Il est des époques où tout le monde semble avoir perdu la tête. C’est évidemment le cas de celle que nous vivons, mais le XIVe siècle et le début du XVe n’étaient guère plus reluisants. Au moment où Dieu envoya à la France le petite bergère de Domrémy, tous les désordres politiques, sociaux, intellectuels, religieux qui devaient s’ériger après 1789 en faux ordre établi et dont nous vivons aujourd’hui les ultimes conséquences empoisonnaient depuis déjà plus d’un siècle la vie française.
Ferveur populaire
La maladie du roi Charles VI (1368-1422), qui à partir de 1392, en dépit de périodes de rémission, s’enfonça de plus en plus dans l’hébétude, eut pour effet de rendre la situation “républicaine”. Les oncles du roi (Louis duc d’Anjou, roi de Naples, Jean duc de Berry, Philippe le Hardi duc de Bourgogne) ne surent qu’attiser les querelles partisanes, sur fond de manipulation démagogique de la population parisienne. On vit Caboche et la corporation des bouchers organiser des “journées” préfigurant la Terreur de 1793 !
La guerre civile se révéla dans toute son horreur quand le fils de Philippe le Hardi, Jean Sans Peur, nouveau duc de Bourgogne, assassina Louis duc d’Orléans, frère du roi. Après quoi les fidèles du défunt se groupèrent autour du comte d’Armagnac, beau-père de Charles, nouveau duc d’Orléans, contre le clan bourguignon. Situation d’autant plus suicidaire que l’on était en pleine guerre avec l’Angleterre ! Le mariage en 1396 de Richard II, roi d’Angleterre, avec la petite Isabelle, fille de Charles VI et d’Isabeau de Bavière, avait pourtant laissé espérer la paix. Mais Richard II fut renversé par son cousin Henri de Lancastre qui devint Henri IV et dont le fils Henri V, ayant épousé Catherine, une autre fille de Charles VI et d’Isabeau, ne songeait qu’à s’emparer de la France. Dès lors les désastres se succédèrent, comme celui d’Azincourt (25 octobre 1415) où fut fauchée la meilleure noblesse française.
Entre “Armagnacs” résistants et “Bourguignons” vendus aux Anglais, la lutte ne fit que s’envenimer jusqu’au jour où le jeune dauphin Charles fit assassiner Jean Sans Peur. Faute politique qui eut pour effet de jeter la louvoyante reine Isabeau dans le camp du fils du défunt, qui était aussi un de ses gendres, Philippe le Bon, nouveau duc de Bourgogne. C’est alors que les négociations avec Henri V débouchèrent le 21 mai 1420 sur l’extrême humiliation du Traité de Troyes faisant du roi anglais l’héritier du roi de France...
Le bon peuple de Paris, doué d’un plus grand bon sens que les “intellectuels”, n’en continua pas moins d’acclamer le pauvre Charles VI jusqu’à sa mort en 1422. La ferveur populaire était en sommeil, elle n’était pas morte ! Cette même année 1422 mourut Henri V, laissant les couronnes d’Angleterre et - prétendument - de France à un enfant d’un an, Henri VI. Le vrai dauphin, de jure Charles VII, retiré à Bourges, se croyait abandonné de tous, ne sachant pas qu’une petite bergère de dix ans priait tous les jours pour lui et son royaume. Bientôt les voix de l’archange saint Michel et des saintes martyres Marguerite et Catherine allaient dire à cette jeune Française et fière de l’être qu’avec l’aide de Dieu, il était possible de le rester...
“Échec à l’“européisme”
Le drame de la France d’alors ne peut être considéré indépendamment de celui que vivait toute la chrétienté. La foi avait fléchi et beaucoup cherchaient à chasser le surnaturel de la cité politique. Les philosophes à la mode séparaient les fins spirituelles des individus des fins temporelles des États - déjà le laïcisme ! Pendant tout le XIVe siècle de grands débats avaient secoué, affaibli et divisé l’Église où certains réclamaient la supériorité des conciles sur la papauté et où l’on avait vu deux papes régner en même temps.
Le laisser-aller spirituel a toujours des conséquences temporelles : la perversion des hommes de Dieu (Cauchon enseignait à la Sorbonne) creusait le lit des idéologues, lesquels n’avaient de cesse de prêcher la laïcisation des rapports sociaux pour le plus grand profit des puissances d’argent toujours hostiles aux contraintes. Des théoriciens rêvaient d’une organisation supra-nationale sans Dieu, essentiellement fondée sur des intérêts mercantiles.
Ainsi s’éclairent les ambitions du clan bourguignon : il était le parti européiste d’alors ! Depuis que Philippe le Hardi (frère de Charles V) avait épousé Marguerite de Flandre, de riche puissante famille, son clan se proposa de reconstituer sur les ruines d’une partie de la France un royaume lotharingien (le vieux rêve anti-capétien !) qui serait comme l’épine dorsale d’un nouvel ordre européen. Le traité de Troyes fut l’expression de ce “libéralisme” effréné. Relisons Pierre Virion : « Ainsi avec l’Angleterre agrandie des trois quarts de la France et poussant son trafic jusqu’en Orient, avec les puissances commerciales d’Allemagne, une sorte de condominium, de marché commun dirions nous, est en vue dont le futur royaume de Philippe de Bourgogne serait le centre ». Toutes les démesures sont permises dès lors que s’estompe l’unité organique des sociétés historiques.
Inutile d’insister sur les ressemblances avec notre début de XXIe siècle... On a seulement inventé aujourd’hui l’erzatz de religion qui est censé souder le monde maëstritchien sans foi, sans nations, sans racines : les Droits de l’Homme ! En leur nom on culpabilise, on diabolise, on pousse à la repentance tous les récalcitrants qui n’entendent pas être réduits à de simples consommateurs...
La jeunesse de la France
La fête de sainte Jeanne d’Arc - la fête du printemps de la France - vient dans quelques jours nous dire qu’on peut en sortir.
Avec la gaieté de ses dix-sept ans, une foi chevillée au corps, beaucoup d’humilité et une espérance fondée en Dieu plus que dans les hommes, elle n’est entrée dans aucun parti, dans aucune parlote intellectuelle, elle n’a en rien “dialogué” avec son siècle, elle a ignoré les légalités établies, dont le traité signé sous la contrainte bien-pensante du moment. Ainsi est-elle allée droit au but. Joignant un sens aigu des nécessités temporelles à une soumission totale à l’ordre surnaturel, elle combattit, bien sûr, les Anglais - mais sans le moindre esprit de haine -, et surtout, osant dès le 8 mai délivrer Orléans, la dernière poche de résistance à la démission nationale, elle galvanisa les ardeurs des Français trop longtemps trompés et ouvrit la route de Reims afin de rendre possible le rétablissement de la légitimité en confirmant le 17 juillet 1429 le pacte de Clovis avec le Ciel.
Politique d’abord ! Il fallait d’abord que Charles VII fût sacré (« C’est vous et non un autre ! ») pour qu’il recouvrât toute son autorité face au roi anglais, aux puissances mercantiles et aux clercs dévoyés. Alors la France allait pouvoir redevenir elle-même, chasser les utopies, les démesures et l’esprit partisan, reprendre conscience de son destin national incarné d’âge en âge par la lignée capétienne, renouer avec les sources de l’ordre naturel et surnaturel. Jeanne, au prix du sacrifice de sa vie (les Anglais et leurs “collaborateurs” la brûlèrent à Rouen le 30 mai 1431), orientait l’Europe vers un ordre international fondé sur la justice et la complémentarité entre les nations dans un bien commun universel, de nature à empêcher aussi bien l’érection de la nation en absolu que l’abandon à l’idéologie cosmopolite.
Aujourd’hui comme sous Charles VI, la ferveur française est en sommeil ; nous savons qu’elle n’est pas morte... Disons-nous bien qu’Orléans, aujourd’hui c’est nous ! Que de notre audace à vouloir rester français dépend le sort de la France ! Que la jeunesse de la France face à des européistes ramollis, c’est nous ! Que la jeunesse du monde face au désenchantement mondialiste, c’est nous ! Nous, à condition qu’à l’exemple de Jeanne, nous sachions qu’un tel combat mène plus sûrement au sacrifice qu’à la gloire, - mais c’est le prix de la liberté de la patrie !
