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culture et histoire - Page 1776

  • Jean-Claude Michéa répond à ses détracteurs « de gauche »

    Le philosophe Jean-Claude Michéa, auteur de Les mystères de la gauche : de l’idéal des Lumières au triomphe du capitalisme absolu (Climats, 2013), répond à un billet de Philippe Corcuff publié le 25 juillet.

    Cher Philippe,

    J’ai décidément dû taper dans une sacrée fourmilière pour susciter ainsi une telle levée de boucliers ! On ne compte plus, en effet, les courageux croisés de la sociologie d’État qui ont jugé soudainement indispensable de mettre en garde le bon peuple – il est vrai déjà suffisamment échaudé par l’actuelle politique de la gauche – contre le caractère profondément hérétique et « réactionnaire » de mes analyses philosophiques.

    Au cœur de cette curieuse Sainte-Alliance (dont les interventions ont été largement relayées, cela va de soi, par le Net et ses trolls de service) citons – par ordre d’entrée en scène – Luc Boltanski (dont le texte, initialement publié dans le Monde, vient d’être opportunément remis en ligne par un mystérieux site « anti-Ragemag »), Serge Halimi (dans le Monde diplomatique de juin 2013), Frédéric Lordon (dans la très pierre-bergéiste Revue des livres de cet été) et maintenant toi, sur le site de Mediapart.

    Bien entendu, la critique permanente des idées des uns et des autres, y compris sous une forme polémique (nous sommes, après tout, au pays de Voltaire) demeure, sans contestation possible, la condition première de toute vie intellectuelle démocratique (et donc, a fortiori, socialiste). Encore faut-il qu’il s’agisse réellement d’une critique et non d’une simple entreprise de désinformation ou de falsification.

    Lorsque – pour ne prendre qu’un seul exemple – Anselm Jappe avait entrepris, en 2008, de soumettre l’ensemble de mes positions philosophiques à une critique radicale et sans concession (l’essai a été repris dans Crédit à mort), son analyse n’en demeurait pas moins fondée sur un examen scrupuleux des textes, et témoignait ainsi d’une parfaite honnêteté intellectuelle (c’est d’ailleurs, en partie, grâce à cette critique que j’ai pu prendre une conscience beaucoup plus nette de l’importance théorique majeure des travaux de Robert Kurz et de Moishe Postone sur la loi de la valeur). Il faut dire que Jappe a été formé à l’école de Debord et non à celle de Bourdieu ou de Foucault.

    Toute autre, évidemment, est la manière de  procéder de nos nouveaux croisés. Trois exemples – j’aurais pu en choisir quantité d’autres – suffiront ici à expliquer un tel jugement. Lorsque, dans le Complexe d’Orphée,  je moquais les recommandations de la Halde – cette noble invention de Jacques Chirac – visant à « interdire l’enseignement de la poésie de Ronsart (« discriminante envers les seniors ») ou obliger les professeurs de mathématiques à privilégier les exercices valorisant l’homosexualité » (j’ajoutais : « on imagine une démonstration du théorème de Pythagore conduite sur ces bases épistémologiques ») ce passage – en lui-même parfaitement clair – devient aussitôt, sous la plume savante de Luc Boltanski : pour Michéa, « la Halde serait coupable de prôner la “valorisation de l’homosexualité” » (Boltanski s’étant évidemment bien gardé de signaler aux lecteurs du Monde tout ce que j’avais pu écrire, par ailleurs, sur Pasolini et sur la lutte des homosexuels pour leurs droits).

    Lorsque, dans les Mystères de la gauche, j’écris que nous devons définir « un nouveau langage commun susceptible d’être compris – et accepté – aussi bien par des travailleurs salariés que par des travailleurs indépendants, par des salariés de la fonction publique que par des salariés du secteur privé, et par des travailleurs indigènes que par des travailleurs immigrés », ce passage devient aussitôt, sous la plume (d’ordinaire beaucoup mieux inspirée) de Serge Halimi : pour Michéa, le pilier du nouveau bloc historique doit donc être un individu « musclé, français et chef de famille ».

    Lorsque, dans le Complexe d’Orphée, j’écris que « ce n’est donc pas tant par leur prétendue “nature” que les classes populaires sont encore relativement protégées de l’égoïsme libéral. C’est bien plutôt par le maintien d’un certain type de tissu social capable de tenir quotidiennement à distance les formes les plus envahissantes de l’individualisme possessif » (« tissu social » dont j’ajoutai immédiatement que le développement de l’urbanisme libéral était en passe de l’éroder, au risque d’engendrer ainsi une « lumpenisation » d’une partie des classes populaires), ce passage devient aussitôt, sous la plume avertie de Frédéric Lordon : « Michéa s’interdit de voir que le peuple ne doit qu’à des conditions sociales extérieures (et pas du tout à son “essence” de “peuple”) de ne pas choir dans l’indecency » (et Lordon s’empressait d’ajouter que, d’un point de vue moral, les classes populaires ne valaient pas mieux que ceux qui les exploitent –le peuple étant lui aussi, selon ses mots, « capable de tout », et d’abord de « casser du gay », de « ratonner » ou de « lever le bras à Nuremberg »). Il  est vrai que Frédéric Lordon a réussi le tour de force de dénoncer la « faiblesse conceptuelle » de ma théorie de la common decency tout en dissimulant constamment à ses lecteurs (et cela, pendant onze pages !) ce qui en constituait justement le pilier central, à savoir l’usage que je fais de l’œuvre de Marcel Mauss et de ses héritiers (Serge Latouche, Alain Caillé, Philippe Chanial, Paul Jorion, Jacques Godbout, etc.) afin d’en déduire une interprétation moderne et socialiste (ce que la Revue des livres – conformément à l’éthique éditoriale si particulière de Jérôme Vidal – commente joyeusement en affirmant que « Frédéric Lordon dissipe ici avec vigueur et humour les malentendus qu’une lecture superficielle des écrits de Michéa peut produire » !).

    Je ne te ferai évidemment pas l’injure, mon cher Philippe, de te ranger, toi aussi, dans la même niche que ces nouveaux chiens de garde et leurs dévoués  cyber-trolls. Je connais trop bien ta gentillesse naturelle et je sais aussi à quel point tu es fidèle en amitié (à défaut d’être aussi constant dans tes engagements politiques puisque, si ma mémoire est bonne, tu es déjà successivement passé par le Parti socialiste, le Mouvement des citoyens, les Verts, la Ligue communiste, le NPA et – pour l’instant du moins – la Fédération anarchiste).

    Si donc je retrouve dans ton texte la même propension à accumuler les bourdes théoriques les plus invraisemblables et à décrire un auteur fantasmatique dans lequel il m’est évidemment impossible de me reconnaître, au moins suis-je sûr, venant de toi, qu’il ne peut s’agir d’une quelconque opération commanditée, ni d’une volonté délibérée de dissuader le lecteur d’aller contrôler par lui-même la vérité effective de la chose (d’autant que les lecteurs de Médiapart sont quand même infiniment moins moutonniers que ceux du Monde ou de la Revue des livres). J’aurais donc plutôt tendance, dans ton cas personnel, à incriminer les effets secondaires du Publish or Perish (cette dure loi du monde néo-mandarinal à laquelle, Dieu merci, nous autres enseignants du primaire et du secondaire avons toujours pu échapper), ainsi que cette tendance assurément touchante qui a toujours été la tienne à vouloir que ton nom soit imprimé partout en lettres de feu. Double contrainte à coup sûr épuisante et qui exige une productivité d’écriture véritablement surhumaine.  Car lorsqu’on se trouve ainsi professionnellement obligé d’écrire à la chaîne et de publier de façon industrielle, il arrive forcément un moment où l’on n’a plus le temps de lire sérieusement les textes qu’on est censé analyser. Reprenons donc les choses de façon plus calme et, cette fois-ci, sans sacrifier au culte moderne du fast writing  (et du fast reading) de la nouvelle gauche mandarinale.

    Le premier reproche que tu m’adresses c’est donc d’être à la fois « essentialiste » (je saisirais les « réalités socio-historiques comme des “essences”, c’est-à-dire comme des réalités homogènes et durables, plutôt que traversées par des contradictions sociales et historiques ») et « manichéen » (ma logique de pensée serait désespérément « binaire »). A ce niveau de généralité et d’abstraction, j’avoue ne pas trop savoir comment répondre à une telle accusation. D’autant que tu n’avances – à l’appui de ton affirmation – aucun exemple précis ni aucun argument. Disons quand même que je suis un peu étonné d’apprendre que ma présentation de l’histoire du socialisme et de la gauche (qui constitue l’axe politique principal de tous mes livres) serait « binaire » alors que tout mon travail consiste précisément à montrer qu’il est impossible de comprendre la genèse réelle du socialisme –au XIXe siècle – si on ne l’inscrit pas d’abord dans un jeu à trois (la droite cléricale et monarchiste, la gauche libérale et républicaine et le mouvement ouvrier socialiste – sachant que j’ai toujours précisé que ce jeu triangulaire autorisait toutes les passerelles et toutes les hybridations). Travail qui s’écarte, par conséquent, de l’habituel affrontement binaire et intemporel entre une « droite » et une « gauche » dont les essences respectives auraient été fixées, une fois pour toutes, en 1789 (avec comme conséquence inévitable l’idée historiquement absurde selon laquelle Marx et Bakounine auraient toujours revendiqué leur appartenance inconditionnelle à la « gauche ». J’en profite, au passage, pour te rappeler que dans les Oeuvres Choisies de Marx et d’Engels – publiées à Moscou en 1970 – le terme de « gauche » n’apparaît même pas dans l’index final !). L’ennui, c’est que cette seconde interprétation est justement celle que tu défends en pratique. Si donc, sur ce point précis, quelqu’un se montre « binaire » et « essentialiste », c’est bien plutôt Philippe Corcuff que son humble serviteur.

    Quant à mon « essentialisme » supposé, j’avoue être plus perplexe encore. J’ai, en effet, toujours pris soin de substituer au terme d’essence du libéralisme (tu peux, par exemple, te reporter sur ce sujet à mon entretien de 2008 avec les militants du MAUSS) celui de logique libérale (voire de « logiciel » libéral). Choix qui n’était évidemment pas innocent. Si, en effet, le concept d’essence renvoie incontestablement à une approche « platonicienne » – elle-même d’ailleurs souvent caricaturée– celui de logique (ou de dynamique) n’a clairement de sens, en revanche, que dans une perspective hégélienne et marxiste. Mais c’est peut-être ici, après tout, que se situe la véritable origine de tes erreurs de lecture. Car en m’efforçant ainsi de saisir la logique du libéralisme, je n’ai évidemment jamais prétendu décrire telle ou telle société libérale à un moment donné de son histoire (ni, a fortiori, la pensée effective de tel ou tel penseur libéral singulier). Même si j’ai dû, bien sûr, accorder une attention particulière aux circonstances historiques concrètes – et d’abord aux  guerres de Religion – qui ont joué un rôle décisif dans la naissance du paradigme moderne et de l’axiomatique libérale (je te renvoie ici au dernier livre d’Arlette Jouanna sur la « Naissance de l’imaginaire politique de la royauté », qui confirme en tout point mes analyses). Je me proposais seulement de décrire les tendances de fond du mouvement historique (mouvement nécessairement contradictoire et complexe puisqu’il articule dialectiquement un moment économique, un moment juridico-politique et un moment culturel) qui caractérisent le système libéral considéré dans sa cohérence ultime (encore faut-il, naturellement, qu’on tienne la forme de civilisation rendue possible par un tel système pour un « fait social total » et non comme un simple assemblage de compartiments séparés). En quoi je ne faisais évidemment que suivre la leçon de Marx (ce que presqu’aucun de mes critiques universitaires n’a, d’ailleurs, été capable de relever). Le Capital, en effet, n’analyse pas telle ou telle société concrète de son temps (même s’il emprunte la plupart de ses illustrations empiriques au capitalisme anglais). Il analyse, en réalité, la dynamique pure de l’accumulation du capital (cette « force révolutionnaire permanente » – comme l’écrit David Harvey – qui  définit « la caractéristique fondamentale du système capitaliste »). Analyse dont l’abstraction constitutive est redoublée par les effets de la méthode dialectique, qui procède toujours, comme tu le sais, « de l’abstrait au concret ». Chaque partie de l’ouvrage y est ainsi consacrée à l’étude d’un moment déterminé de cette dynamique du capital,  abstraction faite, par conséquent, de ses relations concrètes aux autres moments. Dans le livre I, par exemple, le procès de production est analysé abstraction faite du problème de la circulation et de  la réalisation de la valeur. Dans le livre II, c’est la structure inverse qui domine. Et le tout, sous l’hypothèse méthodologique – éminemment « essentialiste » – d’une société réduite à deux classes, la bourgeoisie et le prolétariat. Or c’est précisément cette structure volontairement abstraite du Capital – et que Rosa Luxembourg a magistralement développée, en 1913, dans l’Accumulation du Capital (n’oublions pas que les livres II et III  ne sont, en effet, que des brouillons édités par Engels) qui explique, selon moi, l’incroyable actualité de cet ouvrage. Car si, pour l’essentiel, Marx ne s’est pas trompé dans sa « critique de l’économie politique » (je laisse ici de côté sa vision du socialisme qui pose, en revanche, de tout autres problèmes, dans la mesure où celui-ci est supposé trouver sa « base matérielle » préalable dans la croissance illimitée du capital), il s’ensuit que le capitalisme contemporain est historiquement enclin à rejoindre, tôt ou tard, son propre concept (mondialisation de la concurrence, concentration du capital, révolution technologique permanente, généralisation du crédit et de la mobilité des hommes, des marchandises et des capitaux, baisse tendancielle du taux de profit et développement corrélatif  du « capital fictif », etc.). Autrement dit, à déployer progressivement – dans des conditions politiques chaque fois déterminées par l’état des luttes de classes –toutes les figures de son « essence » contradictoire. Mais, sans doute, penses-tu que Marx était lui-même un théoricien « essentialiste » – voire « manichéen », puisqu’il ne travaille, dans le Capital, que sur un modèle abstrait à deux classes – et qu’il ignorait donc superbement les « contradictions sociales et historiques » des sociétés de son temps (ce qui expliquerait, au passage, le peu d’usage réel que tu fais du Capital dans tes  différents travaux).

