculée à plusieurs reprises. D’abord, sans doute, pour des raisons politiques d’apaisement d’une société largement divisée sur la question du mariage. Ensuite, parce qu’est également prévu, sur le calendrier législatif, la discussion de la légalisation du suicide assisté, deux sujets trop importants pour être traités de front.Jean-Claude Ameisen, président du Comité consultatif national d’éthique, a annoncé le 2 juillet des états généraux sur la PMA pour 2014, conformément à la loi sur la bioéthique de 2011 qui stipule que le CCNE doit initier des états généraux si une modification de cette loi est envisagée.
Après le problème de santé publique, et si la PMA est ouverte à tous, se posera la question financière. Les militants de la PMA pour tous invoquent déjà la discrimination par l’argent, prétexte qui nous vaut déjà le remboursement par la Sécurité sociale de la contraception et de l’avortement… Même s’il ne s’agit pas d’un problème de santé publique à proprement parler, et quoique la situation économique de la France soit déjà désastreuse, la logique des choses voudrait que le désir d’enfant de « couples » homosexuels soit pris en charge par la collectivité."
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Hotel Stella Comme une envie
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Entre relocalisation et délocalisation en Afrique, l’âge d’or de l’Asie est-il terminé ?
L’entreprise suédoise H&M vient d’annoncer la délocalisation de plusieurs unités de production de la Chine vers l’Éthiopie. Dans le même temps, un mouvement de relocalisation en Occident d’entreprises déçues par leur transfert en Asie semble s’amorcer, annonçant peut-être la fin de l’attractivité industrielle asiatique.
Le troisième renouvellement de l’accord AGOA – African Growty and Opportunity Act – entre les États-Unis et l’Afrique subsaharienne, qui autorise l’entrée hors taxe d’exportations africaines sous certaines conditions, suscitera de nouvelles délocalisations vers l’Afrique, et en particulier l’Éthiopie où un fabriquant chinois de chaussures avait déjà décidé d’investir l’année dernière.
Publiée en 2011 une étude de la Banque mondiale comparant plusieurs pays africains à la Chine et au Vietnam, a montré que l’Éthiopie était d’ailleurs le seul pays capable de concurrencer les pays asiatiques pour des productions à haute intensité de main d’œuvre (comme l’habillement ou la fabrique de meubles).
Ces projets montrent que des pays africains peuvent s’engager à leur tour dans le “vol des oies sauvages” qui a débuté avec le Japon, qu’ont suivi ensuite les Nouveaux Pays industriels d’Asie et ensuite les pays du Sud-Est asiatique et la Chine. Mais cette conjoncture ne doit pas faire oublier le contexte. La Chine est devenue depuis 2010 la première puissance manufacturière mondiale (avec 17% de la production par la valeur ajoutée manufacturière mondiale), devant les États-Unis qui avaient ravi cette place au Royaume-Uni à la fin du XIXème siècle.
L’Asie émergente – hors Japon – produit autant que l’Europe (un quart de la valeur ajoutée manufacturière mondiale) et l’Afrique subsaharienne 1%. Si les Chinois délocalisent, ils continuent d’investir massivement dans l’industrie en Chine : mesuré en dollars courants, la Chine investit trois plus que les États-Unis dans l’industrie manufacturière, huit fois plus que l’Allemagne et dix fois plus que la Corée qui est la cinquième puissance manufacturière dans le monde et investit deux fois plus que la France.
Cet effort d’investissement permet à la Chine de disposer du parc de machines le plus moderne du monde émergent, et probablement du monde industriel. Cet avantage de “tard-venu” se combine avec un potentiel d’économies d’échelle considérable, qui est dynamisé par la croissance des revenus et l’élargissement du marché chinois. Si la hausse des salaires en Chine peut éroder la compétitivité des exportations chinoises, elle renforce l’attractivité de la Chine auprès des investisseurs industriels qui cherchent à s’y implanter pour se rapprocher du marché chinois.
L’Afrique n’est pas la seule région du monde susceptible d’attirer des délocalisations d’entreprises chinoises ou de filiales étrangères implantées en Chine. Ces investisseurs regardent d’abord en Asie du Sud-Est (Vietnam, Cambodge mais aussi le Myanmar) et en Asie du Sud (Bangladesh).
De même que la croissance industrielle de l’Asie du Sud-Est n’a pas été freinée par celle de la Chine, la montée de l’Afrique dans l’industrie mondiale ne signifiera pas nécessairement le déclin industriel de l’Asie. Les deux mouvements peuvent s’accompagner, voire se renforcer mutuellement. Mais il faudra attendre plusieurs années pour que l’Afrique et l’Asie jouent dans la même catégorie.
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Jean-Claude Michéa répond à ses détracteurs « de gauche »
Le philosophe Jean-Claude Michéa, auteur de Les mystères de la gauche : de l’idéal des Lumières au triomphe du capitalisme absolu (Climats, 2013), répond à un billet de Philippe Corcuff publié le 25 juillet.
Cher Philippe,
J’ai décidément dû taper dans une sacrée fourmilière pour susciter ainsi une telle levée de boucliers ! On ne compte plus, en effet, les courageux croisés de la sociologie d’État qui ont jugé soudainement indispensable de mettre en garde le bon peuple – il est vrai déjà suffisamment échaudé par l’actuelle politique de la gauche – contre le caractère profondément hérétique et « réactionnaire » de mes analyses philosophiques.
Au cœur de cette curieuse Sainte-Alliance (dont les interventions ont été largement relayées, cela va de soi, par le Net et ses trolls de service) citons – par ordre d’entrée en scène – Luc Boltanski (dont le texte, initialement publié dans le Monde, vient d’être opportunément remis en ligne par un mystérieux site « anti-Ragemag »), Serge Halimi (dans le Monde diplomatique de juin 2013), Frédéric Lordon (dans la très pierre-bergéiste Revue des livres de cet été) et maintenant toi, sur le site de Mediapart.
Bien entendu, la critique permanente des idées des uns et des autres, y compris sous une forme polémique (nous sommes, après tout, au pays de Voltaire) demeure, sans contestation possible, la condition première de toute vie intellectuelle démocratique (et donc, a fortiori, socialiste). Encore faut-il qu’il s’agisse réellement d’une critique et non d’une simple entreprise de désinformation ou de falsification.
Lorsque – pour ne prendre qu’un seul exemple – Anselm Jappe avait entrepris, en 2008, de soumettre l’ensemble de mes positions philosophiques à une critique radicale et sans concession (l’essai a été repris dans Crédit à mort), son analyse n’en demeurait pas moins fondée sur un examen scrupuleux des textes, et témoignait ainsi d’une parfaite honnêteté intellectuelle (c’est d’ailleurs, en partie, grâce à cette critique que j’ai pu prendre une conscience beaucoup plus nette de l’importance théorique majeure des travaux de Robert Kurz et de Moishe Postone sur la loi de la valeur). Il faut dire que Jappe a été formé à l’école de Debord et non à celle de Bourdieu ou de Foucault.
Toute autre, évidemment, est la manière de procéder de nos nouveaux croisés. Trois exemples – j’aurais pu en choisir quantité d’autres – suffiront ici à expliquer un tel jugement. Lorsque, dans le Complexe d’Orphée, je moquais les recommandations de la Halde – cette noble invention de Jacques Chirac – visant à « interdire l’enseignement de la poésie de Ronsart (« discriminante envers les seniors ») ou obliger les professeurs de mathématiques à privilégier les exercices valorisant l’homosexualité » (j’ajoutais : « on imagine une démonstration du théorème de Pythagore conduite sur ces bases épistémologiques ») ce passage – en lui-même parfaitement clair – devient aussitôt, sous la plume savante de Luc Boltanski : pour Michéa, « la Halde serait coupable de prôner la “valorisation de l’homosexualité” » (Boltanski s’étant évidemment bien gardé de signaler aux lecteurs du Monde tout ce que j’avais pu écrire, par ailleurs, sur Pasolini et sur la lutte des homosexuels pour leurs droits).Lorsque, dans les Mystères de la gauche, j’écris que nous devons définir « un nouveau langage commun susceptible d’être compris – et accepté – aussi bien par des travailleurs salariés que par des travailleurs indépendants, par des salariés de la fonction publique que par des salariés du secteur privé, et par des travailleurs indigènes que par des travailleurs immigrés », ce passage devient aussitôt, sous la plume (d’ordinaire beaucoup mieux inspirée) de Serge Halimi : pour Michéa, le pilier du nouveau bloc historique doit donc être un individu « musclé, français et chef de famille ».
