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culture et histoire - Page 1153

  • 1789 et 2016 : mêmes moyens, mêmes objectifs

    L'éditorial de François Billot de Lochner pour Liberté Politique compare très justement 2016 à 1789 :

    "La terreur révolutionnaire, qui commença dès le printemps 1789, et non en 1793, comme le laisse entendre l’histoire officielle afin de la minimiser en en réduisant la durée, se donna pour objectif principal de régénérer l’homme, en déconstruisant tous les fondements sur lesquels celui-ci s’appuyait.

    Elle s’attaqua avec la dernière violence au système monarchique, à la religion catholique, aux familles, à l’enseignement, à la morale traditionnelle, à la culture etc. La France nouvelle se devait d’être démocratique, libre de mœurs, fraternelle et égalitaire. Pour y parvenir, tous les moyens étaient permis, de la suppression de toute liberté à l’extermination la plus radicale des opposants. Les révolutionnaires mirent donc en place, dans de courts délais, une implacable dictature, qui, en quelques années, se traduisit par un bain de sang comme la France n’en avait jamais connu. Cerise sur le gâteau, ils avaient cru nécessaire de déclarer la guerre à tous les pays européens : il était de leur devoir d’exporter par tous les moyens, même les plus violents, le nouveau paradis révolutionnaire qu’ils avaient follement décidé de créer.

    La même terreur révolutionnaire se met actuellement en place dans notre pays, de façon inexorable. La régénération de l’homme est au programme officiel des « dirigeants » en place. Il s’agit bien de terminer le travail inachevé de la révolution de 1789, par la déconstruction finale des fondements de notre pays. À la nation française doit succéder une Europe ouverte aux quatre vents, puis un monde global de consommateurs  favorisant des migrations de populations aussi échevelées que salutaires. À la famille naturelle doit succéder une collection d’individus interchangeables autorisant toutes les combinaisons possibles. À l’instruction traditionnelle doit succéder une « éducation » assurée par l’État afin de soustraire les enfants aux déterminismes familiaux. À la morale traditionnelle doit succéder un libertarisme de mœurs, permettant toutes expériences, surtout les plus « innovantes ».

    Pour mener à bien ce vaste programme, les armes utilisées ressemblent étrangement à celles de la grande Révolution. Le très mal nommé ministère de l’Education nationale, après avoir consciencieusement mené la déconstruction du service public de l’instruction, s’attaque, comme il fallait s’y attendre, au système dit « hors contrat », dernier espace de liberté pour les familles. Le très impuissant ministère de l’Intérieur accorde une impunité quasi complète aux casseurs, aux voyous, aux gauchistes, aux islamistes, aux anti-tout et autres pourfendeurs de tout ce qui est « phobe », mais réprime avec une implacable sévérité les défenseurs de « l’ordre bourgeois », qui dressent de petites digues pour tenter de stopper le ravageur tsunami de la déconstruction. Le très décadent ministère de la Famille ne s’intéresse qu’aux modèles familiaux les plus contestables, et engage avec vigueur son nouveau combat fondamental : la promotion de la très épanouissante pornographie, rangée dans la catégorie de l’expression artistique la plus libre."

    [La suite sur Liberté Politique]

    Marie Bethanie

  • 1789 et 2016 : mêmes moyens, mêmes objectifs

    L'éditorial de François Billot de Lochner pour Liberté Politique compare très justement 2016 à 1789 :

    "La terreur révolutionnaire, qui commença dès le printemps 1789, et non en 1793, comme le laisse entendre l’histoire officielle afin de la minimiser en en réduisant la durée, se donna pour objectif principal de régénérer l’homme, en déconstruisant tous les fondements sur lesquels celui-ci s’appuyait.

    Elle s’attaqua avec la dernière violence au système monarchique, à la religion catholique, aux familles, à l’enseignement, à la morale traditionnelle, à la culture etc. La France nouvelle se devait d’être démocratique, libre de mœurs, fraternelle et égalitaire. Pour y parvenir, tous les moyens étaient permis, de la suppression de toute liberté à l’extermination la plus radicale des opposants. Les révolutionnaires mirent donc en place, dans de courts délais, une implacable dictature, qui, en quelques années, se traduisit par un bain de sang comme la France n’en avait jamais connu. Cerise sur le gâteau, ils avaient cru nécessaire de déclarer la guerre à tous les pays européens : il était de leur devoir d’exporter par tous les moyens, même les plus violents, le nouveau paradis révolutionnaire qu’ils avaient follement décidé de créer.

    La même terreur révolutionnaire se met actuellement en place dans notre pays, de façon inexorable. La régénération de l’homme est au programme officiel des « dirigeants » en place. Il s’agit bien de terminer le travail inachevé de la révolution de 1789, par la déconstruction finale des fondements de notre pays. À la nation française doit succéder une Europe ouverte aux quatre vents, puis un monde global de consommateurs  favorisant des migrations de populations aussi échevelées que salutaires. À la famille naturelle doit succéder une collection d’individus interchangeables autorisant toutes les combinaisons possibles. À l’instruction traditionnelle doit succéder une « éducation » assurée par l’État afin de soustraire les enfants aux déterminismes familiaux. À la morale traditionnelle doit succéder un libertarisme de mœurs, permettant toutes expériences, surtout les plus « innovantes ».