    Après quoi – et au terme d’un long détour par Max Weber destiné à m’apprendre qu’il existe, dans l’histoire concrète, des « conséquences non intentionnelles de l’action » (ce qui n’est jamais, après tout, que le principe de base de mon interprétation de la dynamique libérale !), tu te risques enfin à hasarder quelques affirmations plus précises. A t’en croire, je défendrais ainsi « depuis une dizaine d’années une thèse principale qui tend à opposer deux types d’essences dans l’histoire occidentale moderne. Les essences du Mal, constituées par les Lumières du XVIIIe siècle, le libéralisme (…), l’individualisme et la gauche, et les essences du Bien représentées par le socialisme ouvrier originel et la common decency »Common decency  dont tu crois bon de préciser qu’elle prend « souvent l’allure chez Michéa d’une caractéristique intemporelle propre à la nature humaine ». Une fois ce curieux théâtre conceptuel mis en place (théâtre conceptuel qui conviendrait assurément mieux aux envolées métaphysiques d’un Bernard-Henri Levy ou d’un André Glucksmann), tu n’as alors évidemment aucun mal à en déduire l’unique conclusion souhaitable. Selon Michéa, tout le drame de l’histoire contemporaine procèderait, en somme, de ce que les « essences du Bien auraient été perverties par les essences du Mal ». De là, bien sûr, ta « réfutation » triomphale, propre à déchaîner le plus vif enthousiasme chez tout lecteur du Monde ou de Libération (ou des sites correspondants du Web). Comment Michéa – sauf à être un fieffé réactionnaire – peut-il ainsi méconnaître les merveilleuses vertus de l’idée d’émancipation individuelle portée par la modernité, puisqu’il est censé voir dans celle-ci l’origine même des quatre « essences du Mal » ? Et, plus encore, comment peut-il « se tromper sur l’analyse historique » au point d’ignorer que « nombre de penseurs des débuts du mouvement socialiste » puisaient une partie de leur inspiration dans la Philosophie des Lumières et la Révolution française ?

    J’imagine ici que tous ceux qui ont lu, même superficiellement, n’importe lequel de mes livres sont déjà tombés de leur chaise ! Peux-tu, en effet, me citer un seul texte dans lequel il me soit arrivé, un jour, de parler de cette grandiose théomachie entre les « essences du Bien » et les « essences du Mal » ? Si tel était le cas, tu pourrais effectivement  me ranger à bon droit parmi ces « essentialistes » et ces « manichéens » qui peuplent ton zoo métaphysique personnel. Le problème – et tu es forcément le mieux placé pour le savoir – c’est que c’est toi, et toi seul, qui a délibérément inventé toutes ces catégories surréalistes et qui a aussitôt jugé médiatiquement rentable d’en faire le fond réel de ma pensée, quitte à manipuler, pour ce faire, tous les lecteurs de Mediapart. Or je pouvais d’autant moins recourir à une telle « conceptualisation » qu’une partie essentielle de mes analyses de la common decency a précisément pour objectif de lui assigner une origine anthropologique concrète (je vais y revenir dans un instant) et de la distinguer ainsi de ce que j’appelle précisément les Idéologies du Bien. Autrement dit, de tous ces « catéchismes dont les commandements aliénants n’ont de sens qu’à l’intérieur d’une métaphysique donnée – qu’elle soit d’origine religieuse, politique ou autre » (c’est, au passage, ce qui m’a toujours permis de distinguer la véritable décence commune – ou populaire – de toutes ses contrefaçons idéologiques et moralisatrices). A tel point que, dans l’Empire du moindre mal,  j’écrivais même que  toute idéologie du Bien étant, par définition, une « construction idéologique éminemment oppressive, on pourra reconnaître, sans difficulté, une valeur réelle au principe libéral du “primat du juste sur le Bien” » (et j’ajoutais logiquement que c’était justement cette idée philosophique qui légitimait l’appel adressé par George Orwell au mouvement socialiste de son époque à négocier un compromis défensif avec les libéraux chaque fois qu’un pouvoir totalitaire – à l’image de celui des Nazis – menaçait réellement les libertés les plus élémentaires). Preuve, si besoin était, que je n’ai jamais pu voir dans le libéralisme l’incarnation même d’une quelconque « essence du Mal », même s’il est effectivement devenu aujourd’hui l’ennemi principal des peuples et le moteur premier de cette « mondialisation » qui détruit la nature et l’humanité. Jusqu’à preuve du contraire, cette « essence du Mal » n’existe, par conséquent, que dans tes fantasmes privés.

    Je vais donc essayer, aussi brièvement que possible, de rétablir la vérité – ne serait-ce que par respect pour tes lecteurs – en me concentrant sur les seuls points essentiels à notre débat, lesquels se trouvent logiquement être aussi ceux que tu présentes à ces lecteurs de la manière la plus fantaisiste. Je laisserai, par conséquent, de côté toutes tes autres affirmations (bien que j’aie, par exemple, toujours autant de mal à prendre au sérieux ton idée selon laquelle le monde de Steve Jobs, de Bill Gates ou de Pierre Bergé ne pourrait trouver les conditions culturelles de son développement optimal que dans une société « conservatrice », nationaliste, homophobe, raciste, religieuse et patriarcale).

    Considérons d’abord la conclusion à laquelle j’estimais être parvenu, au terme des Mystères de la gauche (puisque c’est officiellement le livre dont tu prétends rendre compte). Le projet socialiste – écrivais-je ainsi– est donc né « sous un double signe philosophique. D’un côté, il apparaît incontestablement comme l’un des héritiers les plus légitimes de la philosophie des Lumières et de la Révolution française – dans la mesure où il en reprend clairement à son compte le souci égalitaire et l’idée qu’un projet d’émancipation véritable n’a de sens que s’il s’inscrit sous des fins universelles (…). Mais, de l’autre, il représente également la critique la plus radicale et la plus cohérente qui ait jamais été proposée du ce nouveau monde libéral et industriel dont les principes constitutifs se fondent, par une curieuse ironie de l’histoire, sur le même héritage philosophique » (et je rappelais ici qu’Adam Smith était, avec David Hume, « le plus célèbre représentant de la philosophie écossaise des Lumières »). C’est pourquoi j’invitais logiquement le lecteur à « reprendre le problème sur des bases plus dialectiques, c’est-à-dire à accepter enfin d’avoir à penser avec les Lumières contre les Lumières » (formule dont tu sais pertinemment que je l’ai reprise à ce bon vieux « réactionnaire » d’Adorno). Comme tout lecteur peut ainsi le vérifier par lui-même, ma « thèse principale » se situe donc à des années lumières de celle que tu m’as si généreusement prêtée (même si, encore une fois, je ne pense pas qu’il s’agisse de ta part d’une volonté délibérée – comme chez Boltanski ou Lordon – de dresser un cordon sanitaire préventif entre le lecteur de gauche et l’ensemble de mes livres, mais bien plutôt d’un effet logique de ta méthode de lecture « en diagonale », méthode, à coup sûr, inévitable dès lors qu’on aspire, comme toi, à devenir l’auteur le plus prolixe du Web).

     Quant aux critiques que les premiers socialistes – à l’image d’un Pierre Leroux ou d’un Victor Considérant – adressaient à l’universalisme abstrait de la philosophie des Lumières (ce « règne idéalisé de la bourgeoisie », selon la formule d’Engels), elles se fondaient d’abord sur l’idée que l’homme n’est pas un individu « indépendant par nature », ni guidé par son seul « intérêt bien compris » ou son seul « amour-propre » (cette « anthropologie noire » fondée par Hobbes, Adam Smith et même Rousseau, que Marx  moque sous le nom de « robinsonnades »). Et qu’en conséquence, le projet d’émancipation individuelle portée par la philosophie des Lumières ne pouvait recevoir de sens concret et véritablement humain que si on le reprenait dans l’horizon d’une vie réellement collective – le libre développement des uns ne trouvant sa conditionde possibilité effective que dans celui des autres (« il n’y a pas de vrai bonheur dans l’égoïsme » aimait ainsi à dire George Sand). Aux yeux des premiers socialistes, une société organisée par la seule logique de l’individualisme calculateur (ou « rationnel ») ne pouvait conduire, en effet, qu’à dissoudre progressivement toute forme de vie commune (ce que Pierre Leroux appelait la « désassociation » du genre humain et Engels l’« atomisation du monde ») et, avec elle, toute notion traditionnelle d’entraide –voir Kropotkine – ou de solidarité effective (la « société » se trouvant alors réduite – selon le vœu de Margaret Thatcher – à un ensemble toujours renouvelé de micro-contrats privés entre des individus dont chacun ne chercherait, par hypothèse, qu’à « maximiser son utilité »). De là, bien sûr, le nom même de « socialisme » – ou de « communisme » – que les premières associations ouvrières opposaient fièrement à l’individualisme possessif et narcissique des libéraux, c’est-à-dire à cette « exagération charlatanesque de la liberté bourgeoise jusqu’à l’indépendance absolue de l’individu » (Engels). Et, au passage, on comprend alors pourquoi ce moment anti-individualiste de la critique socialiste a toujours pu rencontrer un écho favorable dans la droite religieuse, conservatrice et réactionnaire, traditionnellement attachée, par définition, à l’idée de communauté (sous la seule condition, bien entendu, que cette communauté demeure hiérarchique et ne porte donc pas atteinte aux privilèges de caste ou de classe). Suffisamment, en tout cas, pour rendre aujourd’hui plausible aux yeux de beaucoup de militants de gauche l’idée que toute critique radicale de la modernité capitaliste – et en premier lieu celle portée par le mouvement de la « décroissance » – serait en réalité d’essence « conservatrice » (n’est-ce pas ainsi être « passéiste » que de vouloir défendre l’agriculture paysanne contre les « progrès » industriels rendus possibles par Monsanto ?). C’est là ce qu’on pourrait appeler, en somme, la « stratégie Barroso » (la critique du libre-échange comme fantasme « xénophobe et réactionnaire »),  stratégie qui est devenue – tu peux difficilement l’ignorer – le moyen privilégié pour la gauche libérale contemporaine de discréditer a priori  toute critique un peu sérieuse de l’ordre capitaliste et de sa société du spectacle.

