La question eût pu paraître absurde il y a encore un mois, elle se pose pour-aujourd'hui avec acuité. La droite (ou plutôt ce qui en tient lieu) sera-t-elle absente du second tour de l'élection présidentielle pour la première fois de son histoire ? Au rythme des révélations en cascade dans l'affaire Fillon et vu la défense désastreuse de l'ancien Premier ministre et de son entourage, on ne peut plus rien exclure désormais, on connaît le fameux adage pour monter au cocotier il faut avoir le slip propre. Il est toujours dangereux de jouer au père-la-vertu lorsque l'on n'est pas soi-même exemplaire. François Fillon l'apprend actuellement à ses dépens. Pendant toute la campagne des primaires, visant Nicolas Sarkozy et les affaires où son nom était cité à tort ou à raison, l’ex-Premier ministre avait déclaré : « Imagine-ton De Gaulle mis en examen ? » On pourrait aujourd'hui lut rétorquer : imagine-ton De Gaulle rétribuer Yvonne avec les deniers publics, qui plus est dans ce qui a toutes les apparences d'un emploi fictif ? Car aussi détestable que fut le fondateur de la Ve République que notre journal a si souvent étrillé, il faut au moins lui reconnaître son honnêteté. Lorsqu'il invitait à goûter à l'Elysée ses petits-enfants, il payait lui-même les frais avec sa pension d'officier et il tenait aussi à régler la facture d'électricité du palais du faubourg Saint-Honoré. C'était, il est vrai» une autre époque. Les hommes publics n'ont plus aujourd'hui de ces scrupules. François Fillon est un fourbe. Présent à la Marche pour la vie, Philippe de Villiers a eu une bonne formule à son sujet : « Fillon est contre l’avortement quand il met la main dans le bénitier mais il est pour quand il met la main dans l'urne. » C'est parfaitement exact Sce qui est vrai du massacre des enfants à naître l'est de tous les sujets. Faut-il en effet être fourbe et pervers pour déjeuner avec le secrétaire général de l'Elysée, le socialiste Jean-Pierre Jouyet, pour l'inciter à liquider judiciairement et donc politiquement Nicolas Sarkozy qui l'avait pourtant nommé à Matignon ? Il s'agit là ni plus ni moins que d'un acte de haute trahison qui en dit long sur la moralité de ce tartufe. Et quel que soit ce que l'on pense par ailleurs de Sarkozy qui aujourd'hui doit se dire que Fillon récolte la monnaie de sa pièce. Il y a là en effet une justice immanente.
Certes il ne faut pas être dupe : le moment et la puissance de l'offensive politico-médiatique contre Fillon ne doivent rien au hasard. Pourquoi en effet n'a-t-on pas révélé au moment de la campagne des primaires les informations concernant les salaires mirobolants de son épouse comme vraie ou fausse assistante parlementaire (cinq cent mille euros perçus entre 1998 et 2007) et comme conseillère littéraire de La Revue des Deux mondes où elle n'a en tout et pour tout rédigé que deux modestes notes de lecture pour la somme de cent mille euros ? De plus, Le Canard enchaîné qui est à l'origine de l'affaire est connu pour sa partialité politique : il épingle toujours des hommes de droite (ou connus comme tels) et uniquement eux. On se souvient notamment des campagnes contre Giscard et les diamants ou contre l'ancien patron de Peugeot Jacques Calvet On peut aussi penser que cette attaque violente contre Fillon est destinée à favoriser l'accession à l'Elysée d'Emmanuel Macron qui est par excellence le candidat des banques, de Rothschild, de la finance internationale et qui est cajolé par les média d'une manière indécente. Comme par hasard les courbes d'intention de vote entre Fillon et Macron se rejoignent Il n'empêche que les faits sont accablants et dévastateurs pour l'homme qui entend réduire la dépense publique et les déficits, imposer des sacrifices aux Français, dérembourser toute une série de médicaments, faire travailler les fonctionnaires 37 puis 39 heures et les payer 35 et supprimer 500 000 agents de la fonction publique. Dans un pays qui compte des millions de chômeurs et près de dix millions de pauvres, user avec une telle désinvolture des deniers publics pour un intérêt strictement privé, alors même qu'à cette époque Fillon jouissait déjà de mandats rémunérateurs est particulièrement choquant Et, disons-le, insupportable. Il y en a assez de cette France d'en haut qui se croit tout permis, qui se goinfre sans limites mais impose des restrictions et une austérité toujours plus grandes à la France d'en bas. Hollande se moquait des « sans dents », Fillon ne vaut pas mieux. Toute cette camarilla est profondément méprisable.
