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culture et histoire - Page 1565

  • Pour Cristeros, c’est la dernière ligne droite !

    On est à une semaine de la sortie du film Cristeros dans les salles de cinéma et pour les promoteurs français du film, c’est la dernière ligne droite. Il y a actuellement une vingtaine de salles qui vont le projeter mais cela n’est pas encore suffisant. Beaucoup de salles n’ont pas encore pris de décision et feront leur choix seulement le lundi 12 mai, 48h avant la sortie du 14 mai comme c’est l’usage. Il s’agit désormais de les persuader que cela vaudra la peine de programmer le film. La raison la plus fréquente de leur indécision est qu’elles doutent du potentiel réel du film en termes de spectateurs.

    Il faut donc rappeler que ce seront les premiers jours de sa sortie qui seront décisifs car s’il n’est pas rentable, il sera très vite retiré des salles. Il est toujours possible de s’inscrire sur le site: http://www.cristeros-lefilm.fr/je-veux-voir-le-film-pres-de-chez-moi.html

    http://medias-presse.info/pour-cristeros-cest-la-derniere-ligne-droite/9614

  • Françoise Bonardel au colloque d'Éléments : La crise de l'identité culturelle européenne

    La philosophe Françoise Bonardel nous fait l'honneur de nous confier le très beau texte de sa conférence «La crise de l'identité culturelle européenne» donnée le 26 avril 2014, lors du colloque organisé par la revue Éléments. Élève de Gilbert Durand, agrégée et docteur d'Etat, Françoise Bonardel est professeur de philosophie des religions à la Sorbonne. Rédactrice en chef de la revue Connaissance des religions (2002-2006), elle vient de faire paraître Antonin Artaud ou la fidélité à l'infini (éditions Pierre-Guillaume de Roux).

    Françoise Bonardel
    De gauche à droite, lors du colloque de la revue Éléments : Magali Pernin, Éric Maulin, Patrick Péhèle, Françoise Bonardel. ©Photo-Revue-Éléments.

    La notion d’«identité culturelle européenne», déjà en soi difficile à définir, est aujourd’hui mise à mal tant par les faits eux-mêmes (déculturation massive, multiculturalisme) que par l’idéologie du mainstream imposant à l’échelle planétaire la domination d’un unique courant, fabriqué pour être influent mais sans plus aucun rapport avec la formation (Bildung) de l’être humain, nommée en Europe « culture ». Aussi vais-je probablement soulever nombre de questions qui risquent de rester sans réponses claires et précises, rassurantes au regard de l’inquiétude légitime que peut susciter l’état actuel de l’Europe, durablement marquée par les deux guerres mondiales dont elle a été l’épicentre, et depuis lors minée par une défiance envers soi-même allant parfois jusqu’au reniement. On a le sentiment qu’à force de s’entendre dire qu’elle est « vieille », l’Europe a fini par y croire et par se comporter comme telle : « C’est une absence de sol abyssale [...] qui a pris possession des Européens, une absence qui s’exprime dans l’obsession de faire bonne figure en chute libre et de maintenir, avant une fin que l’on ressent comme imminente, l’apparence de la belle vie », constate Peter Sloterdijk1.

        Mais peut-on véritablement parler de « culture européenne » comme si cela allait de soi alors qu’indépendamment du multiculturalisme, de confection récente, l’Europe est de fait composée d’une mosaïque de cultures en qui s’expriment l’histoire, la sensibilité et la créativité propres à chacun des pays européens ? Quelles sont par ailleurs aujourd’hui les limites – géographiques, politiques, culturelles – d’une Europe dont la physionomie semble à la fois de plus en plus rigide, si l’on se réfère aux dictats de Bruxelles, et de plus en plus floue, indécise, incertaine dès qu’on tente de saisir quelle « identité » est encore ou sera dans le futur la sienne face aux autres continents et puissances ? C’est donc à mon sens en-deçà de ces différences qu’il faut tenter de restituer à l’Europe ce qu’elle possède en fait déjà mais dont elle semble avoir perdu la mémoire : une unité fondée non pas sur des intérêts économiques communs ou des peurs partagées, mais sur une certaine idée de la culture et surtout des comportements qu’elle implique dans l’espace public et privé ; espaces qui, pour être distincts, n’en étaient pas moins jusqu’à ces dernières décennies reliés par une exigence de cohérence et de continuité propre à l’homme cultivé. Or, un des traits de la crise actuelle est justement de brouiller les limites entre ces deux sphères.

    Certaines identités seraient-elles donc plus respectables que d’autres ? 

    Couv151
    Eléments n°151 "Europe marché ou Europe puissance"

    De plus, toute réflexion sur l’identité est aujourd’hui suspectée non seulement de figer une réalité éminemment malléable, et donc évolutive, mais plus encore de favoriser le rejet de l’Autre, devenu une sorte de sur-moi rappelant en permanence à l’homme européen ses devoirs en matière d’altérité, au cas où il serait tenté de les oublier. Telle est en effet devenue, depuis la fin de la dernière guerre et la liquidation des possessions coloniales, la hantise des Européens traumatisés par l’impuissance d’une culture, parmi les plus évoluées du monde, à repousser la barbarie nazie. Un raisonnement simpliste voudrait alors qu’en débarrassant la culture européenne de toute référence identitaire et de toute attache ressemblant de près ou de loin à un enracinement; en la simplifiant à l’extrême et la rendant consommable par n’importe quel être humain, on se prémunisse contre une possible rechute de la civilisation dans l’inhumain ; personne ne sachant pour autant comment ce double déficit, en matière d’identité et de culture, pourrait se transformer en garde-fou. Je rejoins donc sur ce point Jean-François Mattéi, dont je salue ici la mémoire : « Il faut bien qu’il y ait dans la vie des cultures comme dans la vie des hommes, sauf à se perdre dans  une totale confusion, des identités vécues qui prennent conscience de ce qu’elles sont et par rapport auxquelles des altérités se définissent. [...] On aura beau exalter l’Altérité aux dépens de l’Identité, on ne réussira qu’à renforcer, en inversant les rôles, l’identité de la première au détriment de l’altérité de la seconde. »2 

        On ne se prive pas, par contre, d’attirer l’attention des peuples européens sur leur identité économique de consommateurs, ou sur leur identité d’éco-citoyens appelés, pour un oui ou pour un non, à prendre conscience de leurs responsabilités à l’égard de la planète à l’heure même où ce sont des pays entiers qui la mettent impunément en danger. Certaines identités seraient-elles donc plus respectables que d’autres ? Parler d’identité culturelle ne serait-il qu’un dangereux archaïsme, ou l’expression d’une incurable nostalgie risquant à tout moment de réveiller le spectre du nationalisme ? Je n’en crois rien, évidemment, sauf si l’on dévalue la culture au point de n’y voir qu’une forme de conditionnement servile, mais je constate qu’il y a bel et bien là un blocage et un clivage des esprits, entretenus par les médias et face auxquels nombre d’intellectuels se montrent finalement très consensuels. À qui fera-t-on pourtant croire qu’en perdant son identité culturelle l’Europe ne perdra pas aussi son immunité et ses réflexes de survie face aux formes nouvelles de barbarie qui pourraient se manifester, et qui remettraient radicalement en cause l’idée qu’elle s’est jusqu’alors faite de l’homme et des rapports humains ?

    Les Européens tiraillés entre sentiment d’usure et de fatalité 

    À supposer que nous surmontions ce blocage, et parvenions à mettre en évidence l’existence d’une sorte d’invariant culturel plus ou moins commun à la plupart des pays européens – une attitude commune face à la « formation » de l’homme nommée culture, dirais-je plutôt – en quoi la crise affectant depuis quelques décennies cette identité diffère-t-elle de celle d’hier ou d’avant-hier ? Car enfin, Nietzsche parlait déjà de crise dans le dernier quart du XIXe siècle, puis d’autres illustres penseurs après lui : Paul Valéry, Thomas Mann, José Ortega Y Gasset, Julien Benda, Georges Bernanos... Est-ce donc la même crise qui se poursuit – celle du nihilisme européen selon Nietzsche – ou en est-ce une autre qui lui succède ? Qu’est-ce d’ailleurs au juste qu’une crise ? Unesituation critique, à n’en pas douter, comme on le dit couramment de l’état d’un malade entre la vie et la mort. Mais si la crise où nous sommes englués paraît si difficile à juguler, c’est qu’elle présente un double visage, particulièrement déroutant pour les Européens qui y sont confrontés : une lente érosion, un épuisement sans réel espoir de guérison – une décadence, en somme – et dans le même temps la menace d’un effondrement, dramatique mais conjoncturel, comparable au fameux crack boursier de 1929 qui hante d’ailleurs les esprits. Aussi les Européens se sentent-ils tiraillés entre un sentiment d’usure et de fatalité lié à leur déjà longue histoire, et un constat d’impuissance face à un cataclysme probable qui n’atteindra certes pas qu’eux mais conforte d’ores et déjà leur résignation : si la crise est mondiale, comment une culture aussi fatiguée que la nôtre n’en ressortirait-elle pas encore plus amoindrie, encore plus ébranlée dans ses fondements déjà bien vacillants ?

