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culture et histoire - Page 1478

  • Rémy de Gourmont

    Rémy de Gourmont est né au manoir de la Motte à Bazoches-au-Houlme, près d'Argentan (Orne), le 4 avril 1858. Il est le fils du comte Auguste-Marie de Gourmont et de la comtesse, née Mathilde de Montfort. Une branche de sa famille, originaire du Cotentin, s'était installée à Paris dès le XVIe siècle pour y fonder une maison d'édition qui publia de nombreux livres, des gravures et des estampes. En 1866, sa famille s'installe près de Villedieu (Manche) et Rémy de Gourmont sera interne au lycée de Coutances de 1868 à 1876. Excellent élève, on note chez lui une imagination débordante. Bachelier en droit, il s'installe à Paris et obtient un emploi d'attaché à la Bibliothèque nationale. Débute sa collaboration à diverses revues catholiques. Son premier roman, Merlette, (1886) ne rencontre aucun succès. Il fait la connaissance de Berthe de Courrière, modèle et légataire universelle du sculpteur Auguste Clésinger, chez qui il s'installe, 71 rue des Saints-Pères, où il vivra jusqu'à sa mort. Il se lie d'amitié avec Villiers de l'Isle-Adam, Joris-Karl Huysmans, et fréquente les mardis de Stéphane Mallarmé. En 1889, Rémy de Gourmont sera, avec Jules Renard, un des fondateurs du Mercure de France, auquel il collaborera pendant vingt-cinq ans. Il y publiera en avril 1891 un article dont le titre est « Le joujou patriotisme ». Il y développe l'idée du rapprochement de la France et de l'Allemagne, les affinités artistiques et culturelles entre les deux pays étant profondes, et dénonce les passions nationalistes. La polémique qui s'en suit lui vaut d'être révoqué de la Bibliothèque nationale et lui ferme les colonnes de la majeure partie de la grande presse, malgré les efforts de son défenseur Octave Mirbeau, qui parvient tout de même à le faire entrer au Journal.

    Mais Gourmont est atteint d'une forme de lupus, qui le fait terriblement souffrir et qui le défigure. Il restera longtemps cloîtré chez lui. Pour lui, désormais, n'existent plus que le travail et les livres. Il publie une œuvre vaste et abondante, composée de romans, de pièces de théâtre, de recueils de poésie et surtout d'essais qui témoignent d'une profonde érudition. La Première Guerre mondiale le déprime profondément. La plupart de ses amis sont sous l'uniforme, le Mercure de France est fermé. Il marche de plus en plus difficilement. L'abbé Munier raconte ainsi une de ses visites à Gourmont, en 1915 : « Nous avons été ensuite tous les trois (avec Mme de Brimont et Nathalie Clifford Barney) chez Rémy de Gourmont, rue des Saints-Pères, tout en haut d'un petit escalier où l'écrivain habite un modeste appartement uniquement rempli de livres. Je ne l'avais pas revu depuis 1892 ! Vêtu d'une robe qui avait l'air d'une bure, il ressemblait à un vieux capucin qui porte binocle mais un capucin studieux et avec cela boitant un peu et bégayant toujours. Il parle peu, trop peu et on ne se douterait guère qu'il soit l'auteur de tant d'articles et de livres sur tous les sujets [...] » Il meurt d'une congestion cérébrale en 1915 et est inhumé au cimetière du Père-Lachaise dans le tombeau de Clésinger, aux côtés de Berthe de Courrière. Voici quelques-unes de ses citations : « Savoir ce que tout le monde sait, c'est ne rien savoir. Le savoir commence là où commence ce que le monde ignore » ; « Un vice est comme un amour, il n'y a rien qu'on ne lui sacrifie » ; « L'intelligence de l'homme n'a pas progressé depuis son apparition sur terre » ; « L'irréligion est une religion » ; « Le peuple, c'est tous ceux qui ne comprennent pas. »

    R. S. Rivarol du 11 septembre 2014

  • Nous sommes des révolutionnaires malgré nous

    1949 : Bernard Charbonneau (1910-1996) édite son maître ouvrage : L’état. 1954 : Jacques Ellul (1912-1994) publie son œuvre maîtresse : La Technique ou l’enjeu du siècle. L’État et la Technique, tels sont les deux enjeux de notre temps. Il s’agit de leurs premiers livres, mais non de leurs premiers écrits. Et l’on est surpris de voir combien ces essais de maturité, rédigés autour de la quarantaine, déploient méthodiquement, comme toute la suite de leur œuvre, des intuitions de jeunesse, écrites dans la vingtaine. 

    Ce sont quelques-uns de ces textes fondateurs, au génie si particulier et si parlant à la fois, parfois parus dans des revues spécialisées, que quelques-uns se transmettaient jusqu’ici de la main à la main, qui sont enfin aujourd’hui, réunis et présentés par Quentin Hardy, livrés au grand public dans un recueil au titre éloquent, Nous sommes des révolutionnaires malgré nous, qui est sans doute pour le profane la meilleure introduction à leur pensée : « Directives pour un manifeste personnaliste » (1935), « Le Progrès contre l’homme » (1936), « Le sentiment de la nature, force révolutionnaire » (1937), « An deux mille » (1945). 

    Leurs textes ont la fraîcheur des commencements, et le sérieux d’une fidélité intellectuelle qui durera toute leur vie – comme leur amitié. Les deux Bordelais sont alors membres de la revue Esprit, et animent les groupes personnalistes du Sud-Ouest. Face au règne de l’anonymat, de l’économie, de la technique et de l’État, les personnalistes défendent « la cité à hauteur d’homme », « une cité ascétique pour que l’homme vive ». Ainsi, « la révolution doit se faire contre la misère et contre la richesse », elle est avant tout « une lutte pour les libertés de l’homme », qui passe par le sens des limites, des communautés, des patries, des pays. Pour être incarnées, liberté et justice nécessitent « de petites sociétés locales basées sur la culture, la famille et la possession directe du sol. » 

    Nés il y a cent ans, morts il y a vingt, souvent isolés, à contre courant, les deux penseurs chrétiens connaissent une fécondité posthume qui se traduit à travers une abondante actualité éditoriale : nombreuses rééditions qui rencontrent un public nouveau, mais aussi inédits, comme Théologie et Technique qui résume dans une critique théologique de l’idolâtrie technique la pensée ellulienne, déployée par ailleurs dans une soixantaine de livres et plus d’un millier d’articles : 

    « Actuellement, c’est la Technique qui permet à l’homme une élimination de Dieu, qui n’est même plus une révolte. Il n’est plus nécessaire de lutter : la puissance technicienne a remplacé celle du Créateur. (…) La Technique a enfin permis à l’homme de changer les pierres en pain. Et il est bien content. Mais il ne comprend pas pourquoi il n’est pas encore dans le Paradis après ce miracle. » 

    Face à la technique qui se développe selon la volonté de puissance, la vocation de la théologie, biblique et évangélique avant tout, est de rappeler à temps et à contretemps une éthique de la fragilité et de la vulnérabilité, une éthique christique de la non-puissance qui seule peut sauver la vie. La non-puissance n’est pas l’impuissance, mais la résistance par « l’abandon de l’esprit de puissance » : « Il faut sans cesse reprendre l’exemple de Jésus qui a récusé tous les moyens de puissance (…) Dans un monde voué par la Technique à la puissance, seuls l’esprit et le comportement de non-puissance sont la critique. » 

    Falk van Gaver 

    Bernard Charbonneau & Jacques Ellul, Nous sommes des révolutionnaires malgré nous, Seuil, 2014, 222 p., 18€ 

    Jacques Ellul, Théologie et Technique. Pour une éthique de la non-puissance, Labor et Fides, 2014, 370 p., 29€ 

    Article paru dans La Nef N. 262 de Septembre 2014

    http://www.oragesdacier.info/2014/10/nous-sommes-des-revolutionnaires-malgre.html

  • « Le bien commun doit l’emporter »

    Journaliste et essayiste, Arnaud Guyot-Jeannin a dirigé les ouvrages collectifs Aux sources de l’erreur libérale (1999) et Aux sources de la droite (2000) dans la collection "Vu autrement" aux éditions de L’Âge d’Homme. Les questions portant sur l’argent, l’écologie, le libéralisme, le socialisme, le travail, etc, y étaient abordées dans une perspective résolument anticonformiste. Le 27 novembre dernier, il a même consacré son "Libre Journal des enjeux actuels" sur Radio Courtoisie à « la nécessité des luttes sociales » face à la libéralisation du travail du dimanche, à la retraite à soixante-dix ans, à la privatisation de la Poste, etc. L’Action Française 2000 l'accueille avec plaisir une nouvelle fois dans ses colonnes…

    L'Action Française 2000 - "Travailler plus pour gagner plus" : cette consigne de M. Sarkozy, qui va maintenant jusqu'à remettre en cause le repos dominical, n'est-elle pas le signe d'une conception nouvelle et bien peu catholique, du travail ?

    Arnaud Guyot-Jeannin - Elle n'est pas "nouvelle" et avant d'être "peu catholique", cette consigne est surtout bien peu humaine en vérité. Il est impératif que la fameuse common decency ou décence ordinaire, préconisée par Georges Orwell et reprise par Jean-Claude Michéa de nos jours, se déploie dans la vie quotidienne des individus, des communautés et des peuples.