    C’est donc bien, avant tout, dans le but d’assurer enfin un fondement théorique plus solide à ce sens intuitif de l’être-ensemble (ou de l’«association ») qui soutenait toutes les critiques du socialisme originel que j’ai entrepris – il y a bientôt vingt ans – de m’appuyer sur l’œuvre sociologique de Marcel Mauss (dont on oublie trop souvent qu’il était lui-même socialiste) et sur son idée matricielle selon laquelle la triple obligation de donner, recevoir et rendre constitue effectivement la « trame ultime du lien social ». Structurellement antérieure, de ce point de vue, aux constructions plus tardives du contrat juridique, de l’échange marchand et de l’Etat (dans ton texte, tu cites correctement cette formule – « trame ultime du lien social » – mais sans même t’apercevoir qu’elle ne correspond pas du tout à ma définition de la common decency – comme tu l’annonces tranquillement à tes lecteurs – mais uniquement à celle de son fondement anthropologique, c’est-à-dire de ce que Mauss appelait la « logique du don ». Il est vrai que tu ne dis pas un seul mot de cette dernière !). Bien entendu, dans le Complexe d’Orphée, je ne manquais pas de préciser que si cette triple obligation « transcendantale » constituait effectivement le véritable « socle anthropologique de toutes les  constructions éthiques ultérieures », elle était cependant incapable de spécifier, en tant que telle, « aucun contenu empirique particulier – sous la seule réserve, bien sûr, que ce contenu soit compatible avec les formes mêmes de cette triple obligation, ce qui exclut déjà tous les types de conduite fondés sur le seul égoïsme, tels que la cupidité, l’ingratitude, la lâcheté ou la félonie » (je te renvoie ici aux récents travaux de Kwame Appiah sur l’universalité de la logique de l’honneur). C’est pourquoi j’ai également toujours pris soin de rappeler que la logique du don pouvait connaître, dans l’histoire, aussi bien des formes agonistiques (le potlatch, la vendetta, etc.) que productrices d’alliance et de coopération, égalitaires qu’inégalitaires, étouffantes (par exemple, l’emprise psychologique de la mère possessive et castratrice) que libératrices (par exemple l’amitié). Et qu’en conséquence, les manières quotidiennes de donner, recevoir et rendre propres à une société  socialiste (ne serait-ce qu’à l’intérieur d’une coopérative autogérée ou dans le cadre de l’autonomie locale) devraient impérativement se dérouler sous le signe politique privilégié de l’égalité et de l’autonomie individuelle (ce qui implique très probablement – comme Proudhon l’avait pressenti – le maintien de la petite propriété privée et d’un secteur marchand aux pouvoirs bien définis et contrôlés par la collectivité). On pourra, par exemple, trouver chez  John Dewey – un auteur familier à tous les anarchistes – une série d’analyses tout à fait remarquables sur la façon dont l’autonomie réelle des individus – loin de s’opposer de manière absolue au sens de la communauté et de l’appartenance (comme dans le modèle libéral et ses variantes parisiennes prétendument « libertaires ») – trouve au contraire en lui sa condition de possibilité la plus fondamentale.

    Quant à la common decency (que je définissais comme la « réappropriation moderne de l’esprit du don, sous la forme de règles intériorisées par la “conscience morale” individuelle »), j’ai également toujours souligné que, dans le sens où l’entendait George Orwell, elle empruntait clairement une partie décisive de ses principes concrets, « consciemment ou non, à d’autres sources historiques et culturelles que le seul esprit du don – qu’il s’agisse ainsi de la mémoire collective des luttes populaires antérieures (comme, par exemple, celles des républicains de 1793 et des niveleurs anglais) ou de l’écho indirect d’un certain nombre de débats philosophiques et religieux » (Orwell mentionne d’ailleurs lui-même le rôle essentiel de l’égalitarisme chrétien dans la formation de la version occidentale de la common decency – tout comme Simon Leys, le meilleur commentateur d’Orwell– soulignait celui du confucianisme dans celle de sa version asiatique).

    Devant des textes aussi clairs – et que j’aurais pu multiplier à l’infini – je ne parviens donc toujours pas à comprendre comment tu peux t’obstiner à faire courir le bruit partout (car tu es un professionnel du Web) que la common decency représenterait pour moi « une caractéristique intemporelle propre à la nature humaine ». Or dès lors qu’on élimine à la fois l’hypothèse de la falsification délibérée et celle de ton manque de sérieux  intellectuel (tu es, quand même, après tout, maître de conférence à l’université de Lyon !) il ne reste plus qu’une seule explication plausible à cette volonté qui est constamment la tienne de délégitimer à tout prix l’idée même de common decency. C’est qu’en tant que sociologue formé à l’école de Saint Bourdieu (tout comme Boltanski et Lordon), il t’est forcément très difficile de reconnaître la place que devrait tenir la dimension morale dans toute critique radicale du capitalisme. Ce qui te conduit curieusement à retrouver – certes, sous une forme beaucoup plus « libertaire » – tous ces vieux réflexes léninistes que ton passage par la Ligue et le NPA n’a certainement pas dû améliorer. Pour Lénine en effet – on le voit bien, par exemple, dans sa polémique fondatrice avec Nikolaï Mikhaïlovski et les populistes russes (ces derniers refusant avec raison d’opposer mécaniquement les analyses du Capital et la critique morale du libéralisme)– « Werner Sombart avait raison de dire que, d’un bout à l’autre, le marxisme ne contient pas un grain d’éthique » (Cf. Le contenu économique du populisme, 1895). Or, à l’opposé de cette lecture strictement déterministe du marxisme (que l’ouvrage de Paul Blackedge – Marxism and Ethics – vient de réfuter de manière, à mon avis, définitive) et donc de toute prétention à édifier un socialisme purement « scientifique » (prétention qui fait évidemment la part trop belle à tous ces « experts » qui estiment que le peuple est structurellement incapable de penser et d’agir hors de leur tutelle éclairée) – je persiste à croire que le point de départ réel de la prise de conscience par les gens ordinaires des effets déshumanisants (et dévastateurs pour la nature) du système capitaliste est presque toujours une indignation, c’est-à-dire une révolte morale. Même si, ensuite, il est clair que seule une théorie critique radicale – dont l’élaboration ne saurait, de toute façon, être le monopole des intellectuels de métier – est à même de prendre entièrement en charge, et de conduire politiquement à son terme, cette indignation première. Et pas seulement le point de départ. C’est bien, en effet, le ferme maintien de cette capacité morale de s’indigner et de se révolter – devant le fait évident, comme l’écrivait Orwell, qu’il y a « des choses qui ne se font pas » – qui, seul, apparaît en mesure d’immuniser durablement un mouvement révolutionnaire contre la croyance faussement « réaliste » selon laquelle « la fin justifierait les moyens ». Et, par conséquent, contre ce que Bakounine dénonçait déjà comme le risque d’un « gouvernement des savants » – dont il croyait percevoir les prémisses dans le « socialisme scientifique » de Marx. Ou l’anarchiste polonais Jan Makhaïski, à la fin du XIXe siècle, comme celui d’un « socialisme des intellectuels », porté par les nouvelles classes moyennes. Telle est bien, en dernière instance, la fonction politique première du concept de common decency (qui ne saurait donc être entièrement compris sans les leçons qu’Orwell avait su tirer de son expérience du stalinisme –notamment lors de la guerre civile espagnole). Et si notre pauvre Frédéric Lordon nous avoue être personnellement incapable de comprendre ce que pourrait bien signifier concrètement l’invitation « moralisatrice » à se comporter de façon décente dans tous les domaines de la vie quotidienne (ne serait-ce que sur le plan intellectuel), cela nous en apprend certainement beaucoup plus sur lui que sur la triste réalité qui est devenue aujourd’hui la nôtre  (« le voleur croit que tout le monde vole », dit ainsi un proverbe chinois).

    Il me reste, pour terminer cette lettre déjà trop longue, à préciser un point qui, je crois, pourrait offrir à nos lecteurs la clé ultime de toute cette affaire. Tu as tenu, en effet, à placer ta « critique » de mes idées sous le signe privilégié de la distinction opérée par Max Weber entre l’« éthique de conviction » (ou encore l’« éthique absolue ») et l’« éthique de responsabilité ». Aux yeux du sociologue allemand, la première serait celle qui commande aux hommes (c’est toi-même qui a choisi cet exemple) « un devoir inconditionnel de vérité ». Alors que la seconde nous inviterait, au contraire, à privilégier systématiquement les conséquences réelles de nos principes moraux. « Ce qui sépare ces deux éthiques – écris-tu ainsi à juste titre – c’est donc l’attention ou pas aux effets de ce qui est dit et fait. » Je t’avouerais, mon cher Philippe, que cette distinction qui te semble si évidente m’a toujours parue extrêmement ambigüe. Soit, en effet, elle vise simplement à nous mettre en garde contre toute éthique indifférente à l’humanité réelle (« Fiat justicia, pereat mundus »). Mais cela signifie alors que cette prétendue « éthique absolue » n’est que l’autre nom de ce que j’ai appelé une idéologie du Bien – idéologie au nom de laquelle, en général, on remplit les camps et les cimetières (une véritable éthique – on le sait depuis Aristote – est en effet toujours attentive au concret et n’ignore donc pas les « cas de conscience » et les « tempêtes sous un crâne ». Je te renvoie ici, entre autres, aux travaux d’Alasdair MacIntyre). Soit, au contraire, cette distinction constitue un appel à renoncer à nos principes fondamentaux (ou, au minimum, à transiger avec eux) chaque fois que les circonstances historiques sont supposées l’exiger. Il se trouve que la seule question qui importe à tes yeux  – en bon disciple  de Max Weber – c’est de découvrir enfin le meilleur moyen de « combiner » les deux. Or, pour te le dire franchement, il me semble que tu t’aventures ici sur un terrain particulièrement glissant (surtout pour quelqu’un qui se veut désormais  « anarchiste »). Certes, tu prends bien soin de préciser qu’il n’est pas « nécessairement » question « d’abandonner la visée de vérité » (encore heureux !). Il s’agirait  plutôt d’apprendre –dans le cadre de ce que tu appelles significativement tes « Lumières tamisées » – à mettre cette visée « en rapport avec une éthique de la responsabilité se souciant des conséquences sur le monde des paris de vérité que nous pouvons formuler les uns et les autres ». Ou – comme tu l’écris de façon encore plus claire – en nous interrogeant d’abord sur le « “comment le dire” (sic), en fonction du contexte et de ses effets prévisibles ». Le problème, avec ce genre de « dialectique », c’est qu’on sait toujours très bien où elle commence mais jamais vraiment où elle s’arrête. Et qu’elle invite un peu trop facilement ses subtils partisans –au nom du « contexte » et des « conséquences » – à prendre d’inquiétantes libertés avec la notion même de vérité. Imaginons – simple exemple pris au hasard – que dans le « contexte » actuel, les idées d’un certain Michéa, si fondées soient-elles, aient des « conséquences prévisibles » particulièrement néfastes pour la bourgeoisie de gauche. Quelle devrait alors être, sur un tel sujet, le « pari de vérité » d’un critique corcuffien ? Chacun reconnaîtra, bien sûr, dans cet exemple tout à fait imaginaire, une version rajeunie du vieux schéma idéologique qui a conduit, tout au long du siècle écoulé, la plupart des intellectuels de gauche (mais ni un Orwell ni un Camus – d’où l’animosité discrète qu’ils continuent de susciter) à vouloir éviter par tous les moyens – par exemple en dissimulant « provisoirement » l’existence des crimes de Staline – de « désespérer Billancourt » (sous le règne de François Hollande et de Pascal Lamy, sans doute vaudrait-il mieux dire « pour ne pas désespérer le Marais, la place des Vosges et le Luberon »). C’est la raison pour laquelle je me garderai bien de te suivre sur ce chemin. Car s’il y a une chose, en effet, dont je sois absolument certain – à la lumière de toute l’expérience  révolutionnaire du XXe siècle – c’est que, comme l’écrivait Antonio Gramsci, seule la vérité est révolutionnaire. Et qu’il faut donc toujours être prêt à la dire telle qu’elle est, quel que soit le contexte et quelles qu’en soient les conséquences. Même si –en agissant de la sorte– on risque évidemment toujours de faire « objectivement » le jeu de l’ennemi (surtout quand la logique de l’affrontement n’est pas « binaire » et qu’il existe, par conséquent, des « ennemis de nos ennemis ») ou même d’en recevoir les chaleureuses félicitations (n’est-ce pas, après tout, la CIA elle-même qui avait financé la première adaptation cinématographique d’Animal Farm ?). Et même à supposer qu’il puisse exister, un jour, des circonstances où l’on devrait cacher la vérité au peuple « dans son propre intérêt » (ou afin, comme on dit plus sobrement, de ne pas donner « des armes à la droite »),  il reste – et cela, tu ne peux pas l’ignorer – que la vérité finit toujours, tôt ou tard, par sortir de l’armoire et apparaître aux yeux de tous. C’est d’ailleurs ce qui explique qu’à la fin de l’histoire, ce soient malheureusement toujours les mêmes – autrement dit, les classes populaires – qui se retrouvent à devoir payer l’addition laissée par les doctes défenseurs d’une éthique « responsable ».