    Pour mener à bien ce vaste programme, les armes utilisées ressemblent étrangement à celles de la grande Révolution. Le très mal nommé ministère de l’Education nationale, après avoir consciencieusement mené la déconstruction du service public de l’instruction, s’attaque, comme il fallait s’y attendre, au système dit « hors contrat », dernier espace de liberté pour les familles. Le très impuissant ministère de l’Intérieur accorde une impunité quasi complète aux casseurs, aux voyous, aux gauchistes, aux islamistes, aux anti-tout et autres pourfendeurs de tout ce qui est « phobe », mais réprime avec une implacable sévérité les défenseurs de « l’ordre bourgeois », qui dressent de petites digues pour tenter de stopper le ravageur tsunami de la déconstruction. Le très décadent ministère de la Famille ne s’intéresse qu’aux modèles familiaux les plus contestables, et engage avec vigueur son nouveau combat fondamental : la promotion de la très épanouissante pornographie, rangée dans la catégorie de l’expression artistique la plus libre."

    [La suite sur Liberté Politique]

    Marie Bethanie

  • L’éternel rescapé de la Grande Guerre, Pierre Mac Orlan par Daniel COLOGNE

    « T’as de beaux yeux, tu sais. » La mémoire collective garde cette réplique célèbre de Quai des Brumes(1938). Mais qui se souvient encore que le film de Marcel Carné est l’adaptation d’un roman de Pierre Mac Orlan paru chez Gallimard onze ans plus tôt ? 

    Quatre autres récits de Mac Orlan ont été portés au grand ou au petit écran sous la direction de cinéastes renommés (Julien Duvivier, Claude Autant-Lara). En collection avec Marc Gilbert Sauvageon, Pierre Mac Orlan (1882 – 1970) a écrit les dialogues de Voyage sans espoir (1943), de Christian-Jaque, autre réalisateur réputé. Mac Orlan a collaboré comme scénariste à trois autres films. 

    Alan Stivell a composé la musique de la dramatique TV de 1977 : L’Ancre de miséricorde. À propos du roman d’origine (1941), Bernard Baritaud écrit qu’il « s’inscrit dans la production de l’époque : elle voit une floraison de livres d’histoire, de biographies de grands personnages nationaux, répondant au désir d’évasion des lecteurs et, surtout, à leur souci d’oublier les malheurs présents comme de revaloriser l’image de leur pays grâce à l’évocation d’un passé prestigieux (p. 60) ». 

    L’Ancre de miséricorde est un roman d’aventures maritimes dont le port de Brest est le cadre. Les relations de Mac Orlan et de Brest sont tellement étroites qu’en 2013, Les Cahiers de l’Iroise (n° 215) ont consacré à ce thème un numéro spécial. 

    La biographie parue dans l’excellente collection « Qui suis-je ? » des éditions Pardès vaut donc, non seulement par l’aptitude de l’auteur Bernard Baritaud à situer chaque livre de Mac Orlan dans son contexte historique, mais aussi par l’ampleur documentaire couvrant l’actualité la plus récente. 

    Parmi les annexes à la biographie proprement dite, signalons un long entretien avec Mac Orlan datant de septembre 1968 et, selon une très bonne habitude de cet éditeur prolixe, une étude astrologique entreprise par Marin de Charette.

    Certes, contrairement à la plupart des cartes du ciel qui closent la collection « Qui suis-je ? », l’absence de l’heure de naissance rend l’interprétation malaisé. Il ne peut s’agir d’un véritable horoscope (au sens étymologique de « regarder l’heure ») et il est impossible de vérifier quelques hypothèses statistiques en observant quelle(s) planète(s) se lève(nt) ou culmine(nt) à l’horizon et au méridien de Péronne le 26 février 1882. Ce thème astral n’en est pas moins révélateur sur deux points importants de la vie et de l’œuvre de Mac Orlan. 

    En 1950, lors de son élection à l’Académie Goncourt, les cinq planètes présentes à la naissance dans le signe du Taureau reçoivent le trigone bénéfique de Saturne transitant en Vierge (rappelons brièvement le triangle harmonique des signes de terre Taureau – Vierge – Capricorne). Quant aux Poissons, où se trouve le Soleil natal de l’écrivain, c’est un signe qui a « une tendance très ancrée à l’éparpillement (p. 126) ». Effectivement, l’œuvre de Mac Orlan se caractérise par une grande dispersion : récits, poèmes, essais, articles, scenarii et dialogues de films, chansons, ouvrages consacrés au sport, et notamment au rugby (que Mac Orlan pratique). En 1934, il suit la Tour de France cycliste et s’érige ainsi en précurseur d’Antoine Blondin. 

    De son vrai nom Pierre Dumanchey, Pierre Mac Orlan est donc « un homme du Nord (p. 9) » qui, après une scolarité difficile, débarque à Paris en 1899, connaît « la tentation de la peinture (p. 13) » et mène une existence précaire partagée entre Montmartre et Rouen. 