    Des catholiques sociaux déterminés

    Je rappelle qu'il a fallu attendre le vote de la loi Lerolle du 13 juillet 1906 pour abroger le travail dominical. En effet, le XIXe siècle avait connu une exploitation inhumaine et une misère sociale effrayantes. L'État centralisé, complice du ploutocapitalisme, avait favorisé une industrialisation massive et un déracinement social et géographique sans précédent. Heureusement, face à ce processus de désintégration nationale, provinciale et sociale se dressèrent des penseurs et députés catholiques sociaux attachés à défendre le génie populaire et les socialités primaires de la France traditionnelle.

    L'AF 2000 - Pouvez-vous rappeler quelques lois pour lesquelles les catholiques sociaux ont milité au XIXe siècle et au début du XXe ?

    A.G.-J. - Bien sûr. Dès le 21 mars 1841, la loi Montalembert a proscrit le travail des femmes et des enfants dans les manufactures. Le 7 juillet 1891, Albert de Mun a proposé la suppression du travail de nuit pour les femmes et les enfants. Le 29 octobre 1892, le même député s'est engagé en faveur de la limitation du temps de travail. La future loi de Martine Aubry sur les 35 heures en représente le très pâle reflet, car elle ne vise pas l'amélioration des conditions de travail, mais une meilleure intégration à la société productiviste et au marché du travail qui sert exclusivement les intérêts du capital.

    On doit encore aux catholiques sociaux plusieurs propositions de loi sur la retraite et notamment sur les retraites ouvrières, en 1910 par exemple ; elles doivent être mentionnées au moment où le gouvernement Sarkozy-Fillon légifère en faveur de la retraite à soixante-dix ans. Et pourquoi pas, jusqu'à soixante-quinze ans, à l'instar des États-Unis, modèle préféré du chef de l'État ?

    Démesure

    Au total, une centaine de lois et propositions de lois ont été défendues avec détermination par les catholiques sociaux et les Cercles catholiques d'ouvriers (1871) dont les initiateurs s'appelaient Maurice Maignen, René de La Tour du Pin et Albert de Mun. Sans oublier l'influence pontificale à travers l'encyclique sociale Rerum Novarum (1891) rédigée par Léon XIII !

    L'AF 2000 - N'est-ce pas en fait sur la conception de l'homme lui-même que Nicolas Sarkozy et les libéraux se séparent de ces catholiques sociaux ?

    A.G.-J. - Assurément, la formule de Nicolas Sarkozy, "travailler plus pour gagner plus", s'inscrit dans la dynamique quantitative de la démesure capitaliste du "toujours plus" : toujours plus d'argent, toujours plus d'objets, toujours plus de consommation, toujours plus de travail, etc. L'homme y est envisagé comme un numéro-matricule du système marchand postdémocratique, ce système où la valeur travail et la valeur marchande se confondent au détriment de la valeur d'usage.

    Bien sûr, Nicolas Sarkozy n'est qu'un symbole fort de ce système mondialisé. Mais les symboles sont importants en politique. D'autant plus que la formule sarkozyenne du "travailler plus pour gagner plus" a finalement comme résultat pour les salariés de travailler plus pour gagner moins. Et même de travailler moins bien en raison d'un cadre général de travail de plus en plus inhumain.

    Face à une telle régression sociale et environnementale, mais plus largement civilisationnelle, il faut opposer un vrai modèle alternatif, où écologie sociale et économie solidaire réactivent le sens des responsabilités ordonnées et partagées dans un cadre de vie qui n'exclut pas un peu de flânerie. Tout est une question d'éthique, de politique et de mesure ! Le bien commun doit l'emporter sur un utilitarisme marchand, vecteur de modes de management délétères entraînant une course effrénée à la productivité et un stress épouvantable qui causent de la souffrance au travail.

    En résumé : Sois cool et tais-toi !

    L'AF 2000 - Comment se manifeste aujourd'hui cette "souffrance au travail" ?

    A.G.-J. - 53 % des Français disent souffrir dans leur activité professionnelle. Plusieurs centaines de cadres se suicident chaque année dans notre pays. Le harcèlement actionnarial et patronal va de pair avec une idéologie de la performance qui prône les mêmes formules commerciales de technocentres entrepreunariaux - plus chaleureusement appelés les entreprises copains - : Il faut faire plus, toujours plus ! L'open space établit une dictature du bonheur qui provoque un malheur intériorisé chez le salarié. De nouvelles formes de domination d'un post-libéralisme sympa et meurtrier se mettent donc en place. Sois cool et tais-toi ! Dans de plus en plus d'entreprises, le tutoiement et l'appellation de son patron par ses initiales sont obligatoires. L'obligation de résultat est le seul paramètre qui compte dans un cadre décloisonné où les relations sont fluides et opérationnelles ! Le patron est à la fois un GO en apparence et un serial killer en fin de mois. Nous ne sommes pas loin de la description de la World compagny moquée par Les Guignols de l'Info. Comment voulez-vous que la valeur travail ne soit pas décrédibilisée dans une société où le travail n'a plus de valeur ?

    Au métier qualifié, enraciné, sédentaire et humanisé a succédé - à partir du milieu des années soixante-dix – un travail découpé, parcellarisé, nomadisé et globalisé. Au métier organique a fait place un travail mécanique. Une besogne machinale et anonyme qui foudroie les cadres, les cadres moyens et les secrétaires de direction qui tombent en dépression. N'oublions jamais que la France est le premier pays au monde - avant les États-Unis - à utiliser des calmants et des anxiolytiques. Sarkozy est-il de mèche avec les laboratoires pharmaceutiques ? Plaisanterie mise à part, le constat s'impose à nous : le travail tue de plus en plus. La société positive du travail s'avère négative. Il s'agit là d'une société anxiogène et mortifère.

    L'AF 2000 - En ce qui concerne la nouvelle mesure sur le travail le dimanche, le texte qu'a présenté le gouvernement n'est-il pas beaucoup plus minimaliste qu'au départ ?

    A.G.-J. - Certes, mais Nicolas Sarkozy va faire passer habilement sa loi en insistant sur la notion de "volontariat" et de "liberté" du travailleur comme du consommateur. De façon évidente, les réfractaires au travail dominical seront immédiatement mal vus et mal notés. Le conditionnement négatif ambiant les poussera vite à revoir leur décision. Avec une telle liberté surveillée, je parie même que beaucoup d'entre eux seront dissuadés de recourir à un tel choix hypocrite et préféreront travailler bien gentiment le dimanche au détriment de leurs autres activités. Puis Nicolas Sarkozy s'occupera des aménagements nécessaires à la généralisation progressive du travail dominical, toujours au nom de la volonté, de la liberté et du marché pour tous... Mais en réalité, au détriment de l'ensemble des salariés et au profit - c'est le cas de le dire - des grosses fortunes dont il est l'ami !

    Liberté sous surveillance

    La question reste posée : les Français doivent-ils consommer à tout prix, tous les jours, tout le temps, y compris le dimanche ? Allons-nous devenir un peuple de salariés et de consommateurs ? 

    Pour des raisons humaines, sociales, familiales, amicales, religieuses, le repos dominical demeure essentiel. Il représente un jour de partage et sert à resserrer les liens entre les personnes et leur environnement. Moins de travail ne signifie pas "plus de travail". Le travail est un moyen en vue de subvenir à ses besoins, pas une fin en soi. Les partisans de la sanctification par le travail - qui comptent de nombreux chrétiens conservateurs et progressistes devraient faire cette nuance de taille. « Le sabbat a été fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat » proclame hiérarchiquement l'Évangile selon saint Marc (2, 23-28). Ralentir les cadences de travail et décélérer les activités économiques en termes de production et de consommation ne signifie pas abolir le travail. Décroître n'est pas synonyme de récession. Une décroissance soutenable ne peut qu'être volontaire, tandis que notre récession économique et sociale ne l'est pas. C'est la décroissance qui peut empêcher de nouvelles crises. Pour cela, encore faut-il rompre avec la logique du capitalisme. La seule alternative politique et civilisationnelle réside aujourd'hui dans la pratique d'une décroissance de la production, de la consommation et du travail permettant de produire moins, consommer moins et travailler moins pour travailler bien et vivre mieux

    L'AF 2000 - Peut-on donc envisager de travailler autrement ? Que pensez-vous du "dividende universel" préconisé à une époque par Christine Boutin ?

    A.G.-J. - D'abord, je remarque que Christine Boutin ne le préconise plus depuis qu'elle est ministre du Logement. D'ailleurs, comment le pourrait-elle dans un gouvernement dont l'hyperprésident représente la droite bling-bling ? Le "dividende universel" appelé aussi "revenu social inconditionnel", "revenu d'existence" ou encore "revenu universel de citoyenneté" représente des allocations populaires responsabilisantes, intégratrices et solidaires. André Gorz, Yoland Bresson ou encore Alain Caillé, le directeur du Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales (MAUSS) ont travaillé sur leur possible mise en pratique dans la société française.