        Les Européens que nous sommes tendent donc à oublier qu’une crise (krisis) – du verbe grec krino signifiant juger, comparer, choisir – est une suspension temporaire d’activité permettant un discernement plus aiguisé, plus avisé. N’est-ce pas parce que les Européens manquent aujourd’hui cruellement de discernement quant à leur propre destinée que l’idée même d’Europe est en crise ? S’il est bien une crise de l’identité culturelle européenne, c’est me semble-t-il d’abord une crise du jugement, de la faculté de juger pour parler comme Kant. Je n’en veux pour preuve que la surenchère médiatique associant désormais communément jugement et discrimination, au sens le plus injurieux du terme ; et glissant ensuite directement de la discrimination à la « stigmatisation » : un terme si fort, si chargé de réminiscences religieuses aussi, qu’il bloque immédiatement toute tentative pour tenter de juger, aussi sainement que possible il va sans dire, certaines attitudes individuelles ou situations collectives auxquelles personne ne trouve au demeurant de solution.

    S’enraciner dans autre chose qu’un idéal consumériste désormais mondialisé

    Maria-zambrano-malaga
    La philosophe espagnole Maria Zambrano (1904-1991).

    Ces questions préliminaires une fois posées, sans doute faut-il tenter de leur découvrir un premier dénominateur commun qui nous serve de repère : quand nous parlons de l’Europe et quand nous évoquons les dangers qui la menacent, de l’intérieur comme de l’extérieur, à quoi refusons-nous implicitement de renoncer ? Qu’est-ce qui, dans la vision que nous nous faisons de d’Europe, est pour nous de l’ordre de l’irrenonçable ? J’emprunte ce mot peu usité à la philosophe espagnole Maria Zambrano, auteur d’un bel essai intituléAgonie de l’Europe écrit en 1945 lors de son exil à La Havane où elle trouva refuge après avoir fui la dictature franquiste. Il est d’ailleurs probable que toute situation d’exil, surtout si elle est déterminée par le refus de l’intolérable, offre l’occasion de mieux percevoir cet « irrenonçable », et de circonscrire par là même le noyau identitaire auquel on s’est identifié de manière consciente ou inconsciente, et qui finit par devenir un point aveugle lorsqu’on vit au quotidien dans sa proximité.

        C’est en revenant en Europe après son exil américain que le héros du film de Lars von Trier (Europa, 1991) mesure l’ampleur de la confusion qui s’est emparée des esprits durant la période nazie, et qui s’est semble-t-il perpétuée depuis lors indépendamment du rejet du nazisme en tant qu’idéologie. C’est également lors de son exil, en Suisse où il a trouvé refuge après avoir été déchu de la nationalité allemande, que Thomas Mann rédige en 1936 son Avertissement à l’Europe : « La crise qui menace de nous faire retourner à la barbarie a ses racines dans la générosité aveugle de ce siècle » écrit-il, parlant du XIXesiècle3. Prononcé par un ardent défenseur de la culture, et de l’humanité partout où elle est menacée, ce constat vaut d’être médité. C’est à Londres enfin, où elle a rejoint la France Libre, que la philosophe Simone Weil écrit en 1943 ce livre inclassable qu’estL’enracinement – sous-titré « Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain – dont Albert Camus dira : « Il me paraît impossible en tout cas d’imaginer pour l’Europe une renaissance qui ne tienne pas compte des exigences que Simone Weil a définies dans L’enracinement4

        Osons donc poser la question: Où en sommes-nous aujourd’hui quant au droit imprescriptible des Européens à s’enraciner dans autre chose qu’un idéal consumériste désormais mondialisé, ou qu’un humanitarisme de bon ton mais déconnecté de la réalité ? Si tout penseur digne de ce nom doit être prêt à endurer l’expatriation, comme le montrent les exemples précités, cet exil semble en train de devenir intérieur pour nombre d’Européens en perte de repères, vacillant entre une « identité nationale » frappée de suspicion, et une identité supranationale qui n’est pour l’heure qu’un cache-misère abstrait puisque c’est sous la bannière de la société marchande que s’étend à l’échelle planétaire un déracinement humain généralisé, abusivement nommé « cosmopolitisme » au regard de ce que ce terme signifiait pour les Grecs : être le citoyen d’un monde qui soit à la fois un cosmos et une polis ! Jamais autant qu’aujourd’hui ne s’est donc imposée la nécessité de dépasser, par la culture justement, l’alternative stérile entre cosmopolitisme et enracinement dont les peuples sentent d’ailleurs d’instinct qu’en la leur imposant sur de telles bases, on leur ment.

    L’Europe, une catégorie de notre sensibilité 

    Car avant d’être l’entité géographique, politique et économique qui a tant de mal à se construire aujourd’hui, l’Europe me semble être devenue, grâce à la culture qu’elle nous a transmise justement, une catégorie de notre sensibilité ; autant dire qu’elle induit, par son existence dans nos esprits, un type de rapport à l’espace et au temps dont nous n’avons plus conscience, sauf en nous exilant, mais qui structure implicitement notre vision du monde, oriente nos activités et nous donne, ou du moins nous donnait jusqu’alors un horizon commun : une manière particulière de percevoir la relation du proche et du lointain, de l’intimité et de l’étrangeté, de l’intelligence et de la sensibilité. Et si nous savons bien que cette manière est elle-même très diversifiée selon les contrées pouvant toutes se dire « européennes », nous en connaissons les modulations principales et sommes capables de les décliner comme autant de tonalités restituant toutes leurs nuances à l’âme et à l’esprit européens. C’est d’ailleurs ainsi que les visiteurs étrangers perçoivent spontanément l’Europe, que ses proportions géographiques leur permettent d’entrevoir comme un tout magnifiquement proportionné, équilibré jusque dans ses contrastes les plus marqués.

        Ce regard porté sur l’Europe ne pourrait être aussi englobant s’il ne renvoyait à la source d’où il tire son unité, en dépit des diversités mentionnées ; et je me demande si on ne pourrait pas appliquer à l’Europe ce qu’Oswald Spengler disait du « symbole primaire » par quoi chaque culture éveille l’homme à lui-même à travers la conscience de son environnement spatial : « La première intuition de la profondeur est un acte de naissance psychique à côté de la naissance corporelle » affirmait-il en effet, qualifiant l’homme européen de « faustien » en raison de sa tension d’esprit « vers le lointain, vers l’au-delà, vers l’avenir »5, et pour tout dire vers l’infini. L’invention de la perspective géométrique aurait-elle revêtu en Europe une telle importance si l’esprit européen ne s’était reconnu, à partir du XVIe siècle tout au moins, dans cette reconfiguration du proche et du lointain ? Cela dit, je reste persuadée qu’une part non moins importante de l’héritage culturel européen n’a cessé de se démarquer de ce regard « faustien », aujourd’hui assumé par une hyper modernité devenue cosmopolite mais en décalage de plus en plus flagrant avec les préoccupations « de terrain » qui sont celles de la plupart des Européens. Comment construire l’Europe, ou au moins ne pas la détruire, sans devoir reconnaître dans cette tension entre deux types de regards le moteur même du génie créateur européen ?

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    Nouvelle Ecole n°59 consacré à Oswald Spengler

    Encore faut-il accepter l’idée qu’il n’y a pas d’homme-en-soi, hormis dans le cerveau surmené des idéologues, mais un façonnage culturel de l’humain ; et j’ai montré dans Des héritiers sans passécombien le génie européen semble avoir justement trouvé là une mesure à nulle autre pareille entre formation de la personnalité individuelle et ouverture à l’universel. Je pense même pouvoir dire, sans rien concéder à un déterminisme réducteur, qu’un tel sens de la mesure n’aurait probablement pu exister sous d’autres cieux, d’autres lumières, d’autres espaces que ceux du « petit cap du continent asiatique » (Valéry) nommé Europe. D’où ma question : L’Europe est-elle en train de perdre la mesure qui lui était propre, et avec elle l’équilibre que nous enviaient jusqu’alors les habitants des autres continents ? La perdre du fait du nivellement culturel imposé par la mondialisation d’une part, et de la saturation de ses capacités d’adaptation, d’assimilation, d’intégration. C’est donc bien le rapport du Même et de l’Autre qui est en train de se jouer en Europe, mais qu’adviendra-t-il de l’altérité si elle ne trouve plus aucun pôle de référence à peu près stable par rapport à quoi se situer ?

    Personne ne songerait cependant à contester que l’Europe, telle que nous la connaissons aujourd’hui, s’est pour une part au moins façonnée à partir d’éléments étrangers qu’elle a su assimiler, transformer, incorporer à une réalité culturelle nouvelle en constante évolution.