    Mac Orlan sort de l’anonymat grâce à un premier roman, La Maison du retour écœurant (1912), qui « raconte l’histoire burlesque d’un oncle tuteur infligeant à son pupille des brimades extravagantes (p. 23) ». Sous des dehors humoristiques, c’est un récit inspiré par les drames familiaux vécus par l’auteur dans sa jeunesse. 

    Avec l’art consommé du biographe, Bernard Baritaud nous fait revivre les étapes d’un itinéraire singulier : « l’agent du liaison “ touché ” par des éclats d’obus (p. 28) » en 1916 devant sa ville natale; le gentleman farmer (p. 42) de Saint-Cyr-sur-Morin, à Mac Orlan se replie de plus en plus parallèlement à une débordante activité littéraire et cinématographique qui le maintient en contact avec le Paris de l’Entre-Deux-Guerres. 

    Puis vient le péril dont « il n’avait cessé, depuis vingt ans, d’appréhender le retour (p. 57) ». Mac Orlan se résigne au silence, excepté le roman publié en 1941 dont il est question plus haut, qui « sera salué par la critique et connaître un succès de librairie durable (p. 60) ». 

    Après 1945, Mac Orlan devient « un écrivain reconnu et influent (p. 63) ». Son élection à l’Académie Goncourt en témoigne. En 1951, il concède avoir le sentiment de pratiquer une littérature des « rescapés ». Tous ses personnages « portent la guerre au plus profond d’eux-mêmes comme une maladie secrète (p. 33) ». Dans Verdun (1935), Mac Orlan écrit : « À Verdun commença réellement la fin d’un monde et ceux qui vécurent là, en février 1916, purent constater que la guerre était la plus terrifiante de toutes les maladies de l’intelligence humaine (p. 29) ».

    Pierre Mac Orlan a beaucoup écrit sur la Grande Guerre, soit au cœur même des « orages d’acier (Jünger) », à la manière de Barbusse ou du Belge méconnu Constant Burmieux (Les Brancardiers, 1920), soit avec un certain recul historique, à la façon d’un autre Belge, plus notoire : Max Deauville (La Boue des Flandres).

    Dans la première catégorie d’écrits de Mac Orlan inspirés par 14 – 18, citons son journal du front (Les Poissons morts) et La Fin (1919), recueil d’articles initialement parus dans L’Intransigeant. À la seconde appartiennent des textes comme Devant la Meuse (1934) et Dans les tranchées (1933).

    Rebelle à tout embrigadement politique ou littéraire, Mac Orlan n’est pas exactement un auteur érigeant « l’inengagement (p. 93) » en principe. À son sujet, il faut plutôt parler d’un engagement circonstanciel par-delà les clivages idéologiques. En 1924, il signe une pétition en faveur de Malraux emprisonné en Indochine. En 1935, il soutient le « Manifeste des intellectuels français pour la défense de l’Occident et la paix en Europe (p. 95) ».

    Remercions Bernard Baritaud et son éditeur d’avoir rappelé à notre bon souvenir un écrivain aussi talentueux que protéiforme, animé par un « pessimisme lucide » et une « croyance superstitieuse en cette divinité capricieuse qui l’avait servi et que sera toujours, à ses yeux, la Chance (p. 30) ».

    L’œuvre de Mac Orlan a été apprécié par Artaud, Aragon, Malraux, Queneau et Max Jacob. Elle a été servie par une brillante légion d’interprètes de la chanson et d’acteurs de cinéma : Juliette Gréco, Monique Morelli, Francesca Solleville, Germaine Montero, Michèle Morgan, Simone Renart, Viviane Romance, Renée Faure, Jean Gabin, Michel Simon, Pierre Brasseur, Pierre Larquey, Yves Montand, Jean Marais, Serge Reggiani.

    Pour reprendre le titre d’un documentaire télévisuel de 2015 consacré à Jean Gabin, premier rôle de La Bandera et de Quai des Brumes, Mac Orlan est une des dernières incarnations d’une certaine « âme française » dont le souffle est aujourd’hui menacé d’extinction.

    Daniel Cologne

    • Bernard Baritaud, Pierre Mac Orlan, Pardès, coll. « Qui suis-je ? », 2015. Les citations suivies d’un numéro de page sont extraites de ce livre.

    http://www.europemaxima.com/?p=4836

  • JULIUS EVOLA OU LA MYSTIQUE DU DÉTACHEMENT

    À mi-chemin entre le métaphysicien et le samouraï, Julius Evola a élaboré une vision de la politique et de la Tradition qui l’éloigne de la plupart des théoriciens politiques et des tenants du traditionalisme. Son approche repose sur un principe intangible : se détacher du monde tel qu’il est.

    À l’âge de vingt-trois ans, alors qu’il est décidé à mettre fin « librement » à ses jours, à la façon des philosophes Otto Weininger et Carlo Michelstaedter, Julius Evola a une illumination en lisant un texte du Majjhima Nikaya : « Celui qui prend l’extinction comme extinction, qui pense l’extinction, qui pense à l’extinction, qui pense ‘L’extinction est mienne’ et se réjouit de l’extinction, celui-là, je le dis, ne connaît pas l’extinction. » Evola comprend que la liberté par laquelle il désire en finir est encore un lien, une ignorance opposée à la vraie liberté. Dès lors, il sent naître en lui une « fermeté capable de résister à toute crise » existentielle et, plus largement, à la crise du monde moderne.