    Comme je te l’ai dit en commençant, mon cher Philippe, je reste absolument convaincu qu’il n’y a en toi aucune trace de malhonnêteté intellectuelle, ni même d’un véritable désir d’augmenter à tout prix ton « capital symbolique » personnel. De toute évidence, tu n’es ni un Boltanski ni un Lordon. Et j’ai bien compris que, dans toute cette ennuyeuse histoire, tu ne cherchais d’abord qu’à purger notre pauvre monde de tous ses démons « manichéens » et « essentialistes ». Mais le résultat, hélas, est exactement le même. Car le fait est que, toi aussi, tu as bel et bien fini par imposer à tes lecteurs une image entièrement déformée de mes livres et de mes positions. Puisse donc la lecture des Essais de George Orwell (je parle, naturellement, d’une lecture sérieuse, et non « en diagonale » !) te permettre enfin d’accéder à une conception plus révolutionnaire – et, à coup sûr,  plus  décente – de la vérité. C’est tout le mal que je te souhaite.

    Amicalement,

    Jean-Claude Michéa

    Mediapart   http://fortune.fdesouche.com

  • Vladimir Poutine, sur les minorités en Russie.

    Le 4 Février 2013, Vladimir Poutine, le président russe, s'est adressé à la Douma, (Parlement russe), et a prononcé un discours sur les tensions avec les minorités en Russie:

    "En Russie, vivons Russes. Toute minorité, de n'importe où, si elle veut vivre en Russie, travailler et manger en Russie, doit parler le russe, et doit respecter les lois russes. S'ils préfèrent la Charia, alors nous leur conseillons d'aller aux endroits où c'est la loi du pays. La Russie n'a pas besoin de minorités. Les minorités ont besoin de la Russie, et nous ne leur accorderons pas de privilèges spéciaux, ou n'essaierons de modifier nos lois pour répondre à leurs désirs, peu importe la force avec laquelle ils crient à la « discrimination ».

    On ferait mieux d'apprendre du suicide de l'Amérique, de l'Angleterre, de la Hollande et de la France, si nous voulons survivre en tant que nation. Les coutumes et les traditions russes ne sont pas compatibles avec l'absence de culture ou les moyens primitifs de la plupart des minorités. Quand ce corps législatif honorable pense à la création de nouvelles lois, il faut avoir à l'esprit l'intérêt national, en gardant à l'esprit que les minorités ne sont pas les Russes.”

    Les hommes politiques de la Douma lui ont donné une ovation debout pendant cinq minutes !

  • Ma préface au manifeste royaliste de Frédéric Wincler. J.P. Chauvin

    Dans quelques semaines paraîtra un livre de Frédéric Wincler, président du Groupe d’Action Royaliste dont j’ai l’honneur d’être vice-président : cet ouvrage est un véritable « manifeste royaliste » qui reprend l’initiative des Marseillais de l’Union Royaliste Provençale des années 1970 (le fameux « Manifeste de Montmajour »), mais surtout une base de travail pour les militants et un outil de diffusion des idées monarchistes vers un public qui s’intéresse à la « chose politique », au-delà des clivages habituels.

    Voici, ci-dessous et en « avant-première », la préface que j’ai rédigée pour ce manifeste, disponible dès l’automne.

    Etre royaliste au XXIe siècle est-il encore possible, à l’heure d’une mondialisation qui apparaît inéluctable et qui nous est évoquée comme un sens obligatoire de l’histoire, vers une gouvernance abandonnée aux puissances financières et économiques, ces nouvelles féodalités des temps contemporains ? Cela fait déjà plus d’un siècle et demi que la France est privée de roi, et, malgré les tentatives nombreuses de ces deux derniers siècles, la monarchie est restée sur le bord de la route, servie par de grandes intelligences et de belles plumes, cantonnée aux souvenirs et aux livres d’histoire… Alors, « à quoi bon ? », pourrait-on dire en haussant les épaules et en se laissant aller à suivre le fil des événements sans vouloir en changer le cours.

    Et pourtant ! Nous sommes royalistes, et nous n’en démordrons pas : l’histoire n’est pas finie et la politique n’est pas écrite une fois pour toutes sous le seul terme de « République » au sens institutionnel du terme. Il n’y a pas de fatalité et nous ne sommes pas fatalistes : au contraire, ce qui nous importe, c’est la nécessité d’institutions efficaces mais aussi justes, pour la France comme pour les Français, mais aussi pour l’équilibre du monde, que cela soit sur les plans géopolitique, économique et social, mais aussi environnemental. Nous avons conclu à la Monarchie, non par seul sentimentalisme (même s’il ne faut pas méconnaître l’importance des sentiments en politique, comme nous le montrent les exemples des monarchies et des familles royales ou princières d’Europe), mais par raison politique et par passion de cette France dont nous sommes, chacun d’entre nous, les héritiers, et que nous savons utile de servir et de transmettre aux générations qui viennent et qui viendront.

    Etre royaliste, ce n’est donc pas être nostalgique car on ne fonde pas de politique sur la nostalgie, mais c’est être de son temps sans oublier ceux qui nous ont précédés et pour préparer ceux qui adviendront. C’est écouter, c’est réfléchir, c’est agir ! C’est vouloir la Monarchie mais se battre pour son instauration dans les meilleurs délais. C’est aussi agir, malgré la République, pour le bien commun du pays et de ses composantes multiples, sociales, professionnelles, provinciales, culturelles, etc.

     Le Groupe d’Action Royaliste est né il y a quelques années sur ces idées et constatations simples, et avec l’ambition de donner aux royalistes les capacités d’agir dans la société française, « par tous les moyens même légaux » pourrait-on dire : ne se voulant pas mouvement politique mais structure de réflexion, d’action et de diffusion des idées royalistes, le Groupe a repris la tradition de banquets à la fois festifs et militants ; de la commémoration du roi Henri IV sur le Pont-neuf ; de discours, de conférences et de cercles d’études sur des thèmes très variés ; de brochures nombreuses sur (presque) tous les sujets ; d’affiches, d’autocollants et de tracts qui reprennent nos principaux messages politiques, sociaux et environnementaux ; de la promotion de produits siglés royalistes par notre Boutique royaliste ; etc. Des moyens classiques soutenus désormais par ceux liés aux nouvelles technologies, entre vidéos et sites internet. Tout cela permet d’assurer une présence politique royaliste sur la toile comme sur les murs et dans la rue !

    Ce livre que vous tenez entre les mains n’est pas un objet inanimé, il est un essai, une sorte de manifeste royaliste qui a vocation à provoquer la discussion et, aussi, à donner quelques arguments pour une Monarchie sociale « à la française », active et politique : ce texte important rédigé par Frédéric Wincler est aussi un outil de travail qui peut être abordé et lu la plume à la main, et qui doit ouvrir de nouvelles perspectives pour le royalisme, sur des thèmes que les monarchistes avaient parfois un peu négligés, pris par d’autres combats. Lisez, discutez, diffusez, mais aussi complétez : cet ouvrage doit jouer le rôle d’une pierre fondatrice, comme il est aussi un pavé dans la vitrine du « politiquement correct » et du « désordre établi » !

    Jean-Philippe Chauvin http://www.nouvelle-chouannerie.com/

  • Proposition de loi de Paul Giacobbi sur la propriété : une idée profondément enracinée

     

    Entre deux nouvelles « menaces nazies » qui terrorisent désormais hebdomadairement les Français qui acceptent encore de regarder leur télévision sans la détruire, l’actualité de l’été c’est aussi la déclaration de Paul Giacobbi, président du conseil exécutif de Corse.

    Ce dernier déclare qu’en matière immobilière, on pourrait « privilégier l’accès à la propriété aux insulaires » et qu’« on pourrait fixer, pourquoi pas, le délai à cinq ans de résidence ou se fonder sur l’attachement familial à la Corse afin de ne pas pénaliser les Corses de l’extérieur ».

    Il n’en fallait pas plus pour que nos féroces jacobins et autres souverainistes de plus en plus insupportables, toutes étiquettes politiques confondues, montent au créneau.

    On sent bien là d’ailleurs cette « unité politique française », unité jacobine et parisienne, dès qu’il s’agit de toucher à « l’unité de la République ».

    Ces héritiers de la Révolution française, héritiers également du colonialisme, et de tous les « ismes » ayant mené l’Europe à deux boucheries au XXe siècle, continuent donc de vouloir nuire à toute évolution, qu’elle soit en faveur de l’unité de souche européenne, ou qu’elle soit en faveur de l’échelon régional, première marche en avant vers cette unité, symbolisant à la fois l’unité locale dans un empire européen que nos peuples devraient appeler de tous leurs vœux s’ils voulaient survivre aujourd’hui.

    Mais revenons sur le fond de l’affaire

    Jean-Guy Talamoni avait déjà, il y a quelques années (2010) réclamé la mise en place d’une « citoyenneté » corse. Citoyenneté déjà mise en place dans certains territoires d’outre-mer (territoires dont le maintien sous un régime français est là aussi signe d’une obsession coloniale et jacobine française qui se retournera un jour contre les peuples de France, l’exemple de Mayotte et de son immigration incontrôlable nous donnant là les prémices d’une poudrière migratoire en France).

    Cette citoyenneté permet aux résidents et aux natifs d’une région avec son identité propre de bénéficier de statuts, de droits et de devoirs particuliers.

    Ces messieurs de Paris, englués qu’ils sont dans leur Île-de-France multiculturelle, colonisée par les peuples d’outre-Méditerranée et d’Afrique, souhaitent-ils absolument s’accrocher à leur sacro-sainte « une et indivisibilité » d’une république dont chaque jour un peu plus, de nombreux citoyens s’éloignent, écœurés de ne pas être protégés, effarés qu’on leur impose un avenir commun avec des peuples avec qui ils n’ont aucune envie de vivre ensemble ?

    Cette république, incapable de faire respecter ni l’ordre, ni son drapeau, dans ses banlieues chaudes et même désormais dans les centres de ses grandes villes, où un jeune peut se faire égorger en pleine rue, en ne suscitant d’un ministre de l’Intérieur que le traditionnel « pas de vagues, pas de récupération ».

    Alors oui, il est important de soutenir la proposition de M. Giacobbi, tout comme la proposition de M. Talamoni.

    Il est important que les peuples qui composent l’Hexagone puissent bénéficier de statuts particuliers, de droits et de devoirs qui leur soient propres.

    Doit-on rappeler que chaque été, en Bretagne, en Corse, au Pays Basque ou encore en Alsace, les nombreux touristes y soulignent et y vantent les différences quand il s’agit de participer à un fest noz, ou de déguster une charcuterie corse sur le marché de Bastia ?

    Nos régions ne sont pas un simple folklore. Elles sont composées de peuples distincts, unis à la France, tout comme au sein de l’Europe, par la même appartenance ethnique et civilisationnelle malgré des différences linguistiques et culturelles.

    Cette unité ne doit pas obliger, à cause de spéculations immobilières et de différences de pouvoirs d’achat, les jeunes Bretons ou les jeunes Corses à se réfugier dans les terres, ne pouvant plus payer ni loyer, ni prêt immobilier pour s’offrir des maisons sur le littoral, maisons qui pourtant restent fermées dix mois sur douze.

    Cette unité ne doit pas mettre en danger le particularisme. Cette unité ne doit pas étouffer ceux qui œuvrent pour donner un souffle économique aux langues régionales au sein des ensembles économiques européens.

