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anti-national - Page 1228

  • Au Sahara, le feu couve dans la poudrière

    Les frontières territoriales dans le Sahara entre le Mali, le Niger, l’Algérie et la Libye ont toujours été ouvertes, et les Touareg les ont utilisées pour leur stratégie de commerce de contrebande et de migration. Mais depuis la guerre en Libye, beaucoup de choses ont changé. De plus, de nouveaux acteurs sont apparus sur ce terrain de jeu du Sahara, intéressés par les ressources de la région.

    «Agence de Voyage: Arlit–Djanet, Arlit–Libya», c’est ce qu’on peut lire sur un panneau écrit soigneusement à la main devant la petite cabane en terre glaise au centre d’Arlit, ville d’Uranium dans le Niger du Nord. Dans la cabane se trouve un vieux bureau avec des listes de noms des passagers. Sur la paroi, revêtue de tissu rouge foncé, des photos sont accrochées qui – à la manière d’une publicité touristique – montrent comme l’agence transporte ses passagers vers l’Algérie ou vers la Libye: 30 personnes sont assises bien serrées sur un pick-up Toyota et roulent à travers le désert; chacun tient un bidon d’eau de 5 litres dans la main.
    Dans la cabane se trouve Osman, bien habillé d’un Bazin orange avec un Chèche noir autour de la tête. Osman travaille ici comme responsable, lorsque le chef de l’agence, appelé Murtala, visite la dépendance de l’agence à Tahoua. En plus, il est Kamosho, c’est-à-dire celui qui «déniche des passagers», et le guide qui montre aux passagers à pied le chemin de l’Algérie à la Libye.
    Autrefois, avant la guerre en Libye, m’explique Osman, les automobiles venaient jusqu’à Djanet et déposaient les passagers dans les jardins de l’oasis. Mais lorsqu’au cours de la guerre des militaires touareg et des mercenaires ont commencé à sortir la moitié de l’arsenal de Kadhafi du pays, les contrôles des forces de sécurité algériennes et nigériennes ont été renforcés. Depuis, plus aucun chauffeur n’ose transporter son chargement illégal jusqu’à Djanet, mais il congédie ses passagers à quelque 70 kilomètres de ce lieu, en plein milieu du Sahara. Ce qui a fait naître une nouvelle branche de profession, celle du guide, un guide qui connaît la région, qui amène directement les passagers jusqu’en Libye en passant par la frontière verte.

    Les intentions de l’UE et les stratégies locales

    Cependant, ce commerce avec la frontière n’est pas forcément illégal, car ici au Niger, un membre de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, fondée en 1975), il est tout à fait légal de charger une Toyota de «sans-papiers» et de les amener jusqu’à la frontière de l’Algérie ou de la Libye. La Gendarmerie nationale en donne la permission contre une petite rémunération. Jusqu’à la frontière nigérienne, les convois de Toyota sont donc tout à fait légaux. Une fois passée la frontière, cela change d’un coup: le transport légal devient migration illégale.

    L’Union européenne instrumentalise les Etats nord-africains comme avant-poste de la forteresse Europe, pour qu’ils interviennent contre les migrants potentiels vers l’Europe. Pendant que la Libye sous Kadhafi ne prenait pas de vraies mesures pour protéger ses frontières sud et que le pays dépendait en plus de la main-d’œuvre des migrants illégaux, l’Algérie poursuit avec dureté les acteurs transnationaux et essaye en même temps de contrôler la contrebande de benzine. Les Touareg1, qui exercent la contrebande de benzine ainsi que le trafic d’êtres humains depuis des années avec succès, et qui sont eux-mêmes des transfrontaliers par excellence, retrouvent cependant toujours de nouvelles stratégies pour détourner ces obstacles étatiques. (Kohl 2007, 2009, 2010).
    «Que pouvons-nous faire d’autre?» m’explique un des chauffeurs. «Nous avons tous des familles, nos enfants ont faim, de quoi pouvons-nous vivre? De l’air? Au Niger, il n’y a pas de travail. L’Etat ne fait rien pour nous aider. Ou bien nous devenons tous des rebelles ou des bandits, ou bien nous chargeons nos Toyota de passagers et de benzine. Iban ­eshughl – pas de travail, c’est ça notre problème!»
    Pendant la guerre de Libye, le trafic entre le Niger, l’Algérie et la Libye s’est arrêté complètement. Maintenant les premiers Haoussa commencent à retourner en Libye en espérant trouver du travail. Les Touareg hésitent encore à y retourner, la peur de la nouvelle Libye étant encore trop grande.

    Arlit, centre du commerce, de la contrebande et de la migration

    Arlit est un centre du commerce et de la contrebande à l’intérieur du Sahara, entre le Niger, le Mali, l’Algérie et la Libye. En même temps, la ville est le point de départ de la migration illégale de personnes subsahariennes en route vers la Libye pour y trouver du travail ou pour aller plus loin, vers l’Europe.
    L’Etat du Niger sait que l’on ne peut pas faire cesser les stratégies du «human trafficking». Ainsi on a trouvé une solution réciproque entre les acteurs, les Touareg et l’Etat: les chauffeurs doivent enregistrer leurs passagers. Cela est utile pour les passagers qui, en cas d’accident ou d’une panne automobile, peuvent être recherchés et trouvés, et cela les protège contre des chauffeurs sans scrupules qui ne sont intéressés que par l’argent et abandonnent les passagers en plein Sahara, c’est-à-dire à la mort. Cela est utile aussi pour les chauffeurs qui peuvent, en cas de contrôle militaire, présenter un laissez-passer et se distinguer ainsi des bandits, des rebelles ou des trafiquants de drogues, et ne seront pas poursuivis et sanctionnés.
    Osman peut raconter beaucoup d’histoires de commerce avec la frontière. Jusqu’à la guerre en Libye, il a travaillé comme guide entre Djanet en Algérie et Ghat en Libye, et il a amené, moyennant une marche à pied de trois jours, de nombreux migrants potentiels vers l’UE, des Touareg et, en Libye, des chercheurs de travail. Avec le début des combats en Libye, il a quitté précipitamment le pays comme beaucoup de Touareg. De retour à Arlit, les chances de trouver un travail sont minimes. Avant tout pour ceux qui n’ont jamais fréquenté une école. Toutefois, même ceux qui peuvent présenter des diplômes peinent à trouver du travail.

    L’uranium – bénédiction ou malédiction ?

    Cependant, Arlit est la ville dans laquelle la société française pour l’énergie nucléaire Areva exploite depuis la fin des années 1960 les plus grandes mines d’uranium du monde, Somaïr (exploitation depuis 1971) et Cominak (depuis 1978). Areva, pour la plus grande partie propriété de l’Etat français, est le leader mondial de technique nucléaire. En même temps, le Niger se classe sur le Human Developement Index de 20112 à l’avant-dernière place. Deux tiers du pays sont composé de désert et de demi-désert. La base économique est l’agriculture et l’élevage de bétail, fortement menacés par les sécheresses qui reviennent avec quelques années d’intervalles et de manque de pluies, ou bien, ces derniers temps, des pluies torrentielles. Un approvisionnement social par l’Etat n’existe pas, il n’y a pas de travail, et malgré un système scolaire de l’Etat, le taux d’analphabètes est très élevé, surtout parmi les femmes et les nomades (plus de 80%). Ibrahima, douze ans, fréquente une des écoles étatiques à Arlit. Il est en cinquième (CM1) et me décrit la situation de son école: «Nous sommes 93 élèves, garçons et filles. Nous avons deux enseignants, et par table il y a cinq élèves.» Le niveau de formation bas en est la conséquence.
    Une grande partie de la population du Niger vit sous la menace de la faim, espère des aumônes et dépend de l’aide de l’Europe et de projets de développement. C’est le Nord, habité par les Touareg, qui est surtout concerné par la marginalisation et la mauvaise gestion économique. C’est bizarre, puisque le plus grand employeur du pays y est domicilié. Les travailleurs dans les mines d’uranium viennent presque tous des parties sud du pays, alors que les Touareg qui y vivent ne sont presque jamais embauchés.
    Depuis quelques années, Areva s’est fait connaître par de gros titres dans les journaux. Greenpeace a pu prouver que lors de l’exploitation de l’uranium, ce n’est pas seulement la santé des travailleurs qui est menacée, mais que tout l’environnement de la mine est contaminé par des rayons radioactifs.3 Tout autour de la ville d’Arlit se sont formées des montagnes artificielles de déchets de la roche dont on a délavé l’uranium, et chaque année, des tonnes de roches s’ajoutent. Au marché d’Arlit, on vend du métal contaminé de la mine, et le sable dans beaucoup de maisons est partiellement radioactif jusqu’à 550 fois la valeur normale, raconte Moussa, un collaborateur de l’ONG locale, Aghirin Man4. Cette petite ONG a réussi à faire remplacer le sable contaminé dans des parties de la ville par du sable qui ne représente pas de risque.
    Moussa lui-même a travaillé pendant des années en Libye comme traducteur dans le tourisme et, au courant des combats, il est retourné au Niger en espérant trouver du travail dans la nouvelle mine d’Imouraren planifiée par Areva, à 80 kilomètres au sud d’Arlit. Le dossier de Moussa avec des certificats et des diplômes est déjà déposé depuis un an à l’office de la commune. Jusqu’à présent sans réponse. «Sans relations ou corruption», dit-il de façon résignée, «aucun Touareg n’a une chance d’y parvenir.»