Lorsque, dans le Complexe d’Orphée, j’écris que « ce n’est donc pas tant par leur prétendue “nature” que les classes populaires sont encore relativement protégées de l’égoïsme libéral. C’est bien plutôt par le maintien d’un certain type de tissu social capable de tenir quotidiennement à distance les formes les plus envahissantes de l’individualisme possessif » (« tissu social » dont j’ajoutai immédiatement que le développement de l’urbanisme libéral était en passe de l’éroder, au risque d’engendrer ainsi une « lumpenisation » d’une partie des classes populaires), ce passage devient aussitôt, sous la plume avertie de Frédéric Lordon : « Michéa s’interdit de voir que le peuple ne doit qu’à des conditions sociales extérieures (et pas du tout à son “essence” de “peuple”) de ne pas choir dans l’indecency » (et Lordon s’empressait d’ajouter que, d’un point de vue moral, les classes populaires ne valaient pas mieux que ceux qui les exploitent –le peuple étant lui aussi, selon ses mots, « capable de tout », et d’abord de « casser du gay », de « ratonner » ou de « lever le bras à Nuremberg »). Il est vrai que Frédéric Lordon a réussi le tour de force de dénoncer la « faiblesse conceptuelle » de ma théorie de la common decency tout en dissimulant constamment à ses lecteurs (et cela, pendant onze pages !) ce qui en constituait justement le pilier central, à savoir l’usage que je fais de l’œuvre de Marcel Mauss et de ses héritiers (Serge Latouche, Alain Caillé, Philippe Chanial, Paul Jorion, Jacques Godbout, etc.) afin d’en déduire une interprétation moderne et socialiste (ce que la Revue des livres – conformément à l’éthique éditoriale si particulière de Jérôme Vidal – commente joyeusement en affirmant que « Frédéric Lordon dissipe ici avec vigueur et humour les malentendus qu’une lecture superficielle des écrits de Michéa peut produire » !).
Je ne te ferai évidemment pas l’injure, mon cher Philippe, de te ranger, toi aussi, dans la même niche que ces nouveaux chiens de garde et leurs dévoués cyber-trolls. Je connais trop bien ta gentillesse naturelle et je sais aussi à quel point tu es fidèle en amitié (à défaut d’être aussi constant dans tes engagements politiques puisque, si ma mémoire est bonne, tu es déjà successivement passé par le Parti socialiste, le Mouvement des citoyens, les Verts, la Ligue communiste, le NPA et – pour l’instant du moins – la Fédération anarchiste).
Si donc je retrouve dans ton texte la même propension à accumuler les bourdes théoriques les plus invraisemblables et à décrire un auteur fantasmatique dans lequel il m’est évidemment impossible de me reconnaître, au moins suis-je sûr, venant de toi, qu’il ne peut s’agir d’une quelconque opération commanditée, ni d’une volonté délibérée de dissuader le lecteur d’aller contrôler par lui-même la vérité effective de la chose (d’autant que les lecteurs de Médiapart sont quand même infiniment moins moutonniers que ceux du Monde ou de la Revue des livres). J’aurais donc plutôt tendance, dans ton cas personnel, à incriminer les effets secondaires du Publish or Perish (cette dure loi du monde néo-mandarinal à laquelle, Dieu merci, nous autres enseignants du primaire et du secondaire avons toujours pu échapper), ainsi que cette tendance assurément touchante qui a toujours été la tienne à vouloir que ton nom soit imprimé partout en lettres de feu. Double contrainte à coup sûr épuisante et qui exige une productivité d’écriture véritablement surhumaine. Car lorsqu’on se trouve ainsi professionnellement obligé d’écrire à la chaîne et de publier de façon industrielle, il arrive forcément un moment où l’on n’a plus le temps de lire sérieusement les textes qu’on est censé analyser. Reprenons donc les choses de façon plus calme et, cette fois-ci, sans sacrifier au culte moderne du fast writing (et du fast reading) de la nouvelle gauche mandarinale.
Le premier reproche que tu m’adresses c’est donc d’être à la fois « essentialiste » (je saisirais les « réalités socio-historiques comme des “essences”, c’est-à-dire comme des réalités homogènes et durables, plutôt que traversées par des contradictions sociales et historiques ») et « manichéen » (ma logique de pensée serait désespérément « binaire »). A ce niveau de généralité et d’abstraction, j’avoue ne pas trop savoir comment répondre à une telle accusation. D’autant que tu n’avances – à l’appui de ton affirmation – aucun exemple précis ni aucun argument. Disons quand même que je suis un peu étonné d’apprendre que ma présentation de l’histoire du socialisme et de la gauche (qui constitue l’axe politique principal de tous mes livres) serait « binaire » alors que tout mon travail consiste précisément à montrer qu’il est impossible de comprendre la genèse réelle du socialisme –au XIXe siècle – si on ne l’inscrit pas d’abord dans un jeu à trois (la droite cléricale et monarchiste, la gauche libérale et républicaine et le mouvement ouvrier socialiste – sachant que j’ai toujours précisé que ce jeu triangulaire autorisait toutes les passerelles et toutes les hybridations). Travail qui s’écarte, par conséquent, de l’habituel affrontement binaire et intemporel entre une « droite » et une « gauche » dont les essences respectives auraient été fixées, une fois pour toutes, en 1789 (avec comme conséquence inévitable l’idée historiquement absurde selon laquelle Marx et Bakounine auraient toujours revendiqué leur appartenance inconditionnelle à la « gauche ». J’en profite, au passage, pour te rappeler que dans les Oeuvres Choisies de Marx et d’Engels – publiées à Moscou en 1970 – le terme de « gauche » n’apparaît même pas dans l’index final !). L’ennui, c’est que cette seconde interprétation est justement celle que tu défends en pratique. Si donc, sur ce point précis, quelqu’un se montre « binaire » et « essentialiste », c’est bien plutôt Philippe Corcuff que son humble serviteur.
Quant à mon « essentialisme » supposé, j’avoue être plus perplexe encore. J’ai, en effet, toujours pris soin de substituer au terme d’essence du libéralisme (tu peux, par exemple, te reporter sur ce sujet à mon entretien de 2008 avec les militants du MAUSS) celui de logique libérale (voire de « logiciel » libéral). Choix qui n’était évidemment pas innocent. Si, en effet, le concept d’essence renvoie incontestablement à une approche « platonicienne » – elle-même d’ailleurs souvent caricaturée– celui de logique (ou de dynamique) n’a clairement de sens, en revanche, que dans une perspective hégélienne et marxiste. Mais c’est peut-être ici, après tout, que se situe la véritable origine de tes erreurs de lecture. Car en m’efforçant ainsi de saisir la logique du libéralisme, je n’ai évidemment jamais prétendu décrire telle ou telle société libérale à un moment donné de son histoire (ni, a fortiori, la pensée effective de tel ou tel penseur libéral singulier). Même si j’ai dû, bien sûr, accorder une attention particulière aux circonstances historiques concrètes – et d’abord aux guerres de Religion – qui ont joué un rôle décisif dans la naissance du paradigme moderne et de l’axiomatique libérale (je te renvoie ici au dernier livre d’Arlette Jouanna sur la « Naissance de l’imaginaire politique de la royauté », qui confirme en tout point mes analyses). Je me proposais seulement de décrire les tendances de fond du mouvement historique (mouvement nécessairement contradictoire et complexe puisqu’il articule dialectiquement un moment économique, un moment juridico-politique et un moment culturel) qui caractérisent le système libéral considéré dans sa cohérence ultime (encore faut-il, naturellement, qu’on tienne la forme de civilisation rendue possible par un tel système pour un « fait social total » et non comme un simple assemblage de compartiments séparés). En quoi je ne faisais évidemment que suivre la leçon de Marx (ce que presqu’aucun de mes critiques universitaires n’a, d’ailleurs, été capable de relever). Le Capital, en effet, n’analyse pas telle ou telle société concrète de son temps (même s’il emprunte la plupart de ses illustrations empiriques au capitalisme anglais). Il analyse, en réalité, la dynamique pure de l’accumulation du capital (cette « force révolutionnaire permanente » – comme l’écrit David Harvey – qui définit « la caractéristique fondamentale du système capitaliste »). Analyse dont l’abstraction constitutive est redoublée par les effets de la méthode dialectique, qui procède toujours, comme tu le sais, « de l’abstrait au concret ». Chaque partie de l’ouvrage y est ainsi consacrée à l’étude d’un moment déterminé de cette dynamique du capital, abstraction faite, par conséquent, de ses relations concrètes aux autres moments. Dans le livre I, par exemple, le procès de production est analysé abstraction faite du problème de la circulation et de la réalisation de la valeur. Dans le livre II, c’est la structure inverse qui domine. Et le tout, sous l’hypothèse méthodologique – éminemment « essentialiste » – d’une société réduite à deux classes, la bourgeoisie et le prolétariat. Or c’est précisément cette structure volontairement abstraite du Capital – et que Rosa Luxembourg a magistralement développée, en 1913, dans l’Accumulation du Capital (n’oublions pas que les livres II et III ne sont, en effet, que des brouillons édités par Engels) – qui explique, selon moi, l’incroyable actualité de cet ouvrage. Car si, pour l’essentiel, Marx ne s’est pas trompé dans sa « critique de l’économie politique » (je laisse ici de côté sa vision du socialisme qui pose, en revanche, de tout autres problèmes, dans la mesure où celui-ci est supposé trouver sa « base matérielle » préalable dans la croissance illimitée du capital), il s’ensuit que le capitalisme contemporain est historiquement enclin à rejoindre, tôt ou tard, son propre concept (mondialisation de la concurrence, concentration du capital, révolution technologique permanente, généralisation du crédit et de la mobilité des hommes, des marchandises et des capitaux, baisse tendancielle du taux de profit et développement corrélatif du « capital fictif », etc.). Autrement dit, à déployer progressivement – dans des conditions politiques chaque fois déterminées par l’état des luttes de classes –toutes les figures de son « essence » contradictoire. Mais, sans doute, penses-tu que Marx était lui-même un théoricien « essentialiste » – voire « manichéen », puisqu’il ne travaille, dans le Capital, que sur un modèle abstrait à deux classes – et qu’il ignorait donc superbement les « contradictions sociales et historiques » des sociétés de son temps (ce qui expliquerait, au passage, le peu d’usage réel que tu fais du Capital dans tes différents travaux).