Michel Fromentoux L’Action Française 2000 du 19 avril au 2 mai 2007
culture et histoire - Page 1688
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L'étendard de la délivrance
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Leon XIII : à la racine des attaques contre la famille, le divorce
Hilary White a publié jeudi dernier sur LifeSite un article remarquablesur les causes de la dissolution de la famille aujourd’hui. Je vous en propose la traduction intégrale
De quand date le début de la révolution sexuelle ? Voilà une question à laquelle on aurait tendance à vouloir répondre sans réfléchir. La plupart évoqueraient le début ou le milieu des années 1960. La publication de ce bouquin par Germaine Greer, ou bien l’invention et la commercialisation de la pilule, c’est ça ?Mais si on leur donnait le temps d’y penser un peu, la plupart rectifieraient sans doute leur réponse en soulignant que les racines de la révolution sexuelle remontent sans doute à plus loin. Peut-être aux temps où Germaine Greer et d’autres féministes académiques développaient leurs idées à l’université, et où le Dr Pincus travaillait sur son mémoire de sciences. Tout le monde où presque, cependant, s’accorderait pour dire qu’au moment où Paul VI a publié sa célèbre encyclique Humanae Vitae sur le contrôle artificiel des naissances en 1968, personne n’avait levé ce lièvre depuis bien longtemps et on avait même oublié qu’il y avait un problème.Mais comment les vannes se sont-elles ouvertes au départ ? Comment les mœurs sexuelles de tout une civilisation ont-elles pu aussi radicalement modifiées en l’espace d’une seule génération ? Y a-t-il eu un « proto-péché » qui a tout déclenché ? Qu’est-ce qui a permis à ces choses de s’installer après tout ces siècles où l’ensemble de la chrétienté, depuis la chute de l’Empire romain, a établi sa vie quotidienne et les fondements de sa politique sur le socle du mariage, de la procréation et de l’éducation des enfants ?Même un bref retour sur l’histoire montre que la frénésie de désordres sexuels tellement caractéristiques de notre temps n’a pas commencé au XXe siècle, loin s’en faut. Les premiers pas légaux à entamer la destruction que nous constatons aujourd’hui consistent en l’assouplissement des lois sur le divorce au XIXe siècle. Sans le bastion légal du mariage indissoluble, les arcboutants qui tiennent tout en place en ce qui concerne la famille ont été détériorés un à un, avant d’être totalement mis de côté. Et l’Eglise avait mis en garde contre cela depuis un bon moment.Le pape Léon XIII, l’une des hautes figures de l’histoire catholique, a publié l’encyclique Arcanum divinae sapientia (« Le mystérieux dessein de la sagesse divine ») sur le mariage en 1880, la quatrième d’une série impressionnante qui allait atteindre un total de 85. Les papes ne choisissent pas les thèmes de leurs encycliques au hasard, et il apparaît clairement, du seul fait de sa parution au début du pontificat, que Léon XIII était gravement inquiet à propos de l’état du mariage, faisant le lien entre ses qualités nourricières et protectrices avec la dignité inhérente aux femmes.Le paragraphe 29 peut peut-être nous donner une indication sur l’origine de la catastrophe sociale que nous vivons aujourd’hui. Léon XIII a clairement assimilé la protection de la famille avec celle des femmes comme celle des enfants – et aussi celle de l’Etat. Il écrit : « Il est à peine besoin de dire tout ce que le divorce renferme de conséquences funestes. »La suite du paragraphe m’a immédiatement fait penser aux mises en gardes qu’allait faire près de 90 ans plus tard Paul VI à propos de la contraception artificielle. Léon XIII affirme, sur le divorce :« Il rend les contrats de mariage révocables ; il amoindrit l’affection mutuelle ; il fournit de dangereux stimulants à l’infidélité ; il compromet la conservation et l’éducation des enfants ; il offre une occasion de dissolution à la société familiale ; il sème des germes de discorde entre les familles ; il dégrade et ravale la dignité de la femme, qui court le danger d’être abandonnée après avoir servi aux passions de l’homme.« Or il n’y a rien de plus puissant pour détruire les familles et briser la force des Etats que la corruption des mœurs. Il n’y a donc rien de plus contraire à la prospérité des familles et des Etats que le divorce. »A considérer les racines de la révolution sexuelle, on se retrouve en train de remonter un chemin de petits cailloux semés à travers le temps. On admet généralement que cette révolution a été déclenchée par un concours de facteurs, mais la plupart estiment que le plus important d’entre eux aura été la contraception hormonale. On admet généralement que la pilule a été inventée entre 1951 et 1957 par le Dr Gregory Pincus, une connaissance de Margaret Sanger qui l’avait aidé à trouver des financements pour sa recherche.Margaret Sanger, fondatrice de l’organisation qui allait faire le tour du monde sous le nom du Planning Familial International (Planned Parenthood International) était elle-même une raciste et eugéniste notoire : elle a commencé son œuvre en 1916 et n’a jamais dissimulé, dans ses écrits, le fait que cela faisait partie de son programme eugénique (ses écrits devaient inspirer plus tard Hitler et le programme eugénique allemand dont il fut à l’origine dès avant la Seconde Guerre mondiale).En remontant plus loin encore, on s’aperçoit que la révolution sexuelle, en tant que bouleversement social et moral qui allait aboutir à saper, puis à mettre en miettes les bastions de la famille traditionnelle, faisait partie des objectifs-clef exposés dans les écrits marxistes, et ce dès les travaux d’Engels qui décrivit les maux de la « famille monogame ». Son livre sur ce thème, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat, toujours disponible, toujours utilisé dans les universités, a été imprimé en 1884.Engels voyait dans le mariage et dans la famille un instrument d’oppression, et ses écrits laissent clairement voir les germes du féminisme moderne anti-famille. Que le féminisme universitaire, une idéologie qui gouverne une grande partie du monde occidental, soit un produit du marxisme n’est un secret pour personne – si l’on fait exception des gens de la rue. Mais au même moment où Engels prétendait écrire d’après l’expérience des siècles, l’Eglise tirait d’autres leçons du passé.Léon XIII se tournait lui aussi vers le monde antique pour avertir de ce qui adviendrait, particulièrement pour les femmes, si le monde chrétien devait régresser vers les mœurs des Romains de l’Antiquité qui pouvaient quasiment divorcer sur un coup de tête. Les nations, disait-il, « oublièrent plus ou moins la notion et la véritable origine du mariage ». « La polygamie, la polyandrie, le divorce furent cause que le lien nuptial se relâcha considérablement », avec pour résultat l’état « misérable » de la femme, « abaissée à ce point d’humiliation qu’elle était en quelque sorte considérée comme un simple instrument destiné à assouvir la passion ou à produire des enfants ».L’Eglise, poursuivait Léon XIII, avait restauré le mariage tel qu’il fut voulu à l’origine par Dieu, et le défendait face aux empiètements de princes et d’Etats avides de pouvoir. Mais au temps de Léon XIII, l’« ennemi juré du genre humain », le diable, avait suscité « des hommes qui (…) méprisent ou méconnaissent tout à fait la restauration opérée et la perfection introduite dans le mariage ».Il y eut des hommes « en notre temps » pour « modifier de fond en comble la nature du mariage ». De tels esprits, « imbus des opinions d’une fausse philosophie et livrés à des habitudes corrompues, (…) ont avant tout l’horreur de la soumission et de l’obéissance. Ils travaillent donc avec acharnement à amener, non seulement les individus, mais encore les familles et toute la société humaine, à mépriser orgueilleusement la souveraineté de Dieu. »Etant donné nos confrontations actuelles avec l’hypersécularisation, il est intéressant de noter également que Léon XIII voyait dans les attaques contre le mariage une manière d’affirmer l’autorité de l’Etat laïque, en