    Julius Evola soumettra ainsi ses connaissances et expériences, si diverses, à cette seule discipline : le détachement ferme. Lorsqu’il sera victime d’un bombardement à Vienne, qui lui causera une lésion partielle et une paralysie des membres inférieurs, il ne se sentira pas particulièrement touché par cette incapacité physique, son activité spirituelle et intellectuelle n’en étant en aucune façon compromise. Il manifestera également très tôt une insensibilité, voire une certaine froideur d’âme, envers la manière de vivre de ses contemporains. Son souci de considérer les arts, la philosophie, la politique, le sacré, malgré son détachement intérieur, s’expliquent par ce qu’il appelle son « équation personnelle » : une impulsion, dès sa prime jeunesse, vers la transcendance ; et une disposition de kshatriya, terme hindou désignant un type humain « guerrier », enclin à l’action et à l’affirmation, par opposition au brahmâna, type sacerdotal ou contemplatif. Ces deux tendances détermineront entièrement Evola dans son rapport au monde.

    • De l’Individu absolu à la Tradition

    On retrouve nettement dans ses écrits l’influence de trois philosophes : Carlo Michelstaedter, sur la question de l’autonomie de l’être (Phénoménologie de l’Individu Absolu) ; Otto Weininger, sur sa lecture de la déviation matriarcale de la spiritualité (Révolte contre le monde moderne) ; et enfin Friedrich Nietzsche, dans sa vision antibourgeoise de l’homme différencié (Chevaucher le tigre).

    Si Evola naît dans une famille catholique et bourgeoise, il en rejette rapidement ces deux aspects. Le catholicisme, moral et sentimental, lui semble étranger à une véritable sacralité et une haute ascèse, loin de l’idéal « viril et aristocratique » du bouddhisme aryen. Son mépris de la vie bourgeoise lui fait refuser une chaire universitaire.

    En marge de l’existentialisme, Evola développe une phénoménologie complexe de l’Individu absolu. Introduction philosophique à un monde non philosophique, il s’agit d’un retour à l’être transpersonnel, « sous le signe de la liberté réelle et de la puissance ». Selon Evola, la philosophie, qui culmine dans l’idéalisme transcendantal, fait inévitablement banqueroute dans l’idéalisme magique. Son idée consiste donc à penser à un développement qui, sans retomber dans la philosophie, fait franchir un pas, le dernier pas, à la spéculation occidentale. La théorie de l’Individu absolu est une sorte d’existentialisme positif. L’homme n’y est pas brisé par sa situation métaphysique.

    Après un intérêt vif pour le tantrisme et le paganisme, Julius Evola découvre l’œuvre de René Guénon. Si son équation personnelle l’éloigne de l’orientation essentiellement intellectuelle de Guénon, il comprend néanmoins l’intérêt d’une critique cartésienne du monde moderne, le monde anormal, et la contre-partie positive de cette critique : le monde normal au sens supérieur, celui de la Tradition. Le monde de la Tradition, dont les différentes traditions particulières pré-modernes sont des émanations, des reflets ou des adaptations, désigne la civilisation organique, hiérarchisée, où toutes les activités humaines sont orientées vers le haut, avec à sa tête une élite qui incarne l’autorité légitime et impersonnelle. Dès lors, Evola cherche non seulement à concilier l’idée de l’Individu absolu, « sans lois, destructeur de tout lien », avec l’idée de Tradition, qui lui semble opposée ; mais aussi à recourir davantage dans son œuvre à l’idée de mythologie, à travers l’origine nordique, hyperboréenne, de la Tradition primordiale.

    Evola emprunte à Johann Jakob Bachofen sa lecture de la morphologie des civilisations, en rejetant l’aspect évolutionniste, y préférant la thèse involutive de Guénon. Tout au long de l’histoire connue, on a assisté à une altération du monde de la Tradition, avec notamment la dissociation entre autorité spirituelle et pouvoir temporel, inséparables aux origines. La civilisation, à l’origine, est patriarcale, héroïque, solaire, olympienne, virile ; elle se détériore sous les influences altératrices de la civilisation matriarcale, lunaire, tellurique, chtonienne, et aboutit à l’âge sombre, au kali-yuga.

    • De la révolte à l’apoliteia

    Pour Evola, l’idée de Tradition est, surtout au sein du monde moderne, proprement révolutionnaire. S’il a d’abord vu dans le fascisme et le national-socialisme de possibles moyens d’expression des valeurs de la Tradition hyperboréenne, il ne ménage guère ses critiques envers les deux tendances. Dans un ouvrage au titre amusant, Le fascisme vu de droite, il ira même jusqu’à leur reprocher, outre leur nationalisme étriqué et leur racisme biologique, leur culte typiquement plébéien du travail. Après un procès dans lequel on l’accuse d’être le maître à penser de mouvements activistes néo-fascistes, Evola, relaxé, rédige un ouvrage dans lequel il transpose politiquement les idées de la Tradition. Son objectif est de promouvoir la formation d’un rassemblement de Droite authentique (au sens spirituel, pas uniquement politique), par rattachement aux principes contre-révolutionnaires. Cependant, malgré la bonne réception de l’ouvrage au sein de la droite radicale, Evola ne croit plus en la solution politique.