Après quoi – et au terme d’un long détour par Max Weber destiné à m’apprendre qu’il existe, dans l’histoire concrète, des « conséquences non intentionnelles de l’action » (ce qui n’est jamais, après tout, que le principe de base de mon interprétation de la dynamique libérale !), tu te risques enfin à hasarder quelques affirmations plus précises. A t’en croire, je défendrais ainsi « depuis une dizaine d’années une thèse principale qui tend à opposer deux types d’essences dans l’histoire occidentale moderne. Les essences du Mal, constituées par les Lumières du XVIIIe siècle, le libéralisme (…), l’individualisme et la gauche, et les essences du Bien représentées par le socialisme ouvrier originel et la common decency ». Common decency dont tu crois bon de préciser qu’elle prend « souvent l’allure chez Michéa d’une caractéristique intemporelle propre à la nature humaine ». Une fois ce curieux théâtre conceptuel mis en place (théâtre conceptuel qui conviendrait assurément mieux aux envolées métaphysiques d’un Bernard-Henri Levy ou d’un André Glucksmann), tu n’as alors évidemment aucun mal à en déduire l’unique conclusion souhaitable. Selon Michéa, tout le drame de l’histoire contemporaine procèderait, en somme, de ce que les « essences du Bien auraient été perverties par les essences du Mal ». De là, bien sûr, ta « réfutation » triomphale, propre à déchaîner le plus vif enthousiasme chez tout lecteur du Monde ou de Libération (ou des sites correspondants du Web). Comment Michéa – sauf à être un fieffé réactionnaire – peut-il ainsi méconnaître les merveilleuses vertus de l’idée d’émancipation individuelle portée par la modernité, puisqu’il est censé voir dans celle-ci l’origine même des quatre « essences du Mal » ? Et, plus encore, comment peut-il « se tromper sur l’analyse historique » au point d’ignorer que « nombre de penseurs des débuts du mouvement socialiste » puisaient une partie de leur inspiration dans la Philosophie des Lumières et la Révolution française ?
J’imagine ici que tous ceux qui ont lu, même superficiellement, n’importe lequel de mes livres sont déjà tombés de leur chaise ! Peux-tu, en effet, me citer un seul texte dans lequel il me soit arrivé, un jour, de parler de cette grandiose théomachie entre les « essences du Bien » et les « essences du Mal » ? Si tel était le cas, tu pourrais effectivement me ranger à bon droit parmi ces « essentialistes » et ces « manichéens » qui peuplent ton zoo métaphysique personnel. Le problème – et tu es forcément le mieux placé pour le savoir – c’est que c’est toi, et toi seul, qui a délibérément inventé toutes ces catégories surréalistes et qui a aussitôt jugé médiatiquement rentable d’en faire le fond réel de ma pensée, quitte à manipuler, pour ce faire, tous les lecteurs de Mediapart. Or je pouvais d’autant moins recourir à une telle « conceptualisation » qu’une partie essentielle de mes analyses de la common decency a précisément pour objectif de lui assigner une origine anthropologique concrète (je vais y revenir dans un instant) et de la distinguer ainsi de ce que j’appelle précisément les Idéologies du Bien. Autrement dit, de tous ces « catéchismes dont les commandements aliénants n’ont de sens qu’à l’intérieur d’une métaphysique donnée – qu’elle soit d’origine religieuse, politique ou autre » (c’est, au passage, ce qui m’a toujours permis de distinguer la véritable décence commune – ou populaire – de toutes ses contrefaçons idéologiques et moralisatrices). A tel point que, dans l’Empire du moindre mal, j’écrivais même que toute idéologie du Bien étant, par définition, une « construction idéologique éminemment oppressive, on pourra reconnaître, sans difficulté, une valeur réelle au principe libéral du “primat du juste sur le Bien” » (et j’ajoutais logiquement que c’était justement cette idée philosophique qui légitimait l’appel adressé par George Orwell au mouvement socialiste de son époque à négocier un compromis défensif avec les libéraux chaque fois qu’un pouvoir totalitaire – à l’image de celui des Nazis – menaçait réellement les libertés les plus élémentaires). Preuve, si besoin était, que je n’ai jamais pu voir dans le libéralisme l’incarnation même d’une quelconque « essence du Mal », même s’il est effectivement devenu aujourd’hui l’ennemi principal des peuples et le moteur premier de cette « mondialisation » qui détruit la nature et l’humanité. Jusqu’à preuve du contraire, cette « essence du Mal » n’existe, par conséquent, que dans tes fantasmes privés.
Je vais donc essayer, aussi brièvement que possible, de rétablir la vérité – ne serait-ce que par respect pour tes lecteurs – en me concentrant sur les seuls points essentiels à notre débat, lesquels se trouvent logiquement être aussi ceux que tu présentes à ces lecteurs de la manière la plus fantaisiste. Je laisserai, par conséquent, de côté toutes tes autres affirmations (bien que j’aie, par exemple, toujours autant de mal à prendre au sérieux ton idée selon laquelle le monde de Steve Jobs, de Bill Gates ou de Pierre Bergé ne pourrait trouver les conditions culturelles de son développement optimal que dans une société « conservatrice », nationaliste, homophobe, raciste, religieuse et patriarcale).
Considérons d’abord la conclusion à laquelle j’estimais être parvenu, au terme des Mystères de la gauche (puisque c’est officiellement le livre dont tu prétends rendre compte). Le projet socialiste – écrivais-je ainsi– est donc né « sous un double signe philosophique. D’un côté, il apparaît incontestablement comme l’un des héritiers les plus légitimes de la philosophie des Lumières et de la Révolution française – dans la mesure où il en reprend clairement à son compte le souci égalitaire et l’idée qu’un projet d’émancipation véritable n’a de sens que s’il s’inscrit sous des fins universelles (…). Mais, de l’autre, il représente également la critique la plus radicale et la plus cohérente qui ait jamais été proposée du ce nouveau monde libéral et industriel dont les principes constitutifs se fondent, par une curieuse ironie de l’histoire, sur le même héritage philosophique » (et je rappelais ici qu’Adam Smith était, avec David Hume, « le plus célèbre représentant de la philosophie écossaise des Lumières »). C’est pourquoi j’invitais logiquement le lecteur à « reprendre le problème sur des bases plus dialectiques, c’est-à-dire à accepter enfin d’avoir à penser avec les Lumières contre les Lumières » (formule dont tu sais pertinemment que je l’ai reprise à ce bon vieux « réactionnaire » d’Adorno). Comme tout lecteur peut ainsi le vérifier par lui-même, ma « thèse principale » se situe donc à des années lumières de celle que tu m’as si généreusement prêtée (même si, encore une fois, je ne pense pas qu’il s’agisse de ta part d’une volonté délibérée – comme chez Boltanski ou Lordon – de dresser un cordon sanitaire préventif entre le lecteur de gauche et l’ensemble de mes livres, mais bien plutôt d’un effet logique de ta méthode de lecture « en diagonale », méthode, à coup sûr, inévitable dès lors qu’on aspire, comme toi, à devenir l’auteur le plus prolixe du Web).