dernière analyse, contre celle de l’Eglise. Et même, il y a des passages où les mises en garde de l’encyclique nous semblent avoir un air déprimant de déjà vu :« Or, la source et l’origine de la famille et de la société humaine tout entière se trouvent dans le mariage. Ils ne peuvent donc souffrir en aucune façon qu’il soit soumis à la juridiction de l’Eglise. Bien plus, ils s’efforcent de le dépouiller de toute sainteté et de le faire entrer dans la petite sphère de ces choses instituées par l’autorité humaine, régies et administrées par le droit civil. En conséquence, ils attribuent aux chefs de l’Etat et refusent à l’Eglise tout droit sur les mariages ; ils affirment qu’elle n’a exercé autrefois un pouvoir de ce genre qua par concession des princes, ou par usurpation. Ils ajoutent qu’il est temps désormais que les chefs d’Etat revendiquent énergiquement leurs droits et se mettent à régler librement tout ce qui concerne la matière du mariage. De là est venu ce qu’on appelle vulgairement le mariage civil. »Léon XIII ne précise pas de quels Etats il est question, mais à son époque, la Grande-Bretagne était déjà sous le régime du « Matrimonial Causes Act » (loi des causes matrimoniales) de 1857 qui enlevait la compétence des cas de divorce aux tribunaux ecclésiastiques pour les donner aux tribunaux civils et qui avait fait du mariage une matière de droit contractuel, et non plus une reconnaissance par l’Etat d’un sacrement fondé sur la religion. A l’époque, il avait été contesté au Parlement par certains membres qui craignaient d’y voir une usurpation des droits et de l’autorité de l’Eglise d’Angleterre établie.Avant l’existence de cette loi, ceux qui voulaient obtenir le divorce devaient prouver l’autre coupable d’adultère, et le divorce n’était accordé qu’en tant qu’annulation ou d’un acte spécifique du Parlement. Après l’entrée en vigueur de la loi de 1857, la loi allait être peu à peu amendée pour en arriver au point où, en 1973, les habitants d’Angleterre et du Pays-de-Galles purent divorcer pour cause d’adultère ou « comportement déraisonnable » qui peut être constitué par à peu près n’importe quoi, depuis l’alcoolisme chronique jusqu’au fait d’avoir des vies sociales séparées. Selon le Daily Mail, la Grande-Bretagne affichait le plus important taux de divorce de l’Union européenne. Depuis lors, les démographes ont noté un ralentissement des divorces, mais c’est surtout parce que de moins en moins de gens prennent la peine de se marier au départ.« Le mariage, qui tend à la propagation du genre humain, a aussi pour objet de rendre la vie des époux meilleure et plus heureuse », écrivait Léon XIII en 1880. Et d’ajouter : « Les Etats peuvent attendre de tels mariages une race et des générations de citoyens qui, animés de sentiments honnêtes et élevés dans le respect et l’amour de Dieu, se considéreront comme obligés d’obéir à ceux qui commandent justement et légitimement, d’aimer leur prochain et de ne léser personne. »Il y a deux étés, des « jeunes » ont fait des émeutes partout en Grande-Bretagne, vandalisant des magasins, brûlant des maisons et des bureaux dans quatre grandes villes. L’incident, qui fit la une des médias du monde entier, a, bizarrement, été presque complètement oublié. A l’époque, les médias britanniques – fortement orientés à gauche – ont accusé le manque de services sociaux. Mais un homme, travailleur social dans les zones sensibles des villes britanniques, a carrément accusé la destruction de la famille. Les gamins qui jetaient des poubelles à travers les vitrines des magasins n’avaient jamais connu de père et avaient été élevés par l’Etat.Il est difficile d’imaginer une meilleure légende pour les photos des adolescents rigolant et riant pendant qu’ils pillaient les magasins que la condamnation et l’avertissement de Léon XIII à propos du divorce : « Il n’y a rien de plus puissant pour détruire les familles et briser la force des Etats que la corruption des mœurs. »« Vraiment, il est à peine besoin de dire tout ce que le divorce renferme de conséquences funestes. »Vraiment.Hilary White© leblogdejeannesmits -
Jeunesses Nationalistes et l'action sans concession (avec Alexandre Gabriac)
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Le crépuscule des traîtres
A défaut de faire face aux vrais défis qu’impose à notre pays une crise sans précédent, le gouvernement continue à traquer les Français qui ont l’impression de plus en plus insistante que notre pays n’a plus de protecteurs naturels.
Le rapport qui fait tant couler d’encre ces jours-ci et provoque aujourd’hui des reculades prudentes n’est que l’expression d’une idéologie au pouvoir qui a décidé de tirer un trait définitif sur ce qui constitue les racines et la réalité de notre patrie. La dispute autour du voile et de la laïcité qui divise les socialistes et a fait réagir la droite parlementaire n’est à nos yeux qu’un combat marginal et pétri des variantes idéologiques qui veulent toutes finalement la même chose : faire du passer table rase.
Michèle Tribalat, esprit indépendant aiguisé, fait quant à elle plus justement remarquer que : « La création d’un délit de harcèlement racial serait là pour "contraindre à la non désignation" des origines. La différence serait partout, mais il ne faudrait jamais l’incarner dans le langage. M. Ayrault poursuit sur la lancée de ses prédécesseurs puisque je vous rappelle que le modèle d’intégration européen adopté par l’UE en 2004 est déjà un modèle multiculturaliste. [ … ] Tout ce qui rendait familière la vie ordinaire est frappé d’incertitude. Aucun héritage n’est à préserver. »
On est quand même frappé par ce mystère sémantique qui consiste à exiger la reconnaissance de toutes les cultures, on parle d’accepter la « diversité », du « droit à la différence », mais de ne surtout pas l’évoquer, ni d’en tenir compte. Autrement dit, vous n’existez pas par votre vie, votre histoire, votre culture, vos croyances, mais par la loi.
On voit bien que, dans ce contexte, les choses ne se passent pas comme prévu, c’est à dire, une espèce de métissage laïque et obligatoire, mais que la nature ayant horreur du vide, ce sont les cultures fortes et communautaristes qui avancent dans un ventre mou.
Le « pouvoir » semble d’ailleurs prendre acte de cette réalité en reculant devant l’islamisation, (revoilà l’affaire du voile) laquelle à tout prendre vaut mieux qu’un retour aux valeurs obscurantistes d’une France arc-boutée sur son baptême et ses valeurs fondatrices.
Les laïcistes qui préconisent un système légaliste uniformisant, fondé sur les valeurs de la révolution française, ne sont que les naïfs complices de ce qu’ils dénoncent par ailleurs. Une France fondée sur la perte de mémoire et des racines spirituelles ne résistera pas à la poussée islamique.
L’immigration massive dans un pays atone ne peut, dans un tel contexte, qu’imposer son fait religieux et …politique.
Tout converge, et je comprendrais que n’importe quelle puissance étrangère à tendance supranationale ne puisse que se féliciter de la chute d’une nation jadis si forte et si indépendante.
La France n’a plus de protecteur. En a-t-elle eu depuis que la république à été instaurée ? Malgré des sursauts de survie naturelle qui mobilisèrent dans des moments graves les patriotes, force est de constater que la république n’a jamais défendu notre pays. Certains hommes ont agi, malgré elle, mais on voit aujourd’hui avec les socialistes qui se disent les vrais, voire les seuls républicains et qui délivrent ou retirent aux partis de la droite honteuse les brevets de républicanisme selon les alliances électorales contractées, que nous arrivons au terme du processus de dissolution et d’abandon de notre pauvre pays.
Mais la France ne se laissera pas éradiquer aussi facilement. Les Français se réveillent, et un vent de révolte se lève. Le moment est-il enfin venu de renverser ce système nuisible bâti sur l’esprit de trahison ?
Finissons en avec la République, dont le socialisme actuel n’est que l’ultime maladie vénérienne, et conduisons à Reims notre protecteur naturel, le descendant de Saint Louis, Roi de France.