        Paul Valéry en dénombrait trois principaux –grec, romain et chrétien– et voyait en eux les repères permettant de distinguer ce qui est européen et ce qui ne l’est pas : « Toute race et toute terre qui a été successivement romanisée, christianisée et soumise, quant à l’esprit, à la discipline des Grecs, est absolument européenne », disait-il 7. Partageons-nous encore une telle certitude, par ailleurs fondée sur la souveraineté reconnue à l’esprit ? Une souveraineté faite d’indépendance, d’insoumission mais aussi d’inquiétude ; d’une insatisfaction permanente et d’une volonté de puissance pouvant aller jusqu’à la violence : un « idéalisme héroïque », disait Maria Zambrano. Quoi qu’il en soit, les critères selon lesquels définir l’esprit en ce qu’il a d’européen paraissaient relativement précis à Paul Valéry et à nombre de ses contemporains, car indéniables historiquement et culturellement parlant. C’est aussi pourquoi son analyse de la « crise de l’esprit » pouvait s’adosser à ces certitudes, et nous paraît rétrospectivement d’une lumineuse clarté au regard des verdicts hasardeux et souvent résignés qu’on nous impose aujourd’hui quant au destin européen : l’Europe aurait fait son temps, et serait de surcroît responsable de son propre déclin.

        Loin de moi la pensée de classer dans cette catégorie l’ouvrage de Rémi BragueEurope, la voie romaine (1992), qui toutefois ne me convainc pas en tous points. Reprenant à son compte la triple origine de la culture européenne énoncée par Valéry, Brague tend en effet à privilégier la « romanité » comme si c’était elle qui avait couronné les deux autres influences et véritablement unifié ce que nous appelons aujourd’hui l’Europe. Mais il est un autre aspect de son analyse qui concerne encore davantage les Européens d’aujourd’hui en ce qu’il les dépossède de toute identité autre que celle, paradoxale, de tenir d’ailleurs ce qui leur semble à tort le plus propre; comme si l’Europe n’était finalement et n’avait jamais été qu’un laboratoire de transformation des particularités en universalité, à quoi tout être humain pourrait dès lors prétendre accéder. Ce qui est vrai pour les sciences ou le droit – pensons aux fameux Droits de l’Homme ! – l’est-il pour cette réalité infiniment plus large et complexe qu’on nomme « culture » ?

    Reconnaître  à tout individu et à tout peuple le droit légitime de s’identifier

     Si l’Europe a fait montre au cours de son histoire de ses exceptionnelles capacités d’assimilation, et si elle a incontestablement fabriqué, à partir d’apports étrangers, une universalité offerte en modèle à l’humanité, elle a aussi façonné, en travaillant la terre, des paysages d’une extrême diversité, construit des édifices d’une stupéfiante beauté, et su se donner un art de vivre qui n’appartient qu’à elle même s’il n’a aucun titre à se dire supérieur aux modes de vie pratiqués ailleurs : « Le nom d’Europe désigne une région du monde dans laquelle, d’une manière indiscutablement singulière, on s’est interrogé sur la vérité et la qualité de la vie », écrit Peter Sloterdijk8. Je rejoins donc sur ce point Valéry s’interrogeant : « Mais l’Esprit européen, – ou du moins ce qu’il contient de plus précieux, – est-il totalement diffusible ? »9

        À cela je réponds non, car c’est aussi ce quelque chose d’irréductible que viennent chercher en Europe ceux qui, n’étant pas Européens, se comportent en amis sincères de l’européanité. Je refuse donc l’idée, devenue suicidaire dans le contexte actuel, selon laquelle l’Europe ne pourrait être définie que par l’extériorité qui l’aurait constituée, et vers laquelle elle devrait indéfiniment se tourner afin de restituer ce qui lui a été donné : « La culture européenne ne peut en effet jamais être « la mienne », puisqu’elle n’est rien d’autre que le chemin qui mène à une source étrangère », conclut Rémi Brague10. L’Europe est-elle d’ailleurs la seule, parmi d’autres confédérations, à s’être à ce point endettée culturellement qu’elle ne puisse prétendre faire « siens » ces apports étrangers ? C’est tout le processus de culture qui risque d’être frappé de stérilité si l’on ne reconnaît pas à tout individu et à tout peuple le droit légitime de s’identifier, grâce à l’effort des générations successives, à ce qu’il est parvenu à « s’approprier », sans que ce terme soit forcément assorti de connotations péjoratives ou dangereusement possessives. C’est peut-être même dans ce tour de force que s’est le mieux exprimé, aux moments les plus féconds de son histoire, le génie européen : faire de la culture des spécificités – locales, territoriales, climatiques, psychologiques – le tremplin d’une formidable réflexion sur l’homme, qui n’accède jamais à l’universel sans d’être auparavant affiné, cultivé, dans les limites de ce que le destin lui a donné en partage mais à quoi la culture lui permettra aussi de ne pas rester inféodé.

        S’il est néanmoins si difficile de définir ce qu’est au juste l’identité culturelle européenne autrement qu’en référence à ce double vecteur extériorité / universalité, c’est aussi que l’Europe a été le fer de lance de la rupture avec le passé effectuée au nom de cet idéal aux arêtes vives mais aux contours incertains nommé « modernité ». C’est en effet au « monde moderne » que l’on est tenté d’identifier l’Europe, exportant aux quatre coins de la planète cet idéal de vie et de pensée que rejettent aujourd’hui nombre de peuples non-européens soucieux, justement, de préserver leur identité et prêts, pour cela, à jouer la carte de la tradition contre celle de la modernité. Aussi faudrait-il se demander jusqu’à quel point l’Europe actuelle s’identifie encore avec la modernité qu’elle a inventée et largement exportée. Un décalage se fait à mon sens d’ores et déjà sentir entre l’image qu’on lui renvoie à ce propos d’elle-même et l’état présent de sa réflexion, pour une part au moins engagée au nom du vieil idéal de lucidité et de culture qui fait tout autant partie de son patrimoine que l’exportation de l’universel. C’est à ce que cet idéal ne s’étiole pas que les derniers Européens cultivés devraient veiller.

    Se défaire de la rengaine fataliste qu’on nous assène quotidiennement 

    Être Européen n’est en tout cas plus la manière exemplaire d’être moderne, postmoderne ou hypermoderne comme on voudra. D’autres contrées ont pris le relais, et la cote des œuvres d’art contemporain se décide désormais à New York ou à Shanghai plutôt qu’à Paris. Mais au lieu de déplorer que l’Europe soit désormais « dépassée » par le mouvement novateur qu’elle a elle-même initié, mieux vaudrait se demander si, méditant comme elle le fait depuis plus d’un siècle sur sa « décadence » réelle ou supposée, elle n’a pas pris une longueur d’avance en terme non plus de modernité, mais de maturité. Qui sait si le dernier défi en date qu’elle est capable de se lancer à elle-même – et le dernier avatar de la « crise de l’esprit » analysée par Valéry – se sera pas de profiter de la crise qui la met apparemment sur la touche pour repenser les fondements de la posture à laquelle on l’a identifiée: qu’on la nomme «regard transcendantal » comme Jean-François Mattéi, ou « mytho-motricité » comme Peter Sloterdijk.

        J’en reviens donc à la question : y a-t-il ou non continuité entre la crise d’hier, telle qu’elle a été décrite avec une belle unanimité par la plupart des grands penseurs européens dans l’entre-deux-Guerres, et celle d’aujourd’hui dont on nous dit qu’elle confirme le déclin inéluctable de l’Europe ? La réponse ne peut qu’être nuancée, vous vous en doutez. La continuité est frappante dès qu’on s’intéresse de plus près à certaines des manifestations de la « crise de l’esprit » si remarquablement décrite par Valéry, qui tend d’ailleurs à y voir l’expression même de la modernité : « L’homme moderne s’enivre de dissipation » écrivait-il en 1932, rendant d’ores et déjà perceptible ce qui saute aujourd’hui aux yeux : que l’homme moderne voue en effet un culte idolâtre à « l’énergie », quitte à en être intoxiqué et à bientôt ressentir la très paradoxale « monotonie de la nouveauté »11. Entrons plus avant dans les détails, et la continuité devient encore plus parlante : détérioration du rapport au langage, dispersion, désordre mental, futilité des préoccupations... Quand Jan Huizinga forge dans les années 1930, pour décrire cette situation nouvelle, le terme de « puérilisme »12, on croit déjà entendre Philippe Murray décrivant Festivus Festivus au cours de ses entretiens avec Élisabeth Lévy. Lorsque Maria Zambrano constate l’émergence d’une nouvelle attitude de l’Européen et parle à ce propos de « servilité devant les faits, les faits atomisés », l’écho est immédiat dans la rengaine fataliste qu’on nous assène quotidiennement : Que faire ? On n’y peut rien... et d’ailleurs il en a toujours été ainsi, etc.

        Quand Valéry déplore que l’école soit concurrencée par trop de sources de savoir pour conserver son autorité, c’est la situation catastrophique des établissements scolaires français qui nous semble décrite et c’est, plus largement, la débâcle culturelle actuelle qui déjà se profile dans certaines de ses prémisses, énoncées par Thomas Mann : « Les jeunes ignorent la culture dans son sens le plus élevé, le plus profond. Ils ignorent ce qu’est travailler à soi- même. Ils ne savent plus rien de la responsabilité individuelle, et trouvent toutes leurs commodités dans la vie collective. La vie collective, comparée à la vie individuelle, est la sphère de la facilité. Facilité qui va jusqu’aux pires abandons. Cette génération ne désire que prendre congé à jamais de son propre moi. Ce qu’elle veut, ce qu’elle aime, c’est l’ivresse »13. Tout semble donc prêt, dès les années 1930, pour accueillir les « réseaux sociaux » dans les mailles desquels des millions d’adolescents dilapident aujourd’hui leur temps, leur concentration d’esprit, leur santé et leur réputation parfois.