    Une nouvelle mine d’uranium évoque des différences tribales, mais aussi de l’espoir

    Pour les travaux préparatoires à la mine d’Imouraren, qui devrait commencer en 20135 avec l’exploitation de l’uranium, on embauche expressément des Touareg de la région. Avec ça, Areva espère contenter la population indigène et empêcher de cette façon une autre rébellion et une augmentation du banditisme.
    Les exigences des deux dernières rébellions (1990–1997 et 2007–2009) contiennent entre autre une participation explicite aux recettes de la mine.
    Mais l’intégration principalement bienvenue de la population locale dans la nouvelle mine a déclenché un renforcement partiel des différences tribales. Ces dernières décennies, les différences tribales ont de plus en plus été poussées à l’arrière-plan par les forces locales, et les inégalités sociales et polito-économiques entre la «classe supérieure» dominante précoloniale (imajeren/imujar/imuhar), les anciens descendants d’esclaves (iklan) et les groupes anciennement tributaires (imrad) se sont peu à peu effacées au quotidien. Les mariages de préférence endogames ont été, surtout par la jeune génération (ishumar), dégagés de leur importance traditionnelle. A l’heure de l’économie du marché capitaliste, on trouve aussi des descendants d’anciens esclaves qui ont dépassé les anciens seigneurs concernant le capital économique. Mais, vu la possibilité de pouvoir travailler chez Areva, les différences tribales ont commencé à être instrumentalisées. Depuis, les tribus (tawsit) vivant autour d’Imouraren, en premier lieu les Ikazkazen et les Kel Aharus, sont en concurrence pour la position de porte-parole pour toute la région. En plus, depuis la rébellion de 2007 à 2009, les tribus vivant sur le même territoire sont empêtrées dans une querelle, déclenchée par l’enlèvement d’un des anciens des Ikazkazen par les Kel Agharus et renforcée au cours de la concurrence. Au niveau juste supérieur par contre, les deux groupes essaient d’empêcher l’embauche d’autres groupes venant des montagnes Air à l’est, en les dénonçant comme rebelles et bandits potentiels. Ainsi ils essaient avec véhémence de caser leurs gens, même s’ils ne disposent pas de diplômes appropriés.
    Mais Imouraren représente le nouvel espoir pour tous les Touareg du Niger. Beaucoup de Touareg qui se sont enfuis de la Libye ne veulent pas y retourner, car ils craignent que la situation dans la Libye après Kadhafi soit loin de se stabiliser. Même plus de huit mois après la mort de Kadhafi, son esprit plane encore sur le pays. Avant tout ceux qui n’ont jamais été en Libye pensent que la Libye sans Kadhafi ne pourrait exister, ou bien, comme un sceptique l’a exprimé: «La Libye aura besoin de 42 ans pour que ça aille à nouveau bien.»

    Le chaos dans la Libye libre

    Au fait cela ne va pas bien dans le sud du pays. Bien que là il n’y ait pas de querelles intertribales et toutes les oasis – sauf le petit al-Barkat, proche de la frontière algérienne qui, même après la mort de Kadhafi, a encore hissé le drapeau vert – se sont vite libérés des restes du vieux régime: toutes les administrations et offices publics, mais aussi les écoles, ont été détruits et pillés. Des meubles et le matériel de bureau se retrouvent soit dans des ménages privés ou bien ont été amenés hors du pays par les Touareg et mis en vente en Algérie, au Mali et au Niger. Moktar, par exemple, s’est emparé de cinq copieuses et les a ramenées à pied jusqu’à Djanet où elles attendent toujours un acheteur. A Agadez au Niger, sur des parkings immenses, se trouvent des véhicules volés de la Libye: des Land-Cruiser et des Pick-up Toyota flambants neufs, différentes marques de voitures de tourisme et une grande partie des ornements des sociétés chinoises de construction.
    Dans les appartements vides des sociétés des chinois à Ghat, des Libyens et des migrants se sont tout simplement installés. Ajebu, une Targia nigérienne qui vit avec ces cinq enfants et son mari depuis des années en Libye, dans une construction en terre glaise délabrée, et qui n’a jamais rien vu des allocations sociales de Kadhafi, a tout simplement occupé un appartement vide de l’immeuble d’une société de construction chinoise. Toute joyeuse elle m’a raconté au téléphone: «Tu te rends compte! On a même de l’eau courante et de l’électricité, une vraie cuisine avec un plancher en dalles!»
    Peu après la mort de Kadhafi et avec le vacuum de pouvoir en Libye, chacun a essayé de s’approprier de beaucoup de choses. C’est avant tout le Bureau pour la sécurité intérieure (maktab hars ad-dachiliy), craint par tout le monde et qui, aux temps de Kadhafi, avait pour objectif de tenir la population sous contrôle avec un système élaboré d’espionnage, qui a été complètement pillé et détruit à Ghat. – Ils ont avancé la justification que cette administration aurait été créée uniquement par Kadhafi et n’aurait (enfin) plus de légitimation. Les objets accaparés, des kalachnikovs neufs dans leur emballage original et des pistolets ont été distribués parmi les pilleurs ou vendus. On peut acheter la munition correspondante chez le marchand de cigarettes au coin de la rue: les balles de kalachnikov pour 50 gersh, celles pour les pistolets pour 25 gersh: la munition coûte autant qu’un chewing-gum. Et la violence est très élevée dans la Libye du Sud. Les jeunes garçons règlent maintenant leurs conflits pubertaires l’arme à la main. Zeinaba, une Targia vivant depuis 15 ans en Libye est bouleversée: «Nos enfants deviennent des bandits! Hier, ils ont de nouveau abattu un homme dans notre voisinage. Pour l’argent. Ça arrive maintenant tous les jours! J’ose à peine sortir dans la rue.» Son fils Elias l’approuve et ajoute: «Et l’alcool s’y ajoute en grandes quantités. Les gens boivent dans la rue, sont souls, tirent des salves dans l’air et braillent: ‹La Libye est libre!›»

    Les conséquences de la guerre en Libye

    La liberté de la Libye a un prix énorme et ce ne sont pas seulement les Libyennes et les Libyens qui le paient, mais il est partagé dans toute la région du Sahara et du Sahel. Les armes passées clandestinement à travers la frontière de la Libye ont changé tout le Sahara en une poudrière prête à exploser. La majeure partie de l’immense arsenal d’armes de Kadhafi a été transportée hors du pays et sert maintenant différents rebelles au Mali, au Tchad ou au Soudan. Mais aussi des groupes terroristes, comme par exemple l’AQMI (Al-Qaïda du Maghreb islamique), en profitent.
    Au Niger, presque chaque nomade est maintenant armé. A l’époque, les nomades Touareg portaient également des épées et des couteaux: comme aide au travail et comme protection contre les chacals. Mais aujourd’hui ce sont les kalachnikovs qui viennent de Libye, et servent pour l’autoprotection et des règlements de comptes, comme l’explique Bala, car la police et l’armée n’entreprennent que peu de choses contre les nombreux bandits qui attaquent leurs propres gens. «Depuis la guerre en Libye», ajoute-t-il, «on peut acheter autant d’armes qu’on veut au marché des animaux. Et même pas cher. Depuis, nous avons tous une kalachnikov à la maison pour nous protéger contre les bandits.» Le problème des bandits est une conséquence directe de la dernière rébellion. Au cours des pourparlers de paix, dirigés par Kadhafi, on a promis aux anciens rebelles l’intégration dans l’armée et des paiements de dédommagement, mais cette promesse n’a pas été tenue par l’Etat du Niger. Ces anciens rebelles mal payés ou bien pas payés du tout, et pour la plus grande partie toujours armés, se sont formés ces dernières années en un banditisme incontrôlé et ont déstabilisé aussi le Sahara.

