Ce 30 octobre sur le site du quotidien turc Hürriyet, figurait un émouvant album de photos : celui d'une famille qui compte à ce jour 32 enfants. L'heureux papa, Halit Tekin est aujourd'hui âgé de 52 ans. Il déclare, bien évidemment qu'i les aime tous autant. Fort de ses 4 épouses il escompte bien arriver à 50 descendants immédiats.
Les démographes ne manqueront pas d'observer son cas avec intérêt. Après avoir eu 5 enfants seulement avec sa première femme, épousée en 1982, alors que lui-même n'avait que 15 ans, on ne dit pas l'âge des dames, il a eu respectivement 14 enfants avec la seconde, 5 avec la troisième et 8 avec la quatrième. Les 4 mères vivent dans quatre maisons séparées, mais on nous assure que tout le monde s'entend très bien.
Cette grande famille, ou cette petite tribu, recense déjà aussi 18 petits-enfants.
Cela se passe certes dans une province un peu lointaine, le Hatay. Les lecteurs de mon livre sur la Turquie n'ignorent pas dans quelles conditions la France radicale-socialiste a cédé à Ankara ce territoire pour lequel elle avait reçu un mandat de la Société des Nations, et qu'on appelait alors le sandjak d'Alexandrette. (1)⇓
Les Turcs n'y constituaient qu'une minorité, selon les recensements officiels des années 1930. Grâce à quelques bons citoyens comme celui-là, assistés par d'excellentes citoyennes, l'ingénierie démographique n'a pas eu besoin de procéder à des massacres pour transformer la minorité en majorité.
Qui n'entend qu'une cloche n'entend qu'un son. Je consulte donc régulièrement deux journaux turcs, Hürriyet et Zaman. Le second est proche des milieux musulmans-libéraux, c'est-à-dire de l'honorable confrérie inspirée par Fethullah Güllen, qui, après avoir soutenu un temps l'ascension d'Erdogan se trouve aujourd’hui en opposition directe avec l'homme fort du pays.
Or, ni dans Hürriyet ni dans Zaman je ne trouve la trace de réserves quant à cette famille qu'en France, et dans les 28 pays de l'Union européenne, tout le monde jugerait monstrueuse.
Le premier journal "Hürriyet" passe, pourtant, pour beaucoup plus proche, au moins en apparence, de ce nous appelons les "valeurs" européennes. Il se veut "laïc", kémaliste, etc.
Soulignons au besoin qu'il est supposé incarner aussi une vision moderne de la femme.
Voilà, par exemple, ce qu'écrivait en 1970, à propos des héritières d'alors du groupe Dogan propriétaire de cet organe de presse le Figaro, en 1970 : "Les quatre filles Dogan symbolisent la femme turque moderne et active, aux antipodes des clichés habituels sur le machisme ottoman." (2)⇓
L'héritière de la génération suivante, Arzuhan Dogan Yalcindag s'inscrit dans la continuité. Études au lycée français puis dans une université anglaise. Elle fut de 2007 à 2010, la première femme présidente de la confédération patronale Tüsiad.
Or depuis 2009 c'est, en même temps que la vision de la femme turque, l'indépendance de la presse qu'ébranle de dangereuse façon la dérive autoritaire du régime Erdogan. De très fortes pressions sont exercées sur le groupe d'affaires et de presse. (3)⇓
On se trouve obligé de rapprocher cette évolution de l'absence totale de critiques à l'endroit de la situation qu'ils décrivent.
Il faut consulter le rival "Zaman" pour retrouver à ce sujet l'information clef : les 3 femmes surnuméraires de cet heureux chef de famille, bientôt de tribu, n'ont pas été épousées "officiellement". Car, rappelle le journal, la polygamie n'est pas reconnue en Turquie.
La nuance est très importante. Car on va le voir, elle s'applique exactement à la France, où la législation est semblable.
Ce père polygame turc contrevient aux dispositions du code civil. Il s'en moque sans doute puisqu’il a pour lui le droit coranique, qui lui permet traditionnellement quatre épouses. On ne va pas attenter à sa liberté religieuse, que diable !
Et c'est ainsi que raisonne la branche famille de la sécurité sociale française.
Rappelons que si le code civil ne permet pas, en France comme en Turquie, de procéder à des mariages polygames, le code pénal ne sanctionne pas vraiment l'état de polygamie comme délictueux.
De temps en temps on entend parler ainsi, dans des journaux mal pensants, de familles très nombreuses, un père, trois femmes, douze enfants. Le père reçoit la délégation pour encaisser des "allocs", d'autant plus considérables que celles des femmes surnuméraires comportent des allocations aux parents isolés.
Ces dispositifs sociaux, sous prétexte d'aider "toutes les familles", en commençant, comme il se doit, par "les plus démunies" subventionnent donc la démographie des familles polygames.
Ne pourrait-on pas se pencher sur les réductions de dépense publique qui permettraient de résorber cette curiosité ?
JG Malliarakis
Apostilles
- cf. "La question turque et l'Europe"⇑
- cf. Le Figaro du 1er juillet 1970 repris sur le site du Figaro-Magazine le 19 juillet 2008. Ce groupe de presse, traditionnellement pro-turc, laisse désormais percer quelques critiques. Elles sont rédigées comme si, bien entendu, il avait toujours informé ses lecteurs sur les "ambiguïtés" de la relation franco-turque. Ça ne s'est jamais trompé un journal bourgeois.⇑
- cf. La protestation de Reporters sans frontières en 2010 contre "l'amende" de 2009, fixée d'abord à 9 milliards de livres turques, soit 1 milliard d'euros. Dictée par le pouvoir exécutif aux juges elle avait été revue à la baisse moyennenant des "concessions" ⇑
http://www.insolent.fr/2014/10/le-scenario-des-aides-a-la-polygamie.html