        Que de différences pourtant sous d’indéniables continuités entre hier et aujourd’hui ! On pensait en effet dans l’entre-deux-Guerres pouvoir imputer la crise de la conscience et de la culture européennes à la montée en puissance des masses, animées par une aspiration légitime à la culture ne pouvant que fragiliser l’image élitiste qu’on s’en était jusqu’alors faite. On aimerait donc savoir si l’inquiétude des grands penseurs européens face à ce phénomène n’était qu’un préjugé de classe, fort heureusement surmonté par la démocratisation de la culture ; et surtout ce qu’il est advenu des masses, passées semble-t-il à la trappe en même temps que d’autres réalités jugées depuis lors inexistantes ou infâmantes. Le terme lui-même ne faisait-il donc qu’exprimer le désarroi éprouvé par les élites face à cette onde de choc qu’est la « révolte des masses » (Ortega Y Gasset) ? En bref, s’agit-il là d’une défaite définitive de la culture dont les aspirations les plus hautes seraient devenues inaccessibles au plus grand nombre, ou tout au contraire d’une élévation si incontestable du niveau général des esprits que la référence aux masses deviendrait quasiment injurieuse ?

    Que les Européens retrouvent confiance en leur destin commun

    Mais il y a plus grave, plus décisif aussi quant à une éventuelle sortie de crise. Il y a la confiance que l’on mettait encore, au début du XXe siècle, dans les ressources inépuisables de l’esprit alors même qu’on le savait en crise, en Europe tout au moins. Ce qui est manifeste dans les proclamations de Valéry est tout aussi présent, ou au moins sous-jacent, chez les penseurs qui lui sont contemporains : l’esprit ne saurait vraiment décliner, et encore moins mourir. Les convulsions qui sont présentement les siennes attestent d’une vie qui lui est propre et qui inclut cette lutte intestine, ces contradictions intimes, cette mésentente de soi à soi dont le Journal de Gide est l’éclatant témoignage, parmi d’autres documents d’époque. Ni le « désordre de notre époque mentale » sur quoi insiste tant Valéry, ni la confusion et la démoralisation qui s’ensuivent ne sauraient entamer la certitude que l’esprit régénère et finalement guérit ce qu’il a détruit. C’est donc l’époque tout entière qui, dira Thomas Mann, se trouve « prise dans les douleurs de la transition »14. Une époque en train d’accoucher du futur, en somme, mais d’un futur qui, étant radicalement nouveau suppose-t-on, aggrave les douleurs ordinaires de l’enfantement.

        D’où le recours à des métaphores à première vue surprenantes, et qu’on croyait d’un autre âge : celle du phénix renaissant de ses cendres par exemple, par quoi Husserl clôt sa méditation sur « La crise des sciences européennes et la philosophie » (1936) ; ou celle, plus parlante encore, utilisée par Valéry à propos des pouvoirs quasi miraculeux de l’esprit : « Il est une véritable pierre philosophale, un agent de transmutation de toutes choses matérielles et spirituelles. »15 Qui oserait encore parler ainsi ? On mesure alors tout ce qui sépare l’Europe actuelle de cette vision à la fois très lucide et très créatrice de la vie de l’esprit, sous-tendant toutes les autres opérations par quoi se régénère au jour le jour une culture : le travail, les liens sociaux, l’idée qu’une collectivité se fait de son avenir commun, etc. Pour avoir été le « continent-mère de la modernité », comme dit Sloterdijk ; et pour avoir été le laboratoire où la vie de l’esprit a connu ses tourments les plus sombres, l’Europe ne pourrait-elle se montrer capable de vivre son apparent déclin comme le signe avant-coureur d’une nouvelle métamorphose ? En quoi cette vérité d’hier se pourrait-elle être celle de demain, si tant est que les Européens retrouvent confiance en leur destin commun ?

        Toute situation de crise a il est vrai ceci de dangereux, surtout si elle s’éternise, qu’elle anesthésie, émousse jour après jour le désir d’en sortir. Si la crise actuelle est aussi grave – je ne parle pas seulement de sa dimension économique, mais de la passivité désenchantée qu’elle suscite dans les esprits – c’est qu’elle ne peut plus être perçue comme une difficile mais prometteuse transition car personne n’est capable d’indiquer vers quoi pourrait avoir lieu ce transit. En bref, quand c’est l’idéologie moderniste du progrès qui fait faillite, à qui fera-t-on croire qu’on ne s’achemine pas, de crise en crise, vers une inéluctable régression ? La plus grosse difficulté est pourtant là : dans la capacité des Européens à reconvertir cette relative faillite en transition, non pas vers le même projet, retrouvant comme par miracle un second souffle, mais vers une réappropriation de ce qui, dans l’héritage culturel européen, permettrait la métamorphose envisagée par Nietzsche : « L’Europe est une malade qui doit une suprême reconnaissance à son incurabilité et à l’éternelle métamorphose de sa souffrance: ces situations, ces dangers, ces douleurs et ces expédients par leur renouvellement incessant ont fini par provoquer cette irascibilité intellectuelle qui est presque autant que du génie, et en tout cas la mère de tout génie. »16

    Schiller ou le bréviaire de l’Européen cultivé de demain

    Il ne s’agirait plus en tout cas pour l’Europe d’être à tout prix « moderne » puisque d’autres pays ont pris le relais et vivent à leur tour cette crise d’adolescence de l’esprit, de plus en plus risquée d’ailleurs puisqu’on sait moins que jamais jusqu’où l’appétit de nouveauté propre aux Temps modernes va conduire l’humanité enrôlée sous sa bannière. S’agit-il même encore, pour l’Europe actuelle, d’exporter l’universel? Des instances internationales sont désormais là pour ça, du moins en principe, qui auront tôt ou tard à s’interroger sur la meilleure manière de gérer, à l’échelle planétaire, la remontée des particularismes culturels et le refus, clairement affiché par certains peuples, de vivre sous la loi d’une universalité qui ferait implicitement d’eux des « Européens ». Peut-être le temps est- il donc venu pour l’Europe de prendre au mot ou au moins à demi-mot ceux qui la disent « vieille », et d’assumer la vertu de sagesse reconnue par la vox populi à la vieillesse.

        Disant cela, je ne pense pas seulement au rôle d’arbitre, de conseillère avisée qu’on pourrait être tenté de lui faire jouer tant en raison de sa vieillesse présumée que du sens de la mesure caractérisant les périodes les plus florissantes de sa culture. Je pense à une attitude plus exemplaire encore qui concerne son rapport au passé et à ce patrimoine d’une exceptionnelle diversité, et qualité, que tout être humain sur cette terre aurait désormais le droit de s’approprier sauf...les Européens eux-mêmes, tout juste promus au rang de gardiens de musée, voire de guides touristiques pour clients étrangers fortunés. C’est le rapport des Européens à leur propre culture qui est en crise puisque, tandis qu’on « muséifie » de manière extrêmement professionnelle le patrimoine, le rendant ainsi accessible à tout un chacun, on s’emploie à en relativiser à tout prix la portée culturelle et plus encore spirituelle susceptible de toucher un public plus spécifiquement européen.

        Cherchant à définir l’esprit européen, Paul Claudel disait qu’il se caractérise par « un état général d’alerte et de mobilisation des cœurs et des esprits » 17. Une telle mobilisation a longtemps répondu à l’appel de la surenchère progressiste – toujours au-delà, encore davantage – exaltant cette vertu moderne par excellence qu’est la curiosité s’esprit. Il est donc grand temps – et ce sera ma conclusion – que les Européens réapprennent, sans mauvaise conscience, à se réapproprier leur propre culture qui n’inclut pas seulement, vous l’aurez compris, les œuvres de grande valeur conservées dans les musées d’Europe mais un savoir-faire et un savoir-être au quotidien dont la perte ferait de nous à la fois des sauvages et des barbares, pour reprendre une distinction de Schiller dont les Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme (1785) mériteraient à cet égard de redevenir le bréviaire de l’Européen cultivé de demain.

