Le hiatus, instrumentalisé par Bruxelles depuis des années, entre les peuples et leurs dirigeants est devenu tellement visible que la popularité des politiques est de plus en plus brève. L’Italien Renzi vient d’en faire l’expérience. Demain Merkel ?
Certes, dans les officines à la dévotion de Bruxelles, on se réjouit, depuis l'élection présidentielle autrichienne, de la défaite de l'« extrémiste » Norbert Hofer. Comme si l'écologiste Alexander Van der Bellen n'était pas, en réalité, le tenant d'un extrémisme beaucoup plus dangereux où la vie humaine ne pèse plus rien.
Il convient pourtant de lire cette défaite sous l'angle européen qui est le sien. Car, si Norbert Hofer a fait campagne à peu près seul, son adversaire a bénéficié, lui, du soutien de la quasi-totalité de la classe politico-médiatique européiste. Et cela, même si le vainqueur avait profité de ce second scrutin pour « autrichianiser » son discours, autrement dit pour appâter un électorat qui, jusqu'ici, l'avait boudé...
C'est Bruxelles le véritable monstre
Mais l'Autriche n'aura fait oublier que le temps d'une soirée la tension très vive qui traverse désormais l'Union européenne. Et encore... puisque, ce même 4 décembre, les Italiens ont renvoyé leur président du Conseil (c'est-à-dire leur premier ministre) aux oubliettes. Par 59 % en effet, ils ont refusé la réforme constitutionnelle présentée par Matteo Renzi, et transformée par un peuple excédé en une sorte de référendum sur l'avenir d'icelui.
Qu'importe si, en proposant aux Italiens d'intervenir dans la vie politique, le premier ministre désormais démissionnaire leur proposait de revoir l'actuel régime bicaméral afin, en réduisant la représentation sénatoriale, d'apporter à son pays un peu de stabilité, quand l'actuelle Constitution a permis de voir passer 63 gouvernements en 70 ans...
Ce que le Rottamatore (le « démolisseur », comme l'appellent ses compatriotes) n'avait manifestement pas vu, c'est l'abattement démocratique de ses compatriotes. On ne peut multiplier les gouvernements et les réformes, les convoquer à tout bout de champ aux urnes, quand, en définitive, c'est Bruxelles qui tire les ficelles, nimbant d'une sauce indigeste les politiques menées, notamment sur les questions économique et migratoire, et malgré quelques récriminations plus oratoires qu'efficaces, par cette sarabande effrénée de responsables (?) politiques.
« Basta ! », se sont donc écriés les Italiens. À quoi Matteo Renzi a rétorqué, au soir-même de sa défaite : « Je n'imaginais pas qu'ils me haïssaient autant ! »
Triste aveu de ce fossé qui va s'agrandissant entre l'idéologie qui tient désormais lieu de politique universelle en Europe et les Européens.
Il ne suffira sans doute pas à son successeur de se contenter, comme l'homme qui vient de démissionner, de quelques jérémiades contre la ligne imposée par Bruxelles, tout en en appliquant, pour la plus large part, la politique. Après le Brexit, après l'élection de Donald Trump, après même l'élection présidentielle autrichienne, les Italiens ont compris, comme un certain nombre d'autres européens, que la prison de verre qu'on leur affirmait nécessaire pouvait se fissurer...
En France, il est sans doute trop tôt pour que cela se produise. Les Français se veulent adultes, et acceptent donc, tels les moutons de Panurge, toutes les billevesées du monstre bruxellois. Et l'élection d'une Marine Le Pen n'y changerait,
malgré ses rodomontades, pas grand chose, tant elle a abdiqué, dans sa purge dédiabolisante, la plupart des idées de droite qui faisaient la force intellectuelle du parti reçu en héritage...
Les doutes d'Angela Merkel
À Berlin, en revanche, Angela Merkel semble s'inquiéter de voir le boulet contestataire se diriger vers elle. Au-delà de l'opposition marquée de l'AfD, une majorité grandissante d'Allemands manifeste qu'ils ne supportent plus sa politique. Que l'on songe que, dès janvier dernier, ils étaient 40 % à souhaiter sa démission !
Il est vrai que l'on ne peut demander impunément à ses compatriotes d'admettre une politique qui détruit les frontières pour laisser entrer, quelque triste que soit son histoire, une faune qui viole leurs femmes et leurs filles. Du Nouvel an de Cologne au viol et au meurtre de Maria Ladenburger, fille d'un haut dignitaire européiste, par un Afghan, il n'y a plus place chez eux pour quelque commisération que ce soit. Charité bien ordonnée...
Angela Merkel l'a bien compris, qui cherche à recouvrer sa réputation d'énergie, en dénonçant il y a quelques jours l'immigration et le multiculturalisme, et en proposant en pratique de faire interdire le voile intégral.
En s'exprimant ainsi, elle espère bien persuader ses compatriotes de lui renouveler leur confiance l'année prochaine.
Saura-t-elle leur faire oublier, ce disant, que la politique qu'elle dénonce verbalement aujourd'hui est celle qu'elle a menée depuis des années ?
Mieux : saura-t-elle leur faire admettre que cela n'a rien à voir avec la mondialisation dont elle se veut l'un des principaux chantres, allant jusqu'à déclarer, sur le site officiel de la chancellerie, qu'il est hors de question de revenir à l'époque du monde « pré-mondialisé » ?
Avant de voter, Berlin devrait méditer l'exemple de Rome...
Hugues Dalric monde&vie 15 décembre 2016