    Le "dividende universel"

    Leur théorie pratique vise à réduire le temps de travail en obtenant un revenu inconditionnel d'inclusion sociale - et non d'exclusion comme le RMI et le RSA, tous deux conditionnels - pour chaque membre de la communauté nationale. Dans une société où le travail est considéré comme pénible et surplombant, où la désaffiliation sociale et familiale engendre l'anomie, où les pauvres se comptent par millions et où le chômage n'est plus seulement conjoncturel, mais structurel, ne faut-il pas permettre à chacun de libérer un peu de temps pour ses activités familiales, amicales, paroissiales, culturelles, sportives etc, tout en vivant décemment ? Poser la question, c'est y répondre. L'établissement du "dividende universel" - perçu de la naissance à la mort par chaque personne - rompt avec la société du tout travail et du travail salarié. Il faut pouvoir travailler et gagner sa vie au minimum sans se voir astreint automatiquement à occuper un poste de salarié dans une société salariale. Avec l'essor des réseaux et de la mondialisation-fragmentation tribale, l'avenir n'est plus au salariat. Précisons que le montant du revenu doit être ni trop élevé pour éviter l'assistanat, ni trop bas pour ne pas engendrer la précarité.

    L'AF 2000 - La crise actuelle ne marque-t-elle pas la défaite du libéralisme ? N'est-il pas temps de remettre en cause le capitalisme lui-même ?

    A.G.-J. - La crise financière mondiale était prévisible. En effet, en 1945, la signature des accords de Yalta a permis de livrer l'Europe et une grande partie du globe au communisme soviétique et au capitalisme américain. Plus de quarante ans après, le mur de Berlin s'est effondré et l'Union soviétique s'est désintégrée. Le communisme disparaissait à l'Est ! Le capitalisme se retrouvait alors seul dans un monde unipolaire dominé par les États-Unis. Seulement, il ne pouvait plus instrumentaliser les tares de son ennemi de la Guerre froide pour légitimer son système. Il trouvait alors un diable de rechange : l'islamisme. Mais cela ne suffit pas ! Les crises économiques et géopolitiques américaines éclataient peu après. La volonté de puissance marchande et la démesure guerrière des États-Unis aboutissaient à une récession interne doublée d'une grande méfiance des États et des peuples sur le plan externe.

    Le mur de l'argent

    La loi de la jungle néolibérale ne peut présider justement et durablement au destin d'une puissance. Le capitalisme se fonde sur l'accumulation du capital et du profit. Il porte l'excès en lui. « La monnaie créée ex-nihilo » pour reprendre l'expression de Maurice Allais, la spéculation des échanges monétaires virtuels et la dématérialisation planétaire de l'argent, ne peuvent que mener à d'autres fuites en avant suivies de crises préjudiciables aux sociétés occidentales de marché. Ces autres crises financières vont survenir parce que le système de l'illimité ne peut survivre dans un monde qui connaît nécessairement des limites. Le mur de l'argent chutera alors à son tour. Le système capitaliste américanocentré explosera comme sa bulle. Le capitalisme est né du système de l'argent, il mourra du système de l'argent.

    Propos recueillis par Michel Fromentoux

    L’ACTION FRANÇAISE 2000 n° 2761 – du 18 au 31 décembre 2008

  • Poutine

    C'est le titre du dernier livre de Frédéric Pons, rédacteur en chef à Valeurs Actuelles, en vente ici.

    P"Vladimir Poutine reste une énigme. Que veut-il ? Affirmer son pouvoir personnel et celui de son clan, quel qu’en soit le prix, dans la lignée des autocrates qui se sont succédé au Kremlin depuis des siècles ? Restaurer la grandeur de son pays, en faisant la synthèse de l’histoire russe, des tsars aux Soviétiques ?

    Comment le petit lieutenant-colonel du KGB qu’il fut à la fin de la guerre froide a-t-il pu s’imposer ainsi au sommet de l’une des premières puissances du monde ? Qui est cet homme qui semble en permanence porter un masque ? Un politicien cynique et brutal, assoiffé de pouvoir et d’argent, ou un patriote sincère, attaché à défendre les intérêts de son pays ?

    Au fil d’une enquête rigoureuse, nourrie de rencontres inédites à Saint-Pétersbourg et à Moscou, Frédéric Pons brosse un portrait saisissant du maître du Kremlin : sa formation, ses rêves et ses ambitions, sa passion et sa maîtrise de nombreux sports, la diversité et la force de ses réseaux de pouvoir et d’influence, les étapes décisives de sa formidable ascension, qui alterne la brutalité et la séduction. Sans occulter les ambiguïtés de Poutine, Frédéric Pons rappelle aussi les erreurs commises par l’Occident, aujourd’hui pris de court pour ne pas avoir voulu comprendre les craintes et les aspirations de la Russie après la chute du communisme, un « mépris » qui explique en partie les blocages actuels."

    Paula Corbulon

    http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/web.html

  • L’Europe espionnée par la NSA

    Robert Steuckers Conférence prononcée au “Cercle Proudhon”, Genève, 10 avril 2014

    La réalité dans laquelle nous vivons aujourd’hui est une réalité entièrement sous surveillance, sous l’oeil d’un “panopticon” satellitaire et électronique. Tous les citoyens de l’américanosphère sinon du monde entier sont surveillés étroitement dans leurs activités “sensibles” ou dans leurs faits et gestes quotidiens. L’Etat a certes le droit, le cas échéant, de surveiller des individus qu’il juge dangereux mais là n’est pas vraiment le problème pour nos polities développées d’Europe. Le problème le plus grave, c’est la surveillance permanente et étroite que subissent nos entreprises de pointe, nos ingénieurs les plus performants, dans l’Union Européenne, pour ne même pas mentionner nos institutions diplomatiques et militaires. L’installation du système global de surveillance ne concerne donc pas le terrorisme —là n’est que le prétexte— mais bel et bien les fleurons de nos industries et les laboratoires de recherche de nos entreprises de haute technologie, d’électronique, d’avionique ou de bio-chimie. Le “telescreen” réel d’aujourd’hui ne surveille donc pas en priorité des citoyens rétifs susceptibles de devenir un jour de dangereux subversifs ou des révolutionnaires violents, comme l’imaginait encore Orwell à la fin des années 40 du 20ème siècle. Via Facebook, Twitter ou autres procédés de même nature, le “telescreen” actuel surveille certes la vie privée de tous les citoyens du globe mais cette surveillance se rapproche davantage du Palais des rêves d’Ismaïl Kadaré que du 1984 d’Orwell.

    L’Europe a fait mine de s’étonner des révélations d’Edward Snowden en juin 2013. Pourtant, ce n’est jamais que le troisième avertissement qui lui a été lancé depuis 1997, les précédents n’ayant pas été suivis d’effets, de réactions salutaires et légitimes. D’abord, il y a eu, en cette année 1997, la révélation de l’existence du réseau ECHELON et, consécutivement, le fameux “Rapport de Duncan Campbell”, journaliste d’investigation écossais, qui a été établi après la demande d’enquête des instances européennes. Le réseau ECHELON avait suscité l’inquiétude il y a seize ans: depuis lors l’amnésie et l’inertie ont fait oublier aux grandes entreprises de pointe et aux masses de citoyens qu’ils étaient étroitement espionnés dans leurs activités quotidiennes. Ensuite, les révélations “Wikileaks” de Julian Assange révélaient naguère ce que l’hegemon pense réellement de ses vassaux et du reste du monde. L’affaire Snowden est donc le troisième avertissement lancé à l’Europe: la NSA, principal service secret américain, déploie un système d’espionnage baptisé “Prism” avec la complicité très active du GCHQ britannique. Les révélations de Snowden ne sont ni plus ni moins “révélatrices” que celles que nous dévoilait naguère l’existence du réseau ECHELON: simplement les techniques avaient considérablement évolué et l’internet s’était généralisé depuis 1997 jusqu’à équiper le commun des mortels, des milliards de quidams apparemment sans importance. Les écoutes sont perpétrées avec davantage de sophistication: Angela Merkel l’a appris à ses dépens.

    Le réseau ECHELON

    Revenons à l’année 1997, quand le parlement européen apprend l’existence du réseau ECHELON et manifeste son inquiétude. Il mande le STOA (Bureau d’Evaluation des options techniques et scientifiques) pour que celui-ci établisse un rapport sur l’ampleur de cet espionnage anglo-saxon et sur les effets pratiques de cette surveillance ubiquitaire. Les instances européennes veulent tout connaître de ses effets sur les droits civiques et sur l’industrie européenne. Plus tard, l’IC 2000 (“Interception Capabilities 2000”) dresse le bilan de l’espionnage commis par les satellites commerciaux qui interceptent les communications privées et commerciales. En effet, l’essentiel de cet espionnage s’effectue à des fins commerciales et non politiques et militaires au sens strict de ces termes. Les satellites ne sont pas les seuls en cause, le rapport vise aussi les câbles sous-marins, notamment en Méditerranée. Le résultat de l’enquête montre que les firmes françaises Alcatel et Thomson CSF ont été surveillées étroitement afin de leur rafler certains marchés extra-européens.

    L’hegemon indépassable doit le rester

    Le premier rapport du STOA évoque la possibilité d’intercepter les courriels, les conversations téléphoniques, les fax (télécopies par procédé xérographique). Il constate que les cibles sont certes les messages militaires et les communications diplomatiques (ruinant du même coup toute indépendance et toute autonomie politiques chez les nations européennes, grandes comme petites). L’espionnage systématique pratiqué par les Etats-Unis et les autres puissances anglo-saxonnes (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande et Grande-Bretagne) est un avatar direct de la fameuse doctrine Clinton pour laquelle les opinions publiques et les espaces médiatiques des alliés et vassaux ne sont pas mieux considérés que ceux de leurs homologues relevant de l’ennemi ou d’anciens ennemis: tous sont à égalité des “alien audiences” qu’il s’agit de maintenir dans un état d’infériorité économico-technologique. L’hegemon américain —s’insiprant, à l’époque où est énoncée la doctrine Clinton, de la pensée du Nippo-Américain Francis Fukuyama— se donne pour objectif d’organiser le “monde de la fin de l’histoire”. Pour y parvenir et pérenniser la domination américaine, il ne faut plus laisser émerger aucune suprise, aucune nouveauté. Washington se pose donc comme l’hegemon indépassable: il l’est, il doit le rester.