    Son ouvrage Chevaucher le tigre est un bilan de ses expériences, et un constat de réalisme ferme : rien ne peut être fait, ni artistiquement, ni religieusement, ni politiquement, pour provoquer un bouleversement positif au sein du monde moderne. Le seul horizon, c’est le chaos. Ce livre s’adresse aux hommes différenciés, ceux qui n’appartiennent pas intérieurement au monde moderne, qui sont de l’autre civilisation. Selon une image extrême-orientale, « si l’on réussit à chevaucher un tigre, on l’empêche de se jeter sur vous et, […] en outre, si l’on ne descend pas, si l’on maintient la prise, il se peut que l’on ait, à la fin, raison de lui. » Evola s’adresse aux « convives de pierre », aux Individus absolus, ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas se détacher du monde actuel, et qui sont prêts à y vivre « sous les formes les plus paroxystiques ». Evola y examine, sous formes d’orientations existentielles, les possibilités d’émancipation totale de l’être par la mise en confrontation avec les processus destructeurs du monde moderne.

    Mais surtout, on retrouve là, comme magnifiée, la constante du cheminement spirituel et intellectuel de Julius Evola, le détachement, expression parfaite de son équation personnelle : inclination à l’action, détachement affectif. Pour Evola, l’homme différencié doit faire ce qui doit être fait, de façon impersonnelle, sans égard pour la victoire ou la défaite d’une action, sans le souci d’être approuvé ou désapprouvé. Une « action sans désir ». Dans Chevaucher le tigre, Evola recourt au principe d’apoliteia, « l’irrévocable distance intérieure à l’égard de la société moderne et de ses valeurs ». Le refus du « moindre lien spirituel ou moral » avec elle. Avant d’être un penseur de la Tradition et un théoricien politique, Julius Evola est avant tout un apôtre de la mystique du détachement.

    Thomas Julien

    Source : PHILITT

    Via le Front de la Contre-Subversion

    https://la-dissidence.org/2016/06/08/julius-evola-ou-la-mystique-du-detachement/

  • Charles Maurras : Lorsque Proudhon eut les cent ans…

    A peine plus de cent-cinquante ans après sa mort [1865], Pierre-Joseph Proudhon ne cesse d’intéresser la réflexion contemporaine [voir plus loin]. Le mouvement socialiste français et européen eût sans-doute été très différent si les idées de ce penseur considérable y avaient prévalu sur celles de Marx. L'histoire du XXe siècle, probablement sauvée des totalitarismes, et la réalité du nôtre auraient été aussi tout autres. On sait qu'il y eut, autour des années 1910 et suivantes, un cercle Proudhon à l'Action française ; et l’on va voir que Maurras ne niait pas qu'on pût le ranger, « au sens large », parmi « les maîtres de la contre-révolution ». Le texte qu’on va lire ici est certes daté, motivé, comme souvent, par les circonstances. Maurras y exprime néanmoins, à grands traits, le fond de sa pensée sur Proudhon et y manifeste, après réserves et nuances, la considération tout à fait particulière qu’il a toujours eue pour ce grand penseur et patriote français.  Lafautearousseau

    Au lendemain du jour où l'Italie fête le centenaire de Cavour, nous verrons une chose horrible : le monument Proudhon, à Besançon, sera inauguré par M. Fallières*. Le fonctionnaire qui représente l'Étranger de l'intérieur, la créature des Reinach, Dreyfus et Rothschild officiera devant l'image du puissant écrivain révolutionnaire, mais français, à qui nous devons ce cri de douleur, qu'il jette à propos de Rousseau : « Notre patrie qui ne souffrit jamais que de l'influence des étrangers… »

    Les idées de Proudhon ne sont pas nos idées, elles n'ont même pas toujours été les siennes propres. Elles se sont battues en lui et se sont si souvent entre-détruites que son esprit en est défini comme le rendez-vous des contradictoires. Ayant beaucoup compris, ce grand discuteur n'a pas tout su remettre en ordre. Il est difficile d'accorder avec cet esprit religieux, qu'il eut vif et profond, sa formule « Dieu, c'est le mal », et, dans une intéressante étude du Correspondant, M. Eugène Tavernier nous le montre fort en peine d'expliquer son fameux « La propriété, c'est le vol ». Nous remercions Proudhon des lumières qu'il nous donna sur la démocratie et sur les démocrates, sur le libéralisme et sur les libéraux, mais c'est au sens large que notre ami Louis Dimier, dans un très beau livre, l'a pu nommer « Maître de la contre-révolution ».

    Proudhon ne se rallie pas à la « réaction » avec la vigueur d'un Balzac ou d'un Veuillot. Il n'a point les goûts d'ordre qui dominent à son insu un Sainte-Beuve. Ses raisons ne se présentent pas dans le magnifique appareil militaire, sacerdotal ou doctoral qui distingue les exposés de Maistre, Bonald, Comte et Fustel de Coulanges. La netteté oblige à sacrifier. Or, il veut tout dire, tout garder, sans pouvoir tout distribuer ; cette âpre volonté devait être vaincue, mais sa défaite inévitable est disputée d'un bras nerveux. On lit Proudhon comme on suit une tragédie ; à chaque ligne, on se demande si ce rustre héroïque ne soumettra pas le dieu Pan.