    Il est normal qu’un Basque, qu’un Corse, qu’un Breton, qu’un Flamand, qu’un Alsacien, soit prioritaire sur sa terre. Que ce soit en terme d’emploi, d’appels d’offres, mais aussi de logements.

    Cette priorité doit être d’abord locale, puis régionale, et enfin européenne.

    Nos peuples n’ont pas, à la différence de ces messieurs de Paris, le luxe de pouvoir se sentir chez eux également à Washington, Tel-Aviv ou Tokyo. Ils n’ont que leurs terres, leurs patries charnelles.

    Ils doivent pouvoir en bénéficier prioritairement, en fonction de leur naissance et de leur sang et transmettre leur patrimoine, sans taxes aucunes (les socialistes ont remis au goût du jour le droit de succession, racket délirant et injuste qui entraîne la spoliation des biens d’une famille au profit de l’État).

    Ce combat pour la priorité charnelle doit aller de pair avec le droit à la propriété pour tous. Il ne devrait pas y avoir un seul Européen qui ne possède pas de terre. Nous en avons encore la possibilité, grâce à une démographie qui n’est pas exponentielle comme sur d’autres continents.

    Nous pourrions le faire, si nos dirigeants, plutôt que de construire des logements « low cost » pour y loger des familles entassées les unes sur les autres, mettaient en place une vraie politique de rénovation du bâtiment ancien, dans les villes et dans les campagnes.

    Nous pourrions le faire si les banquiers étaient sommés par les gouvernants courageux d’octroyer à chaque famille européenne un prêt à taux zéro pour l’accession à la propriété, qui devrait être un droit pour tous.

    Nous pourrions le faire si nous endiguions avant cela le flot d’immigration, véritable pompe aspirante, qui fait que les Européens sont en train de devenir des citoyens de seconde zone sur leurs propres terres

    Une terre, pour un peuple ! Voici la recette de l’écologie humaine.

    Yann Vallerie http://www.europemaxima.com/

    • D’abord mis en ligne sur Jeune Bretagne, le 13 août 2013.

  • Le Front populaire était-il socialiste ?

    Poser la question peut paraître étrange et pourtant elle doit se poser. Politiquement d’’abord, parce que l’’allié radical était loin de l’’être, attachés comme le sont les élus radicaux à la laïcité, au discours républicain, mais loin d’’être des partageux. Quant aux communistes, leur soutien était sans participation et l’’on sait que leur entrée dans le Front populaire était liée au revirement, très relatif d’’ailleurs, de Staline face au danger hitlérien.
    En réalité la question de savoir si le Front populaire fut socialiste doit d’’abord se poser par rapport à l’’économie. De ce point de vue, il faut savoir ce qu’’on entend par socialisme, si l’’on s’’accorde pour admettre que le socialisme, même en économie de marché, suppose que l’’État dispose de moyens économiques importants qui lui permettent, institutionnellement, d’’intervenir dans l’’économie, voire de disposer d’’une partie de l’’appareil de production et des hommes pour soutenir son action.
    Nous avons donné ici une définition du socialisme modèle deuxième moitié du XXe siècle, tel qu’’il peut s’’observer à partir de la Seconde Guerre mondiale. On aura reconnu le modèle social-démocrate dont l’’appellation est d’’ailleurs variable selon les pays. Il nous faut donc examiner, au-delà de la puissante dimension mythique, ce que fut réellement l’’action du Front populaire qui, rappelons-le, n’’eut guère le temps pour lui puisqu’’il demeura au pouvoir une très courte année.
    Un peu de social, peu de socialisme
    La fonction politique est très souvent l’’art de créer des mythes, de donner une charge symbolique voire affective à l’’action et, de ce point de vue, le Front populaire a réussi, tant son insignifiant passage au pouvoir a laissé une trace importante dans l’’inconscient collectif français. Dans ce registre s’’inscrivent les congés payés et les 40 heures. On aura noté qu’’à partir de cette date le social en France se fera toujours par le haut c’’est-à-dire par la loi, c’’est-à-dire le plus souvent de façon non contractuelle ; il en sera ainsi des lois ultérieures sur les trois semaines de congés payés accordées par le Front républicain en 1956, la loi Mauroy sur les retraites en 1982 et, bien sûr, la loi Aubry sur les 35 heures. Choix politique quasi culturel en France qui conférera une grande rigidité aux dispositions sociales.
    De ce point de vue on oublie souvent ce que Jean Fourastié nous a magistralement enseigné à savoir que la source du progrès social n’’est pas uniquement dans la loi mais aussi dans les formidables gains de productivité. Il est vrai qu’’au XIXe siècle la loi avait beaucoup fait pour le social surtout grâce aux catholiques sociaux (travail des enfants, etc.). Quoi qu’’il en soit, le résultat est que, outre que les ouvriers français travaillaient moins que les ouvriers allemands au moment où Hitler réarmait l’’Allemagne, les Français après 1945 auront, en moyenne, une durée hebdomadaire de travail supérieure à celle des Allemands et des Britanniques. Ce paradoxe ne saurait s’’expliquer uniquement du fait que les gouvernements qui suivirent le Front populaire cherchèrent à revenir sur la loi des 40 heures, « la semaine des quatre jeudis » disait Paul Reynaud, mais parce qu’à vouloir forcer le cours des choses économiques on perd souvent sur les capacités productives et, de ce fait, les gains de productivité, facteurs de progrès sociaux, ne sont pas au rendez-vous.
    Manque d’’experts
    Dans le même registre l’’histoire aura retenu que les accords de Matignon permirent la reconnaissance des syndicats : est-ce en soi du socialisme ? Quant aux augmentations de salaires concédées par le patronat au cours des mêmes accords de Matignon, elles n’’étaient pas déraisonnables dans l’’époque car il fallait, dans un contexte déflationniste généralisé, redonner du pouvoir d’’achat aux masses. Cela se justifiait assez largement, mais ce ne fut pas le gouvernement qui accorda ces augmentations, il n’’en fut que le médiateur ; au surplus, la mesure était plus keynésienne que socialiste. Tout cela cependant à condition qu’’on ne “gonflât pas un pneu crevé” et que le pouvoir d’’achat ainsi distribué s’’exprimât au bénéfice des productions françaises.
    En revanche, au printemps 1937, Léon Blum fut incapable d’’apprécier les effets en cours de la reprise de l’’économie française, faute d’’experts. Blum, Herriot et le personnel politique de la IIIe République étaient des lettrés et non des experts et l’’on aurait tendance à penser que l’’économie est une chose trop sérieuse pour être laissée à des littéraires si… Si le thème de la Synarchie qui se développe à l’’époque et la naissance prochaine de la technocratie ne nous donnaient pas à penser, avec le recul du temps en ce début du XXIe siècle, que les experts ne firent pas toujours mieux ou, en tout cas, certainement trop.
    La place de l’’État
    C’’est bien le problème qui est posé par l’’étude économique du Front populaire. Si en effet sa politique ne fut guère socialiste au sens où nous l’’avons posée, c’’est que l’’État n’’en avait pas les moyens : peu d’’experts, peu d’’hommes de l’’État”, une fonction publique limitée et l’’absence de volonté d’’infléchir le sens général de l’’économie. Bien sûr, des esprits nombreux, souvent brillants, pensent à cette action de l’’État. On peut citer le groupe X-Crise et d’’autres encore très bien étudiés dans le livre de François-Georges Dreyfus sur les origines de Vichy. Celui-ci montre que l’’influence des intellectuels non conformistes sur le futur régime prime sur celle des maurrassiens. C’’est ainsi que l’’on voit se profiler la montée de la future technocratie que, par ailleurs, un homme comme Tardieu appelait de ses vœœuf. Alfred Sauvy, dans sa magistrale Histoire économique de la France entre les deux guerres, montre comment le ministère des Finances, sis encore rue de Rivoli, calculait l’indice des prix. Un fonctionnaire du ministère sortait alors du Louvre avec un panier qu’’il remplissait, avenue de l’’Opéra et dans les magasins des rues avoisinantes, des biens censés représenter le panier de la ménagère, puis s’en retournait au ministère pour faire la moyenne. Aujourd’’hui c’’est par excès que l’’on pêche quand on pense aux innombrables fonctionnaires qui sont censés contribuer à l’’établissement de l’’indice.
    Deux exemples montrent les degrés d’’intervention de l’’État dans la vie économique sous le Front populaire. Le premier concerne le problème monétaire : il est d’’ailleurs beaucoup plus un attribut de la souveraineté qu’une véritable intervention économique. Au printemps 1936 toutes les grandes monnaies ont été dévaluées : la livre dès 1931, le dollar en 33, et le franc Poincaré est surévalué. Il faut bien comprendre que la dévaluation Poincaré a été vécue comme une rupture par les Français après 125 ans de stabilité monétaire (le franc germinal de 1803) et qu’’une nouvelle dévaluation apparaît aux dirigeants du Front populaire comme une amputation du drapeau.
    Maudite dévaluation
    Mais la vraie raison des réticences de Blum c’est que la pratique de la dévaluation en ce début du XXe siècle est surtout d’’essence totalitaire. Les grandes dévaluations, voire les destructions monétaires (Russie) ont été celles des bolcheviques et des nazis et le contrôle des changes qui doit accompagner une dévaluation pour assurer sa réussite et éviter que les détenteurs de capitaux se mettent en position de change ou privent le pays de ses capitaux, est une contrainte anti-libérale et choque profondément les habitudes de ce bourgeois libéral qu’’est Blum. Cependant il fut contraint au final de dévaluer à l’’automne, ce qui conféra à la monnaie nationale un avantage de change certain mais trop tardif. Les effets de la dévaluation compétitive se feront sentir au printemps sur les exportations mais il est déjà trop tard. L’’embellie économique mal perçue sera peu durable. C’’est à partir des dévaluations de 1939 et surtout celles qui suivirent la guerre, 47, 48, 49, 58, 69, 81, 82, 83, et 86 que les Français se sont habitués au contrôle des changes, mesure abolie par l’’Europe en 1987.
    Un avant-goût de la PAC
    Le second exemple porte sur la question agricole où le Front populaire fut le plus interventionniste sans doute. On sait la dramatique caractéristique de la crise de 1929, la baisse catastrophique des prix, la déflation généralisée : les prix agricoles, dans ces circonstances, résistent encore moins bien que les prix des produits manufacturés. Les agriculteurs voient donc le prix des céréales s‘’effondrer. Chartres fut le théâtre de véritables émeutes des petits producteurs beaucerons désespérés par “le blé gangster”, ce blé vendu par les gros céréaliers en dessous du plancher établi par le gouvernement. Le Front populaire va créer l’’Office interprofessionnel du blé dit ONIB puis ONIC (céréales), véritable prototype de la PAC mise en place par la volonté de De Gaulle et des hauts fonctionnaires français à partir de 1962. Son principe revenait à payer au dessus du prix du marché mondial les produits tout en faisant assumer par la collectivité les stocks, leur écoulement ou leur destruction ; il y a bien là quelque chose de la PAC.
    La vraie rupture
    À l’’évidence la rupture dans l’’histoire économique du XXe siècle ce n’’est pas 1936 mais 1940 ou 1941, dates auxquelles l’’État, sous Vichy, se dote des moyens d’’intervention dans l’’économie. Dès lors, la technocratie est née ! À titre de simple exemple on se souvient que l’’École d’’Uriage fut la pépinière des cadres de la IVe et de la Ve république. Et n’’en déplaise à ceux qui voudraient voir, politiquement, une rupture dans les années suivant la Libération, sur le plan économique il y a une grande continuité entre Vichy et la IVe République. Que les communistes soient les inspirateurs de cette politique est incontestable mais les moyens leur ont été désormais donnés pour intervenir. L’’État finira par acquérir le poids que l’’on sait aujourd’’hui et, s’il n’est pas déraisonnable de vouloir comme le disait R. Reagan qu’’il « descende de notre dos », il faut se souvenir que l’’URSS est morte sous son poids en 1991 mais que la période qui a suivi a été gravement affectée par l’’inexistence quasi totale de ce même État qui vit proliférer l’’anarchie, les mafias et les oligarques, toute la politique du président Poutine étant de rechercher l’’équilibre entre le trop d’’État et le pas assez d’’État. La France dans l’’inévitable réforme qu’elle doit accomplir devra s’en souvenir.
    Olivier Pichon *  L’’Action Française 2000 – du 1er au 14 juin 2006
    * Directeur de Monde et Vie.