    Françoise Bonardel
    Colloque Europe-marché ou Europe-Puissance 26 avril 2014

    1. Peter Sloterdijk, Si l’Europe s’éveille, trad. O. Mannoni, Paris, Mille et une nuits, 2003, p. 31.

    2. Jean-François Mattéi, Le regard vide, Paris, Fayard, 2007, p. 262.

    3. Thomas Mann, Avertissement à l’Europe, op. cit., p. 33.

    4. Albert Camus dans Simone Weil, Œuvres, Paris, Gallimard (« Quarto »), 1999, p. 1264.

    5. Oswald Spengler, Le Déclin de l’Occident, trad. M. Tazerout, Paris, Gallimard, 1948, t.1, p. 172, 174.

    6. Paru aux Éditions de la Transparence en mars 2010.

    7. Paul Valéry, « La crise de l’esprit », Variété I et II, Paris, Gallimard (« Folio essais »), 1998, p. 50.

    8. Peter Sloterdijk, Si l’Europe s’éveille, op. cit., p. 88-89.

    9. Paul Valéry, op. cit, p. 30.

    10. Rémi Brague, Europe, la voie romaine, Paris, Gallimard (« Folio essais »), 1999, p. 173.

    11. Paul Valéry, « Le bilan de l’intelligence », Variété III, Paris, Gallimard (« Folio essais »), 1963, p. 282, 302.

    12. Johan Huizinga, Incertitudes, trad. J. Roebroek, Paris, Librairie de Médicis, 1939, p. 168-180.

    13. Thomas Mann, Avertissement à l’Europe, op. cit., p. 30.

    14. Thomas Mann, Être écrivain allemand à notre époque, trad. D. Daun, Paris, Gallimard (« Arcades »), 1996, p. 225.

    15. Paul Valéry, « La politique de l’esprit », Variété III, op. cit., p. 218.

    16. Friedrich Nietzsche, Œuvres philosophiques complètes t. V, Le Gai Savoir, trad. P. Klossowski, Paris, Gallimard, 1982, p. 75 (§ 24).

    17. Paul Claudel, « L’esprit européen », Œuvres en prose, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1965, p. 1310. 

  • Le socialiste marxiste Paul Lensch, théoricien de la Nation comme sujet actif du progrès historique

    Drei Jahre Weltrevolution [Trois ans de Révolution mondiale] : tel était le titre d’une publication due à la plume d’un député social-démocrate (SPD) du Reichstag, Paul Lensch, parue lors de la troisième année de la Grande Guerre. Cette publication constituait le troisième volet d’une trilogie, dont la première partie était sortie de presse en 1915, sous le titre de Die deutsche Sozialdemokratie und der Weltkrieg [La social-démocratie allemande et la Guerre mondiale], et dont la seconde partie, intitulée Die Sozialdemokratie, ihr Ende und ihr Glück [La social-démocratie, sa fin et sa chance], avait été publiée en 1916. Cette trilogie a été suivie, à la fin du conflit, par une autre brochure, dont le titre était Am Ausgang der deutschen Sozialdemokratie [Quand vient la fin de la social-démocratie allemande]. La lecture de cette trilogie et de cette brochure est fascinante, indépendamment du fait qu’il faille toujours étudier en toute autonomie les sources directes, sans passer sous les fourches caudines de la tutelle que veulent exercer les professionnels orwelliens de la correction systématique du passé. L’œuvre de Lensch nous montre comment un marxiste internationaliste devient un socialiste national, tout en conservant son mode d’argumentation de mouture marxiste. Si bien qu’il est possible de le considérer comme un précurseur du mouvement qui s’appelera —ce n’est évidemment pas un hasard— “national-socialiste”.

    Paul Lensch appartenait à l’aile gauche de la SPD, c’est-à-dire à une minorité de la fraction social-démocrate du Reichstag, qui avait pour intention première de refuser de voter les crédits de guerre, qui voulait donner à la gestion allemande de la belligérance une légitimité démocratique. Dans ce contexte toutefois, Lensch va rapidement opérer un changement, comme on pouvait le prévoir pour tout le courant révisionniste de gauche au sein du parti, courant que le politologue Abraham Ascher nommera les “radical imperialists” au sein de la SPD.

    L’argumentation des “révisionnistes de gauche”, dont Lensch, repose sur la théorie de l’impérialisme de Lénine. En réfléchissant à la substance des écrits de Lénine sur l’impérialisme, ce courant de gauche au sein de la SPD allemande en est venu à constater que l’Empire allemand, grâce à l’action politique des socialistes au cours des décennies qui ont précédé 1914, est un Etat progressiste, à la pointe du progrès social. Dans ce contexte, l’Allemagne de Guillaume II a une mission historique, estiment-ils : celle de mener à bien la révolution socialiste contre l’impérialisme mondialiste britannique. Lensch et ses camarades constatent, en partant de leur point de vue léniniste, que le service militaire généralisé, l’obligation de scolarité et les institutions démocratiques allemandes, sanctionnées par le suffrage universel qui permet à tous d’élire les députés du Reichstag, ont émancipé la classe ouvrière allemande bien plus que ses homologues dans le reste du monde. Le progrès a donc, à leurs yeux, été réalisé de manière bien plus complète en Allemagne qu’ailleurs.

    L’émancipation ouvrière, amorcée sous le Reich de Bismarck, amènera la fin de la lutte des classes, comme l’annonce clairement l’émergence de facto d’une communauté populaire de combat, ainsi que l’attestent les événements vécus d’août 1914, où l’on a vu s’opérer la fusion du nationalisme et du socialisme. Ces événements ont nettement prouvé que la social-démocratisation de la vie politique allemande avant 1914 a induit une nationalisation de la classe ouvrière allemande.

    La guerre mondiale, dans cette perspective, correspond bien à ce qu’avait prophétisé Marx, qui voyait en la guerre la sage-femme qui allait accoucher de la révolution, et même de la révolution mondiale. Se souvenant des écrits de Marx dans les années 1840-1850, Lensch et ses amis constate aussi que la guerre mondiale en cours va unir définitivement l’Allemagne et l’Autriche, même si les questions constitutionnelles n’étaient pas encore envisagées ; la guerre allait accoucher d’un Empire grand-allemand et réalisé de la sorte le rêve des révolutionnaires démocratiques de 1848. En outre, toujours selon la même logique tirée des écrits de Marx, la guerre mondiale en cours est la suite normale de la guerre d’unification de 1871.

    Dans la mesure où l’Allemagne de 1914 affronte la Russie tsariste, le rêve de Karl Marx se réalise : une guerre révolutionnaire contre la Russie réactionnaire a enfin commencé! Celle-ci n’avait pas pu encore être détruite, pensent Lensch et ses camarades socialistes de gauche, parce que la situation de l’Allemagne était telle qu’elle devait tenir compte des intérêts russes. La victoire sur la Russie tsariste, pense Lensch, permettra aux socialistes allemands de vaincre l’“Angleterre intérieure”, représentée, à ses yeux, par les Junker prussiens (on s’étonne de constater que la liberté d’expression était largement accordée dans l’Empire allemand, même en pleine guerre!). Les Junker, en effet, veulent conserver un suffrage censitaire en Prusse, ce qui empêche la constitution d’une communauté populaire véritablement démocratique, donc national(ist)e. Vu les fortes positions de la social-démocratie en Allemagne, une victoire allemande dans la guerre en cours signifierait une victoire de la théorie marxiste, surtout vis-à-vis des partis socialites étrangers, dont les orientations politiques et sociales étaient nettement moins déterminées par l’œuvre de Marx. Pour Lensch, l’enjeu historique primordial de la guerre mondiale en cours était la lutte entre une Allemagne socialiste et le libéralisme britannique. Si celui-ci gagne la partie, le capitalisme organisé règnera sur le monde. C’est pourquoi le socialisme qui dépasse la lutte des classes est une forme d’organisation sociale supérieure qui conduira à l’émergence d’une véritable communauté populaire, qui devra rendre impossible le règne du capitalisme total à l’anglaise.

    Au cœur de tous ses écrits, Lensch critique les positions pro-britanniques que prennent bon nombre de sociaux-démocrates. En ce sens, ses textes restent intéressants pour comprendre la critique récurrente de la politique anglaise. Ils méritent d’être encore lus et relus sous cet angle. En avançant ses arguments, Lensch applique avec pertinence à la politique étrangère les catégories conceptuelles forgées par Karl Marx et Friedrich Engels sur la lutte des classes, où l’Angleterre apparaît comme la puissance exploitrice et réactionnaire par excellence,dont l’immense empire doit être conduit à l’effondrement par la guerre mondiale qui, de fait, est une révolution mondiale.

    Quand l’Allemagne perd finalement la partie, Lensch retombe sur les pattes, à sa manière. Il revient à l’anglophilie social-démocrate, qu’il avait pourtant critiquée. Sous la pression de la guerre mondiale, l’Angleterre avait changé, pensait-il. En politique intérieure, elle avait adopté les principes allemands du capitalisme organisé ; elle avait décrété le service militaire obligatoire, qui est d’essence démocratique ; elle était ainsi, à son tour, devenue une puissance progressiste. Malgré ces concessions positives, Lensch développe toutefois, dans son argumentation théorique d’après 1918, un point négatif, sur le plan de sa théorie générale du progrès : la victoire anglaise a certes porté la SPD au pouvoir sans partage, ce qui permettait d’ouvrir sans obstacle la voix au socialisme, mais elle avait simultanément détruit en Allemagne les éléments concrets qui en faisaient un pays totalement progressiste, dans une perspective marxiste. Pour réaliser un véritable socialisme, expliquait Lensch après 1918, il aurait fallu conserver l’armée prussienne-allemande et le gouvernement des fonctionnaires non partisans pour enrayer les tendances ploutocratiques du parlementarisme.