    Son chaos ne saurait faire loi parmi nous, et nous nous bornerions à l'utiliser par lambeaux si ce vaillant Français des Marches de Bourgogne ne nous revenait tout entier dès que, au lieu de nous en tenir à ce qu'il enseigne, nous considérons ce qu'il est. De cœur, de chair, de sang, de goût, Proudhon est débordant de naturel français, et la qualité nationale de son être entier s'est parfaitement exprimée dans ce sentiment, qu'il a eu si fort, de notre intérêt national. Patriote, au sens où l'entendirent les hommes de 1840, 1850, 1860, je ne sais si Proudhon le fut. Mais il était nationaliste comme un Français de 1910. Abstraction faite de ses idées, Proudhon eut l'instinct de la politique française ; l'information encyclopédique de cet autodidacte l'avait abondamment pourvu des moyens de défendre tout ce qu'il sentait là-dessus.

    Et, là-dessus, Proudhon est si près de nous que, en tête de son écrasant réquisitoire contre les hommes de la Révolution et de l'Empire, à la première page de Bismarck et la France **, Jacques Bainville a pu inscrire cette dédicace : « À la mémoire de P.-J. Proudhon qui, dans sa pleine liberté d'esprit, retrouva la politique des rois de France et combattit le principe des nationalités ; à la glorieuse mémoire des zouaves pontificaux qui sont tombés sur les champs de bataille en défendant la cause française contre l'unité italienne à Rome, contre l'Allemagne à Patay. »

    — Quoi ? Proudhon avec les zouaves pontificaux ?

    — Oui, et rien ne va mieux ensemble ! Oui, Proudhon défendit le Pape ; oui, il combattit le Piémont. Au nez des « quatre ou cinq cent mille badauds » qui lisaient les journaux libéraux, il s'écriait, le 7 septembre 1862 : « Si la France, la première puissance militaire de l'Europe, la plus favorisée par sa position, inquiète ses voisins par le progrès de ses armes et l'influence de sa politique, pourquoi leur ferais-je un crime de chercher à l'amoindrir et à l'entourer d'un cercle de fer ? Ce que je ne comprends pas, c'est l'attitude de la presse française dominée par ses sympathies italiennes. Il est manifeste que la constitution de l'Italie en puissance militaire, avec une armée de 300 000 hommes, amoindrit l'Empire de toutes façons. » L'Empire, c'est ici l'Empire français, dont je vois le timbre quatre fois répété sur mon édition princeps de La Fédération et l'Unité en Italie.

    « L'Italie », poursuivait Proudhon, votre Italie unie, « va nous tirer aux jambes et nous pousser la baïonnette dans le ventre, le seul côté par lequel nous soyons à l'abri. La coalition contre la France a désormais un membre de plus… » Notre influence en sera diminuée d'autant ; elle diminuera encore « de tout l'avantage que nous assurait le titre de première puissance catholique, protectrice du Saint Siège ».

    « Protestants et anglicans le comprennent et s'en réjouissent ; ce n'est pas pour la gloire d'une thèse de théologie qu'ils combattent le pouvoir temporel et demandent l'évacuation de Rome par la France ! » Conclusion : « Le résultat de l'unité italienne est clair pour nous, c'est que la France ayant perdu la prépondérance que lui assurait sa force militaire, sacrifiant encore l'autorité de sa foi sans la remplacer par celle des idées, la France est une nation qui abdique, elle est finie. »

    Et, comme ces observations de bon sens le faisaient traiter de catholique et de clérical, « oui », ripostait Proudhon, « oui, je suis, par position, catholique, clérical, si vous voulez, puisque la France, ma patrie, n'a pas encore cessé de l'être, que les Anglais sont anglicans, les Prussiens protestants, les Suisses calvinistes, les Américains unitaires, les Russes grecs ; parce que, tandis que nos missionnaires se font martyriser en Cochinchine, ceux de l'Angleterre vendent des Bibles et autres articles de commerce. » Des raisons plus hautes encore inspiraient Proudhon, et il osait écrire : « La Papauté abolie, vingt pontificats pour un vont surgir, depuis celui du Père Enfantin, jusqu'à celui du Grand Maître des Francs-Maçons » , et il répétait avec une insistance désespérée : « Je ne veux ni de l'unité allemande, ni de l'unité italienne ; je ne veux d'aucun pontificat. »

    Deux ans après avoir écrit ces lignes, Proudhon expirait ; assez tôt pour ne pas assister à des vérifications qui devaient faire couler à flots notre sang, mutiler notre territoire, inaugurer le demi-siècle de l'abaissement national ! Cet « immense échec » qu'il avait prévu sans parvenir à comprendre, comme il le disait encore, « l'adhésion donnée par la presse libérale française à cette irréparable dégradation », confirma point par point ce regard d'une sublime lucidité. L'unité italienne et l'unité allemande nous ont fait perdre tout à tour la prépondérance qu'assurait notre force militaire et l'autorité qu'imposait notre foi. Le cléricalisme a été vaincu, le pape dépouillé, et l'on nous a imposé ce gouvernement dont la seule idée stable est l'abaissement du Saint-Siège, le règne de la franc-maçonnerie et de ses grands maîtres divers. Si l'Empereur a disparu, sa politique dure ; la parti républicain en a été quarante ans légitime et fidèle héritier.