    Insécurité fabriquée dans le Sahara et dans le Sahel

    Cette phase croissante de déstabilisation et d’insécurité dans toute la région n’est cependant pas faite maison, mais initiée par des étrangers, et cela depuis qu’en 2001/2002, les USA sous George Bush ont déclaré la guerre au terrorisme et ont stigmatisé le Sahara et le Sahel comme zone potentielle de terrorisme et défini comme zone de retraite pour les militants extrémistes de l’Afghanistan. Les premiers enlèvements de touristes en Algérie en 2003 ont corroboré cette rumeur du Sahara comme zone terroriste. En 2004, George Bush a créé pour cette raison l’initiative Pan-Sahel (PSI) pour combattre avec le soutien des gouvernements locaux le soi-disant terrorisme. D’après Jeremy Keenan, il est clair que ces enlèvements ont bien été effectués par les extrémistes islamiques du GSPC (Groupe salafiste pour le combat), mais ont été planifiés par les services secrets algériens et américains pour corroborer le soupçon du Sahara comme zone terroriste. Pourquoi?
    D’après Keenan, l’objectif des USA est de créer une base idéologique pour la militarisation de l’Afrique, afin d’avoir un accès primaire aux ressources.6 La motivation de l’Algérie de participer à cette mise en scène de combats est fondée dans son désir du rétablissement politique dans l’UE et dans l’Otan. En plus, l’Algérie avait besoin de soutien militaire des USA pour atteindre des objectifs politiques et d’hégémonie en Afrique de l’Ouest, et pour pouvoir tenir tête à la Libye. Les USA de leur côté avaient besoin d’un allié en Afrique pour pouvoir imposer leur militarisation. (Keenan 2006, 2009) Depuis 2005, on aperçoit un recul du bourrage de crâne des USA, mais des enlèvements ont toujours lieu dans le Sahara et dans le Sahel qui sont maintenant attribués au groupe désormais appelé l’AQMI.
    Depuis l’enlèvement de collaborateurs et collaboratrices de la société Areva à Arlit en septembre 2010, on soupçonne aussi les Touareg nigériens d’avoir des contacts avec l’AQMI. La plus grande partie de la population locale refuse catégoriquement ces liens et accuse l’Etat nigérien de pratiquer un tel amalgame pour recevoir de l’argent de l’UE pour le combat contre le terrorisme. Quelques-uns croient cependant qu’il pourrait y avoir des Touareg qui, pour de l’argent, coopéreraient avec l’AQMI. Mais si de tels contacts existent, ils sont surtout de nature économique et non idéelle.
    A toute une génération de jeunes Touareg, la base de vie a été retirée avec cette mise en scène du combat contre le terrorisme. Le tourisme dans le désert s’est effondré, des passages de frontières sont devenus plus difficiles et les stratégies de commerce et de contrebande criminalisées. La guerre en Libye a aggravé la situation et a laissé un grand nombre de réfugiés sub-sahariens sans travail. A une grande partie de jeunes gens les bases de vie ont été retirées. Il ne leur reste peu de stratégies pour se sortir de leur situation économique et sociale critique.

    Issue de la crise: Rébellion ou séparation?

    Au Mali, où, le 17 janvier 2012, a éclaté une toute nouvelle rébellion, la coopération entre la fraction des Touareg et de l’AQMI est incontestable. Le chef d’Ansar Din, Iyad ag Aghali, coopère avec une fraction de l’AQMI.7
    Mais la plus grande partie des rebelles Touareg au Mali, qui se sont formés dans le MNLA8 (Mouvement national de libération de l’Azawad), se distancient explicitement des contacts avec ces groupements extrémistes. L’Islam traditionnellement pratiqué de manière libérale par les Touareg n’est pas conforme aux idées salafistes.
    Pour les rebelles maliens, il ne s’agit cependant plus de décentralisation, participation économique et soutien social comme lors des rébellions auparavant. Comme leurs exigences ultérieures à l’adresse de l’Etat national sont toujours restées sans succès, ils combattent maintenant pour l’autonomie et la séparation de l’Etat malien. Ils ont beaucoup de succès dans leur rébellion actuelle, pas en dernier lieu parce qu’ils ont un bon réseau et sont bien organisés et avant tout très bien équipés avec des armes en provenance de la Libye.

    La néo-colonisation du Sahara

    Pendant que les Touareg maliens s’efforcent d’obtenir la reconnaissance de leur nouvel Etat, que les Touareg nigériens espèrent toujours avoir du travail dans la nouvelle mine d’uranium et que beaucoup d’Africains de l’Ouest veulent retourner en Libye pour trouver du travail, le Sahel est ravagé par une nouvelle famine. A l’époque, la Libye était l’un des premiers Etats à fournir de l’aide et du soutien aux nomades appauvris. Aujourd’hui, ce partenaire agissant vite manque. Pour les acteurs dans le Sahara et dans le Sahel, avant tout la France, les USA, et la Chine, mais aussi l’Inde, la Corée, le Canada et autres, il ne s’agit ni d’aide humanitaire, ni de soutien à la démocratisation, mais uniquement de ressources. Le pétrole, le gaz, l’uranium et le phosphate ont appelé de nouveaux acteurs sur scène, et ce sont avant tout les Touareg qui se retrouvent sur le terrain de jeu d’intérêts économiques et politiques globaux. La re-colonisation ou bien néo-colonisation (Claudot-Hawad 2012) du Sahara et du Sahel n’apportera ni la paix ni des concessions aux droits des minorités, mais une nouvelle matière inflammable à cette poudrière où déjà couve le feu.    http://www.mecanopolis.org

    Source: Die Zeitschrift für internationale Politik

    Traduction : Horizons & Débats

    1    Touareg est une spécification étrangère, qui est cependant entrée dans l’usage européen. Les termes émis varient selon la région et le dialecte: Imuhagh en Algérie et en Libye, Imushgh au Mali et Imajeghen au Niger. Le gh usuel dans beaucoup de transcriptions est prononcé comme un r parlé dans la gorge. A cause du lectorat étendu de ce magazine, j’utilise pour une meilleure compréhension la notion européisée de Touareg (pl.), singulier fém.: Targia, singulier masc.: Targui. Il est important de remarquer que Touareg est déjà une forme plurielle. Il n’y a pas de TouaregS!
    2    Le Niger est rangé à la place 186 avant la République démocratique du Congo. http://hdr.undp.org/en/statistics/
    3    Greenpeace International (6 mai 2010)
    Areva’s dirty little secret, www.greenpeace.org/international/en/news/features/ArevaS-dirty-little-secrets060510/
    Greenpeace International (2010) Left in the dust: Areva’s radioactive legacy in the desert town of Niger, www.greenpeace.org/international/Global/international/publications/nuclear/2010/Areva_Niger_report.pdf
    4    www.ciirad.org/actualites/dossiers%202007/uranium-afriq//photos-niger.pdf
    5    www.areva.com/EN/operations-623/a-topranked-deposit-ftir-longterm-minmg.htm
    6    Jusqu’en 2015, 25% de la consommation en pétrole et en gaz des USA doivent être livrés par l’Afrique de l’Ouest (surtout depuis le Golfe de la Guinée) (Keenan 2009: 125 nach CIA Global Trends 2015).
    7    Depuis sa fondation, le mouvement salafiste terroriste s’est fendu en divers groupes avec des stratégies et objectifs différents. Actuellement, il existe trois fractions dirigées par Abdul-Hamid Abu Said, Moktar bei Moktar et Yahya Abu-Hammam, appelé aussi Yahya Juani. (Interview de Jermy Kennan sur France 24, le 4 avril 2012; www.youtube.com/watch?v=BseudITb6U)
    8    www.mnlamov.net/
    Bibliographie
    Claudot-Hawad, Hélène (2012). Business, profits Souterrains et Strategie de la terreur. La recolonisation du Sahara, www.temoust.org/business-profits-souterrains-et,15758
    Keenan, Jeremy (2006). Security and Inseamty in North Africa, in: Review of African Political Economy, Nummer 108, 269–296, www.gees.org/documentos/Documen-01279.pdf
    Keenan, Jeremy (2009). The Dark Sahara: America’s War on Terror in Africa, Pluto Press, New York
    Kohl, Ines (2007). Tuareg in Libyen: Identitäten zwischen Grenzen. Reimer, Berlin
    Kohl, Ines (2009). Beautiful Modern Nomads:
    Bordercrossing Tuareg between Niger, Algeria and Libya. Reimer, Berlin
    Kohl Ines (2010). Saharan «Borderline»-Strategies: Tuareg Transnational Mobility, in: Tilo Grätz (Hg.). Mobility, Transnationalism and Contemporary African Societies. Cambridge Scholars, Newcastle upon Tyne, 92–105

    *Ines Kohl est chercheur à l’Institut d’anthropologie sociale (ISA) de l’Académie des sciences autrichienne (ÖAW). Elle fait des recherches sur les Touareg, la culture des jeunes, la mobilité et la transnationalité en Libye, en Algérie et au Niger.
    Courriel: ines.kohl(at)oeaw.ac.at; www.kohlspross.org

  • Lafautearousseau s'associe à la "Manif pour tous" parce que la famille c'est la base de la nation !