Olivier Perceval, secrétaire général de l’Action française
http://www.actionfrancaise.net/craf/?Le-crepuscule-des-traitres
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« Celui qui donne les ordres et qui a toujours raison »
La conversion de tous au crétinisme culturel est bien plus qu'une obligation. C'est une nécessité. C'est une nécessité, tout simplement :
- parce que c'est un ordre du marché et que dans une société capitaliste la nécessité se confond avec les ordres du marché,
- et parce que l'essentiel des profits du procès capitaliste dans les pays civilisés est désormais lié à la consommation culturelle à cours forcé, c'est à dire à la vie irresponsable, ahurie et hébétée téléguidée à temps plein par la marchandise culturelle.
Cependant certaines populations (peut être parce que l'intelligence leur sied particulièrement, peut être parce qu'elles appréciaient de disposer de l'ensemble de leurs moyens mentaux, peut être pour d'autres raisons que je ne connais pas) vont se trouver rétives et récalcitrantes face à cette injonction qui leur est faite d'avoir à déposer leur cerveau.
Mais l'ordre vient de haut : du marché ! Et le marché, c'est le vrai Dieu du monde moderne, celui qui a réellement tous les pouvoirs, disait à peu près un économiste connu.
Le marché va donc commanditer une politique incitative auprès de ces populations regrettablement peu disposées à la vie zombifiée. Le marché en a les moyens : il peut recruter et payer des exécutants pour n'importe laquelle de ses basses œuvres. En passant il peut aussi donner à ces hommes de main des tas de titres et de pouvoirs qui dans le monde d'avant avaient un certain sens, dans l'ordre politique, juridique, scientifique par exemple. C'est ainsi que l'on trouve des tas de gangsters hystériques déguisés par le marché, qui a aussi les moyens de payer tous ces frais de maquillage, en présidents de ceci ou de cela, en conseillers en ceci ou en cela. en experts de ceci ou de cela.
Politique incitative non avouée comme telle, à vrai dire, mais en un certain sens extrêmement cohérente lorsqu'on parvient à en surplomber les différentes éléments et les différentes étapes (soumission obligatoire et permanente à la musique néo-primitive, mythologie du salaud civilisé et du gentil primitif, et ainsi de suite).
Pour les populations véritablement réfractaires (les rares personnes qui persistent à n'oublier pas ce qu'était le monde anté-culturel, et la vie sensible) le marché, malgré toute sa mansuétude et son goût prononcé pour le viol psychique discret et insensible par la culture et notamment la musique devra employer des méthodes plus nettement incitatives.
Parmi ces méthodes, il faut citer l'envoi, auprès de ces populations de pédagogues, c'est à dire de crétins solidement formés, volontaristes et prosélytes, qui savent bien, eux, qu'on n'est pas au monde tant qu'on est pas un énervé agité en permanence par les dernières pacotilles culturelles. On va donc organiser des opérations de crétinisation de grande ampleur, par confrontation amicale entre les populations indigènes ringardes et bornées et des populations importées ayant fait de l'abrutissement culturelle leur nature, si l'on ose dire ainsi.
Mais il ne faudrait surtout pas croire que le métier de crétin-pédagogue soit toujours facile. Les populations à crétiniser se défendent, se rebiffent. Elles argumentent, parfois haussent le ton et se fâchent.
Heureusement le marché, qui voit les choses de haut et de loin, a tout prévu. Non seulement il a embauché une foultitude de crétins praticiens, mais aussi des crétins théoriciens, c'est à dire des convertis à la culture culturelle mais dans sa version pédante et bavarde (des cinéphiles, des chrétiens de gauche ou des choses comme çà), qui ont compilé, sous ses ordres et sous son étroite surveillance ("que les juristes sont donc petits et interchangeables !" hulule alors le marché, qui a toujours raison) une législation ad hoc permettant de repérer, d'isoler et de punir instantanément tout récalcitrant à la crétinisation refusant une intervention pédagogique des crétins de terrain chargés de le convertir pleinement aux bienfaits de la culture.
Lorsqu'on ose y penser, tout ceci est très logique : en capitalisme culturel, l'offense à crétin culturel est bien le crime majeur. Pour comprendre ce fait un peu étonnant pour les non initiés, il suffit de comprendre que l'offense à crétin culturel est une atteinte presque directe à la possibilité de faire des profits, une atteinte quasi directe au marché lui même.
Les populations incitées à la conversion sont indissolublement définies par leur appartenance raciale, ethnique, religieuse, historique et j'en passe et des meilleures. Ces distinctions sont bien complexes à établir, évidemment pleines d'enjeux terrifiants et ce n'est pas ce moment de nécessaire crétinisation qui va nous aider beaucoup à clarifier calmement et rationnellement ces choses. Il est donc bien difficile de déterminer si la politique de crétinisation obligatoire poursuivie est d'ordre raciale, ethnique, ou autre. Cette question est peut être insoluble et çà tombe bien puisqu'elle est finalement sans importance aucune pour la suite. Il suffit de remarquer qu'il y avait jusqu'à présent des populations (définies donc de manière biologique ou culturelle, ou les deux, cela reste en suspens et c'est sans importance aucune pour la suite) qui appréciaient particulièrement d'user de leur cerveau et qui sont privées, à juste raison mais contre leur gré, de cet usage par les nécessités du marché.
Ce qui n'est pas niable par contre, c'est que l'on a une politique populationnelle, une politique menée à l'égard d'une population identifiable et menée contre son gré puisqu'elle refuse obstinément et avec pertinacité de se convertir au nouveau mode de fonctionnement humain, celui qui est nécessaire au marché : le crétinisme culturel. En effet, il est indiscutable que les demandes explicites de crétinisation culturelle sont restées longtemps extrêmement rares dans la population française. Je dis bien et je maintiens : extrêmement rares. Ce n'est que très récemment que la politique d'incitation à la crétinisation généralisée a commencé à porter ses fruits et que l'on peut observer un mouvement spontané de certaines catégories de la population vers la crétinisation intégrale, chez les jeunes filles droguées à la musique néo-primitive par exemple.
On constate donc qu'une politique populationnelle a été mise en place :
- d'abord pour trier les "convertissables" à la crétinisation culturelle et les "non convertissables" à la crétinisation culturelle, ces derniers étant relègués ou éliminés discrètement,
- ensuite pour mettre en oeuvre une heureuse politique systématique de crétinisation proprement dite.
Il n'est pas du tout certain d’ailleurs que cette politique de conversion-extermination d'un peuple soit consciente même chez les plus tordus et les plus cruels de ses exécutants. Elle est tout simplement nécessaire au marché, qui paye ceux qui l'appliquent, et qui ne paye pas ceux qui ne l'appliquent pas. Il est comme çà le marché : intègre et entier, il ne faut surtout pas essayer de lui raconter des histoires.
J'ai écrit un peu plus haut "convertissables" ou "non-convertissables" à la crétinisation culturelle dans un moment d'optimisme. En fait il faudrait dire "réifiables" ou "non réifiables", c'est à dire "achetables par le marché" ou "non achetables" par le marché. Cela devient un peu plus compliqué mais cela permet de donner un coup de massue supplémentaire : en effet les "crétins-pédagogues" identifiés plus haut ne sont actuellement guère que des choses achetées par le marché et lancées contre un peuple qui n'en demande pas tant ; mais ce triste rôle historique induit par le capitalisme aux abois n'est pas une fatalité et c'est aussi de leur prise de conscience et de leur révolte contre l'argent fou que pourrait émerger un monde à nouveau vivable.
Récapitulons et synthétisons. Nous avons, grosso-modo :
- les gens de gros argent,
- les crétins-pédagogues chargés de la crétinisation, fêtés et gâtés par les précédents,
- les consommateurs acéphales mécanisés tendance bobos,
- les populations à convertir ou en cours de dressage, c'est à dire l'ancien peuple français,
- enfin les irrécupérables refusant les bienfaits de la culture culturelle, poussés discrètement au désespoir, à la ruine, à la mort sociale ou physique.
Il y a eu et il y aura d'autres politiques populationnelles (raciales, ethniques) par exemple de conversion à une nouvelle éthique, ou d'extermination, ou de relégation, ou autres, non pleinement avouées, ni même conscientes, dans l'histoire. Certaines sont bien connues et ont fait l'objet d'études nombreuses. Celle qui est appliquée en France contre les populations refusant une crétinisation culturelle généralisée apparaît cependant originale et nouvelle et gagne à être connue de tous, petits et grands.