    Les conditions dictées par le Traité de Versailles sanctionnent la victoire du capitalisme réactionnaire, ce qui, pour Lensch, implique, à l’évidence, qu’il faut dorénavant transposer les catégories marxistes de la lutte des classes dans la sphère de la politique internationale, de manière à penser la situation globale de manière féconde. Malgré les résultats contradictoires de la guerre mondiale, Lensch continuait à penser que l’Allemagne conservait son rôle de puissance sociale-révolutionnaire, dont l’importance était capitale, était d’une importance cruciale pour l’histoire future du monde. Elle pouvait d’autant mieux le jouer que la social-démocratie était victorieuse sur le plan intérieur et que la réaction avait été mise hors jeu. La “mascarade monarchique” avait disparu, ce qui rendait plus visible encore la disparition du facteur “réaction”. Pour pouvoir mener à bien cette lutte des classes au niveau international, il fallait d’abord, pensait Lensch, poursuivre la lutte des classes à l’intérieur, c’est-à-dire maintenir à flot cette idée concrète de communauté populaire, comme en août 1914.

    Au fil des arguments avancés par Lensch, on constate, chez lui comme chez d’autres révisionnistes de gauche de l’époque, tel l’Italien Benito Mussolini, que la nation active, finalement, prend la place de la classe ouvrière en tant que sujet agissant du progrès historique. Il convient dès lors de mener une lutte internationale de libération contre le nouvel ordre imposé à Versailles, ce qui revient à poursuivre la guerre qui fut une révolution mondiale et à préparer une deuxième guerre, dès que la lutte des classes sur le front intérieur aura été parachevée sous l’égide d’un socialisme porté par un chef charismatique.

    Paul Lensch fut pendant la “révolution de Novembre”, c’est-à-dire pendant les troubles qui ont immédiatement suivi l’armistice du 11 novembre 1918, l’intermédiaire entre les députés du peuple et l’état-major général des armées. Plus tard, il ne trouva pas de majorité au sein de la SPD pour appuyer ses projets révolutionnaires. En 1922, parce qu’il a coopéré à la neutralisation de la révolte spartakiste, il est exclu de la SPD. Son destin nous oblige toutefois à poser un question importante, dans le contexte du sort que l’on fait subir à la vérité historique en RFA aujourd’hui : n’était-ce qu’une foucade polémique de Crispien, porte-paroles de l’USPD pré-communiste et dissidente de la SPD jugée trop fade, d’avoir utilisé le vocable de “national-socialiste” pour désigner cette SPD majoritaire, après l’élimination du spartakisme? La paternité du vocable ne revient pas à ce Crispien ; le terme a été utilisé pour la première fois en 1897 par les dissidents de la social-démocratie austro-hongroise dans l’espace tchèque (Bohème et Moravie) qui ont nommé leur parti Ceskoslovenska strana narodnescosocialisticka, soit “Parti national-socialiste tchécoslovaque”. En 1903, en réaction à la création de cette formation nationale-socialiste tchécoslovaque, les socialistes allemands de la région des Sudètes fondent un Deutsche Arbeiterpartei , soit un “Parti ouvrier allemand”, qui sera débaptisé en 1918 pour se nommer “Deutsche National-sozialistische Arbeiterpartei” [Parti ouvrier national-socialiste allemand], qui anticipera directement la NSDAP hitlérienne.

    L’itinéraire personnel de Paul Lensch, député socialiste du Reichstag, explique pourquoi les figures de proue du socialisme allemand d’après 1945, tels Kurt Schumacher, qui fut Président de la SPD, ou Johann Plenge, n’ont jamais cessé de dire que l’émergence du national-socialisme n’a été possible qu’à cause de l’existence préalable du socialisme. Il existe donc bel et bien une évolution logique qui partirait du socialisme marxiste pour aboutir au national-socialisme. Cette évolution n’est pas purement dialectique, mais organique. Elle a été rendue possible en Allemagne après 1918, à cause des conditions trop contraingnantes du Traité de Versailles, qui ont obligé l’Allemagne vaincue à suivre une voie propre, particulière, que l’on ne peut comparer à celles des pays voisins.

    Analyser les écrits de Paul Lensch, examiner le développement successif de sa vision politique, nous permet de mieux comprendre aujourd’hui quel a été le contexte idéologique et intellectuel purement socialiste —et marxiste-léniniste— dans lequel a émergé le national-socialisme allemand.

    Josef SCHÜSSLBURNER.

    (article tiré de Junge Freiheit, n°5/1998).

    http://vouloir.hautetfort.com/archive/2014/04/23/paul-lensch.html

  • Entretien avec Aude Mirkovic, spécialiste du droit de la famille

    Priver un enfant de son père (PMA) ou de sa mère (GPA) est une maltraitance !

    Gabrielle Cluzel – Aude Mirkovic, vous êtes porte-parole de l’association « Juristes pour l’enfance ». Que vous inspire le jugement rendu il y a quelques jours par le tribunal de grande instance de Versailles, refusant l’adoption d’un enfant né par PMA à l’étranger par la conjointe de sa mère biologique ?

    Aude Mirkovic – Le tribunal n’a fait qu’appliquer le droit. En effet, l’adoption vise à réparer le fait qu’un enfant a été privé de ses parents biologiques ou de l’un d’eux en le confiant à des parents adoptifs. Au contraire, le priver délibérément de son père pour le rendre adoptable réalise un détournement de l’adoption, ce que la justice française refuse, y compris d’ailleurs lorsque l’adoption est ensuite demandée au sein d’un couple homme/femme. Or, les femmes qui vont en Belgique, en fraude à la loi française, se faire inséminer par un inconnu planifient la conception d’un enfant privé de père, de manière à ce qu’il soit adoptable. Le droit français refuse de valider ce bricolage procréatif qui constitue une grave injustice envers l’enfant.

    GC – On apprend que de telles adoptions ont déjà été prononcées. Doit-on en déduire que, quoi qu’en dise le gouvernement, la PMA pour les femmes est, sinon légale, du moins déjà tolérée en France 

    AM – Les tribunaux qui ont prononcé l’adoption d’un enfant délibérément rendu adoptable se sont rendus complices d’un dévoiement de l’adoption, au mépris du droit. Il est incompréhensible que les procureurs n’aient pas formé de pourvoi devant la Cour de cassation, ce qui manifeste la complicité et la duplicité du gouvernement sur le sujet. Le peuple français refuse que la loi organise la fabrication d’enfants sans père. Le gouvernement craint le peuple et fait mine de reculer sur ce point, mais il attend visiblement d’être mis devant le fait accompli lorsqu’il cautionne le contournement de la loi française à l’étranger

    GC – En refusant l’adoption, est-ce que la justice ne sanctionne pas l’enfant ?

    AM – Au contraire, le seul moyen de protéger les enfants – qui ne sont pas fautifs, les pauvres ! – est de refuser l’adoption demandée. En effet, le préjudice principal infligé à l’enfant est d’avoir été privé délibérément et définitivement de son père. Or, l’adoption par la conjointe de sa mère ne réparera pas cela car elle ne restituera pas son père à l’enfant. Au contraire, faire comme si de rien n’était reviendrait à nier ce préjudice, empêchant d’autres femmes tentées par ces techniques de mesurer le dommage ainsi causé à l’enfant. Prononcer cette adoption serait un encouragement à multiplier le nombre d’enfants délibérément amputés de leur lignée paternelle pour pouvoir être adoptés. La loi multiplie les efforts pour assurer le maintien des liens entre l’enfant et ses deux parents en cas de séparation, surtout avec son père. Ce n’est pas pour permettre, par ailleurs, de fabriquer des enfants sans père.

    GC – Lors de son entrevue avec la délégation LMPT, Laurence Rossignol, secrétaire d’État à la Famille, aurait affirmé ne pas être au courant de la promotion de la GPA faite par des cliniques américaines sur le sol français. Il faudrait peut-être lui offrir une télévision, ou au moins un abonnement à un journal, car les médias ont publié de nombreuses enquêtes sur le sujet, non ?

    AM – Il est effectivement invraisemblable que le ministre de la Famille ignore que des sociétés étrangères viennent en France proposer les services de gestatrices américaines, alors que le gouvernement a été interpellé à ce sujet par des parlementaires, et qu’une plainte, largement médiatisée, a été déposée par notre association et a donné lieu à l’ouverture d’une enquête. Cette prétendue ignorance révèle l’inertie du gouvernement à lutter contre cette pratique, alors qu’elle consiste à acheter à une femme l’abandon de son enfant, c’est-à-dire à acheter un enfant, tout simplement. La circulaire Taubira de janvier dernier, qui ordonne aux greffiers de délivrer les certificats de nationalité française aux enfants nés de ces pratiques, manifestait déjà la complicité du gouvernement. Heureusement, la Cour de cassation refuse de fermer les yeux en cas de recours à la GPA à l’étranger, mais cela n’est pas suffisant : priver délibérément un enfant de son père (PMA) ou de sa mère (GPA) pour le rendre adoptable devrait être sanctionné car c’est une maltraitance à l’égard des enfants concernés. Le fait qu’ils soient ensuite aimés et choyés ne change rien et ne réparera jamais l’injustice qui consiste à les priver de leur père ou de leur mère.