    Le gouvernement profond de la planète

    Les rapports successifs du STOA et d’IC 2000 révèlent donc au monde l’accord secret UKUSA (United Kingdom + United States of America). Celui-ci date cependant de 1947, tout en étant la prolongation de la fameuse Charte de l’Atlantique signée par Churchill et Roosevelt en 1941. Chronologiquement, l’accord secret UKUSA précède donc la guerre froide et se forge avant le fameux coup de Prague qui fait basculer, en 1948, la Tchécoslovaquie dans le camp communiste; celui-ci acquiert ainsi l’espace hautement stratégique qu’est le “quadrilatère bohémien” qui avait procuré tant d’atouts à Hitler suite aux accords de Munich de 1938. Il précède aussi l’existence de l’Etat d’Israël (né également en 1948). Aux deux puissances fondatrices, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, se joignent la Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande puis, progressivement, en tant que “cercle extérieur”, la Norvège, le Danemark, l’Allemagne (en tant que pays occupé et non entièrement souverain) et la Turquie. Le GCHQ britannique surveille l’Afrique et l’Europe (jusqu’à l’Oural), le Canada surveille, quant à lui, la zone arctique. Le personnel qui travaille au service de ce système d’espionnage est soumis à une discipline de fer et doit garder pendant toute sa vie les secrets qu’il a appris pendant ses années de service. Ces membres du personnel sont endoctrinés et ré-endoctrinés (si la perspective change, si, à l’instar du scénario imaginé par Orwell dans son 1984, l’ennemi n’est plus, tout d’un coup, l’Eurasia mais devient, en un tourne-main, l’Eastasia...). En 1995, aucun gouvernement n’a reconnu publiquement l’existence du réseau UKUSA. Rien n’a transparu. Nous pouvons donc parler du “gouvernement profond” de la planète,  qui n’a jamais fondamentalement connu d’échecs, juste quelques petits ressacs, bien vite rattrapés....

    Jusqu’en 1989-1991, la politique officielle était d’endiguer l’Union Soviétique, le bloc communiste. Après l’effondrement définitif de ce bloc soviétique et la dissolution de ses franges stratégiques, le réseau justifie son existence en prétextant la lutte contre le terrorisme ou le narco-trafic. Cette nouvelle “mission” est donc officiellement dirigée contre, il faut le rappeler, des golems fabriqués par la CIA elle-même dans le but de mener un “low intensity warfare” (une belligérance de basse intensité), à l’instar des talibans afghans ou des islamistes tchétchènes, ou générés pour financer des guerres en contournant les contrôles parlementaires, comme l’a été le trafic de drogues au départ du “triangle d’or” en Asie du Sud-Est. L’existence réelle, bien médiatisée, de ces deux fléaux que sont le terrorisme et le narco-trafic, postule que l’hegemon et ses alliés proches doivent sans cesse “élargir la surveillance”, une surveillance élargie qui ne visera évidemment plus les seuls narco-trafic et terrorisme, pour autant que leur surveillance ait même été imaginée autrement que pour faire pure diversion. En 1992, quand l’URSS a cessé d’exister et que la Russie résiduaire entre dans une phase de déliquescence sous Eltsine, le directeur de la NSA, William Studeman prononce son discours d’adieu. On peut y lire les phrases suivantes: 1) “Les demandes pour un accès global accru se multiplient”; et 2) “La partie commerciale de cet accès global est une des deux jambes sur laquelle la NSA devra s’appuyer”. L’espionnage, d’ECHELON à Prism, n’est donc plus seulement militaire mais aussi civil. Ce sont d’ailleurs des civils qui dirigent les bases de Mennwith Hill (Grande-Bretagne), de Bad Aibling (Allemagne) et de Yakima (Etat de Washington, Etats-Unis).

    Le phénomène n’est toutefois pas nouveau. Déjà, il y a 80 ou 90 ans, l’ILC (“International Leased Carrier”) collectait toutes les informations arrivant des Etats-Unis en Grande-Bretagne et partant de Grande-Bretagne vers les Etats-Unis. En 1960, les puissances anglo-saxonnes ne peuvent pas (encore) contrôler les câbles terrestres mais bien les ondes radiophoniques de haute fréquence par lesquelles passent les messages militaires et les communications diplomatiques. Elles contrôlent aussi les câbles subaquatiques assurant les communications téléphoniques entre les continents. En 1967, les Etats-Unis lancent les premiers satellites de communication. En 1971, c’est au tour du programme Intelsat d’être lancé, procédé permettant la transmission des communications téléphoniques, du télex, de la télégraphie, de la télévision, des données informatiques et des télécopies. En l’an 2000, dix-neuf satellites du programme Intelsat sont à l’oeuvre dans l’espace circumterrestre: ils relèvent de la cinquième à la huitième générations de satellites.

    De 1945 à nos jours, le programme codé “Shamrock” assure le travail en tandem de la NSA et des principales entreprises de télécommunications (RCA, ITT; Western Union). Le 8 août 1975, le Lieutenant-Général Lew Allen, directeur de la NSA, reconnait que son service intercepte systématiquement les communications internationales, les appels téléphoniques et tous les messages câblés. Cet aveu est retranscrit intégralement dans le rapport de Duncan Campbell qui, en plus, nous explicite tous les aspects techniques de ce gigantesque pompage de données.

    Ordinateur dictionnaire

    Nous sommes à l’heure de la captation des données circulant sur l’internet. On a cru, dans l’euphorie qui annonçait le lancement de cette technique “conviviale” (“user’s friendly”), qu’on allait échapper au contrôle total, qu’on allait communiquer à l’abri des regards indiscrets. Mais tous les instruments de pompage étaient déjà présents, dès leur commercialisation à grande échelle. L’“ordinateur dictionnaire” du GCQH britannique trie systématiquement les données avec la complicité d’ingénieurs de la British Telecom. Cet instrument a été sans cesse affiné et constitue désormais la plus grande banque de données du monde. Si l’objectif de ce contrôle avait une destination purement militaire ou s’il servait réellement à combattre le terrorisme ou le narco-trafic, personne ne pourrait avancer des arguments moraux sérieux pour critiquer l’ampleur de cette surveillance. Mais, on le sait, les drogues ou les terroristes ne sont que des prétextes. Le but réel, comme l’atteste le rapport de Duncan Campbell, est l’espionnage commercial qui, lui, a un impact direct sur notre vie réelle, notre vie quotidienne. Ce but véritable ne date pas de la découverte d’ECHELON ou de la doctrine Clinton, c’est-à-dire des années 90 du 20ème siècle. L’espionnage est commercial dès les années 60, et date même d’avant si l’on veut bien admettre que le but réel de la guerre menée par les Etats-Unis contre l’Allemagne n’était nullement la lutte contre l’idéologie nationale-socialiste ou contre le totalitarisme hitlérien ou était dictée par la nécessité de sauver et de libérer des personnes exclues ou persécutées par les politiques nazies, mais bien plus prosaïquement la conquête des brevets scientifiques allemands raflés au titre de butin de guerre (course aux brevets à laquelle Français et Soviétiques ont également participé). Gérard Burke, ponte de la NSA, déclare en 1970: “Dorénavant l’espionnage commercial devra être considéré comme une fonction de la sécurité nationale, jouissant d’une priorité équivalente à l’espionnage diplomatique, militaire et technologique”. Ce nouvel aveu d’un haut fonctionnaire de la NSA montre que les actions de son service secret n’ont plus seulement un impact sur la sphère étatique, sur les fonctions régaliennes d’un Etat allié ou ennemi, mais sur toutes les sociétés civiles, entraînant à moyen ou long terme la dislocation des polities, des espaces politiques et civils, autres que ceux de l’hegemon, quels qu’ils soient.

    Nouvelle cible: les affaires économiques

    Dans cette optique, celle d’une “commercialisation” des intentions hostiles concoctées par les Etats-Unis à l’endroit des autres puissances de la planète, il faut retenir une date-clef, celle du 5 mai 1977. Ce jour-là, la NSA, la CIA et le Département du Commerce fusionnent leurs efforts au sein d’un organisme nouveau, l’OIL ou “Office of Intelligence Liaison” (= “Bureau de liaison des renseignements”), dont la base principale est logée dans les bâtiments du “Département du Commerce” américain. Le but est d’informer et de soutenir les intérêts commerciaux et économiques des Etats-Unis. En avril 1992, le but à annoncer aux employés de la NSA ou de l’OIL n’est évidemment plus de lutter contre le bloc soviétique, alors en pleine déliquescence “eltsiniste”. L’Amiral William O. Studeman, de la NSA, désigne les nouvelles cibles: ce sont tout bonnement les “affaires économiques des alliés des Etats-Unis”, plus précisément leurs groupes industriels. La notion d’“allié” n’existe désormais plus: les Etats-Unis sont en guerre avec le monde entier, et il faut désormais être d’une naïveté époustouflante pour croire à l’“alliance” et à la “protection” des Etats-Unis et à l’utilité de l’OTAN. Aux “affaires économiques des alliés”, visées par l’espionnage des services américains, s’ajoutent des cibles nouvelles: les “BEM” ou “Big Emerging Markets”, les “gros marchés émergents”, tels la Chine, le Brésil ou l’Indonésie. Le but est d’obtenir des “renseignements compétitifs”, comme les définit la nouvelle terminologie, soit les offres formulées par les grandes entreprises de pointe européennes ou autres, les ébauches d’innovations technologiques intéressantes.