Jacques-Yves Rossignol -
À propos de « La fin de la mondialisation » de François Lenglet
Autant le dire tout de suite : à première lecture, le dernier opus de François Lenglet n’est pas sa Neuvième Symphonie; il n’égale pas, par l’éclat et l’originalité du propos, le Qui va payer la crise ? sorti il y a un an sur la signification, les conséquences et les grands enjeux de la crise en cours. Ses conclusions désabusées de la préface n’incitent guère à la mobilisation (« La fin de la mondialisation, ou en tout cas son éclipse, n’est pas forcément une mauvaise nouvelle. Peut-être est-ce même le contraire. »). Pas de quoi fouetter un chat. En grossissant à peine le trait, on dirait qu’il s’agit là d’un bouquin pas folichon sur un sujet austère.
Ce jugement assez négatif se modifie et même s’inverse à seconde lecture, parce que l’on y retrouve les qualités de richesse d’analyse et de synthèse (presque excessives, car ça fuse de partout !), d’honnêteté, de clarté, d’humour propres à l’auteur. C’est également un discours a priori sympathique à des oreilles de droite enracinée, puisqu’il plaide en faveur d’une dose raisonnable de protectionnisme européen intelligent. Enfin et surtout, le sujet est stratégique et conditionne beaucoup des évolutions économiques, sociales, sociétales et politiques de nos sociétés dans les deux ou trois décennies à venir.
Ce bouquin mérite donc amplement le résumé que voici.
Libéralisation et libre-échange tous azimuts
Tout commence sur un air de rock’n’roll : à la fin des années 60, la vague libérale a ses troupes, les baby-boomers, son credo, la prééminence de l’individu sur la société, et son arme, les nouvelles techniques de communication. Le règne de Milton Friedmann commence. En 1979, le libéralisme sociétal investit l’économie, avec l’arrivée au pouvoir de la « Dame de Fer », suivie l’année suivante de Ronald Reagan. De l’autre côté du monde, Deng Xiao Ping, le « Petit Timonier », lance ses réformes libérales en 1978. Les vents sont favorables : libéraliser, dans les années 80, c’est rompre avec la sclérose qui étouffe les économies développées, sous l’effet de réglementations excessives et paralysantes, dont la Grande-Bretagne travailliste de Harold Wilson et James Callaghan est une parfaite illustration. Cette conquête libérale prend une dimension et une force accrues avec la chute, le 9 novembre 1989, du Mur de Berlin, et l’extension à l’ex-bloc communiste du modèle américain chantée par Fukuyama. Il s’en suit une politique de plus en plus audacieuse de désarmement tarifaire et de déréglementation financière favorisant « l’exubérance irrationnelle » des marchés, l’hypertrophie de la finance, la croissance de l’endettement tant public que privé, la création de valeur au profit de l’actionnaire, le développement des fusions-acquisitions, des privatisations, de la titrisation et des stock options, la concurrence fiscale entre États, l’essor des paradis fiscaux, la prospérité des multinationales, le règne universel des financiers et le bonheur du consommateur. Au tournant du siècle, l’émergence de la Chine et l’avènement de la Zone euro contribuent puissamment à un regain du commerce mondial.
Les résultats sont spectaculaires : la prospérité est quasi-générale, le Tiers Monde que l’aide publique au développement avait entretenu dans la médiocrité se mue en Émergents, la pauvreté régresse spectaculairement, et le P.I.B. mondial croît à un rythme inégalé dans l’histoire. Le monde s’uniformise comme jamais. On est en plein dans la mondialisation heureuse, et le rêve d’une planète unifiée par le libre-échange, régie par le marché et régulée par la démocratie paraît en voie de réalisation. La victoire du bonheur économique sans frontières et sans date de péremption est célébrée chaque mois de janvier au Forum annuel de Davos. À l’orée de la crise des subprimes, en 2007, la mondialisation a atteint son point le plus avancé de l’Histoire.
Patatras et gueule de bois : les trois vices de la mondialisation
Ce bel édifice sombre brutalement avec la crise des subprimes. La faillite, le 15 septembre 2008, de Lehmann Brothers marque une borne et une rupture. L’histoire commencée quarante ans plus tôt avec les mouvements estudiantins et la grande fête de Woodstock s’achève dans un effondrement retentissant. En quelques jours, un demi-siècle de certitudes économiques libérales s’évanouit. Pour enfoncer le clou, fin 2009, un nouveau choc s’abat sur l’Europe, l’Occident et le monde entier, la crise des dettes publiques en Europe.
On réinterprète dès lors le parcours éblouissant de la planète entre 1990 et 2008. On comprend que la croissance devait beaucoup à l’endettement excessif des particuliers, des entreprises et des États, aux États-Unis, en Europe, et jusqu’en Chine. On comprend également que la mondialisation ne fait pas que des gagnants : l’élargissement du marché mondial, s’il a eu des conséquences positives pour nombre de pays pauvres de la planète, a bel et bien creusé les inégalités au sein des nations développées et dynamité le système social des classes moyennes et populaires. Les systèmes fiscaux occidentaux fonctionnent dès lors en « Robins des Bois à l’envers », prélevant sur les pauvres et exonérant les riches et les multinationales. Ce phénomène touche notamment la France, qui aggrave son cas en pratiquant une politique d’allègement des charges salariales financée par emprunt. « Plutôt que de creuser l’inégalité entre les classes sociales, la France a préféré développer celle qui sépare les classes d’âge. »
On réalise aussi que la mondialisation n’apporte pas le bonheur, et que l’interdépendance est avant tout une dépendance : la dissuasion économique joue à fond entre partenaires et concurrents, les liens entre causes et effets deviennent plus globaux et plus complexes, et surtout États et personnels politiques sont à la merci de forces de marché capricieuses qu’ils ne maîtrisent pas. L’indépendance des banques centrales, justifiée à l’origine (« Les politiques renoncent à financer leurs dépenses en manipulant la monnaie. Tels des alcooliques repentis, ils confient la clé de la cave au curé du coin »), tourne à l’avantage des épargnants avec la complicité de banques centrales, agents doubles passés du côté de l’épargne. Les États qui s’étaient crus les plus forts (« Rendre les banques centrales indépendantes, c’était une ruse de la puissance publique pour attirer plus facilement le capital destiné à la financer ») perdent l’initiative, au fur et à mesure qu’ils deviennent plus dépendants des marchés. L’internationalisation financière a donc rétréci la sphère d’intervention du pouvoir politique, même dans ses fonctions régaliennes, et dépossédé les peuples de leur destin. Au point qu’un intellectuel de Harvard a pu énoncer un « trilemme de Rodrik » aux termes duquel il n’est pas possible d’avoir simultanément démocratie, indépendance nationale et mondialisation économique. Thèse amusante, intéressante et significative qui, si elle est vraie, ne laisse ouvertes que trois solutions : limiter la démocratie, créer un gouvernement mondial, ou limiter la mondialisation.
Ce désenchantement brutal s’applique aussi, avec une force particulière, à la Zone euro : contrairement aux attentes, celle-ci n’a pas apporté comme prévu la convergence des économies des pays membres, mais au contraire leur forte et croissante divergence. Elle a en fait fonctionné comme l’équivalent de l’étalon-or du XIXe siècle et de l’Entre-deux-guerres, provoquant de fortes divergences dans les économies réelles. Le taux de change ne pouvant varier, c’est l’économie réelle, la croissance, l’emploi, les salaires, qui au bout du compte doivent subir une forte volatilité. La queue du chien étant bloquée, c’est le corps du chien qui doit bouger tout entier.
Enfin, on constate avec le recul que la mondialisation a créé la crise permanente : crise du S.M.E. en 1992, crise mexicaine de 1995, crise asiatique de 1997, crise russe de 1998, éclatement de la bulle Internet en 2000, crise des subprimes en 2007, crise des dettes souveraines en Europe en 2010, crise de l’Inde et du Brésil en 2013, on n’en finit pas de répertorier les perturbations du système économique mondial depuis sa libéralisation au long des années 80 et 90.