  • Staline, l’échec européen et l’art d’accuser les cobayes

     

     

    L’âge industriel n’a pas été comme on le dit l’âge des progrès politiques et sociaux. Il a été bien plutôt l’âge de la régression démocratique comme l’avait compris Chesterton. La discipline industrielle, bureaucratique, politique a gagné tous les segments de la société, favorisant les guerres et les massacres de masses, les holocaustes et les règlements les plus aberrants, l’acceptation de conditions de vie de plus en plus démentes (HLM, pavillons, rocades, stations-service, supérettes, métro...), qui n’ont en fait tenu aucun compte des progrès qui comptaient, ceux de la technique. L’embarquement pour Cyber dont j’avais parlé jadis nous mène aujourd’hui dans des utopies glacées, comme on le voit avec ces enfants affalés qui peuvent rester le week-end devant leur console de jeux, avalés par le Vide, pendant que leurs parents téléphonent ou regardent la télé. Mais le monde industriel et postindustriel repose sur la même absence de participation du citoyen ou autre. Ce dernier qui défendait tous les jours son beefsteak au Moyen Age, quand on l’appelait un bourgeois, sous la forme des guildes, des corporations, des ordres religieux, des ordres de chevalerie, des rébellions incessantes, des villes franches et des privilèges à conquérir a fait chapeau bas quand l’âge froid du moulin à vent fut venu.

     

    Tout ceci pour dire qu’il ne faut pas reprocher à l’Europe d’être antidémocratique : elle n’est qu’à l’image du monde moderne. Comme le dit Chesterton dans son oeuvre magique et polyfacétique, la démocratie était un reliquat du Moyen Age qui était condamné à disparaître à notre époque. Donc les fous de Bruxelles ne sont que l’émanation suintante et répugnante d’un mouvement technocrate fou et globalisé qui n’a d’autre eschatologique fonction que de nous rayer de la carte en tant que peuples, races, sexes ou classes sociales. A la veille de l’Armageddon monétaire que nous allons vivre, il est bon de le rappeler.

     

    Pour expliquer ce monde, on incrimine souvent Hitler. Pourtant je ne la trouve pas qu’hitlérienne cette société ; je la trouve bien plutôt stalinienne avec ses grands projets, ses planifications, son internationalisme niveleur et destructeur, avec son incompétence et son arrogance, sa haine des peuples et du populisme en général.

     

    Mais ici dans les malheurs qui nous frappent, je vois un élément encore plus précis de comparaison : la grande famine ukrainienne qui fit autant de morts que l’holocauste ; famine bien oubliée s’il en fut, et qui est due à un échec, comme le projet européen, échec des bureaucrates et des irresponsables qui se retournèrent contre le peuple pour le punir d’avoir échoué !!! Autrement dit, dans le cas de l’Holodomor, comme disent les ukrainiens comme dans celui de la faillite européenne, on ne punit pas les bourreaux, on punit les victimes ! La collectivisation forcée était une aberration même aux yeux de Trotsky dans son journal (qui était bien sûr pour l’abolition des koulaks, mais c’est un autre problème), qui prévoyait la faillite d’un tel programme. Et une fois que le programme échoue, on accuse les cobayes ! Et on les affame !

     

     

    J’ai commencé par dire que le monde moderne s’était établi sur l’industrie, mot indicateur de toutes les avanies de toutes les filouteries à l’époque de Manon Lescaut (« la Ligue de l’Industrie », c’est la mafia des banques et des casinos) ; mais il s’est aussi appuyé sur la science, science qui a toujours accompagné les "révolutionnaires" et surtout les tyrans de la politique moderne, aussi bien à l’époque de la Terreur que du nazisme ou du stalinisme. La science est progressiste parce qu’elle tue la Liberté ; et notre époque est elle fervente de manipulations génétiques, d’hitlérisme darwinien et d’organismes génétiquement modifiés. Là aussi, elle n’a plus aucune prétention à la démocratie : elle est même prête à remplacer les récalcitrants, comme elle a remplacé nos troupeaux, nos espèces de vaches et les oiseaux dans nos champs. L’immigration de masse et de remplacement n’a fait qu’accompagner ce mouvement. Hommes, bêtes, enfants : tout doit être bradé et remplacé par la race à prix unique de la monnaie inique.

     

    Tout de même, j’y reviens, parce que cette fois ce bon vieux Staline explique trop bien nos maux : si un programme scientifique, technique ou économique échoue, c’est la faute des cobayes, qu’il faut alors persécuter. Le gouvernement Rajoy et rabat-joie en Espagne promet des coupes de 15 % dans les budgets sociaux en Espagne, alors qu’il suffirait d’abandonner l’euro pour que l’Espagne retrouve son autonomie financière, fiscale et sa compétitivité. Mais il est tellement mieux de jeter le bébé que l’eau du bain !!! C’est comme cela que Staline a exterminé les paysans ukrainiens, et c’est comme cela que nos bureaucrates et nos politiques en finiront avec leurs peuples !

    Nicolas Bonnal http://www.france-courtoise.info/?p=1130

  • L’énigme de la servitude volontaire

    Posée pour la première fois par Étienne de La Boétie, 
la question de la servitude volontaire demeure un mystère que 
maintes théories politiques ont tenté en vain d’élucider. Aujourd’hui, 
le texte initial continue de susciter l’intérêt des philosophes politiques.

    « Je désirerais seulement qu’on me fît comprendre comment il se peut que tant d’hommes, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois tout d’un tyran seul, qui n’a de puissance que celle qu’on lui donne, qui n’a pouvoir de leur nuire, qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer et qui ne pourrait leur faire aucun mal, s’ils n’aimaient mieux tout souffrir de lui, que de le contredire (1). »

    Lorsqu’il écrivit ses lignes, Étienne de La Boétie n’aurait eu que 16 ans. Une précocité qui ne manque pas de forcer l’admiration tant l’œuvre dont il est question, Discours de la servitude volontaire, a su traverser les siècles, préservant en elle l’actualité toujours intacte d’une interrogation, d’une énigme politique qu’aucune époque n’a su résoudre jusqu’alors : comment est-il possible qu’un ensemble d’individus aussi vaste qu’une nation puisse se soumettre à la volonté d’un seul et perdurer sous sa domination ?

    Formulée et reformulée à de multiples reprises auprès de divers penseurs, la réponse à cette question semble presque fondamentalement échapper à celui qui la pose, à tel point qu’elle apparaît souvent comme l’énigme par excellence de la politique, celle qui se trouve au cœur même de sa définition. Pourquoi les sociétés humaines se construisent-elles sous le joug d’un État qui les gouverne ? Longtemps perçu comme un pamphlet politique en faveur de la république contre la monarchie, le Discours de la servitude volontaire ouvre, cependant, une voie de réflexion qui dépasse la simple lecture militante pour trouver un écho universel qui n’épargnerait aucun régime politique.

    La question de la servitude volontaire, en effet, semble indépendante de toute appartenance historique. Elle ne pose pas seulement la question de la domination mais celle de sa persévérance et de son apparente acceptation par le peuple. Elle cherche à débusquer ces mystérieuses forces spirituelles et matérielles qui poussent l’homme à accepter la soumission et à aller, parfois, jusqu’à la souhaiter.

     

    Une œuvre universelle

    Né à Sarlat le 1er novembre 1530 dans une famille de magistrats, La Boétie appartient à la classe des bourgeois éclairés. De lui, la postérité ne retient généralement que son amitié, devenue emblématique, avec un autre penseur humaniste de son temps, Michel de Montaigne. Mais il revient justement au Discours de la servitude volontaire d’avoir réuni les deux amis. Condamné dans les premiers temps à une diffusion clandestine à cause de sa portée subversive, l’ouvrage souffre d’une circulation restreinte auprès d’une élite d’hommes éduqués dont Montaigne fait partie.

    Troublé par la lecture de ce texte, Montaigne veut très vite en connaître l’auteur et rencontre La Boétie en 1557 à Bordeaux, entamant une amitié fusionnelle qui ne s’achèvera qu’avec la mort de La Boétie en 1563. C’est alors que Montaigne se charge de publier les œuvres de son ami défunt, à l’exception du Discours qu’il a l’intention d’inclure comme partie principale de sa prochaine œuvre. Mais en 1557, des partisans calvinistes, reprenant à leur compte l’appel à la révolte porté par le texte de La Boétie, contrarient son projet et publient une édition pirate du Discours, sans indiquer le nom de l’auteur. En 1576, une nouvelle édition du Discours est éditée sous le nom de La Boétie avec comme titre Le Contr’un. Forcé d’y renoncer, Montaigne abandonne son projet. C’est donc comme un pamphlet d’idéologie calviniste que le texte se fait connaître, entraînant l’œuvre dans des considérations étroitement partisanes que La Boétie lui-même n’aurait assurément pas voulu. En effet, l’ouvrage de ce dernier, bien que repris à travers le prisme de multiples lectures militantes, se veut fondamentalement ouvert.

    Ni pamphlet antimonarchique, ni éloge de la démocratie, le Discours de la servitude volontaire est un traité politique, à l’image du Prince de Nicolas Machiavel à qui l’on attribue volontiers la naissance de la science politique.

    Mais les deux auteurs adoptent des points de vue opposés. Alors que Machiavel se situe franchement du côté du prince et assume le point de vue de celui qui gouverne, La Boétie se place du côté du peuple asservi, celui qui a à se libérer de la tyrannie et de l’oppression. Mais cette oppression semble, pour lui, ne se justifier sur rien d’objectif, rien d’extérieur. En effet, la crainte ou la lâcheté ne peuvent être les seuls mobiles de l’acceptation d’être dominé puisqu’il suffit de cesser de servir celui qui asservit pour le voir démuni de toute arme de répression, de tout pouvoir de punition.

    Tout porte à croire que La Boétie a eu l’idée de rédiger le Discours suite à la grande révolte de la gabelle survenue en 1548 en Guyenne. Alors que les paysans s’insurgeaient contre l’exigence fiscale du roi, la répression du mouvement a été sans pitié. Cette information nous prémunit contre l’idée que le terme « servitude » sous la plume de La Boétie soit synonyme de passivité. Le peuple sait se révolter. Il lui arrive d’ailleurs d’en faire la démonstration courageuse à de nombreuses périodes de son histoire.

    La servitude est toujours là

    Ce que montre La Boétie, c’est que la servitude demeure, même pendant les soulèvements. La servitude est toujours là, dans le mouvement même de la liberté. C’est pourquoi il n’appelle pas à la révolution qui ne saurait, selon lui, avoir d’autre dénouement que celui d’un nouvel ordre asservissant. Tuer le tyran ne suffit pas à tuer la tyrannie.

    « Il n’est pas besoin de combattre le tyran. Il n’est pas besoin de se défendre contre lui ; il se défait de soi-même. Le pays doit seulement ne pas consentir à la servitude ; il ne faut pas lui ôter rien, mais ne lui donner rien ; il n’est pas besoin que le pays se mette en peine de rien faire contre soi… Si l’on ne donne rien aux tyrans et si on ne leur obéit plus, alors, sans combattre, sans frapper, ils demeurent nus et défaits et ne sont plus rien ; comme une racine qui ne trouve plus d’humidité ni de nourriture, devient un morceau de bois sec et mort. »

    Déroutante solution que nous propose La Boétie. La liberté ne s’acquiert pas par des actes, elle se gagne simplement en la désirant de telle sorte qu’être libre et vouloir être libre ne sont qu’une seule et même chose : « Soyez résolus de ne servir plus et vous voilà libres. » Il suffirait alors de cesser d’obéir, sans même avoir besoin de s’insurger, pour que le pouvoir sur lequel repose le tyran s’évanouisse.

    La servitude très concrète du peuple qui doit payer ses impôts, s’enrôler dans l’armée pour défendre le pouvoir de son chef, sacrifier parfois la pratique de sa propre religion pour adopter celle du régime dominant, ne tiendrait, pour La Boétie, que sur la servitude des esprits qui consentent à reconnaître le pouvoir comme légitime.