Quant aux critiques que les premiers socialistes – à l’image d’un Pierre Leroux ou d’un Victor Considérant – adressaient à l’universalisme abstrait de la philosophie des Lumières (ce « règne idéalisé de la bourgeoisie », selon la formule d’Engels), elles se fondaient d’abord sur l’idée que l’homme n’est pas un individu « indépendant par nature », ni guidé par son seul « intérêt bien compris » ou son seul « amour-propre » (cette « anthropologie noire » fondée par Hobbes, Adam Smith et même Rousseau, que Marx moque sous le nom de « robinsonnades »). Et qu’en conséquence, le projet d’émancipation individuelle portée par la philosophie des Lumières ne pouvait recevoir de sens concret et véritablement humain que si on le reprenait dans l’horizon d’une vie réellement collective – le libre développement des uns ne trouvant sa conditionde possibilité effective que dans celui des autres (« il n’y a pas de vrai bonheur dans l’égoïsme » aimait ainsi à dire George Sand). Aux yeux des premiers socialistes, une société organisée par la seule logique de l’individualisme calculateur (ou « rationnel ») ne pouvait conduire, en effet, qu’à dissoudre progressivement toute forme de vie commune (ce que Pierre Leroux appelait la « désassociation » du genre humain et Engels l’« atomisation du monde ») et, avec elle, toute notion traditionnelle d’entraide –voir Kropotkine – ou de solidarité effective (la « société » se trouvant alors réduite – selon le vœu de Margaret Thatcher – à un ensemble toujours renouvelé de micro-contrats privés entre des individus dont chacun ne chercherait, par hypothèse, qu’à « maximiser son utilité »). De là, bien sûr, le nom même de « socialisme » – ou de « communisme » – que les premières associations ouvrières opposaient fièrement à l’individualisme possessif et narcissique des libéraux, c’est-à-dire à cette « exagération charlatanesque de la liberté bourgeoise jusqu’à l’indépendance absolue de l’individu » (Engels). Et, au passage, on comprend alors pourquoi ce moment anti-individualiste de la critique socialiste a toujours pu rencontrer un écho favorable dans la droite religieuse, conservatrice et réactionnaire, traditionnellement attachée, par définition, à l’idée de communauté (sous la seule condition, bien entendu, que cette communauté demeure hiérarchique et ne porte donc pas atteinte aux privilèges de caste ou de classe). Suffisamment, en tout cas, pour rendre aujourd’hui plausible aux yeux de beaucoup de militants de gauche l’idée que toute critique radicale de la modernité capitaliste – et en premier lieu celle portée par le mouvement de la « décroissance » – serait en réalité d’essence « conservatrice » (n’est-ce pas ainsi être « passéiste » que de vouloir défendre l’agriculture paysanne contre les « progrès » industriels rendus possibles par Monsanto ?). C’est là ce qu’on pourrait appeler, en somme, la « stratégie Barroso » (la critique du libre-échange comme fantasme « xénophobe et réactionnaire »), stratégie qui est devenue – tu peux difficilement l’ignorer – le moyen privilégié pour la gauche libérale contemporaine de discréditer a priori toute critique un peu sérieuse de l’ordre capitaliste et de sa société du spectacle.
C’est donc bien, avant tout, dans le but d’assurer enfin un fondement théorique plus solide à ce sens intuitif de l’être-ensemble (ou de l’«association ») qui soutenait toutes les critiques du socialisme originel que j’ai entrepris – il y a bientôt vingt ans – de m’appuyer sur l’œuvre sociologique de Marcel Mauss (dont on oublie trop souvent qu’il était lui-même socialiste) et sur son idée matricielle selon laquelle la triple obligation de donner, recevoir et rendre constitue effectivement la « trame ultime du lien social ». Structurellement antérieure, de ce point de vue, aux constructions plus tardives du contrat juridique, de l’échange marchand et de l’Etat (dans ton texte, tu cites correctement cette formule – « trame ultime du lien social » – mais sans même t’apercevoir qu’elle ne correspond pas du tout à ma définition de la common decency – comme tu l’annonces tranquillement à tes lecteurs – mais uniquement à celle de son fondement anthropologique, c’est-à-dire de ce que Mauss appelait la « logique du don ». Il est vrai que tu ne dis pas un seul mot de cette dernière !). Bien entendu, dans le Complexe d’Orphée, je ne manquais pas de préciser que si cette triple obligation « transcendantale » constituait effectivement le véritable « socle anthropologique de toutes les constructions éthiques ultérieures », elle était cependant incapable de spécifier, en tant que telle, « aucun contenu empirique particulier – sous la seule réserve, bien sûr, que ce contenu soit compatible avec les formes mêmes de cette triple obligation, ce qui exclut déjà tous les types de conduite fondés sur le seul égoïsme, tels que la cupidité, l’ingratitude, la lâcheté ou la félonie » (je te renvoie ici aux récents travaux de Kwame Appiah sur l’universalité de la logique de l’honneur). C’est pourquoi j’ai également toujours pris soin de rappeler que la logique du don pouvait connaître, dans l’histoire, aussi bien des formes agonistiques (le potlatch, la vendetta, etc.) que productrices d’alliance et de coopération, égalitaires qu’inégalitaires, étouffantes (par exemple, l’emprise psychologique de la mère possessive et castratrice) que libératrices (par exemple l’amitié). Et qu’en conséquence, les manières quotidiennes de donner, recevoir et rendre propres à une société socialiste (ne serait-ce qu’à l’intérieur d’une coopérative autogérée ou dans le cadre de l’autonomie locale) devraient impérativement se dérouler sous le signe politique privilégié de l’égalité et de l’autonomie individuelle (ce qui implique très probablement – comme Proudhon l’avait pressenti – le maintien de la petite propriété privée et d’un secteur marchand aux pouvoirs bien définis et contrôlés par la collectivité). On pourra, par exemple, trouver chez John Dewey – un auteur familier à tous les anarchistes – une série d’analyses tout à fait remarquables sur la façon dont l’autonomie réelle des individus – loin de s’opposer de manière absolue au sens de la communauté et de l’appartenance (comme dans le modèle libéral et ses variantes parisiennes prétendument « libertaires ») – trouve au contraire en lui sa condition de possibilité la plus fondamentale.
Quant à la common decency (que je définissais comme la « réappropriation moderne de l’esprit du don, sous la forme de règles intériorisées par la “conscience morale” individuelle »), j’ai également toujours souligné que, dans le sens où l’entendait George Orwell, elle empruntait clairement une partie décisive de ses principes concrets, « consciemment ou non, à d’autres sources historiques et culturelles que le seul esprit du don – qu’il s’agisse ainsi de la mémoire collective des luttes populaires antérieures (comme, par exemple, celles des républicains de 1793 et des niveleurs anglais) ou de l’écho indirect d’un certain nombre de débats philosophiques et religieux » (Orwell mentionne d’ailleurs lui-même le rôle essentiel de l’égalitarisme chrétien dans la formation de la version occidentale de la common decency – tout comme Simon Leys, le meilleur commentateur d’Orwell– soulignait celui du confucianisme dans celle de sa version asiatique).