La défense dans cette affaire de Fillon est de surcroît lamentable : il a d'abord parié de misogynie, ce qui est parfaitement ridicule et hors sujet Cela rappelle Ségolène Royal qui, chaque fois qu'elfe était mise en difficulté pendant la campagne présidentielle de 2007, s'exclamait invariablement : « Poseriez-vous cette question à un homme ? » Puis l'ex-Premier ministre a mouillé malgré eux ses enfants, affirmant qu'ils les avaient rémunérés, toujours avec de l'argent public, pour des missions alors qu'ils étaient avocats. Manque de chance : ils ne l'étaient pas encore au moment des faits. La République est décidément généreuse avec la famille Fillon : les contribuables taillables et corvéables à merci payent pour François, pour son épouse d'origine étrangère Pénélope et pour sa progéniture, tous confortablement logés dans un imposant manoir. En revanche eux doivent se serrer la ceinture, payer davantage puisque Fillon propose dans son programme d'augmenter la TVA de deux points, de travailler plus longtemps puisqu'il entend repousser la retraite de 62 à 65 ans, passer de 35 à 39 heures - combien d'heures dans la semaine son épouse travaillait-elle réellement comme assistante parlementaire et comme conseillère littéraire ?- Dans la première version de son projet, Fillon voulait même ne plus du tout rembourser ce qu'il appelait « les petits risques » (angines, grippes, maux de tête, etc) Il y a dans tout cela une insupportable indécence Les Français peuvent accepter de consentir à des sacrifices mais à condition que ceux qui les dirigent donnent l'exemple, soient raisonnables dans l'usage des deniers publics et ne se griment pas en hommes vertueux quand ce ne sont en réalité que de fieffés menteurs, des fourbes et des profiteurs.
On voit mal comment Fillon pourrait se relever après une telle affaire qui le discrédite. sa campagne est frappée en plein cœur. Quelle crédibilité peut-il encore avoir désormais, lui, l'homme de la rigueur et de la vertu autoproclamées ? Et même s'il parvenait de justesse à être élu grâce à l'atomisation de la gauche, comment pourrait-il exiger des Français, ou même d'une partie d'entre eux, des efforts sans susciter immédiatement des réactions violentes et indignées ? On imagine des manifestations de rue massives et peut-être même à caractère insurrectionnel s'il osait toucher dans ce contexte aux fameux « acquis sociaux ». Il est à ce point fragilisé qu'il ne pourra rien faire. Au point où en sont les choses et vu son niveau de discrédit, la sagesse voudrait même qu'il renonce et qu'un autre candidat porte les espoirs de son camp. Mais il pourrait s'entêter par orgueil et de plus son remplacement serait tout sauf aisé, personne ne s'imposant vraiment
Disons-le franchement, Fillon, avant même cette affaire, était un piètre candidat Depuis sa victoire triomphale aux primaires, il n'y a eu aucune dynamique de campagne en sa faveur, il était aux abonnés absent, il est terne, lisse et ennuyeux au possible. Il est aberrant et atterrant que des millions d'électeurs de droite aient plébiscité un tel triste sire. De ce point de vue, Sarkozy, qui fut certes un président calamiteux, était un bien meilleur candidat C'est pourquoi Jean-Marie Le Pen était convaincu qu'il sortirait vainqueur des primaires ainsi qu'il nous l'avait confié dans une interview. Le phénoménal culot de Sarkozy, sa faculté de tirer la couverture à lui, d'attirer les caméras et les photographes, son indéniable talent oratoire (particulièrement flagrant dans ses discours d'adieu), son choix de coller à la stratégie de Patrick Buisson consistant à séduire les électeurs de droite et ceux du Front national en utilisant les codes, le langage, les thèmes susceptibles de les mettre dans sa poche (dont l'immigration, sujet que Fillon n'aborde quasiment jamais alors que Sarkozy proposait, probablement sans aucune intention de la mettre en œuvre, la suspension du regroupement familial) étaient beaucoup plus efficaces qu'un Fillon qui apparaît chaque jour davantage comme un mixte de Balladur, de Barre et de Jospin, qui suinte l'ennui par tous les pores et qui a, selon le Menhir, « une gueule d'empeigne ». Il faut d'ailleurs reconnaître m que depuis Giscard en 1974 Sarkozy, quelque soit le mal que l'on pense du personnage, fut le seul candidat dit de droite à dépasser la barre des 30 % au premier tour d'une présidentielle et même, après cinq ans d'un quinquennat plus que médiocre, et alors qu'il était impopulaire, à réunir encore 27 % des suffrages au premier tour de la présidentielle de 2012 et près de 49 % au second le choix de Fillon a été une grossière erreur de casting.
Les cartes sont donc redistribuées pour la présidentielle. Alors que Marine Le Pen semble installée à la première place, engrangeant sur son nom et sans qu'elle le mérite les fruits de plus de quarante ans de combats de la droite nationale, la bataille pour la première place pourrait être âpre. D'autant que fa défaite cuisante de Manuel Valls aux primaires du parti socialiste libère un espace au centre gauche occupé par Macron et que Benoît Hamon peut espérer lui aussi avoir quelque chance de se qualifier s'il parvient à étouffer électoralement les candidatures de Mélenchon et du Vert Yannick Jadot En quelques jours, il est passé de 8 à 15 % des Intentions de vote. Et la primaire le légitimant, il peut espérer gagner encore quelques points. C'est dire qu'il est bien difficile aujourd'hui de savoir qui sera le prochain locataire de l'Elysée. Seule certitude, et c'est bien triste, il ne s'appellera pas Donald Trump.
RIVAROL 2 février 2017
Jéromebourbon@yahoo.fr