L’éternel retour
Le chapitre 5, intitulé avec humour « L’éternel retour », référence sans doute à Nietzsche et à Mircea Eliade, est la clé du livre. Son ton bon enfant et léger ne doit pas masquer une certaine profondeur du propos. Quatre idées-forces se dégagent :
— En premier lieu, les sociétés fonctionnent selon la loi du perpétuel retour du Même, de l’alternance entre phases libérales/mondialistes et phases protectionnistes/nationalistes, en un mouvement pendulaire fonctionnant dans les deux sens, vérifié par l’histoire au moins depuis le XVIe siècle occidental. La société oscille perpétuellement entre tentations et pulsions contraires mais immuables, chaque génération posant ses pas dans ceux d’une génération précédente, aiguillonnée par les mêmes désirs et se heurtant aux mêmes obstacles.
— En second lieu, l’auteur martèle la sympathique thèse, puissamment anti-marxiste et peut-être aussi anti-libérale, selon laquelle ce n’est pas l’économie qui impose sa loi à la société, mais bien le contraire. L’économie ne fait que suivre. « C’est dans la société que […] naissent les pulsions premières, libertaires ou protectionnistes, mondialistes ou nationalistes. Ces directives impérieuses transforment peu à peu la vie en société et commandent à l’économie en imposant le système de pensée qui la gouverne. Aussi l’économie est-elle tantôt libérale, tantôt dirigiste, en fonction de l’humeur changeante de la société. »
— En troisième lieu, est exposée la thèse de l’alternance contraire des générations comme moteur des grands cycles et du mouvement de balancier idéologique : les générations se structurent sur la base des maux qu’elles ont sous les yeux, prenant régulièrement le contre-pied de la précédente; chaque cycle se décomposant en deux demi-cycles, l’un montant, l’autre descendant, il faut deux bonnes générations successives pour effectuer une révolution complète, soit environ soixante-dix ans.
— Enfin, est proposée l’image des deux Sisyphe, l’un libéral, l’autre étatiste, se succédant mécaniquement sans le vouloir ni même le savoir, chacun concentré, plus ou moins aveuglément, à faire remonter sa pierre de son côté. Citons la conclusion, qui tangente, avec des mots simples, la grande sagesse : « L’instabilité que provoquent ces deux géants perpétuellement insatisfaits témoigne d’une difficulté fondamentale de la vie en société, impossible à lever durablement : trouver la juste mesure entre la règle et la liberté, entre le groupe et l’individu. Faute de savoir positionner le curseur à l’endroit idéal, nous voici condamnés à l’errance, au roulis d’un excès à l’autre ». On ne saurait mieux dire.
Et demain ?
Les signes de reflux surabondent, avec des négociations commerciales en panne, une O.M.C. en désarroi, des politiques de rééquilibrage brutales et douloureuses dans l’Europe du Sud.
« Nous sommes à la veille d’un gigantesque retournement idéologique comme il en survient un ou deux par siècle, dont l’ombre portée s’étendra sur les décennies qui viennent. »
Les signes de ce retournement sont nombreux :
— Côté argent, la mondialisation financière, la plus sensible à l’air du temps, est en panne, les banques se recentrent sur leurs territoires nationaux respectifs, non seulement en Europe, mais dans le monde entier, et les fusions transfrontalières diminuent.
— Côté marchandises, le commerce perd sa dynamique de croissance des dernières décennies, le libre-échange, et plus spécifiquement le multilatéralisme sous l’égide de l’O.M.C., donnent des signes de faiblesse, et l’Amérique relocalise ses industries.
Ce retournement a toutes les chances de s’accentuer dans les années à venir sous l’influence d’un faisceau convergent d’évolutions profondes :
— le mouvement quasi-universel de désendettement des acteurs économiques diminue le flux international des capitaux et s’accompagne d’un retour au bercail de nombre d’investisseurs,
— le rééquilibrage en cours des comptes extérieurs de nombre de cigales (U.S.A., Europe du Sud) conduit mécaniquement à réduire les échanges internationaux de biens, de services et d’argent,
— l’État reprend partout ses prérogatives, notamment en matière de contrôle des fusions internationales d’entreprises et de privatisations,
— les banques centrales recentrent leurs priorités sur la lutte contre la crise et l’aide aux emprunteurs publics, au risque de l’inflation,
— la « répression financière » des États et des banques centrales limite la liberté des capitaux à quitter leur pays d’origine et renationalise l’épargne,
— les mentalités évoluent dans le sens d’une moindre tolérance à l’égard des inégalités, de la fraude fiscale et des paradis fiscaux,
— les mouvements nationalistes en Europe témoignent du désir de frontière allant parfois jusqu’à la remise en cause du rêve européen et de l’espace unique.
Vers un protectionnisme européen intelligent
La troisième partie du livre est intitulée « Le protectionnisme, une solution ? ». Après une remarque liminaire sur le caractère quasi-dogmatique du libre-échange dans les élites nées du Baby Boom, elle commence au contraire par démonter une à une trois objections classiques faites au protectionnisme :
— « Le protectionnisme crée des rentes injustifiées » : exact, mais le libre-échange a aussi ses rentiers et parasites, notamment les financiers, payés de façon absurde pour une activité qui n’a aucune utilité sociale,
— « Le protectionnisme déclenche les crises économiques » : argument aussi discutable que répandu; en réalité, le protectionnisme n’a pas été une cause de la crise de 1929, il l’a au contraire en partie soignée. On constate au contraire un certain effet curatif du protectionnisme en certaines situations historiques. En réalité, ça n’est pas le commerce qui crée la croissance, mais exactement le contraire. De plus, ce sont les pays les moins dépendants des flux de capital international qui ont connu la croissance la plus forte.
— « Avec le protectionnisme, la Chine ne se serait jamais développée » : la réponse est foudroyante : « si c’est bien le libre-échange qui a favorisé la croissance chinoise, il s’agit de notre libre-échange, pas du sien ». Au contraire, la Chine a, avec constance, et malgré son adhésion en 2001 à l’O.M.C., pratiqué la dissymétrie de l’ouverture, l’arnaque d’un taux de change sous-évalué sous contrôle, la copie voire le vol à large échelle de technologie, l’ignorance de la propriété intellectuelle, bref une politique industrielle multisectorielle privilégiant l’intérêt national à tout instant et en toutes circonstances.
Suit un paragraphe intitulé « Conversion d’un libéral », qui est un bilan personnel, honnête, nuancé et mesuré des avantages et inconvénients respectifs du libre-échange et du protectionnisme. Il ne peut en être autrement de la part d’un libéral, en raison des liens constitutifs entre mondialisation et libéralisme économique. La conclusion est la suivante : « Du strict point de vue économique, le libre-échange commercial n’offre pas d’avantage significatif par rapport au protectionnisme […] dans ce système, c’est sur la société que sont reportés tous les efforts d’ajustement : mobilité, flexibilité, baisse des salaires. La mondialisation consacre la domination des mobiles sur les immobiles, des forts sur les faibles, des gros contre les puissants […]. Aujourd’hui, l’époque n’est plus au libre-échange, et pas davantage à la mondialisation financière. Cette époque est révolue. » C’est beau comme du Attali, mais c’est le contraire d’Attali.
Trois enjeux pour une protection
Il faut bien comprendre que la mondialisation a partie liée avec les détenteurs de capital, au détriment de plus en plus évident des classes populaires et moyennes, et que les groupes pénalisés par la vague libérale (producteurs, salariés, classes moyennes et populaires, emprunteurs) ont vocation, avec l’alternance, à prendre leur revanche sur les gagnants (riches, financiers et juristes, consommateurs). Dès lors, l’enjeu d’un protectionnisme moderne et tempéré est triple :
— sauver les classes moyennes, groupe social clé pour la stabilité et la prospérité de nos sociétés, en remusclant l’industrie, monde non seulement plus stratégique, mais également plus égalitaire que celui des services,
— rétablir la demande finale en faisant monter les salaires, précisément de l’industrie, au détriment de l’actionnaire et du consommateur,
— laisser filer une inflation de l’ordre de 3 à 4 % par an pour rééquilibrer les échanges entre producteurs et consommateurs, et pour réduire la dette à travers « une faillite partielle, discrète et libératrice ».