Devant des textes aussi clairs – et que j’aurais pu multiplier à l’infini – je ne parviens donc toujours pas à comprendre comment tu peux t’obstiner à faire courir le bruit partout (car tu es un professionnel du Web) que la common decency représenterait pour moi « une caractéristique intemporelle propre à la nature humaine ». Or dès lors qu’on élimine à la fois l’hypothèse de la falsification délibérée et celle de ton manque de sérieux intellectuel (tu es, quand même, après tout, maître de conférence à l’université de Lyon !) il ne reste plus qu’une seule explication plausible à cette volonté qui est constamment la tienne de délégitimer à tout prix l’idée même de common decency. C’est qu’en tant que sociologue formé à l’école de Saint Bourdieu (tout comme Boltanski et Lordon), il t’est forcément très difficile de reconnaître la place que devrait tenir la dimension morale dans toute critique radicale du capitalisme. Ce qui te conduit curieusement à retrouver – certes, sous une forme beaucoup plus « libertaire » – tous ces vieux réflexes léninistes que ton passage par la Ligue et le NPA n’a certainement pas dû améliorer. Pour Lénine en effet – on le voit bien, par exemple, dans sa polémique fondatrice avec Nikolaï Mikhaïlovski et les populistes russes (ces derniers refusant avec raison d’opposer mécaniquement les analyses du Capital et la critique morale du libéralisme)– « Werner Sombart avait raison de dire que, d’un bout à l’autre, le marxisme ne contient pas un grain d’éthique » (Cf. Le contenu économique du populisme, 1895). Or, à l’opposé de cette lecture strictement déterministe du marxisme (que l’ouvrage de Paul Blackedge – Marxism and Ethics – vient de réfuter de manière, à mon avis, définitive) et donc de toute prétention à édifier un socialisme purement « scientifique » (prétention qui fait évidemment la part trop belle à tous ces « experts » qui estiment que le peuple est structurellement incapable de penser et d’agir hors de leur tutelle éclairée) – je persiste à croire que le point de départ réel de la prise de conscience par les gens ordinaires des effets déshumanisants (et dévastateurs pour la nature) du système capitaliste est presque toujours une indignation, c’est-à-dire une révolte morale. Même si, ensuite, il est clair que seule une théorie critique radicale – dont l’élaboration ne saurait, de toute façon, être le monopole des intellectuels de métier – est à même de prendre entièrement en charge, et de conduire politiquement à son terme, cette indignation première. Et pas seulement le point de départ. C’est bien, en effet, le ferme maintien de cette capacité morale de s’indigner et de se révolter – devant le fait évident, comme l’écrivait Orwell, qu’il y a « des choses qui ne se font pas » – qui, seul, apparaît en mesure d’immuniser durablement un mouvement révolutionnaire contre la croyance faussement « réaliste » selon laquelle « la fin justifierait les moyens ». Et, par conséquent, contre ce que Bakounine dénonçait déjà comme le risque d’un « gouvernement des savants » – dont il croyait percevoir les prémisses dans le « socialisme scientifique » de Marx. Ou l’anarchiste polonais Jan Makhaïski, à la fin du XIXe siècle, comme celui d’un « socialisme des intellectuels », porté par les nouvelles classes moyennes. Telle est bien, en dernière instance, la fonction politique première du concept de common decency (qui ne saurait donc être entièrement compris sans les leçons qu’Orwell avait su tirer de son expérience du stalinisme –notamment lors de la guerre civile espagnole). Et si notre pauvre Frédéric Lordon nous avoue être personnellement incapable de comprendre ce que pourrait bien signifier concrètement l’invitation « moralisatrice » à se comporter de façon décente dans tous les domaines de la vie quotidienne (ne serait-ce que sur le plan intellectuel), cela nous en apprend certainement beaucoup plus sur lui que sur la triste réalité qui est devenue aujourd’hui la nôtre (« le voleur croit que tout le monde vole », dit ainsi un proverbe chinois).
Il me reste, pour terminer cette lettre déjà trop longue, à préciser un point qui, je crois, pourrait offrir à nos lecteurs la clé ultime de toute cette affaire. Tu as tenu, en effet, à placer ta « critique » de mes idées sous le signe privilégié de la distinction opérée par Max Weber entre l’« éthique de conviction » (ou encore l’« éthique absolue ») et l’« éthique de responsabilité ». Aux yeux du sociologue allemand, la première serait celle qui commande aux hommes (c’est toi-même qui a choisi cet exemple) « un devoir inconditionnel de vérité ». Alors que la seconde nous inviterait, au contraire, à privilégier systématiquement les conséquences réelles de nos principes moraux. « Ce qui sépare ces deux éthiques – écris-tu ainsi à juste titre – c’est donc l’attention ou pas aux effets de ce qui est dit et fait. » Je t’avouerais, mon cher Philippe, que cette distinction qui te semble si évidente m’a toujours parue extrêmement ambigüe. Soit, en effet, elle vise simplement à nous mettre en garde contre toute éthique indifférente à l’humanité réelle (« Fiat justicia, pereat mundus »). Mais cela signifie alors que cette prétendue « éthique absolue » n’est que l’autre nom de ce que j’ai appelé une idéologie du Bien – idéologie au nom de laquelle, en général, on remplit les camps et les cimetières (une véritable éthique – on le sait depuis Aristote – est en effet toujours attentive au concret et n’ignore donc pas les « cas de conscience » et les « tempêtes sous un crâne ». Je te renvoie ici, entre autres, aux travaux d’Alasdair MacIntyre). Soit, au contraire, cette distinction constitue un appel à renoncer à nos principes fondamentaux (ou, au minimum, à transiger avec eux) chaque fois que les circonstances historiques sont supposées l’exiger. Il se trouve que la seule question qui importe à tes yeux – en bon disciple de Max Weber – c’est de découvrir enfin le meilleur moyen de « combiner » les deux. Or, pour te le dire franchement, il me semble que tu t’aventures ici sur un terrain particulièrement glissant (surtout pour quelqu’un qui se veut désormais « anarchiste »). Certes, tu prends bien soin de préciser qu’il n’est pas « nécessairement » question « d’abandonner la visée de vérité » (encore heureux !). Il s’agirait plutôt d’apprendre –dans le cadre de ce que tu appelles significativement tes « Lumières tamisées » – à mettre cette visée « en rapport avec une éthique de la responsabilité se souciant des conséquences sur le monde des paris de vérité que nous pouvons formuler les uns et les autres ». Ou – comme tu l’écris de façon encore plus claire – en nous interrogeant d’abord sur le « “comment le dire” (sic), en fonction du contexte et de ses effets prévisibles ». Le problème, avec ce genre de « dialectique », c’est qu’on sait toujours très bien où elle commence mais jamais vraiment où elle s’arrête. Et qu’elle invite un peu trop facilement ses subtils partisans –au nom du « contexte » et des « conséquences » – à prendre d’inquiétantes libertés avec la notion même de vérité. Imaginons – simple exemple pris au hasard – que dans le « contexte » actuel, les idées d’un certain Michéa, si fondées soient-elles, aient des « conséquences prévisibles » particulièrement néfastes pour la bourgeoisie de gauche. Quelle devrait alors être, sur un tel sujet, le « pari de vérité » d’un critique corcuffien ? Chacun reconnaîtra, bien sûr, dans cet exemple tout à fait imaginaire, une version rajeunie du vieux schéma idéologique qui a conduit, tout au long du siècle écoulé, la plupart des intellectuels de gauche (mais ni un Orwell ni un Camus – d’où l’animosité discrète qu’ils continuent de susciter) à vouloir éviter par tous les moyens – par exemple en dissimulant « provisoirement » l’existence des crimes de Staline – de « désespérer Billancourt » (sous le règne de François Hollande et de Pascal Lamy, sans doute vaudrait-il mieux dire « pour ne pas désespérer le Marais, la place des Vosges et le Luberon »). C’est la raison pour laquelle je me garderai bien de te suivre sur ce chemin. Car s’il y a une chose, en effet, dont je sois absolument certain – à la lumière de toute l’expérience révolutionnaire du XXe siècle – c’est que, comme l’écrivait Antonio Gramsci, seule la vérité est révolutionnaire. Et qu’il faut donc toujours être prêt à la dire telle qu’elle est, quel que soit le contexte et quelles qu’en soient les conséquences. Même si –en agissant de la sorte– on risque évidemment toujours de faire « objectivement » le jeu de l’ennemi (surtout quand la logique de l’affrontement n’est pas « binaire » et qu’il existe, par conséquent, des « ennemis de nos ennemis ») ou même d’en recevoir les chaleureuses félicitations (n’est-ce pas, après tout, la CIA elle-même qui avait financé la première adaptation cinématographique d’Animal Farm ?). Et même à supposer qu’il puisse exister, un jour, des circonstances où l’on devrait cacher la vérité au peuple « dans son propre intérêt » (ou afin, comme on dit plus sobrement, de ne pas donner « des armes à la droite »), il reste – et cela, tu ne peux pas l’ignorer – que la vérité finit toujours, tôt ou tard, par sortir de l’armoire et apparaître aux yeux de tous. C’est d’ailleurs ce qui explique qu’à la fin de l’histoire, ce soient malheureusement toujours les mêmes – autrement dit, les classes populaires – qui se retrouvent à devoir payer l’addition laissée par les doctes défenseurs d’une éthique « responsable ».