    Certes, et nous l'avons dit, avec Dumont, avec Georges Malet, avec le Junius deL'Écho de Paris, aux avocats de l'empereur : rien n'efface cette responsabilité napoléonienne que Napoléon III lui-même rattache à la tradition de Napoléon Ier ; mais la vérité fondamentale établie, il faut en établir une autre et rappeler aux hommes de gauche, que leurs aînés, leurs pères, leurs maîtres et, pour les plus âgés, eux-mêmes, en 1860, ils étaient tout aussi Italiens et Prussiens que Napoléon III ! Sauf Thiers, en qui s'était réveillé l'ancien ministre de la monarchie, l'élève de Talleyrand, qui fut l'élève de Choiseul, tous les républicains et tous les libéraux du dix-neuvième siècle ont été contre le Pape et contre la France avec l'Empereur des Français. Il faut relire dans Bismarck et la France ces textes décisifs auxquels nous ramène Bainville ; le ministre Ollivier développant à la tribune la thèse idéaliste des nationalités et M. Thiers, traditionnel pour la circonstance, s'écriant : « Nous sommes ici tantôt Italiens, tantôt Allemands, nous ne sommes jamais Français », toute la gauche applaudissait qui ? Émile Ollivier ! Guéroult défendait l'unité allemande, Jules Favre, un des futurs fondateurs de la République, déclarait le 4 juillet 1868 que nous n'avions « aucun intérêt à ce que les rivalités se continuent entre les deux parties de l'Allemagne » !

    Telle était la tradition révolutionnaire impériale ou républicaine et Proudhon s'y étant opposé presque seul, la présence de M. Fallières au monument de Proudhon est plus qu'un scandale, c'est un contresens. Je partage sur la personne de M. Fallières le sentiment de Léon Daudet l'appelant le plus lâche et le plus méprisable des ruminants ; et l'appréciation de Jacques Delebecque, telle qu'on la lira plus loin sur l'harmonie de cet animal et de la fonction constitutionnelle, me semble l'expression de la vérité pure. Mais le nom de Proudhon met en cause plus que la personne ou la magistrature de M. Fallières ; le nom de Proudhon met en accusation le régime avec son revêtement de blagologie nuageuse, avec son fond de sale envie et de bas appétits. Ce grand nom de Proudhon frappe d'indignité et Fallières, et sa présidence et la démocratie parce qu'il évoque le grand nom de la France et l'étoile obscurcie de notre destin national. Ce régime ne signifie que le pontificat de la maçonnerie que Proudhon avait en horreur. Il ne figure rien que les hommes et les idées que Proudhon combattait en France, en Europe, partout. Proudhon était fédéraliste ; que lui veut cette république centralisatrice ? Il était syndicaliste ; que lui veut cette république étatiste ? Il était nationaliste et papalin ; que lui veut cette république anticatholique, antifrançaise ?

    Je ne sais quelles bouffonneries l'on débitera à la louange de ce grand écrivain sorti, comme Veuillot et tant d'autres, des entrailles du peuple ; mais les lettrés devront répondre à la venue de M. Fallières par la dérision et le peuple par les huées.

    Charles Maurras   

    * Les 13, 14 et 15 août 1910, à Besançon, est inaugurée une statue en bronze de Pierre-Joseph Proudhon, réalisée par le sculpteur bisontin Georges Laethier. La décision d'ériger cette statue dans sa ville natale a été prise un an auparavant à l'occasion du centenaire de sa naissance et a donné lieu à une souscription et a un concours de sculpteurs. La statue n'existe plus, fondue (comme de nombreuses autres) par les nazis durant l'Occupation. Elle a été remplacée par la suite.

    **1907 

    Paru dans les Cahiers du Cercle Proudhon, n° 1 de janvier 1912 (le texte date de 1910).

    http://lafautearousseau.hautetfort.com/

  • « Le Leviathan » | Par James Howard Kunstler.

    L’image de la situation économique fabriquée par la transe du consensus national n’a jamais été autant hors de tout contact avec la réalité de ma vie.

    Aussi les questions que tout le monde devrait se poser, deviennent difficile à aborder. Comment puis-je protéger mes économies ? Pour qui dois-je voter ? Comment puis-je penser l’avenir de mon pays ? L’incohérence règne, en particulier dans les cercles dirigés par ceux qui protègent le statu quo, ce qui comprend les médias officiels qui ont échoué.

    La Réserve fédérale s’est transformée en une institution sans visage agissant dans l’ombre pour les objectifs plus que limités d’une claque de nécromanciens et d’astrologues, dirigée par un grand vizir, bien en vue du public, semblant guider un bateau économique gigantesque qui a, en fait, perdu son gouvernail et se trouve à la dérive dans un gigantesque tourbillon.