    L’état naturel de la liberté

    Néanmoins, La Boétie ne dit rien sur les possibles réprimandes que subirait le peuple s’il se mettait vraiment à ignorer les lois du tyran. Il oublie que le recours à la force de la part du pouvoir n’est pas seulement réservé aux grandes révoltes mais aussi aux petites désobéissances concrètes. La Boétie semble passer un peu trop vite sur la capacité matérielle d’un tyran de réprimander son peuple lorsqu’il n’obéit plus. Cette capacité aurait tout lieu, pourtant, de dissuader, par la peur, tout acte de résistance et d’expliquer ainsi le choix de la servitude. En vérité, pour lui, il existe un dédoublement intérieur qui lie le désir de servir à celui de se révolter. Un peuple se montre un jour capable de révolte, l’autre jour d’une soumission religieuse. Mais alors, comment expliquer le mouvement qui consiste à désirer contre notre propre intérêt ?

    Pour répondre à cela, La Boétie imagine la genèse de l’asservissement des peuples. À l’origine, les hommes vivaient libres jusqu’à ce qu’un événement extérieur, une attaque ou une ruse viennent les asservir. D’autres hommes viennent alors au monde et n’ont jamais connu l’état de liberté dans lequel vivaient leurs aînés et en ignorent même jusqu’à son bénéfice. C’est alors la coutume qui est la première chaîne de la servitude. Les hommes ont oublié qu’ils ont été libres un jour et que cela fait partie de leur droit le plus naturel. Mais pour La Boétie, la nature a moins d’emprise que la coutume :

    « Le naturel pour bon qu’il soit se perd s’il n’est pas entretenu. Nous devenons toujours ce que notre nourriture nous fait, quelle qu’elle soit, malgré la nature. (…) De même que les arbres fruitiers portent des fruits étrangers, dont des entes leur ont été greffées, de même les hommes portent la non-liberté. Les hommes ne savent rien, hormis qu’ils sont sujets : il en a toujours été ainsi, disent-ils. »

    La Boétie dévoile ici le caractère historique, c’est-à-dire non nécessaire, de la domination.

    Le passage de la liberté à la servitude relève alors d’un accident de l’histoire humaine qui a provoqué la division de la société. Cet événement contingent se trouve à l’origine de l’histoire, au sens marxiste, c’est-à-dire fondée sur l’opposition entre ceux qui dominent et ceux qui sont dominés. Elle correspond à la naissance du pouvoir politique.

    La « chaîne des gains »

    Par ailleurs, La Boétie avance une autre explication de la servitude volontaire, plus fondamentale selon lui, Il s’agit de la « chaîne des gains ». Un petit groupe de personnes proches du tyran tâche de le conseiller afin de profiter des profits qu’ils partagent avec lui. Ceux-là dirigent un autre groupe de personnes plus grand, qu’ils corrompent afin d’obtenir leur loyauté et cela ainsi de suite jusqu’à ce qu’« il se trouve presque un aussi grand nombre de ceux auxquels la tyrannie est profitable que de ceux auxquels la liberté serait utile ». Chaque individu a alors l’impression d’avoir négocié sa servitude selon des conditions qui le confortent au mieux. Il croit avoir vendu sa servitude assez cher en échange d’un gain en pouvoir, en titres honorifiques, en gains matériels.

    Cette logique accompagne l’émergence d’une nouvelle catégorie intermédiaire, appelée « les tyranneaux », qui vient complexifier le rapport social qui n’est plus à penser sous le mode simple du face-à-face entre le peuple et le tyran. Deux aspects de la servitude volontaire sont ainsi révélés. D’une part, la servitude volontaire comme résignation d’un peuple qui a oublié le caractère naturel de sa liberté, vivant sa servitude comme une seconde nature. D’autre part, la servitude de ceux qui soutiennent activement le tyran, pensant précisément échapper ainsi à une plus grande servitude, en acquérant quelque pouvoir sur d’autres hommes.

    La philosophie et les sciences humaines vont par la suite tenter d’apporter une réponse à cette énigme. Telles sont les théories de l’aliénation (dans l’optique marxiste), de la légitimation du pouvoir (Max Weber), de la soumission à l’autorité (Hannah Arendt, Stanley Milgram), de « l’amour du chef » (Freud) ou encore de la violence symbolique (Pierre Bourdieu) (encadré ci-dessous). Toutes ces théories postulent l’existence d’une forte emprise mentale du pouvoir en place sur les citoyens. Mais ce constat massif d’une subordination des consciences au pouvoir est-il vraiment avéré ? Les études sur les régimes autoritaires (Béatrice Hibou) ou la faible adhésion citoyenne dans les sociétés démocratiques laissent supposer que la plupart des citoyens ne sont pas massivement asservis « volontairement » au pouvoir en place.

    Dans les pays autoritaires comme dans les pays démocratiques, il existe tout un spectre de postures entre l’adhésion, la résignation, l’hostilité, le désintérêt, la résistance passive ou active que ne rend pas assez en compte la théorie unilatérale de la servitude volontaire.

    Les théories de la soumission

    ◊ Karl Marx (1818-1883)
    L’idéologie comme domination

    Pour l’instigateur du matérialisme historique, la cause de la domination est à comprendre à partir du problème de l’idéologie. L’idéologie, représentée par l’idéalisme allemand et plus particulièrement par Georg Hegel, fait de la conscience le lieu de manifestation du réel. Or pour Karl Marx, « ce n’est pas la conscience qui détermine la vie mais la vie qui détermine la conscience ». La conscience n’est que le produit des rapports sociaux déterminés eux-mêmes par les rapports de force de production. L’idéologie consiste à inverser ce rapport et à faire croire que c’est la pensée qui détermine la vie matérielle. La bourgeoisie assoit sa domination en distillant une idéologie, c’est-à-dire une conception de la réalité erronée puisque pensée indépendamment des rapports de production.

    ◊ Sigmund Freud (1856-1939)
    La légitimité de la domination

    Dans Psychologie des masses et analyse du moi (1921), Sigmund Freud développe sa théorie de « l’amour du chef ». Selon lui, les foules se soumettent aux chefs parce qu’elles éprouvent pour eux une véritable fascination, dont les racines psychologiques se trouvent dans le rapport que l’enfant a eu avec ses parents. La source psychologique de la soumission serait ainsi l’amour. Celui d’un enfant à ses parents, d’un fidèle à son dieu ou d’un peuple à son chef.

    ◊ Max Weber (1864-1920)
    La légitimité de la domination

    Pour Max Weber, la servitude volontaire n’est autre que la légitimation du rapport de domination par le dominé. Le dominé reconnaît le maître comme maître et par conséquent lui obéit. Selon Weber, cette légitimation fonctionne selon trois types de domination : traditionnelle, charismatique et légale-rationnelle.

    ◊ Stanley Milgram (1933-1984)
    L’état agentique

    Connu pour son expérience de psychologie qui vise à évaluer le degré d’obéissance d’un individu devant une autorité qu’il juge légitime, Stanley Milgram s’est attaché à analyser le processus de soumission lorsque celle-ci implique des actes donnant lieu à des cas de conscience, telle que la cruauté envers un autre individu. Pour Milgram, l’être humain n’est cependant pas un monstre en puissance trahi par cette expérience. L’essentiel repose sur la crédibilité accordée à l’autorité, au fait que celle-ci endosse la responsabilité ultime de ses propres actes. Cette résignation à n’être qu’un instrument au service d’un supérieur hiérarchique s’appelle l’« état agentique ».

    ◊ Hannah Arendt (1906-1975)
    La banalité du mal

    Couvrant le procès d’Adolf Eichmann pour le New York Times, la philosophe Hannah Arendt estime qu’il est donné à tout le monde de participer à des actes monstrueux en toute bonne conscience, pourvu que l’on se montre soumis à une hiérarchie responsable, au sein d’un appareil d’État totalitaire, nous empêchant de penser et d’émettre le moindre esprit critique. Ainsi, nul besoin d’être un monstre pour se montrer capable, dans un contexte où le mal est banalisé et prend le visage de la légitimité.

    ◊ Pierre Bourdieu (1930-2002)
    La violence symbolique

    Pour le sociologue Pierre Bourdieu, le dominé, s’il est complice de sa servitude, n’engage pas sa volonté. L’adhésion du dominé réside dans l’intériorisation des structures sociales. Cette intériorisation appelée « habitus » est constituée de schémas conceptuels déterminés par la société. Les structures cognitives apparaissent au dominé comme légitimes puisque naturelles. Mais les structures objectives sont, en vérité, celles des dominants, présentées comme universelles. En intériorisant ces structures, l’homme reproduit la domination.

    http://fortune.fdesouche.com/318361-lenigme-de-la-servitude-volontaire

    Notes :

    1. Étienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire (1576), transcription par Charles Teste, 1836, rééd. Flammarion, coll. « GF », 2011. Toutes les autres citations sont issues du même ouvrage.

    SCIENCES HUMAINES

  • Churchill et les horreurs de la guerre démocratique

     

    « L’Angleterre est en système habituel, je dirais presque naturel de guerre, ou du moins d’opposition, avec tous les peuples du monde, et le repos ne peut être pour elle qu’un état forcé et accidentel. »

     

    Bonald

     

    Un commentaire récent d’un lecteur âgé de 91 ans, ancien soldat de la Deuxième Guerre Mondiale, et que je salue ici (alors que je trouve les commentaires trop souvent à côté de la plaque, je le dis comme je le pense - avec le temps), souligne les aléas sordides de ladite guerre et ses tromperies. Le lecteur évoque l’affaire scandaleuse de Dakar en rappelant que peut-être l’or français y était, et que les Anglais le voulaient à tout prix, c’est le cas de le dire, sentant sans doute qu’ils allaient sous peu être ruinés par les Américains dans le cadre de la grande croisade pour les démocraties, croisade coûteuse dont nous ne sortirons jamais avant mille ans sinon fort endettés et embêtés. Sur ces fâcheux et éternellement reproductibles événements de Juin 40, nul ne nous a aussi bien verbalisés que Céline en 37 :

     

    « Nous serons déjà tous asticots quand débarqueront dans les Flandres les premiers invertis d’Oxford. »

     

    Mon lecteur souligne la trahison britannique à Dunkerque, l’inféodation de la France à Albion depuis 1815 - 1830 exactement -, l’inutilité absolue de cette guerre qu’Hitler ne voulait qu’à l’Est où, cela tombait bien, on avait droit à un monstre pire que lui et Tamerlan réunis. Mais c’était compter sans l’Angleterre et sa conspiration démocratique - voyez le groupe Focus. On prit donc soin en France de se prendre une énième raclée avec l’Allemagne (comme aujourd’hui avec l’euro) au nom d’une Pologne qui, outre sa législation antisémite, avait tout de même reçu des offres d’échange territorial de la part des nazis et avait surtout accepté de se partager avec les autres vautours les dépouilles de la Tchécoslovaquie en 1938 - Tchécoslovaquie créée comme la Yougoslavie par les irréels traités wilsoniens avec les résultats que l’on sait. Ce pays très moral, la Pologne donc, un peu trop sûr de lui et de l’alliance anglaise, fut aussi occupé par l’URSS qui extermina ses élites à Katyn (les maîtres-chanteurs de Nuremberg en accusèrent les Allemands), tout en massacrant les cadres des petites républiques baltes, mais à l’URSS personne chez les bons alliés anglo-saxons ne se proposa de déclarer la guerre. Staline put envahir, tuer, saccager, piller, violer avec la bénédiction de la démocratie occidentale trop occupée ailleurs. Le tsarisme fut toujours abhorré, le communisme sous sa forme la plus rogue adoré à l’Ouest, on est comme ça, on ne se refera pas. Le bolchevisme et ses crimes de masse, l’oncle Joe et ses vingt millions de morts, l’oncle Joe et son Holodomor ukrainien (je sais, je sais, c’est la propagande de Goebbels...) devenait un prodige de la vie démocratique et post-démocratique. Née sur les échafauds des rois anglais et français, sur les cadavres des Irlandais de Cromwell et des Vendéens, née de la barbarie mathématique et quantitative du monde postchrétien, la démocratie qui aujourd’hui professe la liquidation des nations blanches, des sexes et des familles, ne m’aura il est vrai jamais déçu, que ce soit sous son aspect rond-de-cuir, sans-culotte ou commissaire politique. Car le rond-de-cuir, a dit Cochin, est successeur du sans-culotte. Un lynchage une élection : voyez la Libye. Une élection, une trahison. Et quand vous vous plaignez, conspiration !