Comme je te l’ai dit en commençant, mon cher Philippe, je reste absolument convaincu qu’il n’y a en toi aucune trace de malhonnêteté intellectuelle, ni même d’un véritable désir d’augmenter à tout prix ton « capital symbolique » personnel. De toute évidence, tu n’es ni un Boltanski ni un Lordon. Et j’ai bien compris que, dans toute cette ennuyeuse histoire, tu ne cherchais d’abord qu’à purger notre pauvre monde de tous ses démons « manichéens » et « essentialistes ». Mais le résultat, hélas, est exactement le même. Car le fait est que, toi aussi, tu as bel et bien fini par imposer à tes lecteurs une image entièrement déformée de mes livres et de mes positions. Puisse donc la lecture des Essais de George Orwell (je parle, naturellement, d’une lecture sérieuse, et non « en diagonale » !) te permettre enfin d’accéder à une conception plus révolutionnaire – et, à coup sûr, plus décente – de la vérité. C’est tout le mal que je te souhaite.
Amicalement,
Jean-Claude Michéa
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Le régime syrien est en train de gagner contre les terroristes islamistes
D'Aymeric Chauprade sur la Syrie :
"Une nouvelle fois, après l’Irak, la Yougoslavie et la Libye, l’Occident a recours au mensonge le plus grossier qui puisse être : l’accusation d’usage d’armes de destruction massive.
La vérité est que le régime syrien est en train de gagner la bataille contre les terroristes islamistes et qu’il n’a pas besoin d’armes chimiques pour cela. Fort du soutien de l’Iran, du Hezbollah libanais et de la Russie (soutien politique sans failles), il est en train d’écraser son opposition islamiste, minoritaire dans le pays (bien que les sunnites soient majoritaires) et cela face à une rébellion islamiste internationale qui n’a plus d’autre issue que de tenter d’impliquer la France, le Royaume-Uni et les États-Unis dans la guerre.
Il faut dénoncer avec la plus grande fermeté ce mensonge de la rébellion islamiste et son soutien par le gouvernement français, soutien qui s’apparente autant à une trahison des intérêts de la France qu’à un crime contre la paix internationale.
[...] En Syrie comme en Égypte, il faut choisir les gouvernements patriotiques contre les islamistes. Certes ces gouvernements patriotiques répriment violemment, mais lorsqu’un pays sombre dans le chaos, c’est violence contre violence. Il suffit d’ailleurs de voir comment le Ministre Valls a fait récemment usage de la violence, de manière totalement disproportionnée, contre des familles catholiques qui manifestaient pacifiquement, pour imaginer ce qui pourrait se passer en France si l’État sombrait dans le chaos ! Mais nous savons qu’en France, depuis longtemps et bien avant le retour des socialistes, nous avons quitté l’État de droit pour entrer dans l’État du “deux poids deux mesures” (aux anciens Français, surtout quand ils sont catholiques, la sévérité implacable, aux nouveaux, l’excuse et l’impunité permanentes…).
En France, ces barrières idéologiques qui séparent encore partisans d’une économie libre sans dirigisme et partisans d’une économie libre avec dirigisme, partisans de la laïcité républicaine orthodoxe et partisans de l’identité chrétienne, devront tomber au profit de la seule réalité charnelle qui vaille le combat et l’unité : la France, sa civilisation menacée par l’islamisation et l’africanisation, son État menacé par la banqueroute, sa place dans le monde effacée par le mondialisme, sa prospérité fragilisée par la montée des économies asiatiques. Le principe de réalité devra s’imposer : sacrifier son petit parti “pur”, sa petite mouvance “idéalement conforme” à ce dont on rêve, au profit de la seule dynamique politique capable, autour d’une personnalité forte et légitime, héritière d’un demi-siècle de combat national et d’annonces visionnaires, de coaliser des forces venant d’horizons différents, de sensibilités variées, mais mues par un seul impératif : empêcher la disparition de la France dans ce qu’elle est (son identité) et dans ce qu’elle a (sa puissance économique, géopolitique, culturelle…). [...]"
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Vladimir Poutine, sur les minorités en Russie.
Le 4 Février 2013, Vladimir Poutine, le président russe, s'est adressé à la Douma, (Parlement russe), et a prononcé un discours sur les tensions avec les minorités en Russie:
"En Russie, vivons Russes. Toute minorité, de n'importe où, si elle veut vivre en Russie, travailler et manger en Russie, doit parler le russe, et doit respecter les lois russes. S'ils préfèrent la Charia, alors nous leur conseillons d'aller aux endroits où c'est la loi du pays. La Russie n'a pas besoin de minorités. Les minorités ont besoin de la Russie, et nous ne leur accorderons pas de privilèges spéciaux, ou n'essaierons de modifier nos lois pour répondre à leurs désirs, peu importe la force avec laquelle ils crient à la « discrimination ».
On ferait mieux d'apprendre du suicide de l'Amérique, de l'Angleterre, de la Hollande et de la France, si nous voulons survivre en tant que nation. Les coutumes et les traditions russes ne sont pas compatibles avec l'absence de culture ou les moyens primitifs de la plupart des minorités. Quand ce corps législatif honorable pense à la création de nouvelles lois, il faut avoir à l'esprit l'intérêt national, en gardant à l'esprit que les minorités ne sont pas les Russes.”
Les hommes politiques de la Douma lui ont donné une ovation debout pendant cinq minutes !Lien permanent Catégories : actualité, culture et histoire, géopolitique, international 0 commentaire -
200.000 personnels de l’Enseignement sous-employés
Une étude de l’INFRA par Charlotte Uher.
François Hollande, lors de sa campagne présidentielle, avait annoncé son intention de recruter 60.000 fonctionnaires dans l’Education nationale. Réalité dans le temps ou simple argument électoral pour appâter le corps des enseignants ? Etant donné la tournure des événements, il est à craindre qu’il tiendra parole.
L’INFRA, dont Polémia reprend certaines des publications, s’est livrée à une étude approfondie des affectations de ces fonctionnaires : il en ressort notamment que près de 92.400 d’entre eux ne seraient pas en charge d’une classe.Le lecteur trouvera ci-dessous l’analyse de Charlotte Uher.
PolémiaLe rapport de la Cour des comptes sur la gestion des enseignants, dont nous avons parlé récemment, laisse largement sous silence le problème des enseignants qui ne sont pas devant les élèves. En 2012, ce seraient 92.400 enseignants qui ne seraient pas en charge d’une classe. Ces enseignants peuvent s’occuper de quelques élèves, ou bien rester inemployés une partie de l’année (remplaçants). A cela s’ajoutent 125.000 personnes (essentiellement des enseignants) qui, en 2011, étaient gérées par les ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur, mais qui n’étaient pas en fonction au sein du ministère : ils travaillent dans un autre ministère (Affaires étrangères par exemple) ou une organisation syndicale, ou encore sont en congé (parental, fin d’activité, …). Ce problème de gestion des personnels se retrouve dans chaque ministère, mais dans l’enseignement, 217.500 personnes auraient ainsi été sous-employées en 2011.
Mise en forme : Fondation iFRAP.
Les chiffres du ministère : 92.439 enseignants qui ne sont pas en charge d’une classe en 2012
40.000 enseignants sous-employés dans le second degré
Pour ce calcul, nous avons repris la définition du ministère de l’Éducation nationale pour compter les enseignants « qui ne sont pas devant élèves » dans le second degré [1] :
Enseignants devant élèves
Enseignants « pas devant les élèves »
Enseignants à l’année en collèges et lycées (LEGT et LP) Remplacement, documentation, Erea, 1er degré (généralement en Segpa), enseignants pas encore affectés, vacataires Enseignants à l’année en collèges et lycées (LEGT et LP) Remplacement, documentation, Erea, 1er degré (généralement en Segpa), enseignants pas encore affectés, vacataires Source : RERS 2012.
