Pierre-André Taguieff est le spécialiste français du racisme, de son histoire, de sa signification, comme d’un certain antiracisme aux fins pas toujours très claires. Après notre dossier dans le numéro 996, il revient ici sur l’expression « islamo-gauchisme » qu’il a forgé naguère, qui fait florès aujourd’hui, et dont il se propose d’esquisser l’histoire et même la préhistoire.
Comment en êtes-vous arrivé, il y a une vingtaine d’années, à introduire le terme « islamo-gauchisme » ?
J'ai forgé l’expression « islamo-gauchisme » au tout début des années 2000 pour désigner une alliance militante de fait entre des milieux islamistes et des milieux d’extrême gauche (que j'ai qualifiés de « gauchistes » pour faire court), au nom de la cause palestinienne, érigée en nouvelle grande cause révolutionnaire. Cette alliance stratégique contre un ennemi commun, Israël, se fondait sur une image victimaire du Palestinien, qui commençait alors, dans les mouvances d’extrême gauche, à être transférée sur le Musulman, en se fondant sur l’axiome selon lequel l’islam est la religion des pauvres, des opprimés et des victimes, tant du colonialisme et de l'impérialisme que du racisme. Dès lors, le péché majeur est l'islamophobie. Être propalestinien, dans la perspective gauchiste, c’est être à la fois antisioniste, anti-impérialiste et islamophile.