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    Lafautearousseau s'associe pleinement, à la campagne lancée, courageusement, par l'Eglise Catholique de France et par divers mouvements ou associations, contre le projet de loi dit du "mariage pour tous". Nous soutenons donc la manifestation d'ampleur nationale, en préparation pour le 13 janvier prochain.
    On sait que le cardinal André Vingt-Trois, à l'occasion du 15 août, a fait dire, dans toutes les églises de France, une "prière pour la France", s'élevant, en fait, contre ce projet; que le pape Benoît XVI encourage cette initiative; qu'elle a été confirmée par la Conférence Episcopale réunie à Lourdes. De fait, L'Eglise, pourvu qu'elle le veuille, qu'elle y lance toutes ses forces, possède encore -on a eu, on aura, sans-doute, encore, l'occasion de le vérifier - une capacité considérable de mobilisation et d'influence. Souhaitons qu'elle l'utilisera à fond et, dans ce cas, soutenons-là avec la même force.
    Les autres grandes religions, avec les nuances qui tiennent à leur spécificité, se sont exprimées dans le même sens. En particulier, le Grand Rabbin de France, Gilles Bernheim, a publié un document remarquable, opposé à un projet de loi qui, selon lui, consiste à « priver des enfants d’un droit essentiel, avoir un père et une mère et non un parent 1 et un parent 2". En l'occurrence, cette conjonction des grandes religions, présentes sur notre sol, peut être utile à la France. Qu'elles s'opposent ensemble à un projet de pure déconstruction sociale, imposé en force par une minorité et un gouvernement indifférent au Bien Commun, est une nouveauté importante. Ces autorités spirituelles se déterminent en fonction de préceptes religieux, issus des Ecritures, mais aussi de considérations morales, anthropologiques et sociétales.
    Du simple point de vue politique qui est le nôtre, qui ne méconnaît nullement ces hautes raisons, le projet de loi gouvernemental est une atteinte supplémentaire à la cohésion, à la stabilité, et à la structure même, la plus fondamentale, de notre société, et aux conditions du Bien Commun. C'est la raison pour laquelle nous nous opposons, nous aussi, au projet gouvernemental et nous conseillons à nos amis de participer à la manifestation nationale du 13 janvier, comme à toutes les actions qui seront menées par la suite, pourvu qu'elles soient sérieusement, raisonnablement organisées, et sans risque de tomber dans ce genre d'excès ou d'outrances qui finissent par nuire à la cause défendue.
    Nous ajouterons, quant à nous, que se battre sur l'unique et ultime front (ultime, pour combien de temps ?) d'une opposition déterminée au "mariage homosexuel", si justifiée soit-elle, serait tout à fait insuffisant. Si, en effet, "la famille est la base de la nation", il y a déjà bien longtemps que la stabilité des familles françaises n'est plus une réalité, bien longtemps que cette stabilité est fortement atteinte, bien longtemps que la société nationale se dissout, s'atomise, au profit d'un individualisme de plus en plus accentué, avec tous les très graves désordres sociétaux qui en découlent. A terme, c'est notre capacité à transmettre notre culture et notre civilisation qui est en question. Nous voyons déjà, tous les jours, et en toutes sortes de domaines, les inquiétants effets de cette dissolution des familles françaises. C'est donc sur une ligne très en amont de la seule question du "mariage homosexuel" que nous devons situer le front de nos campagnes et de nos actions. Celui de la reconstruction de la famille française, sans quoi l'avenir national sera, de toute façon, compromis.

  • De l’extension du conflit malien

    La communauté d’Etats africains ECOWAS envoie des soldats

    Le conflit qui frappe le Mali, où des éléments islamistes ont pris le contrôle de la moitié septentrionale du pays depuis le printemps dernier, menace de s’internationaliser. En effet, la communauté d’Etats d’Afrique occidentale ECOWAS, dont le Mali est membre, a décidé très récemment d’envoyer une troupe d’intervention de 3300 hommes dans ce pays secoué par une crise apparemment sans solution, s’il n’y a pas intervention étrangère. L’intervention est provisoirement limitée à une seule année: “Nous prévoyons 3300 soldats pour la durée d’un an” a déclaré le Président du Groupe ECOWAS, Alassane Ouattara.

    Cette communauté économique ouest-africaine a été contrainte par les Etats-Unis et par l’UE de procéder à cette démarche interventionniste car il s’agit, au Mali, de combattre l’AQMI, soit “Al-Qaeda pour un Maghreb Islamique”. Comme le pensait en octobre dernier le ministre allemand des affaires étrangères Guido Westerwelle, le “Mali ne peut devenir le refuge de terroristes”, car un tel havre de repli dans le nord du pays constituerait une menace pour la sécurité mondiale”, non seulement pour le Mali lui-même mais pour l’Europe. En octobre également, l’UE a décidé d’envoyer des instructeurs militaires dans ce pays africain déstabilisé. De même, on spécule de plus en plus quant à la mise en oeuvre de drones américains.

    Il s’agit certes de combattre des islamistes mais ce n’est pas tout, loin s’en faut : le conflit qui s’est abattu sur le malheureux Mali sert de prétexte aux Etats-Unis pour s’ancrer de plus en plus profondément en Afrique occidentale et, simultanément, pour enrayer l’influence chinoise sur le continent noir, où Beijing est perpétuellement en quête de matières premières.

    (source: “zur Zeit”, Vienne, n°46/2012; http://www.zurzeit.at/ ).