    Entretien réalisé par Gabrielle Cluzel, 4/05/2013

    Source : Boulevard Voltaire.fr

    http://www.polemia.com/entretien-avec-aude-mirkovic-specialiste-du-droit-de-la-famille/

  • Conférence Dextra : L'anatomie de la sécurité

    SECURITE OR.jpg

    Nicolas Pralude blogueur sur oragesdacier va nous parler de la sécurité et de la paradoxale insécurité.

    http://www.oragesdacier.info/2014/05/conference-dextra-lanatomie-de-la.html

  • Robert Kagan, Charles Krauthammer et Victor D. Hanson, théoriciens actuels de l’impérialisme américain Francesco Dragosei

    Les nouveaux prophètes d’un néo-darwinisme entre les Etats sont des historiens, des essayistes et des journalistes. Dans leurs écrits, ils annoncent l’avènement triomphal, en Amérique et dans le monde, de la loi du plus fort. Dans les travaux de Robert Kagan et de Charles Krauthammer, on découvre qu’une euphorie américano-centrée s’affirme tout de go, spéculant sur les retombées du 11 septembre 2001. Le néo-darwinisme en politique internationale est le frère cadet du néo-darwinisme économico-social, déjà bien présent sur la scène internationale. Ses prophètes? Les intellectuels qui, par leurs écrits, donnent du poids et une dignité théorique à la “brutalité de la praxis”, suggérée par le néo-conservatisme américain actuel. Ce sont des intellectuels de “droite” quand ils le veulent, ou qui ne se posent pas d’emblée comme tels s’ils veulent être plus insidieux. Ils écrivent généralement dans les colonnes du Washington Post. Ces historiens, essayistes et journalistes annoncent l’avènement triomphal, en Amérique et dans le monde, de la loi du plus fort, de celui qui s’adapte au mieux aux lois de la survie. Cette idéologie constitue un virage à 180 degrés par rapport à leurs homologues d’il y a une quinzaine d’années qui débattaient d’un possible déclin de l’Amérique.

    L’une des coryphées du néo-darwinisme est sans conteste possible Robert Kagan, dont l’ouvrage emblématique le plus récent en langue italienne est Paradiso e potere, America e Europa nel nuovo ordine mondiale (ce livre a été édité chez Mondadori en Italie). Cet essai, désormais célèbre, est en réalité un opuscule assez banal et insignifiant, écrit rapidement, sur base d’un article, préalablement paru dans la revue «Policy Review», qui a été beaucoup lu et commenté. Le bagage documentaire de cet opuscule est ridicule, est une compilation de références bibliographiques quasi nulle, de notes prises sur d’autres notes, de comptes-rendus de colloque ou de conférence. Malgré ces lacunes, cet ouvrage fort mince est devenu le plus bel exemple, et même le manifeste, de cette euphorie américano-centrée rampante et néo-darwinienne, qui, depuis l’effrittement de l’épouvantail soviétique, a pris graduellement mais inexorablement la tête de beaucoup d’Américains.

    Une vieille Europe émasculée, jalouse de la puissante Amérique

    La “théorie” de Kagan est simple, simpliste même. L’Europe est vieille et émasculée, à cause des bains de sang des deux guerres mondiales, mais elle se montre envieuse, jalouse, de la puissante Amérique; son seul désir est dorénavant d’en castrer la puissance militaire, en lui imposant en sous main sa culture morbide et pacifiste de la diplomatie et des négociations : cette culture, l’Europa l’a héritée de l’idéal kantien de la paix perpétuelle —mais notre auteur ne cesse de répéter cette affirmation sans jamais citer directement un seul ouvrage de Kant ou de Hobbes), tandis que Hobbes constituerait la source de la culture belliqueuse et virile de l’Amérique. Par conséquent, l’unique voie à suivre pour l’Amérique est de balancer aux orties cette politique sous-jacente de pacifisme que cultive l’Europe, un pacifisme qu’ils jugent délétère; en conclusion, les Etats-Unis souhaitent continuer à asséner les coups de massue, qu’ils distribuent à qui mieux mieux, parce qu’ils sont les plus forts, prétend Kagan sans jamais imaginer, ne fût-ce qu’un seul instant, que le refus européen de ce qu’il appelle le “monde hobbesien” pourrait être un choix de civilisation, une hypothèse sur l’évolution des rapports futurs entre les nations.

    Il se sent toutefois obligé de rassurer ses lecteurs et de leur dire que les raisons de l’Amérique ne sont pas aveugles et égoïstes mais visent également le bien de l’Europe et du reste du monde, dans la mesure où le monde entier aussi veut “faire avancer les principes de la civilisation et de l’ordre mondial libéral”. Selon Kagan et ses amis, donc, l’Amérique s’auto-investit d’une fonction, celle d’être l’unique interprète et l’unique garante du progrès, de la justice planétaire et de la paix. L’Amérique rêve donc d’un Etat (mondial) parfait, de devenir la puissance patronesse du monde, et sa tutrice, comme l’avait annoncé en son temps un Reinhold Niebuhr, nous rappelle Kagan (“la responsabilité de l’Amérique, c’est de résoudre les problèmes du monde”). Ou encore Benjamin Franklin : “La cause de l’Amérique est la cause de l’humanité tout entière”. Effectuons un saut en arrière et revenons à la Russie des années 20 du 20ième siècle et rappelons-nous la figure du grand “Bienfaiteur”, le chef absolu du vaste Etat planétaire, sinistre et mielleux, qui, dans le roman de Zamiatine, Nous, explique, sur un ton paternaliste, que le devoir de son Etat parfait, est de “faire courber l’échine des êtres ignorants qui peuplent les autres planètes pour que s’exerce le jeu bénéfique de la raison”. Et “s’ils ne comprennent pas que nous leur apportons un bonheur mathématiquement exact”, alors “nous les obligerons à être heureux”.

    Ne pas observer les règles du droit international, pratiquer la guerre préventive

    Dans un long article paru dans le numéro 70 de «The National Interest», le journaliste du Washington Post, Prix Pulitzer, Charles Krauthammer, après avoir rappellé que, déjà dans la lointaine année 1990, à rebours des prévisions sur le déclin des Etats-Unis, il avait préconisé, pour l’avenir, une unipolarité américaine, et relevé, avec orgeuil, que “le budget militaire américain dépassait ceux, additionnés, des vingt pays suivants”, et qu’il n’y avait donc aucun signe réellement tangible de déclin; en plus de cette supériorité militaire, l’Amérique, ajoutait-il, détenait la primauté économique, technologique, linguistique et culturelle. Son triomphalisme, fruit d’une faculté typiquement américaine de transformer toute défaite en un contre-récit optimiste (c’est là une faculté que nous appelerons l’ “élaboration euphorique du deuil”), repose sur une tragédie, en apparence peu “triomphale”, celle du 11 septembre; il transforme, avec la magie d’un alchimiste, le coup le plus grave jamais porté sur le sol américain, en un mythe sur l’invulnérabilité de l’Amérique. Il observe avec cynisme : “S’il n’y avait pas eu le 11 septembre, le géant serait resté endormi [...] Grâce au fait qu’il ait pu démontrer ses capacités de récupérer [...] Le sens de l’invulnérabilité a acquis, au sein de la population, une dimension nouvelle”. Toujours à la suite des événements fatidiques du 11 septembre, Krauthammer se donne un alibi pour légitimer moralement la nouvelle politique américaine, celle de ne pas observer les règles du droit international et de pratiquer la guerre préventive : “Le 11 septembre a servi de catalyseur et a fait émerger la conscience [...] que la première mission des Etats-Unis est de se prémunir contre de telles armes”.

    Après avoir pointé du doigt la “sinistre” politique des Lilliputiens européens, qui consiste à immobiliser le Gulliver américain “à l’aide d’une myriade de ficelles qui réduisent sa puissance”, Krauthammer conclut : au fond, dit-il, les Etats-Unis, en poursuivant leurs propres intérêts, poursuivent aussi ceux des Européens ingrats, surtout quand il s’agit d’apporter la paix au monde.