En pratique
Le dernier chapitre du livre, assez modeste (vingt pages), contient un certain nombre de recommandations pratiques. Comme pour le livre précédent sur la crise, on remarque immédiatement un hiatus considérable entre l’audace des préliminaires et la prudence des recommandations finales. Il faut y voir la cœxistence chez l’auteur d’un brillant intellectuel et d’un économiste libéral conscient et responsable, ce qui est tout à son honneur !
On retiendra ce qui suit :
— Un relèvement sélectif des droits de douane en fonction des produits et des pays s’impose.
— Même au sein de l’Union européenne, le marché unique du travail doit être amendé; à tout le moins, il conviendrait de prolonger et renforcer la période de transition qui protège certains secteurs, le temps du rattrapage des salaires.
— Une grande prudence, voire de la circonspection, s’impose sur le projet de traité de libre-échange U.E. – États-Unis, notamment en raison du différentiel de prix de l’énergie lié au gaz de schiste.
— Une politique industrielle européenne est nécessaire, avec élevage de champions nationaux et européens, mais avec prudence et doigté, liés à la plus extrême méfiance envers l’État comme acteur économique incompétent.
— Redomestication (et non renationalisation) de l’industrie bancaire, c’est-à-dire son confinement plus strict dans les limites de la nation. Il s’agit là d’une position de repli, à défaut de réforme en profondeur de la finance mondiale auquel l’auteur ne croit guère. Elle implique : le rétablissement partiel du contrôle international des capitaux, y compris à l’intérieur du Marché Unique européen le temps que s’échafaude l’union bancaire « si jamais elle doit sortir des limbes », le rétablissement rigoureux de la séparation des activités de dépôts et d’investissement comme avant 1990, et le rétablissement des contrôles des flux financiers aux frontières.
Dans les toutes dernières pages, l’auteur précise, ce dont nous lui saurons gré, que « le bon périmètre de protection est donc l’Europe, plutôt que la nation » et qu’il « ne s’agit pas de refermer l’Europe, mais de trouver le bon équilibre entre le marché et la règle, entre l’ouverture et la protection », dans l’esprit du compromis de Bretton Woods.
En conclusion
Ce livre reprend sous une autre forme le thème, très présent dans le précédent opus, de la lutte inégale et injuste du capital contre le travail, des vieux contre la jeunesse, de la finance contre l’économie réelle. Le retour du protectionnisme est une revanche de la classe moyenne vertueuse sur une petite classe dirigeante mondialisée qui a poussé le bouchon un peu trop loin.
François Lenglet est un esprit libre, l’un des nôtres. Sa vision des cycles de vie des sociétés à elle seule mérite notre adhésion : « Le neuf naît dans le vieux, il s’y loge de façon subreptice. Mais ce neuf lui-même n’est jamais que le retour du plus vieux que le vieux. Dans un cycle, la révolution ressuscite inlassablement les idées qu’on croyait mortes ». Il a du caractère, sans démagogie. Ses diagnostics sont aussi tranchés et sévères que ses propositions sont mesurées, prudentes, nuancées. Sa dénonciation des méfaits de la phase libérale qui s’achève est vive et sincère, mais potentiellement réversible. Le livre est tout sauf manichéen : vus de haut, les cycles contradictoires se succèdent naturellement, unis par une complicité qui transcende les oppositions superficielles. Les deux systèmes ont leurs qualités et leurs défauts, tous deux génèrent leurs rentiers et leurs poisons. Aujourd’hui, c’est le tour du protectionnisme, et c’est tant mieux; demain, ce sera l’inverse, et tant mieux aussi. Ainsi va le monde, rien de nouveau sous le soleil.
Bref, on y verra la juxtaposition d’un tempérament vif, d’un sens de la longue durée et d’une honnêteté sans faille, servie par une compétence technique hors de portée du journaliste ou du politicien moyens. Comme suite au « trilemme de Rodrik » dont il a été question plus haut, je propose le « quadrilemme de Lenglet » : peut-on être à la fois compétent, convaincu, énergique, et honnête ? Pas simple. On n’est donc pas surpris de trouver énormément de gêne et de contradictions dans les remèdes proposés, par exemple sur la nécessité d’une politique industrielle sans État !
Sur le fond, ce point de vue qu’on peut qualifier de « libéral-protectionniste » pourrait servir de référence à une droite européenne et française de conviction, pour deux raisons :
— si l’on s’en tient à l’économie, un homme de droite de conviction ne va pas spontanément vers le protectionnisme, qui souvent traduit un réflexe de défense et une mentalité défaitiste. Il ne s’y rallie que comme solution provisoire en vue d’une offensive ultérieure, vision proche de celle de l’auteur. Il s’y rallie au fond pour des raisons plus hautes, non économiques : le protectionnisme comme condition de l’identité,
— il faut bien réaliser que les propositions de l’auteur, assez raisonnables en théorie, sont extrêmement audacieuses en pratique, et bien plus radicales que celles d’aucun parti institutionnel. Seul grand regret, à titre personnel : l’absence de grand souffle européen.
Jacques Delimoges http://www.voxnr.com/cc/d_usa/EFlZpkkFlZxfaDxtYF.shtmlNotes :
François Lenglet, La fin de la mondialisation, Fayard, coll. « Documents », 2013, 264 p., 15 €.
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Le SAC, « police parallèle » du gaullisme
Novembre 1981 : six mois après l’installation de la gauche au pouvoir, un député socialiste et un de ses collègues communistes se présentent de bon matin au siège de la Direction générale de la police nationale (DGPN) au 11, rue des Saussaies. Respectivement président et rapporteur de la commission d’enquête parlementaire sur les activités du Service d’action civique (SAC), ils viennent explorer les archives du service des Renseignements Généraux (RG) pour y découvrir les secrets du mythique service d’ordre du mouvement gaulliste. Ils traversent la cour Pierre-Brossolette, du nom du résistant qui s’y est suicidé pour échapper aux interrogatoires de la Gestapo. Ils se dirigent ensuite vers l’escalier qu’empruntaient quelques années plus tôt des policiers traînant derrière eux, suivant les périodes, des militants communistes soupçonnés de trahir la France au profit de l’Union soviétique, des membres du Front de libération nationale (FLN) qui prétendaient enlever l’Algérie à la France ou des officiers déserteurs qui rêvaient d’abattre le général de Gaulle pour l’empêcher de conduire l’Algérie vers l’indépendance.