A la vue de ce tableau, il serait plus juste de parler d’enseignants qui ne sont pas « en charge d’une classe ». En effet, cette définition appelle trois remarques :
Certains enseignants sont bien devant un ou plusieurs élèves, au moins une partie de l’année [2],
Les enseignants affectés après la rentrée ne sont pas comptés,
Cette définition ne prend en compte que des effectifs physiques, sans donner l’équivalence en temps plein travaillé du nombre de postes d’enseignants en charge d’une classe. Les temps partiels notamment ne sont pas différenciés des temps plein, et les vacataires ne sont pas comptabilisés « pour des raisons de qualité de l’information recueillie » (sic !).
Cette définition repose sur un schéma ancien, celui du statut de 1950. Or les missions des enseignants ont beaucoup évolué depuis : prise en charge des élèves à profils particuliers (Erea, Segpa, plus généralement les élèves handicapés dans le cadre de la loi 2005 sur le handicap, et Rased dans le premier degré), soutien scolaire, tutorat, aide à l’orientation. De plus, les enseignants ne sont plus forcément recrutés pour un poste à la rentrée : c’est le principe du « plus d’enseignants que de classes » en primaire, et des remplaçants professionnels (TZR).Cette définition est issue du RERS, publication statistique annuelle du ministère. Si l’on reprend les données des fiches 9.1, 9.2, 9.4 et 9.7 de l’édition 2012 du RERS, on peut compter le nombre d’enseignants qui ne sont pas devant les élèves dans le secteur public en janvier 2012 : 40.177 enseignants, dont 1.900 (« environ ») enseignants en Erea, et des enseignants du premier degré affectés notamment dans les Segpa : 7.500 « environ ». (Erea, Segpa : voir note 2).
53.000 enseignants « fantômes » dans le premier degré.
Si l’on suit la même méthode dans le premier degré, on aboutit à un résultat de 52 262 enseignants « pas devant les élèves » en janvier 2012, dont 25.400 en remplacement , 11.700 en « prévention et traitement des difficultés scolaires », 10.700 affectés à la scolarisation des élèves malades ou handicapés, et 4.500 dans l’encadrement pédagogique, en réadaptation ou en réemploi. Mais parmi les enseignants comptés comme étant « devant les élèves » figurent les directeurs d’écoles dont certains peuvent être partiellement, ou totalement déchargés de classe. C’est le cas à Paris où tous les directeurs sont déchargés de classe, quel que soit le nombre de classes.
On peut calculer ces effectifs fantômes d’une autre manière. Mais on arrive au même résultat. Le nombre d’élèves par classe permet aussi d’estimer le nombre d’enseignants qui ne sont pas devant les élèves [3]. Dans le premier degré, on pourrait s’attendre à ce qu’il y ait, à peu de choses près, un enseignant par classe. Or ce n’est pas le cas, et de loin. Au final, en tenant compte du nombre moyen d’élèves par classe, communiqué par le ministère, et du nombre d’élèves et d’enseignants, on observe une absence de 53.000 à 62.500 enseignants, dans le premier degré, entre 2005 et 2011. Des chiffres en légère baisse, assez proches de ceux calculés dans le paragraphe précédent.
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
1er degré (Selon la définition du RERS) 52.837 66.209 66.760 67.181 67.164 67.969 54.537 52.262 1er degré (Selon le nb d’élèves par classe) 62.535 60.103 59.236 59.926 58.013 55.649 52.740 Cet indicateur montre surtout que ce n’est pas parce que des postes sont supprimés, ou inversement, créés, que le nombre d’élèves dans les classes va diminuer [4]. En réalité, le nombre d’élèves a considérablement baissé depuis 1960 dans le premier degré, et reste assez stable depuis 1999, malgré la baisse du nombre d’élèves, et la hausse du nombre d’enseignants. Si les enseignants d’aujourd’hui trouvent que leurs classes sont surchargées, la raison est sûrement ailleurs que dans les effectifs : élèves moins disciplinés, baisse du niveau des enseignants recrutés, programmes trop lourds, trop grande spécialisation des enseignants, …
Au total : 92.000 enseignants n’étaient pas en charge d’une classe en 2012.
D’après la définition du RERS
Enseignants “devant les élèves”
Enseignants pas en charge d’une classe
Total
Enseignants du premier degré 273.179 52.262 325.441 détails : Dont directeurs d’école, qui peuvent être totalement ou partiellement déchargés de classe. (A Paris, tous les directeurs sont déchargés, quel que soit le nombre de classes) Dont remplacement (25.396), prévention et traitement des difficultés scolaires (11.732), scolarisation des élèves malades ou handicapés (10.661), encadrement pédagogique, réadaptation ou réemploi (4.473) Enseignants du second degré 347.007 40.177 387.184 détails : dont 1.900 (« environ ») enseignants en Erea, et des enseignants du premier degré affectés notamment dans les Segpa : 7.500 « environ ». (Erea, Segpa : voir note 2) Total des enseignants du premier et du second degré 620.186 92.439 712.625 Source : fiches 9.1, 9.2, 9.4 et 9.7 de l’édition 2012 du RERS, effectifs de France métropolitaine et DOM, y compris Mayotte, en janvier 2012. Si l’on suit ce même calcul sur une plus longue période, depuis 2006, on voit que le nombre d’enseignants qui ne sont « pas devant les élèves » est en légère baisse (102.155 enseignants en 2006 à 92.367 en 2012, hors Mayotte), et est particulièrement important dans le premier degré (-14.000 enseignants « pas devant les élèves »). La lente baisse des effectifs qui ne sont pas en charge d’une classe est probablement due pour partie à la politique de non remplacement de certains enseignants, et à l’augmentation des élèves dans le premier degré (depuis 2003) et dans le second degré (depuis 2011). Mais elle est aussi due, à moyen terme, au changement régulier de périmètre dans le calcul par le ministère du nombre d’enseignants, c’est-à-dire à un problème de définition et au manque de détails des chiffres communiqués par le ministère.
La méthode budgétaire : où sont donc partis 125.079 personnels de l’enseignement ?
Il existe une autre façon de décompter les enseignants, c’est celle que met en œuvre le rapport annuel sur l’état de la fonction publique et des rémunérations. Les décomptes des effectifs ne peuvent malheureusement pas se recouper exactement avec ceux du ministère [5]. De plus, si l’on sait que la plupart des personnels de ces ministères sont enseignants, ce rapport n’en donne pas le nombre exact.
Le rapport sur l’état de la fonction publique et des rémunérations donne le nombre des enseignants qui sont « payés », « en fonction dans » ou « gérés » par les ministères de l’enseignement (Éducation nationale et Enseignement supérieur), ainsi que dans les établissements publics qui dépendent du ministère. Le rapport budgétaire indique donc dans quelle « position » sont les personnels : en service actif au sein du ministère, ou non. Dans le graphique suivant, on voit que la part des personnels qui ne sont pas en fonction au sein du ministère, est globalement en augmentation, et oscille entre 57.000 et 125.000 entre 2007 et 2010 (derniers chiffres communiqués), la grande majorité (60.000 en 2010) étant affectée dans un établissement public dépendant du ministère. La part des congés parentaux et des disponibilités reste assez mince, contrairement aux idées reçues.
Mise en forme : Fondation iFRAP.
Cette méthode de présentation met surtout en évidence un problème de gestion plus général des personnels recrutés. Un enseignant recruté par l’Éducation nationale restera à vie rattaché à ce ministère, qui gérera sa progression de carrière, voire même continuera à le payer alors qu’il n’y est plus en fonction. Ainsi, un enseignant recruté par l’Éducation nationale peut être détaché dans un établissement dépendant d’un autre ministère. Il peut y enseigner [6] ou y faire tout autre chose, sans perdre pour autant son statut, comme le montre l’exemple du CNED.
Dans son rapport public annuel 2013, la Cour des comptes a été particulièrement critique avec le CNED, jugé peu performant, même pour son cœur de mission. La Cour a aussi pointé du doigt la politique de ressources humaines du CNED, auquel le ministère de l’Éducation nationale envoie plus d’un millier d’enseignants ne voulant plus, ou ne pouvant plus enseigner devant les élèves [7], tout en voulant garder leur statut. Or la situation de ces personnels n’est pas claire : à la rentrée 2011, 41% des enseignants du CNED étaient toujours rémunérés sur le budget de leur académie d’origine. Seule une minorité exerce son travail sur un des sites du CNED, la plupart travaillant à domicile. De plus, alors que le nombre d’élèves est en chute constante depuis une dizaine d’années, le nombre d’enseignants est en augmentation (+123 dans le premier degré entre 1998 et 2007). En 2007, derniers chiffres détaillés connus, 1.121 enseignants étaient affectés au CNED : 463 du premier degré et 658 du second degré.