  • L'Afrique sous la botte américaine : Carnages sur ordonnance

    Si Pierre Péan était américain, il aurait eu le prix Pulitzer, en France, il a droit au silence. Qui a entendu parler de son dernier livre, Carnages? C'est pourtant une analyse implacable de l'offensive américaine en Afrique, avec en toile de fond le recul de la France, chassée une seconde fois.
    Un ouvrage massif, énorme, tonitruant, exceptionnel, salutaire, effarant, vient de paraître en France dans un silence presque unanime de la presse officielle et assermentée. Seul l'hebdomadaire Marianne a consenti à en publier les meilleures feuilles. On le doit à Pierre Péan. Son titre, Carnages, plante assez bien le décor, celui de l'Afrique de la fin du siècle précédent et d'aujourd'hui, ainsi que de ses innombrables et sidérants charniers, accumulés la plupart du temps dans l'indifférence et surtout l'incompréhension totales au sein du septentrion du monde.
    Pour la plupart des téléspectateurs occidentaux, le titre du livre sera d'abord justifié par le génocide tutsi du Rwanda, par celui imputé à l'encontre des habitants du Darfour à l’État soudanais, ou encore en raison de telle ou telle famine abondamment médiatisée sur fond de repentance post-coloniale et de charité spectaculaire.
    La réalité est un peu différente, et nettement plus sordide. Surtout, elle offre une illustration saisissante, et jusqu'à l'écœurement, de ce que l'instrumentalisation de la bonne conscience et de l'arrogance morale peut autoriser en matière de massacres de masse. Notamment en dissimulant par la surmédiatisation d'un génocide la réalité et l'impunité d'un autre, comme pour les trains du célèbre dicton. Or, s'il y a une véritable nouveauté dans le monde qui est le nôtre depuis vingt ans, c'est sans doute là qu'elle se trouve et nulle part ailleurs, nous interdisant de pavoiser avec toutes nos âneries vertueuses et humanitaires: les remugles collectifs du cœur ont remplacé l'épaisseur du secret pour occulter la fabrique étatique des grands cimetières sous le soleil. La mort, la mort massive et toujours recommencée, celle des hommes, femmes et enfants d'Afrique, essentiellement...
    Péan, dans ce livre-somme qui aurait dû faire la une de toutes les grandes émissions françaises, décrit avec la rigueur d'un historien positiviste et d'un limier méticuleux la connexion entre deux réalités géopolitiques que l'on croyait relativement distinctes l'une de l'autre et qui se trouvent à l'origine des plus grandes hécatombes que le continent noir ait connues depuis l'époque des traites négrières :
    d'une part, la volonté des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne d'éradiquer, au lendemain de la chute de l'Union soviétique, toute forme d'influence ou de présence françaises en Afrique ; de l'autre, la stratégie de domination impériale de Washington dans l'ensemble du vaste monde musulman qui l'a amené à resserrer considérablement ses liens diplomatiques et militaires avec Israël afin de lui permettre un investissement accru, discret, mais meurtrier, dans la quasi-totalité du continent noir.
    Les grands prédateurs jouent toujours aux enfants de chœur
    Le début et l'essentiel de ces grandes manœuvres aura lieu dans la fameuse région des Grands Lacs (Ouganda, Rwanda, Burundi, Congo-Zaïre, Congo-Brazzaville, Angola), qui en paiera et en paie encore le prix du sang - cinq à six millions de morts depuis le début de la décennie 1990 -, mais c'est le Soudan, riche et gigantesque pays à la fois arabe et musulman issu de l'empire britannique, qui en sera la clé de voûte et le cœur stratégique jamais révélé. C'est là du reste que le livre de Péan propose une véritable élucidation de la complexe et sanglante réalité géopolitique de ces dernières années en Afrique : il permet de comprendre clairement, même si persistent encore certaines zones d'ombre, en quoi et pourquoi tous les chemins africains mènent à Khartoum depuis la fin de la Guerre froide.
    Au départ, on le savait, émerge donc la décision prise par l'Administration Clinton de se débarrasser de tous les alliés politiques de la France dans son ancien pré carré colonial pour leur substituer les leurs propres : sont surtout visés le vieux maréchal Mobutu au Zaïre et le président hutu Juvénal Habyarimana au Rwanda, ainsi qu'Omar Bongo au Gabon, son beau-père Denis Sassou-Nguesso au Congo.
    L'idée, en réalité, remonte à Roosevelt, qui, avant son décès, en 1945, voulait empêcher au terme de la guerre la reconstitution des empires français et britannique en Afrique et en Asie. De Gaulle s'était interposé, et le Président américain était mort avant la fin des hostilités. Par la suite, l'équilibre rigoureux de la Guerre froide avait plus ou moins contraint Washington à composer avec une France, alliée de plus en plus indocile, mais néanmoins occidentale, qui contribuait, faute de mieux, à empêcher l'extension du communisme en Afrique francophone et en Indochine. Le rattachement des anciennes colonies belges à lex-pré carré colonial, lorsque le Général résolut de dissoudre l'Empire devenu Union française, avait été validé dans ce contexte, mais la France de Pompidou et de Giscard d'Estaing eut bien tort ensuite de croire éternel ce qui, pour les Américains, n'était que nécessité provisoire.
    En 1991, naturellement, l'heure de l'hallali a enfin sonné : la politique africaine - et arabe - de la France n'offre plus aucune justification stratégique aux yeux de Washington, qui entend profiter de sa nouvelle « hyperpuissance » pour refaçonner à sa guise la carte du monde. La destruction de l'Afrique des Grands Lacs va être conçue au sein d'une entreprise impérialiste de grande échelle, en même temps que l'éclatement de la Yougoslavie et l'investissement progressif du monde arabe via les deux guerres d'Irak.
    Silence, on tue les « méchants »
    Il faut au moins, nonobstant la démesure prédatrice du projet, en admirer la cohérence géopolitique. Zbigniew Brzezinski et Madeleine Albright ne se trompent pas : la pérennité de la domination américaine passe, face à une Chine devenue incontournable et avide de matières premières, par la liquidation définitive de l'héritage des quatre anciens empires russe, serbo-orthodoxe, panarabe et français. Quarté gagnant, qui sera un quarté sanglant. D'autant que l'Afrique détient un sous-sol dont l'accès va devenir vital en même temps que l'extinction des ressources pétrolifères du monde arabe.
    Pour mener à bien ces ambitieux projets, les Etats-Unis vont se servir de deux illuminés cyniques, résolus et mégalomanes, que les perspectives d'extermination à grande échelle n'émeuvent pas : Yoweri Museveni, ancien opposant (à la fois marxiste, protestant évangélique et hitlérien, cela ne s'invente pas) d'Amin Dada, devenu président de l'Ouganda après la chute de Milton Obote en 1986, et Paul Kagamé, son fidèle vassal tutsi, qui concoctent l'un et l'autre depuis longtemps des projets de domination véritablement napoléoniens dans la région.
    Péan explique minutieusement comment, avec l'aide constante et active de Washington et du Mossad, les deux hommes vont organiser l'assassinat du président Habyarimana, le 6 avril 1994, après avoir au préalable planifié l'invasion du Rwanda par les forces armées du FPR de Kagamé, sonnant le déclenchement du génocide des Tutsis demeurés au Rwanda que Kagamé avait parfaitement prévu - et évidemment souhaité car nécessaire à la réussite de son plan.
    La suite consistera, grâce à des média complices, à faire passer l'invasion du pays par les Tutsis ougandais, puis surtout celle du Kivu congolais, qui entraînera la chute de Mobutu, puis l'assassinat (peut-être orchestré avec l'aide de son propre fils) de Laurent-Désiré Kabila, comme une légitime croisade entreprise contre les «génocidaires » hutus du Rwanda. Bilan: plus de quatre millions de morts, essentiellement des civils, femmes et enfants hutus (quatre fois plus que les victimes tutsis du génocide rwandais), dont les cadavres seront entassés dans les profondeurs des forêts congolaises au vu et au su de tous, sous la surveillance des drones israéliens. Jacques Chirac, sous la pression des Américains, renoncera in extremis à une intervention militaire de la dernière chance.
    Mais l'essentiel, encore une fois, pour les Etats-Unis et surtout pour Israël, demeure le succès du même scénario concernant le Soudan d'Omar el Béchir, qui, lui, résiste à l'offensive - grâce à l'appui de la Chine. Péan nous le confirme : c'est vers Khartoum, désormais, que tous les regards, long temps détournés, doivent se porter attentivement dans les années qui viennent.
    Pierre-Paul Bartoli LE CHOC DU MOIS février 2011
    Il Pierre Péan, Carnages, les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Fayard, 562 p., 24,50 €.

  • Le Patriarcat de Moscou soutient les chrétiens de France contre la dénaturation du mariage

    MOSCOU (NOVOpress via le Bulletin de réinformation) — Le responsable des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou a adressé une lettre chaleureuse au cardinal archevêque de Paris, André Vingt‑Trois.

    Il y a exprimé le soutien et la volonté du Patriarcat de Moscou de travailler ensemble au nom de la défense des valeurs chrétiennes.

    Le métropolite Hilarion de Volokolamsk (photo ci-dessus) y déplore notamment, en parlant de la France : « L’érosion des principes moraux dans la vie privée et publique qui se produit dans un pays ayant de profondes racines chrétiennes ».

    Novopress

  • Sapir : “Europe, fin de partie ?”

    Le processus dit de « construction européenne » vient de subir, avec l’impasse sur la programmation budgétaire pour les années 2014-2020, et accessoirement pour le budget de 2013, de l’UE un triple échec : économique, politique et symbolique. La question symbolique est certainement la plus importante.

    Cette impasse, qui au mieux durera jusqu’au début de 2013, vient après le blocage sur la question de l’aide à accorder à la Grèce du début de la semaine, et des négociations extrêmement dures quant à la part respective des États au sein du groupe aéronautique EADS mais aussi une réduction importante des ambitions de l’Europe spatiale.

    Il est hautement symbolique que ces événements soient tous survenus dans une période d’environ huit jours. Ils témoignent de l’épuisement définitif de l’Union européenne à incarner « l’idée européenne ».

    Un échec économique

    La question du budget de l’UE est économiquement importante. Non pas tant pour les sommes en jeu. La contribution au budget de l’UE a été plafonnée à 1,26% du PIB des différents pays. Ainsi, pour 2013 ce sont 138 milliards d’euros qui sont prévus. Mais c’est la faiblesse de cette somme qui pose problème. Alors que la zone Euro, qui est une subdivision de l’UE, est en récession, et que ceci durera certainement en 2013 et en 2014, la logique aurait voulu que l’on se mette d’accord pour un budget de relance, soit en favorisant la demande, soit en favorisant des politiques de l’offre et de la compétitivité dans certains pays, et très probablement en faisant les deux.

    Or, c’est exactement le contraire qui s’est produit. On voit bien que chaque pays tire à hue et à soi, étant soumis aux règles de l’austérité budgétaire, par ailleurs institutionnalisées par le dernier traité de l’UE, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes ! Les égoïsmes se révèlent de toute part et trouvent, dans des réunions comme celle qui s’est tenue dans la nuit de jeudi à vendredi à Bruxelles le champ clôt parfait pour leurs affrontements.

    Dans la situation actuelle, on voit bien que la récession ne pourra être combattue efficacement que par la conjonction de politiques de relance de la demande et de l’offre. Ces politiques ont été quantifiées. Elles impliqueraient, rien que pour le rattrapage de compétitivité, que l’on dépense pour les quatre pays d’Europe du Sud (Espagne, Grèce, Italie et Portugal), environ 257 milliards d’euros par an comme on l’a établi dans une précédente note1.

    Si l’on veut être cohérent, il faut en réalité ajouter au moins 100 milliards à cette somme pour financer des grands projets permettant d’harmoniser la compétitivité des autres pays. Cette dépense supplémentaire de 357 milliards, pour un budget d’environ 138 milliards est importante. Elle impliquerait que le budget passe de 1,26% à 4,5%.

    En réalité, le problème est bien plus compliqué. Les 138 milliards prévus pour le budget 2013 donnent lieu à des retours, plus ou moins importants, pour tous les pays de l’UE. Sur les 357 milliards qu’il faudrait dépenser en plus, 257 milliards sont des transferts nets à destination des quatre pays du Sud déjà évoqués. Ils devraient donc être fournis par les autres États, et dans les faits ils ne pourraient l’être que par l’Allemagne, l’Autriche, la Finlande et les Pays-Bas.

