Parlant de l’Afrique noire, Victor Hugo écrivait : « Quelle terre que cette Afrique ! L’Asie a son histoire, l’Amérique a son histoire, l’Australie elle-même a son histoire ; l’Afrique n’a pas d’histoire. »
L’auteur des "Misérables" avait-il raison ? A l’exception de l’Éthiopie et du Rwanda, l’Afrique sub-saharienne était un monde sans États ayant eu une profondeur historique, une continuité séculaire. Plus singulier encore, rien de ce qui a permis le progrès de l’humanité n’est sorti de l’Afrique noire. Le continent noir fut et continue d’être un continent récepteur et non concepteur.
Cette réalité insupportable aux nationalistes africains des années 1950-1960 fut combattue par Cheick Anta Diop, autodidacte aussi brouillon que prolifique. A la faveur des indépendances, ce barde africain fut propulsé à la tête du prestigieux Institut français d’Afrique noire, dont le siège était à Dakar.
Dans ce cadre privilégié, et grâce aux crédits français, il élabora de pseudo-théories scientifiques tolérées durant trois décennies par le microcosme africaniste décérébré par l’anticolonialisme et couché devant l’idéologie dominante. Prudents caméléons, presque tous les Africanistes français vivaient dans la terreur de risquer l’accusation de racisme s’ils avaient simplement osé dire tout haut ce qu’ils pensaient tout bas, à savoir que les thèses du Cheick Anta Diop n’étaient rien de plus que des élucubrations de griot.
Le postulat de Diop est, en effet, sans nuances : les Égyptiens ont tout inventé et la Grèce, puis Rome, sont les héritières de l’Égypte. Or, les Égyptiens étaient des Noirs. Conclusion : les Noirs sont donc les créateurs de la Civilisation de l’Antiquité classique.
Timidement, les linguistes tentèrent d’expliquer, avec humilité, qu’entre l’Égyptien ancien et le Grec, les liens étaient aussi évidents qu’entre un pommier et un baril de clous et que le simple rapprochement de sens ne prouvait pas un apparentement linguistique. Dans le cas contraire, l’existence du lac Kasba au Canada aurait permis à Diop d’affirmer que le Bey d’Alger taquinait le goujon à l’ouest de la baie d’Hudson...
Avec toutes les précautions, les Égyptologues risquèrent timidement une remarque de bon sens : les Égyptiens n’étaient pas des Noirs, ainsi que les milliers de momies mises au jour en apportent la preuve. Certes, la Nubie fut, durant certaines périodes tardives, une dépendance de l’Égypte, mais cela ne veut pas dire pour autant que les Nubiens aient peuplé la moyenne et la basse vallée du Nil.
Un énorme complot
Calembredaines, affirmait le "savant africain" car l’Égyptologie constitue un énorme complot contre la race noire. Et comment, demanderez-vous ? Mais tout simplement parce que les Égyptologues détruisirent systématiquement les momies noires pour ne garder que les blanches. CQFD ! Cette entreprise de falsification de l’histoire aurait pu en rester au niveau de l’anecdote. Elle aurait, à la limite, pu être étudiée dans nos universités comme un cas d’école d’idéologie appliquée à l’histoire par un autodidacte obnubilé par sa théorie et ignorant de l’ensemble d’une matière assimilée dominée.
Or, elle est devenue l’Histoire officielle. Dans l’ "Histoire de l’Afrique" de l’Unesco, tome II, édité en 1980, Cheick Anta Diop développe, en effet, longuement ses fantasmes historico-racistes, à peine contredit par les Égyptologues avec lesquels il débat. A aucun moment, dans cette monumentale histoire éditée dans toutes les langues du monde, aucun spécialiste n’ose écrire ce qu’il faut penser des affirmations de Cheick Anta Diop, tant le tiers-mondisme dominant exerce une dictature intellectuelle interdisant toute critique. Les théories de Cheick Anta Diop furent reprises et amplifiées aux USA ; dans les universités noires, elles furent à la base du courant Africano-centriste. Pauvres USA ! La juxtaposition de ses peuples et de leurs cultures fait que désormais chaque minorité raciale y enseigne sa propre vision de l’histoire.
Les Noirs, qui ont leurs universités et leurs professeurs, apprennent donc que l’Afrique noire, mère de la Civilisation et qui a tout inventé, fut non seulement pillée par les Blancs qui ont bâti leur puissance sur son pillage, mais encore stoppée dans son "merveilleux" élan par la colonisation qui l’empêcha d’atteindre la phase suivante de son évolution créatrice.
Or l’Africano-centrisme des Noirs américains a pour soubassement les affirmations de Cheick Anta Diop. En Afrique même, les écoliers et les étudiants sont formés dans le même moule. Comment pourraient-ils mettre en doute cette histoire officielle puisque l’UNESCO lui a donné sa caution scientifique ? Comment ne pas la prendre pour "argent comptant" quand, au Cameroun et ailleurs, les professeurs d’histoire présentent Cheick Anta Diop comme "le plus éminent égyptologue actuel".
Alain Froment, chercheur à l’ORSTOM, vient donc de rendre un immense service à la rigueur scientifique en publiant dans la revue "Cahiers d’Études africaines", n° 121-122, une mise au point définitive intitulée : "Origine et évolution de l’homme dans la pensée de Cheick Anta Diop : une analyse critique".
De cet article, dont le sous-titre pourrait être "Épitaphe pour un mensonge politico-historique", l’on peut extraire cette citation qui résume toute la question : « Cheick Anta Diop a discrédité la recherche africaine par l’insuffisance de sa méthodologie, ses conclusions hâtives et la subordination des préoccupations scientifiques à celles de l’idéologie (...) De sérieuses lacunes bibliographiques et l’absence de recours à des procédés statistiques objectifs, la préférence allant au choix orienté de photographies et de radicaux sémantiques, jettent des doutes sur ses qualités scientifiques. Cependant, il est devenu une telle figure emblématique du nationalisme africain qu’on considère, en Afrique, comme très malvenu de mettre en doute ses travaux. »