Le CNED : un service public de réemploi des enseignants
Les ministères de l’enseignement se retrouvent donc gestionnaires de plus d’1,13 million personnes physiques. Auxquels s’ajoutent les vacataires embauchés sur des crédits normalement réservés aux heures supplémentaires des enseignants (pour un total d’1,3 milliard d’euros en 2011 pour les HS de l’Éducation nationale), plus des assistants d’éducation, des auxiliaires de vie scolaire et des contrats uniques d’insertion, rémunérés au titre des dépenses d’intervention (titre 6) du ministère (1,4 milliard d’euros en 2012). Il devient urgent de rationaliser la gestion RH des ministères, en réconciliant la gestion de l’emploi et la gestion budgétaire. Les ministères et les opérateurs doivent devenir pleinement responsables de leurs effectifs. C’est à cette seule condition que l’on pourra savoir de combien d’effectifs on a besoin pour assurer l’enseignement des élèves, et quelles dépenses il faut prévoir. Car pour l’instant, il est illusoire de vouloir réduire le nombre de personnes, si de nouvelles peuvent être embauchées grâce à des enveloppes budgétaires largement opaques.
Loin d’être anecdotique, la question du nombre d’enseignants devant les élèves met en évidence un important problème de gestion des effectifs au sein des ministères. La Cour des comptes a apporté la semaine dernière quelques propositions de réformes pour l’Éducation, largement concentrées sur la réforme du statut des enseignants, et l’amélioration de l’attractivité du métier, avec quelques remarques vers la fin du rapport sur la gestion administrative. Or, vu l’état actuel des finances publiques, il devient urgent de rationaliser cette gestion administrative et budgétaire pour s’assurer que toutes les nouvelles dépenses sont bien justifiées. Et que les enseignants qui ne sont pas devant les élèves, soit retournent en classe, soit démissionnent pour laisser leurs places à d’autres, plus motivés.
Nos propositions :
Quand un enseignant part dans un autre ministère, le faire entièrement gérer par son nouvel employeur, et non plus par son corps d’origine. Cela serait rendu possible par une gestion RH recentralisée par la DGAFP. Les ministères devraient alors arrêter de créer leur propre fonction RH, et n’avoir plus que des correspondants de la DGAFP en leur sein. Cela permettrait d’homogénéiser les procédures et d’éviter les financements croisés (par exemple, un enseignant de l’EN, envoyé au ministère de la Culture, qui travaille dans un musée, au service éducatif, en étant payé par le ministère de la Culture, géré par l’Éducation nationale, mais employé dans un opérateur) [8].
Un statut pour les directeurs d’établissements scolaires : il faut aller vers un corps de personnel de direction unique 1er-2nd degré qui permettra un pilotage et une unification renforcées du système, avec de véritables pouvoirs de RH.
Refonte du statut et de la gouvernance : mieux définir les missions et conditions pour être fonctionnaire, le statut et les missions des autres personnels non fonctionnaires, et faire gérer les personnels par le chef d’établissement à l’échelle la plus locale possible (établissement ou groupe scolaire). La Fondation iFRAP propose une gestion au plus près avec des enseignants recrutés directement par les établissements, et rémunérés via un forfait éducatif attribué à chaque établissement en fonction du nombre d’élèves.
En finir avec l’amateurisme et les décharges horaires pour de multiples raisons. Les enseignants, en particulier agrégés, doivent se concentrer sur les missions pour lesquelles ils sont payés : enseigner en classe entière devant des élèves. Les missions annexes (orientation, soutien scolaire, tutorat, suivi des élèves à profil particulier, remplacement ponctuel) étant effectuées par des professionnels, plus ou moins rémunérés selon leur qualification.
Pour chaque établissement scolaire, publier les noms des enseignants et les classes dans lesquelles ils exercent, ainsi que les noms des enseignants déchargés de classe. Publier par académie les noms de toutes les personnes de catégorie A : les noms des enseignants et des inspecteurs en charge, ainsi que leurs fonctions.
Charlotte Uher
IFRAP
6/06/2013Notes :
[1] Source : pages 296-297 des Repères et références statistiques – édition 2012. « Les enseignants recensés ici sont ceux qui exercent une activité d’enseignement à l’année dans les collèges, les lycées d’enseignement général et technologique (LEGT) et les lycées professionnels (LP), hors enseignement religieux. Ne sont pas compris les personnels de remplacement (titulaires ou non) et de documentation, les enseignants en Erea (1 900 environ) et les enseignants du premier degré affectés notamment dans les Segpa (7 500 environ). Les statistiques ne concernent que les enseignants devant élèves : ceux qui n’ont pas de service au moment des remontées d’information ne sont pas comptabilisés. Le calcul du nombre des non-titulaires inclut les bénéficiaires de l’obligation d’emploi et les travailleurs handicapés sous contrat. Les enseignants vacataires ne sont pas comptés pour des raisons de qualité de l’information recueillie. »
[2] Définition des Segpa : « Au collège, les sections d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) accueillent des élèves présentant des difficultés d’apprentissage graves et durables. » Définition des Erea : « Les établissements régionaux d’enseignement adapté (EREA) sont des établissements publics locaux d’enseignement (EPLE). Leur mission est de prendre en charge des adolescents en grande difficulté scolaire et sociale, ou présentant un handicap. » Source : Eduscol, Ministère de l’Éducation nationale.
[3] Il est difficile de calculer le nombre d’enseignants pas devant les élèves dans le second degré, car il ne peut pas, par définition, y avoir une classe par enseignant au collège et lycée (à cause des options, et des spécialisations).
[4] Ainsi, dans le premier degré public, le nombre moyen d’élèves par classe en 2011 est le même qu’en 2007 : 25,5 en maternelle, et 22,7 en CP-CM2 (Source : RERS 2012, p.41). Dans le second degré public, il n’a que très légèrement augmenté (+0,6 élève par classe au collège, +0,3 élève au lycée), et surtout, reste inférieur au niveau de 1995 au lycée (au collège : +0,2, au lycée : -1,4) (Ibid. p.43).
[5] La Cour des comptes le regrette d’ailleurs ouvertement dans son rapport de 2013 sur la gestion des enseignants : « En raison de périmètres et modes de calculs différents, le total des effectifs n’est ainsi pas directement comparable au chiffre de 837 000 rappelé dans le présent rapport (plafond d’emploi en équivalents temps plein travaillé (ETPT), sur l’exercice budgétaire 2012), ni à la décomposition présentée à l’annexe 1.5 portant sur l’enseignement public et privé (décompte des ETPT observés sur l’année budgétaire 2011). » P. 62-63 du rapport.
[6] « Il faut arrêter de penser que les détachés n’enseignent plus. Par exemple, les professeurs des lycées militaires sont détachés auprès du ministère de la défense, les professeurs des maisons de la Légion d’honneur sont détachés auprès du ministère de la justice, ceux qui enseignent à l’étranger auprès du ministère des affaires étrangères (enfin, pas tous, c’est compliqué l’enseignement à l’étranger…), etc. Tous ces détachés sont bien devant des élèves… » Source : Slate, http://www.slate.fr/story/62319/60…. . Page visitée le 27 mai 2013.
[7] Source : Rapport annuel 2013 de la Cour des comptes, « Le CNED, un établissement public d’enseignement inadapté à la formation en ligne. »
[8] La cour des comptes, dans son rapport budgétaire de mai 2013 sur l’exercice 2012 propose une 3e option, qui serait une amélioration à titre transitoire : créer un 3e plafond d’emplois (en plus du plafond État et du plafond opérateurs) pour couvrir (et compter !) les emplois qui ne relèvent pas des opérateurs. Par exemple, les assistants de vie scolaire ou les vacataires. Cela permettrait de suivre efficacement les dépenses de personnel, et inciterait enfin le ministère de l’Éducation (et les autres ministères, si la réforme est plus large) à gérer de façon flexible et transparente ses dépenses de personnel.
http://www.polemia.com/200-000-personnels-de-lenseignement-sous-employes/