    Balladur à Riyad

    En 1993, Clinton opte “pour un soutien agressif aux acheteurs américains dans les compétitions mondiales, là où leur victoire est dans l’intérêt national”. Ce “soutien agressif” passe par un “aplanissement du terrain”, consistant à collecter des informations commerciales, industrielles et technologiques qui, pompées, pourraient servir à des entreprises américaines homologues. Quels sont dès lors les effets premiers de cette doctrine Clinton énoncée en 1993? Ils ne se font pas attendre: en janvier 1994, le ministre français Balladur se rend à Riyad, en Arabie Saoudite, pour signer un contrat général englobant la vente d’armes françaises et d’Airbus à la pétromonarchie, pour un montant de 6 milliards de dollars. Il revient les mains vides: un satellite américain a préalablement tout pompé en rapport avec les tractations. Et la presse américaine, pour enjoliver cette vilénie, argue de pots-de-vin payés à des Saoudiens et accuse la France et l’Europe de “concurrence déloyale”. Boeing rafle le marché. Et a forcément donné des pots-de-vin aux mêmes Saoudiens... mais personne en Europe n’a pu pomper les communications entre la firme aéronautique américaine et les bénéficiaires arabes de ces largesses indues. Ce contexte franco-saoudien illustre bien la situation nouvelle issue de l’application de la doctrine Clinton: les Etats-Unis ne veulent pas d’une industrie aéronautique européenne. Déjà en 1945, l’Allemagne avait dû renoncer à produire des avions; elle ne doit pas revenir subrepticement sur le marché aéronautique mondial par le biais d’une coopération aéronautique intereuropéenne, où elle est partie prenante. En 1975, lors du marché du siècle pour équiper de nouveaux chasseurs les petites puissances du Bénélux et de la Scandinavie, les Américains emportent le morceau en imposant leurs F-16, réduisant à néant tous les espoirs de Dassault et de Saab de franchir, grâce au pactole récolté, le cap des nouveaux défis en avionique.

    En 1994 toujours, le Brésil s’adresse à Thomson CSF pour mettre au point le “Programme Sivam”, qui devra surveiller la forêt amazonienne. L’enjeu est de 1,4 milliards de dollars. Le même scénario est mis en oeuvre: les Français sont accusés de payer des pots-de-vin donc de commettre une concurrence déloyale. La firme américaine Raytheon rafle le contrat; elle fournit par ailleurs la NSA. Dans son rapport sur ECHELON, sur la surveillance électronique planétaire, Duncan Campbell dresse la liste, pp. 98-99, des entreprises européennes flouées et vaincues entre 1994 et 1997, pour un total de 18 milliards de dollars. Une analyse de la situation, sur base des principes énoncés par Carl Schmitt sous la République de Weimar, tracerait le parallèle entre cette pratique de pompage et la piraterie anglaise dans la Manche au 14ème siècle où un “maître des nefs”, le Comtois Jean de Vienne, a tenté d’y mettre fin (cf. “Les Maîtres des Nefs” de Catherine Hentic). Au 16ème siècle, la Reine d’Angleterre Elisabeth I annoblit les pirates de la Manche et de la Mer du Nord pour vaincre la Grande Armada: l’historiographie espagnole les a nommés “los perros de la Reina” (= “les chiens de la Reine”). Aujourd’hui, on pourrait tout aussi bien parler de “los hackers de la Reina”. Le principe est le même: rafler sans créer ou créer uniquement en tirant bénéfice de ce que l’on a raflé. Depuis la rédaction du rapport de Campbell, rien ne s’est passé, l’Europe n’a eu aucun réaction vigoureuse et salutaire; elle est entrée dans un lent déclin économique, celui qui accentue encore les misères des “Trente Piteuses”, advenues à la fin des “Trente Glorieuses”.

    Julian Assange et Wikileaks

    Il y a ensuite l’affaire dite “Wikileaks”, médiatisée surtout à partir d’octobre 2010 quand d’importants organes de presse comme Le Monde, Der Spiegel, The Guardian, le New York Times et El Pais publient des extrtaits des télégrammes, dépêches et rapports d’ambassades américaines pompés par le lanceur d’alerte Julian Assange. Celui-ci divulguait des documents confidentiels depuis 2006. Il disposerait de 250.000 télégrammes diplomatiques américains rédigés entre mars 2004 et mars 2010. Obama a tenté d’allumer des contre-feux pour éviter le scandale, en vain (du moins provisoirement, les Européens ont la mémoire si courte...). Les révélations dues au hacker Assange portent essentiellement sur le travail des ambassades américaines et dévoilent la vision sans fard que jettent les Etats-Unis sur leurs propres “alliés”. Bornons-nous à glaner quelques perles qui concernent la France. Sarkozy est “très bien” parce qu’il “possède une expérience relativement limitée des affaires étrangères”, parce qu’il “est instinctivement pro-américain et pro-israélien”; par ailleurs, il aurait “une position ferme à l’égard de l’Iran” et “accepterait le principe d’un front uni contre la Russie”; “son réseau de relations personnelles” serait “moindre avec les leaders africains que celui de Chirac”; “il ménagera moins la Russie et la Chine au nom de la Realpolitik que Chirac”. Ces deux dernières caractéristiques prêtées à l’ex-président français indiquent clairement un espoir américain de voir disparaître définitivement la politique gaullienne. C’est au fond l’objectif des Américains depuis Roosevelt, en dépit de l’alliance officielle entre gaullistes et Anglo-Saxons... Continuons à éplucher les rapports qui ont Sarkozy pour objet: celui-ci sera un bon président de France car “il acceptera des mesures sortant du cadre des Nations Unies”. Cette remarque montre que les Etats-Unis abandonnent le projet mondialiste et “nations-uniste” de Roosevelt car il ne va plus nécessairement dans le sens voulu par Washington. Il s’agit aussi d’un rejet des critères usuels de la diplomatie et la fin non seulement des stratégies gaulliennes, mais de tout espoir de voir se forger et se consolider un “Axe Paris-Berlin-Moscou”. Sarkozy devra toutefois “accepter la Turquie dans l’Union Européenne”. Son absence de “réalpolitisme” à l’endroit de la Russie et de la Chine permettra à terme “un front uni occidental au conseil de sécurité de l’ONU” (sinon il n’y aurait pas de majorité). Sarkozy “rompt avec les politiques traditionnelles de la France” et “sera un multiplicateur de force pour les intérêts américains en politique étrangère”.

    DSK, Ségolène Royal et le pôle aéronautique franco-brésilien

    Dominique Strauss-Kahn est largement évoqué dans les documents de “Wikileaks”. Des oreilles attentives, au service de l’ambassade des Etats-Unis, ont consigné ses paroles dans un rapport: pour le futur scandaleux priapique de Manhattan, “Segolène Royal”, au moment des présidentielles françaises de 2007, “ne survivra pas face à Sarkozy”. Mieux, en dépit de l’appartenance de DSK au parti socialiste français, celui-ci déclare à ses interlocuteurs au service des Américains: “La popularité de Segolène Royal est une ‘hallucination collective’”. Coup de canif dans le dos de sa camarade... Cynisme effrayant face aux croyances du bon peuple socialiste de toutes les Gaules... Quant à Hollande, “il est”, selon DSK, “bon tacticien mais médiocre stratège”. Bis. Cependant le dossier “Wikileaks” à propos de Sarkozy contient quelques notes discordantes: il y a d’abord les transactions aéronautiques avec le Brésil, où “Paris tente de vendre le Rafale”, concurrent du F/A-18 américain et du Gripen suédois. Ces rapports discordants reprochent à Sarkozy de faire de la “France le partenaire idéal pour les Etats qui ne veulent pas dépendre de la technologie américaine”. C’est évidemment qualifiable, à terme, de “crime contre l’humanité”... Le but de la politique américaine est ici, à l’évidence, d’éviter toute émergence d’un vaste complexe militaro-industriel dans l’hémisphère sud, grâce à une collaboration euro-brésilienne. Le pôle franco-brésilien, envisagé à Paris sous le quinquennat de Sarkozy, doit donc être torpillé dans les plus brefs délais. Ce torpillage est une application de la vieille “Doctrine de Monroe”: aucune présence ni politique ni économique ni technologique de l’Europe dans l’hémisphère occidental n’est tolérable. Nouer des relations commerciales normales avec un pays latino-américain est considéré à Washington comme une “agression”. La politique aéronautique et militaro-industrielle franco-brésilienne, poursuivie selon les règles gaulliennes en dépit du réalignement de la France sur l’OTAN, est-elle l’une des raisons de l’abandon puis de la chute de Sarkozy, coupable d’avoir gardé quand même quelques miettes de l’“alter-diplomatie” gaullienne? Les historiens de notre époque y répondront dans une ou deux décennies.