    Ceci revient à dire que l’Allemagne devrait à elle seule contribuer à hauteur de 85%-90% de cette somme, ce qui représenterait entre 8,5% et 9% de son PIB par an en transferts nets. Sur une période de dix ans cela aboutit à 3570 milliards d’euros de budget total. Quand on parle, les sanglots dans la voix et les larmes dans les yeux, du « fédéralisme européen », c’est de cela dont on parle en réalité, car sans transferts importants point de fédéralisme.

    Au regard de cela, notons que les dirigeants européens n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur une somme de 978 milliards d’euros sur 7 ans (2014-2020) alors que sur la même période c’est 2499 milliards en plus qu’ils auraient dû financer. On mesure l’immensité de la tâche, et son impossibilité dans les circonstances actuelles. À cet égard, l’échec, probablement temporaire car une solution de compromis ne satisfaisant personne et ne réglant rien sera trouvée d’ici fin janvier 2013, prend toute sa signification.

    Si les 27 pays de l’Union Européenne ont tant de mal à s’accorder sur une somme, en réalité modeste, on ne voit pas comment ils pourraient décider d’un commun accord de sommes qui sont 2,5 fois plus importantes. La réalité de l’UE est bien l’absence totale de solidarité en son sein, même et y compris quand cette solidarité serait de l’intérêt de tous. Ce que révèle cette situation c’est qu’il n’y a pas de « chose publique» (res publica) dans l’Union Européenne.

    Ceci se manifeste aussi dans la manière dont le cas de la Grèce a été (mal) traité. Il est absolument évident que le fardeau de la dette engendre la dette. La seule solution au cas de la Grèce est un défaut (une « restructuration ») portant sur la moitié des dettes détenues par des organismes publics, tout comme un défaut équivalent a été imposé aux créditeurs privés2.

    Mais les pays de la zone Euro sont incapables de faire face à cette réalité. Ils vont donc redonner de l’argent pour que les paiements de la dette soient étalés. Ceci ne règlera rien, et la majorité des experts le savent. Cependant, outre le fait de prendre une mesure qui n’est qu’un palliatif, les mêmes pays n’arrivent pas à se mettre d’accord sur la somme qu’il faudra prêter à court terme à la Grèce. C’est ce que l’on a vu au début de la semaine du 19 novembre. Ils préfèrent faire porter l’apparence de la responsabilité sur le FMI.

    L’auteur de ces lignes a écrit par le passé des choses extrêmement critiques et dures à l’égard de cette organisation3. Mais il est clair que les statuts du FMI ne lui permettent pas de prêter à un pays qui est clairement insolvable. De ce point de vue, le FMI est parfaitement dans son rôle quand il rappelle aux pays de la zone Euro qu’il faut une solution à long terme pour la Grèce et que celle-ci ne peut provenir que d’un défaut partiel. Ici encore, les solutions rationnelles sont écartées au profit de celles qui servent les intérêts immédiats de tel ou tel. Cette inconséquence est le produit d’une incohérence de fond : on veut éviter le défaut mais l’on se refuse à en payer le prix.

    Il n’est donc pas étonnant que les pays européens n’aient pu se mettre d’accord que ce soit sur la programmation des budgets à l’horizon 2020, ou sur un plan réaliste de sauvetage de la Grèce. Ce double échec est révélateur de l’épuisement de l’idée européenne. On vivra donc d’expédients, et l’on vivra de plus en plus mal jusqu’au moment où il faudra affronter la réalité.

    Un échec politique

    Le problème posé est ensuite politique, et il a été mis en lumière à l’occasion de l’échec du Conseil Européen de la nuit du 22 au 23 novembre. On glose beaucoup sur une « alliance » entre la chancelière allemande, Mme Angela Merkel et le Premier ministre britannique David Cameron, alliance qui aurait abouti à l’isolement de la France. Mais cette « alliance » est en réalité purement conjoncturelle. La Grande-Bretagne poursuit son vieil objectif de réduire l’UE à un espace de libre-échange et à un cadre réglementaire le plus léger possible.

    L’Allemagne, pour sa part, et elle est rejointe sur ce point par des pays comme la Finlande, les Pays-Bas et l’Autriche, s’oppose absolument à ce que les transferts prennent plus d’importance. On sait l’opposition absolue des dirigeants allemands, tous partis confondus, à des transferts massifs, en particulier au sein de la zone Euro. Le refus de l’Union de Transfert est un point cardinal de la politique allemande et cela s’explique tant par l’impact que ces transferts auraient sur l’économie allemande4 que par la démographie de ce pays qui est en train de se dépeupler.

    Cela n’implique pas qu’elle partage les vues de la Grande-Bretagne quant à la philosophie de l’UE. Les dirigeants allemands comprennent que cette dernière doit être autre chose qu’une simple zone de libre-échange. Mais leurs intérêts se rejoignent avec les Britanniques pour s’opposer à l’engagement de sommes supplémentaires, dans la mesure où ils comprennent parfaitement qu’ils seraient, par nécessité, les principaux contributeurs. C’est sur cette alliance que s’est cassée la position française.

    Il faut ici dissiper une illusion très répandue dans les élites politiques françaises. Nos dirigeants pensent que l’on pourra, moyennant des concessions sur certains points, amener les dirigeants allemands à accepter une contribution plus importante, du fait de leur (relatif) assouplissement sur la question de la crise de la dette dans la zone Euro.

    Rappelons que lors des premières réunions de crise, au début de l’année 2010, la position allemande était une opposition totale au sauvetage de la Grèce. En fait nos dirigeants commettent non pas une mais deux erreurs quant à la position allemande. La première est de confondre la crise de la dette et la crise de compétitivité. Ces deux crises sont distinctes, même si la seconde réalimente en permanence la première. L’attitude allemande a été de faire des concessions sur la crise de la dette pour éviter une tempête financière qui emporte avec elle la zone Euro, mais de refuser toute concession sur la crise de liquidité.

    La distinction entre ces deux crises est très claire chez les dirigeants allemands. Ils considèrent que la crise de la dette est un problème collectif, mais que la crise de compétitivité n’est que du ressort des États ! Il s’en déduit que l’on ne peut inférer de leur changement d’attitude sur la crise de la dette un quelconque changement sur la crise structurelle, celle de compétitivité. La seconde erreur consiste à ne pas comprendre que le choix pour l’Allemagne ne se réduit pas au sauvetage à tout prix de la zone Euro.

    L’Allemagne souhaite par dessus tout le statu-quo (qui lui permet de réaliser ses énormes excédents commerciaux au détriment des autres pays de la zone Euro). Pour maintenir ce statu-quo elle a déjà accepté de contribuer, et elle a déjà accepté une mutualisation des dettes – quoi qu’on en dise – sous la forme du rachat par la Banque Centrale Européenne des dettes des pays en difficulté sur le marché secondaire.

    Elle est en effet co-responsable du bilan de la BCE à hauteur de sa contribution initiale pour cette institution. Mais elle n’est pas prête à aller au-delà d’une contribution annuelle d’environ 2% de son PIB (soit environ 50 milliards d’Euros). Si l’on met l’Allemagne au défi de payer les sommes évoquées plus haut, soit 8% à 9% de son PIB afin de rendre viable la zone Euro, elle préfèrera la fin de la zone Euro. Là ou nos dirigeant voient le début d’un processus, qui pourrait être étendu, il y a en réalité un engagement strictement limité de l’Allemagne.

    La crise actuelle n’est donc pas uniquement économique, encore que cette dimension soit à elle seule bien suffisante pour nous conduire à la catastrophe. Elle est aussi politique. L’idée d’une alliance France-Allemagne, le Merkozy, qui était défendue par le précédent gouvernement était fondée sur l’illusion, entretenue par ignorance ou à dessein, que la crise de la zone Euro était uniquement une crise de la dette. Si tel avait bien été le cas, il est probable que l’on aurait pu trouver un terrain d’entente stable entre nos deux pays.

    Mais la crise de l’Euro est avant tout une crise issue de l’hétérogénéité des économies, hétérogénéité qui s’accroît naturellement dans un système de monnaie unique et avec une politique monétaire uniforme en l’absence de flux de transferts massifs, et qui débouche sur une crise majeure de compétitivité, qui elle-même engendre une montée des déficits. Arrivées à ce point, les positions respectives de la France et de l’Allemagne divergent spontanément, ce dont le nouveau gouvernement a pris acte. Mais, alors qu’il tentait de rallier à lui les pays en difficultés, il n’a fait que provoquer l’alliance, certes temporaire, mais redoutable, de l’Allemagne avec la Grande-Bretagne.