    Depuis plus d’un an, le sort de la nation est accroché à la décision de la Fed de relever ou non ses taux d’intérêt de référence d’un quart de point. Ils en parlent sans cesse, et la foule des observateurs des marchés financiers doit donc sans cesse aborder ce sujet et ce bavardage sert lui-même à éviter la nécessité d’une action réelle sur cette question. La Fed arrive à influencer les marchés sans jamais avoir à faire quoi que ce soit. Et surtout elle a travaillé pour produire le mythe d’une économie avancée qui fonctionne magnifiquement bien à l’avantage du bien commun.
    Cela survient dans le contexte d’un réseau mondial plus large de relations économiques qui est très clairement en train de se briser tout seul. Les tensions croissantes entre les États-Unis, la Russie, la Chine et l’Union européenne ont grandi parallèlement aux bêtises monétaires innovantes de notre banque centrale, en particulier les manigances autour de la monétisation de la dette, qui ont créé des distorsions dangereuses sur les marchés, dans le commerce et dans la perception de l’intérêt national. Les nations sortent les sabres du fourreau et fanfaronnent les unes en face des autres. Le monde est en faillite après trente ans de traites tirées sur l’avenir pour financer les fêtes du présent, et les autorités ne peuvent pas le reconnaître.

    Mais elles peuvent fournir les conditions pour déguiser cela, en particulier par le jeu statistique de miroirs qui il-était-une-fois produisaient des signaux sensés concernant la circulation des capitaux. Au lieu de choix et de décisions fondés sur la réalité, la tâche à accomplir par les personnes en charge a été d’élaborer un faux-front économique à la Potemkine de plus en plus baroque, derrière lequel se trouve un paysage de ruine balayé par des racketteurs désespérés. Que ce racket ait évolué de manière si transparente dans l’enceinte autrefois sacrée des médicaments et même au delà, doit nous informer sur le désespoir et le danger de la situation.

    Le dernier opus du jeu de la désinformation concernait le communiqué de presse sur l’emploi de vendredi publié par l’US Bureau of Labor Statistics. C’était un blockbuster, ce qui implique un ciel bleu partout, de Montauk à Malibu. Sauf que personne ayant gardé une parcelle minimale de faculté critique ne peut y croire. 80% des nouveaux emplois ont été attribués au mythique modèle naissance-mort1, un fantasme pseudo-scientifique d’hypothétiques nouvelles mises en chantier d’affaires associées à de nouvelles hypothétiques embauches. Démographiquement, la plupart des nouveaux emplois sont allés à la cohorte des plus de 55 ans, ensacheurs d’épicerie et agents d’accueil chez Walmart – beaucoup moins pour les hommes de 25 à 54 (cette tranche a sensiblement perdu des emplois). Le taux de chômage officiel est tombé à 5%, sans discussion sérieuse sur le grand nombre de gens découragés qui ont abandonné la population active.

    Mais la perception d’une économie qui tourne à plein régime a envoyé les indices boursiers vers le ciel. Le Dow Jones, le S&P et le Nasdaq sont les seuls signaux que les médias officiels regardent avec attention et les politicards prennent leurs repères sur eux, dans une boucle de rétroaction de fausses informations qui engendre une psychologie positive plus délirante sur ces mêmes marchés. Je soupçonne que le sentiment qui règne maintenant est bien capable de passer au travers de la saison des fêtes sans accident financier.

    Mais cette Fed se trouve maintenant dans un piège de sa propre fabrication. Ayant interminablement jappé à propos de la hausse des taux d’intérêt, la banque centrale devra la mettre en place ou se taire en décembre. Seuls les chiffres définitifs de l’emploi annuel du BLS pourraient jeter un froid, si les chiffres ne semblent pas si phosphorescents. Je pense que la vérité est que cette économie bidon de la foutaise ne peut pas résister même à un maigre quart de point d’augmentation des taux d’intérêt de référence. Pour une seule raison, cela ferait exploser les modèles d’exploitation de Fannie Mae et Freddie Mac, les acheteurs de prêts immobiliers qui gardent en vie l’industrie de la construction, ainsi que le racket en parallèle dans les prêts automobiles et étudiants titrisés. Imaginez tous les paris sur les dérivés (CDS) [paris sur le non remboursement des prêts, NdT] qu’il faudrait honorer. En réalité, la Fed sait qu’elle aura à bourrer à la pelle plus d’argent ZIRP [à intérêt zéro, NdT] dans la gueule d’un Léviathan financier mourant, saturé de dettes. Elle peut le faire, bien sûr, et probablement elle le fera au cours de l’hiver 2016, mais le moment venu, elle n’aura absolument plus aucune crédibilité en réserve. Et le Léviathan sera un peu plus près d’être rejeté mort sur la plage.

    James Howard Kunstler
    9 novembre 2015.

    James Howard Kunstler est l’auteur « Too Much Magic: L'amérique désenchantée » (Le Retour aux Sources, 2014) 

    Traduit par Hervé, édité par jj, relu par Literato pour la Saker Francophone

    1Délai existant entre l’enregistrement statistique de la disparition d’une entreprise et celui de la création d’une autre.

    http://www.scriptoblog.com/index.php/archives/billets-d-auteurs/39-economie3/1914-le-leviathan-par-james-howard-kunstler