    Wikileaks et les banlieues de l’Hexagone

    Les dossiers de Wikileaks révèlent aussi le spectre d’une instrumentalisation potentielle des banlieues françaises par les stratégistes américains: si la France branle dans le manche, renoue avec ses traditions diplomatiques et géopolitiques gaulliennes, persiste à commercer avec les Brésiliens ou d’autres Ibéro-Américains, les “services” de l’Oncle Sam mettront le feu aux banlieues de Lille à Marseille en passant par Paris et Lyon. Le scénario imaginé par Guillaume Faye d’un embrasement général des quartiers immigrés, où la République s’avèrerait incapable de juguler les débordements par manque de moyens et d’effectifs, est bel et bien retenu dans les officines stratégiques des Etats-Unis. Les textes de Wikileaks, révélés par un numéro spécial du Monde (et non pas par une officine nationaliste ou identitaire) dévoilent les liens systématiques qu’entretient l’ambassade des Etats-Unis avec les populations arabo-musulmanes en France. On constate, à la lecture de ces documents, que les Etats-Unis, en s’appuyant sur les réseaux associatifs de ces communautés allochtones, visent “à créer les conditions d’une ‘démocratie participative’, prélude à une intégration totale”. Les Etats-Unis doivent y travailler, favoriser et accélérer le processus “parce que l’établissement français se montre réticent face aux problèmes des immigrés”. On y lit aussi cette phrase: “Nous poussons la France à une meilleure mise en oeuvre des valeurs démocratiques qu’elle dit épouser”. L’ambassade des Etats-Unis regrette aussi qu’en France, il subsiste “trop d’inégalités” (ah bon...? Au pays de l’égalitarisme maniaque et forcené...?). Un rédacteur anonyme estime quant à lui que “la laïcité est une vache sacré” (ce qui est exact mais sa définition de la “laïcité” ne doit pas être exactement la nôtre, qui est inspirée d’Erasme et des “letrados” espagnols du début du 16ème siècle, et non pas des pèlerins du Mayflower ou des sans-culottes). Dans une autre dépêche, le rédacteur anonyme promet “un soutien aux activistes médiatiques et politiques”, afin de “faciliter les échanges interreligieux” (voilà pourquoi la “laïcité” est une “vache sacrée”...) et de “soutenir les leaders communautaires modérés” (tiens, tiens...). L’intermédiaire de cette politique a sans nul doute été le “très démocratique” émirat du Qatar... On le voit: tout retard dans la politique d’une “intégration totale” pourrait donner lieu au déclenchement d’une mini-apocalypse dans les banlieues avec pillages de belles boutiques dans les centres urbains plus bourgeois. Or tout observateur un tant soit peu avisé des méthodes de propagande, d’agitprop, de “révolutions colorées” ou de guerres indirectes sait qu’il y a toujours moyen de “faire imaginer”, par des dizaines de milliers d’échaudés sans jugeote, un “retard” d’intégration, médiatiquement posé comme scandaleux, anti-démocratique, xénophobe ou “raciste” pour mettre le feu aux poudres. Le panmixisme idéologique des bêtas “républicains”, laïcards ou maritainistes, pétris de bonnes intentions, s’avère une arme, non pas au service d’une intégration qui renforcerait la nation selon la définition volontariste qu’en donnait Renan, mais au service d’une puissance étrangère, bien décidée à réduire cette nation à l’insignifiance sur l’échiquier international et dans le domaine des industries et des technologies de pointe.

    L’affaire Snowden

    Passons à l’affaire Snowden, qui éclate en juin 2013, quand le “lanceur d’alerte” publie ses premières révélations. Qui est cet homme? L’un des 29.000 employés civils de la NSA (qui compte également 11.000 collaborateurs militaires). Sa biographie était jusqu’alors inodore et incolore. On savait qu’il avait été un adolescent plutôt renfermé et un élève assez médiocre. Il avait cependant développé, pendant ses heures de loisir, des talents pour le piratage informatique qu’il qualifiait de “sanction contre l’incompétence des fabricants”. Sur le plan politique, Snowden s’est toujours montré un défenseur sourcilleux des libertés démocratiques et s’est opposé au “Patriotic Act” de Bush qui jugulait certaines d’entre elles. Sa manière à lui d’être rebelle, dans ses jeunes années, était de se déclarer “bouddhiste” et fasciné par le Japon. Il avait voulu s’engager à l’armée qui l’a refusé. En 2006, il s’est mis à travailler pour la CIA à Genève. Pourquoi cette ville suisse? Parce qu’elle abrite d’importants centres de décision pour le commerce international, qu’elle est un centre de télécommunication, qu’on y fixe les normes industrielles et qu’elle est une plaque tournante pour toutes les décisions qui concernent l’énergie nucléaire. Il constate, en tant qu’adepte naïf des libertés démocratiques et qu’admirateur des qualités éthiques du bouddhisme, que, pour les services américains, tous les moyens sont bons: comme, par exemple, saoûler un banquier suisse pour qu’il soit arrêté au volant en état de franche ébriété et qu’on puisse le faire chanter. En 2009, Snowden tente pour la première fois d’accéder à des documents auxquels il n’avait normalement pas accès. En 2008, il soutient la candidature d’Obama car celui-ci promet de mettre un terme à la surveillance généralisée découlant du “Patriotic Act”. Mais, par ailleurs, il n’aime pas la volonté des démocrates de supprimer le droit de posséder et de porter des armes ni leur projet de mettre sur pied un système public de retraite. Comme beaucoup d’Américains, son coeur penche vers certaines positions démocrates comme, simultanément, vers certaines options républicaines. Finalement, pour trancher, il devient un partisan de Ron Paul, défenseur, à ses yeux, des libertés constitutionnelles.

    Entre 2008 et 2012, il sera progressivement très déçu d’Obama qui, en fin de compte, poursuit la politique anti-démocratique de ses prédécesseurs républicains. En 2009, Snowden part travailler pour Dell à Tokyo. Il vient d’être formé aux techniques offensives de la cyberguerre. Il a appris à pénétrer un système sans laisser de traces. Il est devenu un “cyberstratégiste” au service des “services”. En langage actuel, cela s’appelle un “hacker”, soit un pirate moderne au service d’une civilisation particulière qui doit son envol à l’annoblissement des pirates de la Manche et de la Mer du Nord par la Reine d’Angleterre Elisabeth I. Snowden travaillait chez Booz Allen Hamilton à Hawaï quand il a déserté et commencé son odyssée de “lanceur d’alerte”, de “whistleblower”, série de tribulations qui le conduiront à son actuel exil moscovite. Pour donner un impact international à son travail de dénonciation des méthodes de la NSA, il choisit de rechercher l’appui de Glenn Greenwald et de la journaliste Laura Poitras, animatrice principale de la “Freedom of the Press Foundation”, qui s’était donnée pour spécialité de dénoncer le faux humanitarisme de la propagande américaine, notamment en révélant les atrocités de la prison irakienne d’Abou Ghraïb et l’inconduite des soldats américains, membres des troupes d’occupation en Mésopotamie. Snowden, Poitras et Greenwald vont mettre au point la divulgation des documents, en sécurisant leurs communications grâce à des normes de sécurité et de cryptage que le journaliste français Antoine Lefébure décrit en détail dans le livre fouillé qu’il consacre à l’affaire (cf. bibliographie).

    L’UE fait montre de servilité

    Rétrospectivement, on peut dire que, malgré l’impact que cet espionnage généralisé a de facto sur l’Europe asservie, aucune réaction n’a eu lieu; de même, aucun rejet de la tutelle américaine ni aucune modification du comportement servile d’une eurocratie qui n’est qu’atlantiste alors que, pour survivre, même à court terme, elle ne devrait plus l’être. Déjà, après le rapport pourtant révélateur de Duncan Campbell en 1997-98, l’eurocatie, maîtresse de l’Europe asservie, n’avait pas réagi. Elle s’était empressée d’oublier qu’elle était totalement sous surveillance pour vaquer à son train-train impolitique, pour se complaire dans l’insouciance de la cigale de la fable. Avec l’affaire Snowden, on a eu l’été dernier, peut-être jusqu’en octobre 2013, quelques réactions timides, notamment quand les Allemands ont appris que le portable personnel de la Chancelière Merkel était systématiquement pompé. Mais il ne faudra pas s’attendre à plus. L’affaire ECHELON, les révélations de Wikileaks par Julian Assange et l’affaire Snowden sont les preuves d’une soumission totale, d’une paralysie totale, d’une incapacité à réagir: les ambassades européennes aux Etats-Unis et dans les autres pays anglo-saxons qui participent au réseau ECHELON, les instances de Bruxelles et de Strasbourg sont sous étroite surveillance. Aucun secret diplomatique, aucune liberté d’action ne sont possibles. L’Europe ne répond pas, comme elle le devrait, par une sortie fracassante hors de l’américanosphère, au contraire, elle fait montre de servilité, au nom d’une alliance devenue sans objet et des vieilles lunes de la seconde guerre mondiale, ce qui n’empêche nullement les Etats-Unis de considérer, en pratique, que l’Europe (et surtout l’Allemagne qui en est la seule incarnation sérieuse, tout simplement parce que son territoire constitue le centre névralgique du sous-continent), est considérée comme un ensemble de pays “suspects”, de nations ennemies qu’il convient de surveiller pour qu’elles n’aient plus aucune initiative autonome. La seconde guerre mondiale est terminée mais le centre du continent européen, l’Allemagne, demeure un allié de “troisième zone”, un Etat toujours considéré comme “ennemi des Nations Unies”, comme le constate avec grande amertume Willy Wimmer, haut fonctionnaire fédéral affilié à la CDU d’Angela Merkel, dans un article publié sur le site suisse, www.horizons-et-debats.ch .