    En fait, dans le cadre de la zone Euro, l’Allemagne peut toujours se trouver des alliés et une stratégie de secours, du moins à court terme. C’est la France qui se trouve, en fin compte, comme l’on dit chez les pilotes de chasse « out of power, out of altitude and out of idea » (ce que l’on peut librement traduire par « à bout de puissance, à bout d’altitude, à bout d’idées »). François Hollande doit comprendre que, dans la situation actuelle, la seule chance qui reste pour notre pays est de renverser la table, de mettre l’Allemagne devant le choix de procéder soit à une dissolution ordonnée de la zone Euro, dans laquelle elle perdra incontestablement certains de ses avantages, et un éclatement désordonné dans lequel elle a bien plus à perdre.

    Un échec symbolique

    Les échecs tant économiques que politiques de la semaine passée sont, bien entendu, révélateurs d’un échec symbolique majeur. Aujourd’hui, qui croit encore en l’Union Européenne ?

    L’analyse des derniers sondages publiés en juin et novembre sur ce point donne un résultat clair. La perte de confiance dans la capacité de l’UE à apporter quoi que ce soit de positif aux populations est massive. Jamais l’Euroscepticisme ne s’est aussi bien porté, non seulement en Grande-Bretagne, mais aussi en France et même en Allemagne.

    Dans l’Eurobaromètre, sondage réalisé de manière régulière dans tous les pays de l’UE5, la côte de confiance dans l’Union Européenne est tombée à 31%. En fait, 28% de sondés ont une opinion « très négative » de l’UE et 39% ne se prononcent pas. Le plus impressionnant est l’évolution dans le temps des résultats. Les mauvaises opinions sont passées de 15% à 28% de l’automne 2009 au printemps 2012, alors que les bonnes opinions sont passées quant à elles de 48% à 31% dans la même période. Mais il y a pire : 51% des personnes interrogées ne se sentent pas plus proches des autres pays avec la crise.

    Graphique 1

     

    Autrement dit, la politique de l’UE a conduit à une montée des méfiances réciproques, ce qu’elle devait normalement combattre. Et l’on voit bien que la perte de confiance dans l’UE et dans ses institutions tend à se généraliser. Quel bilan peut-elle présenter ?

    C’est donc la crédibilité générale de l’UE qui est en cause, et l’on voit bien ici que les stratégies discursives utilisées par les européistes seront de moins en moins efficaces. Ces stratégies reposent sur une délégitimation des opinions négatives, qui sont associées à des catégories dites « peu éduquées » et par cela incapables de comprendre ce qu’apporte l’UE et sur une explication de ces résultats par les simples difficultés matérielles engendrées par la crise. Sur le premier point, il y aurait beaucoup à dire.

    On voit immédiatement la parenté entre cet argument et les arguments du XIXe siècle en faveur du vote censitaire. Les personnes aux revenus modestes, qui en général ne font pas d’études supérieures, sont considérées comme intrinsèquement inaptes à juger d’un projet qui est présenté comme « complexe ». Cet argument n’est en réalité qu’une rationalisation du cours anti-démocratique pris par la construction européenne depuis 2005. Le second argument contient une parcelle de vérité. Il est clair que l’impact de la crise a modifié les préférences des individus.

    Mais cet argument se retourne contre ses auteurs : pourquoi l’UE a-t-elle été incapable de protéger les personnes des effets de la crise ? En fait, cette dernière agit comme un révélateur qui met en évidence les carences et les défauts de l’UE. Il reste un troisième argument, qui est utilisé de temps en temps : l’Union Européenne nous aurait évité le retour des conflits intereuropéens des siècles précédents. Mais ceci est faux, techniquement et historiquement. Techniquement, l’UE a été incapable d’empêcher les conflits des Balkans, et leur mode de résolution doit bien plus à l’OTAN qu’à l’UE. Historiquement, les deux événements majeurs que sont la réconciliation franco-allemande et la chute du mur de Berlin ne sont nullement le produit de l’Union Européenne.

    En fait, et on le voit bien aujourd’hui, l’UE par sa politique actuelle nourrit le retour des haines recuites, que ce soit entre pays (Grèce et Allemagne, mais aussi Portugal ou Espagne et Allemagne) ou à l’intérieur de ceux-ci (Espagne, avec le Pays Basque et la Catalogne, et Belgique).

    Cet échec symbolique est certainement le plus grave à court terme, car il touche aux représentations des peuples. Si l’échec économique et politique montre que l’UE est à bout de souffle, l’échec symbolique, illustré dans les derniers sondages, ouvre la voie à des radicalisations des opinions publiques à relativement court terme.

    Tirer les leçons de l’épuisement d’un projet européen

    Il convient aujourd’hui de se livrer à un bilan sans concession du projet que l’UE porta et qui a aujourd’hui manifestement échoué. Cela ne signifie pas que tout projet européen soit condamné à l’échec. Mais encore faut-il sortir de l’identification de l’Europe avec l’Union Européenne.

    On voit bien que certains pays hors du cadre de l’UE ont un intérêt à l’existence d’une Europe forte et prospère. Le cas de la Russie et de la Chine saute aux yeux. La Russie, de plus, est elle aussi un pays européen, même si elle n’est pas uniquement européenne. Il est donc possible de penser un projet européen intégrant toute l’Europe, y compris les pays qui aujourd’hui ne sont pas membres de l’UE et n’aspirent pas à le devenir. Mais à la condition de faire des nations européennes, ces « vieilles nations » qui restent aujourd’hui le cadre privilégié de la démocratie, la base de ce projet.

    Ce projet devra être construit autour d’initiatives industrielles, scientifiques et culturelles dont le noyau initial pourra être variable, mais qui exigent pour exister que soient remises en cause un certain nombre de normes et de règlements de l’UE. Plus que tout, il faudra procéder à une dissolution de l’Euro. Cette dissolution, si elle est concertée par tous les pays membres de la zone Euro sera en elle-même un acte européen, et pourra donner immédiatement lieu à des mécanismes de concertation et de coordination qui feront en sorte que les parités de change des monnaies nationales retrouvées ne fluctuent pas de manière erratique mais en fonction des paramètres fondamentaux des économies.

    Cette voie demande du courage, car les dirigeants actuels dans de nombreux pays sont les héritiers directs des « pères fondateurs » de l’Union Européenne. Mais tout héritage doit à un moment être soldé. À se refuser à le faire c’est à l’entrée des pays européens dans une nouvelle phase historique de convulsions violentes, tant internes qu’externes, que l’on se prépare. S’il est vrai que l’idée européenne est porteuse de paix, la poursuite dans sa forme actuelle de l’Union Européenne ne peut-être que source de conflits de plus en plus violents.

    Notes

    1. Jacques Sapir, “Le coût du fédéralisme dans la zone Euro”, billet publié sur le carnet Russeurope le 10/11/2012, URL: http://russeurope.hypotheses.org/453 []
    2. Jacques Sapir, “Grèce: seule l’annulation de la dette peut apporter un début de solution”, billet publié sur le carnet Russeurope le 20/11/2012, URL: http://russeurope.hypotheses.org/522 []
    3. Jacques Sapir, Le Krach Russe, La découverte, Paris, 1998. Idem, Les Économistes contre la Démocratie, Albin Michel, Paris, 2002. Idem, “Le FMI et la Russie: conditionnalité sous influences”, in Critique Internationale, n°6, Hiver 2000, pp. 12-19. []
    4. Patrick Artus, La solidarité avec les autres pays de la zone euro est-elle incompatible avec la stratégie fondamentale de l’Allemagne : rester compétitive au niveau mondial ? La réponse est oui, Flash Économie, NATIXIS, n° 508, 17 juillet 2012. []
    5. Eurobaromètre Standard 77, L’OPINION PUBLIQUE DANS L’UNION EUROPÉENNE, Commission européenne, Direction générale Communication, juillet 2012, URL : http://ec.europa.eu/public_opinion/archives/eb/eb77/eb77_first_fr.pdf []