En s’engageant au nom de l’Assemblée nationale dans le couloir qui mène à ces lieux lourds d’histoire policière, les deux parlementaires dont toute la carrière politique s’est jusqu’ici déroulée dans l’opposition ont conscience de vivre un moment historique. Ils vont pénétrer dans l’ascenseur lorsqu’ils se heurtent à une cohorte de femmes de ménage portant des poubelles bourrées de papier.« Vous arrivez trop tard, croit pouvoir ironiser le jeune fonctionnaire des RG qui accompagne les parlementaires. Dans les sacs, il y a tous les dossiers sur le SAC que nous faisons disparaître. » La plaisanterie ne fait pas sourire les visiteurs, elles les met même en colère. En effet, ils savent très bien qu’entre l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République et la constitution du premier gouvernement de Pierre Mauroy, des quantités de dossiers des RG ont été détruits et, lors de leur visite guidée, ils trouveront « intéressants mais incomplets » ceux qui ont par erreur échappé au grand nettoyage. Au terme de six mois de travail répartis en quarante-six séances et 159 heures d’auditions, la commission parlementaire devra en rendant son rapport le 10 juin 1982 se contenter d’admettre que, si elle a « parfois eu l’impression de toucher la réalité de près », elle n’est pourtant parvenue qu’à « lever un coin du voile » sur les activités du SAC.Anticommunisme et truands rémunérésVingt-cinq ans plus tard, le voile continue toujours à dissimuler ce que fut exactement le SAC. Il a été crédité de tant d’actions d’éclat qu’il est difficile de savoir lesquelles lui appartiennent réellement et lesquelles ne sont que les constructions d’une paranoïa gauchisante.Lorsqu’en en mars 1974 le quotidien Libération affirme par exemple, fac-similés de documents à l’appui, que le SAC prévoyait en mai 68 d’interpeller et de regrouper dans des stades un millier de militant syndicalistes et de politiques, l’information semble crédible. Bien qu’elle se soit révélée ultérieurement n’être qu’une manipulation des médias réalisée par les partisans de Valéry Giscard d’Estaing au détriment des responsables du SAC fidèles au général de Gaulle, son retentissement montre qu’il n’existait alors guère d’accusations contre le service d’ordre gaulliste qui paraissent outrancières.La petite partie des archives du SAC qui a été divulguée ne manque d’ailleurs pas de notes stratégiques, toutes destinées à sauver la France en cas de tentative de prise du pouvoir par les bolchéviques. Ce qui est certain aujourd’hui, c’est que malgré sa réputation de disposer de commandos surentraînés, de caches d’armes et d’un fabuleux trésor de guerre, le SAC n’a pas réagi en 1981 lorsque les électeurs, en envoyant François Mitterrand à l’Elysée, ont fait entrer au gouvernement ses ennemis jurés, les communistes. Il n’a pas plus réagi non plus lorsque, le 28 juillet 1982, le conseil des ministres socialo-communiste a prononcé sa dissolution.Le service d’ordre du mouvement gaulliste n’en a pas pour autant été un simple épouvantail. Les fragments mis au jour par la commission d’enquête parlementaire, les dépositions qu’elle a recueillies ainsi que les témoignages d’anciens du SAC montrent que, contrairement aux allégations répétées des dirigeants gaullistes, un véritable police politique parallèle a bel et bien existé en France pendant plus de vingt ans.C’est tout à fait officiellement et conformément à la loi de 1901 sur les associations que le SAC est créé le 4 janvier 1960. Il prend la succession des réseaux de renseignement constitués à Londres pendant la Résistance et celle du service d’ordre du Rassemblement du peuple français (RPF), parti fondé par le général de Gaulle en 1947 et mis en sommeil six ans plus tard. Le SAC hérite ainsi d’un patrimoine génétique comportant une propension à l’action violente, une bonne dose d’anticommuniste, une méfiance constante envers les partis politiques classiques (y compris ceux de droite) et une suspicion permanente envers les services de sécurité officiels, soupçonnés de mollesse.Peu de temps après sa naissance, le SAC va se déchirer entre les partisans de l’Algérie française et ceux qui suivent le général de Gaulle dans la préparation de l’indépendance. A l’origine idéologique, l’affrontement entre les deux tendances du mouvement devient physique avec la création par les défenseurs de l’Algérie française de l’Organisation armée secrète (OAS). Pour lutter contre cette véritable armée clandestine, dont l’un des objectifs est de faire disparaître le président de la République, le SAC se dote lui aussi d’une structure secrète. Ses membres les plus motivés infiltrent l’OAS et en livrent discrètement les responsables à la police officielle. Il leur est même arrivé, comme à Aix-en-Provence, de créer dans les universités de faux groupes activistes dans lesquels venaient se piéger les étudiants favorables à l’Algérie française.Après la guerre d’Algérie, le SAC jouera le même rôle en Corse en tentant d’infiltrer le Front de libération nationale corse (FNLC) et, parallèlement, de mettre en place un mouvement anti-indépendantiste clandestin, le groupe Francia. Aidés par les services de renseignement officiels sous la droite puis par la cellule antiterroriste de l’Elysée sous la gauche, les mêmes militants du SAC poursuivront leurs activités parallèles dans l’île jusqu’en 1983 au moins et seront à l’origine de nombre de règlements de comptes sanglants.Pour permettre au gouvernement de garder les mains propres en cas de problème, les responsables du SAC embauchent fréquemment des truands, parfois extraits de prison pour l’occasion, et leur confient les missions les plus risquées. Avec le SAC, les policiers prennent l’habitude de voir des personnages munis d’armes et de casiers judiciaires constants échapper à tout poursuite judiciaire en exhibant en cas d’interpellation une carte du SAC barrée de tricolore, un ordre de mission des RG, un « vrai faux » passeport diplomatique ou la carte de visite d’un hiérarque de la police. Durant cette période, les jeunes policiers, en particulier ceux des RG, entendent sans s’indigner leurs supérieurs leur conseiller sans ambages de ne pas faire de zèle avec ce profil de clientèle.Ils se retrouvent d’ailleurs les mêmes personnages lorsqu’ils sont appelés à enquêter sur les violences commises par des « milices patronales » à l’occasion de conflits du travail. Les collaborateurs du SAC, souvent rémunérés, n’ont alors pas leur pareil pour faire évacuer les occupants d’une usine, disperser violemment un piquet de grève, implanter un syndicat maison ou dévaster une permanence communiste. L’utilisation d’hommes de main provenant du Milieu deviendra une des traditions du SAC et perdurera bien après la fin de la guerre d’Algérie, au moins jusqu’à ce que, dans les années 1975, les rênes du ministère de l’Intérieur passent des mains des gaullistes pour tomber dans celles des giscardiens.Financements occultesA côté de ces activités violentes mais somme toute assez classiques à l’époque, d’autres branches du SAC innovent en se préoccupant de fournir au mouvement gaulliste des sources de financement occultes. L’Afrique, domaine réservé de Jacques Foccart – conseiller du Général et l’un des fondateurs du SAC –, est en la matière un terrain de récolte privilégié. Sociétés d’import-export, collaboration avec les services secrets de l’Etat, trafics de stupéfiants ou d’armes, aucune des opérations permettant de récupérer de l’argent sale et de le blanchir n’est négligée. Une rumeur insistante, relayée par le Syndicat de la magistrature, attribue au même SAC un audacieux hold-up, celui commis en juillet 1971 à l’hôtel des postes de Strasbourg, qui rapportera à ses auteurs membres du gang des Lyonnais, près de 12 millions de francs.A plusieurs reprises, la direction nationale du SAC, au sein de laquelle figurent les noms d’anciens compagnons de la France libre et de résistants comme Pierre Debizet, Charles Pasqua ou Paul Comiti, procède à des « épurations » destinées à débarrasser le service d’ordre du gaullisme des truands trop encombrants qui, après avoir été utilisés pour une mission, s’y sont incrustés. Le SAC change régulièrement la couleur et le format de ses cartes d’adhérent, radie ceux qui se sont trop fait remarquer, mais ne s’en retrouve pas moins tout aussi régulièrement à la rubrique des faits divers. Celui qui va susciter la mise en place de la commission parlementaire d’enquête et provoquer sa dissolution se déroule en Provence le 19 juillet 1981, près du village d’Auriol.L’inspecteur de police Jacques Massié, responsable du SAC dans le département des Bouches-du-Rhône, est assassiné avec son épouse, leur fils, son beau-père, sa belle-mère et un de leurs amis. Les auteurs de six meurtres sont des militants du SAC, dont l’objectif était uniquement, affirment-ils, de récupérer des documents que Jacques Massié était susceptible de monnayer auprès des socialistes. Si les auteurs matériels de meurtres ont été identifiés, arrêtés et jugés, la question de l’existence d’un commanditaire de l’opération n’a jamais été éclaircie. Pierre Debizet, le secrétaire général du mouvement, a été inculpé et placé en détention provisoire avant que la Cour de cassation n’ordonne sa libération, en estimant que la tuerie d’Auriol représentait simplement l’aboutissement de conflits personnels et locaux entre membres du SAC et non un épisode particulièrement sanglant d’une association de malfaiteurs qui avait prospéré durant quelque vingt-deux années.Roger Faligot, Histoire de la 5ème République
http://www.oragesdacier.info/2013/12/le-sac-police-parallele-du-gaullisme.html