    Le vague projet de Viviane Reding

    Viviane Reding, commissaire européenne à la justice, annonce la mise en place d’une “législation solide” pour protéger les données individuelles et les communications entre entreprises de pointe, selon le modèle officiel américain (qui est une illusion, tous les citoyens américains étant étroitement surveillés, non pas directement par des instances étatiques mais par des entreprises privées qui refilent leurs données à la NSA contre monnaie sonnante et trébuchante et passe-droits divers). Le projet de Reding s’avèrera pure gesticulation car, il faut bien le constater, il n’y a aucune cohésion entre les Européens: la Grande-Bretagne, est juge et partie, et n’a pas intérêt à interrompre sa “special relationship” avec Washinton, pour les beaux yeux des Français ou des Allemands, des Espagnols ou des Italiens, tous ex-ennemis à titres divers. La “Nouvelle Europe” (Pologne et Pays Baltes), chantée par les néo-conservateurs de l’entourage des présidents Bush, père et fils, cherche surtout à s’allier aux Américains au nom d’une russophobie anachronique. La Grande-Bretagne avance comme argument majeur pour saboter toute cohésion continentale que “cette affaire ne peut être traitée au niveau européen”. Cette position britannique, exprimée de manière tranchée, a immédiatement provoqué la débandade et aussi, notamment, la reculade de François Hollande. Il n’y aura pas de demande d’explication commune! L’Europe est donc bel et bien incapable de défendre ses citoyens et surtout ses entreprises de pointe. On le savait depuis l’affaire ECHELON et le rapport de Duncan Campbell. Les révélations de Wikileaks et de Snowden n’y changeront rien. L’inféodation à Washington est un dogme intangible pour les eurocrates, l’Europe et la construction européenne (au meilleur sens du terme) dussent-elles en pâtir, en être ruinées.

    Ingratitude à l’égard de Snowden

    Antoine Lefébure nous rappelle, dans son enquête, que, dès 2005, le Président Bush junior nomme Clayland Boyden Gray ambassadeur des Etats-Unis auprès des instances européennes. Cet homme, avait constaté une enquête minutieuse du Spiegel de Hambourg, est un lobbyiste du secteur pétrolier et de l’industrie automobile américaine. Il est clair que sa nomination à ce poste-clef vise non pas l’établissement de relations diplomatiques normales mais bien plutôt la systématisation de l’espionnage américain en Europe et le sabotage de toutes les mesures visant à réduire la pollution et donc la consommation de pétrole en tant que carburant pour les automobiles. Plus tard, la France, qui, cette fois, avait protesté moins vigoureusement que l’Allemagne, constate que ses institutions sont également truffées d’instruments d’espionnage, que leurs disques durs sont régulièrement copiés par une structure annexe, le SCS (“Special Connection Service”), fusion de certains services de la CIA et d’autres de la NSA. Les Etats-Unis se méfient en effet de toutes velléités de politique étrangère autonome que pourrait mener Paris et s’intéressent de très près aux marchés militaires, au nucléaire et au commerce international, tous domaines où la politique gaullienne avait toujours cherché, depuis les années soixante, une voie originale, non inféodée aux directives atlantistes. L’Europe fait donc montre d’ingratitude à l’endroit de Snowden en ne lui accordant pas l’asile politique, en le considérant comme persona non grata. On a alors eu le scandale de juillet 2013: sous pression américaine, l’Espagne, le Portugal et la France interdisent le survol de leur territoire à l’avion du Président bolivien parce que ces trois Etats, inféodés à l’atlantisme, croient que Snowden se cache dans l’appareil pour aller demander ensuite l’asile politique au pays enclavé du centre du continent sud-américain. L’Autriche, neutre, non membre de l’OTAN, ne cède pas à la pression, mais l’avion ne peut dépasser Vienne. La réaction des pays ibéro-américains a été plus musclée que celle des pigeons européens: la Bolivie, l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay et le Vénézuela rappellent leurs ambassadeurs à Paris pour consultation. La servilité de l’Europe, et celle de François Hollande, suscitent le mépris des pays émergents d’un continent avec lequel l’Europe pourrait entretenir les meilleures relations, au bénéfice de tous.

    Une surveillance serrée des ingénieurs allemands

    L’Allemagne est un pays qui, à cause de son passé et de l’issue de la seconde guerre mondiale, se trouve en état d’inféodation totale, depuis la naissance du fameux réseau Gehlen, du nom d’un général national-socialiste ayant eu de hautes responsabilités dans les services de renseignement du Troisième Reich. En 1946, Gehlen est rayé de la liste des criminels de guerre, en échange de ses dossiers qu’exploiteront dorénavant les services secrets américains. Depuis, l’Allemagne ne cesse d’adopter un profil bas, de tolérer une base du réseau ECHELON sur son territoire en Bavière et aussi, nous le verrons, d’autres centres d’écoute sur son territoire, en Rhénanie notamment. Quand éclate l’affaire Snowden, le ministre Pofalla dit “ne pas être au courant”! Il minimise l’affaire. Il faudra attendre fin octobre 2013 pour que Berlin hausse le ton: on a appris, en effet, dans la capitale allemande, que la Chancelière Angela Merkel était étroitement surveillée depuis 2002. En effet, les documents dévoilés par Snowden contiennent une liste de chefs d’Etat pour lesquels il faut dresser en permanence un “profil complet”. Merkel figure sur la liste. Cependant, toute la population allemande, y compris les “non suspects” de subversion anti-américaine, est surveillée selon le “Fisa Amendments Act” de 2008, au même titre que les ressortissants de Chine, du Yémen, du Brésil, du Soudan, du Guatemala, de Bosnie et de Russie. Dans son n°14/2014 le Spiegel divulgue des révélations complémentaires: le GCHQ britannique, chargé de surveiller l’Europe et donc l’Allemagne, espionne surtout les ingénieurs allemands via une station de relais satellitaire au sol, installée à Hürth près de Cologne ou via CETEL, qui surveille tout particulièrement les ingénieurs qui travaillent avec l’Afrique ou le Moyen Orient ou encore via IABG qui se concentre principalement sur les dossiers du Transrapid (l’aérotrain allemand), sur Airbus, sur le programme des fusées Ariane et sur tous les contrats liant des ingénieurs non militaires à la Bundeswehr. Toutes les plaintes sont restées sans suite: le tribunal constitutionnel de Karlsruhe, si prompt à faire alpaguer quelques déments et psychopathes paléo-communistes ou néo-nazilloneurs qui relèvent davantage des facultés de médecine psychiatrique que des tribunaux, hésite à dénoncer les violations de la sphère privée de citoyens honorables, au-dessus de tout soupçon, perpétrées par les Britanniques et les Américains à l’encontre d’honnêtes citoyens allemands pratiquant le noble métier d’ingénieur. Le risque serait trop grand, paraît-il, car cela “compliquerait les relations transatlantiques”. Ben voyons...!

    Courageuse et lucide Finlande

    Le seul pays européen à avoir réagi correctement, à ne pas avoir succombé à l’atlantisme généralisé, est la Finlande. Le gouvernement finnois, en effet, a décidé que “toute entreprise qui espionnerait les Finlandais” se verrait infliger des amendes carabinées, jusqu’à 25% du chiffre d’affaires, y compris si l’espionnage est organisé depuis un pays tiers. En outre, les lanceurs d’alerte, ne pourrait en aucun cas être expulsés ou extradés du pays. L’exemple finlandais, c’est un minimum: il devrait être généralisé à l’ensemble de l’UE. Toujours dans le numéro 14 de 2014 du Spiegel, Viviane Reding, répondant aux questions des journalistes de l’hebdomadaire, estime que les entreprises lésées devraient pouvoir bénéficier d’un droit de recours, que le principe de “Safe harbour” devrait être généralisé, que les amendes doivent être prévues (comme la France qui a infligé à Google une amende de 150.000 euro, soit 2% du chiffre d’affaire annuels de la firme). Elle souligne également les contradictions de l’Allemagne: Merkel veut un “plan européen” mais n’est pas suivie par ses fonctionnaires. Il faut également, disent la Chancelière et la Commissaire, élever considérablement le niveau de protection interne, mais, par ailleurs, l’Allemagne vend au secteur privé des données statistiques relatives à ses propres citoyens.

    Les nouvelles superpuissances

    Il reste à formuler quelques remarques, tirées d’une lecture du livre de Daniel Ichbiah, intitulé Les nouvelles superpuissances. Celles-ci, pour notre auteur, sont les entreprises telles Facebook, Wikipedia, Google, Twitter, etc. Facebook, par exemple, collecte des données émanant de tout un chacun et les conserve pour toujours, comme si elles devenaient, une fois affichées sur la grande toile, son exclusive propriété. Facebook coopère avec la NSA, si bien, écrit Ichbiah, que l’on peut parler de “réseaux cafteurs”. Mais il y a pire: la mémoire de l’humanité, potentiellement exhaustive depuis l’apparition de Facebook, demeurera-t-elle? Si Facebook, ou d’autres entreprises similaires, peuvent les conserver, elles pourraient tout aussi bien les effacer. Les supports, qu’on nous offre, sont tous périssables, les mémoires informatiques tout à la fois effaçables et réinscriptibles. Idem pour Wikipedia. Les données révélées par Wikipedia ne sont pas toujours exactes parfois mensongères ou carrément fausses, fruits de manipulations évidentes, mais il y a grande difficulté sinon impossibilité de faire aboutir des requêtes individuelles formulées devant les tribunaux contre la teneur diffamatoire ou insultante de bon nombre d’informations divulguées sur la grande toile. Ces “nouvelles superpuissances” (selon la définition qu’en donne Ichbiah) sont au-dessus des lois, en Europe, parce qu’elles ne relèvent pas de lois européennes: Google, Facebook, Twitter sont des entreprises basées en Californie ou dans l’Etat de New York qui n’ont pas la même conception de la “privacy” que nous Européens.