    L’histoire militaire occidentale selon Hanson

    Dans un livre substantiel et bien documenté, intitulé Carnage and Culture, le célèbre historien militaire Victor Davis Hanson effectue un travail d’anamnèse historique en profondeur et part, dans sa démonstration, de la Bataille de Salamine. Son livre est sérieux, très scientifique, mais, face au petit opuscule de Kagan et aux essais de Krauthammer, il constitue une arme bien plus insidieuse et effilée dans le dispositif néo-darwiniste. Hanson analyse toutes les batailles qui ont fait date, comme Salamine (480 av.J.C.), Gaugamèle (331 av.J.C.), Canne (216 av. J.C.), Poitiers (732), Tenochtitlàn (1520), Midway (1942), Tet (1968); Hanson donne corps, ainsi, à la théorie d’un Occident qui a la primauté méconnue, depuis fort longtemps, d’être le plus “létal” quand il fait la guerre (“Brutal Western lethality”, pour reprendre ses paroles), une brutalité qui dérive directement du primat que possède, de fait, sa culture. Que ce soit les Grecs ou les Romains, les Macédoniens d’Alexandre ou les Espagnols de Cortès, ou encore les Américains dans le Pacifique, tous ont obtenu des victoires écrasantes sur des “non occidentaux” (Non Westerners), soit, en l’occurrence des Noirs, des Jaunes ou tous autres peuples qui ne sont pas parfaitement blancs. Ces victoires ne sont pas nécessairement dues à la supériorité de leur organisation ou de leur technologie (par exemple la poudre à canon). Ces victoires, ils les doivent à une “plus-value” civile, faite de discipline, de démocratie, de liberté, d’esprit d’initiative et d’individualisme.

    Quant aux inévitables pages sombres de l’histoire occidentale, Hanson —en utilisant cette capacité d’”euphoriser” le travail de deuil que nous avions déjà observé chez Krauthammer— parvient à transformer ces défaites occidentales (de la bataille de Cannae à Wounded Knee et à l’offensive du Tet) en victoires de fond, car, explique-t-il, les non occidentaux n’ont obtenu la victoire que dans la mesure où ils se sont approprié les armes, les technologies et les idées de l’Occident. Les jeux sont faits. En allongeant et en étirant quelque peu sa théorie sur les triomphes de l’Occident, Hanson parvient à interpréter la défaite américaine au Vietnam de façon telle qu’il en fait une victoire. La bataille de Khesanh, par exemple, il explique avec un orgeuil mal dissimulé, est certes une défaite américaine, mais aussi une victoire à la Pyrrhus des Vietnamiens, en ce sens que la supériorité matérielle des Américains a fait que le nombre de leurs morts est resté très réduit : un mort américain pour cinquante morts vietnamiens. Ces proportions équivalent plus ou moins aux pertes des espagnols de Cortès devant les Aztèques. Désolé, Hanson confesse toutefois que la victoire américaine s’est muée en défaite, par masochisme, à cause de l’hystérie et des distorsions de la presse, de la télévision et de la gauche américaine.

    En raisonnant de la sorte, Hanson rappelle la guerre du Vietnam et la sanctifie (toujours en utilisant, malgré tout, des termes dépréciatifs, comme “horrendous slaughter”, d’”horribles massacres”, “blood bath”, des “bains de sang”, etc.), mais, simultanément, et de manière tacite, il ramène le primat guerrier et civil de l’Occident à l’actuelle supériorité militaire (et aussi civile) des Etats-Unis.

    Sortir l’Amérique du syndrôme vietnamien

    En outre, son livre s’inscrit, mine de rien, dans ce vaste ensemble de narrations réécrites qui visent à sortir l’Amérique de la dépression qui a suivi l’aventure vietnamienne et qui, malgré de fréquentes déclarations contraires, continue à souffir d’une intolérance génétique vis-à-vis de toutes formes de défaite, d’échec, de deuil. Ces “réécritures” relèvent, notamment, de ce célèbre récit national et populaire qui a pour personnage Rambo, porteur du mythe de la trahison du soldat américain héroïque, poignardé dans le dos par l’odieuse bureaucratie politique, militaire et médiatique.

    Terminons en évoquant une voix qui n’appartient en aucune façon à cet aréopage de néo-darwinistes et qui s’exprime dans une publication très sérieuse, qui, elle, n’hésite pas à critiquer l’Amérique et sa politique; cette voix, pourtant, contribue au triomphalisme ambiant de manière subtile. Il s’agit d’un article paru en mai 2003 dans les colonnes de l’«Atlantic Monthly», dû à la plume de David Brooks, l’auteur, entre nombreux autres ouvrages, d’une “cover story” de grande ampleur, très complète (12 pages denses) portant sur les différences entre l’Amérique rouge et l’Amérique bleue. Dans son article, Brooks se réfère au livre Democratic Vistas de Walt Whitman (écrit en 1871), et rappelle que le grand poète —à rebours des anti-américains obtus d’aujourd’hui— avait bien compris que l’Amérique était (et reste) un pays fort diversifié et varié, composé d’hommes bons et moins bons, et que sa force consistait (et consiste) à ne pas dévier du chemin qu’elle avait décidé d’emprunter, c’est-à-dire celui de sa “mission historique”, qui est de se poser comme le guide du monde, même dans les moments où le leadership est médiocre (Woods fait directement allusion à Bush). A la lecture de cet article de Woods, on se laisse, à son insu, prendre aux ardeurs nationalistes et messianiques du poète de New York. Woods le rappelle avec nostalgie son blâme adressé aux Américains : “Whitman avait un sens subtil du caractère unique de la mission historique de l’Amérique (“America's unique historical mission”), que Dieu lui-même ou le destin ont assigné à ce pays, pour qu’il diffuse la démocratie dans le monde et qu’il promeuve partout la liberté”.

    En avançant de tels arguments, Brooks rejette l’hypothèse d’une Amérique différente, alors qu’il venait lui-même de l’énoncer, et donne, sans doute sans le vouloir vraiment, la main aux Kagan, Krauthammer et Hanson. Il apporte, sûrement malgré lui, une contribution involontaire à la rupture générale qu’annoncent ce “bushisme” militant et l’Amérique, rupture du pacte qui unit théoriquement les peuples au sein des “Nations Unies” et postule la parité démocratique entre les nations. Brooks, avec sa vision de l’Amérique, aussi sympathique qu’elle puisse sembler, rejoint ainsi ceux qui affirment, haut et clair, que l’Amérique a une mission planétaire, légitimée par sa prépondérance militaire, renforcée par sa conscience messianique retrouvée. 

    Mardi 19 août 2003 – article tiré du site materialiresistenti

    http://vouloir.hautetfort.com/

  • Le combat commun ne se limite pas à un mouvement ou à un parti

    De Jacques Trémolet de Villers dans Présent :

    "[...] Mais la force de libération a un caractère multiforme. Elle ne s’incarne pas dans un mouvement, un groupe ou un parti. Elle peut les animer. Elle ne se réduit pas à eux. Elle plonge ses racines dans les fondements vivants de la nation, c’est-à-dire dans les familles. Or les familles ne sont pas univotes. On y trouve toutes les sensibilités électorales et on y discute, vivement et librement, de savoir qui aura droit ou non à nos suffrages. Antérieures à l’Etat, les familles sont, plus encore, antérieures à l’élection. C’est peu de dire qu’elles sont étrangères aux partis. Dans leur principe, les partis leur sont hostiles. Il y a incompatibilité entre le rythme de vie des familles et celui des partis et, le plus souvent, cette hostilité est déclarée. Mais si la vie des partis a brisé de nombreuses familles, on peut constater que, dans tous, l’hérédité, les alliances ou le népotisme jouent un rôle considérable. « Chassez le naturel, il revient au galop. »

    La question centrale de notre libération nationale peut donc se formuler ainsi : la famille, force sociale, nationale, non politique dans son essence, peut-elle devenir, pour le plus grand bien commun des familles et donc de la nation, un lieu de gouvernement, la cellule-mère de l’Etat ?

    C’est ce que nous avons connu, en France, pendant près de mille ans, avec « le miracle capétien ». Le « miracle capétien » n’est pas seulement l’heureux hasard qui, d’Hugues Capet à Philippe le Bel, a permis de fils aîné en fils aîné un essor qu’aucun autre pays d’Europe n’a connu. C’est aussi et peut-être surtout que, par cette loi de succession, une famille, une maison « l’honorable maison capétienne », incarnant la nation qu’elle a rassemblée, ait sécrété, dans son intérêt propre qui rejoignait l’intérêt général, l’instrument politique – le régime – nécessaire à leur protection et à leur prospérité.

    Telle fut la loi de notre naissance et de notre glorieuse maturité. Telle ne peut être que la loi de notre renaissance.

    Il y a, aujourd’hui, en France, dignes d’exercer ce ministère, mille fois plus de familles qu’il n’y en avait au temps d’Hugues Capet. Ne manquent ni les compétences, ni les dévouements, ni les ambitions.

    Ce qui manque, c’est la reconnaissance, par ces familles, d’une incontestable « famille-chef ». [...]"

    Michel Janva

  • Farida Belghoul défilera en l'honneur de Ste Jeanne d'Arc

    Elle l'annonce sur son site :

    "Sauver la pudeur et l’intégrité des enfants c’est aussi sauver les principes de la France chrétienne. Les JRE et Farida Belghoul seront présents ce dimanche 11 mai dans le défilé en l’honneur de sainte Jeanne d’Arc, avec dédicace à saint Louis, dans les rangs de CIVITAS. Venez nombreux pour bouter la théorie du genre hors de France! Rendez-vous dimanche 11 mai à 14h30, place Saint Augustin à Paris."

    Par ailleurs, la prochaine Journée de Retrait de l'Ecole est fixée au 12 mai.

    Michel Janva