     

    Mon lecteur pense qu’il est impossible de savoir ce qu’il y avait à Dakar dans un livre d’histoire français. Je n’en lis jamais, de livre d’histoire en français, donc je ne peux pas lui répondre. Mais de l’or, je sais qu’il y en avait.

     

    Il se trouve que dans son livre sur la guerre de Churchill publié il y a longtemps déjà et téléchargeable gratuitement sur son exceptionnel site, David Irving évoque cette histoire ; qu’il souligne la dégoûtante tentative de vol churchillien et la patriotique participation des gaullistes (on comprend pourquoi ils étaient si peu nombreux...) qui se heurtèrent à une résistance rageuse des soldats présents à Dakar et déjà révoltés (comme une partie de l’amirauté britannique !) par le massacre de Mers-El-Kébir (Churchill tua nos deux mille marins comme il bombarda nos villes et tua 70 000 civils mais c’est un allié démocrate, alors il pouvait se le permettre). L’Angleterre du grand libérateur du continent (Hitler aussi lorsqu’il attaque l’URSS se présenta un temps en libérateur, et Staline ou Mao à peu près tout le temps) désirait aussi voler l’or des Belges et des Polonais. L’Angleterre avait déjà volé l’or des Baltes et des Tchèques, avant à son tour de se faire voler tout son or par le vénérable Roosevelt. Irving rappelle au passage une chose : Vichy n’est pas le jouet des nazis, Vichy la dilettante passe l’éponge sur Mers-El-Kébir et marche main dans la main avec les puissances anglo-saxonnes. Irving rappelle ce qu’il en coûtera plus tard à Pétain, Darlan et Huntzinger, et on ne les plaindra pas. Vichy aura été méprisable de bout en bout et méritera son destin d’infamie.

     

     

    En 1939 l’Angleterre nous envoie donc comme d’habitude - pourquoi se gêner ? - nous faire « crever la poitrine tout en mandant la note pour la chemise trouée » (Bernanos). Mais il y a les fables de la Fontaine, plus utiles que nos historiens hexagonaux, et Churchill trouva un Grippeminaud plus gourmand et mieux fourré que lui : Roosevelt, qui ne savait que faire de douze millions de chômeurs (et réélu quand même !) et buvait du petit laid devant la deuxième guerre européenne qu’il avait aidée à déclencher. David Irving précise très bien que pour entrer dans cette guerre dans laquelle il voyait avec un grand sourire une liquidation de l’Europe, Roosevelt voulait essentiellement trois belles choses :

     

    - L’anéantissement de l’Allemagne par le rêve - dès 41 - de la castration chimique, l’application dès 45 de l’extermination physique de sa population (famine organisée, camps de prisonniers, plan Morgenthau appliqué au moins jusqu’en 48 par le preux Truman, etc.), dont l’avocat canadien James Bacque a horriblement rendu compte dans ses livres sur les "autres pertes", celles de l’ennemi vaincu, dont on ne parle jamais (pensez aux deux millions de Vietnamiens morts sous les bombes au nom d’une ubuesque et déplacée lutte contre le communisme par exemple). Bacque est pourtant un modéré, un de ces Canadiens qui ont eu un beau comportement - peut-être un peu trop soumis aux British, non ? - pendant toute cette guerre (je pense à l’étonnant ministre McKenzie King, à Beaverbrook, etc.). Cette destruction généralisée fut une fioriture de plus à mettre à l’actif de Churchill, ancien antisémite politique, ancien adorateur du Duce, raciste dilettante et butor bombardier, grand responsable de la ruine totale de son pays, de l’effondrement de l’empire et de l’Europe, du dérapage final de cette guerre en monstruosité humanitaire et de l’invasion soviétique de notre continent puis de l’avènement de la décolonisation et du communisme en Chine. Mais quand on aime la guerre et la démocratie, on ne compte pas, ni les blocus ni les bombes, n’est-il pas vrai ? Tête de mule (bullheadedness) ! Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Joe Kennedy, le père du futur accidenté de la route démocratique, alors ambassadeur à Londres, et qui voit que Churchill aime la guerre comme une affaire à suivre propre à sauver sa laborieuse carrière. Il voit surtout que le contrôle churchillien sur les médias est total : on est bien en démocratie. Car comme on sait, en démocratie, on fait confiance à ses journaux, à sa radio : ils sont démocrates comme le gouvernement, alors va pour le gaz sarin, le gaz hilarant surtout et le lynchage de Kadhafi : on est là pour montrer l’exemple !!!

     

    - Roosevelt veut surtout en bon démocrate mondialisé la ruine de l’Europe, de l’Angleterre, de la France et la fin de leurs empires coloniaux. Il a pris son temps pour entrer en guerre, voulant affaiblir l’Angleterre un peu plus, et confisquer toutes ses colonies et ses richesses. John Bull finit ainsi la guerre "bare stripped" et furieux contre Churchill (10 % dans les sondages !) qu’il abandonne dès 45 pour les sirènes rouges des travaillistes ; son stoïcisme coutumier et son aveugle soumission à ses élites ne lui auront en rien servi. Le prix du légendaire flegme.

     

    Roosevelt confirme qu’Hitler était certainement une meilleure affaire pour l’Angleterre puisque le 16 juillet 40 le trop anglophile tyran propose un partage du monde à l’empire britannique, qu’il croit encore vivifié par l’esprit de Kipling (par ailleurs auteur d’un colossal poème antisémite mis sous le boisseau par Churchill) ; mais l’Angleterre préfère la guerre d’anéantissement et la fin de l’Histoire. Mais Roosevelt est là qui exploite le bellicisme ultra, la germanophobie, l’humanisme agreste (il voudra que la population germanique baisse de trente millions en 45) et surtout la sidérante naïveté de Churchill qui fera comme s’il n’avait pas vu venir le rapace yankee.

     

    - La puissance de la Russie soviétique, qu’il veut renforcer à n’importe quel prix pour l’Europe. Roosevelt annonce très bien nos élites hostiles (voir ce qu’il a fait de ses paysans blancs pendant son passage aux affaires, de 34 à 40) qui renforcent le communisme comme notre islamisme. Il le dit tel quel, pourquoi ne pas le croire ? La montée du communisme à cette époque dans les élites anglo-saxonnes n’est une surprise pour personne, même si nous savons tous que le maccarthysme correspond pour l’Amérique aux heures les plus sombres de l’histoire de notre pauvre France à nous ! Quand on résiste, cela donne Patton. En 45, Patton ne veut ni de la paix avec la Russie ni de la famine en Allemagne ; il est viré et puis victime d’un fameux double accident de camion (dans la même journée, il fallait le faire !) avant d’être retrouvé mort dans son lit d’hôpital d’où il envoya un message désespéré à sa femme (- ils vont me tuer !). Il restait aux Allemands abattus et naïfs à leur tour à perdre environ quatre millions des leurs dans les camps de prisonniers polonais (1250 camps en Pologne à la fin de 1945 et cinq millions d’expulsés, lisez John Sachs et son remarquable "Eye for Eye"), français, américains, russes. Ce fut chose faite peu après. Les Allemands estimant leur punition méritée et donc ne se plaignant pas (sauf Adenauer dans ses mémoires !!!), on ne se montrera pas plus royaliste que le roi. Mais aujourd’hui que la Russie n’est plus une dictature communiste et qu’elle n’a plus le programme impérial stalinien ou mao-rooseveltien, elle redevient comme par enchantement l’homme à abattre du temps des tzars. Quand donc l’homo democraticus sera moins bête ? je suis trop vieux pour le dire maintenant. Il doit se charger de la Syrie puis de l’Iran, du Yémen libre, de toute la liste. On enverra des drones et des juges androïdes jugeront les victimes vitrifiées.

     

     

    Personne ne va excuser les Allemands pour leurs crimes et pour leur inconduite. Hitler a ses lubies lunaires sur les oranges en Crimée, sur les sous-hommes Juifs et Slaves, et des dadas sur les Saxons. On parle souvent des crimes d’Hitler, pas de ses erreurs ; or ce sont ses erreurs (l’Angleterre, Mussolini, la Russie, l’aviation) qui lui ont fait perdre la guerre, pas ses crimes. Mais je répète : les chefs nazis ne veulent pas de la guerre contre l’Angleterre, et l’exigence churchillienne fera soixante millions de morts et nous créera le monde cauchemardesque, post-français ou post-humain dans lequel nous émargeons au quotidien en 45. Nous ne sommes plus rien et nous serons bientôt moins que rien. L’Angleterre a tué cinquante fois plus d’hommes, de femmes ou bien d’enfants que l’Allemagne sous ses bombardements inutiles (85 % du potentiel industriel est intact en 45 en attendant l’établissement de l’esclavage, le démontage d’usines et les vols de patentes) et elle a immédiatement assisté Staline en 41, pour après la guerre avoir le culot de dénoncer le rideau de fer et préparé une guerre froide interminable, encore renforcée à la chute du mur (OTAN, suspends ton vol !) et empêchant pour une période indéterminée la construction de l’Europe. Bien entendu tous les oligarques sont allés vivre à Londres après avoir pillé "leur" chère terre russe. Sur la dimension méphitique de la métropole londonienne, je recommande les journaux de voyages de Dostoïevski et de mon cher Théophile Gautier. C’est Baal et Babylone à chaque page, vers 1860.

     

    Pour ce qui est de l’or que des malandrins et autres banksters ont fait baisser récemment sans même en posséder (lisez le courageux et compétent Paul Craig Roberts à ce sujet), je rappelle que Roosevelt en avait interdit la possession en Amérique pendant son lamentable New Deal qui ruina dix fois son pays ; et qu’il s’empara de tout l’or qui traînait alors dans notre pauvre monde, de provenance anglaise ou autre. A l’heure où Mme Lagarde parle de dettes de niveau de guerre, fruits de la guerre de l’euro, je fais juste ce petit rappel, qu’il vaudrait mieux avoir de l’or ; mais gare aux gabelous dans le futur proche. Ils ne prendront pas plus de gants que la Royal Navy. On n’en a pas fini avec les élites hostiles qui sont la marque de l’époque démocratique (à quelques exceptions près, citées plus haut, et canadiennes !).

     

    Concluons :

     

    « The great majority are rarely capable of thinking independently. »

     

    C’est Hayek qui le disait dans sa route de la servitude, qui est un peu la route de l’histoire humaine (plus que celle du "totalitarisme"). Hayek ajoute une autre vérité que Churchill pouvait mieux méditer en pseudo-libéral qu’il était. Voyez sa prose :

     

    « The war economy created in Germany in 19 14 is the first realisation of a socialist society. »

     

    En 45, le monde entier est communiste, à des degrés divers.

     

    En réalité tous les mouvements politiques modernes ont été d’essence démocratique. Churchill, Roosevelt, Staline en Russie restent d’ailleurs les idoles des foules, laissant à Hitler l’aura luciférienne des aubes dorées à venir. Seul le culte du général de Gaulle se fait plus discret. C’est la mécanisation de la mémoire.

     

    Bernanos disait lui que la France avait déjà assez eu à payer pour la démocratie. C’était dans "La France contre les robots", son plus beau pamphlet qui célèbre notre France d’avant 89, élite de l’univers. Je le pense aussi.

     

    Quant à ceux qui vont m’accuser de me faire l’avocat des diables et le pourfendeur de nos vertueuses démocraties, je hausse les épaules et leur recommanderai ce propos de l’illustre Robert Mc Namara, bombardier en chef en Allemagne et au Vietnam, dans the Fog of War, documentaire fabuleux passé sous silence en France en 2004 : « Si nous avions été vaincus, c’est nous qui aurions été pendus pour crimes de guerre. »

     

    Shocking ! En tout cas merci cher lecteur, de m’avoir permis de faire mon abstruse mais nécessaire mise au point.

     

    Toute sa vie, il a fait des affaires avec le diable.
    C’est la méchanceté et l’alcool qui le conservent.

     

    De Gaulle (sur Churchill)

    Nicolas Bonnal http://www.france-courtoise.info/?p=1484#suite