    La solution serait de ne pas utiliser Facebook ou Twitter ou de ne les utiliser qu’avec parcimonie. Quelques exemples de bon sens: supprimer tous les “amis” que l’on ne connaît pas personnellement; ne pas utiliser trop de produits Google; ne pas organiser sa vie autour des services Google; diversifier au maximum. Et surtout ne pas oublier que Google possède plus d’informations sur les citoyens américains que la NSA! Car l’avènement de ces “nouvelles superpuissances” équivaut à la négation totale des droits individuels, au nom, bien entendu, des “droits de l’homme”. On est en plein cauchemar orwellien: la propagande dit que nous bénéficions des “droits de l’homme” mais nos droits individuels (au jardin secret, à l’intimité), par l’effet des articifes mis en place par ces “nouvelles superpuissances”, sont totalement niés au nom d’une “transparence  cool”: nous ne sommes pas obligés, en effet, de dévoiler nos intimités sur la grande toile, mais l’exhibitionnisme humain est tel qu’hommes et femmes racontent tout, spontanément, au grand bonheur des flics et des censeurs. Il n’y a dès lors plus, à notre époque, de distinction entre sphère personnelle et sphère publique. En bref, la contre-utopie imaginée par l’écrivain albanais Ismaïl Kadaré dans son oeuvre Le palais des rêves, annonçant la venue d’un monde finalement problématique et dangereux, où règne la transparence totale, à cause précisément de la promptitude des sujets de l’empire décrit à confier la teneur de leurs rêves aux scribes désignés par le souverain. Nous y sommes.

    Robert Steuckers. (Forest-Flotzenberg, Fessevillers, Genève, mars-avril 2014; rédaction finale, septembre 2014).

    BIBLIOGRAPHIE:

    -          Duncan CAMPBELL, Surveillance électronique planétaire, Ed. Allia, Paris, 2001.

    -          Daniel ICHBIAH, Les nouvelles superpuissances, Ed. First, Paris, 2013.

    -          Joseph FOSCHEPOTH, “Die Alliierten Interessen sind längst in deutschem Recht verankert”, in: Hintergrund, Nr.4/2013 (propos recueillis par Sebastian Range).

    -          Antoine LEFEBURE, L’affaire Snowden. Comment les Etats-Unis espionnent le monde, La Découverte, Paris, 2014.

    -          Hans-Georg MAASSEN, “Von angeleinten Wachhunden”, in: Der Spiegel, Nr. 14/2014.

    -          Yann MENS, “Guerres secrètes sur Internet”, in: Alternatives internationales, n°59, juin 2013.

    -          Laura POITRAS, Marcel ROSENBACH & Holger STARK, “ ‘A’ wie Angela”, in: Der Spiegel, Nr. 14/2014.

    -          Viviane REDING, “Ich werde hart bleiben”, in: Der Spiegel, Nr. 14/2014 (propos recuellis par Christoph Pauly & Christoph Schult).

    -          Marcel ROSENBACH & Holger STARK, Der NSA-Komplex – Edward Snowden und der Weg in die totale Überwachung, Deutsche Verlags-Anstalt, München, 2014.

    -          Matthias RUDE, “Partnerdienst – US-Geheimdienste in der BRD”, in: Hintergrund, Nr. 4/2014.

    -          Peter Dale SCOTT, American War Machine. La machine de guerre américaine – La politique profonde, la CIA, la drogue, l’Afghanistan, Ed. Demi-Lune, Coll. Résistances, Plogastel Saint-Germain, 2012.

    -          Andreas von WESTPHALEN, “Rechtlos: Whistleblower in Deutschland”, in: Hintergrund, Nr. 4/2013.

    Dossiers et articles anonymes:

    -          Le Monde hors série, Les rapports secrets du département d’Etat américain – Le meilleur de Wikileaks, s.d.

    -          “Grenzenloser Informant”, in: Der Spiegel, Nr. 27/2013.

    -          “Angriff aus Amerika”, in: Der Spiegel, Nr. 27/2013.

    http://robertsteuckers.blogspot.fr/2014/09/leurope-espionnee-par-la-nsa.html

  • L'omertà de la CGT fonctionne toujours

    Quelques lignes à peine, destinées à passer inaperçues, voilà ce que la plupart des gros moyens de désinformation ont consacré, ces derniers jours, à deux événements.

    Le premier nous ramène tristement au souvenir des temps où les choses étaient fort claires : la disparition d'André Bergeron dans la nuit du 19 au 20 septembre. Âgé de 92 ans, oublié aujourd'hui des jeunes générations il avait dirigé courageusement et intelligemment FO pendant plus d'un quart de siècle entre 1963 et 1989. Il en fut pratiquement évincé par Blondel et par son équipe de trotskistes.

    On ne sera pas surpris de mesurer la petite place que lui consacre L'Huma le 22 septembre. Dans la partie réservée aux abonnés et dans l'édition imprimée on trouve les éternelles accusations contre FO… qui aurait reçu un appui des syndicats libres… eux-mêmes suspects d'avoir été soutenus, au moment du plan Marshall par les méchants américains… Air connu, refrain lamentable qui d'ailleurs ne débouche sur rien sinon qu'en effet la scission FO est intervenue en 1947, quand il fut devenu évident que la CGT de Benoît Frachon était passée sous la coupe du parti communiste et de l'URSS alors gouvernée par Staline. Fallait-il donc l'accepter ? Chevénement cité par Le Monde du 21 septembre, le laisse, au fond, entendre : on ne s'en étonnera guère. Les anciens trotskistes qui entourent actuellement le gouvernement semblent moins convaincus. On partagera – pour une fois – leur avis.

    Plus surprenante à cet égard semble l'opinion des gens du Figaro, en ligne le 20 septembre à 15 h 46 : Ils qualifient André Bergeron "d'anticommuniste primaire". Ben dis donc…

    Au fait dans quel organe de presse a-t-on pu lire, pendant des années, de 1934 à 1986, l'excellente chronique de Michel-Pierre Hamelet?  (1)⇓

    Le second événement, lui, réchauffe un peu le cœur, encore que l'on sache qu'il ne servira guère : la condamnation de la CGT pour ses prédations éhontées au sein du comité d'entreprise d'EDF. À peine effleurée dans "Le Monde", cette nouvelle fut diffusée modestement sur la publication version dont on trouvera le texte standard, ici recopié dans le quotidien "L'Alsace" (2)⇓.

    Procès du CE d’EDF-GDF : douze condamnés dont la CGT et "L’Humanité"

    Douze condamnations, dont celles de la CGT et du journal "L’Humanité", ont été prononcées ce mercredi par le tribunal correctionnel de Paris dans l’affaire des détournements de fonds de la Caisse centrale des activités sociales (CCAS), le puissant comité d’entreprise d’EDF-GDF.

    Huit personnes physiques et quatre personnes morales ont été reconnues coupables d’abus de confiance, de complicité ou recel de ce chef et condamnées à des peines de 2 mois à 18 mois avec sursis et à des amendes de 4 000 à 75 000 euros.

    La justice leur reproche d’avoir détourné des fonds de la CCAS, le plus important comité d’entreprise de France, doté d’un budget annuel de 400 millions d’euros, pour financer des prestations à la fête de L’Humanité et des emplois fictifs au bénéfice de la CGT et de la fédération des mines et de l’énergie (FNME-CGT).

    Pas plus : le minimum syndical en quelque sorte.

    Sur Bergeron et sur la condamnation de la CGT : même minimum syndical. Il équivaut ni plus ni moins à une omertà.

    C'est en effet contre les pratiques de la CGT, mises en place à la faveur de la loi Marcel Paul de 1946 créant EDF-GDF, que toute sa vie s'était dressé le syndicaliste réformiste André Bergeron.

    On considère que ce système constitue le modèle social français et que celui-ci doit demeurer intangible. C'est bien ce genre de présupposés qu'il convient de combattre.

    JG Malliarakis

    Apostilles

    1.  cf. ses mémoires "Un Prolétaire au Figaro" Grasset-Fasquelle 1997, 407 pages.`
    2.  En ligne sur le site de L'Alsace le 1er octobre à 17 32
  • Quand Mitterrand allait plus loin que Zemmour sur Vichy (2 vidéos)

    Extrait du documentaire de Jean-Pierre Elkabbach « François Mitterrand, conversation avec un Président » (1994) au cours duquel François Mitterrand donne son point de vue quant à d’éventuelles excuses au nom de la France à propos de la période de Vichy.


    http://www.fdesouche.com/523779-quand-mitterrand-allait-plus-loin-que-zemmour-sur-vichy