Jean-Yves Le Gallou analyse les violences qui émaillent les manifestations des gilets jaunes.
Il y a dans toute manifestation un potentiel de violences. Parce que des manifestants veulent souvent aller un peu plus loin que ce que leur autorise la police. Et que celle-ci dispose du monopole de la violence légitime dont il peut lui arriver de faire un usage disproportionné. Il y a eu des violences en 1968, en 1986 (contre la loi Devaquet), en 2006 (contre le contrat première embauche), en 2013/2014 (contre la loi Taubira) et aujourd’hui avec les gilets jaunes.
Quelles sont les différences, alors ?
La première différence tient au traitement médiatique ! Généralement, les médias se focalisent sur les « violences policières » contre les manifestants et, le cas échéant, les journalistes, et sont moins diserts sur les provocations des manifestants. Ce fut le cas en 1968, 1986, 2006. Avec les gilets jaunes comme pour la Manif pour tous, ils insistent beaucoup plus sur les « violences des manifestants ». Par parti pris idéologique particulièrement visible lors de la Manif pour tous, qui fut pourtant très policée – pour ne pas dire davantage – mais dont le moindre « débordement » était dénoncé, y compris par les… organisateurs de LMPT.
Avec les gilets jaunes, n’y a-t-il pas davantage de violences de la part des manifestants ?
Oui, bien sûr. Pour plusieurs raisons. Ce sont des manifestations spontanées sans service d’ordre. Et où des éléments radicaux peuvent donner un ton offensif. De nombreux manifestants ont aussi le sentiment d’être méprisés et comme beaucoup sont des hommes jeunes, pas toujours assis derrière une chaise, cela donne des manifestations plus « physiques ». Ajoutons à cela les consignes provocatrices du gouvernement.
Qu’entendez-vous là ?
Le gazage massif de foules pacifiques… ce qui peut les rendre – légitimement – « haineuses ». En voulez-vous un exemple ? À l’acte II sur les Champs-Élysées (le 1er décembre), la police a engagé les canons à eau dès 10 heures du matin et a gazé les Champs–Élysées sur 1,5 kilomètre. Ce qui a énervé des gens tranquilles situés à plusieurs centaines de mètres des barrages de police. Cette pratique s’est étendue aux grandes villes de province. C’est ce qui a radicalisé beaucoup de gilets jaunes, parfois entraînés par des éléments plus aguerris venus souvent de l’extrême gauche. Mais cela ne justifie pas les violences policières qui se sont multipliées.
Rappelez-nous les chiffres.
Plus de 5.000 interpellations, des milliers de gardes à vue, des centaines de mandats de dépôt et d’incarcérations, près de 2.000 blessés, des dizaines de fractures faciales, 12 éborgné(e)s, des fractures du crâne, et ce, dans le silence quasi total des grands médias français… Imaginez ce qu’ils diraient si c’était Poutine ou Orbán qui réprimait ainsi des manifestants chez eux ! Ce serait 20 minutes au 20 heures tous les soirs. Imaginez ce qu’ils diraient si les victimes venaient des quartiers de l’immigration ! Souvenez-vous du battage fait autour du mythomane escroc Théo, prétendument victime d’un viol à Aulnay. Mais là, cela ne compte pas : les victimes sont, pour l’essentiel, des Français ou des Françaises de souche. Vous parlez, quelle importance !
Mais il faut bien que la police se défende et maintienne l’ordre.
Certes. Mais c’est à se demander si les consignes qu’elle reçoit du trio infernal Castaner-Philippe-Macron – et qu’elle exécute – ne sont pas des consignes de guerre civile !
Vous n’exagérez pas un peu ? Qu’est-ce qui vous permet de dire cela ?
Il me semble que ce sont des consignes implicites. Si les policiers ne se sentaient pas « couverts », ils seraient beaucoup plus prudents. Et d’après de nombreux témoignages de policiers (policiers en colère, notamment), c’est la hiérarchie qui donne les ordres d’utiliser les tirs tendus. Or, la hiérarchie, c’est le ministre, le préfet puis le commissaire et/ou l’officier de gendarmerie.
La répression actuelle s’éloigne totalement des règles habituelles du maintien de l’ordre à la française :
– par l’usage massif du canon à eau,
– par l’engagement de blindés,
– par la venue des forces de l’ordre au contact des manifestants,
– par des passages à tabac,
– par le rétablissement des équipes de voltigeurs,
– par l’usage massif des grenades lacrymogènes, y compris sur des foules éloignées des forces de l’ordre (depuis les toits, voire – à vérifier – par hélicoptère),
– par l’usage injustifié de grenades de désencerclement,
– par la banalisation des tirs par lanceurs de balle de défense dont l’usage est, théoriquement, interdit en manifestations,
– par les tirs tendus de grenades.
Oui, mais c’est sans doute nécessaire.
Exceptionnellement, sans doute. De manière systématique et disproportionnée, sûrement pas !
Je vais vous citer le cas de la jeune Fiorina, éborgnée le 8 décembre. Elle manifestait pour la première fois avec son fiancé. Castaner avait annoncé que les Champs-Élysées seraient accessibles… pour mieux les fermer. Quand Fiorina a vu que la situation se tendait, elle a cherché à en sortir. Elle en a été empêchée par un cordon de gendarmes. Elle est restée bloquée plus d’une heure. Quand il y a eu des échauffourées sur le versant sud des Champs-Élysées, elle est passée sur le versant nord comme beaucoup de manifestants pacifiques. Les CRS ont alors grenadé ces manifestants pacifiques qui s’éloignaient d’eux. Fiorina a perdu l’œil gauche et a eu la mâchoire fracturée par un tir tendu. Malheureusement pour Castaner, toutes les vidéos confirment ce point de vue. C’est lui qui devra rendre des comptes un jour, et pas seulement le CRS qui a tiré.
C’est un cas particulier ?
Non, des éborgnés, il y en a plus d’une dizaine, dont au moins deux jeunes femmes, et des mâchoires ou des membres fracturés, des dizaines d’autres. Et pour beaucoup, il s’agit de manifestants pacifiques. J’ai recueilli de nombreux témoignages, notamment de jeunes femmes, qui montrent que la doctrine de répression est la suivante : créer des nasses (pour faire du chiffre d’interpellations) et canarder des manifestants pacifiques pour les dissuader de revenir.
Comment est-ce possible ?
Grâce à la complicité des médias qui mettent en exergue les violences de certains manifestants, souvent en les sortant du contexte, comme pour le « boxeur » ou les « voltigeurs » en haut des Champs-Élysées. Et surtout en faisant le silence ou en minorant les violences policières. Avec les médias, c’est toujours deux poids deux mesures : d’habitude, tout contre les « violences policières » ; là, tout contre les « violences des manifestants ». […]