    Russeurope  http://fortune.fdesouche.com

  • Sans peur, pas sans reproches

    Au premier abord, j'ai eu une érection mentale : que nous fait encore le bellâtre bandant ? Au second rabord, j'ai débandé. Il y a quelque chose de vrai et donc sincère dans le sort jeté à Lakshmi Mittal par Me Arnaud Montebourg. Le jetsetter plein aux as semble être sur l'orbite d'un projet de classement personnel au palmarès de Forbes, plus que dans l'ambition irrépressible d'un leadership mondial de l'acier. Riche à milliards (30 de mémoire), sa holding est endettée à milliards (23 de mémoire) et les agences de notation la classent en catégorie "spéculative". La faute à pas de chance, le capitalisme, chère médème, c'est aussi prendre des risques. Acheter des mines qui finiront en canettes c'est de l'intégration verticale. Sauf que la mine vaut ce que vaut sa matière, et rien que cela ! En période de récession, l'intégration verticale congèle la structure et les réglages ne se font pas. Le produit fini se rétreint, à l'autre bout le minerai ne paie plus la mine. Alors on bricole ; Mr Mittal qui appartient à la caste mercantile des Marwaris, a une formation commerciale et n'est pas ingénieur, il bricole ses chiffres. Il me fait penser furieusement à Bernard Tapie, fameux redresseur d'industries à dépecer.
    Même s'il est désavoué implicitement par son président qui reçoit ce cher Lakshmi au château, Me Montebourg aura eu le mérite de faire exploser le consensus libéral d'auto-régulation des marchés, présentement celui de l'acier, régulation dévoyée par la capacité de nuisance de gestionnaires trop courts ou mal-intentionnés. Nulle valeur ne monte jusqu'au ciel et la croissance ne se mesure pas sur l'échelle ouverte de Richter. Aussi, capturer des coulées de fonte et des laminoirs en Europe occidentale, sur le marché le moins prometteur de la planète, comme l'a fait Mittal par une OPA hostile sur Arcelor en 2006, peut se juger comme une intention de détruire à terme un concurrent des sidérurgies low-cost émergentes, à la faveur du premier retournement de conjoncture ; nous y sommes. Et c'est ce que dit Montebourg à Mittal quand il lance : "le problème des hauts-fourneaux de Florange, ce n'est pas les hauts-fourneaux de Florange, c'est Mittal". Dans un billet précédent, nous avions montré pourquoi le site de Florange est une "entité sidérurgique" qu'il est malaisé de découper en appartements, les uns rentables, les autres moins ou pas du tout : Le site de Florange est intégré. On entre du charbon et du fer d'un côté, on sort des bobines de tole et des canettes de l'autre. Mittal arrête seulement une partie du site, celui de la coulée à chaud. Bercy a 60 jours pour présenter à Mittal un acheteur du process ; le prix de cession sera négocié avec le repreneur présenté par M. Montebourg ! Mais quel industriel peut vendre à son conseil d'administration l'achat d'une coulée à chaud, avec deux vieux hauts fourneaux, dont le client de cette production contrôlerait le train de laminage des brames en aval ? Qui ferait le prix à qui ? Il faut être un grand dépendeur d'andouilles pour y croire. En l'état, Mittal garderait la cokerie pour approvisionner ses trois hauts fourneaux de Dunkerque qui lui retourneront des brames pour le train à chaud et laminoir de Florange. S'il cède la cokerie, à quel prix achèterait-il ce coke pour Dunkerque ? Il mettrait évidemment ces brames en concurrence avec celles que le repreneur de la coulée à chaud distraira de ses ventes, repreneur qui cherchera raisonnablement à récupérer un peu des six ou sept cents millions d'euros que lui aura coûté la mise à niveau de son achat... (source).
    Il n'est pas étonnant que le nouvel acheteur (russe ?) ne puisse s'engager que sur la totalité du site, aux fins de quoi l'expropriation par l'Etat est à mon sens justifiée, même si en droit on pourra se disputer longtemps. N'oublions pas qu'il n'y a pas de capitalisme français digne de ce nom capable de suppléer l'Etat et que la nationalisation est l'arme des pays faibles, mais c'est ainsi. Il suffira de payer Mittal en bons grecs ! Notre Trésor en a plein.
    "Rentable, le site de Florange est un établissement inscrit au greffe du tribunal de commerce de Nancy que l'Etat peut reprendre sans l'aval de son propriétaire moyennant indemnisation. L'idée serait une association avec un opérateur industriel, minoritaire dans le capital le temps de stabiliser l'activité. Mais l'Etat est particulièrement impécunieux. Le prix éventuel du site de Florange demeure un mystère. Sollicités, ni le ministre ni ArcelorMittal ne s'avancent sur la question. Mais la mauvaise conjoncture pousse les prix à la baisse, indique un expert" (Les Echos).
    Moralement, le coup de sang du ministre est juste : couler une usine pour qu'elle n'en concurrence pas une autre en refusant de la vendre est faire peu de cas des ouvriers et de la stratégie globale industrielle du pays-hôte. Quand le libéralisme tourne au capitalisme sauvage - on y est en plein - il ne sert pas la société où il s'exerce, la seule finalité qui vaille. Seule est à prendre en compte la viabilité de l'activité sur un cycle conjoncturel, c'est oui ou c'est non. Il semblerait qu'à Florange ce soit oui (mais pas assez pour ces messieurs à gros cigares). Quant à la menace d'impact sur les vingt mille salariés français du groupe, elle est risible. Si les produits plats de Dunkerque et de Fos sont touchés par la nationalisation de Florange (on se demande comment Mittal fera ce lien), la valeur des sites diminuerait sensiblement. Leur valeur de rachat serait dès lors plus abordable et il y aurait bien plus de repreneurs intéressés par ces deux sidérurgies sur l'eau qu'on en a trouvés pour l'usine lorraine enclavée.
    Pour une fois qu'un ministre français se bat, on peut tirer son chapeau. Non ?
    Le point faible du projet montebourgeois est que les "managers" de son côté n'en sont pas. Les socialistes sont l'espèce la plus éloignée de la "production" qui soit. La ruse technocratique ne suffira pas, il faut aussi de réelles compétences industrielles de classe internationale pour arracher la sidérurgie française à l'ornière hindoue. Langue au chat !
    Mais le vrai maillon faible c'est le volet politique qui peut faire foirer le projet d'Arnaud. Et les syndicats s'y attendent, qui n'ont aucune confiance dans la fermeté d'un président aussi irrésolu que M. Hollande. "Iront-ils au bout ?" est la seule question qui court les vestiaires. Il est parfois bon d'aller au clash, à chaud, en toute mauvaise foi si nécessaire, sans oublier les menaces collatérales déloyales. Seule la victoire est belle, elle nettoie les noirceurs car ce sont les vainqueurs qui l'écrivent. C'est hélas le contraire du tempérament temporisateur de M. Normal, son goût du consensus, ce compromis a minima dont le Ciel nous a punis.
    Si les choses s'étaient arrangées ce soir à l'Elysée, sur le dos des ouvriers comme à Gandrange, on aurait pu prévoir de grandes secousses politiques attisées par la énième reculade socialiste ; les communistes y sont prêts, capitalisant sur le mécontentement général et sur la cure d'austérité prussienne. Les écologistes ne pourraient pas se laisser distancer et l'aile gauche du PS se détacherait de chacun des deux groupes parlementaires au Sénat et à l'Assemblée nationale. Il faudrait beaucoup de bagout corrézien pour rattraper ça. Ce n'est pas fini, il reste encore trois jours.

    Postscriptum: Sapin (ministre du travail) juge la nationalisation hors de saison. Ca le ferait vraiment ch... que le chien fou Montebourg règle un dossier social pourrissant dans ses tiroirs mais qui lui appartient. Les ouvriers ? C'est secondaire, a dit Terra Nova.
    Terminons sur la provocation du maire de Londres, Boris Johnson. En tournée de promotion à New Delhi, sans son coiffeur, il a appelé les Indiens à rejoindre sa capitale économique et financière plutôt que de perdre leur temps en France, oubliant que ce ne sont pas les états-majors qui coulent l'acier mais des ouvriers et que la sidérurgie anglaise est au main des Indiens de la Tata Steel qui ont le même logiciel prédateur que Mittal Steel. Le reste est aux Séoudiens de l'Al-Tuwairqi Group (Thamesteel) qui ont fait un coup d'accordéon en janvier dernier pour éponger leurs pertes à moindre prix. Si d'appeler ces chiens est patriote, alors M. Johnson est inégalable en humour
  • Affaire Femen : la chasse aux catholiques commence (mis à jour)

    MAJ 29/11, 19h20 : mauvaise nouvelle. Les gardés à vue passent la nuit au commissariat et seront déférés demain au parquet. C’est suite à cette convocation que l’on saura s’ils sont relâchés ou écroués (prison préventive dans l’attente du procès). « La République gouverne mal, mais elle se défend bien ».  Prions bien pour eux. Pensez à les soutenir : ici.

    MAJ 29/11, 9h30 : une cinquième personne a été mise en garde à vue ce matin (sa femme vient de nous le confirmer). De plus, la lesbienne extrémiste Caroline Fourest annonce s’être rendu au commissariat du SIT (Service d’Investigation Transversale) hier pour reconnaître les gardés à vue.

    MAJ 29/11, 9h00: ce ne sont pas 2 personnes en garde à vue mais 4.

    Article du 28/11. Selon nos informations, au moins un participant de la manifestation du 18 novembre contre le « mariage » homosexuel a été interpellée ce matin à son domicile. Probablement accusé d’avoir repoussé énergiquement les agresseurs (Femen), il serait toujours en garde à vue. De plus, un manifestant catholique est convoqué ce soir par la police. Nous vous tiendrons informés des suites de l’affaire.

    A notre connaissance, aucune militante « Femen » n’a été interpellée pour avoir agressé physiquement et verbalement les participants à la manifestation, y compris les enfants.

    http://www.contre-info.com/

     

  • Mélenchon décortiqué par Alain Soral


    Mélenchon décortiqué par Alain Soral par GrOuMe